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Les anarchistes russes sur l’invasion de l’Ukraine

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Fév 282022
 

De CrimethInc.

Alors que l’invasion de l’Ukraine par la Russie se poursuit,les anarchistes continuent de se mobiliser sur tout le territoire russe, aux côtés de milliers d’autres personnes, contre la guerre. Nous publions ici les communiqués de deux organisations anarchistes russes de longue date, qui proposent une analyse de la situation en Russie et de la façon dont l’invasion de l’Ukraine pourrait la modifier.

Plusieurs manifestations sont prévues en Russie pour demain (dimanche 27 février). Nous attendons toujours des nouvelles de nos contacts en Ukraine, que nous publierons dès leur arrivée.

Au cours de l’invasion la Russie est devenue un champ de bataille dans la guerre de l’information. Le gouvernement russe a tenté de bloquer l’accès à Twitter pour que les Russes ne puissent pas voir ce qui se passe en Ukraine, ou dans le reste de la Russie. De l’autre côté des barricades, le site internet du Kremlin a été piraté. Que les Russes soutiennent cette invasion qui leur coûte beaucoup, ou qu’iels s’opposent à Poutine malgré les risques, sera sans doute déterminant pour les événements en Ukraine à long terme.

« La paix est le privilège réservé à ceux qui ont les moyens de ne pas se battre dans les guerres qu’ils créent – aux yeux des fous nous ne sommes que des chiffres sur un graphique, des obstacles sur leur chemin vers la domination du monde. »

-Tragedy, “Eyes of Madness

Des actions de solidarité se poursuivent aujourd’hui en Allemagne, en Suisse et ailleurs dans le monde.

La position du Militant Anarchiste sur l’attaque de la Russie contre l’Ukraine

Le communiqué suivant a été publié hier sur le canal Telegram du *Militant Anarchiste [Боец Анархист], un collectif anarchiste russe dont nous avions précédemment traduit le nom par « Anarchist Fighter ».*

Notre position sur les événements qui se déroulent en Ukraine est clairement indiquée dans nos posts précédents. Cependant, nous il nous apparaît nécessaire de l’exprimer explicitement, pour ne pas laisser de place au non-dit.

Nous, le collectif Militant Anarchiste, ne sommes en aucun cas des soutiens de l’État ukrainien. Nous l’avons critiqué à de nombreuses reprises et avons par le passé soutenu celles et ceux qui s’y sont opposé·es. Nous avons également été la cause d’une opération de police contre l’opérateur téléphonique VirtualSim, menée par les services de sécurité ukrainiens dans l’espoir de nous combattre.1

Et nous reviendrons sans aucun doute à cette politique dans le futur, quand la menace de la conquête russe se sera éloignée. Tous les États sont des camps de concentrations.

Cependant ce qui est en train de se passer en Ukraine dépasse largement cette formule, et le principe selon lequel tout·e anarchiste devrait lutter pour la défaite de son pays.

Car il ne s’agit pas simplement d’une guerre entre puissances relativement égales, portant sur la redistribution des zones d’influence du capital, et dans laquelle nous pourrions appliquer l’axiome d’Eskobar.2

Ce qui se passe actuellement en Ukraine est un acte d’agression impérialiste : une agression qui, si elle réussit, mènera au déclin de la liberté partout – que ça soit en Ukraine, en Russie et peut-être même dans d’autres pays. Elle rend aussi plus importante la probabilité que la guerre se poursuive et que l’on assiste à une escalade vers une guerre mondiale.

De notre point de vue, cette analyse est évidente en ce qui concerne l’Ukraine. Mais en Russie, une petite guerre victorieuse (ainsi que des sanctions extérieures) fournira au régime ce dont il manque actuellement. Elle lui donnera carte blanche du fait de la poussée patriotique qu’elle ne manquera pas de déclencher chez une partie de la population. Et l’État russe pourra également faire reposer tous les problèmes économiques sur le compte des sanctions et de la guerre.

Dans la situation actuelle, la défaite de la Russie augmenterait la probabilité que les gens se soulèvent, comme cela s’est produit en 1905 [quand la défaite militaire de la Russie face au Japon a conduit à un soulèvement en Russie], ou en 1917 [quand les difficultés de la Russie lors de la Première Guerre mondiale ont conduit à la révolution], et ouvrent les yeux sur ce qui est en train de se passer dans le pays.

Quant à l’Ukraine, sa victoire paverait la voie à un renforcement de la démocratie directe, car si elle advient, ça ne peut-être que grâce à l’auto-organisation populaire, l’entraide et la résistance collective. Ce sont les réponses à apporter aux défis que la guerre impose à la société.

En outre, les structures crées pour mettre en place ces formes d’auto-organisations ne disparaîtront pas une fois la guerre terminée.

Bien sûr, la victoire ne réglera pas les problèmes de la société ukrainienne, ils devront être résolus en profitant des opportunités qui s’ouvriront dans l’instabilité que connaîtra nécessairement le régime après de tels bouleversements. Cependant, la défaite ne résoudra pas les problèmes non plus, mais au contraire les exacerbera encore plus.

Bien que toutes ces raisons – que nous appellerons géopolitiques – soient importantes dans notre décision de soutenir l’Ukraine dans ce conflit, ce ne sont pas les raisons principales. Les plus importantes sont des raisons morales internes : la simple vérité est que la Russie est l’agresseur et qu’elle mène une politique ouvertement fasciste. Elle appelle la guerre la paix. La Russie ment et tue.

À cause de ses actions agressives, des gens souffrent et meurent dans les deux camps. Et oui, même les soldat·es sont broyé·es par cette machine de guerre (par compte nous ne comptons pas les ordures pour qui « la guerre est naturelle », qu’il est pour nous difficile de continuer à qualifier de « personnes »). Et tout cela continuera jusqu’à ce qu’on y mette fin.

C’est pourquoi nous demandons instamment à toutes celles et ceux qui lisent ces lignes et ne sont pas insensibles, à faire preuve de solidarité avec le peuple ukrainien (et pas avec l’État !!!) et de soutenir leur lutte pour la liberté contre la tyrannie de Poutine.

Il nous faut vivre une époque historique. Faisons en sorte que cette page d’histoire ne soit pas honteuse, mais que nous puissions en être fièr·es.

Liberté pour les peuples du monde ! La paix au peuple d’Ukraine ! Non à l’agression de Poutine ! Non à la guerre !

Des manifestant·es anti-guerre défilent avec une bannière à Moscou. Les anarchistes ont défilé à plusieurs reprises avec cette bannière dans la nuit du 24 février. Selon les informations recueillies, même après que la police ait dispersé la manifestation principale et procédé à de nombreuses arrestations, les anarchistes se sont regroupé·es et ont recommencé à défiler jusqu’à ce que la police les charge et les arrête. Le courage dont ont fait preuve les manifestant·es en Russie est une leçon d’humilité.

But what is happening now in Ukraine goes beyond this simple formula, and the principle that every anarchist should fight for the defeat of their country in war.


Le crépuscule avant l’aube

Le texte suivant a été publié aujourd’hui sous la forme d’un podcast en russe sur le site web d’Action Autonome.

Guerre

Jeudi matin, Poutine a lancé la plus grande guerre en Europe depuis la Seconde Guerre mondiale. Il se cache derrière les prétendus intérêts de la partie séparatiste du Donbass, même si la RPD et la RPL étaient déjà absolument satisfaites de leur reconnaissance en tant qu’États indépendants, de l’entrée officielle de l’armée russe sur le territoire et de la promesse d’un financement à hauteur d’1,5 milliard de roubles. Rappelons également que depuis de nombreux mois, le coût des loyers et le prix des denrées alimentaires augmentent de jour en jour en Russie.

Le Kremlin a formulé des demandes absurdes aux autorités de Kiev, à commencer par la « dénazification ». Il est vrai que, grâce à sa participation active aux manifestations de Maïdan en 2014, l’extrême-droite ukrainienne s’est assurée une position disproportionnée dans les institutions politiques et les forces de l’ordre. Mais dans toutes les élections en Ukraine depuis 2014, ils n’ont pas obtenu plus de quelques pourcentages des voix. Le président de l’Ukraine est juif. Le problème de l’extrême-droite en Ukraine doit être résolu, mais pas par des chars russes. Les autres accusations du Kremlin à l’encontre de l’Ukraine – corruption, fraude électorale et justice aux ordres – seraient bien plus appropriées pour parler du régime de Poutine lui-même. Aujourd’hui, les soldat·es russes sont, au sens premier du terme, des occupant·es d’un pays étranger, même si cela contredit les attentes de toutes celles et ceux qui ont grandi avec les récits de la Grande Guerre patriotique.

La Russie s’est retrouvée isolée au niveau international. [Le président turc Recep Tayyip] Erdoğan, [le secrétaire général du Parti Communiste chinois] Xi Jinping, et même les talibans demandent à Poutine de cesser les hostilités. L’Europe et les États-Unis imposent chaque jour de nouvelles sanctions à la Russie.

Au moment où nous préparons ce texte, le troisième jour de la guerre approche. L’armée russe est nettement supérieure à l’armée ukrainienne, mais la guerre ne semble pas se dérouler exactement selon le plan de Poutine. Ce dernier comptait apparemment sur une victoire en un ou deux jours, avec très peu de résistance, voire aucune, mais de sérieux combats ont eu lieu sur tout le territoire ukrainien.

Les Russes et le monde entier regardent en ce moment-même des vidéos montrant des bombes frappant des immeubles résidentiels, un véhicule blindé écrasant une personne âgée, des cadavres et des fusillades.

Roskomnadzor [le service fédéral du gouvernement russe chargé de la supervision des communications, des technologies de l’information et des médias] tente encore de menacer tout Internet, en exigeant : « N’appelez pas cela une guerre, mais une opération spéciale. » Mais peu de gens le prennent encore au sérieux désormais. Tant qu’Internet n’est pas entièrement coupé en Russie, il y aura suffisamment de sources d’information. Au cas où, nous vous recommandons une fois de plus de configurer à l’avance Tor avec passerelles, un VPN, et Psiphon.

Les effets des sanctions et de la guerre commencent tout juste à se faire sentir en Russie. À Moscou, la plupart des distributeurs de billets étaient à court de billets vendredi. Pourquoi ? Parce que la veille, les gens ont retiré 111 milliards de roubles des banques : en fait, toutes leurs économies. Le marché de l’immobilier s’est effondré alors que la construction de bâtiments résidentiels est la branche la plus importante de l’économie russe. L’industrie automobile étrangère cesse progressivement d’expédier des voitures en Russie. Les taux de change du dollar et de l’euro sont artificiellement maintenus par la Banque Centrale. Les actions de toutes les entreprises russes ont sévèrement chuté. Tout le monde comprend que la situation ne peut que s’empirer.

La police anti-émeute russe arrête une manifestante. On peut lire sur son masque « Non à la guerre ».
Seul Poutine a besoin de ça

La réaction russe à la guerre en Ukraine est complètement différente de ce qui s’était passé en 2014 [quand la Russie s’était emparée de la Crimée après la révolution ukrainienne]. De nombreuses personnes, y compris des personnalités qui travaillaient pour le gouvernement, demandent la fin immédiate de la guerre. Le renvoi d’Ivan Urgant, la principale vedette de la télévision russe, est en ce sens remarquable.

La grande majorité de celles et ceux qui soutiennent encore Poutine est également contre la guerre. Le supporter moyen de Poutine croit maintenant que tout a été calculé, que la guerre ne va pas s’éterniser et que l’économie russe va survivre. Car oui, il n’est pas simple de reconnaître que son pays est dirigé par un dérangé, par un Don Quichotte qui contrôle une armée d’un million de soldat·es, l’une des plus puissantes du monde, un Don Quichotte qui dispose de l’arme nucléaire, capable de détruire l’humanité toute entière. Il est difficile de concevoir qu’un dirigeant, après avoir consulté des politologues et des philosophes de seconde zone, puisse bombarder un pays voisin et fraternel et détruire sa propre économie.

En se délectant d’un pouvoir illimité, Poutine s’est progressivement éloigné de la réalité. On pense aux quarantaines de deux semaines imposées aux simples mortels qui doivent rencontrer le président russe pour une raison ou un autre, ou aux tables gigantesques ou Poutine reçoit à la fois ses ministres et les autres chefs d’État.

Poutine a toujours été un politicien qui cherchait à équilibrer les intérêts des forces de sécurité et des oligarques. Aujourd’hui, le président est sorti de son rôle, et a entrepris un grand voyage dans la mer infinie de la sénilité. Nous sommes prêt·es à parier une bouteille du meilleur whisky que dans un futur proche, monsieur le Président pourrait subir un coup d’État venant de son cercle le plus proche.

La Russie pourrait bien se retrouver en 2023 avec un autre système de pouvoir et autre visage au Kremlin. Lesquels exactement, nous le savons pas. Mais pour l’heure, nous traversons le crépuscule avant l’aube.

Pendant ce temps, des manifestations contre la guerre ont lieu en Russie. Des anarchistes y participent à Moscou, Saint-Pétersbourg, Kazan, Perm, Irkoutsk, Yekaterinburg et dans d’autres villes. En Russie, il est extrêmement difficile d’organiser des manifestations dans les rues ; cela entraîne des poursuites administratives et pénales, ainsi que de la bonne vieille violence policière. Mais les gens sortent tout de même. Des milliers de personnes ont déjà été arrêtées, mais les manifestations continuent. La Russie est contre cette guerre et contre Poutine ! Sortez – quand et où vous le souhaitez ! Faites équipe avec des ami·es et des personnes partageant les mêmes idées. Les réseaux sociaux suggèrent une action de protestation générale ce dimanche à 16 heures. Ce moment n’est pas pire qu’un autre. Vous pouvez télécharger des tracts anti-guerre à distribuer et à afficher sur notre site web et sur les réseaux sociaux !

Des tracts russes s’opposant à l’invasion, sur lesquels on peut lire « Vous payez pour la guerre de Poutine – impôts, frontières fermées, pauvreté, blocage des services, vide informationnel – non à la guerre ! » et « Non à l’invasion militaire de l’Ukraine : paix au peuple, guerre aux dirigeants. »

Pendant ce temps, les anarchistes ukrainiens participent à la défense territoriale de leurs villes. C’est bien plus difficile pour eux que pour les gens en Russie, mais il s’agit d’une seule et même défense. C’est la défense de la liberté contre la dictature, de la volonté contre la servitude, des gens ordinaires contre les présidents dérangés.

À vos moutons

Si, comme par miracle, Poutine revenait à la raison et que la guerre prenait fin, serions-nous prêt·es à « retourner à nos moutons » ? Il est probable que nous serions expulsé·es du Conseil de l’Europe. Les Russes perdraient ainsi la possibilité de s’adresser à la Cour Européenne des droits de l’homme, et bientôt le Kremlin rétablirait la peine de mort.

Pour l’heure, revenons à l’actualité, qui reste conforme à l’esprit de ces dernières années. En ce moment-même, la Douma [organe législatif de l’assemblée au pouvoir en Russie] adopte une loi selon laquelle un conscrit militaire doit se présenter lui-même au bureau d’enrôlement plutôt que d’attendre une convocation. Poutine a également récemment augmenté les salaires de la police. Et le bureau du procureur, dans un appel, a demandé de porter de cinq à neuf ans la peine d’un anarchiste de Kansk, Nikita Uvarov, condamné dans la célèbre « affaire de terrorisme Minecraft ».

Vous savez vous-même quoi faire de tout cela.

Liberté pour les peuples! Mort aux empires !


La police escorte une personne arrêtée tenant une pancarte « Je suis contre la guerre ».
  1. Plus d’informations sur cette affaire ici
  2. Eskobar était le chanteur d’un groupe de rock ukrainien appelé Bredor. Il y a longtemps, dans une interview, il a prononcé une phrase célèbre, qui est devenue un mème : “Шо то хуйня, шо это хуйня” – une façon succincte d’exprimer quelque chose comme « une situation où vous avez le choix entre deux mauvaises options, sans aucune alternative » 

En défense de l’attaque du site de forage de CGL

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Fév 252022
 

Soumission anonyme à MTL Contre-info

Le 17 février, le site de forage de Coastal GasLink sur les rives de la Wedzin Kwa (rivière Morice) a été sérieusement endommagé par un groupe inconnu d’individus courageux. En tant qu’individus anarchistes vivant dans le Nord et soutenant les luttes pour la défense de la terre et contre la colonisation en cours par le Canada et ses intérêts corporatifs, nous déclarons notre soutien à cette action et encourageons les autres à faire de même.

Bien que nous ne sachions pas exactement ce qui s’est passé cette nuit-là, nous pouvons étudier les déclarations de CGL et de la GRC afin d’y voir plus clair et de nous faire une idée. Il semble indéniable, d’après les photos, que d’énormes dégâts matériels ont été causés : les véhicules utilisés par le mercenaire ex-flic ex-militaire Forsythe Security ont été endommagés (les soi-disant pauvres “travailleurs de CGL” traumatisés) et des machines et des remorques ont été détruites, presque certainement au moyen de machinerie lourde réquisitionnée. D’autres affirmations de CGL et des porcs ne sont pas étayées par les faits et sont presque certainement des conneries : les “travailleurs” eux-mêmes n’ont manifestement pas fait l’objet d’attaques puisque tous les dommages se sont limités aux véhicules et aux bâtiments et ont cessé dès que la sécurité a quitté le site. La tentative supposée de mettre le feu à un véhicule avec un agent de sécurité à l’intérieur n’est rien d’autre qu’une conjecture et un non-sens. Dans une entrevue vidéo publiée par CGL avec le mercenaire impliqué, celui-ci a fait cette affirmation en se basant sur le fait qu’une fusée de détresse a atterri à l’arrière de son camion alors qu’il tentait de se frayer un chemin à travers les défenseur.e.s des terres pour revenir à la plateforme de forage après avoir été expulsé. Cela ne ressemble guère à une tentative d’incendie d’un véhicule et, dans le contexte, était clairement un acte défensif. Tout au long de l’incident, il semble clair que la force n’a été utilisée que si nécessaire pour effrayer la sécurité de CGL et la faire partir, afin que le véritable travail de démolition de l’infrastructure violente de CGL puisse commencer. Le récit du meurtrier à la hache ne résiste guère à leurs propres faits !

Parlons un instant de l’affirmation de la GRC selon laquelle les agents ont été conduits dans un piège et blessés. Ils ont affirmé qu’ils ont été accueillis par des projectiles alors qu’ils tentaient de démanteler un barrage et qu’ils ont ensuite chargé dans l’obscurité à travers le barrage routier, et que l’un d’entre eux a marché sur une planche à pointes. Les planches à pointes sont des instruments défensifs utilisés pour empêcher les véhicules d’enfoncer les barrages routiers. Plutôt que de se laisser bercer par l’idée d’un piège, on a l’impression qu’il s’agit d’une action défensive au cours de laquelle les gens ont essayé de retarder une réponse policière probablement violente, n’ont utilisé des projectiles que lorsque cela s’est avéré nécessaire pour défendre le barrage et où la seule blessure policière a été auto-infligée par un agent courant dans le noir dans une situation inconnue. Compte tenu de l’historique de la violence policière de la GRC dans la région et du déploiement de fusils d’assaut, de chiens d’attaque et du recours à la torture contre les défenseur.e.s des terres, il semble évident que cette “violence” était de nature défensive et protégeait les gens de la violence bien plus grave que la GRC aurait raisonnablement pu leur infliger s’ils avaient atteint la plateforme de forage.

Voici ce qu’il nous reste comme portrait : après des années d’intrusion et de violation du consentement, après trois raids militarisés de la GRC au service de CGL, après des années de harcèlement et d’intimidation des défenseur.e.s de la terre par la sécurité Forsythe et après que des méthodes plus pacifiques n’aient pas réussi à mettre fin à la violence continue de CGL contre la terre et les relations et lois autochtones, certains individus inconnus ont riposté par un acte impressionnant de sabotage et de destruction de la propriété de l’entreprise. Il y a une très grande différence entre la violence contre les biens et la violence contre les personnes et la vie et, comparée à la violence que CGL et la GRC ont déchaînée, cette action sur la plateforme de forage semble mesurée, proportionnelle et louable.

Nous considérons que cette action est un développement naturel de la résistance en cours contre CGL et qu’elle n’est en aucun cas non provoquée ou inattendue. Bien que nous ne voulions pas faire de suppositions sur les responsables, nous pensons qu’il est raisonnable de croire que cette action a été entreprise par des personnes agissant pour la défense de la terre et de la rivière. C’est pourquoi nous les avons appelés les défenseur.e.s de la terre. Puissent d’autres personnes poursuivre ce combat, agir contre CGL, le Canada et la colonisation en cours là où ils se trouvent et tirer de cette action inspiration et courage comme nous le faisons.

Solidarité pour toujours !
Un petit groupe de camarades

L’Impasse : Le « Convoi de la liberté » et le nouveau populisme canadien

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Fév 222022
 

De subMedia

Two years into the COVID-19 pandemic, a popular movement demanding an immediate end to vaccine mandates and other restrictions on daily life has shaken the Canadian state to its core. Its calls have deeply resonated with members of settler-colonial society in which public health measures and other forms of collective solidarity are seen by some as an affront to individual freedom and an undue hindrance on capitalist enterprise. While the movement is now facing the brunt of a massive wave of state repression, from which it is unlikely to recover, the contradictions it has exposed are only set to get worse.

Ukraine : Entre deux feux

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Fév 212022
 

De CrimethInc.

Des anarchistes de la région à propos de la menace de guerre imminente

Dans l’espoir de fournir un éclairage crucial sur les tensions actuelles entre la Russie, l’Ukraine, les États-Unis et les autres membres de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN), nous vous proposons la transcription d’une excellente interview d’un anarchiste ukrainien, suivie d’une autre contribution venant d’un·e autre anarchiste ukrainien·ne de Lugansk qui habite maintenant à Kiev. Nous attendons un autre texte d’un groupe d’anarchistes ukrainien·nes, que nous espérons publier rapidement. 


Comment comprendre le conflit qui se joue autour des troupes russes actuellement massées aux frontières ukrainiennes ? S’agit-il simplement d’une performance des deux parties, qui viseraient à maintenir et renforcer leur influence et à déstabiliser les forces adverses ? 

Malheureusement, dans le contexte mondial instable d’aujourd’hui, même les acteurs géopolitiques les plus expérimentés sont susceptibles de s’embarquer dans des affrontements inextricables alors qu’ils ne prévoyaient que d’effectuer quelques passes d’armes pour montrer les crocs. Il ne s’agit peut-être que d’une politique de la corde raide, mais elle pourrait tout de même mener à la guerre. Le mois dernier, des troupes russes ont été déployées au Kazakhstan et en Biélorussie, ce qui a confirmé le rôle de Poutine en tant que garant des dictatures et a montré l’étendue de ses ambitions, ainsi que l’équilibre précaire du pouvoir dans toute la région. Les États-Unis déploient désormais également des troupes en Europe de l’Est, ce qui fait monter la tension autour de ces ambitions impériales rivales. Le président ukrainien Volodymyr Zelensky, qui a commencé l’année 2021 en menant l’offensive contre les alliés de Poutine en Ukraine, a récemment demandé à l’administration Biden de modérer ses propos alarmistes ; cela ne signifie pas que la menace de guerre n’est pas réelle, mais plutôt que Zelensky doit continuer à se préoccuper de l’économie ukrainienne, que la guerre se profile dans les semaines, les mois ou les années à venir.

Pour les anarchistes, la perspective d’une invasion russe soulève des questions épineuses. Comment s’opposer aux agressions militaires de la Russie sans jouer le jeu des États-Unis et d’autres gouvernements ? Comment continuer de s’opposer aux capitalistes et aux fascistes ukrainiens sans que cela n’aide le gouvernement russe à élaborer un récit justifiant son intervention, qu’elle soit directe ou indirecte ? Comment faire de la vie et de la liberté des ukrainien·nes et des habitant·es des pays voisins une priorité ? 

Et si la guerre n’était pas le seul danger ici ? Comment éviter que nos mouvements ne se réduisent à des relais des forces étatiques ni ne se retrouvent hors de propos dans cette période d’escalade du conflit ? Comment continuer de s’organiser contre toutes les formes d’oppressions même en pleine guerre, sans adopter la même logique que l’armée ? 


Ce n’est pas la première fois que les événements en Ukraine soulèvent des questions difficiles. En 2014, pendant l’occupation de la place Maïdan1 qui a finalement renversé le gouvernement de Viktor Ianoukovitch, des nationalistes et des fascistes se sont renforcés au sein du mouvement. Comme l’a écrit un·e témoin :

” Le mouvement de gauche et anarchiste ukrainien dans son ensemble s’est retrouvé entre deux feux. Si la révolte de la place Maïdan l’emporte […] on peut déjà prédire le renforcement et l’émergence de nouvelles organisations d’extrême-droite axées sur l’utilisation de la violence et de la terreur contre les opposants politiques. Si Ianoukovitch gagne, alors une vague de répression des plus sévères frappera indistinctement toutes celles et ceux qui sont déloyaux envers les autorités.”

Lviv, February 19-21, 2014

Cet entretien de l’époque décrit la situation. Il est important de souligner que rien n’était inévitable  : un mouvement anarchiste plus dynamique aurait pu aboutir à des résultats différents à Kiev, comme ce fut le cas à Kharkiv.

À l’époque, nous avions décrit l’ascension des fascistes dans les manifestations de Maïdan comme “une contre-attaque réactionnaire dans l’espace des mouvements sociaux” :

C’est peut-être révélateur des pires choses à venir – nous pouvons imaginer un futur de fascismes rivaux, dans lequel la possibilité d’une lutte pour une véritable libération devient complètement invisible.

Aujourd’hui, nous avons avancé de huit ans vers ce futur. Les tragédies en Ukraine – de 2014 à aujourd’hui, en passant par la guerre civile soutenue par la Russie dans les régions de Donetsk et de Luhansk – montrent les conséquences catastrophiques de la faiblesse des mouvements anti-autoritaires en Russie, en Ukraine et aux États-Unis.

Dans ce contexte, nous voyons des acteurs étatiques des deux côtés du conflit mobiliser les discours de l’antifascisme et de l’anti-impérialisme pour recruter des volontaires et délégitimer leurs adversaires. Les fascistes et ceux qui se décrivent comme des antifascistes ont combattu des deux côtés du conflit Russie/Ukraine depuis des années déjà, tout comme les partisans de chaque camp ont décrit l’autre comme impérialiste. Alors que nous nous avançons dans le 21ème siècle, il y aura probablement de plus en plus de luttes armées cherchant à recruter des anarchistes et d’autres antifascistes et anti-impérialistes. Nous ne devons pas nous rendre inutiles en nous tenant à l’écart de toutes les confrontations ni laisser un sentiment d’urgence nous pousser à prendre des décisions mauvaises et coûteuses. De même, si nous nous dispensons de prendre position au motif que la situation est confuse et qu’il y a des gens pas très nets des deux côtés, nous partagerons la responsabilité des massacres qui s’ensuivent.

Avant de présenter les perspectives de l’Ukraine, nous allons passer en revue certaines des autres propositions concernant la manière dont les anarchistes pourraient s’engager.

Des temps plus simples : des anarchistes à Kiev le 1er mai 2013.

Dans son texte, « Pourquoi soutenir l’Ukraine est nécessaire?, » Antti Rautiainen, un anarchiste finnois qui a vécu pendant plusieurs années en Russie, affirme que la plus grande priorité est de s’opposer à une guerre de conquête russe : 

Les résultats des trente premières années de « démocratie » en Ukraine sont, pour le moins qu’on puisse dire, peu convaincants. L’économie et les médias sont aux mains d’oligarques rivaux, la corruption atteint des niveaux stupéfiants, le développement économique est à la traîne en comparaison à de nombreux pays d’Afrique, et comme si ça ne suffisait pas, le pays est devenu le point central du mouvement néonazi dans le monde. Et ces problèmes sont essentiellement dus à des facteurs internes, et non aux intrigues du Kremlin. 

Mais l’alternative est encore pire.

Le gouvernement de Poutine est l’équivalent du KGB sans le socialisme. Comme nous l’avons documenté, les sous-fifres de Poutine ont régulièrement recours à la torture et aux complots inventés de toutes pièces, ainsi qu’à la bonne vieille violence policière pour réprimer toute dissidence. Selon Antti, « Poutine n’est pas le gendarme de l’Europe, mais le gendarme du monde entier » – de la Syrie au Myanmar, chaque fois qu’un dictateur torture et tue des milliers de ses concitoyen⋅nes, Poutine est là pour le soutenir. 

Antti soutient, contrairement à l’anarchiste interviewé plus bas, que dans le cas d’une invasion russe, les anarchistes devraient soutenir l’armée ukrainienne, et qu’iels devraient, dans le cas d’une occupation russe, se préparer à coopérer directement avec une organisation de résistance étatiste, s’il en existe une qui soit puissante. 

Cela soulève une multitude de questionnements difficiles. Est-ce que les anarchistes sont en mesure d’offrir une assistance utile à une armée d’État ? S’iels le peuvent, doivent-iels le faire ? Comment pourraient-iels soutenir l’armée ukrainienne sans lui donner la possibilité d’être plus dangereuse pour les mouvements sociaux et les minorités à l’intérieur de l’Ukraine, sans parler de la légitimation du régiment fasciste Azov ? L’un des principes de la guerre à trois est de ne pas renforcer un adversaire pour en battre un autre. Cela s’illustre bien par les malheurs des anarchistes ukrainien⋅nes du siècle dernier, qui ont donné la priorité à la défaite de l’Armée blanche réactionnaire avant d’être trahi⋅es et assassiné⋅es par l’Armée rouge de Trotsky.

De même, si les anarchistes sont amené·es à travailler aux côtés de groupes étatistes – comme cela s’est déjà produit au Rojava et ailleurs – il est d’autant plus important d’articuler une critique du pouvoir étatique et de développer un cadre d’analyse nuancé permettant d’évaluer les résultats de telles expériences.

La meilleure alternative au militarisme serait de construire un mouvement international capable de neutraliser les forces militaires de toutes les nations. Nous avons pu voir des formes de cynisme compréhensibles de la part des radical⋅es ukrainien⋅es concernant la probabilité que les gens en Russie fassent quelque chose pour entraver les efforts de guerre de Poutine. On peut faire le parallèle avec la révolte de 2019 à Hong Kong, que certain⋅es participant⋅es ont également analysée en termes d’appartenance nationale. La seule chose qui pourrait préserver Hong Kong de la domination du gouvernement chinois serait alors l’existence de puissants mouvements révolutionnaires à l’intérieur de la Chine proprement dite.

Si l’on considère que la Russie a pu établir un ancrage pour son projet dans la région du Donbass en Ukraine en partie à cause des tensions entre les identités ukrainienne et russe, le sentiment anti-russe ne fera que jouer en faveur de Poutine. Tout ce qui polarise contre les russes, leur langue ou leur culture facilitera les efforts de l’État russe pour créer une petite république dissidente. De même, si l’on considère l’histoire du nationalisme, on constate que toute résistance à l’agression militaire russe qui renforce le pouvoir du nationalisme ukrainien ne fera qu’ouvrir la voie à de futures effusions de sang.

Une petite manifestation à Kiev en 2018 contre l’invasion turque d’Afrin. Comme nous l’avons soutenu, les anarchistes peuvent s’opposer à des invasions militaires sans approuver d’autres programmes étatiques.

En ce qui concerne la perspective de la guerre, les anarchistes de Biélorussie ont décrit certains de ses nombreux inconvénients :

“Les anarchistes n’ont jamais accueilli favorablement les guerres car elles détournent la population des vrais problèmes qui nous entourent en permanence. Au lieu de lutter pour la liberté, la population commence à discuter des succès de l’avancement sur les lignes de front. La place de la solidarité internationale est occupée par le nationalisme, qui transforme des frères, des sœurs et des camarades en ennemi⋅es mortel⋅les. La guerre n’a rien de progressiste. Elle est le triomphe d’une idéologie misanthrope du pouvoir. Aujourd’hui, comme depuis toujours, la guerre est l’affaire des dirigeant·es, mais ce sont les gens ordinaires qui y meurent. Dans une transe patriotique, ou simplement pour de l’argent.”

-“ Si seulement il n’y avait pas de guerre

Pourtant, le mouvement anarchiste mondial n’est pas en mesure d’offrir à la population ukrainienne une alternative infaillible à la guerre. Tout comme celui du Kazakhstan a finalement été écrasé par la force brute, presque tous les soulèvements dans le monde depuis 2019 ont échoué à renverser les gouvernements qu’ils contestaient. Nous vivons une époque de répression mondiale interconnectée et nous n’avons pas encore résolu les problèmes fondamentaux qu’elle pose. La guerre civile sanglante qui s’est dessinée en Syrie – en partie à cause du soutien de Poutine à Assad – offre un exemple de ce à quoi pourraient ressembler de nombreuses régions du monde si les révolutions continuent d’échouer et que des guerres civiles émergent à leur place. Nous ne sommes peut-être pas en mesure de prévenir les guerres à venir, mais il nous appartient de trouver comment continuer à poursuivre le changement révolutionnaire au sein de celles-ci.

Il convient de noter, au passage, qu’au moins un anarchiste ukrainien, rédacteur en chef du magazine Assembly à Kharkov, ne semble pas particulièrement préoccupé par une invasion russe de l’Ukraine, et considère qu’il s’agit d’une grossière exagération des médias occidentaux. Nous espérons que cette personne a raison – bien que nous remarquions que des médias russes et biélorusses ont également publié des histoires dramatiques sur un conflit imminent en Ukraine.

Enfin, nous aimerions attirer l’attention sur ce communiqué revendiquant une action de solidarité, en Suède, avec les rebelles du Kazakhstan, ayant ciblé une remorque appartenant à Shell, afin d’attirer l’attention sur la complicité des sociétés pétrolières occidentales dans le bain de sang au Kazakhstan et dans d’autres endroits menacés par la Russie. Bien que les actions clandestines ne peuvent pas se substituer aux mouvements puissants, cette action réussit admirablement à montrer la façon dont l’autocratie russe est liée aux capitalistes occidentaux :

Les baïonnettes russes ont défendu le trône du vassal de Poutine, Tokayev. Mais pas seulement lui. Il suffit de regarder la production pétrolière, l’une des principales branches de l’économie du Kazakhstan. Les sociétés occidentales ont d’énormes intérêts dans le secteur pétrolier du pays. En cas de victoire des rebelles, les biens de ces sociétés pourraient être expropriés par le peuple. L’intervention russe et la répression du soulèvement ont apporté une “stabilité” sanglante non seulement au régime oligarchique, mais aussi aux capitalistes occidentaux qui exploitent les ressources naturelles du Kazakhstan.

L’une des sociétés occidentales présente au Kazakhstan est la British-Dutch Shell. Ainsi, sur le champ pétrolifère de Karachaganak, l’un des trois plus importants du pays, elle détient environ 30% des parts. Et ce ne sont pas les seuls actifs de la société au Kazakhstan. Il n’est pas du tout surprenant que le régime russe ait envoyé des troupes pour protéger la richesse des propriétaires de Shell. Shell a investi dans la construction du gazoduc Nord Stream 2 et a constamment fait pression pour les intérêts du régime russe dans la politique européenne. (…)

La théorie et la pratique qui réunissent la résistance aux dictatures, au capitalisme, aux guerres impérialistes et à la destruction de la nature en une seule grande lutte est l’anarchisme. La réalisation de la vraie libération de toutes les formes d’oppression aura lieu sous la bannière noire de l’anarchie.

Maintenant, l’État russe pourrait déclencher une autre guerre impérialiste. Nous voulons lancer un appel aux soldats russes : vous êtes envoyés pour tuer et mourir pour les intérêts de dirigeants avides et cruels et des riches. Si une guerre éclate, désertez avec vos armes, désarmez les officiers, rejoignez le mouvement révolutionnaire.


Lire l’entretien sur le site de CrimethInc.

APPEL à un 1er mai anticapitaliste : colonial et écocidaire, le capitalisme c’est la guerre !

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Fév 212022
 

De la Convergence des luttes anticapitalistes

Le 1er mai 2022, la Convergence des luttes anticapitalistes (CLAC) appelle à une 15e manifestation anticapitaliste pour la journée des travailleuses et des travailleurs. L’État colonial a démontré cette année encore qu’il priorise la croissance du capital aux détriment de nos vies. Faisant preuve d’hyprocrisie totale, nos gouvernements prononcent les mots réconcilliation et environnement tout en ignorant les droits souverains des peuples autochtones et en détruisant la terre avec des politiques extractivistes et discriminatoires. Il est temps de se révolter.

Plus le temps avance, plus notre système capitaliste dopé aux stéroïdes contribue à la dégradation des conditions climatiques et écologiques qui assurent notre survie. On fonce tout droit vers le mur alors que nos gouvernements se liguent avec des pétrolières, l’industrie forestière et les minières pour continuer de faire passer des projets écocidaires, comme le gazoduc de Coastal GasLink en terre Wet’suwet’en, les coupes à Fairy Creek et les dernières annonces permettant aux minières d’émettre encore plus de particules de zinc et de nickel au soi-disant Québec. Pour défendre leur droit de nous amener à la fin du monde, ils achètent des guns, des flics et des prisons, parce qu’ils savent que les gens résistent, ont toujours résisté et continueront de le faire. L’extractivisme va main dans la main avec le colonialisme et l’oppression des peuples autochtones et ces logiques font tourner le système capitaliste qui nous maintient dans une misère qui va de mal en pis.

On a arrêté de compter sur les hypocrites qui nous gouvernent depuis un bon moment, mais Trudeau et Legault s’efforcent à battre des osties de records. Nos gouvernements continuent de s’acharner sur les personnes non-vaccinées pour ne pas adresser la faute de tous les gouvernements paternalistes des dernières décennies qui sont responsables des conditions de travail insupportables en enseignement et en santé, des milieux majoritairement féminins. Comme d’habitude, l’argent, il y en manque toujours pour les écoles et les hôpitaux, mais jamais pour les flics et pour les prisons pour migrant-e-s. En plus, nos gouvernements se lavent les mains des violences qu’ils font subir en s’attaquant aux “wokes”, en disant que “les Québécois, on n’est pas si pire.” En autres, Legault met de l’avant des projets de loi transphobes et interphobes (PL-2) et xénophobes (PL-21) en plus de refuser d’appliquer le principe de Joyce et de considérer la crise du logement comme telle. Alors que la catastrophe écologique continue de sévir sur le globe, nos gouvernements nous vendent un monde de chars électriques de marde insoutenable qui garde la population dans l’asservissement et contribue à l’étalement urbain. Ils envoient une escouade militaire de la GRC détruire un camp autochtone afin de pouvoir construire un autre ostie de pipeline financé par l’État et les banques, et ce, au moment même où la province est aux prises avec des inondations majeures.

Il faut se rendre à l’évidence que la situation est accablante, mais que le monde commence à se réveiller et, de plus en plus, on se serre les coudes, on se tient en solidarité avec d’autres communautés et on crée des ponts qui n’existaient pas auparavant. On parle de plus en plus de racisme environnemental, par exemple du dépotoir illégal à Kanesatake qui met en danger la santé du peuple et des terres. On voit apparaître des bannières en Palestine occupée en solidarité avec les défenseurs du territoire Wet’suwet’en. Nos mouvements visant l’abolition du capitalisme et de tous les systèmes d’oppression ne cessent de multiplier leurs éclats. On est sur la bonne voie. Nous n’avons plus d’autres choix que de refuser ce système de mort basé sur un travail dont l’intérêt premier est l’enrichissement des bourgeois au coût de la destruction de notre santé physique, mentale et des écosystèmes millénaires infiniment complexes desquels nous sommes dépendants.

Le 1er mai, exprimons notre rage contre le capitalisme. Levons-nous contre ces oppressions, levons-nous contre la destruction et construisons un futur radicalement différent. Prenons la rue, ensemble.

Heure et lieu de rassemblement à venir.

Les vents mauvais d’Ottawa

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Fév 212022
 

De CrimethInc.

Réfléchir aux menaces et aux perspectives face à une initiative d’extrême droite qui prend de l’ampleur

Les opposants à l’obligation vaccinale ont établi des campements de protestation à Ottawa et ailleurs au Canada, bloquant plusieurs routes qui traversent la frontière américaine. Des organisateurs d’extrême droite et d’anciens agents de police occupent des positions importantes dans ce mouvement, et la police a adopté une approche relativement passive jusqu’à présent ; il semble probable que le format actuellement testé au Canada apparaîtra bientôt ailleurs dans le monde. Dans le reportage détaillé qui suit, notre correspondant à Montréal explore la séquence des événements qui ont conduit à ces développements, examine les programmes des différentes forces qui se disputent le contrôle et réfléchit à ce que nous pouvons faire dans une situation où l’extrême droite a pris l’initiative.


En guise de préambule à ce reportage, il est nécessaire d’aborder brièvement la question de savoir si les manifestations contre l’obligation vaccinale à Ottawa représentent un mouvement pour la “liberté”, comme le soulignent les participants.

Le 25 octobre 2021, des agents du service de police de la ville de New York ont participé à la fermeture du pont de Brooklyn – où ils ont notoirement mis au pied du mur et arrêté les manifestants d’Occupy presque exactement dix ans plus tôt – pour protester contre l’obligation vaccinale des employés municipaux. Alors que nous croyons passionnément que les gens doivent être libres de prendre leurs propres décisions médicales et de déterminer leur propre tolérance face au risque, la police a en réalité revendiqué le droit d’exposer les personnes qu’elle arrête à un risque médical encore plus grand. Il s’agit d’un cas particulièrement clair qui montre que le mouvement contre l’obligation vaccinale n’est pas nécessairement un mouvement contre le contrôle de l’État ou en faveur de l’autonomie médicale.

Un authentique mouvement pour la liberté et l’autonomie médicale s’opposerait à toutes les forces qui contraignent les travailleurs à s’exposer au COVID-19 contre leur gré – en d’autres termes, il serait explicitement anticapitaliste. De même, un tel mouvement soutiendrait les étudiant·es en grève désireu·ses de déterminer elleux-mêmes les risques qu’iels souhaitent prendre.

Lorsque les manifestant·es anti-obligation vaccinale soutiennent que les frontières devraient être étroitement surveillées par des contrôles de passeport, mais décrient les passes vaccinaux comme étant du “fascisme” – lorsqu’iels se plaignent que la police vérifie les cartes de vaccination, mais soutiennent la police qui arrête et emprisonne des gens par millions – lorsqu’iels s’opposent à ce que le gouvernement impose des limites à l’activité économique, mais pas aux vastes disparités économiques qui obligent les travailleurs et travailleuses à faire face à des risques potentiellement mortels simplement pour payer leur loyer – iels ne prennent pas position en faveur de la liberté, mais changent délibérément de sujet, délaissant la critique des incursions du pouvoir de l’État dans son ensemble au profit de quelques détails de sa politique. Cela fait partie du processus par lequel une fausse opposition de droite contribue à rediriger les impulsions rebelles vers des ersatz de mouvements qui renforcent finalement les institutions étatiques.

Il est possible qu’un mouvement consistant, s’opposant au contrôle de l’État et prônant l’autonomie en matière de santé puisse servir d’espace dans lequel ceux qui s’opposent aux passes vaccinaux pourraient traverser un processus de politisation. Mais pour que cela soit possible, ces mouvements devraient favoriser une analyse systémique du pouvoir, alors qu’ils sont ici de fait dominés par des éléments de droite qui veulent limiter les horizons politiques. Il faut donc, au minimum, s’opposer et déborder les éléments de droite de ces mouvements – ce qui fait l’objet du texte suivant.

Les peurs paranoïaques concernant la vaccination et les théories du complot relatives au COVID-19 se rapportent entièrement à la question de la perte d’autonomie. Elles projettent de manière allégorique (et déformée) l’expérience économique et sociale réelle sur les corps. De cette manière, elles expriment et refoulent l’expérience, tout comme le font les rêves et, plus généralement, le langage de l’inconscient : ce n’est pas, paraît-il, que le petit commerçant ou le petit homme d’affaires a été écrasé par les économies d’échelle des grands États, mais plutôt qu’il existe un plan pour contrôler son cerveau, ou son corps, ou ses capacités de reproduction.

Parce que l’inconscient anti-vaccin est, comme toute forme d’irrationalisme de masse, l’exact opposé de ce qu’il croit être – parce que, en d’autres termes, c’est un mode de pensée profondément conformiste -, il est aussi un terrain particulièrement fertile pour le développement de formes de racisme, parmi lesquelles les éléments antisémites et sinophobes sont prédominants.

-“The Anti-Vaccine Unconscious

Sans plus attendre, le reportage.

Lire l’article au complet sur le site de Crimethinc.

Journal du 15 mars 2022 – “État policier”

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Fév 202022
 

Du Collectif opposé à la brutalité policière

Voici le journal “ÉTAT POLICIER” avec 2 types de fichiers PDF.

Vous pouvez l’imprimer et diffuser largement.

Les journaux version papier sont disponibles entre autres dans plusieurs assos étudiantes et la table d’information de l’AFESH à l’UQAM.

Aussi à la Bibliothèque DIRA et

La Librairie L’Insoumise

Bonne lecture!

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Sur l’attaque du chantier de Coastal GasLink sur le chemin forestier Marten

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Fév 192022
 

De Gord Hill

Ce qui semble être un acte de sabotage très efficace de la part des défenseur.e.s des terres autochtones, et les complotistes se déchaînent…

Et certains ne font même pas des théories, ils l’affirment comme un fait : c’était les flics, c’était CGL… Voici une théorie : l’attaque a été perpétrée par des autochtones qui, dans le froid de la nuit, se sont donnés pour mission de saboter le pipeline de CGL.

Ils ont mené une attaque audacieuse et complexe qui, j’imagine, a commencé par éloigner les agents de sécurité des véhicules et des bâtiments. À un moment donné, après la fuite des agents de sécurité, des barrages et des dispositifs anti-véhicules ont été mis en place sur la seule route menant au site, retardant probablement de plusieurs heures l’intervention de la police. Pendant ce temps, les warriors ont réalisé des millions de dollars de sabotage.

Compte tenu de tout cela, je pense qu’il est important de reconnaître que ce n’est peut-être que ce qu’il semble être : une attaque menée par des warriors autochtones.

J’ai vu des gens parler d’un attentat à la bombe perpétré par la GRC en Alberta dans les années 1990 comme preuve que les policiers commettent de faux attentats. Cet attentat à la bombe faisait partie de l’enquête policière sur Wiebo Ludwig et sa campagne contre l’industrie pétrolière et gazière. L’action était destinée à piéger Ludwig. Avec la coopération de l’entreprise pétrolière, la police a fait exploser un hangar abandonné et inutilisé. Il ne s’agissait en aucun cas d’un acte de sabotage majeur, contrairement à ce que l’on rapporte aujourd’hui sur le territoire Wet’suwet’en. C’était insignifiant comparé au sabotage réel qui se produisait et pour lequel Ludwig était largement soupçonné… et pour lequel il y avait quasiment un black-out médiatique de la part des pétrolières et de la GRC qui ne voulaient pas que la pratique du sabotage se répande.

L’un des problèmes de ce type de complotisme est qu’il sape l’efficacité de cette action. Plus il se répand et s’envenime, plus les gens se demandent s’il s’agissait d’un véritable acte de résistance ou non. Qui cela inspire-t-il ? Dans l’intérêt de qui les actes de résistance autochtone sont-ils diminués plutôt que promus ? Je pense également que ce complotisme démoralise celleux qui ont mené l’action (et qui sont maintenant poursuivi.e.s par la police).

Les affirmations extraordinaires exigent des preuves extraordinaires…

Bref, c’est ma théorie…

Nous vivons sous la Loi sur les mesures d’urgence

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Fév 172022
 

Soumission anonyme à MTL Contre-info

Le 15 février 2022, le gouvernement de Trudeau annonce la mise en vigueur de la Loi sur les mesures d’urgence (ancienne loi sur les mesures de guerre dont le nom a changé en 1988). Pendant 30 jours, de nombreux privilèges seront accordés aux corps policiers et de nombreuses restrictions sur notre liberté sont désormais applicables. Que nous soyons d’accord ou non avec les mesures sanitaires, les convois de la liberté ou l’occupation à Ottawa, l’usage de cette loi est inacceptable et extrêmement dangereux.

Bien que son application vise, selon le gouvernement, à accorder de nouveaux privilèges à la GRC afin de contrecarrer le mouvement des camionneurs, la loi sur les mesures d’urgence accorde des privilèges partout au pays et n’empêche aucunement les corps policiers d’utiliser leurs nouveaux privilèges dans d’autres dossiers que ceux liés aux « convois de la liberté ». L’histoire démontre bien qu’accorder de nouveaux privilèges à la police mène nécessairement à des dérives aux conséquences catastrophiques.

Désormais, et pour un minimum de trente jours, « il est spécifiquement interdit d’organiser des rassemblements publics, qui prévoient nuire à la circulation des personnes et des biens, de perturber le commerce ou d’entraver les infrastructures essentielles ». Participer à de tels rassemblements peut se valoir une amende de 5000$ et une peine allant jusqu’à 5 ans de prison. Les personnes avec des statuts permanents pourraient aussi voir leur statut révoqué.

Il est nécessaire de réfléchir sur les motifs ayant mené à cet exercice de force. La police n’a pas eu besoin de l’usage de cette loi pour réprimer violemment toute mobilisation sociale de gauche depuis sa création, en 1988. La police n’a pas eu besoin d’une telle loi pour intervenir en escouades militaires dans les communautés autochtones résistant contre le colonialisme. Pourquoi maintenant? D’autant plus que les occupations à Ottawa ne semblent pas favoriser des tactiques de destruction de bien privés.

Il semble capital ici de souligner que le Canada est actuellement aux prises avec de nombreuses résistances face à son colonialisme, et que cette loi pourrait permettre une répression supplémentaire.

L’usage de cette loi crée un précédent que nous ne pouvons pas nous permettre de sous-estimer. L’occupation à Ottawa pourrait être faite par des écolos. Énormément de raisons nous permettent d’espérer un jour voir Ottawa et le parlement ravagés par les flammes. Nous ne pouvons ni accepter ni nous permettre que cette loi soit appliquée sans conséquence. Organisons-nous.

2012. La plus grande grève de l’histoire du Québec

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Fév 142022
 

De Archives révolutionnaires

Le 13 février 2012 marque le début de la plus grande grève de l’histoire du Québec, une grève étudiante qui a vu débrayer jusqu’à 310 000 personnes et donné lieu à certaines des plus importantes manifestations de la province. Ce conflit entre étudiant.es et gouvernement libéral, étalé sur plus de six mois, a fait une quarantaine de blessé.es et a provoqué l’arrestation de plus de 3 500 personnes. Il s’est par ailleurs transformé en conflit social, voyant s’opposer un mouvement populaire portant des valeurs sociales-démocrates et l’intransigeant gouvernement de Jean Charest, défenseur du néolibéralisme. Cet évènement, devenu l’un des plus importants de la mémoire collective du XXIe siècle au Québec, a soulevé de nombreux autres enjeux que ceux liés à la condition étudiante. Le mouvement a remis en cause le libéralisme, et pour certain.es le capitalisme, et a donné lieu à une guerre de communication et d’images, à l’invention de pratiques offensives novatrices, à des alliances inusitées et surtout à une expérience inédite d’occupation de l’espace urbain. Afin d’explorer différents aspects marginalisés dans l’historiographie de la grève de 2012, notre collectif se propose d’offrir, dans les prochains mois, une série d’articles partisans ayant pour objectif de complexifier les récits communs et d’offrir des réflexions révolutionnaires sur le mouvement et sa postérité.

Ce premier texte présente le contexte mondial de révoltes dans lequel s’est inscrite la grève étudiante québécoise. Il sera suivi de différents textes abordant la grève dans les cégeps en région, la violence et les rapports de force, les enjeux de genre, la question des images, des représentations et des médias sociaux comme champs de bataille idéologique, et enfin les faiblesses internes du mouvement. Ces textes se focaliseront sur les tendances plus radicales du mouvement, afin de réfléchir ensemble aux forces et aux faiblesses de nos pratiques durant la grève de 2012 et de chercher des manières d’être plus efficaces dans nos actions à venir. Cette série d’articles s’accompagnera aussi au printemps d’une exposition d’archives de la grève.

Deux décennies de luttes : contexte mondial d’émergence de la grève de 2012

Depuis la chute de l’Union soviétique (1991) et le triomphe autoproclamé du capitalisme libéral, le monde occidental a connu deux séquences de révoltes, en écho à divers mouvements internationaux. Dans les années 1990, une première série d’actions conteste l’ordre hégémonique, en s’opposant notamment au nouvel impérialisme cristallisé dans les traités de libre-échange et dans diverses politiques austéritaires. Afin de s’opposer à l’Accord de libre-échange Nord-américain (ALENA), l’armée insurrectionnelle zapatiste (EZLN) se soulève le 1er janvier 1994 dans le sud du Mexique, avec des conséquences pour le monde entier. Cette remise en cause directe de l’impérialisme libre-échangiste inspire rapidement les mouvements de gauche occidentaux et du Sud global. Dans un même mouvement de défiance envers l’impérialisme, principalement américain, on retiendra notamment l’élection d’un gouvernement socialiste au Venezuela (1998) et le renversement de la dictature de Soeharto aux Philippines (appuyée par les États-Unis). Pour la gauche occidentale, ces actions de révolte sont une source d’inspiration majeure pour les luttes d’émancipation à cette époque.

L’idée d’un plan d’action collectif prend forme dans l’Action mondiale des peuples (AMP) créée en 1998, qui conteste l’ordre capitaliste et promeut l’action directe afin de redonner leur souveraineté aux peuples et groupes opprimés. Cette séquence d’opposition au néolibéralisme, associée à l’altermondialisme, aboutit aux spectaculaires contre-sommets du tournant de l’an 2000 : Seattle (1999), Québec (2001) ou Gênes (2001). L’altermondialisme, surtout dans sa forme radicale, marque trois avancées importantes pour la gauche : le développement d’un discours cohérent d’opposition au néolibéralisme, la capacité de mobiliser très largement contre la gouvernance capitaliste et l’arrimage d’un mouvement large à des pratiques radicales, acceptées sous le principe de la « diversité des tactiques ». Par contre, au courant des années 2000, l’aporie de la réactivité comme stratégie mène l’altermondialisme à s’essouffler, sans pour autant que ses acquis ne disparaissent.

À la suite de la crise économique de 2008, qui mène plusieurs banques et États au bord de la faillite, les grandes institutions capitalistes réagissent en déportant le coût de la crise sur les populations, par des mesures austéritaires brutales imposées à des nations déjà fragilisées par le système économique mondial et l’impérialisme. Des pays comme l’Espagne et la Grèce sont durement touchés et leurs populations écrasées par les privatisations imposées de l’extérieur. C’est aussi le cas de nombreux pays d’Amérique latine ou d’Afrique du Nord. Ce contexte, souvent associé à des régimes autoritaires et cleptocrates incapables d’offrir une existence digne pour le peuple, mène bientôt à des ruptures de ban. Déjà en Grèce, en décembre 2008, les émeutes mettent à mal le gouvernement de Kóstas Karamanlís. À partir de décembre 2010, le « printemps arabe » remet profondément en cause le système économique mondial et les régimes politiques autoritaires qu’il protège dans une majorité de pays du Sud global. À terme, les régimes tunisien, libyen (par une intervention impérialiste d’un opportunisme criminel) et égyptien (avant le retour de la dictature en 2013) sont renversés, et des manifestations de très longue haleine remettent en cause plusieurs gouvernements, de l’Algérie au Liban.

Dans ce même contexte de contestation de l’ordre capitaliste et de remise en cause des régimes autoritaires, les étudiant.es du Chili manifestent durant pratiquement toute l’année 2011 pour dénoncer l’augmentation des coûts du transport public et la gestion néolibérale de leur pays, héritière du pinochisme. À compter de mai 2011, le Mouvement des indigné.es remet en cause l’économie de marché en Espagne, avant d’être récupéré dans les urnes par le parti Podemos. De plus, les occupations dénonçant la finance mondiale se multiplient dans le monde en 2011 et 2012, au sein du mouvement décentralisé « Occupy », né à New York. À la jonction de l’altermondialisme et de la séquence de luttes post-2008, le contre-sommet de Toronto (2010) sera aussi marquant pour bien des militant.es québécois.es, qui affrontent alors la violence de l’État (financée au coût de près d’un milliard de dollars), qui se traduit par plus d’un millier d’arrestations et de nombreux emprisonnements dans des conditions arbitraires. Ce contre-sommet est aussi l’occasion de préparer un discours radical qui sera repris en 2012. La grève étudiante québécoise s’inscrit très clairement dans cette seconde séquence de luttes, alors que le mouvement dénonce d’abord l’augmentation des frais de scolarité et la « marchandisation de l’enseignement », deux mesures néolibérales, avant d’élargir son horizon à une contestation du gouvernement, des politiques d’austérité et même du régime capitaliste. Ce récapitulatif en deux temps des mouvements de révolte mondiaux et occidentaux est important afin de comprendre tant les racines idéologiques de la grève étudiante de 2012 que son inscription dans un mouvement mondial d’opposition à l’ordre néolibéral. Il sera aussi intéressant de noter la convergence entre différentes pratiques internationales et québécoises, telle la pratique de la mobilisation horizontale arrimée aux réseaux sociaux, permettant une action rapide et étendue, mais qui implique souvent un mouvement plus décousu, poreux à la division ou incapable de proposer des projets clairs.

Le mouvement étudiant québécois : vers la grève générale

Au Québec, les années 1990 donnent lieu à une reconfiguration du mouvement syndical étudiant. La disparition en 1994 de l’Association des étudiants et étudiantes du Québec (ANEEQ), un syndicat revendicatif aux horizons politiques de gauche, laisse le champ libre à des organisations nettement plus corporatistes. Ainsi, la Fédération étudiante universitaire du Québec (FEUQ, 1989-2015) et la Fédération étudiante collégiale du Québec (FECQ, créée en 1990) deviennent les principaux acteurs du mouvement étudiant. La FEUQ obtient par exemple la reconnaissance officielle du gouvernement en 1993, alors que l’organisation rassemble 125 000 membres dès l’année scolaire 1994-1995. Les éléments combatifs du mouvement ne sont pourtant pas disparus ; dans le contexte de remise en cause du néolibéralisme naît une nouvelle organisation radicale, le Mouvement pour le droit à l’éducation (MDE, 1995-2000). Se réclamant directement de l’influence zapatiste, cette organisation compte animer un mouvement d’opposition au néolibéralisme et au capitalisme. Déchirée entre ses obligations syndicales et sa volonté de mener une lutte politique, l’organisation se dissout à l’automne 2000, tout en ayant mis la table pour la création d’une organisation étudiante large et radicale, que sera l’Association pour une solidarité syndicale étudiante (ASSÉ, 2001-2019).

Cette nouvelle association désire poursuivre les objectifs du MDE, mais cherche d’abord à se concentrer sur le milieu étudiant. On veut ainsi former une organisation étudiante large, capable de mobiliser et de lutter dans les cégeps et les universités, mais aussi porteuse d’un discours s’opposant au libéralisme et au capitalisme. En somme, l’ASSÉ assume son assise étudiante tout en gardant la porte ouverte à une lutte élargie, consciente que les problèmes en éducation découlent des problèmes sociaux. Par contre, l’ASSÉ n’est pas aux prises, comme l’a été le MDE, avec la tentation de se substituer aux organisations politiques. Dans la mouvance de l’altermondialisme qui se poursuit et des luttes post-2008, se distinguant des deux fédérations corporatives, l’ASSÉ se fortifie tout au long des années 2000. Seule à occuper une position nettement à gauche dans le mouvement étudiant, elle joue un rôle important durant les grèves de 2005 et 2007-2008. Durant la grève de 2005, c’est d’ailleurs elle qui met le plus clairement la pression sur le gouvernement, avant d’être exclue des négociations (sous prétexte de son radicalisme), ce qui mène à une entente au rabais entre les libéraux de Jean Charest et les deux fédérations étudiantes. À partir de 2010, l’ASSÉ est aussi l’organisation qui menace le plus directement le gouvernement libéral d’une grève générale et d’autres actions si celui-ci s’entête à vouloir augmenter les frais de scolarité de 1625 $ sur 5 ans. En 2011 est créée une Coalition large de l’ASSÉ (CLASSE) qui rallie de nombreuses associations étudiantes désireuses de lutter plus ardemment contre la hausse annoncée et qui se joignent momentanément à l’ASSÉ en vue du conflit.

L’ASSÉ, inspirée par le « syndicalisme de combat » ainsi que par les idées anticapitalistes du MDE, se montre à la fois combative et très démocratique, ce qui séduit un grand nombre d’étudiant.es de gauche. Après son exclusion des négociations en 2005, l’ASSÉ réussit le tour de force de devenir l’élément moteur de la grève de 2012 et ce sont ses membres qui instaurent un réel rapport de force avec le gouvernement, menant celui-ci à plier à divers moments. La FEUQ et la FECQ, bien qu’actives en 2012, ne sont plus capables de jouer le rôle de leadership qu’elles voudraient s’attribuer. L’ASSÉ mène le bal, quoiqu’elle soit elle-même souvent dépassée par des éléments d’extrême gauche (notamment anarchistes) qui, par des actions nombreuses et variées, maintiennent la pression sur le gouvernement durant toutes les négociations en vue de l’annulation de la hausse des frais de scolarité et d’une réforme du système d’éducation. L’ASSÉ sera le théâtre de tensions quant aux actions « acceptables » ou non et quant à l’élargissement de la grève à la société. Au final, l’ASSÉ, assumant son ancrage étudiant, s’en tiendra surtout à négocier de meilleures conditions d’études supérieures, sans pourtant dénoncer les différentes tactiques offensives employées par certains groupes, tout en arrimant ses demandes réformistes à un horizon post-capitaliste.

2012 : une lutte étudiante pour changer la société

En février 2010, le gouvernement libéral de Jean Charest, qui dirige le Québec depuis 2003, décide d’imposer une augmentation des frais de scolarité, qu’il chiffre subséquemment à 1625 $ sur cinq ans pour l’université, afin de porter ces frais à 3 793 $ par année en 2017. Cette annonce mobilise rapidement les milieux post-secondaires puisqu’elle attaque directement les étudiant.es, et vise à ancrer l’éducation supérieure dans un modèle néolibéral où les étudiant.es paient pour obtenir un diplôme, selon un modèle de la dette et de la rentabilité en contradiction avec un modèle d’éducation « universel et désintéressé ». En réponse, des actions ont lieu dès le mois de mars 2011 afin de contester la hausse annoncée et une manifestation rassemblant environ 30 000 personnes a lieu le 10 novembre suivant à Montréal. Afin d’organiser la riposte, la CLASSE est créée en décembre et rassemblera plus de 100 000 étudiant.es le temps de la grève. En janvier, c’est justement un débrayage illimité qui est proposé par la CLASSE et considéré par la FEUQ et la FECQ. Au début de février 2012, les votes de grève dans les cégeps et les universités se multiplient et le conflit commence officiellement[1]. Intransigeant, le gouvernement demande dès le 17 février aux administrations de ne pas respecter les votes de grève. Afin de nier le droit de grève acquis des étudiant.es au Québec depuis les années 1960, le gouvernement troque le terme de « grève » pour celui de « boycottage » afin de décrédibiliser le mouvement : une véritable guerre sémantique se met en marche entre le gouvernement et les grévistes, qui continuera tout au long du conflit. Les votes et les débrayages se poursuivent malgré tout, portant le nombre de grévistes à plus de 310 000 le 22 mars 2012, sur un total d’environ 450 000 personnes inscrites aux études supérieures.

À cette même date, une première manifestation d’envergure – qui doit être le point d’orgue du mouvement pour l’ASSÉ, subséquemment dépassée par sa propre base – rassemble plus de 150 000 personnes à Montréal. Cet élan est souligné dans les médias internationaux, créant le sentiment chez les étudiant.es québécois.es de participer à un mouvement mondial de dénonciation de l’idéologie et des pratiques néolibérales. De très nombreuses associations étudiantes, en grève limitée, tombent alors en grève générale illimitée. Le gouvernement cherche encore à nier l’ampleur du mouvement et privilégie la répression au dialogue alors que la contestation s’élargit, notamment grâce à un mouvement d’enseignant.es appuyant les étudiant.es dès la fin du mois de mars. Les actions directes commencent aussi à se multiplier, organisées par la CLASSE ou par des groupes autonomes, dont des blocages de routes, de ponts, du métro et d’immeubles gouvernementaux – Loto-Québec[2], la SAQ, des bureaux de ministres, etc. – ainsi que des manifestations parfois violentes, comme celle du 15 mars (jour de la manifestation annuelle contre la brutalité policière)[3]. C’est aussi une période marquée par la répression juridique, notamment en raison de l’octroi par les tribunaux d’injonctions forçant le maintien des cours, ce qui entraîne des affrontements entre grévistes et policiers tentant de faire respecter « la loi »[4].

Le 20 avril, au Palais des congrès de Montréal, a lieu une rencontre entre businessmans visant à amplifier l’exploitation du territoire, dans le cadre du projet de Plan Nord du gouvernement Charest. Face à cette rencontre du gouvernement avec les capitalistes de toute la province, une grande manifestation est appelée. Le matin même, le Palais des congrès est entouré par des milliers de militant.es, dont une partie pénètre dans le lieu et perturbe l’évènement. Repoussé.es par la police anti-émeute, les contestataires assiègent l’endroit de l’extérieur durant toute la journée, donnant lieu à des affrontements avec la police. Rebelote le lendemain alors que l’évènement se poursuit : nouveaux affrontements et nouvelles perturbations, nouvelles violences policières et arrestations. Suivant les votes de grève massifs et le mépris du gouvernement, la tension commence à monter sérieusement en avril 2012. À ce moment, le gouvernement décide d’entamer des négociations avec les associations étudiantes, tout en voulant exclure la CLASSE sous prétexte qu’elle n’a pas suffisamment condamné les violences des 20 et 21 avril. Cette décision vise clairement à diviser le mouvement étudiant : heureusement, les deux associations corporatives (FEUQ et FECQ), poussées par leur base, comprennent la manœuvre et refusent de s’asseoir à la table des négociations sans la présence de l’organisation de gauche, comme cela avait été le cas en 2005. L’action du gouvernement n’empêche pas la tenue, le 22 avril, de l’une des plus grandes manifestations de l’histoire du Québec, qui rassemble à Montréal environ 250 000 personnes, ni l’organisation de trois grandes manifestations nocturnes (24, 25 et 26 avril) appelées par des étudiant.es autonomes des grandes associations[5].

Le lendemain, Jean Charest fait une offre aux étudiant.es, soit d’étaler la hausse prévue sur sept ans plutôt que cinq ans. Cette proposition est perçue comme une insulte par le mouvement, qui intensifie dorénavant ses actions directes, ses manifestations de jour organisées par les centrales syndicales étudiantes et ses manifestations nocturnes, qui rassemblent des milliers de personnes chaque soir à Montréal (puis à Québec notamment) et qui sont l’occasion récurrente d’affrontements avec la police. Les étudiant.es plus radicaux répondent aussi au gouvernement par milliers lors du 1er mai anticapitaliste (organisé par la Convergence des luttes anticapitalistes, CLAC) où les échauffourées sont nombreuses. Le gouvernement, après plusieurs mois de conflit, maintient son attitude intransigeante et sa politique de répression. Dans ce contexte, le Parti libéral du Québec décide de tenir son congrès général à Victoriaville, pour s’éviter une rencontre houleuse avec les manifestant.es, comme cela fut le cas au Palais des congrès de Montréal. Les étudiant.es se présentent pourtant nombreuses et nombreux à Victoriaville le 4 mai et affrontent dès le début de la journée les escouades anti-émeutes de la Sûreté du Québec (SQ), qui protègent le rassemblement libéral. Des scènes de confrontation ont lieu toute la journée alors que la violence policière atteint son comble et que plusieurs manifestant.es sont grièvement blessé.es. En parallèle, le gouvernement appelle les représentant.es des organisations syndicales étudiantes à négocier à Québec. Une entente de principe est signée le 5 mai, mais elle sera rejetée par toutes les associations étudiantes en grève, alors même que les directions syndicales reconnaissent plus ou moins s’être fait mener en bateau. Cette entente maintenait en effet la hausse des frais de scolarité. Suite au rejet unanime par la base de cette entente inacceptable, la ministre de l’Éducation, Line Beauchamp, démissionne de la vie politique le 14 mai 2012.

Face à un mouvement étudiant très vigoureux, la ville de Montréal se met aussi à la répression, interdisant le port du masque en manifestation à compter du 18 mai. La même journée, l’inique loi 12 du gouvernement Charest entre en vigueur, visant à forcer la tenue des cours et à interdire les rassemblements publics de plus de 50 personnes sans en avertir la police. En somme, le gouvernement Charest cherche à mettre fin au mouvement par cette loi spéciale, puisqu’elle interdit de facto la grève étudiante et les manifestations impromptues, les deux moyens d’action qui permettent aux étudiant.es d’établir un rapport de force avec le gouvernement. C’est dans ce même contexte que le futur premier ministre François Legault, qui vient de créer la Coalition avenir Québec (CAQ), déclare que « la prochaine étape va être de le faire avec des policiers, d’une façon un peu forcée »[6]. Une grande manifestation de soir a lieu la journée même pour dénoncer le règlement de la ville et la loi provinciale. Le 20 mai, il y aura plus de 300 arrestations lors de la manifestation nocturne, laissant présager un durcissement de la répression et de la judiciarisation du conflit. Le 22 mai 2012, le mouvement réplique en ce 100e jour de grève : des manifestations sont organisées partout au Québec, sans respecter la loi 12, alors que le cortège montréalais rassemble 250 000 personnes. La manifestation de soir est quant à elle violemment réprimée, en guise de punition pour les succès de la journée. La fin du mois de mai voit se multiplier les arrestations de masse[7], souvent de plusieurs centaines de personnes, à Montréal comme à Québec. Ces arrestations aveugles ainsi que la « loi spéciale » sont dénoncées par une partie grandissante de la population, qui commence à faire entendre des bruits de casserole quotidiennement, et seront à terme dénoncées par la Ligue des droits et libertés et par Amnistie Internationale.

En juin et juillet, le mouvement se poursuit, notamment sous la forme des manifestations nocturnes à Montréal, Québec et ailleurs, et dénonce de plus en plus clairement le gouvernement libéral dans son ensemble, les politiques austéritaires et même le capitalisme. Le mouvement étudiant devient peu à peu un mouvement social opposé au gouvernement Charest et à la gestion néolibérale, en écho aux mouvements mondiaux de contestation post-2008. C’est aussi le moment choisi par la CLASSE pour diffuser son message auprès de la population et pour essayer d’élargir la lutte en faveur d’une démocratie directe et d’une société équitable dans le cadre d’une tournée estivale de mobilisation. Une nouvelle grande manifestation a lieu le 22 juillet, rassemblant possiblement 80 000 personnes. Le conflit, toujours bloqué, trouve un nouveau développement le 1er août[8] : le premier ministre annonce la tenue d’élections anticipées pour le 4 septembre 2012. Peu importe les camps et les tendances, tout le monde comprend que le conflit est maintenant pleinement politique. Les fédérations corporatistes ainsi que la CLASSE savent que le conflit est devenu social, qu’elles veuillent le régler dans les urnes ou dans la rue. C’est aussi le cas des factions radicales et anticapitalistes, qui rejettent les élections, mais assument pleinement le caractère politique de la situation. Dans ce contexte électoral, la FECQ, la plus aplaventriste des organisations étudiantes, met fin à sa grève. La CLASSE, quant à elle, poursuit le combat, avec notamment une énième grande manifestation le 22 août. L’été est aussi marqué par un mouvement populaire, avec des organisations de travailleur.euses appuyant les étudiant.es, de l’organisation de quartier et des manifestations locales, ainsi que le fameux mouvement des casseroles[9]. En effet, depuis mai et jusqu’en août, des bruits de casseroles se font entendre tous les soirs dans les quartiers de Montréal et d’ailleurs pour dénoncer la loi 12 et le gouvernement, et en appui aux étudiant.es.

En vue des élections, la FEUQ et la FECQ encouragent les étudiant.es à aller voter pour faire entendre leur voix, appuyant officieusement le Parti québécois (PQ), l’opposition officielle. Ce parti est pourtant celui qui avait le premier remis en cause le gel des frais de scolarité à l’époque du gouvernement de Lucien Bouchard (1996-2001), alors que Pauline Marois, la cheffe du PQ en 2012, était… ministre de l’Éducation (1996-1998). Ne semblant guère se soucier des contradictions, les manigances de la FEUQ et de la FECQ participent à l’élection du PQ à la tête du Québec en 2012[10]. La CLASSE ne se mêle pas de la campagne électorale, attendant de voir quel sera son prochain adversaire. Dès son élection en tant que gouvernement minoritaire, le Parti québécois, en guise de remerciement pour l’appui des fédérations, et pour s’éviter un nouveau conflit social qui vient de coûter le gouvernement au PLQ, annule par décret la hausse des frais de scolarité à l’origine du mouvement de 2012 ainsi que la « loi spéciale » (loi 12). La grève étudiante prend fin de facto, au grand bonheur des deux fédérations et d’une partie de la CLASSE, mais au dam du noyau traditionnel et des radicaux de l’ASSÉ, ainsi que des groupes anticapitalistes qui souhaitaient voir s’approfondir le conflit entre militant.es et néolibéralisme. Ces derniers ont bien raison d’être amers : le gouvernement Marois agit de 2012 à 2014 comme n’importe quel gouvernement néolibéral et impose une hausse des frais de scolarité lors du Sommet sur l’éducation post-secondaire (février 2013), d’ailleurs boycotté par l’ASSÉ pour cette raison.

2012 et après ?

Entre l’épuisement des troupes, l’élection surprise déclenchée par Jean Charest, la servilité de la FEUQ et de la FECQ à l’endroit du PQ et la récupération politique opérée par ce parti, le « printemps érable », nom fameux donné à la grève étudiante de 2012 en référence au « printemps arabe », se termine abruptement. C’est par ailleurs la fin d’un front commun historique entre fédérations étudiantes, syndicat étudiant de gauche (ASSÉ) et différents groupes politiques et sociaux radicaux. Le rêve d’un élargissement du mouvement à l’ensemble de la société, afin de voir émerger une remise en cause globale du système, est aussi enterré. L’ASSÉ sort par contre assez triomphante du printemps 2012 : elle est passée du rôle d’une organisation de taille moyenne, méprisée par les fédérations étudiantes, les grandes centrales syndicales et le gouvernement, à celui de premier acteur du mouvement étudiant. C’est désormais le syndicat le plus connu et le plus populaire dans les milieux post-secondaires. Cette aura perdure dans les années suivantes, jusqu’en 2015 environ. À ce moment, en effet, des militant.es de la gauche radicale se proposent d’organiser un nouveau mouvement de grève, plus ouvertement politique et social. Des comités de grève sont formés dans les milieux étudiants et dans divers milieux de travail, réussissant effectivement à lancer un mouvement de débrayage de mars à mai 2015. L’ASSÉ, supportant mal cette initiative de la base, non centrée sur le mouvement étudiant, tolère pour un temps les votes de ses membres. Mais après six semaines de grève, sans prévenir les militant.es des différents comités, le syndicat étudiant appelle avec succès à mettre fin à la grève. Cette action non coordonnée et en contradiction avec un mouvement de grève étudiant et social dérange grandement les militant.es de gauche et d’extrême gauche qui forment la base traditionnelle de l’ASSÉ. Après cette trahison, la glorieuse organisation périclite jusqu’à sa disparition en 2019.

La grève de 2012 laisse certainement d’autres traces, dont la capacité de mobiliser très largement, la possibilité de créer une jonction entre mouvement étudiant et mouvement social, l’élargissement du discours anti-néolibéral et anticapitaliste (qui peut expliquer en partie la montée continuelle du vote pour le parti de gauche Québec solidaire depuis 2012), le respect chez plus de personnes de la « diversité des tactiques », une suspicion accrue envers les corps policiers et le gouvernement, la diffusion de tactiques diverses de lutte, etc. Une génération a été formée aux idées et pratiques radicales, qui animent encore différents groupes réformistes ou révolutionnaires. Le mouvement présente aussi plusieurs apories. Alors qu’il contestait la gouvernance néolibérale et l’exploitation des ressources naturelles (notamment lors des émeutes contre le Plan Nord), il n’a pas su se lier aux luttes des peuples autochtones contre l’État et l’extractivisme. Le mouvement de 2012 a oscillé entre le dirigisme des fédérations étudiantes, qui nivelaient vers le bas les demandes et pratiques du mouvement, et l’horizontalisme extra-associatif, qui se montrait combatif, mais disparate, n’arrivant pas à offrir un horizon révolutionnaire viable. Entre les deux, l’ASSÉ est finalement restée trop réformiste et trop centrée sur le monde étudiant, deux tares qui ont contribué à l’échec du mouvement de 2015. Le mouvement n’a pas su non plus rendre pérenne l’élargissement du mouvement à la contestation politique ni radicaliser plus largement la population. Enfin, les liens organiques entre une partie du mouvement, surtout les corporatistes, et le mouvement nationaliste québécois, ont entraîné diverses confusions et problématiques, détournant souvent le mouvement des enjeux économiques et de classes sociales[11]. Si nous visons à revisiter plusieurs aspects intéressants de la grève de 2012 dans des articles à venir, dont la grève en région, la présence queer dans le mouvement, la question de la violence ou celle de l’image, nous reviendrons aussi sur les apories de ce conflit étudiant. Non tant pour critiquer, mais bien pour réfléchir à des manières révolutionnaires de composer avec ces contradictions et ces écueils lors de prochaines luttes. En tant que militant.es d’extrême gauche, nous aurons encore à intervenir dans des mouvements sociaux : à nous de réfléchir comment les radicaliser pour les porter plus loin, i.e. vers des fins révolutionnaires.

Pour en connaître plus sur les origines et le déroulement de la grève étudiante de 2012 au Québec, la meilleure référence reste l’ouvrage « engagé » Printemps de force (Arnaud Theurillat-Cloutier, Lux, 2017). Si le livre étudie le mouvement étudiant de 1958 à 2013, il offre une place de choix à la grève de 2012 dans la perspective d’un « asséiste pragmatique ». Pour une lecture de la grève dans une perspective anarchiste, on lira On s’en câlisse (Collectif de Débrayage, Sabotard / Entremonde, 2013). Pour un portrait documentaire de la grève dans son ensemble, favorable aux étudiant.es et à l’ASSÉ, on écoutera Carré rouge sur fond noir (Santiago Bertolino, 2013, 110 minutes). Enfin, pour une expérience immersive au cœur des manifestations et des émeutes, là où le conflit s’est joué, on regardera Insurgence (Collectif Épopée, 2013, 136 minutes).


[1] L’Association étudiante du cégep de Valleyfield (AGÉCoV) est la première à se donner un mandat de grève illimitée le 7 février ; la grève commence officiellement le 13 février.

[2] La tour de Loto-Québec a notamment été bloquée le 7 mars, entraînant une violente répression policière et le premier blessé grave du conflit, un étudiant ayant perdu son œil.

[3] Cette manifestation, à laquelle la CLASSE a appelé ses membres à participer, a rassemblé environ 5000 personnes et s’est soldée par une émeute.

[4] Les affrontements durent du 16 au 19 avril à l’Université du Québec en Outaouais (UQO) et entraînent plus de 330 arrestations… mais les grévistes tiennent bon et les cours restent suspendus.

[5] La manifestation du 25 avril rassemble au moins 10 000 personnes, tourne à l’émeute en soirée et se poursuit durant la nuit.

[6] Cité par Michel David, « Place aux muscles », Le Devoir, 15 mai 2012.

[7] Plus de 270 arrestations le 20 mai, plus d’une centaine le 22 et plus de 500 le 23, seulement à Montréal.

[8] Qui est aussi la date de la 100e manifestation nocturne à Montréal, évènement qui rassemble plusieurs milliers de militant.es.

[9] Le parti progressiste Québec solidaire (QS) participait à l’effort d’élargissement social du mouvement, alors que les grandes centrales syndicales (CSN et FTQ) se sont contentées d’appuyer les étudiant.es en évitant soigneusement d’elles-mêmes se mettre en jeu ou de profiter du contexte pour menacer le gouvernement néolibéral, par essence opposé aux intérêts des travailleuses et des travailleurs.

[10] Les liens organiques entre les centrales corporatistes (FEUQ et FECQ) et le PQ sont patents ; la présidente de la FEUQ de 2011 à 2013, Martine Desjardins, est candidate aux élections de 2014 pour le PQ, alors que le président de la FECQ de 2010 à 2012, Léo Bureau-Blouin, n’attend pas et se présente pour le PQ dès 2012, devenant député pour le parti nationaliste de 2012 à 2014.

[11] Le mouvement de grève de 2012 a aussi été marqué par l’entrée en grève illimitée, pour la première fois, d’associations étudiantes des universités anglophones McGill et Concordia, qui ne vouaient certainement pas leurs actions à servir le mouvement nationaliste québécois.