Montréal Contre-information
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Mar 292014
 

note de sabotagemedia: Trois versions de cette lettre nous ont été envoyées, une en espagnol, une en français et une en anglais. Nous tenons à mentionner qu’il existe des différences (la plupart n’étant pas trop majeure) entre les trois versions. Comme il est mentionné par les traducteur.e.s, la lettre originale a été écrite en combinant le français et l’espagnol, ce qui leur a compliqué la tâche. Nous avons légèrement modifié les trois textes, en les comparant les uns aux autres, quand nous avons jugé que cela allait de soi, aidant la compréhension et à ce qu’il y ai moins de divergences. Pour celleux qui aimeraient avoir accès aux versions non-retouchées par nous, elles ont déjà été publiées par Cruz Negra Anarquista México. Nous sommes très reconnaissant.e.s de la contribution importante accomplie par les traducteur.e.s et notre intention n’est pas de dénigrer leur dur labeur, mais vue le contexte de la version originale, nous voulons de cette manière faciliter de futures traductions en d’autres langues.

Lettre de Fallon

Je veux commencer cette lettre par un gros câlin pour tou-te-s les camarades en fuite, tout-e-s celles et ceux qui se battent pour leur liberté, et tou-te-s celles et ceux qui sont enfermé-e-s et dont ce monde de domination tente d’étouffer la rage. Il n’y a pas une cellule, un mur, une autorité à qui je donne assez de pouvoir pour faire taire ma rage et mon désir de liberté.

Ces sentiments, je les ai depuis que je suis toute petite et maintenant, dans mon cœur et dans ma tête, ils sont plus forts que jamais. Il ne se passe pas un jour sans que je pense à vous, mes ami-e-s.

Je peux imaginer, et on me dit aussi, que la situation à l’extérieur est très précaire. Ça ne me surprend pas, car nous avons choisi d’affronter la répression. Ce n’est pas simple, ce n’est pas facile, il y a plein d’émotions mélangées, mais il y a une émotion en particulier que nous partageons, et c’est notre force, individuelle et collective. Et ce sentiment, rien ne peut le mettre en cage, ni une prison, ni une frontière.

C’est avec beaucoup d’amour que je pense à vous, mes ami-e-s, et spécialement à Marc, qui est enfermé dans une prison de Kingston, aux camarades du Che qui furent torturé-e-s par le comité Cerezo, à la danseuse de cumbia, à Tripa, à Amélie et à Carlos. N’en soyons que plus fort-e-s, peu importe la distance !

Je me sens un peu bizarre d’écrire une lettre sans destinataire précis, j’ai l’impression d’écrire à une galaxie qui me semble quelque peu éloignée. En disant ceci, je veux être claire sur le fait que je n’écris pas cette lettre pour obtenir du support ou pour me poser en victime. Mon intention est d’utiliser la plume et le papier pour communiquer avec des ami-e-s et aussi pour partager des analyses.

Je pense que le fait d’être emprisonné-e est une opportunité très spéciale de laisser tomber la fétichisation de la prison et d’actualiser cette réalité de manière contextuelle. Aujourd’hui, j’écris cette lettre depuis Santa Marta, mais qui sait qui sera le ou la prochain-e** ?

Quand nous avons été arrêté-e-s, le 5 janvier 2014, pour moi, c’était un peu comme une blague, avec les sept chars de flics qui bloquaient la rue, j’avais l’impression d’être dans une pièce de théâtre, et depuis ce moment-là, la sensation est restée. Tout le monde joue son rôle. Je me rappelle du moment où, vers deux ou trois heures du matin, on nous transportait du PGJ (Bureau du Procureur Général de la Justice *ndt) au centre scientifique pour des tests. Nous étions trois, dans trois voitures différentes, avec deux flics de chaque côté de nous et un minimum de dix chars de flics qui nous escortaient en faisant aller leurs gyrophares dans les rues désertes du DF, et avec les scientifiques qui dormaient presque quand nous sommes arrivé-e-s au centre. Un vrai show. CSI Miami à Mexico.

Ah, et le centre d’Arraigo, ouf!
Ce fut la chose la plus théâtrale que j’ai vécue de toute ma vie. Quand nous sommes arrivé-e-s, la rue était fermée pour notre venue. Les hommes avec leurs muscles de télé-romans, et avec leurs mitraillettes étaient dehors, dans la rue, et aussi dans le fourgon avec nous. Je ne pouvais pas m’empêcher de rire – rire de leur autorité pour laquelle je n’ai pas le moindre respect, rire de la manière dont ils se prenaient tellement au sérieux. « Ken et Barbie » en uniformes de police fédérale. Et les prisonnier-e-s, qui n’avaient pas de nom, mais qui avaient la chance d’avoir une couleur. La mienne était orange. Le pire était que les filles de ma cellule avaient adopté les rôles de la soumission, de la peur et de l’autorité entre elles, si sérieusement, qu’elles donnaient l’impression d’auditionner pour un film hollywoodien.

Désolé pour les personnes qui pensent que je tourne tout au ridicule mais, c’est vraiment comme ça ! Une blague, un jeu de rôles.

Et maintenant, ici à Santa Marta, il y a plusieurs quartiers allant de A à H, il y a un «parc», des appartements et des voisin-e-s. Il y a un dépanneur, des travailleuses du sexe, des drogues un peu partout. Il y a des gens qui reproduisent les rôles de «filles» et de «garçons», et il y a aussi beaucoup de bébés. Il y a une école, une clinique, un palais de justice. Il y a des études qui sont menées pour te classifier à Santa Marta, il y a de la corruption, du pouvoir formel et informel. Il y a des horaires et aussi beaucoup d’émotions, beaucoup d’histoires, beaucoup de temps pour partager des expériences, de la rage, et certainement beaucoup de cigarettes et de café à partager. Eh bien, je ne sais pas si je suis claire (mon espagnol n’est pas parfait) mais maintenant Santa Marta est ma nouvelle ville, «A» est mon nouveau quartier, 107 est mon appartement et Amélie, ma voisine.
Pour moi, c’est plus clair que n’importe quelle théorie.

Ainsi, je vais terminer cette lettre.

Une note:

Comme la première, je l’ai écrite en espagnol* parce que, déjà, c’est parfois plus facile. Alors, je veux dire un gros merci aux personnes qui font la traduction, j’essaierai de faire la traduction de mes prochaines lettres en français et en anglais.

Cette lettre est la première que j’écris depuis un bon bout de temps parce qu’au centre d’Arraigo c’était plus difficile, les stylos étaient interdits, comme tout le reste !

Pour moi, c’était important d’écrire cette lettre avec une touche d’humour et de sarcasme, non parce que je veux minimiser l’impact que peut avoir la prison sur les gens, mais bien pour minimiser l’impact que la prison a sur moi. Comme j’ai essayé de l’exprimer, avec un espagnol simple (j’espère un jour le maîtriser mieux)(j’espère aussi que c’est comprenable), les éléments qui me marquent le plus depuis ma détention sont les jeux de rôles et la ville prison, prison-ville. Je ne vous cache pas que c’est pas toujours facile, que oui on est entourées de barbelés, mais y’a une chose dont je suis sûre c’est que la liberté commence dans notre tête, peu importe où on se trouve. C’est que dans la mienne en ce moment, y’a beaucoup de rage, beaucoup de force et oui, malgré tout, plus de liberté qu’il n’y en a jamais eu.

Merci aux ami-e-s qui viennent nous visiter ! À ceux et celles qui prennent nos appels a frais virés. À ceux et celles qui s’organisent, malgré les tensions.
À ceux et celles qui continuent à faire naître le feu et à attaquer cette société pourrie. RAGE ET ANARCHIE ! (A).
Et solidarité avec Marc, les camarades du Che, Tripa, la sorcière danseuse de cumbia, Amélie, et Carlos.

Fa

Santa Marta, Mexico, 14 mars 2014.

Et bon 15 mars !! (A)

*Cette lettre fut écrite originalement en combinant le français et l’espagnol

Pour écrire à Fallon et Amélie :

Amelie Trudeau/Fallon Rouiller
Centro Feminil de Reinsercion social Santa Martha Acatitla
Amélie Trudeau / Fallon Rouiller
Calzada Ermita
Iztapalapa No 4037
Colonia Santa Martha Acatitla
Delagation Iztalpalapa
C.P. 09560

note par sabotagemedia : Dans la version anglaise cette phrase apparaît comme « Aujourd’hui, je vous écris cette lettre de Santa Marta, mais qui sait ce qui s’en vient » Ce qui fait plus de sens selon le contexte de ce qui est dit. Nous n’avons pas modifié parce que la version anglaise est la seule des trois qui fut écrite ainsi, les deux autres retenant le sens de « …mais qui sait qui sera le ou la prochain-e ? .»