Soumission anonyme à MTL Contre-info
Le 12 novembre 2017, une manif de près de 5000 personnes a marché à travers Montréal sous la bannière « grande manifestation contre la haine et le racisme ». Dans un contexte où l’extrême-droite a été capable d’accoter ou même de mobiliser plus que les anti-racistes à plusieurs reprises dans les derniers mois, cette manifestation aura été une bonne démonstration de force en plus d’être une étape importante au niveau tactique de la part des organisateurs. Clairement, la manifestation a été organisée selon un modèle de coalition de gauche, ce qui a résulté en l’utilisation de discours populistes questionnables dans leur appel à la mobilisation. Alors, certain.es d’entre nous nous sommes inquiété.es d’une dérive potentielle qui mènerait à décontextualiser et une déligitimiser le concept de « haine », ce qui aurait vraisemblablement pu se retourner contre les anarchistes et d’autres radicaux à l’avenir.
Certain.es d’entre nous avons participé à la manif par solidarité, tout en restant critiques. Ci-dessous, vous retrouverez le texte que nous avons distribué aux participant.es à la manifestation et aux passants.
(certain.es reconnaîtrons ici une section du texte Contre la Logique de Soumission par Wolfi Lanstreicher)
La haine
Beaucoup sont furieux.ses face aux dérives fascistes et autoritaires du contexte politique actuel. Il y a toutefois un souci pratique lié à la tension constante pour rester consistant.es avec ses valeurs et son éthique personnelles et ce, particulièrement dans des temps d’anxiété de masse. En ayant cela en tête, en tant qu’anarchistes, nous pouvons offrir une perspective critique sur le discours «contre la haine».
Puisque nous avons pris la décision de refuser de vivre tel que l’entend la société, de nous soumettre à l’existence qu’elle nous impose, nous sommes rentrés en conflit permanent avec l’ordre social. Ce conflit sera visible dans plein de situations différentes, réveillant les passions intenses de ceux qui ont une forte volonté. Exactement comme avec nos amours et nos amitiés que nous exigeons pleines et intenses, nous voulons entrer tout entier.e dans nos conflits également, et en particulier dans le conflit qui nous oppose à cette société pour sa destruction. Nous luttons donc avec toute la force nécessaire pour atteindre ce but. C’est sous cet angle que nous, les anarchistes, pourront le mieux comprendre la place de la haine.
L’ordre social actuel cherche à tout rationaliser. Pour lui, la passion est dangereuse et destructrice puisqu’une telle intensité de sentiment est, après tout, en opposition à la froide logique du pouvoir et du profit. Il n’y a pas de place dans cette société pour une raison passionnée ou la concentration raisonnable de la passion. Lorsque la valeur sociale la plus importante est le bon fonctionnement de la machine, alors la passion et la vie quotidienne ainsi que la raison humaine portent atteinte à la société. Il faut une rationalité froide construite sur une vision mécanique de la réalité pour soutenir ce genre de valeur.
C’est ainsi que les campagnes contre la « haine » conduites non seulement par tous les progressistes et réformistes, mais aussi par les institutions du pouvoir à la base des inégalités sociales (sans nous référer à «l’égalité des droits» qui n’est qu’une abstraction légale, mais plutôt aux différences concrètes concernant l’accès aux choses nécessaires pour qu’une personne puisse déterminer elle-même ses conditions de vie.) qui introduisent la bigoterie dans le tissu de cette société, font sens à plusieurs niveaux. En se concentrant sur les tentatives pour combattre la bigoterie dans les passions des individus, les structures de domination rendent aveugles plein de gens de bonne volonté à la bigoterie qui a été insérée dans les institutions de cette société, cette bigoterie qui est un aspect nécessaire à sa méthode d’exploitation. Ainsi, la méthode pour combattre la bigoterie suit un chemin double : essayer de changer les coeurs des individus racistes, sexistes et homophobes et promouvoir des lois contre les passions indésirables. En conséquence, la nécessité d’une révolution qui détruit l’ordre social construit sur la bigoterie institutionnelle et l’inégalité structurelle est oubliée, et l’Etat ainsi que les différentes institutions à travers lesquelles il exerce son pouvoir sont renforcées, leur permettant de supprimer « haine ». De plus, la bigoterie rationalisée est utile au bon fonctionnement de la machine sociale. Une passion individuelle trop intense, même lorsqu’elle est canalisée par la bigoterie, représente une menace au bon fonctionnement de l’ordre social. Cette passion est imprévisible et c’est un maillon faible dans la chaîne du contrôle. Elle doit donc être supprimée et ne doit s’exprimer qu’à l’intérieur des cadres qui ont été minutieusement mis en place par les dirigeants de cette société. Mais un aspect de l’accent qui est mis sur « haine » (une passion individuelle) plutôt que sur les inégalités institutionnelles qui servent si bien l’Etat est que cela permet à ceux au pouvoir (et les médias à leurs bottes) d’arriver au même niveau de haine irrationnelle et bigote que les suprémacistes blancs et que les tabasseurs d’homos avec la haine raisonnable que ressentent les exploités qui se sont révoltés vis-à-vis des maîtres de cette société et de leurs laquais. C’est ainsi que la suppression de la haine se fait dans l’intérêt du contrôle social, soutient les institutions du pouvoir et, in fine, soutient l’inégalité institutionnelle nécessaire au fonctionnement du pouvoir.
Ceux parmi nous qui souhaitent la destruction du pouvoir, la fin de l’exploitation et de la domination, ne peuvent pas succomber aux logiques rationalisantes des progressistes, qui ne sont là que pour servir les intérêts des dirigeants du présent. Etant donné que nous avons choisi de refuser l’exploitation et la domination, de nous saisir de nos vies dans la lutte contre la réalité misérable qui nous a été imposée, nous nous confrontons inévitablement à toutes sortes d’individus, d’institutions et de structures qui sont sur notre route et s’opposent activement à nous (l’Etat, le capital, les dirigeants de cet ordre et leurs loyaux chiens de garde, les différents systèmes et institutions de contrôle et d’exploitation). Tous ceux là sont nos ennemis et il est raisonnable de les haïr. Il s’agit de la haine de l’esclave pour son maître, ou plus précisément, de la haine de l’esclave qui s’est échappé.e pour les lois, la police, les « bons citoyens », les palais de justice et les institutions qui cherchent à le/la rattraper pour le/la rendre à son maître. Et comme pour les passions de nos amours et amitiés, nous devons également cultiver cette haine passionnée et nous l’approprier, son énergie dirigée toute entière vers le développement de nos projets de révolte et de destruction.
Puisque nous désirons être les créateurs de nos vies et de nos relations, que nous désirons vivre dans un monde où tout ce qui emprisonne nos désirs et étouffe nos rêves aurait disparu, une tâche immense nous attend : la destruction de l’ordre social actuel. La haine de l’ennemi (de la caste de dirigeant et de tous ceux qui la soutiennent) est une passion orageuse qui peut fournir l’énergie nécessaire à cette tâche que nous ferions bien d’embrasser. Les anarchistes insurrectionalistes voient la vie d’une certaine manière et envisagent un projet révolutionnaire de façon à concentrer cette énergie pour pouvoir viser avec intelligence et force. La logique de soumission requiert la suppression de toute les passions, et qu’elles soient transformées en consumérisme sentimental ou en idéologies rationalisées de bigoterie. L’intelligence de la révolte embrasse toutes les passions, voyant en elles non seulement de puissantes armes pour la bataille contre cet ordre, mais également les bases de l’émerveillement et de la joie d’une vie vécue pleinement.
Que vous vous identifiez à l’anarchisme ou pas, vous accrocher à cet impitoyable système politique à un moment où, aux yeux de la plupart des gens, sa légitimité décline sévèrement, c’est placer entièrement la balle dans le camp de réactionnaires comme Trump, La Meute et Storm Alliance, ou alternativement, de progressistes comme Trudeau, Zuckerberg et le NPD. Les nationalistes-blancs, aux politiques ouvertes et directes, et les progressistes libéraux ne sont que les deux côtés d’une même médaille, basée sur le progrès de la même civilisation occidentale. Ils tiennent le même discours autour de la loi, de l’ordre, de la civilité et des droits.
Alors que la droite prends les erreurs du mouvement anti-globalisation et les transforme en « rébellion » raciste contre le néolibéralisme, vers le nationalisme économique, il est de notre devoir de commencer à articuler notre propre rébellion contre cette société. Une rébellion qui se conçoive comme la lutte de la vie contre la mort, qui reconnaisse une rupture complète avec l’ordre présent comme seule solution réaliste à nos problèmes. Nous devons non seulement nous organiser pour nous défendre contre les racistes et répondre aux attaques des puissants contre les pauvres et les marginalisés, mais nous devons aussi nous organiser pour créer nos propres pouvoirs et ressources pour nous-mêmes, construire des relations qui ébrèchent la suprématie blanche et le patriarcat, et lancer des attaques contre les institutions de la société canadienne coloniale et suprémaciste blanche.
Pour une haine saine de la suprématie, du capitalisme, de l’autorité et de toutes les hiérarchies sociales!
Des anarchistes