Quand le centre de détention de l’immigration de Laval devrait-il être construit?
La prison est censée être opérationnelle en 2021, bien qu’aucun calendrier officiel n’ait été rendu public.
Où sera construite la prison?
Le site de la prison est un terrain d’environ 23 700 mètres carrés situé juste à côté de la prison Leclerc, sur les terrains du Service correctionnel du Canada à Laval. L’ASFC hésitait à choisir cette parcelle de terrain, notant que «la proximité du site avec l’établissement de haute sécurité existant n’est pas idéale car l’IHC [Immigration Holding Center: leur euphémisme pour ne pas dire prison] ne devrait pas être perçue comme associée à un établissement correctionnel. » Ce site a été officiellement choisi en février 2017.
Les États coloniaux (respectivement le Canada et le Québec) à l’intérieur desquels la prison sera construite sont fondés sur la colonisation et la dépossession violentes des peuples et des terres autochtones. Plus précisément, Leclerc est situé sur Kanien’keha: ka un territoire algonquin. La gouvernance des colons repose à la fois sur la revendication illégitime de ces territoires et sur la base matérielle de leur contrôle, imposée par les différentes branches de l’Etat carcéral: de la détention et de l’expulsion des migrant-es a la criminalisation des communautés autochtones. Soutenir le projet de souveraineté autochtone signifie rejeter la légitimité de la gouvernance coloniale canadienne et québécoise, et rejeter ses fondements ainsi que ces frontières.
Capacité de cette nouvelle prison pour migrant-es?
Selon le contrat du gouvernement, la prison proposée pourra détenir 133 migrants en même temps (avec 25 lits supplémentaires, portant la capacité totale à 158). Cela augmenterait la capacité maximale actuelle qui est de 144 personnes.
Qui sera détenu dans cette nouvelle prison?
Des centaines de milliers de personnes vivent au Canada sans statut, s’intégrants et partageant des relations fortes avec leurs communautés, familles et ami-es. Chaque année, près de dix mille personnes sont arrachées à leurs réseaux, déportés dans des situations violentes et-ou dangereuses, dans des endroits qu’elles ne connaissent pas ou dans lesquelles elles n’ont aucune possibilité de subvenir à leurs besoins.
En vertu de la loi canadienne, l’ASFC peut arrêter et détenir des migrant-es – tant ceux qui sont ici sans la permission de l’État canadien que des résident-es permanent-es – qui sont soupçonnés d’être une «menace» à la sécurité publique, ceux et celles sujet à ne pas se présenter à leur audiences ou encore ceux et celles dont l’identité est remise en question. Ces migrant-es – et souvent leurs enfants – sont emmenés dans les prisons gérées par l’ASFC à Laval ou à Toronto, au centre de détention temporaire de l’ASFC à l’aéroport de Vancouver ou dans les quartiers à sécurité maximale des prisons provinciales. En vertu de la politique actuelle, il n’y a pas de lignes directrices sur la question de savoir si les enfants seront emprisonnés ou non avec leurs parents, et la détention peut être indéfinie.
En réalité, le système d’immigration du Canada empêche pratiquement tous les immigrant-es, sauf les plus privilégiés et\ou les plus aisés, à obtenir un statut légal pour vivre et travailler ici de façon permanente. Les migrant-es considérés comme une «menace» ou un risque de non-conformité aux caprices de l’ASFC sont souvent ceux qui ont des liens familiaux au Canada, des fonds insuffisants pour partir, des personnes qui subiront des violences si elles sont expulsées ou des personnes qui bénéficient d’un support public contre leur déportation.. Le risque d’emprisonnement est utilisé pour discipliner tous les migrant-es, un instrument de coercition qui normalise d’autres formes de contrôle telles que les systèmes de surveillance humaine et électronique proposés comme solutions de rechange «améliorées» par le gouvernement libéral. Mais le « choix » de se conformer et d’éviter l’incarcération est finalement un faux choix, dans lequel le résultat final est encore la déportation probable.
Dans un contexte où plus de 25 000 personnes ont traversé la frontière en provenance des États-Unis depuis 2016, où la grande majorité de ces migrant-es se verront refuser le statut de réfugié et seront bientôt expulsés, et où l’extrême droite raciste et islamophobe attise les sentiments anti-immigrant-es, nous devons comprendre la nouvelle prison pour migrant-es dans le cadre d’une stratégie de l’État canadien pour renforcer son contrôle répressif sur la liberté de circulation.
Malgré les séances de photos et les communiqués de presse sur les efforts de réinstallation des réfugiés de l’État, le Canada est loin d’être un spectateur bienveillant; L’État canadien crée et exacerbe les conditions qui obligent les gens à quitter leur foyer. Des guerres impérialistes à une économie massivement dépendante de l’extraction des ressources coloniales ici et à l’étranger. L’achat récent par Trudeau du pipeline Kinder Morgan Trans Mountain indique un avenir où l’augmentation des émissions créera de nouvelles vagues de réfugiés climatiques. Des projets miniers canadiens en Amérique latine à la production sous-traitée de biens bon marché pour les marchés canadiens, les intérêts des États et des capitalistes canadiens exportent le fardeau de la production et surveillent les mouvements de ceux qui en héritent. La prison pour migrants proposée n’est qu’une partie de cette architecture internationale et les personnes qui y seraient détenues ne sont que quelques-unes des nombreuses personnes dépossédées par l’État canadien et d’autres puissances impérialistes.
Qui est impliqué dans la construction de la prison?
Jusqu’à présent, des contrats pour la construction de ce projet ont étés attribués à deux compagnies : Lemay, une firme d’architecture qui est basée à Montréal et Groupe A, une autre firme d’architecture qui est basée dans la ville de Québec. Pour plus d’information sur ces compagnies, voir la page « Les Compagnies ». Dans les prochains mois, nous pouvons nous attendre à en apprendre plus sur les compagnies et les entrepreneurs qui seront impliqués à divers titres dans ce projet.
Qui finance la construction du projet?
Le gouvernement fédéral a annoncé un nouvel investissement de 138 millions de dollars dans la détention de migrant-es en 2016, duquel un montant de 122 millions de dollars ira à la construction de deux nouvelles prisons. Une à Laval, au Québec et une à Surrey, en Colombie-Britannique. À ce jour, plus de 5 millions de dollars en contrats ont étés accordés à Lemay et Groupe A pour la conception de cette prison à Laval.
Pourquoi faut-il s’opposer à la construction d’établissements pénitentiaires améliorés?
Dès le départ, le gouvernement a tenté de présenter ce projet comme une amélioration: du choix d’une firme « socialement et écologiquement durable » en tant qu’architecte principal, à l’emphase sur une conception « non institutionnelle » du centre et sur les alternatives à la détention. Mais l’apparence de responsabilité sociale ne change pas la violence des prisons et de la déportation : il n’existe pas de prison qui soit agréable.
Le contrat pour la prison semble être plus investi dans le fait de dissimuler sa nature carcérale aux gens de l’extérieur que de créer un environnement plus habitable pour les gens emprisonnés à l’intérieur. Les spécifications préliminaires proposent que « les clôtures soient recouvertes de façon esthétique avec du feuillage ou d’autres matériaux pour limiter son allure sévère et diminuer la possibilité d’identification claire de la clôture ». Les barres de fer sur les fenêtres doivent « passer le plus inaperçues possible pour le public extérieur » tout en maintenant cependant leur fonctionnalité. De l’emphase est mise sur le fait que la clôture d’un mètre de haut encerclant le jardin des enfants est « similaire à l’environnement d’une garderie », bien qu’une « barrière visuelle » de six mètres de haut doive être construite pour empêcher quiconque de voir à l’intérieur et les enfants de voir à l’extérieur.
Au-delà de considérations d’esthétique ou d’efficacité énergétique, une prison demeure un bâtiment fortifié que les gens ne peuvent pas quitter, isolant les personnes à l’intérieur de leur communauté, de leurs proches, de soins de santé adéquats et soumettant les prisonnier-ères à une détresse psychologique extrême. Depuis 2000, au moins seize personnes sont mortes en centre de détention pour migrant-es alors qu’elles étaient détenues par l’ASFC. La réponse superficielle de l’ASFC face à l’indignation suscitée par ces morts est évidente dans les spécifications du projet, qui demandent tout simplement que l’architecture limite les possibilités de se faire mal soi-même, tout en reproduisant inévitablement la misère inhérente à l’incarcération.
Même pour les personnes qui ont étés épargnées de l’expérience d’une incarcération précédant leur déportation, la menace de la prison demeure, contraignant les migrant-es à accepter d’autres types de conditions répressives. Ces institutions normalisent également la légitimité de l’État canadien de contrôler qui se déplace et qui reste dans le territoire qu’il occupe.
En effet, tout récit du contrôle du territoire par un État colonial devrait commencer par l’occupation coloniale des territoires autochtones qui est en cours. Faire avancer la souveraineté autochtone requiert une contestation de la légitimité de la gouvernance coloniale canadienne et québécoise, incluant la création et l’imposition de frontières. Les mêmes rapports coloniaux et impériaux qui déplacent les migrant-es ailleurs dans le monde sont la base même de l’existence de l’État colonial canadien.
La lutte pour bloquer la construction du centre de détention de l’immigration de Laval est donc ancrée dans les luttes plus larges contre le colonialisme et l’impérialisme. Elle fait partie d’une lutte pour abolir toutes les prisons et pour démolir toutes les frontières coloniales. Nous ne voulons pas simplement arrêter cette prison, mais aussi fermer toutes celles qui existent déjà.
Le gouvernement ne se tournait-il pas vers le financement d’alternatives à l’emprisonnement et la détention?
Des 138 millions de dollars que le gouvernement libéral a alloué à « la réforme de l’immigration », seulement 5 millions sont destinés aux « alternatives » à la détention. Quelles sont ces « alternatives »? Elles comprennent des « systèmes de surveillance humaine et électronique » tels que des moyens de contention, des bracelets électroniques et des systèmes de signalement électroniques. Ces systèmes de signalement sont en eux-mêmes une autre forme de détention – par exemple, devoir se présenter quelque part deux fois par semaine empêche souvent les migrant-es d’avoir des emplois stables. Ces « alternatives » comportent également des arrangements qui mettent des ONG responsables de la « surveillance communautaire ». Pendant que le gouvernement canadien cherche à réduire les coûts en déléguant le contrôle des migrant-es à des technologies envahissantes et à des ONG complices, la majorité de leur plan d’immigration « revu et amélioré » demeure axé sur la détention, par la construction de deux nouvelles prisons à Laval et à Surrey.
À certains égards, les alternatives proposées sont préférables à la prison. Mais, elles sont loin d’être « humaines ». D’un côté, la menace de l’incarcération d’une durée indéfinie dans une des prisons de l’ASFC sert de justification pour les mécanismes de contrôle de plus en plus envahissants à l’extérieur de la prison – comme si tout ce qui n’est pas un emprisonnement est un acte de compassion. D’un autre côté, ces « alternatives » normalisent la continuelle brutalité de l’emprisonnement en tant que forme de peine pour les personnes incapables ou peu désireuses de se soumettre aux conditions du contrôle étatique. Dans tous les cas, tant les prisons que les « alternatives » se terminent par la déportation, alors que la seule vraie alternative à la déportation – une voie vers un statut régularisé tous et toutes – reste inaccessible.
Montréal n’est-elle pas une ville sanctuaire?
En février 2017, Montréal s’est déclarée « ville sanctuaire ». Malheureusement, cette déclaration s’est avérée n’être guère plus que des paroles creuses. Le SPVM continue à collaborer activement avec l’ASFC, ce qui signifie que même un contrôle routier de routine peut mener à l’intervention de l’ASFC, et les migrant-es sans-papiers ont peu de répit face à la menace de la détention et la déportation. En fait, depuis la déclaration de « ville sanctuaire », les appels du SPVM à l’ASFC ont augmenté, faisant de Montréal la ville canadienne avec le taux le plus élevé de contact entre la police locale et l’ASFC. En mars 2018, des agents de l’ASFC ont violement arrêté Lucy Francineth Granados à son domicile à Montréal. Lucy a ensuite été expulsée d’une ville dont la nouvelle administration « progressiste » avait fait campagne sur la promesse de mettre en place une « vraie » ville sanctuaire.
Comment pouvons-nous arrêter la construction de la prison?
Pour arrêter la prison nous allons avoir besoin d’une lutte à plusieurs facettes. Nous aurons besoin d’efforts de recherches concertés, de campagnes d’information publiques, de grandes mobilisations, de perturbations directes de chaînes d’approvisionnement et de sites de construction, de tout ce qu’il faudra pour rendre impossible la construction de ce projet.
Pour ce faire, nous devons réfléchir de manière stratégique à quels points de pression nous pouvons cibler et tirer avantage, ainsi que comment construire des alliances avec des mouvements semblables contre les prisons, les frontières, et la suprématie blanche; aucune lutte n’existe isolément. Distribuer des pamphlets à vos voisins, organiser des manifestations et des actions qui s’y opposent, il y a de nombreux moyens pour que les gens s’organisent de façon autonome contre ce projet.
La page « Matériaux » de stopponslaprison.info contient quelques ressources pour les personnes qui cherchent un endroit où commencer.
Où puis-je en apprendre plus sur ce projet?
Stopponslaprison.info est un centre d’information pour partager; nouvelles, analyse et documents liés à la lutte contre le Centre de détention pour les immigrants de Laval.
Vous pouvez télécharger et consulter la recherche et les documents liés à ce projet dans la section « Documents »