Soumission anonyme à MTL Contre-info
Début de la crise et Grande Répression
Cela a commencé en Chine. Des touristes, des banquiers, et d’autres, notables pour leur fortune, l’ont contracté. Le virus étant mortel, et requérant une médecine inconnue, l’on a voulu le contenir au plus vite, mais en vain.
Mon oncle fut parmi les premières victimes au Québec. Peu de temps après sa mort, mon père mourut aussi, sans avoir pu profiter de la fortune de son frère dont il venait d’hériter et sans avoir eu le temps de m’en faire à mon tour l’héritier…
Le virus se propage comme aucun autre connu. Au début de la crise, on disait « de façon aléatoire… ». On dit aujourd’hui que cela ressemble à une malédiction. Par habitude, on prôna l’évitement de la proximité, même si cela ne semblait pas le moyen de propagation du virus. En effet, puisqu’aucun cas n’était enregistré chez les serveurs, serveuses, les caissiers, caissières, bref chez ces travailleurs, travailleuses qui tâtent le moindre produit du capital pour le vendre, et autant de monnaie pour la remettre aux patrons, qui interagissent avec des centaines de gens par jour. Quand ce fut au tour des politiciens de tomber malades, alors qu’on n’enregistrait encore aucun cas chez les masses, on commença à s’intéresser avec zèle à l’origine du virus. Dans l’Est, on crut que c’était un coup des États-Unis. Aux États-Unis, on crut que c’était un coup de l’Est. Or réalisant bientôt que ni l’Ouest ni l’Est n’avait préparé un tel coup, on accusa une supposée Internationale révolutionnaire formée en secret.
La répression de tout regroupement à saveur anarchiste fut brutale. Si bien qu’on regretta de ne pas s’être effectivement organisé.e en Internationale secrète. Les autorités d’ici fermèrent d’abord l’UQÀM, lieu où, drôlement, elles soupçonnaient le plus d’« éléments séditieux ». Nos festivals, nos squats, nos cénacles, la police sabota le moindre de nos espaces. Les plus naïfs et naïves d’entre nous réalisèrent non seulement qu’il faillait bien que ces espaces aient été fortement surveillés déjà pour qu’on les sabote tous ainsi, systématiquement et dès l’émission de l’ordre, mais aussi, qu’il n’y a pas du tout lieu de penser pouvoir mener une activité révolutionnaire en toute sécurité sous domination. Du côté de nos camarades communistes, on vit flamber la Maison Norman Béthune le soir même de la déclaration du gouvernement contre la supposée Internationale. Les autorités sont allées jusqu’à persécuter dans leur demeure les camarades Côté et Gauthier, qui tenaient une librairie d’occasion à Salaberry-de-Valleyfield. Côté et Gauthier, qui apportaient tant à leur communauté par les ateliers qu’iels organisaient, par la distribution de savoirs, par toutes sortes de gestes solidaires, ont fini par mourir des blessures que leur ont infligées les gendarmes. Nous nous assurerons d’une transmission de leur héritage, c’est-à-dire les fruits de leur archivage que des proches conservent pour l’instant et, une fois Valleyfield définitivement gagnée, le maintient d’un lieu de rencontre et de savoir tel que Côté et Gauthier n’en ont jamais rêvé.
Ces écrasantes défaites, dont la liste est si longue qu’on ne saurait la transcrire au complet – je vous partage celles qui m’ont le plus directement touchées – valent mention en cas d’un retour à l’ordre ancien : s’exposer sans plan de secours a eu pour résultat la neutralisation par les autorités de camarades parmi les plus vaillants, vaillantes dès le commencement d’hostilités sérieuses. Et cela, sans qu’on ait pu faire quoi que ce soit pour empêcher ou prendre moins durement le coup. À noter que malgré que plusieurs membres de nos groupes prétendaient militer « au nom des masses », ces dernières ne furent d’aucune aide au commencement de la Grande Répression. Certes, les personnes itinérantes, les fugitives et fugitifs, les gens en refuges n’auraient de toute façon pas pu faire grand chose. Mais je parle de l’autre masse, celle des travailleurs, travailleuses quelque peu engraissé.e.s ou aspirant à le devenir ou entretenant une allégeance indéfectible envers la société de classes. Je parle de profs, d’employé.e.s d’usines, d’infirmières (contre toute attente) et de gens de cuisine! Tout ce spectre allant de l’aristocratie ouvrière à une confortable misère. Je parle de cette masse de traîtres qui ont largement diffusé et encouragé l’opinion du pouvoir à propos d’une crise qui, finalement, était la crise du pouvoir même. En effet, donc, notre exposition, nos façons d’aborder les masses au sein d’un système de domination auront à être repensées en cas de guérison de notre ennemi. Non pas que ces questions n’avaient jusqu’alors jamais été posées. Or on voit bien, à la lumière des événements récents, que ces questions n’avaient pas à être mises en dépôt, que nous révolutionnaires n’étions que toléré.e.s, que si la bourgeoisie nous avait combattu en fonction d’un danger moins grand, moins assuré que le virus, je ne serais pas là à rendre compte de la situation révolutionnaire dans Montréal et ses alentours.
Où en est-on?
Ce ne furent évidemment pas que les révolutionnaires confirmé.e.s qui souffrirent durement des mesures de sécurité bourgeoise. En Indonésie, l’État restreignit à ces agents l’accès à Internet. Tous les services de téléphonie y furent sommés d’enregistrer toute communication et des agents furent payés pour vérifier si le courrier papier ne contenait pas des marques de complots contre l’État. Ce n’est que tout récemment que nous avons pu entrer en contact avec des révolutionnaires de l’Indonésie, après des mois de silence de leur part. Plusieurs autres États ont suivi l’exemple et ont privé de contacts et de ressources des communautés sous prétexte qu’elles accueillaient des « éléments séditieux ». Aussi, dans tous les pays industrialisés, ce fut le confinement général renforcé par la police, la fermeture de tout sauf ce qui a trait aux besoins essentiels, puisqu’on ne savait pas encore si le virus n’allait pas s’attaquer aux masses et se transmettre ainsi davantage. Suite à cet ordre, plusieurs virent leur situation devenir encore plus précaire qu’elle ne l’était déjà : réduction des revenus, isolement en situation de violence conjugale ou parentale, empilement des charges émotives et de travail, etc. Heureusement, l’expérience indique que le virus avait bel et bien une destination et que celle-ci n’était pas le camp des dominé.e.s. C’est ainsi que le renversement de la classe dominante comme destin obligé pour l’atteinte d’une meilleure santé redevint, par un retournement que personne n’avait envisagé, une évidence; et qu’on donna malheureusement raison à cette publication d’avant la Grande Répression, au Lundi Matin : « l’humanité ne se pose que les questions qu’elle ne peut plus ne pas se poser. » Par ailleurs, si vous, travailleurs, travailleuses, et laissé.e.s pour compte, habitez dans une région du monde où la bourgeoisie est encore en puissance, et que vous avez heureusement accès à ce pamphlet, sachez que le virus, s’il demeure, aura vite raison de tout arrivisme. Dans tous les pays où le virus frappa durement, des membres de l’aristocratie ouvrière se sont dépêché.e.s à prendre la place des dominants défunts. Cela, à leur grand péril, comme ce fut le cas avec mon père. L’arrivisme perdure parce que des larbins, larbines sont en ce moment payé.e.s à développer des technologies et des traitements permettant une plus longue résistance au virus. Iels font croire ainsi à une pléthore de borné.e.s que la crise du pouvoir finira bien par passer, que « l’homme est un loup pour l’homme » et rien d’autre. Or à date, la plus longue résistance à la mort prévue fut d’un mois, et après trois semaines, le cerveau dégénère et le malade perd la mémoire, devenant inapte à remplir sa fonction de dominant.
No war, but class war
À l’heure qu’il est, c’est la guerre dans les rues de Montréal, et ailleurs. La police, malgré le déclin de ce pourquoi elle existe, patrouille arme au poing dans les quartiers qu’elle peut encore se permettre de patrouiller. Il faut les voir, les flics, avec leurs machins à respirer… Le mot d’ordre est que tant qu’un chef est proclamé, tant qu’on reconnaît à une personne sa propriété, on défendra le vieux monde. Or les faiseurs de lois et les extorqueurs sont de moins en moins forts et on reconnaît donc de moins en moins leur autorité; la classe dominante ayant perdu sa capacité de renouvellement, il ne reste au pouvoir, pouvoir s’amincissant de jour en jour, que des brutes assumées. C’est suite à un mois complet sans chef que les révolutionnaires sont sorti.e.s de leur trou : tout chef proclamé mourrait la nuit même de sa proclamation. C’est alors que la plupart des scientifiques mandaté.e.s à la recherche d’un antivirus reçurent pour tâche le simple rallongement de la vie des malades, afin que le monde ne sombre pas dans l’anarchie… Durant ce mois, aucune directive claire de la part des autorités. Les forces de l’ordre étaient laissées à elles-mêmes. Et nous réalisions enfin que le virus n’avait définitivement aucune intention belliqueuse à l’encontre de la classe des dominé.e.s. Le bioterrorisme imaginé au début de la crise était-il un fait? A-t-il existé une Internationale secrète qui, après son coup contre les dominants, a fait vœu de silence? Quoi qu’il en soit, les révolutionnaires ont fait, à la sortie de ce mois, ce qui devait être fait : nous nous sommes réuni.e.s et nous avons travaillé à une campagne de mobilisation pour la fin des sociétés de classes, applicable dans les plus brefs délais. Fini le confinement, finie l’attente du salaire. Le travail est à faire non plus selon les caprices d’une élite possédante, mais dans la mesure où nous avons tous et toutes besoin de logement, de nourriture, de loisir, de mener des projets personnels. C’est la guerre, donc, enfin. Le mois suivant fut le retour grandiose des révolutionnaires contre la police, contre tout ce qui nie la reconnaissance de nos besoins et désirs. Le premier meurtre d’un flic à Montréal fut lors du raid de l’épicerie Metro, à Hochelaga. Son corps pend encore sous l’enseigne. Le but avait été de réaménager l’endroit en une gigantesque cuisine et salle à manger commune.
Où en est-on?
Nous n’avons, ici à Montréal, aucune nouvelle des Wet’suwet’en qui bloquaient, dans l’ouest du pays, depuis bien avant la pandémie, la construction d’un pipeline. Il semble qu’iels aient disparu.e.s. Si vous avez de leurs nouvelles, prière, après l’obtention si possible de leur consentement, de le communiquer à des révolutionnaires. Nous devinons qu’il s’agit là d’un coup ordonné par la ridicule Union des Leaders, appareil étatique s’étant inféodé toutes les polices du pays et ayant annulé jusqu’à nouvel ordre toute élection par le peuple, se reconnaissant donc tous les pouvoirs dans le pays. Pour les anarchistes, le remplacement des partis par l’Union des Leaders fait peu de différence. Le gouvernement, le corps policier, qu’ils soient divisés ou non, sont liberticides. Bien sûr, l’aspect discrétionnaire de ce nouvel appareil en a fait souffrir plus d’un, plus d’une, nous le reconnaissons et nous travaillons à ce que les torts soient redressés. Or il faut admettre que cette possibilité n’est que dormante dans un État divisé, qu’elle est masquée, puisqu’il s’agit toujours bien, dans les deux cas, d’une classe qui en extorque une autre. À noter que des universitaires manifestèrent leur mécontentement lors de la formation du nouvel appareil politique, mais qu’iels se turent rapidement quand iels réalisèrent que cette fois-ci, les révolutionnaires ne prendraient pas les coups à leur place, vu leur état diminué. À ce propos, nous n’avons, depuis cet épisode, pas plus de nouvelles de Michel Lacroix, président du syndicat des profs de l’UQÀM. Et à vrai dire, nous nous en soucions peu. Nous avons autre chose à faire que de renouer avec celleux dont le travail payé était la reproduction par l’éducation des inégalités sociales. Prière de le communiquer à Lacroix s’il se sent encore l’âme d’un prof.
La semaine dernière, ce fut officiel : les flics, les soldats, les gardiens de prison, bref les défenseurs salariés des divisions sociales ne sont pas épargnés par le virus. Nous ne nous sommes alors plus gêné.e.s : nous avons fait sauter les murs de la prison de Laval. Cela aurait été impossible il y a quelques semaines. Ce qui reste de gouvernement avait donné l’ordre de fermer les villes et nos camarades lavalois, lavaloises avaient un effectif réduit. Or depuis que les effectifs du bras armé de l’État sont à la baisse, les frontières administratives sont devenues de véritables passoires et des camarades ont pu venir en aide aux révolutionnaires de Laval.
Certitudes et incertitudes
Selon le dicton, une victoire sans péril est une victoire sans gloire. Et force est d’avouer que le péril est moindre, puisque l’on sait que nos ennemis se mettent eux-mêmes en position de contracter le Social Virus (c’est son nouveau nom). Néanmoins, on ne saurait dire que la victoire proche des révolutionnaires ne sera pas glorieuse! Jamais dans ma vie je n’ai constaté une telle abondance de solidarité dans les rues, les milieux de travail. Face aux incertitudes que pose la vie, on a enfin décidé de prendre soin, de se respecter en reconnaissant les besoins et désirs de l’autre. Il n’y aura bientôt plus de gouvernement, plus de patrons, plus de flics, quoique le dernier fantôme du vieux monde puisse dire. Il n’y aura que des individus apprenant à s’organiser en fonction des intérêts de tous et toutes, une camaraderie se généralisant, parce qu’on réalise qu’il n’est pas nécessaire que le rapport à l’autre en soit un de compétition. À ce propos, rien de nouveau : « Deux hommes valent mieux qu’un seul, lisait-on déjà dans L’Ecclésiaste, car ils ont un bon salaire pour leur travail. En effet, s’ils tombent, l’un relève l’autre. Mais malheur à celui qui est seul! S’il tombe, il n’a pas de second pour le relever. » (Qo 4.5)
Parmi nos ennemis, seules les milices patriotiques ne semblent pas atteintes, du moins pas encore, par le virus. Nous n’attendrons pas que cela advienne. Comme j’ai dit, la vie est incertaine. Nous avons en cela le devoir de ne pas nous laisser avoir par le confort que nous procure une providence inconnue. Certains adeptes du vieux monde tentent de faire croire que le virus équivaut à une punition divine « pour avoir permis le ressassement d’idéologies victimaires. » Nous révolutionnaires pensons qu’il s’agit plutôt du dernier sursis accordé à notre cause. Et nous nous devons de lutter maintenant plus que jamais, ne pas attendre la possible guérison de nos ennemis, ou ce sera un douloureux recommencement pour celleux qui ont déjà tant travaillé au monde de demain, celui où la propriété ne sera plus qu’un fantôme, celui où l’économie nous servira plutôt que l’inverse.
Conclusion : continuons.
J’aimerais dire que tout est déjà gagné. Que le socialisme anarchiste et communiste a vaincu. Or je répète : la vie est faite d’incertitudes. Puisqu’on ne sait s’expliquer l’origine du virus, craignons un retour en force et inexplicable de nos ennemis, ne nous assoyons pas sur nos victoires et continuons de combattre, même s’ils sont à l’état de moribonds, les systèmes de domination. Aussi, adressons sérieusement, mais avec calme et recul, les tensions qui existent au sein de nos groupes – rien de trop hâtif ou découlant d’un défaitisme – afin que ne soient pas reproduites les inégalités sociales. Célébrons tout de même, car à quoi bon sinon?
À l’heure où j’écris ces lignes, adressées au peu de populations qui ne sont pas encore ouvertement en guerre contre la bourgeoisie et aux groupes isolés, des camarades de Montréal s’apprêtent à rejoindre des camarades innu.e.s pour la réquisition de la centrale hydroélectrique Manic-5. À l’heure où vous lirez ce pamphlet, l’unité de la milice patriotique gardant ce lieu aura été décimée.
Ceci conclut mon appel à continuer la lutte contre les sociétés de classes. Solidarité et courage, camarades : l’avenir radieux prend place.
Un membre de l’Association Révolutionnaire d’Hochelaga (l’ARH)