Montréal Contre-information
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Lutter pour mettre fin à la criminalisation des corps des travailleuses du sexe depuis 1995

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Mar 032021
 

Du COBP

Stella, l’amie de Maimie : Lutter pour mettre fin à la criminalisation des corps des travailleuses du sexe depuis 1995

Les corps des personnes qui travaillent dans l’industrie du sexe sont criminalisés, surveillés, stigmatisés et discriminés quotidiennement. Certaines personnes respectent et vénèrent nos corps comme travailleuses du sexe, tandis que d’autres nous dénigrent et nous réduisent à des parties de corps. Les prohibitionnistes anti-travail du sexe et les forces de l’ordre tentent de nous contrôler parce qu’on utilise nos corps pour le plaisir, l’empowerment économique, et l’avancement dans la société. Même si nos corps ne sont que l’un des nombreux outils de travail que nous utilisons dans le contexte de notre travail du sexe, la stigmatisation autour du travail du sexe mène au contrôle social et à la criminalisation de notre travail et de nos vies. Ceci résulte à des services de santé, publics, juridiques et sociaux discriminatoires pour les travailleuses du sexe, ce qui compromet notre santé et notre sécurité.

La criminalisation – et la prohibition ultime des travailleuses du sexe, des clients, tierces personnes, et de la publicité – introduite par le biais de la Loi sur la protection des collectivités et des personnes victimes d’exploitation (née Loi C-36) entrée en vigueur en décembre 2014, touche d’abord et avant tout les travailleuses du sexe – elle déplace les travailleuses du sexe de lieux de travail habituels nous forçant à travailler dans des lieux inconnus et sans mécanismes de sécurité; elle criminalise la communication nécessaire au consentement dans le travail du sexe; et favorise la peur d’arrestation chez les clients ce qui fait qu’ils ne partagent pas des informations importantes aux travailleuses du sexe. Ces modèles de « mettre fin à la demande » sont souvent décris comme étant la « décriminalisation des travailleuses du sexe et la criminalisation des clients » – c’est un mensonge. Une compréhension limitée des modèles « mettre fin à la demande » signifie que leurs partisans ne sont pas conscients de la manière dont ce régime criminalise encore les travailleuses du sexe et nous mettent à risque.

Depuis 1995, les travailleuses du sexe à Montréal se battent pour la réforme des lois sur le travail du sexe – enlever les lois criminelles et d’immigration contre le travail du sexe, comme une première étape du respect des droits des travailleuses du sexe. La décriminalisation des travailleuses du sexe, des clients et des personnes avec lesquelles nous vivons et travaillons est primordiale pour respecter les droits à la sureté et à la sécurité des travailleuses du sexe qui sont garantis par la Charte. Cela fait écho non seulement à la décision Bedford de la Cour suprême, mais aussi à d’importantes recherches internationales sur les droits humains par Amnistie internationale, ONUSIDA, Human Rights Watch et l’Organisation mondiale de la santé qui font tous appel pour la décriminalisation totale du travail du sexe. La décriminalisation n’est qu’une première étape : les membres de notre communauté qui occupent l’espace public – particulièrement celles qui sont autochtones, noires, trans, qui consomment des drogues, qui vivent de l’itinérance – continueront d’être harcelées, surveillées et contrôlées. On attend depuis longtemps la fin aux visites non désirées et non sollicitées de la police dans nos vies.

Nous continuons notre lutte pour mettre fin à la surveillance de nos vies et de notre travail, et nous sommes solidaires avec les communautés pour le définancement de la police pour se rendre vers une société sans police.

Nous invitons les travailleuses du sexe qui travaillent à nous contacter pour des conseils et de l’appui sans jugement, et pour des moyens de vous protéger durant une période de surveillance accrue, de répression policière et sentiments généraux de prohibition.

http://www.chezstella.org

Jugement contre dis son nom: un violent backlash

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Mar 022021
 

De Mettre fin au silence

Aujourd’hui, le jugement de la juge Katheryne A. Desfossés exigeant le dévoilement de l’identité des administratrices de la page Dis son nom ainsi que de la personne ayant dénoncé l’agresseur Jean-François Marquis est d’une telle violence que les mots nous manquent pour la nommer: seuls nos hurlements de rage semblent adéquats.

On veut d’abord envoyer toutes notre solidarité aux personnes affectées par le jugement et les actions de Marquis: la personne survivante, les administratrices de la page Dis son nom et toutes les autres personnes survivantes dont les échanges avec Dis son nom seront mises entre les mains d’un agresseur et de son avocat. On espère tellement que toutes ces conversations se retrouvent malencontreusement perdues ou magiquement effacées. Se faire désapproprier de sa propre démarche de dénonciation, c’est extrêmement violent.

Ce travail collectif qui a été fait l’été passé, mais aussi au fil des ans pour trouver des manières de libérer nos paroles et pour faire changer la peur de camp se voit grandement ébranlé par les événements d’aujourd’hui.

Généralement, le système et ses acteurices répondent avec une violence proportionnelle au danger que nos ripostes présentent pour l’ordre établi. C’est tellement légitime d’avoir peur devant une violence aussi inouïe. D’avoir envie de perdre espoir. Même si l’heure n’est crissement pas à la fête, on a le goût de dire qu’on peut quand même se féliciter: on leur a fait tellement peur aux agresseur.e.s et à leurs complices qu’a émergé le besoin de réagir avec virulence pour essayer de nous faire taire. À nos yeux, ça veut quand même dire qu’on a un esti de beau pouvoir collectif quand on s’y met.

Pour nous, les événements d’aujourd’hui illustrent avec encore plus d’évidence la nécessité de l’anonymat, de plate-formes sécuritaires et d’alternatives à ce système judiciaire pourri qui protège l’ordre oppressif, les agresseur.e.s, le pouvoir établi. La nécessité de continuer à dénoncer ces estie de vidanges qui nous pourissent individuellement et collectivement la vie.

Plutôt que de susciter la peur, c’est sur les braises de notre colère que ce jugement souffle avec force. Pour notre collectif, il est hors de question de plier devant la violence du système, devant les menaces de représailles.

Notre plate-forme restera active, prête pour la suite. S’il y a des personnes pour qui ça a déclenché comme nous une envie de dénoncer et de foutre la marde. S’il y a des personne qui, malgré la peur, ont ce besoin de témoigner. En nommant leur.s agresseur.e.s ou non. Maintenant ou plus tard. On sera là. On vous fucking croit.

1er mars: Action contre l’extractivisme effréné des forêts

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Mar 012021
 

Soumission anonyme à MTL Contre-info

Les défenseur.es de la terre Atikamekws et Innu.es sont sur le Nitaskinan aujourd’hui, accompagné.es de leurs allié.es allochtones, pour s’opposer à l’extractivisme.

Ni le gouvernement colonial ni le conseil de bande n’ont la légitimité sur ces territories non cédés, ils préfèrent s’entendre ensemble pour les saccager.

Les forêts sont livrées aux machines destructrices des compagnies forestières, entraînant inondations et perte d’habitat pour la faune. Le bouleau blanc, essentiel à la culture Atikamekw, est en train de disparaître.

Les lois de la terre et de l’univers dominent l’expansion illimitée de l’homme avide. Comme nos ancêtres, protégeons la vie pour les générations futures!

Autodétermination et veto pour les premiers peuples !

La solidarité de tous et toutes pourra stopper l’écocide !

Venez nous appuyer lundi 1er mars à partir de 10h au 16e km sur le chemin de la Manawan .

EKONI ACI !
ASKI MAMO !

Solidarité avec les défenseur.es de 1492LBL

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Fév 282021
 

Soumission anonyme à MTL Contre-info

Depuis juillet 2020, les défenseur.es des terre haudenochauni.e.s de Six Nations ont bloqué un projet résidentiel appelé Mackenzie Meadows, qui était prévu sur le territoire de Six Nations, près de la communauté de colon.es nommé Caledonia en Ontario. Les défenseur.es des terres refusant de voir leurs terres détruites davantage pour des intérêts coloniaux ont occupé le site de construction l’été dernier, le rebaptisant 1492 Land Back Lane. Suite à la réoccupation de leur territoire, une injonction a été accordée à Mackenzie Meadows et appliquée par l’OPP en août. Les défenseur.es des terres ont lutté contre l’expulsion violente de l’OPP, en se retirant temporairement du site. Peu après le raid, les défenseur.es des terres, soutenus par la communauté des Six Nations, ont bloqué la route Argyle et l’autoroute 6, et ont repris Land Back Lane à l’osti de police. En octobre de l’année dernière, la police a tenté d’arrêter un certain nombre de défenseur.es des terres, en tirant sur certain.es avec des projectiles “non mortels”. La police a finalement été chassé par des défenseur.es des terres déterminés, dont certaines de leurs voiture ont été défoncés en sortant. Cette dernière attaque violente de l’OPP a conduit les défenseur.es des terres et les membres de la communauté des Six Nations à déchirer la route d’Argyle, à perturber les lignes ferroviaires du CN qui traversent leurs terres, et à ériger des barricades afin de se défendre contre de nouvelles attaques policières.

Le 15 février, les défenseur.es des terres 1492 Land Back Lane ont achevé le démantèlement de diverses barricades afin de permettre aux membres de la communauté des Six Nations d’accéder à l’autoroute. Bien que les barricades routières aient été retirées, les défenseur.es des terres restent fidèles à leurs objectifs, vigilants face à la répression violente de l’OPP, et conscients qu’ils sont maintenant dans une position plus vulnérable.
L’automne dernier, les anarchistes et leurs complices ont répondu aux appels à la solidarité des défenseur.es de la terre de 1492 Land Back Lane par des actions contre les infrastructures essentielles à l’économie canadienne.

Nous continuons à être solidaires avec 1492 Land Back Lane, et nous invitons tous celleux qui envisagent un monde sans domination coloniale à se tenir au courant de la situation sur le terrain et à continuer à soutenir les défenseur.es des terres. Si l’OPP tente de profiter de la vulnérabilité accrue des défenseur.es des terres pour apporter de la violence à 1492 Land Back Lane, la réponse doit être rapide et étendue. En prévision de cette éventualité, nous recomandons avec insistance aux complices et allié.es anticoloniaux de prévoir des actions contre l’État et le capital, en tirant les leçons du mouvement #ShutDownCanada de l’hiver dernier.

En solidarité avec les défenseur.es de 1492 Land Back Lane! Fuck le Canada, Fuck l’OPP!

– anarchistes

Contre la suprématie blanche, la dignité ou la mort

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Fév 232021
 

Soumission anonyme à MTL Contre-info

La neutralité n’existe pas, il s’agit de la subjectivité blanche.
Je pose donc mon cadre d’énonciation. Je ne suis pas blanche, je suis algérienne avec le privilège acquis par la violence coloniale, d’avoir un passeport français. Je n’ai pas fait de grandes études. Déjà au lycée je désertais. J’ai osé m’immerger à 35 ans “dans la gueule du loup» pensant avoir les reins assez solides.

Me voilà à ma seconde immigration, cette fois avec un visa précaire. Je pensais l’université québécoise plus ouverte que la française, mais j’y découvre une institution blanche et coloniale. Le terrain est abrupt, violent. C’est bien évidemment un terrain de lutte avec des règles bien précises, qu’on ne maitrise pas d’avance. Un jour sur deux, l’envie d’abandonner les études me taraude, car rares sont les enseignants qui prennent compte du récit de l’opprimé dans le cadre des récits nationaux. Rares sont ceux qui prennent en compte les oppressions raciales dans leur analyse, et rares aussi sont ceux qui gardent leur rigueur scientifique lorsqu’ils pensent d’autres territoires que l’occident. En d’autres termes : la qualité de l’enseignement est majoritairement exclusive. L’erreur est humaine, ne pas savoir aussi. Cependant, il serait indiqué de laisser la place à la contradiction, la mesure et que tous soyons soumis aux mêmes règles et aux mêmes exigences. Pour le pluralisme libéral, on repassera. Les paradigmes blancs occidentaux sont maintenus avec force et se sentent menacés par toute tentative de relativiser. La violence est donc d’abord épistémologique puis s’y ajoute les vocables des prétendus « Maîtres ». Pour des jeunes étudiants blancs, c’est déjà un environnement stressant avec des obligations de réussite ainsi que des problèmes de sexisme. Mais pour les non-blancs on peut ajouter un contenu plus stressant du fait d’un solipsisme blanc qui est bien une pathologie de l’humanité blanche et pour les étudiants étrangers c’est encore plus stressant dans la mesure où ils sont obligés de suivre les cours avec régularité, sous peine de se retrouver en situation irrégulière. L’éloge de la fuite ne peut s’appliquer qu’avec plus de créativité et de travail.

Maintenant que vous savez d’où je parle, je vais prendre position sur la création d’un « problème de société », d’un prétendu « ennemi intérieur ».
Alors que nous vivons une séquence extraordinairement violente sur plusieurs plans. Pour certains d’entre nous, le pouvoir coercitif se déchaine.

J’entends des voix bien réelles s’élever contre des crimes policiers et des mises à morts dans le cadre de soins, des voix s’indignant devant les morts dehors dans le froid et la solitude, les morts en prison … Ces derniers mois, la mort touchant les autochtones est plus qu’alarmante : c’est l’hécatombe. Les traitements indignes infligés à ces populations dépassent l’entendement. Les hommes noirs ne sont pas épargnés par les crimes policiers et les musulmans sont méprisés lors de la commémoration de la fusillade terroriste de la mosquée de Québec, sans parler de la loi 21. Le premier ministre ne reconnaît pas formellement l’existence de « l’islamophobie ». Les musulmans sont ici des citoyens de seconde zone.

Nous sommes étouffés par la mort sociale qui plane sur nous : il n’y a qu’à voir les discours disqualifiants les victimes de crimes policiers. Il n’y a qu’à écouter Dany Turcotte tentant de salir Camara Mamadi, victime de violence policière, battu, humilié, emprisonné, traumatisé puis innocenté. N’est-ce pas le salir que de demander si la victime va à nouveau conduire le cellulaire à la main, et justifier le traitement inhumain subit par ce dernier, le tout emballé dans une tentative humoristique ?

L’heure est grave ! nous n’entendons pourtant pas Legault défendre les droits humains de Camara Mamadi, son droit à la vie, et à la dignité. Legault nous parle de protéger la « liberté d’expression », la « liberté académique » mais qu’en est-il de la liberté d’enseigner de Monsieur Camara Mamadi qui est mise en danger par le drame qu’il a subi, les traumatismes psychiques qui en découle, sans oublier les problèmes administratifs auxquels il doit faire face ?

Dans le contexte du COVID l’assignation à résidence se renforce. En fonction de notre race, de notre classe et de notre genre. Il y a ceux qui charbonnent mais doivent endurer des couvre-feux et sont plus sujets aux contrôles policiers du fait de profilage racial. Ils et elles sont les travailleurs essentiels. Leur santé et mise en danger ainsi que celle de leur proche et ce pour servir le capitalisme racial. Ils sont là pour soigner, laver, nourrir et livrer les plus privilégiés. Cela, inévitablement, les soumet à une surveillance plus soutenue, à une biopolitique et une identifications au service de la sécurisation belle et bien coloniale.

Un peu naïve, je pensais fuir le climat français, amusée par l’expression québécoise « Maudits Français ! » visant l’arrogance de ces derniers qui prétendent tout savoir. Malheureusement, Legault me fait déchanter. Il nous dit la chose suivante au sujet des luttes d’émancipation : « Ce problème-là est parti de nos universités, et je pense que c’est là qu’on va devoir le régler en premier. La ministre de l’Enseignement supérieur, Danielle McCann, est en train de se pencher là-dessus avec les milieux universitaires pour agir rapidement. » Cette déclaration suit de très près celle de Macron d’après qui « le monde universitaire a été coupable. Il a encouragé l’ethnicisation de la question sociale en pensant que c’était un bon filon. Or, le débouché ne peut être que sécessionniste. Cela revient à casser la République en deux. » Il envoie donc sa ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation en croisade.

En pleine gestion politique antisociale de l’épidémie produisant des relations au monde désincarnées, une jeunesse tente de poursuivre une « instruction » reconnue sur le marché du travail, ils essayent d’apercevoir un horizon. Il y a donc des étudiants et une toute petite minorité d’étudiants non-blancs qui tentent de suivre un enseignement universitaire à distance, dans les meilleures conditions possibles, mais n’acceptent pas de se soumettre à tout et n’importe quoi. Nous évoluons dans une société Québécoise ultra libérale où les étudiants sont des clients. Il ne devrait alors n’y avoir aucun étonnement à ce que le service donné soit discuté. Ce n’est pourtant pas évident pour le grand patron gestionnaire qu’est le premier ministre ni pour sa petite cour. Les étudiants remettant en cause l’enseignement qu’il payent sont considérés comme censeurs par le pouvoir.

La réalité est toute autre, on subit bien la “cancel culture” des dominants

Legault grand intellectuel et grand progressiste est en pleine croisade. Le Premier ministre du Québec instrumentalise la liberté d’expression et académique pour justifier des propos discriminants, excluants et surtout une politique oppressive. L’énonciation de mots de concepts, les actes de paroles ne renvoient pas à des réalités alternatives, ils peuvent produire et reproduire des réalités politiques. La liberté d’expression n’est pas un concept théorique abstrait, elle s’inscrit dans le réel, dans un espace, dans le temps, dans des rapports sociaux politiques, bien matériels, bien concrets. Legault nous dit, à nous, non-blancs, de rester à notre place et de ne pas faire de vagues. Etant donné les discriminations limitant notre accès à l’éducation, on devrait dire « merci patron, oui patron, merci de bien vouloir nous tolérer dans ces institutions ».

La réalité sociale, la véritable intimidation est en fait l’inaccessibilité à l’éducation supérieure aux personnes racialisées, et les violences quotidiennes qu’elles y vivent ne sont pas les préoccupations de Legault. Encore faut-il survivre au racisme à l’école de la part du corps enseignant comme des élèves pour arriver à ce niveau d’exclusion. Pourtant, d’après le Premier ministre, pas de racisme systémique au Québec et il se met à nous parler d’émotions, lesquelles fondent sa politique.

Il nous raconte le sentiment d’intimidation que certains enseignants vivraient, mais pas un mot sur les violences que les étudiants subissent de la part du corps enseignant, de l’administration ou des autres étudiants blancs.

Les médias, un autre outil du pouvoir

Legault nous répète ce que nous savons déjà et qui fait les choux gras de la presse : Certaines pleurnichent dans des tribunes, racontant qu’après avoir employé des mots racistes « Le stress monte à un point où on n’est plus maître de soi-même, que c’est vraiment les pires minutes de leur vie. », elles nous parlent de leurs “état d’âme”… Une sacrée belle âme : “Son cœur lui disait de résister. Mais il y avait l’affaire Lieutenant-Duval qui déchaînait les passions au Québec. Et puis, il y a eu l’affaire Joyce Echaquan à Joliette. « Le contexte était explosif. Évidemment, on a envie de se plier et d’être du côté de la vertu. »

Alors, elle l’a fait. « Elle a plié. ». En tous cas, elle le prétend, mais semble confondre le bien et le bon et oublier que la vertu est du côté de la justice. Par un habile subterfuge, elle devient la victime d’une jeunesse qui ose quitter un cours sur zoom pour lutter contre la mort. Car la race se reproduit et elle tue! Il suffirait pourtant à ces enseignantes de suivre un peu l’actualité pour réaliser la matérialité derrière le mot qui leur est interdit. En réalité cette enseignante est bien informée car Joyce Echaquam hante son esprit. Le problème c’est que la liberté ne s’obtient qu’au prix d’une discipline mentale, travail qu’elle semble peu disposer à effectuer car il est plus simple de se laisser gouverner par ses émotions lorsqu’on est dans une position de pouvoir. La position des professeurs au sein de l’université est importante au Québec, ces derniers sont bien rémunérés, les étudiants ont du mal à se payer une instruction et pèse déjà sur leurs épaules le poids de la dette. Ils n’ont finalement pas grande liberté d’expression dans la mesure où le temps et l’espace ne sont pas aménagés à cet effet, sans oublier le pouvoir que confère le jugement et la notion de leurs enseignants. Quand il y a désaccord, la situation peut devenir écrasante pour une personne non-blanche qui apporte la contradiction. Je vous laisse le soin d’évaluer l’ampleur que peut prendre une attitude irresponsable qui cadre mal les échanges entre étudiants par une enseignante qui n’a pas défini clairement son projet pédagogique en proposant de traiter d’enjeux se rapportant à des problématiques de domination raciale.

Etrangement, alors que la « subjectivité » et une prétendue « charge émotionnelle » sont les premiers outils de disqualification des étudiants non-blancs dans le cadre de leurs travaux , ce sont majoritairement des enseignantes blanches qui rapportent leur ressenti à la presse et non les étudiants qui font éclater le scandale. Les médias deviennent un espace propice aux confidences psy, un divan où elles se vautrent pour se noyer dans leur narcissisme. Elles y racontent leurs émotions et les faits sont inexistants, mais pas un mot sur le ressenti de leurs élèves. Elles sont pourtant responsables de leur transmettre des connaissances, de cultiver leur esprit critique et elles ont un pouvoir hiérarchique sur eux. Aucun article ne donne à lire un mot expliquant leur projet pédagogique qui justifierait l’emploi de mots racistes, violents et insultants, et c’est effarant pour des enseignants! Mais le plus ironique dans tout cela, est que le premier ministre lui-même décide de « cancel » des élèves sur base d’émotions partagées avec ces femmes fragiles, qu’il faudra protéger ! De toute évidence, la compassion n’est possible qu’avec ses semblables (c’est-à-dire d’une certaine race et d’une certaine classe sociale).

La cancel culture, un produit importé ?

Cette pratique est née il y a plus de 400 ans aux États-Unis ou la culture de la délation est très présente. Je me souviens très bien des affiches “wanted” dans les westerns que nous regardions avec esprit critique. Dans la conquête de l’Ouest, on ne s’embarrassait pas de justice : sans procès, sans défense, on était vite pendu haut et court. L’histoire du Canada est liée à l’histoire des États-Unis. Ce réflexe n’a pas disparu dans le pays, d’ailleurs il appartient aussi à la culture québécoise, car Legault n’a pas manqué d’encourager le « call-out » (la délation) depuis le début de l’épidémie. Robyn Maynard dans Noires sous surveillance : esclavage, répression, violence d’État au Canada [title format this book title] nous rappelle que l’État construit et déconstruit les récits à travers les institutions et qu’on se garde de nous apprendre à l’université l’histoire occultée du Canada des populations noires, autochtones et des populations immigrées. Elle le fait avec statistiques et exemples à l’appui, son travail est scientifique et rigoureux ! Au Canada, on se vante les mérites de John Graves Simcoe et l’Act Against Slavery, qui mène à l’abolition de l’esclavagisme au Haut-Canada dès 1810. Cependant, il n’a pas libéré les individus mis en situation d’esclavage ni leurs enfants qui devaient attendre l’âge de 25 ans. La libération avait un coût qui devait être acquitté par les propriétaires. On comprendra aisément la réticence de certains et les fondements racistes que nous connaissons. Dans l’idée : des individus noirs fraichement « libérés » devenaient de potentiels criminels car ne possédant rien : il fallait donc les surveiller. Ils le furent y compris les citoyens ne représentant pas l’ordre publique mais représentant bien un certain ordre colonial racial : c’est la naissance du profilage. C’est ce passé qui ne passe pas ! c’est la cancel culture d’Etat qui condamne les non-blancs sans procès, comme peut en témoigner Monsieur Camara.

Ce qui inquiète le détendeur du pouvoir exécutif, seraient des « radicaux qui veulent censurer, museler, intimider et brimer notre liberté de parole. » Mais qui seraient-ils ?
Mathieu Bock-Côté , jouis à la lecture du statut Facebook de François Legault qui en recommande la lecture et se positionne contre une certaine “gauche woke”. Elle serait partout, y compris dans les universités, mais en réalité, c’est avec #metoo qu’on découvre les « safe space », la « cancel culture » la « wokeness », le « call-out ». Ce sont des pratiques militantes d’opprimées et elles n’ont ni le pouvoir, ni les mêmes effets que celles d’un Premier ministre. De plus, cette tendance n’a pas grand-chose à voir avec la gauche blanche où elle ne fait pas consensus pas plus que dans toutes les approches féministes…

Une critique décoloniale de ces pratiques me semble alors pertinente

Aujourd’hui, la « cancel culture » est essentiellement pratiquée dans des milieux non-mixtes de « concernées » par des oppressions systémiques. Ils essaient de construire des « safe space » mais les rapports de pouvoirs sont partout. Les « cancelled » sont la plupart du temps des opprimés qui ont pu commettre une comportementale, des erreurs d’appréciation ou dire quelque chose d’inapproprié voire des agressions sexuelles ou non.
Une fois ce cadre posé, la pratique s’intensifie. On considère qu’une fois la bêtise prononcée ou un comportement problématique effectué, rien ne pourra l’effacer, l’auteur devient un « problème » à gérer, il est « cancelled ».

Le processus se poursuit, car être problématique est semble-t-il contagieux et il faut donc mettre le coupable en quarantaine et il en sera de même pour ceux qui le fréquentent.

Ces pratiques me semblent dangereuses car elles se font sans prendre en compte le statut politique de la personne « called out ». Les sentiments et émotions ne sont pas de mon point de vue questionnable, ils sont subjectifs et appartiennent à la personne qui les partage. Cependant, des faits rapportés m’apparaissent nécessairement discutables, à évaluer et à contextualiser avant de mener à une quelconque action punitive. L’idée de justice que présente ce cadre est discutable. En effet, ici, les rapports de force politiques sont occultés, on arriverait à faire d’une femme noire un oppresseur si elle a eu un comportement problématique. On confondra les connards avec les opprimés. A la sauce postmoderne, la différence devient indifférente et l’on arrive à produire des relations dépolitisées perdant de vue leur objectif. Les pratiques peuvent être lourdes de conséquences car on verra s’organiser la mise à mort sociale de la personne jugée pas « safe ». La répression s’organisera sans discussion préalable sur ce qui a amené au faux pas car il faut croire la victime sur parole sans même demander du contexte. Toute interrogation deviendra suspecte et la personne qui interroge sera tout aussi coupable que le « cancelled ». On devient juge, juré et bourreau, sans procès. Et on prend le risque de mettre en place des excommunications arbitraires à l’encontre de personnes en situation déjà très précaire… Par ailleurs, il est difficile de mon point de vue de se réjouir de la punition d’un individu dans le cadre de discriminations globales et je ne suis pas certaine de l’efficacité de ce genre de pratique.

On notera, par ailleurs, qu’on a rarement vu des dominants blancs, riches et coupables souffrir de ce genre d’approche punitive. Un Legault ne devrait pas avoir voix au chapitre, pas plus que les grands professeurs blancs qui devraient remettre en question leurs capacités réflectives et de transmission. En revanche, on ne peut en dire autant pour des personnes non-blanches parfois accusées à tort et dont la vie a été réduite à néant. #metoo nous a même démontré que la pratique pouvait se retourner contre la victime qui « call-out ». Les puissants ayant les moyens d’être proactifs et d’attaquer en diffamation avant même que la victime ait pu mettre en place une procédure légale à l’encontre de l’agresseur présumé.

“La dignité ou la mort”

Cela étant dit, il est inacceptable de confondre ces pratiques (non condamnables, mais discutables) avec des réactions légitimes et saines, des manifestations de dignité bien politiques lorsque des mots produits de la haine raciale sont prononcés par le corps des puissants, celui des « maitres »:
Ma mère est née en 47, on n’est pas noires, mais « sauvages ». Elle m’a inculqué très jeune l’interdit de prononcer le N Word dont elle m’a très simplement expliqué l’histoire et la violence ! Elle m’a aussi insufflé assez de dignité pour que je n’accepte pas de subir les qualificatifs racistes « de bougnoule » ou de « sauvage » par les puissants.

Il n’y a pas de nouveau phénomène. Refuser l’emploi de ces mots par les détenteurs du pouvoir n’a rien à voir avec de soi-disant nouvelles tendances. L’angélisme blanc feignant la découverte de ces interdits est satanique ! Il en va de même pour le terme « sauvage », n’importe quel colonisé en connait la charge et l’outil colonial qu’il représente ! On peut à la fois être dans une colère légitime ou s’amuser de l’impudence de Denise Bombardier qui a annoncé renoncer à mener des entrevues lors du Salon du livre de Québec alors qu’elle avait décrit la culture autochtone comme étant « mortifère » et « anti-scientifique ». Elle se permit aussi des insinuations racistes et dangereuses durant le blocus ferroviaire en 2020. Pour elle, les Mohawks, « Ce sont les Autochtones les plus tonitruants. Parmi eux se terrent des truands qui imposent leurs lois et affectionnent les armes à feu « spéciales ». Non pas celles qui permettent à tout chasseur de tirer le chevreuil, l’orignal ou l’ours, mais des armes de guerre automatiques. Celles qui se retrouvent dans les mains des militaires, des terroristes et trop souvent des meurtriers de masse. ». Elle considère les réserves comme « lieux inhumains à l’écart de toute civilisation ». En ce qui me concerne, je préfère être une « sauvage » car nous sommes nombreux à savoir l’indignité et l’inhumanité des prétendus « civilisés » civilisateurs dans leurs rapports à l’altérité. La civilisation génocidaire, capitaliste occidentale de Denise semble être aux origines de la fin du monde, pas de quoi s’en vanter ! Je m’amuse donc de la mémoire de poisson rouge de Bombardier qui n’a pas pensé une seconde qu’elle devrait assumer ses propos suprémacistes et méprisants. C’est avec une joie décoloniale que j’accueille la victoire politique des résistants autochtones , qui ont poussé la journaleuse à se retirer !

En somme, il est vieux comme le monde de dénoncer des constitutions, des lois, des tendances politiques, des idéologies, des médias, des auteurs, des personnes de pouvoir, des organisations politiques, des associations, des institutions moribondes y compris l’Etat. Les mouvements de luttes dans les universités n’ont rien de nouveau et ont bénéficié à l’enrichissement des savoirs.

Ces luttes impliquent toujours d’écrire, d’organiser collectivement des manifestations, de se mobiliser autour de certaines problématiques en vue de construire un rapport de force favorable aux revendications politiques portées collectivement afin d’abolir les traitements indignes auxquels on essaie de nous soumettre.

Il ne s’agit donc pas de mettre en œuvre une visibilité sauce libérale ou que sais-je. Nous n’avons pas envie d’être vus ou aimés, nous voulons être entendus, et que nos revendications politiques aboutissent, pour une vie plus juste et meilleure. Alors, à cette jeunesse qui ne peut se rencontrer, débattre, s’énerver, crier, discuter, échanger, mettre en place des réunions, s’organiser collectivement, bloquer des universités, se mettre en grève et peser dans le rapport de force, je souhaite bon courage, bon usage des nouveaux médias et de nos erreurs pour signaler leurs désaccords, défendre leurs positions politiques et leurs revendications pour se construire un monde décent et digne de leur humanité !

Le verger au complet : Une série de podcasts sur l’abolition de la police et des prisons

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Fév 222021
 

De la Convergence des luttes anti-capitalistes

La Convergence des luttes anticapitalistes (CLAC) publie aujourd’hui le premier épisode d’une série de podcasts sous forme d’entrevues nommée Le Verger au complet. Le Verger au complet vise la diffusion d’information relative à l’abolition de la police et des prisons et à la justice, en abordant des thématiques telles que l’emprisonnement des migrant.e.s, la criminalisation de la dissidence et la justice transformatrice. Le premier épisode introduit l’idée derrière le projet et propose un survol historique de la police en Amérique colonisée et plus spécifiquement au soi-disant « Québec ».

Alors que les discours libéraux présentent les violences policières comme l’affaire de quelques pommes pourries dans le panier nous proposons plutôt une analyse critique de la police et des institutions punitives: on ne réforme pas un système pourri, on l’abolit! Attaquons-nous au verger au complet!

Si nos imaginaires radicaux sont aussi les vôtres et que vous souhaitez partager notre contenu encore tout chaud du four, toute diffusion publique et/ou à vos membres serait extrêmement appréciée! Le podcast peut être trouvé sur la plupart des plateformes de diffusions de podcasts.

Vous pouvez écouter notre premier épisode, HIS-1312 – Introduction et histoire de la police, ici :

L’épisode vise à retracer le développement des différents services de police dans le nord de l’Île de la tortue, pour mettre en évidence son importance pour le développement du racisme et du capitalisme qui continuent jusqu’à nos jours.

Produit par la CLAC, 2021. Diffusé sous license Creative Common – Attribution – Pas d’Utilisation Commerciale – Partage dans les Mêmes Conditions 3.0 France (https://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/3.0/fr/)

Musique

* “Caché icitte” des Goules, tirée de l’album “Les Animaux”, https://lesgoules.bandcamp.com/album/les-animaux , utilisé avec la permission du groupe.
* “Black Sheep” de Backxwash, tirée de l’album “God Has Nothing To Do With This Leave Him Out Of It”, https://backxwash.bandcamp.com/, utilisé avec la permission de l’artiste.

Références

BRODEUR, Jean-Paul, 1984, La délinquance de l’ordre, enquête sur les commissions d’enquêtes (http://classiques.uqac.ca/contemporains/brodeur_jean_paul/delinquance_de…)
GAUTHIER, Carl, 2005, La sûreté du Québec un professionalisme en voie de développement, Mémoire de maîtrise, Université Laval (https://corpus.ulaval.ca/jspui/handle/20.500.11794/18395)
MAYNARD, Robyn, 2017, Policing black lives, Fernwood Publishing.
WILLIAMS, Kristian, 2008, Our ennemies in blue, South End Press.
ZINN, Howard, 2015, A people’s history of the USA, Harper Perennial Modern Classics, p.173-177.
La commission Viens: https://www.bibliotheque.assnat.qc.ca/DepotNumerique_v2/AffichageFichier…
La commission Keable: https://www.bibliotheque.assnat.qc.ca/DepotNumerique_v2/AffichageFichier…

Transcription

La police et les prisons sont des institutions violentes et racistes, issues d’un héritage colonial qui ne servent qu’à reproduire les injustices du système capitaliste. Tous les jours, même quand c’est la soi-disant paix sociale, la police violente, harcèle et incarcère les personnes les plus démunies et les plus opprimées. Et quand elles se soulèvent, c’est encore la police et la prison.

Le problème, ce n’est pas seulement les dérapes violentes de la police, mais l’institution policière elle-même, qui constitue une forme de violence tout comme les tribunaux, les lois et les prisons. Peut-on vraiment parler de pommes pourries quand l’institution entière existe pour réprimer et opprimer?  Le verger au complet, c’est une série de podcast sous forme d’entrevues touchant à différents thèmes liés à la police, aux prisons et à la justice, mise sur pied par la CLAC, la Convergence des luttes anticapitalistes, un groupe basé à Tiohtià:ke/Montreal, en terres Autochtones non-cédées habitées entre-autres par la nation Kanienkeha:ka. Nous vous proposons une analyse critique qui s’oppose à la vision libérale préférant cibler les pommes pourries dans le panier plutôt que de s’attaquer aux systèmes d’oppression. Ne leur laissons pas cette chance: On ne réforme pas un système aux fondations pourries, on les démolit! Attaquons-nous au verger au complet!

Derrière l’idée de ce podcast, il y a une volonté de partager les connaissances, les expériences et les imaginaires radicaux, afin de mieux comprendre qui sont et comment fonctionnent nos ennemis. Il peut être difficile d’y voir clair à travers la supposée neutralité du système juridique et les discours de légitimation de la police. Comment faire la part entre bavures individuelles et discriminations institutionnalisées? Qu’est ce qui explique la sur-représentation de certains groupes dans les prisons? Comment ces structures nous mettent à mal en prétendant vouloir nous protéger et nous servir? Comment la catégorie de “criminel” est-elle construite? Ne sert-elle pas seulement à nous faire avoir peur les unes et les uns des autres? En quoi le définancement de la police est-il insuffisant et son abolition nécessaire? Comment repenser la justice au sein d’un État qui perpétue le génocide des peuples Autochtones? Quels type de justice alternatives pourraient remplacer les systèmes répressif et punitif actuels? Quelle forme prendraient une justice transformatrice dans une société post-révolutionnaire? Et dans la société actuelle? C’est entre autres ce que nous nous proposons d’explorer au fil de ces épisodes.

Dans cet épisode, on va traiter de l’histoire de la police sur l’île de la Tortue. On va d’abord discuter des fondements de la police comme outils de protection de la propriété privée et comme groupe organisé et rémunéré visant à l’application de règles des autorités établies. On discutera ensuite du développement de forces policières dans l’Amérique colonisée en brossant un portrait de l’histoire de la police au soi-disant Canada, au soi-disant Québec, puis aux soi-disant États-Unis. Tout ça pour mettre en évidence les différentes motivations qui ont amené l’implantation de ces organisations, exposant leur caractère profondément raciste et capitaliste.

Q : À partir d’où tracerais-tu les débuts de la police comme on la connaît?

R : C’est un gros débat académique de savoir à quand date l’apparition de la police. En fait, des forces militaires, des groupes armés, des gardes du corps, des mercenaires ont existé depuis des temps immémoriaux. Pour ce qui est d’une définition de la police moderne, elle comprend différents aspects: 
• une force permanente et salariée,
• ayant un responsabilité 24 heures par jour sur une ville ou un territoire
• et dont le personnel est principalement occupé à l’application des lois et au contrôle
Pour revenir à son origine, les forces policières se renforcent au fur et à mesure de l’implantation du capitalisme. Les premières forces policières organisées telles que nous les concevons de nos jours sont apparues en Angleterre au 18ème siècle. Avec le mouvement d’appropriation des terres et d’expulsion des paysans et paysannes qui a commencé deux siècles plus tôt, phénomène qu’on associe à la naissance du capitalisme moderne, les plus riches propriétaires terriens craignent les soulèvements des paysans et paysannes expropriés. En plus d’enclôturer leurs terres afin d’empêcher l’accès au territoire, d’où le terme “enclosures”, les seigneurs vont utiliser leurs ressources pour former des milices armées et protéger leur propriété. Précisons que depuis l’Antiquité jusqu’à la Renaissance, la royauté et les seigneurs recourent à leurs armées afin de réprimer violemment les révoltes des populations pauvres. Mais c’est avec l’émergence de l’État moderne qu’on voit une démarcation claire entre armée et police, pour la fonction de répression interne de la population.

Q : D’ailleurs, le déplacement vers les villes s’accompagne de plusieurs pratiques disciplinaires qui marquent les populations pauvres dans ce qui sera appelé “le grand enfermement”. Depuis le 15ème siècle, des mesures sont mises en place pour empêcher les gens qui sont capables de travailler de bénéficier de l’assistance sociale. Puis, la chasse aux sorcières s’en prendra aux femmes seules ou sans enfant et forcera plusieurs femmes vers la mise en famille. Le grand renfermement et l’apparition des asiles survenues au 17ème siècle a déplacé les personnes considérés inaptes à travailler dans des institutions. Ensuite, l’apparition des prisons au début du 18ème siècle a écarté une autre grande partie de la population. Par exemple, les nombreuses lois contre les vagabonds visent directement les personnes qui vivent du glanage, c’est-à-dire de la chasse illégale dans les forêts communes ou de la cueillette. De quelle façon la répression interne dont tu parlais a contribué à la stratification socio-économique pendant l’émergence capitalisme moderne?

R : C’est vrai que l’exode forcée des paysans et paysannes sans terres vers les villes causé par les situations que tu as nommées coïncide avec la première vague d’industrialisation et la consolidation de la bourgeoisie en tant que classe dominante. Cette bourgeoisie, propriétaire d’usines, bénéficie alors du travail bon marché des nouveaux et nouvelles citadins et citadines. Les villes deviennent des espaces où se côtoient la richesse la plus extravagante et la pauvreté la plus trash. Avec la création des premiers syndicats ouvriers et des grèves, la classe dirigeante craint une Révolution. C’est essentiellement pour contrôler ces nouveaux foyers de luttes, organisées ou non, que le premier corps policier moderne a été créée à Londres en 1829. À noter que cette réforme à été mise en place par le conservateur Robert Peel, qui, en passant, possède une rue à son nom à soi-disant Montréal. En fait, la plupart des services de police en occident sont créés en parallèle à des mouvements de grèves dans les usines. Supposément pour prévenir les émeutes, la police réprime les réunions syndicales, emprisonne les leaders syndicaux et utilise la violence pour écraser les manifestations. Lorsqu’elle n’est pas utilisée pour le contrôle des foules, on la charge de patrouiller les quartiers pauvres et d’assurer la tranquillité des quartiers riches. Derrière la création des forces policières se trouve l’idée qu’en contrôlant les soi-disantes “classes dangereuses”, on diminuera les crimes. Voilà qui résume la double fonction de la police moderne: d’une part, la surveillance et l’intimidation au nom de la lutte à la criminalité et, d’autre part, la répression et le contrôle des grèves, émeutes et grandes manifestations.

Q : Fait intéressant: Les marchants riches engagent depuis longtemps des brutes ou des mercenaires pour protéger leur biens contre d’éventuels voleurs, mais avec la prise de contrôle graduelle des pouvoirs étatiques par la bourgeoisie, ils utilisent la création de services de police comme une manière de financer publiquement cette protection. Ils évitent donc d’avoir à payer eux-mêmes des agents de sécurité privés et renvoient les coûts à la société toute entière. Bref, la police moderne remplace la milice privée et le mercenariat, mais sa fonction première reste la même: protéger la propriété des mieux nantis et le système politique qui les avantage.

R : Et en prime, ce sont maintenant les opprimés qui paient!

Q : Donc là, on a parlé surtout du rôle de la police dans le contrôle des classes sociales chez ses propres citoyennes et citoyens. Maintenant, peux-tu parler du rôle de la police chez les peuples colonisés du soi-disant Canada?

R : Évidemment, la création de la Confédération canadienne en 1867 n’a pas mis un frein aux politiques colonialistes qui prévalaient à l’époque. Au contraire, tout au long de son histoire et jusqu’à aujourd’hui, le Canada reste un État colonial et ses forces policières sont utilisées pour imposer ses décisions politiques au détriment des populations autochtones. Malgré le mythe tenace selon lequel la Canada est un pays moins violent, aux méthodes plus humaines que son voisin du sud, l’histoire de la police, particulièrement la GRC, mais aussi la SQ au Québec, nous démontre que sous son masque bienveillant le Canada n’a rien a envier aux violences et à la barbarie des autres États coloniaux. Le Canada reste le territoire d’une compagnie, la compagnie de la baie d’Hudson, transformé en pays.

C’est à partir d’une force militaire formée expressément pour mater les rébellions Métis que la Police montée du Nord-Ouest, l’ancêtre de la GRC, va voir le jour au nord de l’actuel soi-disant Manitoba. Un convoi militaire d’un millier de soldats  est envoyé pour réprimer la Rébellion de la Rivière Rouge, à laquelle participent Louis Riel et ses alliées.Puis, il est établi comme force permanente sur ce territoire pour être finalement transformé en Police Montée en 1873. L’organisation participe à l’écrasement de nombreuses révoltes autochtones et Métis tout au long du 19e siècle. C’est après la grève insurrectionnelle de Winnipeg en 1919, que la Police montée du Nord-Ouest devient officiellement la Gendarmerie royale du Canada.

Q : C’est pas surprenant quand on voit ce qu’elle fait aujourd’hui.

R : En effet, le rôle de la GRC c’est d’être le bras armée dans la continuité des politiques colonialistes canadiennes. L’État se doit d’avoir plein contrôle sur l’ensemble du territoire qu’il définit comme “le sien”. Les souverainetés autochtones sont tolérées dans la mesures où elles n’entrent pas en contradiction avec les intérêts corporatifs du régime ou des compagnies qu’il protège. La GRC est alors déployée comme une armée d’occupation en territoire ennemi pour faire respecter les lois et les décrets votés par le parlement canadien… ou les projets privés cautionnés par le gouvernement. 

Q : On peut penser à certains projets extractivistes qui ont fait l’objet d’une résistance Autochtone importante dans les dernières années, comme par exemple le pipeline Coastal GasLink, le pipeline TransMountain ou le projet Alton Gas. 

R : Exactement, c’est difficile de dénombrer les projets coloniaux qui nécessitent une répression policière des protectrices et protecteurs du territoire au soi-disant Canada parce c’est simplement une réalité constante et omniprésente de l’occupation Canadienne.

Q : Quand on regarde l’histoire des luttes Autochtones au soi-disant Québec et les disputes territoriales actuelles, on se rend compte que c’est plutôt la Sureté du Québec, la SQ, qui incarne la menace de violence envers les Autochtones qui défendent leur territoire traditionnel. La force de police au soi-disant Québec, ça a débuté comment?

R : On peut remonter au rapport Durham de 1839 qui recommande la ré-implantation d’une police au Bas-Canada. Le rapport dit que la police a toujours été dysfonctionnelle sur le territoire et que ses six agents n’avaient aucun compte à rendre. C’est donc après la rébellion des patriotes que le premier service de police moderne voit le jour au Canada, avec comme objectif explicite de surveiller les activités politiques des populations rebelles. Les services de polices de Montréal et de la ville de Québec sont quant à eux crées en 1843 chacun composés d’une cinquantaine d’hommes. La police provinciale est officialisée par l’Acte de police du Québec en 1870, abolie par les libéraux en 1878 et ré-établie par les conservateurs en 1883. En 1937, le gouvernement ultra-conservateur de Maurice Duplessis réorganise la police provinciale en quatre services distincts: la police judiciaire, la gendarmerie, la police de la route et la police des liqueurs. La même année, la Loi du cadenas a été adoptée. Cette loi mène à des perquisitions et à la fermeture des établissements soupçonnés d’héberger des activités subversives, notamment des journaux communistes de l’époque, mais aussi des activités syndicales. La SQ est née suite à l’implémentation des recommandations du rapport Cannon de 1944, qui, et je cite: « se penche sur le véritable rôle de la Sûreté provinciale, notant que, dans l’opinion publique, la Sûreté était depuis des années critiquée pour l’inefficacité de son travail et le résultat négatif de ses activités ». Il semble déjà y avoir une constante, la police est inefficace.

Q : Effectivement. Puis là, si je comprend bien, l’organisation des différentes forces de police sur le territoire, c’est pas une histoire tout a fait linéaire?

R : Non en effet, et l’importance relative de la SQ en comparaison aux polices locales et municipales va continuer de changer entre l’époque de Duplessis et aujourd’hui. En général, dans les années 70s, et depuis l’implantation de leur centre opérationnel sur la rue Parthenais à Montréal, les policiers vont développer plus de niveaux hiérarchiques, implanter différentes spécialités, et s’équiper de gestionnaires pour encadrer le tout. Depuis 1960, les services de police municipaux tendent de plus en plus à disparaître pour laisser place à la SQ. C’est comme ça qu’entre 1960 et 1980, la SQ est passée de 1500 à 4500 agents, en plus d’ajouter 1000 employés civils. En 1977, la commission Keable sur l’infiltration du FLQ par la police, rapporte que les opérations étaient dépourvues de légitimité et estime que les corps policiers ne sont soumis à aucun contrôle satisfaisant. La même année, la commission Mcdonald blâme sévèrement la GRC pour diverse pratiques illégales (écoute électronique sans mandat, vols, fabrication de faux documents) et ses recommandations mènent à la séparation du service de police fédéral et de sa branche de contre-espionnage, qui devient le Service canadien de renseignement et de sécurité, le SCRS, en 1984.

Q : 1984, bel adon! Après ça, le prochain événement d’importance pour la police provinciale, vous l’aurez deviné, c’est l’intervention de la SQ lors du blocage d’une route par les Mohawks/Kanienkeha:ka de Kanesatake, le 11 juillet 1990. Un assaut manqué qui a coûté la vie à un agent, le caporal Lemay. Au fur et à mesure du déroulement de la crise d’Oka, les propos désobligeants envers les autochtones tenus par le représentant de l’Association des policiers provinciaux du Québec (le syndicat des agents de la SQ) pis les responsable de la SQ eux-mêmes, renforçaient l’image négative de la SQ. Voici un extrait du journal La Presse qui dénonce racisme de la SQ et son manque de nuance dans ses communiqués de presse: 
“Ce communiqué, où l’on n’a même pas la décence de faire la distinction entre les Warriors armés et l’ensemble de la communauté Mohawk, donne l’image d’une police raciste, aux yeux de laquelle tout Mohawk est un criminel en puissance”. 

Un rapport du coroner sera produit à ce moment, le rapport Gilbert, qui montre que la SQ a décidé d’intervenir seule, sans l’autorisation explicite du ministre. Le rapport Gilbert nous dira, ouvrer les guillemets:
“Lorsque l’ordre social et la sécurité publique sont menacés, le problème en est un qui doit être pris en main par le gouvernement et non laissé à la décision isolée de la police.” Fermer les guillemets.

Donc, même si les différentes commissions d’enquête qui se succèdent ont des mandats et des contextes différents, il reste que les services policiers continuent d’agir sans nécessairement devoir répondre à qui que ce soit. Après Oka, de nombreux efforts sont mis en place pour encadrer le corps de police provincial et le rendre plus transparent aux yeux du public. Mais malgré les efforts pour camoufler leurs bavures et leur incompétence, les rapports qui suivent continuent de pointer les mêmes problématiques.

R : Oui et c’est pas tout, avec l’obligation de toutes les municipalités du Québec de plus de 5000 habitant-e-s d’avoir un service de police, mise en place depuis 1992, plusieurs petites villes et communautés rurales ont eu à transférer leurs activités à la SQ. C’est le cas par exemple du service de police de Joliette, qui est passé au contrôle de la SQ en 2008, de celui de Val-d’Or en 2002 et tout récemment, celui de Mont-Tremblant. C’est le cadre qui va mener à la commission Viens sur les relations entre les communautés autochtones et certains services publics, dont la SQ de Val-d’Or, suite aux témoignages d’une dizaine de femmes autochtones rapportant des abus physiques et sexuels, de la négligence et du mépris entre 2002 et 2015. Ce rapport nous dit aussi que, et je cite:
“Entre le 1er janvier 2012 et le 31 août 2017, 4 270 constats d’infractions ont été remis à Val-d’Or. 75,1% de ces personnes étaient d’origine autochtone”.
Les motifs de ces interventions, selon la police sont les nombreuses infractions à la réglementation municipale, dont flâner, se trouver en état d’ébriété dans un endroit public ou troubler la paix. Encore une fois, les policiers, responsables de l’ordre public, agissent en fonction de priorités qu’ils définissent eux-mêmes. Ce sont les mêmes reproches que dans le rapport sur la crise d’Oka. La soi-disante transparence n’a aucunement augmenté et le racisme n’a pas été remis en cause. C’est presque grotesque que malgré plusieurs rapports pointant les mêmes violences et les mêmes lacunes, rien ne change réellement sur le terrain et l’histoire semble se répéter sans cesse.

Q : On parle de rapports et de commissions d’enquête, pourtant la seul tendance qu’on semble constater chez la SQ ou le SPVM, c’est l’accroissement de leur budget et de leur capacité technologique, mais leur rôle et leur façon d’agir restent sensiblement les mêmes. Peut-être qu’on peut essayer de synthétiser tout ça; j’aimerais que tu parles justement de la façon dont l’État présente la police à la population.

R : On s’entend, depuis trois quart de siècle, la police est inefficace, contre-productive et agit en cavalier seul. Même si les rapports des commissions présentent une relation houleuse entre l’État et sa police, on doit se demander: est-ce vraiment le cas? Une institution dysfonctionnelle, qui est rabrouée tout les 10 ans sans jamais rien changer me semble un signe indéniable que: son rôle informel est en fait son rôle formel. Sur papier, l’État a les compétences pour “faire le ménage” au sein des corps policiers en termes de transparence et d’imputabilité. Mais le simple fait que rien n’est mis en place depuis toutes ces années souligne très bien qu’on a affaire à plus qu’une pomme pourrie, mais bien un verger au complet, et ce tant du côté de l’État qui profite de la situation que de la police. 

Pensons par exemple à certaines manifestations du 1er mai, en réponses aux assassinats de la police ou au Printemps 2012 et 2015. Comment le ministre de la sécurité publique peut-il tolérer que des centaines de policiers armés attaquent violemment des manifestantes et manifestants à proximité de zones résidentielles? En fait, il y a deux hypothèses. La première c’est que la classe politique ne veut pas savoir les détails, pour éviter d’être tenue responsable. La seconde, plus plausible, est que ses ordres proviennent directement des éluEs, mais que ces ententes sont gardés secrètes. Dans un cas comme dans l’autre, la responsabilité des agissements de la police n’est pas assumée par les pouvoirs politiques, mais tout de même supportée tacitement. La répression, la violence et les agressions envers les plus vulnérables, qui sont au centre des agissements que la police, aurait pu diminuer en implantant les mesures d’un rapport ou d’un autre, si la volonté du gouvernement existait. Mais l’État se soucie peu de l’application des mesures, sinon que des apparences qui facilitent son acceptation sociale. La police provinciale a été mise en place à la suite de soulèvement populaires et contribue au maintient du colonialisme, du racisme et du capitalisme. C’est son rôle officieux, parfois exposé, mais jamais sanctionné. On est loin d’une quelconque garantie de justice ou d’impartialité qui garantirait le respect de la loi, comme on aime nous le dire. 

C : En d’autres mots, les services de police ne sont que les chiens de garde de l’État, jamais dociles, jamais contrôlables, même si l’État s’achète une bonne conscience et tente d’embellir son image en les critiquant de temps à autre.

Q : Pour mieux comprendre les manifestations contre la police et le mouvement Black Lives Matter aux États-Unis, peux-tu nous parler des origines de leur police?

R : La police aux États-Unis est une continuité de l’esclavagisme. Selon Howard Zinn, au 19e siècle, comme les populations esclaves américaines étaient moins nombreuses et moins denses que dans les Caraïbes, l’évasion était plus réaliste que l’insurrection armée. Les propriétaires d’esclaves mettent alors sur pied des dispositifs pour surveiller les esclaves sur leurs terres, les overseers, mais également pour retrouver les esclaves en fuite, les slave patrols, les patrouilles d’esclaves. Ces patrouilleurs agissent avec une cruauté inqualifiable envers les esclaves récalcitrantes et récalcitrants, allant jusqu’à la torture et l’assassinat légalisé. Ils utilisent des chiens de chasse pour traquer les personnes fugitives et les mutiler. Les peines pour les personnes blanches aidant des esclaves à s’enfuir sont aussi rehaussées avec le Fugitive Slave Act de 1850, qui sera appliqué dans les États du Nord, où l’esclavage est pourtant interdit. C’est entre autre aussi dans le but de décourager la solidarité de classe entre personnes noires et personnes blanches que les autorités du Sud, comme du Nord, mettent en place une ségrégation raciale de plus en plus stricte. Les overseers, engagés pour réprimer les esclaves, sont souvent des immigrants irlandais eux-mêmes très pauvres, ce qui accentue la division raciale au profit de l’élite propriétaire.

Les slave patrols servent une autre fonction, essentiellement contre-insurectionnelle: leur présence et leur méthodes brutales agissent de manière préventive, qu’on pourrait qualifier de terroriste, pour décourager tout soulèvement de la part de populations noires.

Q : Et après la guerre civile?

R : Après la Guerre Civile et l’abolition de l’esclavage, la tradition esclavagiste se poursuit dans les États du Sud. Les esclaves nouvellement libérés demeurent liés à leurs anciens maîtres à travers des dettes ou des conditions de vie misérables pour les rendre dépendantes et dépendants du nouveau système économique importé du Nord. Mais pour pouvoir exploiter leur force de travail dans les usines, il faut les autoriser à circuler librement, au grand regret de la population blanche, qui vit dans la peur constante d’une insurrection. C’est devant cette menace perçue que sont créée les premières polices modernes dans les villes. Dans certains cas, les soulèvements populaires appréhendés se sont bel et bien produits. Au Nord, entre 1801 et 1832, les noirs de New-York, par exemple, ont déclenché pas moins de quatre émeutes pour tenter d’empêcher les esclaves affranchis d’être renvoyés à leurs anciens maîtres. Ces efforts ont généralement échoué: la garde a répondu violemment et les participantes et participants ont reçu des peines particulièrement sévères. Mais malgré la désapprobation de l’élite et la répression, les classes populaires ont continué de se révolter, parfois même en transgressant les barrières raciales. 

Q : Donc gros spoiler, l’abolition de l’esclavage, c’est plutôt une transformation des mécanismes d’exploitation, c’est bien ça?

R : Exact, comme je disais, après la guerre, plusieurs états du Sud créent de nouveaux codes de lois qui reproduisent leurs lois esclavagistes, et qui régissent les déplacements et à peu près toutes les sphères de la vie des esclaves libérés. On les appelle les Black Codes ou Black Laws. Par exemple, selon les vagrancy laws, qu’on pourrait traduire comme lois sur le vagabondage, on retrouve l’obligation de trouver un travail, sans quoi on peut se faire arrêter et emprisonner pour n’avoir que marché dehors sans preuve d’avoir un travail. Ça donne le pouvoir aux employeurs et ça fait que les gens sont obligés de prendre n’importe quelle job de marde. C’est carrément de l’esclavage à peine salarié.

Q : Donc l’esclavage est soi-disant aboli… mais le fait d’exister sans travailler est criminalisé. Puis en prison, c’est le travail forcé!

R : Oui, et même si les overseers et les slaves patrols sont abolies, dans les faits, les forces policières qui les remplacent vont en conserver plusieurs éléments, dont faire respecter les couvres-feu, la surveillance des quartiers et, bien sûr, un racisme insidieux. Dès sa naissance, par exemple, le Ku Klux Klan jouit d’une immunité face à ses crimes, alors que les prisons que l’on bâtit par centaines au pays se remplissent majoritairement de détenus noirs. Ce n’est pas surprenant quand on sait que les membres du Klan sont souvent eux-mêmes des policiers ou des sheriffs. Avec une telle histoire, on comprend mieux pourquoi le profilage racial est autant enraciné dans les structures policières actuelles; c’est l’essence même de sa fondation. Aux États-Unis comme au Canada, les personnes Noires et Autochtones sont sur-représentées dans les prisons, et le racisme des services de police, qui se combine avec celui des systèmes de justices contribue fortement à cette situation. En ce moment, aux États-Unis, 40% des personnes incarcérées, tous niveaux confondus, sont Noires, alors qu’elles représentent 13% de la population. Il y a des États, comme la Louisianne et l’Oklahoma, où plus d’un pourcent de la population est actuellement incarcérée.

C : Des pendaisons publiques aux détachements militaires dans les villages, les démonstrations publiques de cruauté ont toujours visé a susciter la peur chez celleux dont l’existence est jugée un affront. Il faudrait qu’on accepte l’ordre social et qu’on abandonne notre pouvoir collectif à un vote aux quatre ans…

Tant qu’un segment de la population exercera un pouvoir disproportionné sur le reste d’entre-nous et sur les ressources dont on a besoin pour survivre, la police existera pour réguler, discipliner et maintenir ce contrôle. La violence policière n’est pas un accident – c’est une menace quotidienne – qui ne peut être séparée du contexte socio-politique dans lequel elle existe. Les mesures d’austérité s’accroissent, les mécanismes d’exploitation néocoloniale se modernisent, et les technologies de surveillance se normalisent dans nos quartiers en gentrification.

Dans le prochain épisode, on interview une militante du Collectif Opposé à la Brutalité Policière (le COBP) pour une discussion introductive sur l’abolition de la police. Ce sera l’ occasion d’explorer et d’avoir des réponses aux questions fréquemment posées sur la transition vers un monde sans police et de repenser sur quoi est basé notre sentiment de sécurité.

D’ailleurs, on en profite pour vous inviter à la 25e Manifestation Internationale contre la brutalité policière du 15 mars, organisée par le COBP. Restez à l’affût pour les détails.

Vlad partout: Que le feu se propage

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Fév 222021
 

Soumission anonyme à MTL Contre-info

“Allumons des feux guérisseurs pour nos morts. Mettons le feu à l’autorité et la domination pour qu’elles brulent avec autant d’éclat que le coeur immense de notre ami. Ne pardonnons jamais à ce monde qui nous l’a pris, et n’oublions jamais les façons dont il nous a touchés. Ai Ferri Corti.”
– Une carte distribuée aux funérailles de notre complice Vlad

Vlad aurait eu 26 ans aujourd’hui s’il était toujours avec nous. Pour ceux qui n’ont pas eu la chance de l’avoir connu, sache qu’il était fucking solide.

Dans un effort pour attiser les flames des ses contributions à nos luttes partagées, nous aimerions nous recentrer sur un texte que nous savons l’avoir profondément inspiré, initialement publié dans Avalanche: un journal de correspondance anarchiste.

Je coupe à travers le temps comme si avec un couteau. Nous trainons dans un parc, en regardant nos ami.e.s jouer au basketball. Vlad nous explique, intensément, l’impacte que ce texte de la Suède a eu sur lui, il joue avec ses pantalons, entre deux bouffés de cigarette. Son seul sourire en coin est nécessaire pour nous communiquer son importance dans notre contexte actuel.

Au fil des ans, nous vous invitons à contribuer à une tradition de mémoire combative – un cadeau de rébellion et de refus du tout les 22 février, pour vous-même et pour Vlad. Sans tomber dans le piège autoritaire des martyrs, nous pouvons amener la mémoire de nos morts à notre présent à travers l’attaque.

Tu es à nos côtés à chaque action contre l’autorité, mon ami.

Que le feu se propage

Septembre 2016 – Suède

Que le feu se propage est un texte écrit dans des circonstances importantes, concernant les troubles sociaux de la fin d’été au début de l’automne en Suède et au Danemark cette année (2016). Nous, les auteurs, sommes des compagnons ayant grandi et vécu la majeure partie de notre vie dans différents pays scandinaves mais nous n’étions pas présents là-bas quand les évènements sont survenus. Comme il a été montré dans le texte Tension sociale et intervention anarchiste en Suède paru dans Avalanche numéro 2, les tensions sociales en Scandinavie et surtout en Suède n’ont rien de nouveau. Et malheureusement, le manque d’initiative et même de capacité à analyser et à imaginer autre chose de nouveau chez de nombreux compagnons dans les pays nordiques n’a rien de nouveau non plus. Lorsque les incendies ont commencé à se propager une fois de plus dans les villes et les quartiers et même les pays, nous étions tous d’accord pour ne pas laisser passer ça sans la moindre tentative d’intervention anarchiste. Cette fois, la méthode d’attaque la plus couramment utilisée par les individus rebelles était d’embraser des voitures, ce qui en comparaison avec les émeutes et les attaques collectives des années précédentes est quelque chose de très facilement reproductible pour un petit groupe voire même pour un individu, ce qui offrait en soi une bonne opportunité pour réintroduire d’autres conditions et perspectives mais surtout l’imagination d’une autre manière de lutter que celle qui prédomine actuellement. La manière prédominante étant très humble et fort respectueuse de la société ; rude et intransigeante seulement lorsqu’elle est ratifiée par l’État. En définitive, mis à part une analyse lacunaire et une proposition, ce texte constitue une tentative pour répandre une autre imagination et d’autres idées – sur ce que ça signifie de combattre les autorités, de combattre cette société – qui dans leur absence flagrante ont conduit les compagnons dans un repli défaitiste ces dernières années. Nous avons décidé de traduire le texte original suédois et danois vers le Français, d’une part pour faire savoir aux compagnons internationaux que ce que UpprorsBladet a écrit en 2014 est une réalité toujours en cours en Scandinavie et d’autre part pour soumettre nos idées et nos manières d’intervenir au débat et à la critique d’autres compagnons proches de nos idées. À l’heure où s’écrit cette introduction, au début novembre 2016, le texte a été largement diffusé – de main en main aussi bien que par internet – mais avec l’arrivée de vents et de neiges plus froids, cette vague d’agitation sociale doit être considérée comme terminée ou du moins calmée. Toutefois, nous espérons que notre texte puisse susciter un autre état d’esprit et d’autres discussions pour la prochaine vague à venir.

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Que le feu se propage – une analyse des incendies de voitures ces derniers mois en Suède et au Danemark et une proposition d’intervention

Ces derniers mois, quelque chose qui appartient à la vie quotidienne des banlieues suédoises s’est répandue comme une mauvaise herbe dans le jardin de la paix sociale et a pris la forme d’une révolte anonyme et apolitique. Le simple geste de mettre le feu à une voiture s’est laissé reproduire, précisément pour sa simplicité, dans des petites villes comme dans des plus grandes, des deux côtés du Öresund, dans des zones isolées au-tant que dans celles plus centrales, riches et bien intégrées. De tout : depuis des incidents isolés jusqu’à (ce qui a semblé être) des actions coordonnées dans toute la ville. De la part de la société, la réponse est venue de la police, des pompiers, des médias, des politiciens et autres experts inconnus, qui ont fait des déclarations et promis ou proposé une sérieuse quantité d’actions ; des actions qui ne servent pas seulement à mettre un terme aux incendies de voiture mais qui intensifient plus généralement la répression à l’encontre de ceux qui ne veulent pas se mettre au pas. Avec ce texte, nous aspirons à produire une modeste analyse, suivie d’une proposition plus résolue en vue d’une intervention dans ce conflit entre des individus anonymes et la société. Une intervention anarchiste sans aucune place pour la politique ou la négociation. De notre point de vue, tout ce que nous avons à perdre est le confort qui nous retient de brûler la première voiture.

La chronologie et le problème des médias

Il était difficile de se tenir au courant des évènements lorsqu’ils ont pris de l’ampleur. Dès qu’on essayait d’assembler une chronologie pour une meilleure vue d’ensemble, de nouveaux évènements s’étaient déroulés – du côté de la société comme du côté de ses antagonistes. Pour nous, il est clair que la meilleure source d’informations que nous avons et avons eu sont les comptes rendus des médias officiels, puisque les autres moyens de communication ont manqué. Donc avec les mots de certains compagnons en tête : « Les millions de mots et d’images qui remplissent les images et les papiers (toilette) ne sont pas un écho ni un reflet de la réalité, ils constituent une partie intégrante de la création de cette réalité, ils imposent des moeurs, des règles et des logiques qui permettent l’existence de l’État. » [1] ce n’est pas sans autocritique que nous utilisons cette information. Cette information a évidemment déjà été bien utile pour les politiciens et les bons citoyens, comme l’explique la citation ci-dessus. Donc même si elle sert nos ennemis, nous utiliserons cette informations avec l’intention de renverser ceux qui l’ont créée. Nous ne savons pas ce qui s’est passé dans la sphère des médias sociaux mais prenez pour acquis que ces soi-disant outils n’ont pas été employés pour analyser et propager ces actions avec l’intention d’étendre la situation en révolte sociale. Même si les médias avaient uniquement fait un battage publicitaire et du sensationnalisme autour de ces évènements, ce qui arrive prétendument tout le temps avec la même intensité [2], ça ne change rien au fait que ces actions – les incendies de voitures comme les nombreuses attaques contre les flics et autres uniformes – en elles-mêmes portent avec elles la révolte et la possibilité d’une révolte sociale. Il est donc difficile de faire la distinction entre ce qui provient de cette escalade spécifique et ce qui provient d’une tension sociale plus large et constante. On ne veut pas détourner ni trahir les actions de différents individus juste pour confirmer nos idées ; pour projeter notre désir d’une révolte étendue sur des individus et des actes qui ont leurs propres raisons, significations et volontés. C’est pourquoi, même s’il est difficile de ne pas tenir compte des évènements comme les attaques organisées contre des flics et d’autres officiels à Kronogården, Trollhättan, ou ceux qui ont eu lieux à Södertälje ou Örebro, on va s’en tenir aux incendies de voiture. En partie à cause de leur extension urbaine durant les derniers mois et en partie parce qu’ils impliquent une méthode très simple et reproductible pour attaquer la normalité. Durant les deux premières semaines d’août, les sites d’informations et les magazines étaient remplis de gros titres du genre : « 16 voitures ont étés incendiées en 5 heures », « Le Ministre de la Justice en a ‘sacrément marre’ des hooligans », « 20 voitures sont parties en fumées la nuit dernière », « Le gouvernement appelle à des peines plus lourdes pour les incendiaires de voitures », suivi par une redite quotidienne : « Davantage d’incendies de voiture la nuit dernière ». En lien avec ça, des experts en sociologuies, des pompiers, des flics et des gens dont la voiture avait brûlé ont été interviewés. Désespérés, les flics ont promis et ont effectivement intensifié leur présence dans les quartiers touchés – sans grands succès. À Ronneby cependant, les flics ont été un peu plus réalistes puisque l’inspecteur de police en service a fait la déclaration suivante : « Nous sommes à court d’officiers pour le moment, c’est la période des vacances et tout, donc je ne peux pas promettre de patrouilles supplémentaires dans la zone » en réaction à des voitures incendiées trois soirs de suite dans la petite ville. En réponse à ça, la municipalité a décidé d’engager des agents de sécurité pour patrouiller dans les rues à la place. Entre le 1er juillet et le 17 août cette année, les pompiers dans chaque ville ont signalé 134 incendies de voitures à Stockholm, 108 à Malmö et 43 à Göteborg. Pendant toute l’année 2016, jusqu’à la mi-août, 154 cas d’incendies de voitures ont été signalés rien qu’à Malmö, où dans de nombreux cas le signalement concernait plus d’un véhicule. Durant la première semaine d’août, il a été estimé que les incendies ont ravagés sept voitures par nuit dans la zone urbaine de Malmö. Le premier week-end d’août, une voiture de flic a été enflammée alors que la patrouille intervenait pour du tapage signalé dans un appartement. Avec Malmö pour épicentre, d’après la couverture médiatique, les incendies de voitures se sont propagés à plusieurs autres villes. Dans la nuit du 16 au 17 août, un incendie de voiture à Norrköping a entraîné la destruction complète de douze voitures et au moins sept autres ont été endommagées. Pendant ce temps-là, il y avait des signalements ininterrompus de voitures en feu dans de plus petites villes comme la susmentionnée Ronneby, mais aussi à Skara, Varberg et Borås ainsi que dans de plus grandes villes comme Stockholm, Linköping, Göteborg, Västerås et Södertälje. À la mi-août, les incendies de voiture se sont propagés au Danemark, où les voitures ont brûlé plusieurs nuits de suite. Dans la nuit du 20 août, dix voitures sont parties en fumée. Depuis ce moment-là, ça a continué avec plus ou moins d’intensité, dans différentes zones de la capitale danoise comme Christianshavn, Amager, Nørrebro, Valby et Vestegnen. Aux dires des médias, au moins 50 voitures ont été enflammées dans la région de Copenhaguen entre la mi-août et la mi-septembre. Les flics n’ont pas caché leur suspicion, redoutant que les incendies aient pu être inspirés par la situation en Suède et ont immédiatement lancé des investigations pour attraper les agitateurs et calmer la situation. Ils ont lancé des appels à témoin dans les médias et les flics ont passé en revue une quantité considérable de matériel vidéo issus des caméras CCTV de surveillance dans les zones touchées. Des photos et une description d’un suspect ont été rendues public et sur base de plusieurs tuyaux anonymes une personne a été arrêtée et emprisonnée le 24 août, soupçonnée d’avoir brûlé dix voitures et d’avoir tenté d’en brûler 23 autres. Ceci, cependant, n’a pas arrêté les incendies, qui ont continués dans différents endroits autour de la ville. De même, les sales aspirants-flics, les SSP (une coopération entre l’école, les services sociaux et les flics qui vise à surveiller et empêcher les enfants de commettre des crimes) ont intensifié leurs activités et renforcé leur nombre dans les rues de certains quartiers, afin d’éviter que la jeunesse ne soit mal inspirée par les incendies. Chaque nuit lors de la première semaine d’août, les flics de Malmö ont déployé un hélicoptère dans la chasse contre les incendiaires de voitures. Le 11 août, évidemment pas pour la première fois, l’hélicoptère a été visé par un rayon laser vert, ce qui a mené à l’arrestation de deux jeunes plus tard dans la nuit. Les flics les ont interrogés, dans l’espoir d’établir un lien avec les voitures brûlées mais les deux détenus ont été relâchés le matin suivant en laissant apparemment les flics sans aucunes pistes. Le 15 août, selon la presse, une personne de 21 ans a été arrêtée à un contrôle routier à Rosengård. Les flics ont prétendu que la voiture était remplie de bidons d’essence et d’un marteau brise-vitres. La personne a été relâchée le 18 août, étant donné qu’il n’y avait aucune base juridique pour son incarcération mais la suspicion demeurait. Le même jour, les flics ont présenté une nouvelle mesure à prendre dans leur lutte contre les incendies de voitures. Pour la première fois en Suède, des drones seraient utilisés par les flics, principalement pour traquer les incendiaires. Les drones vont guider les patrouilles renforcées à moto et les officiers en civil au sol. La proposition est venue de la NOA, les flics de la National Operative Unit, qui va aussi la mettre à exécution. Les équipements seront fournis par la SAAB (une compagnie dont la production pour les marchés militaires trouvera très probablement des usages dans le « civil », autres que juste les seuls drones pour chasser les incendiaires de voitures).

La réponse de la société

Pour mieux comprendre la situation dans son ensemble mais aussi pour voir où l’on peut trouver les possibilités d’étendre ces actes de révolte vers l’insurrection, nous voulons nous pencher sur le cirque que la société a lancé en réaction à ces troubles. De prime abord, c’est intéressant de voir comment les incendies de voitures continuent en silence, pendant que les médias, les politiciens, les flics, les experts de toutes sortes et les citoyens actifs rivalisent pour être le plus bruyant et condamner le plus sévèrement ces évènements. Dans le silence, les actions parlent pour elle-mêmes et si elles étaient laissées dans leur silence, tout ce qu’on entendrait serait le crépitement du feu, pas plus d’explication ne serait nécessaire. Mais le silence est dangereux et troublant pour l’ordre en place. Le meilleur remède contre le silence est bien sûr de faire du bruit, de parler et de distraire, de prendre en main le pouvoir de définition. En Suède ils ont parlé de problèmes d’intégration et de vandalisme, alors qu’au Danemark ils ont parlé initialement de pyromanie, autrement dit les incendies de voitures ont été considérés comme une maladie. Une hypothèse vite écartée lorsque le « suspect pyromane » a été détenu et alors que les voitures brûlées ont continué à se répandre. La discussion s’est ensuite orientée dans une direction plus semblable à celle de la Suède, avec l’attention portée sur les jeunes. Dans le premier cas, l’acte (d’incendier une voiture) est isolé et dit limité à la jeunesse pauvre issue de l’immigration, ce qui rend la tâche plus difficile à ceux qui ne rentrent pas dans ces catégories de s’identifier avec ces actions. Dans l’autre cas, l’acte est mis au rang des pathologies. Par exemple, si tu t’identifies avec ces actions, tu devrais t’estimer malade, un pyromane ; ce qui, avec le pouvoir de la honte sociale, provoque une distanciation chez la plupart des gens. Les mêmes actions, le même silence, confrontés à beaucoup de bruit de la part de la société. En Suède ces discussions ont eu le temps de se développer davantage qu’au Danemark et les politiciens au pouvoir ont proposé des peines plus dures, non seulement pour les incendiaires de voitures mais aussi pour faire d’une pierre deux coups contre l’ensemble de la catégorie sociale des jeunes. La proposition signifierait, une fois appliquée, que des tribunaux spéciaux seraient instaurés, que le port du bracelet électronique pourrait être imposé à des mineurs d’âge et que la surveillance liée aux mesures probatoires à l’encontre des jeunes seraient intensifiée. L’opposition politique appelle à augmenter les effectifs policiers et à retourner à l’ancienne organisation policière, récemment modifiée. Des sociologues mettent en garde contre les conséquences négatives de peines plus lourdes et proposent plutôt de renforcer la présence policière dans les rues, puisque c’était la prétendue raison de la désescalade lors d’une situation semblable en Suède il y a quelque dix ans. Tournoyant autour des carcasses pourries de ces discussions, ce sont les vautours silencieux. Eux qui avec leurs business profitent de l’incendie de voiture et avant tout du cirque sociétal qui l’entoure. Les drones de la SAAB ont déjà été mentionnés mais il y a aussi les compagnies d’assurance et de sécurité. Dans plusieurs articles de la Swedish Radio par exemple, ils informent le public que l’« assurance trafic » n’est pas suffisante pour couvrir les frais d’un incendie de voiture et que la voiture doit être au moins « assurée de moitié » pour couvrir les dommages. Il ne faut pas avoir étudié dans une école de commerce pour comprendre la valeur économique pour les compagnies d’assurance, dans un article aussi bien intentionné et informatif. Surtout lorsqu’il est suivi d’articles dans lesquels les porte-paroles de compagnies d’assurance rassurent sur le fait que l’assurance pour les personnes habitant les quartiers touchés ne seront pas plus élevés ni même différent que dans les quartiers moins affectés. À certains endroits comme Ronneby, où les flics ont laissé leur uniforme au placard et se détendent autre part, la municipalité a décidé d’engager une compagnie de sécurité afin d’avoir des agents de sécurité pour patrouiller les rues à la place.

En lien avec les émeutes ou les actions de masse comme celles d’Örebro et de Södertälj

Dans deux banlieues de Södertälj, deux nuits de suite, des jeunes ont construit des barricades enflammées et attaqués des bus pour attirer les flics chez eux. Quand les flics sont arrivés, ils les ont attaqué avec des pierres et des feux d’artifice. Une nuit, une pierre a brisée le pare-brise d’une voiture de police, envoyant un flics à l’hôpital avec un oeil abîmé. Dans le quartier d’Örebro, un nombre plus important d’individus masqués se sont rassemblés et mis en mouvement dans la zone. En mettant une laverie en feu, également pour attirer les flics, et puis en les accueillant avec des cocktails molotov, des pierres, des feux d’artifice et des des clubs golf. Des patrouilles de gardes supplémentaires issues de différentes compagnies sont appelées comme fantassins aux côtés de la cavalerie policière. Des compagnies de sécurité qui, au cours des dernières années de soi-disant « crise des réfugiés », ont connu une nouvelle ère d’abondance pour leur business. Des compagnies qui, enrichies par leur expérience de passage à tabac des personnes de couleur, continuent volontiers leur affaires – les flics ont remplacé le Département de la Migration en tant que force d’intervention, et les incendiaires de voiture ont remplacé les réfugiés en tant que cibles mouvantes. Ces vautours restent des vautours, aussi longtemps qu’ils peuvent travailler sans être perturbés, aussi longtemps qu’ils peuvent garder une distance entre eux et le coeur des évènements. Comme dans un écosystème, ils jouent un rôle important dans le maintient du système social et contribuent à étouffer la révolte qui menace. Dans la paix sociale, chaque rupture signifie une possibilité pour la révolte et l’insurrection ; la rupture en elle-même est souvent un acte conscient de rébellion, aussi limité soit-il à un unique individu et une unique situation. La rupture découvre les conflits qui autrement seraient recouverts par la paix sociale. Ce que nous choisissons d’avaler dans notre vie de tous les jours, en terme de soumission, est recraché et toutes les paroles qui disent qu’on vit dans le « moins mauvais des mondes », que « c’est comme ça, c’est tout ! », s’étiolent face à l’évident mécontentement de vivre la vie qu’on nous impose dans cette société. Une voiture cramée pourrait ne pas donner l’impression d’être le signal de départ pour une révolte sociale mais en même temps c’est exactement ce que ça pourrait être. Ce que ça pourrait devenir. Ça pourrait tout aussi bien être une attaque d’individus isolés contre la paix sociale, contre l’ordre social, puisque ça pourrait être le sabotage de la fonction d’un autre individu dans le maintient du même ordre. Nous voyons ceci comme des facteurs, indépendamment du fait qu’ils viennent avec une intention et un désir de révolte ou qu’ils adviennent par ennui, pour de l’argent ou pour une vengeance personnelle. La paix sociale, dans laquelle l’État revendique le droit exclusif de la médiation et du contrôle sur la population, est bel et bien attaquée lorsqu’une voiture est incendiée, avec ou sans l’intention des assaillant de renverser la société. Dans la normalité que nous sommes tous tenus de reproduire, il n’y a (toujours…) pas de place pour les voitures en feu. Encore moins pour les incendies de voiture sans raison claire et compréhensible qui se propagent presque librement sur de grandes distances et dans de nombreuses régions. Lorsqu’ils se propagent comme ça a été le cas durant ces derniers mois, il est impossible, même pour les gens au pouvoir, d’ignorer l’existence d’un conflit social. Au lieu de ça, ce qu’ils essayent de faire est d’isoler le conflit pour le restreindre à un petit groupe seulement de mécontents et d’indomptables – avec lequel la majorité, comme évoqué plus haut, devrait n’avoir rien en commun. Ça devient l’affaire de la police, des politiciens et des sociologues. Jouant son rôle de médiateur, l’État essaye de rendre l’affaire intelligible et gérable. Il essaye d’en faire une affaire et un conflit entre les autorités, avec ses fidèles spécialistes, et un groupe de « jeunes mal intégrés ». Ce qui n’est donc la réalité, à savoir des individus comme toi et moi en conflit avec la vie que nous sommes contraint de supporter dans ces circonstances.

De la révolte anonyme à l’insurrection apolitique

« Le crime est très difficile à investiguer. Nous ne voyons aucun profil et nous n’avons aucun suspect. Nous avons besoins de toute l’aide que nous pouvons avoir » – Lars Forstell, flic à Malmö. Les incendies de voitures qui balayent la Suède et le Danemark ne nous intéressent pas seulement parce qu’ils portent l’étincelle de la rébellion, mais aussi parce qu’ils nous offrent une autre manière de comprendre l’insurrection, parce que leur caractère apolitique nous laisse entendre une tactique différente. Les incendies de voiture sont une attaque incontrôlable contre la société parce qu’ils se répandent à travers tout le territoire que contrôle l’État et sans être focalisés sur une cible symbolique spécifique. Ils sont facile à reproduire partout et tout le temps, alors qu’il est impossible pour la police d’être partout en même temps. Les mouvements politiques ont l’idée fixe de vouloir rassembler un mouvement ou une certaine catégorie d’exploités face à un objectif symbolique dans l’espoir que si suffisamment de personnes sont rassemblées, le pouvoir sera contraint de changer. En réalité, ces méthodes sont faciles à contrôler pour l’État, parce que ce n’est pas si compliqué de rassembler les forces répressives à des endroits spécifiques à une date préétablie. Même des anarchistes qui critiquent vraiment cette perception de la lutte continuent de reproduire cette logique. Pourquoi tant de manifestations contre des cibles symboliques encerclées par la police lourdement équipée ? Pourquoi avoir toujours un temps de retard sur l’État et la police ? Les incendiaires de voitures montrent la voie d’une forme différente de conflit avec l’État. Permanente, incontrôlable, souple et destructrice. Là, c’est la police qui traîne derrière. Bien sûr, des incendies de voitures ne suffiront pas à renverser l’existant. Mais ils ouvrent, dans le contexte scandinave, une nouvelle façon de comprendre l’insurrection et donnent de l’inspiration pour des tactiques différentes dans nos luttes. Ils nous offrent un tremplin que l’on peut utiliser dans notre révolte individuelle pour faire le saut vers l’insurrection sociale, ce qui représente, il faut le dire, plus que tout ce que les mouvements politiques ont créé en Scandinavie depuis très longtemps. En parlant de mouvements politiques, la lutte autour de la maison en partie occupée Rigaer 94 au cours de la moitié de l’année dernière montre comment les incendies de voitures peuvent être employés comme méthode, mais aussi montrer leurs limites, ce qui peut être intéressant de considérer succinctement [3]. Dans la lutte autour de la Rigaer 94 c’était à notre avis le même facteur qui a causé la rapide et intense diffusion qui est aussi devenu la raison pour laquelle le conflit ne s’est pas étendu au-delà de la préoccupation des anarchistes et des autonomes. Ce facteur a limité la lutte à la maison et à la zone locale. En comparaison avec la Scandinavie, l’Allemagne est pleine d’autonomes et d’anarchistes dont beaucoup ont pris part suite à la promesse faite par des compagnons de causer 10 million d’euros de dégâts – certains parce qu’ils s’identifient avec la Rigaer et agissent en solidarité, d’autres parce qu’ils sont en permanence à la recherche de nouveaux évènements auxquels réagir, et en ont trouvé un là-dedans. Ce qui nous amène encore une fois à un conflit opposant un petit groupe d’individus facilement catégorisé (d’anarchistes et d’autonomes) contre l’État, avec le reste de la société en spectateurs et en commentateurs. Le conflit a donc tourné en rond autour d’une cible symbolique, ce qui a donné tout au moins une indication à l’État de l’endroit où envoyer ses forces répressives et lui a rendu la tâche plus facile à gérer et à prédire. La plupart des gens qui pourraient avoir un intérêt dans les incendies de voitures ou autrement dans la révolte contre la société ne voient pas la Rigaer comme un point de référence évident, pas plus que la sous-culture sur laquelle elle repose. Probablement encore moins lorsque les gens commencent à dire qu’ils sont politisés, ou qu’incendier des voitures est un acte politique. Tant que le point de départ sera une chose à laquelle seulement quelques-uns pourront se référer, alors il restera un duel entre ces quelques-uns et l’État.

Cette escalade qui a eu lieue en Suède et au Danemark va probablement s’éteindre à mesure que la répression avance et se durcit. Elle va probablement se rallumer dans quelques mois, ou dans un an ? Et puis s’éteindre à nouveau. À moins d’essayer de l’étendre et de la renforcer avec nos propres actes, idées et aspirations de liberté. Ce n’est ni garanti de réussir ni voué à l’échec. Une chose est sûre, aussi longtemps qu’on restera des spectateurs et des commentateurs passifs, l’existence qu’on méprise si profondément nous sera garantie. Si nous avons des critiques envers la manière dont certains ont agi durant l’escalade des voitures brûlées, alors agissons en accord avec nos idées et montrons de cette façon ce que nous proposons et ce que ça signifie en pratique. Particulièrement si nous souhaitons autre chose de la part des autres rebelles. Une voiture appartenant à un prolétaire a été cramée et ça t’as dérangé ? Qu’est-ce qui te retient d’aller au bureau de SAAB, chez une compagnie de sécurité ou d’assurance ? Si tu penses qu’une voiture de flics était trop peu, veille à ce que davantage partent en fumée. Ce n’est pas par une ténacité passive que nos idées pourront se propager et leurs conséquences se multiplier, mais par l’action et par l’honnêteté cohérente avec nous-mêmes. Si nous voulons réaliser nos idées et nos rêves, alors nous devons les prendre et nous prendre nous-mêmes au sérieux. En interrogeant les traditions de lutte qui ne nous ont pas rapproché de nos rêves, mais plutôt de la société. En cherchant de l’inspiration partout où la révolte s’exprime et pas seulement là où les gens suivent des manuels politiques. Si nous partageons des idées, ça veut dire une hostilité permanente contre cette société. Ça veut dire s’exposer à des situations sociales inconfortables. Ça veut dire des risques. Comme le risque de perdre les privilèges qui te sont accordés par l’ordre que tu affirmes mépriser. Ça veut dire embrasser et être embrassé par l’inconnu et toutes les peurs qui l’accompagnent. Ça veut dire avoir confiance en soi et en ses capacités à rencontrer ce qui nous attend au-delà de la rupture avec la normalité. C’est quoi au juste qui t’a empêché de brûler une voiture ou de dresser des barricades dans les rues et d’attaquer les flics quand ils arrivent ? Peu importe ta réponse, elle n’est pas un obstacle pour trouver ta propre façon d’agir dans ce conflit.

Dans l’Inconnu

Nous voulons la liberté, et de notre point de vue elle est incompatible avec cette société, bon, avec toute société qui prive l’individu de son pouvoir et de son auto-détermination. Ainsi, la destruction de cette société, avec ses mécanismes autoritaires intrinsèques, nous est indispensable pour pouvoir usurper ce que nous voulons. Étant donné que notre point de départ est l’éternel présent – ni acculé dans l’impasse d’un déterminisme marxiste ni consommé par un futur investissement capitaliste de notre énergie et de nos rêves – et que nous voulons vivre l’anarchie maintenant, pas demain ou dans un an, mais maintenant, nos fins sont étroitement entrelacés avec nos actions. En d’autres mots : dans l’anarchie nous ne voulons pas négocier avec des autorités de toutes sortes mais les attaquer et dans le pire des cas nous défendre contre elles. Alors pourquoi négocier avec elles maintenant ? Dans l’anarchie nous ne voulons pas nous organiser en masses et poursuivre les politiques. Alors pourquoi le ferions-nous maintenant ? Particulièrement depuis que l’histoire nous enseigne que ça sert la survie de la société plutôt que les individus en lutte… Nous voulons voir la révolte se propager sans leaders et sans lignes rigides et sclérosantes. Nous voulons propager nos révoltes et les voir devenir une insurrection ensemble avec d’autres individus assoiffés de liberté. Pour, dans la mesure du possible, pouvoir y parvenir, une extension du conflit qui nous attend est clairement nécessaire. Alors, comment une extension consciente de ce conflit peut-elle prendre forme ? Notre but n’est pas de pouvoir compter autant de membres que possible, dans une sorte d’organisation ou de mouvement, ni de mettre en avant quelques demandes en vue d’un changement ou d’être « suffisamment fort » pour pouvoir négocier avec ou pour le pouvoir. Nos objectifs sont, comme il a déjà été dit, aussi faciles qu’ils sont difficiles à réaliser – la liberté par la révolte contre ceux qui nous en privent. Donc ni le succès ni l’extension ne peuvent être mesurés par le nombre de participants à un soulèvement ou si les « gens normaux » sympathisent ou non avec nous, mais par la qualité de nos propres expériences, comment nos vies changent et où elles nous mènent. Si un million de personnes prennent la rue mais ne cherchent en substance qu’un nouveau leadership, un nouveau guide, c’est en tous points une défaite. Mais si au bon moment j’attaque le bon objet, publie le bon texte – où « bon » est un terme relatif, qui peut être soutenu par des analyses claires des situations – ou si je noue de nouvelles relations de camaraderies ou si je rencontre de nouveaux compagnons, de nouveaux complices, et qu’ainsi de nouvelles possibilités s’ouvrent à moi et à d’autres pour prolonger, approfondir, renforcer et élargir l’importance de la révolte individuelle et partagée, alors je peux parler d’une réussite – avec moi-même et mon environnement comme référence. Donc dans ce cas, la manière la plus évidente d’entrer dans le conflit est d’abord et avant tout de prendre la rue nous-mêmes. Car qui sommes-nous pour parler de tout ça, sans avoir nos propres complicités pratiques ? Mais afin d’élargir l’espace pour nous, pour nos idées et révoltes, nous devrions aussi identifier les plus actifs des agents de la contre-insurrection et des profiteurs de cette situation, de même que les transformer en cibles évidentes. Les flics sont déjà évidents dans leur rôle mais pas SAAB qui les fournit en drones et autres équipements, ni les compagnies d’assurances, les compagnies de sécurité et les politiciens qui utilisent la situation pour renforcer leur pouvoir. Selon la zone dans laquelle tu vis, à coup sûr tu as tes structures autoritaires locales à identifier et à combattre, que ce soit un groupe de salafiste, une équipe de racistes fachos, une milice de quartier ou des travailleurs sociaux amoureux de la démocratie. Ça peut valoir la peine de les garder à l’esprit, avant de leur tomber dessus dans le feu de l’action. Toutes les compagnies mentionnées possèdent des bureaux nationaux dans chaqune des plus grandes zones urbaines et elles ont, tout comme les politiciens, « des noms et des adresses ». Les désigner, les attaquer et expliquer avec nos propres mots pourquoi ça arrive c’est aussi rendre visibles les structures de la société et leur rapports avec notre existence de soumission. Ce qui pourrait contribuer à un caractère plus libertaire de la révolte. À peu près chaque ennemi que tu peux imaginer dans cette société dispose d’une voiture. Les nazis, les politiciens, les PDG, les flics, les juges, les matons, etc. La plupart ont une voiture et comme nous l’avons déjà dit : si le choix de quelqu’un pour une voiture à brûler t’as dérangé, il n’est pas difficile de reproduire cet acte de révolte avec un résultat qui enrichit ta vie. 

Ceci n’est que rester à la surface des choses, une esquisse des possibilités qui ont à l’évidence été négligées par des compagnons. Néanmoins, c’est ici que nous voyons la possibilité, pour nous-mêmes et pour ceux avec qui on envisage de partager nos idées, d’agir et d’étendre ce conflit. Nous avons écrit ce texte pour appeler à ce que la révolte et sa propre capacité à agir soient prisent sérieusement. L’insurrection et le paysage social sont remplis de contradictions et il n’y a pas de simple recette pour mener avec succès une lutte contre le monde autoritaire ; nous devons simplement essayer. Mais le premier pas doit être de réaliser qu’il y a déjà des rebelles qui ont embrasé la torche de la révolte, qui ont créé une tension sociale où nous pouvons trouver des milliers de manières d’agir si nous le voulons. Non pas en tant que leaders qui doivent montrer la voie de la véritable insurrection anarchiste, mais en tant que complices dans la destruction de l’existant, avec nos propres idées, objectifs et actions. Dans ce saut dans l’inconnu nous n’avons aucune garantie de défaite ni de réussite, mais nous avons au moins cette possibilité, qui aujourd’hui est impossible : un monde sans autorités ni dirigeants. …alors que le feu se propage !

« Nous détruirons en riant, nous mettrons le feu en riant… »

Quelques insurrectionnalistes

Notes :
[1] Le texte A few notes on media and repression publié sur solidariteit.noblogs.org le 23 août 2016.
[2] https://sverigesradio.se/sida/avsnitt/786141?programid=2795 (Dans cette émission de radio spécifique, les médias ont été critiqués pour avoir donné une fausse image, et que l’expansion urbaine des incendies de voitures avait été exagérée voire alimentée par les reportages médiatiques. Cette critique est à l’égale des véritables reportages basés sur des statistiques et remplie de contradictions.)
[3] Afin de ne pas perdre l’attention, nous remettons une analyse plus approfondie à un autre moment, mais il y a bien assez d’informations notamment sur contrainfo.espiv.net pour quiconque veut creuser la question

Rattachements : un texte ennemi

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Fév 212021
 

Soumission anonyme à MTL Contre-info

Au début de l’année 2020 sortait au Québec un bien mauvais texte intitulé Rattachements. Pour une écologie de la présence et signé par le collectif Dispositions. Ancré dans l’appelisme, celui-ci mélange non seulement un mysticisme langagier hors de propos à certaines idées conservatrices à peine déguisées, mais n’hésite pas, en plus, à défendre des positions tendancieusement néocoloniales et capitalistes, le tout baigné dans un étonnant narcissisme. Nous avions jusqu’ici gardé pour la sphère privée nos critiques de ce texte qui ne nous semblait pas mériter d’efforts critiques de notre part. Malheureusement, le fait que les auteur.e.s du texte s’efforcent de le faire circuler encore un an après sa publication et qu’il.le.s l’aient maintenant traduit en anglais nous place dans l’obligation de réagir. Si notre critique porte uniquement sur le texte Rattachementsi, elle peut aisément s’appliquer aussi au texte américain qui a inspiré celui-ci, à savoir Inhabitii (maintenant traduit en français et diffusé au Québec). Les citations suivent l’ordre du texte, mais ne sont pas référées, car la version imprimée du texte n’est pas paginée.

* * *

Après avoir rapidement présenté la crise actuelle, écologique et humaine, Rattachements se propose de dépasser la binarité paralysante qui traverse le mouvement écologiste, composée de « l’environnementalisme activiste » et de « l’environnementalisme individuel ». Il ne faut pas croire par contre qu’une proposition stratégique viendra remplacer cette binarité : au contraire, les auteur.e.s affirment que proposer une « orientation de l’action » relève de « l’activisme » et que cela est sans intérêt. D’entrée de jeu, il semble qu’un immanentisme ésotérique saupoudré de conviction en l’avenir (espoir qui sera contrebalancé plus tard) se substitue à la stratégie politique : il serait suffisant, selon les auteur.e.s, « de savoir que les éléments qui composent la vie magique sont déjà-là à nous attendre, de savoir que l’on agit sur le temps long ». Quant à savoir à qui exactement s’adresse le texte, cela n’est pas dit, quoique nous ayons un indice par la négative au début de la section II. Une assertion – qui sent la condescendance de classe – y pose la question de savoir comment l’on peut « parler de la nature à des sujets métropolitains ». Le ton semble connoter un regret quant à cette dépossession des pauvres des villes, mais rien n’est dit sur la manière dont il faudrait y pallier ou dont ces déshérité.e.s pourraient reconnecter avec la nature, sauf à s’acheter une terre en campagne. Nous verrons qu’en effet, les auteur.e.s insistent sur une reconnexion à la nature qui n’est, dans les faits, que le privilège des nanti.e.s. Alors pauvres déshérité.e.s : c’est triste, mais il n’y aura pas de « rédemption par la présence » pour vous dans le texte Rattachements.

Si les auteur.e.s jugent un peu plus loin dans leur texte, avec raison, que l’État cherche à capter l’ensemble des luttes écologistes et à faire passer n’importe quelle politique verte pour un progrès du bien commun, il.le.s se gardent pourtant de parler des très nombreux groupes et collectifs écologistes radicaux, anticapitalistes et décoloniaux qui luttent contre l’État et qui ne sont pas captés par lui. Afin de souligner leur soi-disant exceptionnalisme de conscience et la magnificence de leurs pratiques, les auteur.e.s du texte invisibilisent l’ensemble des mouvements radicaux existants. Allant jusqu’à exprimer le regret de cette soi-disant absence, les auteur.e.s masquent par ce geste les pratiques de millions de personnes en lutte partout à travers le monde. Comme le mouvement radical réel est ignoré par les auteur.e.s, il.le.s nous proposent ceci afin que les choses changent : « Il s’agit de défendre les formes d’existence contre ce qui en nie les possibilités. Il s’agit de lutter et de vaincre de l’ennemi (qui prend plusieurs formes, en nous comme hors de nous). » Nous ne saurons pas quelles formes d’existence il faut sauver ni quel ennemi il faut combattre. L’ellipse suffit selon les auteur.e.s. Le capitalisme ? Le colonialisme ? Des termes qui sont quasi absents du texte. Une assertion sur le colonialisme de peuplement (quelques pages avant le milieu) est certes pertinente, qui affirme que celui-ci poursuit la politique d’élimination des communautés autochtones au Québec et au Canada, quoique le ton autoritaire employé pour exprimer cette (rare) idée intéressante tranche bizarrement avec le subjectivisme du reste du texte.

Alors que Rattachements se disait d’entrée de jeu en rupture avec la politique classique (un refus exprimé par le mépris de « l’environnementalisme activiste » et de la stratégie), une nouvelle perspective, en contradiction directe avec la politique présentiste du texte, est amenée vers le milieu de celui-ci. En effet, après avoir prôné une espèce de retour à soi mystique, encouragé à chercher « les éléments qui composent la vie magique », après avoir ignoré les problèmes sociaux et collectifs, les auteur.e.s se contredisent en soulignant maintenant que la politique est l’art du conflit, et qu’agir (politiquement) contre « l’Économie » (pourquoi pas le capitalisme ?) implique « une réelle territorialité, une présence, un rattachement »… et donc « une possibilité de conflictualité concrète ». Soyons généreux et assumons « qu’il faut être » pour « être en guerre ». Mais au-delà de ça, il n’est aucunement explicité comment la présence mystique au monde devient, sauf par la force des mots, une réelle présence conflictuelle. En effet, peut-on penser le conflit politique sans organisation collective (au sens social et de classe), sans stratégie, sans nommer l’ennemi (capitaliste), etc. ? La présence qui est préconisée ici est tout individuelle et sans contenu politique. Renotons que seul le signifiant « présence » (à soi, à la nature) sert de contenu politique entre le début du texte et l’endroit où nous nous trouvons. Il est ainsi malheureux de voir que les auteur.e.s, essayant d’intégrer du mauvais Carl Schmitt prémâché par les appelistes français, n’arrivent même pas à poser une réelle contradiction politique.

Bien sûr, par-delà la présence mystique à soi-même, toute la notion de rattachement ignore la question du colonialisme de peuplement qui fonde les Amériques. Il semble qu’avoir parlé une fois du colonialisme de peuplement dédouane les auteur.e.s de toute réflexion sérieuse à ce sujet, et surtout d’en tirer les conséquences politiques. En effet, dans la seconde partie du texte, les auteur.e.s n’ont de cesse de parler de l’habiter, des territoires à habiter, des lieux à (re)prendre, etc. : des thèmes qui ne sont que de nouveaux déploiements de colonialité qui ne s’avouent pas. Disons-le : si les territoires sont des « choses qui leur sont dues » pour les auteur.e.s du texte, c’est parce qu’il.le.s ont totalement intériorisé les valeurs de la bourgeoisie coloniale blanche, seule classe sociale qui discoure sur son droit aux grands espaces et aux divers territoires et dont la simple affirmation d’exister fait office de politique.

Les auteur.e.s en profitent, dans leur insolence, pour rejeter la responsabilité collective que les descendant.e.s de colons portent. Qu’une telle reconnaissance de la responsabilité collective soit nécessaire si nous voulons penser une réelle politique décoloniale n’importe pas aux auteur.e.s : ceux et celles-ci craignent plutôt qu’un tel aveu nous mène à « une politique sacrificielle ». Le lien de cause à effet n’est pas explicité entre l’acceptation de notre responsabilité collective dans le processus colonial génocidaire et la question sacrificielle. Il semble plutôt que le refus de porter la responsabilité commune serve à rendre acceptables leurs envies en territoires non cédés : se réapproprier des territoires, s’y construire des maisons, y cultiver la terre, pouvoir être propriétaires, pouvoir faire librement la fête avec ses ami.e.s, être « présent.e.s » en somme sans que nul ne puisse leur faire des reproches. Et pour éviter que quelqu’un.e ne dévoile le pot aux roses : que de telles pratiques ne sont rien d’autre qu’une nouvelle colonialité et un vague hédonisme. Cette mentalité néocoloniale à l’œuvre vient d’être longuement mise en valeur dans le très bon texte Another Word for Settle : A Response to Rattachements and Inhabitiii. Ce texte montre bien le vice profond de ces deux textes appelistes.

Ne pas vouloir parler des crimes collectifs dont les sociétés et les individus occidentaux se sont rendus coupables jusqu’à ce jour n’est qu’une énième façon de se dédouaner de leurs responsabilités politiques pour le collectif Dispositions. Car après avoir (si mal) parlé du conflit politique en milieu de texte, les auteur.e.s en reviennent vite à leur leitmotiv personnaliste. Sous prétexte de ne pas vouloir culpabiliser les individus (une culpabilisation qui paralyserait l’action politique), il.le.s refusent de nommer les problèmes systémiques. La solution simple aurait été de mettre en accusation le capitalisme, l’État et ses structures – cela aurait aussi désigné un ennemi clair et créé du conflit politique –, mais en refusant de le faire, les auteur.e.s parient unilatéralement sur un dédouanement (d’elles et eux-mêmes) menant à l’inaction, voire à un devoir d’inaction sociale. Conséquence : les auteur.e.s tombent dans un relativisme volontairement niais quant aux responsabilités, selon lequel il n’y a « ni coupables, ni victimes ». Partant de l’immanentisme et du personnalisme comme politique, le texte s’est débattu avec la question politique, avant d’en arriver à une conclusion libérale, apolitique, individualiste et contraire à tout esprit révolutionnaire social.

Le pessimisme serait l’affect fondamental de l’époque ? Pour les auteur.e.s qui l’affirment, peut-être. Quoiqu’on se demande si cette affirmation ne sert pas simplement à justifier, à nouveau, le devoir d’inaction, le droit de ne pas militer, le refus d’une stratégie. Une autre manière de justifier que par ces temps difficiles, il vaut mieux être amoureux.euse de soi-même et que c’est déjà bien dans « l’époque ». Mais revirement de situation : jamais à court de contradictions, les auteur.e.s affirment maintenant qu’il faut « devenir responsables ». Belle parole de celles et ceux qui ne sont pas « coupables » mais « pessimistes ». Contradiction, vraiment ? Pas totalement, puisque la responsabilité qui est posée par les auteur.e.s est individuelle (envers soi et ses ami.e.s) et concerne les rapports que l’individu entretient envers autrui et la nature. Aux oubliettes la responsabilité historique, politique et économique. Ce qu’il faut, c’est être responsable envers soi et le voisin. Si ça ne rappelle pas « l’environnementalisme individuel » décrié en début de texte ça ! Ou simplement l’individualisme libéral. Bien sûr, quand les structures sociales et économiques ne nous écrasent pas, il est facile de se responsabiliser « envers » soi-même, en odeur de sainteté stoïcienne. Il en va autrement pour les peuples et les personnes qui s’organisent et luttent contre le colonialisme, l’impérialisme et le capitalisme ; mais il y longtemps que nous avons compris que le texte Rattachements n’allait pas parler des damné.e.s de la terre, tout obsédé qu’il est par la reconnexion spirituelle de la petite-bourgeoisie blanche et coloniale au monde qui l’entoure.

Comment les auteur.e.s proposent-il.le.s de dépasser la dichotomie du début ? Comment penser le conflit politique ? « Rendre l’écologie vraiment politique nécessite de poser la question suivante : qu’est-ce qui permet à tel ou tel milieu de vivre une vie bonne, d’accroître son bonheur ? » Assez faible comme grand jugement politique à la hauteur de l’époque. Combattre le capitalisme ? Organiser un monde nouveau, autogestionnaire ? Absolument pas : il semble que développer le bonheur et le bien-être dans son petit coin de pays suffise à changer le monde et à produire la révolution. Cette promesse du bonheur « dans son milieu de vie » est pourtant la même que celle du libéralisme et du capitalisme, et ne contredit aucunement les structures sociales. La plupart des membres de la classe moyenne et supérieure peuvent aspirer à un tel bonheur, sans d’ailleurs jamais remettre en cause le système de production et de consommation qui lui, détruit des millions de vies.

Ce qui est vraiment à l’œuvre ici, c’est la volonté de s’occuper de son jardin et de se faire croire qu’il y aurait quelque chose d’intrinsèquement révolutionnaire là-dedans. Preuve que la soi-disant politique appelée des vœux des auteur.e.s n’est rien d’autre qu’un entre-soi tout ce qu’il y a de plus commun dans l’époque : ce dont il faudrait prendre soin, ce sont « nos relations, nos appartements collectifs, nos maisons mises en commun et nos réunions politiques ». Outre la savoureuse touche « du propriétaire », il n’y a là qu’une volonté que ça marche bien avec ses ami.e.s. Aucune politique. Juste : « je veux que ça roule dans mon appartement et avec ma gang ». À l’instar de l’ensemble du texte, aucun problème politique, social ou collectif n’est soulevé. Les auteur.e.s avouent que c’est parce qu’il.le.s se sentent « épouvantablement inertes » qu’il.le.s veulent renouer avec la présence. Leur état semble relever d’une simple dépression, pas d’un appel du politique.

Quelques références douteuses sont amenées au début de la partie III : on fait appel à la vie mythifiée des paysan.ne.s dans un geste à la fois passéiste et confus, on fait appel à l’expérience zapatiste (alors même que la réoccupation des territoires par les descendant.e.s de colons, au cœur du projet des auteur.e.s, contredit celle-ci) et on souligne enfin l’autonomie des Kanienʼkehá꞉ka, comme si les peuples autochtones n’étaient pas spécifiquement soumis à un régime colonial de non-autonomie au soi-disant Canada. Il est clair que ces figures ne servent qu’à donner un vernis décolonial au texte, quoique le vernis craque en raison du côté « retour à la terre et bon paysan », une approche tout bonnement conservatrice et coloniale. Les auteur.e.s se permettent encore une insulte envers celles et ceux qui militent : il.le.s feraient « un lâche don de soi ». Pourquoi ? Parce qu’il.le.s n’adhèrent pas au présentisme bourgeois et individualiste des auteur.es ? Il semble que de la part de celles et ceux (les auteur.e.s) qui préfèrent déserter sur des territoires volés pour passer du bon temps en gang, l’insulte soit bien basse.

Les auteur.e.s, en critiquant les stratégies et les tactiques pacifistes employées par certains groupes écologistes, n’hésitent pas à mettre ensuite dans le même panier l’ensemble des militant.e.s. Il.le.s opposent au militantisme « l’exigence de formes de vies extatiques », seule forme « d’organisation réelle » selon les auteur.e.s. C’est aberrant de bêtise : le texte demande au lectorat non seulement de cracher sur les militant.e.s, mais en plus de préférer aux combats collectifs, à l’organisation et, oui, parfois au sacrifice, l’idée vaseuse (et encore une fois mystique) d’extase. D’une part, notons que les auteur.e.s entretiennent tout au long du texte la confusion entre militantisme, réformisme, sacrifice et « absence au monde », invisibilisant les diverses pratiques sociales et radicales de lutte et ne proposant comme solution que leur présentisme et le retranchement dans la « commune » (terme qui n’a pas sa place dans ce texte). D’autre part, l’esprit des auteur.e.s ne semble pas même effleuré par l’idée que « l’extase » puisse être réservée à celles et ceux dont les conditions de classe – notamment économiques – leur permettent de s’offrir un tel bon temps « extatique ». Les auteur.e.s oseraient-il.le.s exiger des travailleur.euse.s nocturnes d’entrepôt dans le parc industriel à Saint-Laurent qu’il.le.s ne luttent pas contre leur employeur, mais qu’il.le.s « choisissent » la vie extatique ? Oseraient-il.le.s soumettre leurs « idées sur l’extase » aux détenues de Leclerc ? Le narcissisme et le classisme du texte atteignent ici un sommet. Comment penser une seconde que pour les personnes réellement opprimées, le choix existerait entre lutter (un mauvais choix sacrificiel selon Dispositions) et la vie extatique (qu’on peut choisir délibérément si on en a envie). Voilà comment 200 ans de réflexions et de pratiques matérialistes révolutionnaires partent en fumée.

Et cette vie extatique, de quoi a-t-elle l’air ? Il faut combattre, voler, voyager. Et surtout, « trouver de l’argent, se doter de bâtiments et de terres pour les rendre à l’usage commun et voir la vie fleurir ». En somme, des activités ludiques pour prendre du bon temps et des activités capitalistes pour la vraie vie, pour l’avenir. Nous ne pouvons que constater que ce paragraphe « stratégique » du texte (les auteur.e.s ignorent le sens de ce mot, clairement) ne s’articule qu’autour d’activités individuelles et festives, ainsi que d’investissements et d’activités économiques classiques (libérales et capitalistes). Si acheter une terre et y faire une coopérative est censé être révolutionnaire (ou être une stratégie !), les auteur.e.s devront apprendre que non : acheter une terre et y faire une coopérative est une action économique propre au régime capitaliste et encadrée par lui, accessible aux classes moyennes et élevées du monde en raison des coûts d’investissement. C’est aussi, dans le cadre du colonialisme de peuplement au fondement de l’Amérique, généralement un geste de perpétuation du colonialisme. Évidemment, il peut être utile pour les mouvements révolutionnaires de posséder des infrastructures, des lieux, etc. Mais cette possession, légale et capitalisée, n’est jamais révolutionnaire en elle-même, et encore moins lorsqu’on en fait un usage personnel ou pour son petit groupe.

La seule proposition concrète du texte est donc d’abandonner les luttes politiques au profit de l’entre-soi (famille ou noyau d’ami.es), puis d’adhérer à des pratiques de vie capitalisées permettant la jouissance individuelle pour celles et ceux qui en ont les moyens. On retrouve ici le melting-pot que nous nommions en début de texte : conservatisme des valeurs bourgeoises, néocolonialisme, capitalisme, individualisme et hédonisme ; nous sommes en droit de supposer que c’est ça, retrouver « les éléments qui composent la vie magique ».

Le néocolonialisme et le conservatisme sont poussés encore un peu plus loin, dans la veine très à la mode du « retour à la terre ». Il devient ainsi important de colliger « ce que notre tante nous a appris sur les pruniers » et « comment aiguiser nos couteaux à bois, comment canner dix mannes de tomates ». Il faut se retrouver dans « la commune » (terme qui n’a pas sa place dans ce texte), c’est-à-dire la maison de campagne achetée avec nos ami.e.s, pour y faire ses actions hautement symboliques. Les auteur.e.s nous apprennent que cela est à même « de suspendre définitivement la progression de la catastrophe ». C’est lourd de valeurs passéistes ainsi que d’actions totalement apolitiques qui relèvent simplement de la vie quotidienne, en somme de rien de très extatique. Enfin, nous n’avons pas à juger de l’extase d’autrui : nous pouvons par contre juger que vivre à quelques un.e.s à la campagne, en se délestant de nos responsabilités politiques, n’augure en rien une organisation révolutionnaire ou un triomphe politique. Il est d’ailleurs difficile de voir en quoi un tel projet se distingue de la myriade d’initiatives individuelles et apolitiques d’établissement à la campagne (de plus en plus populaires en raison de l’anxiété provoquée par la crise écologique) ou pire, de l’entrepreneuriat vert (la fameuse ferme biologique en permaculture). Si ces initiatives « autonomes » étaient réellement à même de provoquer le renversement des structures capitalistes et coloniales actuelles, cela ferait longtemps que Val-David serait une commune libérée du marché et de toute oppression.

Les deux dernières pages condensent les diverses caractéristiques de Rattachements : aucune analyse structurelle, aucune analyse matérielle, la domination de notre époque considérée comme d’abord subjective, un appel au présentisme mystique (retour à soi, à la vraie vie, au monde), une soi-disant politique qui ignore tout des conditions de vie réelles, etc. Le point d’orgue de ce texte colonial, capitaliste, narcissique et mystique : « Se rendre à la fois perceptibles et disposé-es à la perception. Affect et puissance, orientation et grandeur. Il ne s’agit pas de deux fronts à mener, mais de l’explicitation pratique du double sens des mots présence, sensible. » Le texte clôt donc sa longue litanie de contradictions par une phrase qui ne veut strictement rien dire.

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Cette longue critique a pu sembler répétitive et parfois confuse. Elle a pourtant simplement suivi le fil d’un texte long, lui-même confus, rempli de ses contradictions, ne remplissant pas ses promesses, appelé Rattachements. Ce texte se veut une réflexion sur le temps présent et une proposition d’action révolutionnaire, mais il n’est selon nous rien d’autre qu’un long déploiement de valeurs néocoloniales, bourgeoises, capitalistes et narcissiques. On y trouve beaucoup d’aberrations, beaucoup de contradictions, un personnalisme crade et rien d’utile pour les révolutionnaires actuel.le.s. Que celles et ceux qui ne pensent pas que ce texte soit si terrible se donnent la peine de le (re)lire avec attention : il est terrible, il est ennemi. Nous savons que les gens derrière ce texte ne sont pas des adversaires, mais nous ne pouvons pas nous complaire face à ce qu’il.le.s ont écrit et diffusé.

Leur texte propose au final une énième « alternative » capitalisto-verte et individualiste : le type même de pratique qui détourne les forces vives de l’action politique et qui entretient la catastrophe sous prétexte « d’action personnelle ». Les lignes d’analyse de Rattachements sont contraires à la compréhension sociale et politique dont nous avons besoin, contraires à l’organisation collective nécessaire pour lutter contre le système capitaliste. Nous pensons qu’une analyse et une politique différentes de celles proposées par les auteur.e.s s’imposent : une politique faite par et pour les opprimé.e.s et les militant.e.s, qui doit nous mener vers un monde autogestionnaire ; pas une politique de petit.e.s narcisses vivant leur « trip » en campagne. La désertion individualiste ne nous sauvera pas et ne peut pas guider nos actions dans les temps à venir. Tant que Rattachements circule, il est de notre devoir de le critiquer durement.

i Voir en ligne (version originale française) : https://contrepoints.media/fr/posts/rattachements-pour-une-ecologie-de-la-presence

ii Voir en ligne (version originale anglaise) : https://inhabit.global/

iii Voir en ligne (version originale anglaise) : https://mtlcounterinfo.org/another-word-for-settle-a-response-to-rattachements-and-inhabit/

Berlin: Rigaer94 appelle à la solidarité internationale – la destruction de notre espace est attendue

 Commentaires fermés sur Berlin: Rigaer94 appelle à la solidarité internationale – la destruction de notre espace est attendue
Fév 182021
 

Soumission anonyme à MTL Contre-info

Après l’expulsion du house project anarcha-queer-féministe Liebig34 le 9 octobre 2020, l’offensive de l’État et du capital contre les structures autogérées dans le nord de Friedrichshain et dans d’autres quartiers de la ville n’a pas cessé. La Liebig34 est depuis lors sous le contrôle du propriétaire et la présence de son gang a également eu un effet sur la vie locale. La Dorfplatz (« place du village ») située juste en face de la maison a été, ces derniers mois, moins utilisée par les résidentes et les visiteureuses comme espace commun et a connu quelques affrontements mineurs avec les envahisseurs. En prenant l’un des points stratégiques du quartier et en éliminant en même temps un adversaire politique, l’État et la capitale ont pu se concentrer sur la Rigaer94, qui se trouve à quelques mètres de la Dorfplatz et qui a été un sujet récurrent dans les médias au cours de l’année dernière.

Il y a quelques jours, des flics et des pelleteuses ont détruit un campement de sans-abri à Rummels Bay, à quelques kilomètres de chez nous. Le prétexte était le gel extrême, en réalité il est aussi là pour servir le profit des investisseurs. L’expulsion du Potse est également prévue dans les prochaines semaines – la ville est en train de supprimer tout site rebelle.

Ce qui a commencé par des plaintes ridicules de l’opposition parlementaire sur les risques d’incendie de la maison est devenu l’un des problèmes centraux des forces de l’ordre. Tous ceux qui ont dépensé leur énergie pendant des années pour créer une image dépolitisée de Rigaer94 comme une maison pleine de gangsters brutaux ont commencé à parler de leur inquiétude que les habitant-es puissent mourir tragiquement dans un incendie. Leur rhétorique est très transparente car elle était principalement basée sur le fait que la maison dispose de plusieurs mécanismes pour barricader rapidement les entrées principales. Ces barricades sont en fait une pièce centrale de la sécurité des habitantes. Non seulement les réseaux «sociaux» regorgent de menaces fascistes visant la maison, mais les flics ont également prouvé ces dernières années qu’ils étaient non seulement capables de lancer des actions très violentes soutenues par la loi, mais aussi de coordonner ouvertement leurs actions avec les forces para-étatiques, à savoir les fascistes organisés et la structure mafieuse de l’industrie immobilière. Par exemple, le propriétaire de Liebig34, mais aussi d’autres sociétés, sont bien connus à Berlin pour avoir expulsé des maisons en les incendiant. Le message derrière cette fausse discussion sur notre sécurité n’était rien d’autre qu’une menace directe et un appel aux forces para-étatiques pour qu’elles mettent le feu à notre bâtiment. En même temps, il visait à créer une opinion publique et une base juridique pour détruire la structure de la maison sans avoir à obtenir un titre d’expulsion.

L’obstacle juridique sur la voie d’un titre d’expulsion est apparu en 2016, lorsque la Rigaer94 a repoussé une action policière majeure de trois semaines. Sous la pression de l’opinion publique, un tribunal avait déclaré l’invasion de la maison illégale et n’avait pas reconnu les avocats du propriétaire qui est, soit dit en passant, une société de boîtes aux lettres au Royaume-Uni. Des événements récents ont fait repartir cette situation à zéro. Début février, un tribunal a décidé que la police devait soutenir cette société de boîtes aux lettres pour garantir la soi-disant sécurité incendie à la Rigaer94. Par cette décision, le propriétaire est officiellement reconnu et va bientôt essayer d’entrer dans la maison en compagnie d’un expert national en matière de sécurité incendie et, bien sûr, d’énormes forces de police. Lors de raids similaires contre Rigaer94, les forces de police spéciales et les ouvriers du bâtiment ont causé de lourds dommages au bâtiment. Leur objectif a toujours été de rendre la maison inhabitable avant qu’elle ne puisse être expulsée et qu’elle ne soit rénovée.

Nous pensons que le prétexte de la sécurité incendie sera utilisé non seulement pour enlever nos barricades, mais aussi pour faire une descente légale dans tout le bâtiment et pour expulser les appartements afin de créer des bases permanentes pour la bande de propriétaires qui commencera à détruire la maison de l’intérieur. Comme prévu, la sécurité incendie est maintenant utilisée comme un outil pour terroriser les structures rebelles qui se sont emparées de la maison il y a plus de 30 ans et qui ont été impliquées dans de nombreuses luttes sociales différentes ainsi que dans la défense de la région contre l’État et le capital. En général, nous pensons que l’importance d’une communauté combative en combinaison avec un territoire occupé ne peut pas être sous-estimée. La Rigaer94 , avec ses jeunes autonomes et l’espace non commercial autogéré Kadterschmiede, est un lieu de convergence pour l’organisation politique et de quartier, qui abrite non seulement des personnes en lutte mais aussi l’héritage de l’ancien mouvement de squat et du mouvement en cours contre l’embourgeoisement et toute forme d’idées anarchistes. De nombreuses manifestations, événements politiques et cultuels ont eu lieu à partir de la maison et, pour ne pas l’oublier, de nombreux affrontements avec les forces de l’État dans le quartier ont été soutenus par l’existence de ce haut lieu. C’est pour cette idendité politique que la Rigaer94 et les structures et réseaux rebelles qui l’entourent traumatisent des générations de flics et d’hommes politiques et sont ainsi devenus un point central de leur agression contre celleux qui résistent. Au moment même où les derniers lieux non commerciaux et autogérés de Berlin sont expulsés, où la pandémie est utilisée pour répandre le virus du contrôle, de l’exploitation et de l’oppression, nous devons prendre au sérieux la menace d’une tentative très possible de nous expulser dans les jours ou les semaines à venir et, par conséquent, nous choisissons de continuer à nous organiser avec des démarches collectives pour défendre nos idéologies et nos espaces politiques. Cependant, il est politiquement important de continuer à lutter pour toutes nos luttes sociales du mouvement révolutionnaire, même en dehors de cette maison, et de ne pas laisser ceux qui sont au pouvoir intervenir dans nos agendas politiques et notre résistance.

Ils pourraient expulser notre maison, mais ils n’expulseront pas nos idées. Pour maintenir ces idées en vie et les alimenter, nous invitons tout le monde à venir à Berlin pour plonger la ville des riches dans le chaos. Nous appelons à tout type de soutien qui pourrait nous aider à empêcher la destruction de la Rigaer94. Mais si nous perdons cet endroit au profit des ennemis, nous sommes prêts à créer un scénario sans vainqueur.

Rigaer94
Rigaerstrasse 94, Berlin, Allemagne
https://squ.at/r/49pd
https://squ.at/r/5fm
https://rigaer94.squat.net/