De Montréal-Antifasciste

Comme nous l’avions déjà rapporté, une partie de l’extrême droite islamophobe du Québec s’est mobilisée à la suite d’un reportage foireux de TVA Nouvelles, diffusé le 12 décembre, concernant des femmes qui auraient été exclues d’un chantier à la demande des directeurs d’une mosquée de Côte-des-Neiges. Au moment où la vague raciste atteignait son apogée, cependant, la nouvelle à l’origine du scandale a implosé : il est vite devenu évident que la journaliste Marie-Pier Cloutier avait, soit fabriqué l’affaire de toutes pièces, soit été bernée par des islamophobes sans prendre le temps de vérifier les faits allégués. Dans un énoncé mièvre et brouillon émis au bulletin de 22 h du 14 décembre, la journaliste de TVA a attribué la confusion à un « imbroglio entre les intervenants », ne s’excusant pas et n’assumant manifestement aucune part de responsabilité dans ce fiasco épique. Ça n’est qu’au bulletin de midi du 15 décembre, soit trois jours après la diffusion du reportage, que TVA s’est finalement rétracté et enfin excusé, sans toutefois reconnaître l’effet extrêmement nocif que cette bourde monumentale a pu entraîner sur le climat social actuel.

Initialement, des femmes des groupes d’extrême droite, avec l’appui de La Meute et de Storm Alliance, avaient lancé un appel à manifester devant la mosquée Ahl-Ill Bait, dans le but avoué de perturber la prière du vendredi, alors que d’autres répandaient sur Facebook des memes invitant à incendier des mosquées ou produisaient des vidéos menaçantes expliquant, par exemple, comment trouver les adresses personnelles des dirigeants de la mosquée. En plus de la droite organisée, le syndicat ASTRQ, lequel représente les travailleuses qui avaient supposément été relocalisées, a niaiseusement lancé un appel à manifester, avant de le retirer moins de 24 heures plus tard lorsqu’il est devenu apparent que TVA avait mal représenté les faits. Prises de court par la vitesse à laquelle les événements ont évolué, ou peut-être en raison de leurs propres préjugés, certains personnages politiques « progressistes » se sont également fait rouler dans la farine blanche. La nouvelle mairesse de Montréal, Valérie Plante, s’est contentée de lancer un frileux « appel au calme », alors que Gabriel Nadeau-Dubois, le poster boy propret de Québec Solidaire, a clairement avalé la couleuvre en ajoutant sa voix au chœur d’extrême droite pour condamner la supposée exclusion des travailleuses (qui n’avait jamais eu lieu) :

Quant  elle, Catherine Fournier, du PQ, a non seulement partagé la fausse nouvelle sur les médias sociaux, mais aussi en entrevue avec  Mario Dumont.

Malgré la rétractation de TVA le matin même, une vingtaine de personnes se sont pointées sur place pour manifester devant la mosquée Ahl-Ill Bait en début d’après-midi vendredi (très loin des centaines de guerriers du clavier qui avaient confirmé leur participation dans les médias sociaux). Cette faible participation n’est pas seulement imputable à l’imprévisibilité des intentions de participation aux événements Facebook, car La Meute avait émis un communiqué la veille pour « suspendre » sa participation à la mobilisation, notant que le reportage de TVA ne semblait plus tenir la route (même si Sylvain Brouillette annonçait au passage avoir « l’intime conviction que c’est vrai »). Finalement, La Meute, souvent désignée comme la plus grande organisation d’extrême droite islamophobe au Québec, a émis un autre communiqué le vendredi pour admettre que, selon sa propre « enquête », la nouvelle de TVA était fausse. (Le racisme latent des gros médias crève les yeux quand même des groupes d’extrême droite qui s’acoquinent sans vergogne avec des néonazis disent que leurs nouvelles antimusulmanes ne sont pas crédibles…)

Le retrait officiel de La Meute n’a pas empêché certains de ses membres de participer au rassemblement, dont un certain Michel Meunier du Klan 06 (aka, Mickey Mike; aussi associé à Storm Alliance, et un bon ami du néonazi René Blaireau, dont on a déjà parlé ici)), qui a publié sur son compte l’un des statuts les plus dégoûtants que nous ayons eu le déplaisir de trouver en 2017. Dans une référence claire au massacre de la mosquée de Sainte-Foy du 29 janvier dernier, Meunier dit espérer « au plus profond de [son] cœur que [les musulman-e-s] commencerez la nouvelle année de la même façon que vous l’avez commencée l’année dernière! ». Ce statut a depuis été supprimé.

Dave Tregget, l’inénarrable porte-parole de Storm Alliance, a quant à lui choisi d’adopter une position plus opportuniste et ambigüe, en annonçant jeudi que même si la nouvelle de TVA était vraie, les « stormers » ne devraient pas porter l’insigne du groupe au rassemblement, parce que la manifestation était un piège qui ferait passer les Québécois-e-s pour des racistes.

Finalement, la seule organisation (si l’on peut vraiment l’appeler comme ça) qui s’est présentée en tant que telle est celle de Georges Hallak, la soi-disant Canadian Coalition of Concerned Citizens, même si des membres d’autres groupes, dont la Northern Guard et les Soldats d’Odin, ont aussi été aperçus portant leurs couleurs.

Comme c’est le cas pour la plupart des choses, ce triste épisode d’islamophobie stridente peut être interprété de manière concrète (il soulève d’intéressantes questions) ou dans un cadre plus large impliquant d’autres forces et facteurs sociaux.

Sur le plan concret, nous voulons bien sûr savoir ce qui se cache derrière cette histoire. Nous nous réjouissons d’apprendre que des procédures judiciaires pourraient être lancées contre TVA, non seulement parce qu’il est grand temps que le conglomérat médiatique Québecor (l’une des principales sources du climat raciste au Canada) soit enfin pris à partie pour son incessante propagande toxique, mais aussi parce qu’une telle poursuite pourrait mettre en lumière l’origine de ce fiasco. Au moment d’écrire ces lignes, tout indique que Mark-Alexandre Perreault, de MAP-Signalisation, l’employeur des femmes concernées, soit la source originale de « l’imbroglio ». En effet, certaines captures d’écran montrent que Perreault n’est pas un simple intervenant désintéressé, mais qu’il n’hésite pas a exprimer publiquement des sentiments racistes à l’égard des musulman-e-s et de les formuler d’une manière qui nous est trop familière :

Même si tout pointe actuellement dans la direction de Perreault, il est peut-être utile de mentionner une affirmation faite par Stéphane Gagné, un suprémaciste blanc et soi-disant « confédéré Québécois » de Trois-Rivières. Gagné, qui est proche de Storm Alliance et des « Three Percenters » du Québec, est bien connu pour ses vidéos en ligne, dont plusieurs débordent de racisme. Le monsieur n’est clairement pas pour autant le crayola le plus aiguisé de la boîte. Dans une vidéo produite et diffusée le 14 décembre, Gagné accuse La Meute d’être remplie de traitres vendus aux musulmans, parce qu’apparemment, deux personnes associées à l’entreprise G-Tek sont proches de La Meute et que, selon Gagné, cela signifie que des membres de La Meute ont été impliqués dans l’exclusion des femmes du chantier à la demande des musulmans. (On vous a averti que le gars n’était pas l’ampoule la plus brillante dans le sapin.) Cela dit, puisque tout le monde sait désormais que l’histoire est fausse, la présence de membres de La Meute dans l’entreprise G-Tek devient d’autant plus intéressante.

Mais bon… ça pourrait tout aussi bien être un autre exemple des délires circulaires de Gagné… il est loin d’être une source crédible… Cependant, cela abonde dans le sens d’une hypothèse d’une hypothèse mise de l’avant sur le site on jase (une plateforme qui publie des contributions de personnes soucieuses de promouvoir l’ouverture et la diversité au Québec et préoccupées par la montée de l’intolérance et de l’extrême-droite). L’auteur de l’article conclut de sa propre enquête, à partir des communications internes sur la page secrète Facebook de La Meute, que « on est en droit de se demander si l’affaire n’est pas entièrement un coup monté par un membre ou un proche de la Meute, afin de faire des gains politiques dans la stigmatisation des musulmans. »

Sur le plan plus large, les tenants et aboutissants particuliers de cette histoire sont moins importants. Car, après tout, il ne s’agit pas d’un incident isolé. TVA et d’autres médias du même acabit, sans mentionner certains politiciens et autre personnages publics, ont travaillé fort pendant des années à nourrir le climat islamophobe au Québec, et des histoires comme celle-ci, on en trouve treize à la douzaine si l’on prend la peine de les chercher. C’est une dynamique alimentée à la fois par en bas et par en haut, mais principalement, il faut le dire, par en haut.

Cette spirale raciste a atteint un sommet épouvantable lorsque, il y a moins d’un an, Alexandre Bissonnette a fait irruption au Centre islamique de Sainte-Foy et a ouvert le feu sur les fidèles, blessant 19 personnes et en tuant six. Plutôt que de battre en retraite, contrits de honte, la droite islamophobe de la base a pris le massacre de la mosquée comme un défi et s’est donné pour mission de mobiliser encore plus agressivement. En 2017, pour la première fois depuis des dizaines d’années, l’extrême droite est descendue dans la rue à plusieurs reprises, dépassant parfois en nombre les forces antifascistes. La mosquée où Bissonnette à commis son attentat meurtrier a même été à nouveau la cible de propagande haineuse et de violence. Certains politiciens québécois ont répété la formule de Trump voulant que les antifascistes soient tout autant coupables (sinon plus) que les fascistes, mais sans provoquer le ressac libéral que l’énoncé de Trump avait déclenché en août dernier. En octobre, le gouvernement libéral a clairement tendu une branche d’olivier à l’extrême droite lorsque, au cours de la même semaine, il a saboté son propre projet de commission publique sur le racisme systémique et promulgué une loi islamophobe, la Loi 62, visant à empêcher quiconque a le visage voilé de donner ou recevoir des services publics.

La lutte contre l’islamophobie au Québec est devenue la pierre angulaire de la lutte contre le racisme et l’extrême droite. Les musulman-e-s ont été désigné-e-s comme le bouc émissaire #1 par de larges pans de l’establishment, tout comme ils et elles ont été désigné-e-s comme la cible #1 par l’ensemble des forces racistes de la base.

C’est pourquoi nous appelons toutes les personnes qui s’opposent au racisme, à la désignation de boucs émissaires et à la montée de l’extrême droite à venir manifester mercredi prochain contre TVA, le principal coupable de cette dernière vague de panique islamophobe.

Le mercredi 20 décembre, à 18h, rendez-vous à la Place Émilie-Gamelin.

Le temps d’agir est maintenant!