
Soumission anonyme à MTL Contre-info
Extraits choisis d’un zine à paraître le 8 novembre 2025 au Centre social l’Achoppe de 19h à 23h
Ce zine rassemble des fragments d’histoires, des souvenirs épars, des réflexions, des anecdotes, des traces ; des bouts de mémoire intime et collective autour d’un lieu bien réel et singulier.
Installée dans Hochelag, l’espace qu’on appelle aujourd’hui l’Achoppe est né d’une suite de rencontres, de rêves d’autonomie, de nécessités, de conflits, de fêtes, de rénos improvisées, de fatigue partagée, de luttes portées. Autrefois nommé le Rhizome, il a traversé les années comme un lieu mouvant : appartement collectif, espace d’organisation politique, salle de show, atelier de pantenteux.ses, brasserie artisanale, point de chute temporaire ou port d’attache durable.
Les voix présentées ici sont multiples. Ce sont celles de personnes qui ont vécu ce lieu, ce projet à différentes époques, sous différentes formes, parfois intensément, parfois en passant. On y lit les tensions, les deuils, les joies, la fatigue, mais surtout l’attachement. L’ensemble dessine un portrait en rhizome, éclaté et vivant.
Cet assemblage ne prétend pas tout dire. Il est un instantané subjectif, partial, joyeusement inexact. Il ne souhaite pas en documenter l’histoire comme une archive figée, mais comme une mémoire en mouvement — une mémoire vivante, politique, affective et située.
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Il fallait d’abord prendre les escaliers vers le sous-sol, puis se rendre dans le coin à droite, tout au fond, avant de déboucher dans une toute petite pièce carrée pour entrer dans la Brasserie. C’était la première fois que j’y mettais les pieds et mes yeux étaient attirés par toutes sortes de bricoles ; des fioles de formes distinctes, un moulin à grain qui fonctionnait à l’aide d’une perceuse (!) et des outils pour mesurer et peser différentes choses, dont je ne comprendrais l’utilité que des années plus tard. Une odeur de moût de bière et d’humidité s’élevait de la pièce éclairée d’une vieille lumière jaunâtre et y faisait régner une ambiance de clandestinité.
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Cet espace permettait d’entrevoir ce que pouvait être une pensée du politique qui cherchait à mettre en application ses idées de rupture avec la société dans la vie quotidienne, sans la séparer de l’organisation collective. L’ambiance du Rhizome avait une saveur radicalement expérimentale, il amenait d’ailleurs des idées qu’il essayait de mettre immédiatement en application. Je me rappelle de la grande salle et de ses agencements modulables et du grand dortoir collectif au sous-sol qui hébergeait des camarades de passage qui restaient parfois pour un bail. Puis les shows, les projections, les moments de folie et une ferme volonté de liberté sans entraves. Le Rhizome, pour moi, c’était d’abord un apport affectif, une forme de résonance particulière dans les relations, la volonté d’en embrasser l’intensité. C’était aussi une façon particulière de se relier au voisinage, qui ravivait les envies de repartir des assemblées de quartier et des rencontres plus ou moins spontanées.
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D’abord, à la base, l’Achoppe, c’est une place où t’habites. Pis (accrochez-vous, c’est là que la nostalgie embarque) ça coûtait… 465 $ par mois tout compris. Et dans tout compris, j’entends l’Hydro-internet-la-bouffe-pis-toute… mais bien plus encore. Cette situation matérielle nous permettait de jouir de la ressource la plus précieuse que le capital nous dispute constamment contre des salaires, à savoir le temps. Avec un loyer aussi bas, pas mal de colocs (on était treize, ce à quoi il faudrait ajouter les invité.es de passage), on faisait plus des passes de cash que des jobs pour payer la rent. Et ça suffisait. Tabarnak, ça suffisait ! À financer nos jardins, un atelier de bois, de vélo, la brasserie, la grande salle avec ses shows, la bibliothèque… Même un espace « d’huile » que je n’ai jamais vraiment compris à quoi ça servait, à part à me faire capoter quand ça fumait à côté des coulisses inflammables lors des partys dans le sous-sol. La question du coût de nos vies pouvait se résumer régulièrement ainsi : préfères-tu aller travailler pour un boss pour une job de cul mal payée ou bien préfères-tu embarquer dans le char avec deux-trois nouveaux.elles ami.e.s pour faire du dumpster en soirée et économiser sur l’épicerie ? La réponse était simple.
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Ce qui rend l’Achoppe dynamique, c’est la diversité des activités qui s’y déroulent : soupers populaires, projections, ateliers pratiques, cours d’arts martiaux, réunions d’organisations militantes, etc. C’est par ces activités que d’autres que nous-mêmes nous rejoignent, nous rencontrent, se politisent et potentiellement se joignent à nous. Ces activités permettent au lieu d’évoluer au fil des implications et de s’imposer comme espace de résistance incontournable dans le quartier.
Il est crucial de comprendre que ces événements ne valent pas uniquement pour eux-mêmes. Une projection de film, un show ou un cours d’art martial devrait être plus signifiant que l’activité en soi. Leur véritable intérêt réside dans la création d’un sentiment d’appartenance, dans la rencontre entre les personnes, et surtout, dans leur capacité à générer de l’engagement militant. Chaque souper organisé devrait idéalement être une porte d’entrée vers l’organisation collective.
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Les bouffes collectives, c’est un moyen de reproduction qu’on se réapproprie et qui nous permet de goûter à une autre façon de vivre. C’est refuser, au moins de temps en temps, l’idée que nos besoins n’appartiennent qu’à nous et qu’il faut y pourvoir seul-e. En s’habituant à prendre la responsabilité collective de nos besoins vitaux, même si c’est juste une partie de ceux-ci, on s’entraîne à s’appuyer les un-e-s sur les autres et on réapprend l’entraide. On préfigure l’autonomie ici et maintenant, avec toutes ses contradictions et tout son potentiel.
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Il y avait le cuivre que nous arrachions là où on le trouvait, les fils électriques à dégainer, les pièces à trier et nos voyages de métal chez Miller dans le quartier industriel au nord de la ville. Il y avait des disputes, des bagarres à séparer, des choses qui se brisent, des rencontres, des gens de passage, des voyageurs, des ami.e.s en crise, d’autres qui faisaient l’amour, des réunions, des tableaux de tâches, beaucoup d’outils, des meubles fabriqués avec les moyens du bord, des gros ménages de printemps, des caisses de bière, beaucoup de bières, des prénoms et des genres qui changeaient, des couples qui se formaient, puis s’ouvraient, des vêtements à donner sur le trottoir.
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c’était tout ça et plus encore. un certain sens de la communauté. fragile. précaire. on voulait que ça pète. on n’en avait rien à foutre. on ne se demandait pas comment faire du cash mais comment faire pour pas en avoir besoin. pas de cv, pas de diplômes, pas de portfolios. on a pas de preuves que ça a jamais existé. tout ce qu’on a fait. ce qu’on a vécu. des fois je me demande si j’ai pas halluciné. mais quand je me prends à reconnaître un air de ci, un air de ça n’importe où, quand je redécouvre les trames secrètes qui me ramènent à cette histoire capotée, je me dis qu’on a pas encore perdu.
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Cet assemblage est un effort pour retenir ce qui nous échappe trop souvent : les traces de nos passages, les détails de nos histoires, les gestes, aussi petits soient-ils, qui ont rendu possible quelque chose de plus grand que nous. Il témoigne d’une tentative, toujours inachevée, de faire lieu. De créer collectivement un espace autonome à la fois habité, habitable et porteur de sens.
Ce zine ne ferme pas la boucle, il en trace les contours mouvants. Il invite à continuer autrement, ensemble, avec les doutes et les joies.
Parce que si on ne se donne pas nous-mêmes les lieux où on veut vivre et faire, personne ne le fera pour nous.
À celleux qui poursuivent, inventent, réparent, déconstruisent et recommencent : à bientôt, quelque part.


