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Des Montréalais.e.s reclament le definancement de la police, de decarceration des prisons

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Juin 152020
 

Du Groupe anti-carcéral

13 Juin, Montréal. – Aujourd’hui, à midi, des centaines de Montréalais se sont rassemblés devant la prison Bordeaux pour demander le définancement de la police et la désincarcération les prisons. Des activistes noir.e.s se sont adressé.e.s à la foule au sujet des violences infligées à leur communauté par les prisons et la police. La foule affichait des bannières avec des slogans comme “La prison tue”, “Black lives matter” et “Définançons la police”. Les personnes présentes ont fait du bruit afin d’exprimer leur solidaridé avec les prisonniers dans la prison de Bordeaux.

Le soulèvement créé par l’assassinat de George Floyd par la police à Minneapolis a apporté une attention nouvelle sur la violence policière au sud de la frontière coloniale (aux États-Unis). Les activistes américains ont aussi attiré l’attention du public sur l’assassinat des personnes noires dans les prisons, dont celui de Jamel Floyd, un homme noir de 35 ans qui est mort après avoir été poivré dans sa cellule dans une prison fédérale à Brooklyn.

Au “Canada”, de grandes manifestations à Toronto, à Halifax, à Montréal et dans d’autres villes ont déclenché des prises de conscience sur la longue histoire de violence et racisme au travers du complexe carcéral des prisons et de la police. Cette histoire locale était un des principaux thèmes de la manifestation à la prison de Bordeaux. Amanda Thompson, une co-organisatrice noire de manifestation expliquait: “Il y a une longue histoire de profilage contre les personnes noires à Montréal, y compris une lomgue série d’assassinats policiers de personnes noires, mais aussi de la surveillance quotidienne, du harcèlement et de l’abus contre nos communautés”.

La police de Montréal a été critiquée pour profilage racial et violences depuis des décénnies. Une série d’assassinats policiers entre 1987 et 1993 a provoqué une série de préoccupations quant à l’impunité policière, mais peu de choses ont changé dans les pratiques de la police. À l’automne 2019, une rapport a démontré que les personnes noires et autochtones à Montréal sont quatre fois plus enclines à êtres interpelées par la police que les personnes blanches. Entre 2014 et 2019, la police a assassiné cinq hommes noirs: Alain Maglore, René Gallant, Jean-Pierre Bony, Pierre Coriolan et Nicholas Gibbs.

Le racisme de la police est un des facteurs qui explique l’incarcération disproportionnée des personnes noires au Canada. Alors que les personnes noires représentent 3,5% de la population canadienne, elles constituent 7,5% des prisonniers fédéraux. Au Québec, l’information quant aux origines de prisonniers provinciaux est gardée secrète, mais les prisonniers de Bordeaux estiment que 20% des prisonniers sont noirs.

Le soulèvement mondial contre la police continue, une variété de propositions de réformes de la police sont discutées, telles qu’une meilleure formation policière et des caméras corporelles. Le message de la manifestation d’aujourd’hui, toutefois, est que les prisons et la police sont fondamentalement racistes et violentes et qu’aucune réforme à la pièce ne réussira à les transformer. Comme l’expliquait Amanda Thompson: “Quand la police tue une personne noire, ce n’est pas une erreur. C’est le système qui fonctionne comme prévu. Nous ne voulons pas de petits changements à une institution raciste, nous appelons à un définancement de la police, à la désincarcération des prisons et à un réinvestissement de ces sommes dans les communautés”.

Le bruit effectué par les manifestant.e.s était clairement entendu par les prisonnier.ères. À un certain moment, les manifestant.e.s et les prisonniers.ères se relayaient des slogans et chaque groupe faisait autant de bruit qu’il le pouvait. Afin de respecter la santé publique, les manifestant.e.s portaient des masques – des masques, de la nourriture et de l’eau étaient également distribués par les organisateurs.trices à qui en avait besoin.

Des photos de l’événement sont disponibles ici: https://bit.ly/30G467C

Les Inuit dissidents – Inuit Tungavingat Nunamini

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Juin 112020
 

De Archives Révolutionnaires

Au début des années 1970, dans la continuité du projet de « modernisation » du Québec entamé par le gouvernement de Jean Lesage, le gouvernement de Robert Bourassa veut développer de grands projets énergétiques dans le Nord du Québec. Afin de développer le potentiel hydroélectrique des grands cours d’eau qui traversent le territoire, il compte installer une série de barrages sur la Grande Rivière (qui se jette dans la Baie-James) et sur plusieurs autres rivières du Nord. La phase I du « projet de la Baie-James » prévoit la construction de trois centrales sur la Grande Rivière. Le projet nécessitera la dérivation des rivières Eastmain, Opinaca et Caniapiscau, une réduction importante du débit de dizaines de cours d’eau ainsi que la création de plusieurs réservoirs. En d’autres mots, ce projet entraînera l’inondation d’immenses territoires et la modification en profondeur de tout le Nord du Québec.

Déversoir du barrage Robert Bourassa, autrefois appelé La Grande-2.

Or, le projet, qui doit offrir un « développement économique sans précédent » aux Québécois.es, prendra place sur les territoires non-cédés des peuples Cris et Inuit notamment, ce dont le gouvernement ne semble pas se soucier. Et si techniquement le gouvernement du Québec ne peut pas développer de projets sur ces territoires sans avoir obtenu l’accord préalable des principaux concernés, les travaux débutent pourtant en 1972.

Les travaux sont interrompus dès novembre 1973, suite au jugement Malouf, fruit d’une longue procédure judiciaire de l’Association des Indiens du Québec contre le gouvernement québécois. Le jugement note que les conséquences des travaux de la Baie-James seraient fortement ressenties par les Cris, et ordonne en ce sens « de cesser, de se désister et de s’abstenir immédiatement de poursuivre les travaux, opérations et projets dans le territoire […] incluant la construction de routes, barrages, digues et des travaux connexes » ainsi que « de s’abstenir de s’ingérer de quelque façon que ce soit dans les droits des requérants, de violer leurs droits de propriété et de causer des dommages à l’environnement et aux ressources naturelles dudit territoire ». Ce n’est que partie remise et le jugement est immédiatement renversé par la Cours d’appel du Québec (jugement plus politique que juridique), ce qui entraîne la reprise des travaux.

« C’est pour leur avenir que travaillent les dissidents ». Photo : Gérald McKenzie.

Les Autochtones, Cris et Inuits, qui s’organisent de plus en plus contre le projet forcent pourtant le gouvernement à entreprendre des « négociations » avec eux. C’est de là que naîtra la Convention de la Baie James et du Nord Québécois. Mais le gouvernement entend bien mener ces négociations à sa façon. Tout d’abord, il n’accepte de négocier qu’avec deux organisations peu représentatives des peuples concernés : le Grand Council of the Crees et le Northern Quebec Inuit Association. Cette seconde organisation, en particulier, a été créée par le gouvernement fédéral dans le but de mener ces négociations. Elle désinforme les Inuits, et 30 % des Inuits se dissocient officiellement d’elle au début de 1975.

Ce sont les deux tiers de la superficie totale (approximativement les terres concernées par l’Acte d’Extension des Frontières de 1912, ci-dessous) de la province du Québec qui doivent être couverts par la Convention de la Baie James et du Nord Québécois et par celle du Nord-Est (qui sera signée en 1978 avec les Naskapis). Elle recouvrira le territoire des Inuits, celui des Cris de la Baie-James et celui des Naskapis du Nord-Est. De plus, ces conventions éteindront les titres putatifs des tiers, c’est-à-dire des groupes autochtones ayant des droits sur ces territoires mais n’ayant pas été conviés aux négociations. Il s’agit des Montagnais, des Attikameks et des Algonquins, ainsi que du groupe des Inuits dissidents de la Convention.

Les magouilles et les mensonges des gouvernements du Canada et du Québec, ainsi que de chefs autochtones et inuits peu scrupuleux, mèneront à la signature de la Convention le 11 novembre 1975. En plus d’imposer l’extinction des droits autochtones sur les territoires concernés, la Convention, qui prétend poser les fondements d’un « nouveau » contrat social entre les Blanc.hes et les autochtones du Nord, entérine la folklorisation des activités traditionnelles et la création de bureaucraties calquées sur celles de l’État colonial, mais « dirigées » par des autochtones. Cette négociation « de nation à nation » propose, en bref, la spoliation des terres autochtones, leur destruction à des fins économiques et… un « gouvernement » autochtone, dans les faits contrôlé par les colonisateur.trices.

« En considération des droits et avantages accordés aux présentes aux Cris de la Baie James et aux Inuit du Québec, les Cris de la Baie James et les Inuit du Québec cèdent, renoncent, abandonnent et transportent par les présentes toutes leurs revendications, droits, titres et intérêts autochtones, quels qu’ils soient, aux terres et dans les terres du territoire et du Québec, et le Québec et le Canada acceptent cette cession »

Dispositions générales de la Convention de la Baie James et du Nord Québécois, 2.1 « Remise des droits »

Pourtant, un groupe de dissident.es inuits bien organisé décide de mener la fronde contre les gouvernements et leur inacceptable Convention. Il.les refusent notamment catégoriquement l’extinction de leurs droits ancestraux ainsi que l’extinction comme base préalable à une négociation. L’Inuit Tungavingat Nunamini (ITN) ne met pas en place les mesures convenues dans la Convention, valorise les formes d’organisation autonomes comme les coopératives (notamment dans les villages Povungnituk, Ivujivik et Sugluk) et lance des poursuites contre tous les signataires de la Convention, y compris contre les représentants autochtones. Il.les sont appuyé.es dans leurs démarches par l’Association des Indiens du Québec et par des membres influents des peuples ignorés par les négociations.

Quelques représentants de l’ITN. Photo : Gérald McKenzie.

L’association Inuit Tungavingat Nunamini a aussi comme objectif la création d’un gouvernement réellement autonome pour les Inuits, qui garantirait les droits des Inuits, le respect et le maintien des traditions et du mode de vie inuit et dont la langue de fonctionnement officielle serait l’inuktitut. Malheureusement, ni les actions des Inuits sur le terrain ou en cours, ni les alliances entres divers peuples ne viendront à bout de la Convention de la Baie-James et du Nord Québécois. Pire, un autre traité infâme sera imposé aux Autochtones en 2002, la « Paix des Braves », nouvelle politique d’extinction des droits autochtones et d’accaparement de leurs territoires.

Nous présentons ici une déclaration de Tamusi Qumak, leader inuit de l’ITN. Cette déclaration, qui explique la lutte des Inuits dissident.es de la Baie-James apparaît dans la brochure Les Inuit dissidents à l’entente de la Baie James publiée par l’Inuit Tunganvigat Nunamini en 1982. La brochure présente les raisons du refus de l’ITN de signer la Convention et analyse comment, malgré les oppositions autochtones, le gouvernement a réussi à imposer la réalisation de son projet pharaonique. On y trouve aussi une critique virulente de la Northern Quebec Inuit Association, qui signa la Convention au nom de tous les Inuits, sans tenir compte des dissident.es ni réellement informer les Inuits du contenu de la Convention. L’entièreté de la revue de l’ITN est maintenant disponible en ligne.

1979. Les dissident.es à la Convention décident aussi de boycotter la commission scolaire Kativik, formant leurs propres écoles « volontaires ». Photo : Gérald McKenzie.

On lira avec attention l’article Mouvements politiques des Inuit, où Lisa Koperqualuk revient sur les résistances menées par les Inuit contre la Convention mais aussi pour l’autodétermination du Nunavik. Notons aussi l’excellent film Debout sur leur terre (1983), réalisé par Maurice Bulbulian en collaboration avec les militants de l’Inuit Tunganvigat Nunamini. On consultera aussi le livre critique Electric Rivers : The Story of the James Bay Project de Sean McCutcheon publié chez Black Rose Books en 1991. Surtout, on consultera le témoignage remarquable de Tamusi Qumak (1914-1993) sur l’ensemble de sa vie et sur sa lutte au sein de l’ITN : Je veux que les Inuit soient libres de nouveau. Le colonialisme du Nord y est décrit, de l’arrivé des premiers Blancs à l’assassinat des chiens de traîneaux par la SQ dans les années 1950 et à la sédentarisation forcée des Inuits, ainsi qu’à leur acculturation (partiellement réussie seulement).

« Sous l’influence d’ITN, les villages de Puvirnituq et d’Ivujivik refusèrent de reconnaître les institutions issues de la Convention (qui fut quand même signée) et obtinrent l’établissement de leurs propres écoles et services de santé. Leur dissidence ouvrit en bonne partie la voie aux négociations qui menèrent à la signature d’un accord de principe sur l’autonomie du Nunavik, en 2007. »

Louis-Jacques Dorais, préface au livre de T. Qumak

Tamusi Qumak, un des leaders d’ITN, et quelques membres de sa famille a Povungnituk. Photo : Gérald McKenzie.

 

Des piles de briques et d’autres choses pas rapport : 11 arguments contre les conspirations de manifs

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Juin 082020
 

De North Shore Counter-Info

Sur les réseaux sociaux, beaucoup de gens n’hésitent pas à propager des rumeurs et relayer des théories de complot sur le soulèvement qui se déroule actuellement au sud de la frontière. Il peut s’agir d’infos sur d’éventuelles attaques et interventions de suprémacistes blancs, ou de conspirations comme quoi les flics seraient responsables des violences perpétrées par les manifestants. Ce type de comportement en ligne est préjudiciable et sape les mouvements que vous essayez probablement de soutenir. On s’est proposé de prendre une minute pour analyser les raisons pour lesquelles nous devons collectivement repousser cette tendance.

1) Les émeutes, qui comprennent des activités telles que le lancement de briques et d’autres choses qui pourraient être qualifiées de violentes, font et ont fait partie historiquement de l’incitation au changement social. Pour le meilleur ou pour le pire, il existe une longue histoire d’émeutes aux États-Unis (et ailleurs). Parmi les exemples américains les plus populaires, citons les émeutes de Watts, celle de la cafétéria de Compton, puis Stonewall, Rodney King, et plus récemment des événements comme le soulèvement de Ferguson. Les émeutes se produisent pour de nombreuses raisons et dans des circonstances diverses, mais elles arrivent généralement (au moins en partie) lorsque rien d’autre n’a marché, quand les gens ont été ignorés et poussés à un point de rupture. Parfois, elles sont à la fois inévitables et nécessaires, et ont un rôle important à jouer dans la lutte.

2) Les émeutes, les jets de briques et autres violences ne délégitiment pas un mouvement et ne doivent pas le faire. Souvent, de tels événements sont la seule chose qui fasse en sorte que les gens moins affectés y prêtent attention – la police tue des Noirs et d’autres personnes, tout le temps, et sans qu’on y prête l’attention qu’il faudrait. Aux États-Unis, la police a tué plusieurs personnes noires depuis que la crise COVID a éclaté, comme Breonna Taylor, entre autres, et tout a continué comme si de rien n’était. Maintenant, s’il y a tant de gens qui y font attention, c’est grâce à la réaction des gens à la mort de George Floyd et à la manière dont cette réaction s’est répandue. Cette attention nouvelle est la preuve de l’efficacité de ces tactiques.

3) En lien avec les deux premiers points, la manifestation violente peut en fait aider et travailler en tandem avec la manifestation pacifique plutôt que l’amoindrir. Bien des exemples les plus courants de résistance pacifique et de leurs succès associés n’ont pas été accomplis seuls et dans le vide. Au contraire, les mouvements non violents se sont déroulés aux côtés d’autres mouvements plus militants poursuivant des objectifs similaires mais avec des stratégies et des tactiques différentes. Par exemple, on ne peut pas regarder les mouvements des droits civiques aux États-Unis et des personnalités comme Martin Luther King, sans considérer également les Black Panthers et d’autres groupes armés. Il arrive fréquemment que l’existence de groupes/événements plus militants crée un contexte dans lequel les personnes au pouvoir sont forcées de pourparler avec d’autres groupes qui semblent plus modérés en comparaison. Ce n’est pas nécessairement souhaitable et la cooptation existe réellement, mais cela fait partie de la compréhension de la lutte et de la façon dont la société évolue au fil du temps.

4) Il y a plein de théories conspirationnistes axées sur le fait qu’on retrouve des briques sur le site des manifestations, comme si c’était la seule chose à l’origine de la violence. Mais les gens utilisent toute une série de tactiques depuis le début, dont beaucoup sont beaucoup plus violentes que des simples jets de briques. Il y a des gens armés qui tirent sur la police, d’autres qui allument des incendies criminels et brûlent des bâtiments, qui font du vandalisme, du pillage et bien d’autres choses. Et la violence ne vient certainement pas seulement des manifestants antiracistes, au contraire, elle vient en grande majorité d’ailleurs. La suprématie blanche règne largement : des flics racistes tuent en toute impunité, il y a des suprémacistes blancs au pouvoir et des millions de Noirs sont enfermés derrière les barreaux, sans parler de l’intense inégalité socio-économique. Face à cette réalité, tous les moyens par lesquels ceux qui sont attaqués décident de réagir sont à la fois justes et légitimes, et il est essentiel de les soutenir plutôt que de les critiquer.

5) L’argument selon lequel les manifestations violentes et/ou conflictuelles font diminuer la violence et la répression de l’État est problématique à plusieurs égards. Déjà, il est tout simplement faux. De nombreux facteurs déterminent la réaction de l’État à une manifestation, et ce n’est pas seulement lié au fait qu’elle soit pacifique ou non. Il y a par exemple l’identité ou la situation sociale des personnes impliquées, le niveau de menace perçu pour le statu quo, le potentiel de propagation, etc. Il existe de nombreux exemples de réactions violentes de l’État à des manifestations totalement pacifiques, et ce n’est pas quelque chose qui relève du contrôle de ceux qui ripostent. La capacité de l’État à recourir à la violence est une réalité politique : ce mouvement a bénéficié d’un large soutien, et cela a eu plus d’impact sur la retenue de la police que les tactiques choisies par les manifestants. Soutenir les manifestants, plutôt que de délégitimer la résistance, contribue davantage à assurer la sécurité des gens.

6) En outre, l’argument selon lequel les manifestations conflictuelles provoquent une violence étatique transfère le blâme des responsables et de ceux qui devraient rendre des comptes (à savoir ceux qui agissent pour réprimer violemment un mouvement) aux personnes qui, dans ce cas, luttent pour leur survie face à une violence structurelle intense et quotidienne. En d’autres termes, si une femme se trouvant dans une relation de violence physique décidait un jour de se défendre, et était sévèrement battue ou tuée par son partenaire, c’est bien celui-ci, et non la femme, qui devrait être tenu pour responsable. Il en va de même ici : c’est l’État et la suprématie blanche qu’il faut blâmer, et non celles et ceux qui se défendent.

7) Les agents provocateurs, les agents infiltrés et les autres agents de l’État existent bien, mais là n’est pas la question. Mettre l’accent sur cela détourne l’attention d’autres choses plus importantes et crée différents problèmes. Cela contribue à soutenir et à promouvoir des théories du complot qui dépouillent les Noirs de leur agentivité, éradiquent leurs expériences et leurs actions et donnent beaucoup trop d’espace et de crédit à la police. Bien sûr, les agents de l’État peuvent inciter à la violence et peut-être apporter et/ou ramasser des projectiles, les flics font toutes sortes de trucs bizarres et essaient toujours de piéger les gens. Mais cela n’a pas vraiment d’importance, car la grande majorité de celles et ceux qui lancent des briques et se livrent à d’autres activités de confrontation ne sont pas des policiers. La police ne déclenche pas d’émeutes et elle ne les entretient certainement pas, ce sont les gens le font et pour de bonnes raisons.

8) Sur la base de ce qui précède, non seulement il est faux d’attribuer ce type d’activités exclusivement à des agents de l’État, mais cela est également préjudiciable et potentiellement dangereux. Cela peut faire croire que seuls les flics sont capables de faire des choses violentes ou de confronter les gens, de sorte que ceux qui le font pour leurs propres raisons sont considérés comme faisant le travail de l’État ou comme nuisant à la cause. Cela contribue à perpétuer le conflit entre les bons et les mauvais manifestants, dans lequel les activités des uns sont considérées comme intrinsèquement légitimes et celles des autres comme intrinsèquement illégitimes. Au lieu de laisser la place à une diversité de tactiques et d’approches, et de créer des opportunités pour la création de coalitions, d’actions solidaires et de travail complémentaire, cela sème des graines de la méfiance, crée des divisions et génère des conflits. C’est ce que veut l’État, et c’est l’une des stratégies centrales par laquelle il tente de perturber, de discréditer et d’entraver la résistance (COINTELPRO n’est qu’un exemple bien connu parmi d’autres). L’État ne veut pas d’émeutes, il veut que les gens se battent entre eux.

9) Au-delà de son caractère préjudiciable, il est en fait dangereux d’attribuer la violence exclusivement à des fonctionnaires de l’État. Cela met en péril la sécurité des gens d’au moins deux manières différentes. Dans le premier cas, cela peut créer une situation où des manifestants en attaquent certains des leurs, présumant (à tort) que ce sont des policiers ou qu’ils travaillent pour la police. Ainsi, si on entend une rumeur comme quoi la police incite à la violence et lance des briques, des personnes n’ayant rien à voir avec la police mais choisissant de faire de telles actions peuvent être prises pour cible et attaquées dans le feu de l’action par une foule se prenant elle-même pour la police. Faire courir ce genre de fausses rumeurs peut entraîner des blessures graves.

10) Dans le second cas, si l’on estime que quiconque s’engage dans certaines activités (qu’il s’agisse ou non d’agents de l’État) fait obstacle ou nuit à un mouvement, certaines personnes trop zélées peuvent se charger de gérer une manifestation (comme un gestionnaire de plancher) ou même de faire la police auprès d’autres manifestants. Dans de tels cas, la “police de la paix” peut tenter activement d’arrêter les actions de certaines personnes (généralement par la contrainte physique) ou, dans le pire des cas, essayer de procéder à une “arrestation citoyenne” d’un camarade manifestant et de le remettre aux flics (auquel cas il risque d’être confronté à la violence). Une vidéo particulièrement horrible a récemment circulé, dans laquelle un manifestant brisait des morceaux d’asphalte de la rue, vraisemblablement pour s’en servir comme projectiles, lorsqu’un autre groupe de manifestants l’a encerclé, l’a plaqué au sol et l’a traîné vers une file de policiers anti-émeutes.

11) La lutte pour le changement est brouillonne, compliquée, contradictoire, et parfois, oui, violente. Cela a été vrai tout au long de l’histoire des mouvements sociaux et cela le reste aujourd’hui. La violence peut donner de la puissance, elle peut être transformative, et parfois les gens n’ont pas d’autre choix. Il arrive que le monde doive brûler pour que quelque chose de nouveau puisse être construit à sa place, et il est essentiel de respecter l’autonomie des Noirs qui résistent. La lutte prend toutes sortes de formes, se présente sous de nombreux aspects différents, et implique une grande diversité d’activités. À l’heure actuelle, au lieu de spéculer ou de répandre des rumeurs, nous devrions nous concentrer sur la manière dont nous pouvons nous engager, prendre des risques et soutenir ce qui se passe, de manière réelle et matérielle, et pas seulement sur les réseaux sociaux (qui causent beaucoup plus de mal que de bien).

Perspectives d’anarchistes NoirEs et raciséEs sur la manifestation du 31 mai : 9 propositions pour la suite

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Juin 072020
 

De Contrepoints

1. Rien ne justifie la violence policière; qu’on fasse un jogging matinal, qu’on falsifie un billet de vingt ou qu’on brise les vitrines d’une bijouterie. Ce que l’état colonial détermine comme des crimes sont souvent des tentatives d’échapper à la pauvreté et aux violences systémiques ou alors le résultat de ces dernières. Nous prônons une justice réparatrice centrée sur les besoins et l’expérience des victimes, pas une justice punitive centrée sur des besoins commerciaux et étatiques. Celleux qui participent aux manifestations en reproduisant le discours de la classe dominante et en jouant à la police font le travail des oppresseurs.

2. Nous prônons la destitution de la police, car même quand elle n’assassine pas des personnes Noires et Autochtones en plein jour, elle maintient l’ordre social du capitalisme et de la suprématie blanche. Ce sont les policiers qui empêchent les personnes sans logement de dormir dans des condos vides, qui jettent à la rue les familles qui ne peuvent pas payer leur loyer exorbitant ou qui matraquent des migrantEs affaméEs cherchant un repas gratuit dans une chaîne d’épicerie possédée par des milliardaires.

3. C’est à nous et à nos communautés de développer des modes d’entraide autonomes qui rendraient la police obsolète. Ceci commence notamment par parler à nos voisinEs pour leur proposer notre assistance s’iels en ont besoin ou par apprendre et s’enseigner comment réagir quand nos proches sont aux prises avec une crise de santé mentale.

4. Le vandalisme politique gagne à être compris et la violence contre la propriété privée et matérielle est moralement justifiée face aux violences du pouvoir. Chaque vitrine représente une barrière entre nous et un monde qui nous est inaccessible. Elles représentent un paysage urbain construit pour subvenir aux besoins d’une économie qui nous empêche de nous loger et de nous nourrir décemment sans passer la majeure partie de nos journées à travailler. Les graffitis et les voitures de luxe qui brûlent marquent une interruption nécessaire de la violence normalisée et invisible du quotidien.

5. À celleux qui disent que les personnes Noires et racisées payent le prix de la révolte violente, nous répondons que nous payons le prix de chaque journée sans révolte violente. Une analyse historique des mouvements de libération témoigne de la nécessité d’un revirement de la balance de pouvoir, incarnée par la menace d’une insurrection permanente. Si nos pleurs suffisaient à ce que nos oppresseurs nous laissent vivre, nous ne sentirions plus la pression de leur genou sur notre gorge depuis bien longtemps.

6. L’écoute et l’amplification sélective des discours des personnes Noires modérées, dépolitisées ou bourgeoises est une forme de racisme insidieuse permettant aux personnes non-NoirEs de performer un role d’alliéE confortable sans mettre en péril leurs privilèges. Les personnes blanches qui se préoccupent réellement de nos vies gagneraient à lire les révolutionnaires NoirEs et à s’informer sur les idéologies anarchistes et décoloniales radicales.

7. Le discours médiatique et policier voulant que le vandalisme de dimanche soir était une aventure séparée du reste de la manifestation docile n’est pas basé dans la connaissance de nos motifs. C’est un discours stratégique visant à affaiblir nos mouvements. Leur plus grande peur, c’est de nous voir réaliser que l’insurrection n’est pas l’objet de quelques groupes spécialisés mais plutôt la manifestation d’une colère populaire — puis qu’on se sache capables de recréer le 31 mai n’importe où, n’importe quand et avec n’importe qui.

8. Le discours voulant que seuls les « anarchistes blancs » ont participé à la révolte de dimanche est insultant aux manifestantEs NoirEs, Autochtones, et raciséEs qui ont tout risqué. Quiconque a affirmé cela ne nous a probablement pas accompagné dans la rue très longtemps passés les premiers coups de feu policiers. Après les deuxièmes et troisièmes rondes de lacrymogènes, la plupart des personnes blanchEs étaient parties en laissant derrière elles une foule de manifestantEs majoritairement NoirEs à l’est et à l’ouest de Saint-Urbain. De toute façon, les complices qui se battent à nos côtés sont touTEs appréciéEs, bien plus que celleux d’entre nous qui reproduisent des comportements policiers ou qui ne cherchent qu’à keep up with the Joneses dans le monde blanc — un monde qui nous étouffe. Leur réussite est un gage de persévérance individuelle mais jamais une victoire collective. Nous nous battons pour un monde entièrement différent.

9. Finalement, quand on crie « no justice, no peace », on le pense vraiment. On veut que les personnes qui peuvent habituellement se permettre d’exister dans l’ignorance de nos souffrances soient importunées. La nuit de dimanche dernier, alors qu’on courrait au son rythmé des éclats de vitrines et des matériaux de constructions rebondissants sur l’asphalte, on a eu l’impression pour un moment qu’on n’allait pas être ignoréEs. Pas de justice? Donc pas de paix.

L’insurrection chez nous

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Juin 022020
 

Soumission anonyme à MTL Contre-info

Pour soutenir le soulèvement lié au meurtre de George Floyd par la police qui se répand dans toute l’Amérique, il faut le ramener chez nous. C’est précisément ce dont nous avons eu un aperçu dimanche à Montréal, lorsque pour la première fois depuis des années, la police a perdu le contrôle du centre-ville pendant une longue période.

Après la fin de la manifestation, une foule jeune et multiraciale a combattu la police devant le quartier général du SPVM, répliquant aux gaz lacrymogènes par des roches et des bouteilles. Les gens ont dressé des barricades et parti des feux pour ralentir les mouvements de la police. Dans les heures qui ont suivi, des centaines de manifestant.e.s ont continué à tenir la rue, tandis que des devantures de magasins volaient en éclats et qu’on réquisitionnait des marchandises de part et d’autre de Sainte-Catherine, notamment chez Birks, une bijouterie haut de gamme également attaquée au cocktail molotov.

On évitera de faire le compte-rendu détaillé de la soirée, pour répondre à une dynamique qui, selon nous, pourrait limiter notre capacité à résister et à avancer. Si la journée de dimanche a prouvé qu’un large éventail de personnes sont prêtes à se battre contre un système fondé sur le génocide et la violence permanente de la domination racialisée, il y a eu des voix parmi les plus fortes pendant et après l’action dans les rues pour s’accrocher à la manifestation pacifique comme seule forme légitime de résistance.

S’appuyant sur des rumeurs et de fausses informations, l’idée qu’il s’agit d'”agitateurs extérieurs” blancs provient de la propagande de la suprématie blanche et annihile l’agentivité des Noirs qui résistent courageusement à l’oppression par tous les moyens nécessaires. C’est un récit qui vise à diviser les mouvements et à délégitimer notre colère et notre détermination communes. Comme l’a écrit récemment un groupe d’anarchistes racisé.e.s aux États-Unis :

Les dirigeants autoproclamés ont essayé d’insinuer que ceux qui souhaitaient entrer en conflit avec la police après le meurtre de George Floyd à Minneapolis étaient “des Blancs [qui] n’avaient pas le droit d’utiliser la douleur des Noirs pour justifier leurs fantasmes d’émeute”. Comme si le vrai fantasme blanc n’était pas que des gens de couleur contrôlent leur propre comportement afin de sauver la société suprémaciste blanche de la destruction. C’est une vieille ruse qu’il faut encore une fois mettre en lumière.

Face à ces récits qui permettent à la police de garder plus facilement le contrôle et de continuer à tuer, n’hésitons pas à dire clairement que ce ne sont pas des critères de légalité ou de respectabilité sociale qui détermineront nos moyens de lutte.

Il est légitime de s’attaquer à la police, cette institution conçue et dédiée à la suppression violente de la liberté des Noirs, au vol des terres autochtones et à la défense de ceux qui s’enrichissent en nous exploitant. En agissant ainsi, et en acquérant la confiance et la capacité tactique de gagner de l’espace et du temps, nous montrons que nous n’avons pas besoin d’accepter leur emprise sur nos vies.

Il est légitime de barricader les rues et d’allumer des feux – de transformer un environnement urbain construit pour le maintien de l’ordre en quelque chose qui pourrait nous donner une chance de succès.

Il est légitime de piller les magasins, parce que tout le monde devrait avoir de belles choses, et un monde qui privilégie la propriété commerciale à la vie des Noirs continue de mettre des gens comme George Floyd et Regis Korchinski-Paquet en grave danger de mort prématurée.

Ces éléments devraient constituer le point de départ de toutes les conversations sur la manière de s’engager dans une diversité de tactiques dans les rues, conversations qui doivent également aborder les effets de nos actions sur celles et ceux avec qui nous partageons les rues, la manière de se protéger les un.e.s les autres, et l’objectif de développer une capacité de conflit en comprenant que nous ne sommes pas tou.te.s confronté.e.s au même niveau de risque.

Nombre de ceux qui surveillent les actions des autres manifestant.e.s vont jusqu’à les photographier ou les filmer en train d’attaquer la police ou des biens matériels, puis publient ces informations sur Internet pour tenter d’identifier et de remettre davantage de gens entre les mains de la police. Pour résister à cette tendance, nous voulons rappeler à toutes les personnes présentes d’intervenir directement si vous voyez du monde filmer pendant les émeutes ; dites-leur d’arrêter et, si nécessaire, empêchez-les de le faire. Et aux courageux.ses qui brisent des vitres et allument des incendies, rappelez-vous mutuellement de garder vos visages couverts.

Il y a une véritable insurrection en cours au sud de la frontière. Si le caractère unique de l’héritage sanglant du racisme aux États-Unis donne à la rage qui y bouillonne un certain ancrage géographique, l’antagonisme envers la police est indéniablement universel, et le racisme anti-Noirs est profondément ancré dans l’histoire du Québec et du Canada. Allons-nous faire face à ce moment historique pour trouver des moyens significatifs de nous engager et de propager la révolte, ou nous réduirons-nous à des manifestations scénarisées de “solidarité” superficielle ? Le temps est venu de ramener le soulèvement chez nous.

États-Unis: Un commissariat de police incendié à Minneapolis alors que des bâtiments gouvernementaux sont pris d’assaut et que des émeutes se propagent en solidarité avec le soulèvement

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Mai 292020
 

Manifestation de solidarité à Montréal
Dimanche le 31 mai à 17h
Quartier général du SPVM (1441 St-Urbain)
Évènement Facebook

De It’s Going Down

Au cours des deux derniers jours, les émeutes, les pillages et les affrontements avec la police se sont intensifiés à Minneapolis, à la suite du meurtre de George Lloyd par la police lundi dernier. Mercredi, un manifestant a été tué par balle. Jeudi après-midi, les procureurs du comté ont déclaré qu’ils ne poursuivraient pas l’inculpation des officiers impliqués dans sa mort pour le moment, ce qui ne fait qu’ajouter à la colère croissante dans les rues.

Les émeutes et les pillages ont continué à se répandre comme la veille – dans des quartiers éloignés de l’épicentre initial, puis dans le quartier voisin de Saint-Paul. Jeudi, alors que la fumée s’élevait encore des magasins brûlés de la société Target, des milliers de personnes sont descendues dans les rues du centre-ville de Minneapolis en solidarité avec George Floyd, alors que de nouveaux affrontements ont éclaté avec la police et que d’autres magasins ont été pillés. Des messages sur les médias sociaux montrent également que des marchandises libérées ont été distribuées dans le parking de Target, près du 3e commissariat de police, qui est devenu de facto l’épicentre des émeutes.

Au cours de l’après-midi, les gens se sont rassemblés à l’extérieur du commissariat, tandis que les affrontements avec la police se poursuivaient. Ces batailles de rue se sont intensifiées lorsque des émeutiers ont fait irruption dans le bâtiment, forçant finalement la police à s’enfuir dans leurs véhicules. Une fois le bâtiment vide, les gens ont commencé à le piller puis à y mettre le feu. Il s’en est suivi une atmosphère de fête pendant plusieurs heures alors que le quartier brûlait.

Cette victoire sur la police, remportée par des milliers de personnes qui mènent quotidiennement une action soutenue face aux violences policières massives, principalement des jeunes zoomers et des milléniaux, représente un moment historique. Comme l’expriment les heures d’entrevues menées par Unicorn Riot sur le terrain en plein soulèvement, la révolte ne vient pas de la gauche militante, ni des “progressistes” ou des “libéraux”, mais plutôt de la base locale de la jeunesse prolétarienne de Minneapolis. Bien que le soulèvement ait eu un caractère très multiracial, il est généralement admis que l’ensemble du système de capitalisme racialisé anti-noir doit être détruit.

Au fur et à mesure que la nuit avançait, des manifestations de solidarité ont été lancées à travers les soi-disant États-Unis. Les anarchistes ont organisé des manifestations et des marches de solidarité à Portland et Olympia, tandis que les étudiants d’Oakland bloquaient l’entrée d’une autoroute. À Sacramento, des marches de rue ont eu lieu, tandis que des émeutes ont éclaté à Fontana, où les fenêtres de l’hôtel de ville ont été brisées. Pendant ce temps, à Los Angeles, deux jours de manifestations ont été organisés. Mercredi, des personnes ont bloqué l’autoroute 101, brisant les vitres d’une voiture de police qui a tenté de foncer sur les manifestants. Enfin, à Phoenix, les marches de rue bruyantes ont fait place à des émeutes, les gens lançant des pierres sur le département de police de Phoenix.

D’autres émeutes et affrontements avec la police ont continué à Denver, où les gens se sont battus avec la police et ont bloqué une autoroute, tandis qu’à Columbus, les émeutes dans la rue ont rapidement conduit à un vandalisme de masse du Statehouse. Des combats de rue ont également eu lieu à Louisville, au Kentucky, tandis qu’à New York, des affrontements avec la police ont donné lieu à de multiples arrestations. Dans la soirée, Trump s’est servi de Twitter pour traiter les manifestants de “voyous” et a annoncé l’arrivée de plusieurs centaines de soldats de la Garde nationale dans les rues de Minneapolis, qui, selon lui, pourraient ouvrir le feu sur des pillards.

Continuez la lecture sur It’s Going Down [en anglais] pour un compte-rendu plus complet des manifestations de solidarité et d’émeutes à travers les soi-disant États-Unis. Pour une liste des manifestations à venir, cliquez ici.

Peste brune et antifascisme en temps de pandémie

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Mai 292020
 

Des membres du collectif antifasciste PopMob et du Rosehip Medic Collective de Portland fabriquent du gel hydroalcoolique à distribuer dans la collectivité.

De Montréal Antifasciste

La pandémie qui frappe de plein fouet la planète depuis janvier 2020 a complètement changé, temporairement du moins, la donne politique tandis que le confinement et l’interdiction des rassemblements impliquent que les mouvements sociaux ne peuvent plus recourir aux tactiques traditionnelles, dont les manifestations, pour dénoncer les injustices et mettre de l’avant des alternatives. Or, loin d’être une parenthèse ou une sorte de suspension du temps, la pandémie constitue entre autres un phénomène d’accélération politique durant lequel les rapports de classe déploient toute la violence dont ils sont capables. Les minorités racisées et les quartiers populaires sont ainsi particulièrement touchés par l’hécatombe, la violence conjugale augmente au sein des familles confinées, les forces policières profitent de l’état d’urgence pour harceler et violenter leurs cibles habituelles encore plus qu’à l’accoutumée, les personnes issues de l’immigration, notamment asiatique, sont encore plus stigmatisées que d’habitude, les États multiplient les décrets forçant d’importants segments de la population à travailler pour des salaires de misère dans des conditions qui ne sont pas sécuritaires au nom de la sacro-sainte économie, etc. La pandémie exacerbe ainsi les inégalités et l’oppression. Il est donc d’autant plus nécessaire de nous organiser et de nous mobiliser.

Mais commençons par voir ce que fait l’extrême droite en temps de pandémie, pour ensuite parler de ce que font les mouvements antifascistes et antiracistes.

 

L’extrême droite et les mille et un complots

Bien que plus discrète en raison du confinement, l’extrême droite s’en donne à cœur joie sur les médias sociaux en répandant des théories complotistes toutes plus délirantes les unes que les autres et en appelant parfois au soulèvement, voire à la guerre civile, au nom de la nation. Même confinée principalement à l’univers numérique, la peste brune reste toxique.

L’extrême droite est particulièrement réceptive aux théories complotistes et contribue activement à leur diffusion. Selon un sondage mené en France du 24 au 26 mars 2020, 26 % de la population française pense que le coronavirus a été fabriqué intentionnellement dans un laboratoire (pour un bon survol des origines du virus, cliquez ici). Cette proportion, déjà importante, grimpe à 38 % au sein de l’électorat du Rassemblement national (RN, anciennement le Front national), principal parti d’extrême droite français. Seulement 32 % de son électorat pense que le virus est apparu de manière naturelle.

De même, aux États-Unis, selon un sondage du Pew Research Center mené entre le 10 et le 16 mars 2020, 29 % de la population croit que le coronavirus a été fabriqué intentionnellement (23 %) ou accidentellement (6 %) dans un laboratoire chinois. Comme en France, les segments les plus jeunes et les moins éduqués de la population sont les plus susceptibles de cultiver de telles croyances. Et comme en France, la droite la plus conservatrice y est plus sensible : 21 % des démocrates croient que le virus a été fabriqué dans un laboratoire alors que la proportion est de 37 % parmi les républicains et de 39 % parmi les républicains les plus conservateurs.

La propension de l’extrême droite à adhérer aux théories complotistes est en partie le produit d’un discours anti-intellectuel et anti-scientifique qui part du principe que des élites mondialisées agissent dans l’ombre (bien que l’extrême gauche partage parfois une telle perspective, l’influence du marxisme et des théories matérialistes en son sein implique qu’elle a plutôt tendance à insister sur les dynamiques structurelles et les rapports de pouvoir). De plus, elle cultive des métaphores biologiques pour parler de la nation et présente souvent l’immigration comme un corps étranger et pathogène; bref, presque comme un virus. Il y a donc une affinité entre le discours xénophobe de l’extrême droite et sa façon de percevoir la pandémie. Cette dernière serait nécessairement une menace extérieure, animée par des forces malintentionnées, plutôt qu’un accident naturel.

Enfin, les théories complotistes se répandent en raison des contradictions et des incohérences des gouvernements ainsi que du manque de transparence auquel ils ont recours pour dissimuler leurs priorités et leurs erreurs dans la gestion de la pandémie. Toutes ces zones grises conduisent les divers acteurs politiques à projeter leurs préjugés et leurs suspicions et à établir des ponts avec d’autres théories complotistes, comme celles concernant les vaccins (les « anti-vaxxers ») ou la technologie de communication 5G.

Dans son délire, l’extrême droite alterne entre la paranoïa (le coronavirus aurait été fabriqué à des fins machiavéliques) et la désinvolture, prétendant que le coronavirus ne serait pas aussi grave que ce qu’affirment les gouvernements et une entité « mondialiste » comme l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Il en découle que la pandémie serait un vaste canular ou une stratégie de diversion pour imposer un agenda caché : vacciner de force toute la population (objectif qui serait promu par Bill Gates), implanter des puces électroniques au moyen de faux vaccins, imposer le socialisme, ou réaliser un coup d’État pour instaurer une dictature « mondialiste ».

 

Instrumentaliser la pandémie

Quelle que soit leur interprétation, les forces d’extrême droite instrumentalisent la pandémie pour dénoncer de nouveau l’immigration (soi-disant responsable de la propagation du virus), réclamer la fermeture des frontières et faire l’apologie de la nation (cela dit, durant la pandémie, la plupart des forces politiques n’ont fait que réitérer ce qu’elles préconisaient déjà). C’est par exemple le cas de Marine Le Pen en France et de Matteo Salvini en Italie. Au Québec, comme nous le soulignions récemment dans un article, le groupe néo-fasciste Atalante a collé des bannières portant des slogans tels que « Le Mondialisme Tue » et « Le Vaccin Sera Nationaliste ». En phase avec leur posture habituelle, certains commentateurs populistes et réactionnaires, comme le chroniqueur du Journal de Montréal Éric Duhaime, ont suggéré que les ratés catastrophiques du gouvernement caquiste pour contenir l’épidémie sont en fait imputables aux réfugié-e-s. Duhaime a explicitement établi un lien entre la situation critique de Montréal et le point de passage irrégulier du chemin Roxham.

D’autres branches de l’extrême droite vont beaucoup plus loin. C’est notamment le cas de néonazis influencés par James Mason, l’Atomwaffen Division et d’autres protagonistes de la branche révolutionnaire dite « accélérationniste », qui voit le coronavirus comme un antidote au « Grand remplacement » et au « génocide blanc » et souhaite un effondrement de l’État afin de précipiter un processus de revitalisation ethnonationaliste. Le virus apparaît alors comme une arme biologique qui peut être utilisée contre les minorités ethniques et raciales.

Manifestation contre les mesures de confinement à l’Assemblée nationale, Québec, le 17 mai 2019.

Depuis la mi-avril 2020, l’instrumentalisation politique de la pandémie a pris une nouvelle forme avec l’irruption de manifestations anti-confinement. Bien que marginales d’un point de vue numérique, elles ont souvent réussi à s’attirer une importante couverture médiatique. À Montréal, elles ont été peu suivies et n’ont mobilisé qu’une poignée d’énergumènes. À Québec, elles ont eu davantage d’échos. Ainsi, le samedi 25 avril 2020, une centaine de personnes se sont rassemblées devant l’Assemblée nationale pour dénoncer le confinement, les vaccins et la 5G. Le 17 mai 2020, un convoi de 60 à 100 véhicules a fait le trajet de Montréal à Québec pour manifester contre les mesures de confinement. Depuis la mi-avril, il y a également eu des rassemblements dans plusieurs villes au Canada anglais. Bien que la plupart de ces rassemblements aient surtout attiré des personnes qui ne sont pas actives au sein de l’extrême droite, cette dernière prend parfois l’initiative (pour l’instant d’une manière non coordonnée). Ainsi, à Calgary et Hamilton, des personnes associées aux « Yellow Vests » ont continué à organiser des manifestations hebdomadaires en intégrant à leur discours des éléments anti-confinement et sceptiques vis-à-vis de la COVID-19, allant même dans certains cas jusqu’à filmer dans des hôpitaux pour « prouver » qu’il n’y a aucune crise sanitaire. En même temps, à Vancouver, des rassemblements anti-confinement ont attiré des néonazis qui invectivaient les passant-e-s, en appelants certain-e-s « chicoms » (une insulte anti-chinoise), traîtres et « libtards ».

Mais c’est aux États-Unis que ces manifestations ont eu le plus d’ampleur. Bénéficiant de l’appui explicite du président Trump — qui a appelé sur Twitter à « libérer » les États démocrates où des politiques de confinement strict étaient en vigueur –, des centaines, puis des milliers, de personnes se sont rassemblées et ont participé à des caravanes en voiture. Dans certains cas, elles ont manifesté devant le siège du gouvernement des États en question et ont poussé l’audace jusqu’à y entrer armées jusqu’aux dents, comme au Michigan le jeudi 30 avril 2020. Ces manifestations sont en continuité avec l’attentat raté du néonazi Timothy Wilson, qui a essayé le 24 mars 2020 de faire sauter un hôpital de Benton, au Missouri, pour dénoncer la politique de confinement du maire de la ville. Il a été abattu par le FBI avant d’y parvenir.

Ces manifestations anti-confinement, où l’on retrouve aussi bien des pancartes complotistes que des slogans anti-immigration, antisémites et anticommunistes ainsi que des drapeaux confédérés et nazis, constituent un espace de rencontre et de convergence entre la droite conservatrice et l’extrême droite. Loin d’être le produit spontané d’un ras-le-bol du confinement, elles sont financées par de riches familles et fondations républicaines, comme la famille Dorr et le Michigan Freedom Fund, proche de la ministre de l’Éducation Betsy DeVos, et appuyées activement par des organisations conservatrices comme FreedomWorks et Tea Party Patriots, qui font partie de la coalition « Save Our Country ».

L’une des organisations qui joue un rôle central dans la coordination de ces manifestations est American Revolution 2.0. Cette dernière est directement liée non seulement aux réseaux conservateurs mentionnés ci-dessus, mais aussi à des sites web d’extrême droite dont plusieurs sont explicitement racistes et font l’apologie de milices paramilitaires comme mymilitia.com.

La très grande majorité des personnes qui participent aux manifestations anti-confinement sont blanches. Ce n’est pas un hasard. En effet, le coronavirus touche tout particulièrement les minorités ethniques et raciales. Dans de nombreux États américains, les communautés afro-américaines  et latino sont fortement surreprésentées parmi les cas d’infection et de décès. Ces chiffres reflètent directement l’imbrication historique des inégalités sociales et raciales aux États-Unis. Les minorités Afro-Américaine et latino sont touchées non seulement par qu’elles sont statistiquement en moins bonne santé et moins couvertes par une assurance maladie que la population blanche, mais aussi parce qu’elles sont davantage employées dans des secteurs d’activité qui ne permettent pas de travailler de chez soi et au sein desquels on est plus susceptible d’être exposé au virus. Dans le même ordre d’idée, plusieurs siècles de politiques génocidaires ont rendu les populations autochtones particulièrement vulnérables à cette pandémie. Aux États-Unis comme au Canada, de nombreuses communautés autochtones ont un accès très limité à l’eau potable et souffrent de la surpopulation, autant de facteurs qui favorisent la propagation du virus. Ces facteurs systémiques expliquent sans doute aussi pourquoi la nation Navajo compte actuellement le plus grand nombre de cas de COVID per capita aux É.-U.

On peut alors faire l’hypothèse que les personnes blanches qui participent aux manifestations anti-confinement le font en partie parce qu’elles ne se sentent pas concernées par l’hécatombe qui frappe les minorités et refusent d’assumer le coût de la protection de ces dernières. Selon cette logique sacrificielle, la vie des minorités est superflue. Aux États-Unis, manifester contre le confinement serait-il un privilège blanc? En tout cas, ces mêmes manifestations risquent de contribuer à la propagation du virus et, ainsi, de rendre le confinement d’autant plus nécessaire.

Bien qu’elles n’en soient pas nécessairement à l’origine, les organisations d’extrême droite voient dans ces manifestations un terrain fertile d’expansion et d’influence. Elles y voient l’occasion de se refaire une vertu, de redorer leur image, de recruter de nouveaux membres et de peser sur l’après-pandémie. S’appuyant sur l’application Telegram et sur Facebook, le groupe d’extrême droite Proud Boys a ainsi commencé à recadrer les manifestations anti-confinement à partir de son opposition viscérale aux antifascistes.

Par exemple, la perturbation des caravanes anti-confinement par du personnel infirmier, à Denver, au Colorado, dont les photos ont beaucoup circulé, sont décrites comme des actions antifascistes, c’est-à-dire, du point de vue des Proud Boys, comme des actions antiaméricaines. Un article publié sur le site web des Proud Boys de Floride portait d’ailleurs le titre suivant : « Antifa Healthcare Workers Clash with Anti-Lockdown Protesters in Colorado ». Les Prouds Boys n’ont évidemment aucune information sur l’orientation politique précise de ces membres du personnel infirmier. Mais la réalité et la complexité des conflits sociopolitiques leur importent peu. Il s’agit à la fois de délégitimer leurs adversaires et de contribuer à normaliser les catégories dichotomiques du discours de l’extrême droite.

Les Proud Boys sont également proches des réseaux « accélérationnistes » qui ont développé le discours sur une seconde guerre civile à venir aux États-Unis, événement qu’ils nomment le « boogaloo », en référence au film « Breakin’ 2: Electric Boogaloo » de 1984, et qu’ils associent au port de chemises hawaïennes… Il est évidemment tentant de tourner tout ça au ridicule. Disons qu’il y a là matière à beaucoup de memes! Mais il n’empêche que le Tech Transparency Project, une organisation sans but lucratif de surveillance des entreprises technologiques, a recensé 125 groupes Facebook dédiés au « boogaloo ». Plus de 60 % de ces groupes ont été créés dans les trois derniers mois, soit au début des polémiques sur la pandémie et le confinement, et comptent des dizaines de milliers de membres qui discutent allègrement d’armement, d’explosifs, de tactiques militaires et de guerre civile.

Pour l’instant, la stratégie de l’extrême droite ne semble pas porter fruit. La grande majorité des partis d’extrême droite européens stagne, voire décline, dans les sondages, tandis que les divers groupuscules plus radicaux restent marginaux. Au début mai, la grande majorité des opinions publiques demeurait favorable au confinement et continuait à donner priorité à la santé publique plutôt qu’à l’économie. Cependant, il ne faut pas sous-estimer la capacité de l’extrême droite à rebondir rapidement une fois que la pandémie sera contrôlée et que le débat public se concentrera sur le coût de sa gestion. L’augmentation massive du chômage et les années d’austérité constitueront à cet égard un terrain fertile. De plus, la forte croissance des groupes Facebook et Telegram associés à l’extrême droite témoigne de la force d’attraction de son discours. Celle-ci ne va pas disparaître avec la pandémie. On pourrait même envisager qu’une pandémie en annonce une autre, nationaliste et autoritaire. Ce n’est pas pour rien qu’on parle souvent de « peste brune » pour caractériser la montée du fascisme dans les années 1930…

Il importe de souligner que si les manifestations anti-confinement dénotent un racisme latent, l’indifférence à l’égard des groupes sociaux marginalisés s’est aussi cristallisée dans les taux de décès effarants, largement évitables, dans les établissements de soins de longue durée. Ces décès font par ailleurs échos aux discussions soutenues dans certains cercles sur le refus de fournir des ventilateurs aux personnes handicapées en cas de pénurie. On pouvait par exemple lire dans un reportage de la CBC du 19 avril :

« Les lignes directrices de l’Ontario recommandent également le retrait du soutien des ventilateurs aux personnes présentant un risque de mortalité plus élevé, afin de donner la priorité aux personnes présentant un risque plus faible, en fonction du niveau de pénurie. Par exemple, dans le cas du scénario de pénurie le plus grave, un patient de 60 ans atteint d’une maladie de Parkinson modérée se verrait refuser l’accès à un respirateur ou se le verrait retiré à la faveur d’un patient n’ayant pas cette condition. »

Il n’est pas surprenant, au vu de cet argument utilitariste à la limite de l’eugénisme, que les personnes handicapées craignent qu’on leur refuse des mesures vitales si les soins qu’elles reçoivent menaçaient le rétablissement d’une personne non handicapée. On pourrait en dire long sur ce que cela signifie pour une société qui se montre prête à sacrifier ses aîné-e-s et ses membres les plus vulnérables au premier signe de crise. On pourrait par exemple en conclure qu’au fur et à mesure que le néolibéralisme a modifié non seulement nos systèmes économiques et sociaux, mais aussi notre façon même de comprendre la valeur de la vie, une estimation de la vie humaine fondée sur la capacité de production s’est graduellement emparée du « sens commun »…

 

Pour un antiracisme et un antifascisme sanitaires

Les développements présentés ci-dessus indiquent l’importance de continuer à surveiller l’extrême droite. Cela requiert d’identifier les acteurs impliqués, retracer les liens existants entre eux et documenter leurs activités, pour éventuellement pouvoir agir quand la situation l’exige. Cela dit, l’urgence du contexte de pandémie amène le mouvement antifasciste et antiraciste à faire preuve de solidarité et à soutenir et contribuer à divers projets d’entraide. Alors que les réseaux et groupes d’extrême droite envisagent d’utiliser le virus pour nuire aux minorités ou accumulent des stocks d’aliments et de premiers soins dans une logique survivaliste, les réseaux et collectifs d’extrême gauche et antifascistes mettent sur pied des systèmes de production et de distribution de masques et de gel hydroalcoolique tout en participant à des services de banque alimentaire. Une telle divergence de priorités et de pratiques est un rappel supplémentaire pour les personnes atteintes de cécité aiguë qui répètent à longueur d’année que les extrêmes se rejoignent, que l’extrême droite et l’extrême gauche sont les deux faces d’une même médaille, et autres absurdités du genre.

L’entraide a une longue histoire, aussi vieille que celle de la « sélection naturelle » racontée par Charles Darwin. Dans son ouvrage classique L’entraide : un facteur de l’évolution, d’abord publié sous forme d’articles à la fin du 19e siècle, l’anarchiste russe Pierre Kropotkine s’est employé à démontrer l’importance centrale de l’entraide et du mutualisme pour la survie et la prospérité, non seulement de l’espèce humaine, mais d’un nombre important d’espèces animales. Il écrit :

« La tendance à l’entraide chez l’homme a une origine si lointaine et elle est si profondément mêlée à toute l’évolution de la race humaine qu’elle a été conservée par l’humanité jusqu’à l’époque actuelle, à travers toutes les vicissitudes de l’histoire. Elle se développa surtout durant les périodes de paix et de prospérité : mais, même lorsque les plus grandes calamités accablèrent les hommes — lorsque des régions entières furent dévastées par des guerres, et que des populations nombreuses furent décimées par la misère, ou gémirent sous le joug de la tyrannie — la même tendance continua d’exister dans les villages et parmi les classes les plus pauvres des villes; elle continua à unir les hommes entre eux et, à la longue, elle réagit même sur les minorités dominatrices, combatives et dévastatrices, qui l’avaient rejetée comme une sottise sentimentale. »

L’époque actuelle ne fait pas exception à cette règle, et autant cette nouvelle calamité nous confronte de nouveau à des épreuves que l’espèce humaine a déjà dû maintes fois traverser au cours de son histoire, autant elle nous ramène aux principes qui ont de tout temps animé les solutions apportées à ces défis récurrents : la solidarité, la coopération et l’entraide. Devant l’incompétence ou l’inaptitude des États, et contre la cruauté des solutions proposées par les dominants, c’est plus souvent qu’autrement à l’échelle des communautés, des voisinages et des réseaux autonomes d’entraide que s’articulent les remèdes les plus appropriés aux maux qui affligent les plus vulnérables d’entre nous en temps de crise. Comme le résume le titre d’un livre de la féministe Rebecca Solnit, qui s’inspire de Kropotkine, dans l’enfer des catastrophes et des tragédies sociales émergent des communautés extraordinaires (A Paradise Built in Hell: The Extraordinary Communities that Arise in Disaster, Penguin, 2009; voir aussi l’article qu’elle a publié dans The Guardian à ce sujet).

Des membres du collectif antifasciste PopMob de Portland fabriquent du gel hydroalcoolique à distribuer dans la collectivité.

Concrètement, parmi les nombreuses initiatives, soulignons le travail du collectif antifasciste PopMob, à Portland, en Oregon, qui s’est associé au Rosehip Medic Collective pour produire du gel hydroalcoolique qu’il distribue aux personnes qui travaillent en première ligne, à toute une série de groupes communautaires et dans les quartiers populaires. Leur ligne de production, constituée d’une équipe d’une dizaine de personnes qui travaillent 4 à 6 heures par jour, est installée dans le Q Space, un espace de la communauté LGBTQ2SIA+, et fonctionne 6 jours par semaine. Toute la production est financée par des dons versés au Rosehip Medic Collective et à travers GoFundMe. Comme l’explique Effie Baum, une porte-parole de PopMob :

« Une part importante de l’antifascisme consiste à défendre et soutenir sa communauté. Notre travail est une façon de fournir de l’équipement à des communautés qui n’y ont pas accès. (…) Il y a beaucoup de pouvoir dans le pouvoir populaire, dans le renforcement communautaire [community building] ».

Cette logique suppose de redéfinir ce qu’on entend par militantisme antifasciste et d’aller au-delà des clichés virilistes qui insistent sur les affrontements physiques avec les militants d’extrême droite. Cela suppose d’élargir notre perspective pour inclure réellement le fait de prendre soin d’autrui, le travail de « care », dans la démarche antifasciste. L’antifascisme radical en est un de combat, mais aussi de care et de solidarité.

Suivant cette même logique d’extension du domaine de la lutte, un autre exemple intéressant en Europe est celui des Brigades de Solidarité Populaire, qui dénoncent autant le néo-libéralisme que les gouvernements et distribuent des masques, du gel hydroalcoolique et des repas aux précaires et aux personnes en première ligne. De la même façon que le mouvement antifasciste parle d’autodéfense populaire pour contrer l’extrême droite, ces brigades inscrivent leur démarche dans la continuité des luttes précédentes et parlent d’autodéfense sanitaire pour contrer la pandémie. D’abord formées à Milan, en Italie, elles ont rapidement essaimé dans de nombreuses villes d’Europe. En France, elles ont été créées par des militantes et militants de l’Action antifasciste Paris-banlieue et de collectifs de sans-papiers comme les Gilets Noirs et compteraient au début mai 2020 environ 750 membres en Île-de-France, où elles sont organisées par quartier. Comme l’explique un des appels invitant à en créer en France :

« Nous ne pouvons nous contenter d’attendre passivement ni le jour d’après, ni de nouvelles interventions institutionnelles, nous ne pouvons nous en remettre à ceux qui sont les premiers responsables de la situation dramatique que nous avons devant les yeux, nous ne pouvons faire confiance à ceux qui, depuis de trop nombreuses années, ont géré les hôpitaux comme des entreprises qu’il s’agit de rentabiliser afin de maximiser les profits. Non, ce dont l’État est capable, c’est tout au plus de gérer le désastre. Il nous faut, dans cette situation comme dans d’autres, apprendre à compter sur nos propres forces.

(…) en tant que militants révolutionnaires issus du cycle de mouvements des dernières années – du printemps de lutte contre la Loi Travail à l’insurrection des Gilets Jaunes – nous savions que ce désastre était prévisible. Des soignants se mobilisent depuis de longs mois pour dénoncer le manque de lits et de moyens. Des ouvriers décèdent chaque année au travail par manque de protections. Des personnes âgées meurent dans des conditions d’isolement et d’indignité absolue. Tout ce qui apparaît aujourd’hui dans une lumière aveuglante existait déjà, hier, dans l’obscurité médiatique : c’est la vie de celles et ceux que la bourgeoisie et les médias dominants maintiennent dans l’inexistence. L’inexistence d’une organisation sociale définie par l’intérêt privé, le profit et la concurrence, et au sein de laquelle une partie de plus en plus grande de la population, celle sans qui la vie elle-même ne peut être maintenue, compte pour rien. (…)

Si des mesures de grande échelle sont à n’en pas douter nécessaires, et même vitales, il nous faut de toute urgence approfondir un niveau d’organisation populaire autonome en capacité de donner corps au mot d’ordre d’autodéfense sanitaire. C’est-à-dire : entamer un travail de solidarité immédiate, pour et avec les populations les plus touchées par la crise, qui sont aussi celles dont l’État se désintéresse structurellement. Ce faisant, il s’agit aussi de sortir la question du soin de l’espace privé au sein duquel elle est confinée depuis des siècles et déterminée par une hiérarchie genrée et racialisée, pour en faire le prisme central à travers lequel repenser notre organisation collective, notre reproduction sociale.

Notre tâche dans cette séquence n’est pas de remplacer les associations humanitaires, mais d’orienter dans un même sens des pratiques dispersées, déjà existantes et qui se démultiplient depuis l’annonce du confinement. Bref de leur donner une trajectoire politique et antagonique. Une trajectoire qui assume la rupture avec l’ordre capitaliste existant comme perspective stratégique et l’auto-organisation populaire sur une base territoriale comme élément de genèse d’un contre-pouvoir effectif. (…) La solidarité dont nous parlons n’est pas un vain principe supposé transcender les antagonismes, mais ce qui doit au contraire nous permettre de renforcer notre capacité offensive. (…)

L’autodéfense sanitaire est un moyen de reconsidérer que la défense de nos communautés ne peut s’assurer que par la mise en place, par le bas, de dispositifs d’entraide, d’une attention particulière aux personnes en situation de grande précarité, à celles et ceux qui subissent l’isolement et la répression.

Cette autodéfense sanitaire ne doit donc pas constituer une perspective de lutte réduite au seul temps de l’urgence épidémique, et doit encore moins se penser comme une lutte sectorielle. (…) Notre autodéfense “sanitaire” est donc bien une autodéfense populaire, en ce qu’elle constitue l’opportunité de repenser notre rapport aux modalités de reproduction sociale dans leur ensemble, soit à l’organisation qui nous permet, jour après jour, de produire et reproduire nos vies, et de nous interroger sur les formes de vies que nous voulons produire ensemble.

Nos résistances sont vitales! »

Dans de nombreuses villes, les antifascistes ont été au cœur de beaucoup de ces projets, aidant à construire des alliances avec d’autres groupes autonomes ou issus de l’extrême gauche. Par exemple, à Lyon, le Groupe antifasciste Lyon et environ (GALE) s’est allié à des collectifs anti-gentrification comme « La Guillotière n’est pas à vendre » et « l’Espace communal de la Guillotière ». Des fils Telegram ont été rapidement mis sur pied, puis un numéro d’appel ainsi qu’une conversation Discord pour coordonner la récupération et la distribution alimentaire. Ou encore, en Suisse, l’Action Antifasciste Genève et les Jeunes Révolutionnaires Genève ont créé la Brigade de Solidarité Populaire genevoise « Yvan Leyvraz » en mémoire du brigadiste internationaliste suisse assassiné au Nicaragua en 1986.

Des membres du réseau Cooperation Jackson, au Mississippi, fabriquent des masques à distribuer dans la communauté.

Au-delà des groupes antifascistes, les forces de gauche actives dans les communautés racisées ont pris l’initiative de combler le vide créé par l’ineptie et la négligence caractéristiques des politiques fédérales sous le régime Trump. Au Mississippi, Cooperation Jackson, un réseau coopératif de groupes implantés dans la capitale de l’État et ancrés dans le mouvement New Afrikan, travaille depuis plusieurs années à la mise en place d’une base économique autonome pour s’affranchir des gouvernements racistes de l’État et du fédéral. Dès le mois d’avril 2020, Cooperation Jackson produisait des masques cousus à la main et de l’équipement de protection personnel imprimé en 3D pour une distribution à l’échelle des communautés. D’autres organisations communistes et nationalistes au sein des communautés noires et latinos aux États-Unis ont aussi fourni de l’équipement de protection personnel gratuit et organisé des distributions alimentaires à l’intention des membres les plus vulnérables de ces communautés.

Des membres du collectif Hoodstock de Montréal-Nord, assemblent des kits sanitaires à distribuer dans le quartier.

À Montréal, bien que plusieurs militantes et militants antifascistes soient directement investi.e.s dans divers réseaux d’entraide à titre individuel, l’une des principales initiatives autonomes a été développée par Hoodstock, un collectif antiraciste du quartier populaire de Montréal-Nord, particulièrement touché par la pandémie. Visant principalement la distribution de matériel sanitaire et de produits alimentaires pour la population défavorisée de Montréal-Nord, la campagne de Hoodstock s’inscrit explicitement dans les luttes plus larges pour l’égalité et la justice sociale. Comme l’explique l’appel à dons de la campagne :

« Une crise sanitaire comme celle que nous connaissons jette un éclairage plus saisissant sur les inégalités systémiques vécues par la population nord-montréalaise. Notre arrondissement se caractérise par des problèmes sociaux qui auraient dû alerter les autorités bien plus tôt : ressources insuffisantes en santé et services sociaux, déserts alimentaires, organismes communautaires sous-financés, absence d’alternatives aux transports en commun, manque d’accès à internet, insalubrité des logements, etc. En outre, Montréal-Nord est marqué par une densité de population exceptionnellement forte qui favorise la circulation du virus. C’est pourquoi Hoodstock passe à l’action. »

Photo de Solidarité sans frontière/Solidarity across border/Solidaridad sin frontera.Toujours à Montréal, nos camarades de Solidarité sans frontières, qui ne cessent de dénoncer les centres de détention des migrant.e.s, ont organisé une caravane le 19 avril 2020 pour demander la libération immédiate de tous et toutes les détenu.e.s et un statut pour tous et toutes les migrant.e.s. L’emprisonnement des migrant.e.s est toujours inacceptable, mais il l’est d’autant plus dans le contexte de pandémie de la COVID-19. Dans la même veine, Solidarité sans frontières a lancé une campagne de financement pour soutenir les sans-papiers durant la pandémie et les aider à pouvoir effectivement respecter le confinement :

« Notre système discrimine les migrant-e-s sur la base de leur statut d’immigration, mais le virus ne discrimine pas. Si l’on veut que les mesures de distanciation physique et d’isolement volontaire soient efficaces, elles doivent être accessibles à tout le monde. Cette discrimination est indéfendable et cruelle, puisqu’elle fait porter un fardeau indu aux membres les plus vulnérables de notre communauté, pour le bénéfice de la santé et au bien-être de nous tout-te-s. Demander à une personne sans statut de choisir entre ne plus pouvoir subvenir à ses besoins de base et continuer à travailler est injuste, inadmissible. Et ultimement, ce système met tout le monde à risque. La santé des travailleur-euse-s précaires et sans papiers, c’est la santé de tout le monde — nos vies sont interconnectées. »

Une telle campagne nous rappelle que le respect du confinement et la prévention de la pandémie requièrent des conditions sociales particulières. En d’autres termes, elle nous rappelle que la question sanitaire est indissociable de la question sociale.

Au-delà des particularités locales, les priorités sont partout plus ou moins les mêmes : récupérer et distribuer des produits d’hygiène et de soin, des masques et des gants, des denrées alimentaires non périssables, des livres et des jouets, des ordinateurs, etc. Il s’agit non seulement de riposter à la pandémie par l’auto-organisation et l’entraide, mais aussi de politiser cette riposte pour éviter qu’elle soit instrumentalisée par les gouvernements et pour qu’elle puisse servir de base aux luttes qui suivront lorsque le confinement prendra fin et que la pandémie s’atténuera. Il s’agit également d’occuper le terrain et d’isoler les forces d’extrême droite pour rendre plus difficile toute tentative de remobilisation de leur part après le confinement.

Cette dimension politique peut parfois impliquer que certaines initiatives d’entraide soient confrontées à la répression policière. Ainsi, le 1er mai 2020, des membres de la Brigade de Solidarité Populaire de Montreuil, à l’est de Paris, ont été encerclés et nassés par la police durant une distribution de paniers alimentaires; la presque totalité des personnes présentes a été verbalisée sous prétexte de « manifestation revendicative ». Notons d’ailleurs qu’Amnesty International a dénoncé les pratiques illégales de la police française durant le confinement, en particulier un recours illégal à la force, un usage de techniques d’intervention dangereuses, des propos racistes et une surreprésentation des contrôles selon les quartiers (les quartiers populaires étant évidemment davantage contrôlés que les quartiers bourgeois).

 

Quelques pistes pour l’après-pandémie

Étant donné l’incertitude qui caractérise la pandémie, il est impossible d’anticiper clairement ce qui adviendra par la suite. Mais nous pouvons néanmoins proposer quelques pistes. Tout d’abord, les montants stratosphériques qui ont été dépensés pour sauver les grandes entreprises et, dans une moindre mesure, soutenir les populations ayant perdu leur emploi dans le contexte de confinement généralisé ainsi que la profonde crise économique qui commence permettent d’anticiper un violent retour de bâton dans les mois et années à venir. Tous les arcs-en-ciel du monde ne suffiront pas à protéger les populations déjà vulnérables et précarisées de la violence des politiques d’austérité. C’est pourquoi les initiatives et réseaux d’entraide qui sont apparus dans les dernières semaines sont essentiels et seront appelés à jouer un rôle central dans l’après-pandémie. Comme l’évoque l’appel des Brigades de Solidarité Populaire cité plus haut, l’autodéfense sanitaire doit aller au-delà de l’urgence épidémique et des enjeux sectoriels pour remettre en question la reproduction sociale et le capitalisme. Demain plus que jamais, notre antifascisme se devra d’être anticapitaliste!

La pandémie a également démontré on ne peut plus clairement à quel point nos sociétés dépendent du travail féminin, racisé et migrant pour subsister. Alors que l’extrême droite se gargarise de fantasmes virilistes et conçoit les femmes comme des êtres faibles qui ne sauraient exister sans un homme pour les protéger, ce sont précisément ces femmes qui sont dans les tranchées de la pandémie, qui portent à bout de bras notre système de santé et qui en assument le coût. De plus, contrairement à ce qu’on observe dans la plupart des pays du monde, au Québec la COVID-19 frappe plus les femmes que les hommes : selon l’Institut national de la santé publique du Québec (INSPQ), début mai 2020 elles représentaient 60 % des infections et 54 % des décès. Il ne faut surtout pas que l’après-pandémie se traduise par une nouvelle invisibilisation de leur apport et une dévalorisation de leur travail. Lutter pour cette reconnaissance est non seulement indispensable et juste, mais aussi nécessaire si nous prétendons éviter que la droite conservatrice et l’extrême droite ne réduisent l’émancipation des femmes à la laïcité en faisant fi des conditions sociales et matérielles de l’égalité et des droits.

De même, alors que les nationalistes de tout poil ne cessent de parler de fermeture des frontières, les personnes issues de l’immigration sont en première ligne, dans les hôpitaux, les centres pour personnes âgées, les supermarchés, pour que d’autres puissent respecter le confinement. Pourtant, nous n’avons pas entendu les gouvernants souligner les bienfaits de l’immigration et des sans-papiers dans leurs points de presse quotidiens et, jusqu’à preuve du contraire, rien n’empêche que ces « anges gardiens » sans statut soient déporté-e-s une fois la pandémie contrôlée. À ce chapitre d’ailleurs, une motion déposée en chambre par la députée indépendante Catherine Fournier invitant l’Assemblée nationale à reconnaître « la contribution des centaines de demandeurs d’asile, majoritairement d’origine haïtienne, œuvrant présentement comme préposés aux bénéficiaires dans les CHSLD du Québec » et à demander au gouvernement canadien de « régulariser rapidement leur statut d’immigration » a été soutenue par tous les partis sauf la CAQ, majoritaire. Questionné plus tard à ce sujet en conférence de presse, François Legault a grossièrement esquivé l’enjeu en invitant les journalistes et la population à ne pas « mélanger les dossiers des réfugiés, des gens qui passent par Roxham et le dossier de la communauté haïtienne ». Ces questions sont pourtant intimement liées. [Mis à jour : Suite à un tollé important, le 25 mai, Legault a annoncé que son gouvernement sera prêt à « analyser » les dossiers pour éventuellement les recevoir « non pas comme réfugiés, mais comme immigrants ».]

Il nous incombe, dès maintenant, mais aussi et surtout après la pandémie, de constamment souligner l’apport et la nécessité de l’immigration. Face aux gouvernements et aux forces nationalistes qui instrumentalisent l’immigration à des fins économiques et électorales, nous devons au contraire œuvrer à l’élargissement d’un front antiraciste et antifasciste large pour revendiquer la liberté de circulation des personnes indépendamment des besoins du marché et une régularisation massive des personnes en situation irrégulière ou sans statut.

Il faut aussi envisager que les États continuent à concentrer les pouvoirs au-delà des mesures d’exception et à mettre en place divers mécanismes de surveillance des populations au nom du contrôle de la pandémie. Bien que l’identification et le traçage des personnes infectées puissent jouer un rôle important dans la prévention des épidémies, il n’en demeure pas moins que nous doutons fortement de la propension des États et des multinationales à utiliser ces données et informations avec sagesse ou de façon désintéressée et anticipons qu’elles seront utilisées à des fins de contrôle des populations au-delà des enjeux sanitaires. C’est pourquoi la lutte pour la préservation d’espaces non surveillés et autonomes sera vitale.

Enfin, comme il est probable que le spectre du coronavirus revienne régulièrement nous hanter et que certaines mesures de distanciation physique restent en place plusieurs mois, voire plusieurs années, nous devrons inventer de nouvelles façons de nous organiser, d’agir collectivement, et de perturber les routines et l’ordre social des dominants.

 

Des Montréalais tiennent un mémorial pour un prisonnier décédé et appellent à l’action

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Mai 252020
 

Du Groupe anti-carcéral

Le 24 mai, Montréal – À 14 heures aujourd’hui, une caravane de plus de 30 véhicules a visité la prison de Bordeaux à Montréal. Les manifestants ont créé un mémorial pour le prisonnier décédé, Robert Langevin, et ont appelé à des actions immédiates et importantes pour assurer la sécurité des prisonniers et des communautés. Un message des sœurs de M. Langevin a été diffusé, tandis que les véhicules, décorés de slogans tels que «Les prisons tuent» et «Libérez les tous», ont klaxonné, scandé des slogans et brandi des banderoles en solidarité avec les prisonniers à l’intérieur.

Robert Langevin, un prisonnier de 72 ans dans l’Établissement de Bordeaux, est décédé de la COVID-19 dans la nuit du 19 au 20 mai. Profondément malade, M. Langevin avait demandé de l’aide au personnel de l’établissement à plusieurs reprises, et avait même déposé une plainte auprès le Protecteur du citoyen le 27 mars. Ses sœurs, Thérèse et Pierrette Langevin, ont envoyé un message aux participants, qui était écrit sur des affiches et fixé à la clôture entourant la prison de Bordeaux.

“Cher Robert,” lisait le message, “c’est avec un coeur lourd que nous te disons: Adieu, mon frère, tu as toujours été un battant, toujours là pour tout le monde. Aujourd’hui, c’est le monde qui est là pour toi. Ils ont entendu ton cri du coeur. Ils veulent te dire qu’ils sont là pour toi afin de dénoncer l’injustice présente, à travers les murs. Tu n’es pas seul – On est là – On t’aime.”

En plus d’honorer M. Langevin, les participants ont également appelé le gouvernement du Québec à prendre des mesures immédiates et concrètes pour assurer la sécurité des prisonniers et des communautés. Jean-Louis Nguyen était un des cinq participants dont un proche est incarcéré à Bordeaux. “On est ici pour honorer la mémoire de M. Langevin, mais aussi pour rappeler au public qu’il y a malheureusement encore des détenus en difficultés; ils sont isolés, malades, sans soins et coupés de leur famille depuis des semaines,” a dit Nguyen. “Il faut à tout prix éviter un autre cas tragique comme celui de M. Langevin.”

Ted Rutland, membre du Groupe anti-carcéral, a déclaré que le ministère de la Sécurité publique du Québec doit libérer les prisonniers pour permettre une distanciation sociale. «La principale réponse du gouvernement du Québec à la crise du COVID-19 dans ses prisons a été d’enfermer les détenus 24 heures sur 24 dans leurs cellules. Il y a des prisonniers à Bordeaux qui sont enfermés dans leurs cellules depuis 30 jours maintenant, avec peu de contact avec l’extérieur. C’est littéralement de la torture », a déclaré Rutland.

Rutland a noté que des provinces comme l’Ontario, le Manitoba, la Saskatchewan, l’Alberta et la Nouvelle-Écosse ont libéré 25 à 45% de leur population carcérale pour protéger les détenus et les communautés contre la COVID-19. Le Québec, en revanche, n’a identifié qu’un faible pourcentage de prisonniers pour un possible libération. Les derniers chiffres suggèrent que seuls 29 prisonniers provinciaux ont été libérés grâce à cette mesure, et les avocats affirment que les prisonniers qui pourraient se prévaloir du décret continuent de se faire refuser une libération anticipée.

Les participants ont également décrié les mauvais traitements infligés aux prisonniers à Bordeaux depuis la crise sanitaire. Une participante dont le conjoint est incarcéré n’a pas pu le contacter depuis deux semaines et elle s’inquiète pour sa sécurité. La femme, qui préfère ne pas être nommée, a conduit les participants aux chants de «Solidarité» et «Vous n’êtes pas oubliés». Les prisonniers à l’intérieur ont crié de leurs cellules, et un va-et-vient retentissant s’est poursuivi pendant une demi-heure.

Catherine Lizotte, qui s’implique pour aider Robert Langevin et sa famille, estime que l’événement a atteint son objectif. «Je veux que les prisonniers sachent que nous pensons à eux, que nous les aimons», a-t-elle affirmée. «Et nous continuerons de nous battre pour leur libération.»

La foule est partie après une heure, au moment où quatre voitures du SPVM sont arrivées pour observer. En violation du code disciplinaire du SPVM, une voiture de police a fait jouer la chanson d’Akon, «Locked Up», sur le haut-parleur.

 

Des photos de l’événement sont disponibles à https://bit.ly/2TBMTaV

Pour plus d’informations, contactez:

Groupe Anti-carcéral
anticarceralgroup@riseup.net