Chèr-e-s ami-e-s,
Nous vous invitons mercredi prochain, à 9h, à une vigile de soutien pour notre ami incarcéré, qui sera à la cour municipale pour un pro-format (https://www.facebook.com/events/1482937385260314/). Vers la fin de la semaine, celui-ci sera devant un juge de la cour supérieure pour contester la décision de refuser sa remise en liberté conditionnelle en attendant son procès.
Mais ce n’est pas tout à fait l’objet de notre texte. En effet, dimanche le 26 avril, Amir Khadir, député de Québec solidaire, Andrés Fontecillas, président de Québec solidaire et Julius Grey, avocat spécialiste en droit constitutionnel, ont fait un point de presse concernant la détention de notre ami, la qualifiant d’injustifiée. Plusieurs grands médias ont relayé leurs propos. De notre côté, nous considérons que certains points mériteraient d’être clarifiés.
De la récupération politique :
Ce n’est pas nouveau que Québec solidaire mette son nez dans les mouvements sociaux, drainant ainsi les forces vives des mouvements et affirmant que la démocratie représentative peut prendre le relais de la démocratie directe et du rapport de force brut contre l’État, ses institutions et le patronat.
Si aujourd’hui les mots d’Amir Khadir peuvent être analysés comme allant dans le même sens que le mouvement, plaidant en faveur de la remise en liberté de notre camarade, on se rappelle bien que l’expérience a été moins heureuse en 2012. Nous croyons que ce n’est qu’une question de timing politique. À la visée électoraliste de 2012 s’est substitué un désir de faire plaisir à une base militante du parti, ‘l’aile gauche’.
Puisque les élections sont encore loin, pourquoi ne pas en profiter pour augmenter son membership en récupérant un mouvement de grève?
Commençons par un bref retour en arrière. En mai 2012, lors du battage médiatique entourant l’arrestation des personnes accusé-e-s d’avoir
lancé des engins fumigènes dans le métro, Amir Khadir, alors en pleine préparation d’une campagne électorale, a pris position d’une toute autre manière qu’aujourd’hui, en se rangeant derrière la condamnation unanime du parlement à l’égard des gestes posés. Il avait alors déclaré aux médias que «les gens stupides existent (…). Les gens malveillants existent.» et appelait à l’arrestation des suspect-e-s le plus rapidement possible, souhaitant ainsi s’attirer les faveurs de l’“opinion publique”
Plus tard, durant l’été 2012, alors que plusieurs de ses militant-e-s actif-ve-s occupaient des postes élus à la Coalition large de l’ASSÉ
(CLASSE) depuis plusieurs mois, Québec solidaire s’était offert comme alternative parlementaire à la contestation dans les rues après le
déclenchement de la campagne électorale. Ses militant-e-s se sont rué-es vers des postes dans les coordination de campagnes, laissant vacants
des postes clés qu’ils et elles s’étaient jalousement arrogé tout au long de la grève et qui auraient pu jouer un rôle important dans la préparation de la reprise des hostilités à l’automne 2012. Prétextant vouloir laisser la chance au coureur, plusieurs votes de grève générale
illimitée n’ont pas été reconduits et certaines associations étudiantes sont même allées jusqu’à voter des mandats en faveur d’une “trêve
électorale”. Troquer son rapport de force contre une représentation parlementaire a été un pari qui a coûté cher au mouvement étudiant. Le
Parti Québécois, qui a été porté au pouvoir, a pu refiler la hausse par la porte de derrière en coupant dans les crédits d’impôt aux
étudiant-e-s et en indexant les frais de scolarité. Pour ce qui est des gains québecsolidariens, pour emprunter une expression lue ailleurs, il y eut une augmentation significative de 2,3% des votes en faveur de ce parti, ce qui nous amène aux abords d’un changement de régime (!).
Cette fois, lors du printemps 2015, nous avons noté une présence beaucoup moins marquée des militant-e-s de QS dans les activités et
actions de la grève. Peut-être se préparent-elles-ils pour l’automne? Quoi qu’il en soit, nous nous questionnons sur la prétention de Khadir
et de Fontecillas de s’arroger la légitimité d’être les porte-parole de la dissidence politique. Prenons garde, il s’agit là de faux alliés.
Notre prise de position ici, n’est pas à l’effet que leur sortie pourrait nuire à la cause juridique de notre camarade, comme ça été le
cas en 2012 pour les accusé-e-s des fumigènes par exemple, mais plutôt à l’effet que sur le plan politique, notre camarade ne souhaitait pas
jouer le jeu des grands médias, ni être érigé en martyr de la grève. Alors que les représentant-e-s de Québec Solidaire appellent à une
indignation sur la place publique, nous avons plutôt l’impression qu’ils ne font que le jeter en pâture à nos ennemis.
Nous croyons plutôt que nous gagnons comme mouvement à ne pas personnifier le débat, Il s’agit d’un enjeu politique, grave certes, mais qui n’a pas de visage. De plus, le fait de le centrer sur sa personne au lieu d’en faire un enjeu politique peut contribuer à lui faire porter des stigmas et/ou des conséquences individuelles d’un mouvement collectif.
Réflexion sur le groupe de soutien:
Nous ne posons pas ces questions parce que nous pensons que nous aurions dû être mis au courant ou qu’on aurait dû demander notre permission pour organiser une conférence de presse. Nous ne sommes rien de plus qu’un groupe d’ami-e-s. Nous ne sommes pas un groupe décisionnel. Nous posons ces questions parce que nous voulons nous organiser pour défendre sa volonté et le défendre contre des arrivistes qui voudraient se faire du capital politique sur son dos. Ce n’est pas un jeu.
Cela soulève quand même une question que nous devrons approfondir en tant que mouvement… est-ce que le fait de ne pas occuper le terrain des grands médias laisse toute la place aux agent-e-s récupérateur-rice-s? En même temps, nous, on ne voulait pas l’occuper, et notre ami non plus. Nous ne pensons pas que c’est là que doive se passer la lutte. Faut-il alors investir davantage et créer des liens plus fort avec les médias militants et indépendants?
Quoi qu’il en soit, nous appelons à la solidarité active et à l’organisation de soutien pour nos ami-e-s incarcéré-e-s. Il n‘est pas
le premier et ne sera pas le dernier. Mais celle-ci doit rester une solidarité politique de corps-à-corps, affective, de terrain, combative
et non servir à la politique représentative contre laquelle nous nous battons. Nous ne luttons pas contre le système carcéral pour les points
de capital politique que ces luttes peuvent nous donner, mais parce que nous savons au plus profond de nos trippes que cette lutte est juste et nécessaire. Nécessaire en raison de la simple horreur du système carcéral dans son essence, mais aussi parce que nous savons que les prisons attendent nos camarades en lutte contre l’État et toutes les personnes qui ne contribuent pas au bon avancement du capitalisme.
Se réorienter vers le mouvement et la lutte :
Comme tout-e représentant-e du gouvernement, Amir Khadir prend la perspective de l’État et des droits humains. Il crie qu’il s’inquiète
pour la santé de la démocratie et de la perte de confiance dans le système de justice. Cette position est tout à fait normale lorsqu’on ne
peut faire la différence entre les urnes et la rue et qu’on pose ces deux stratégies comme équivalentes. Il n’est pas surprenant de le voir
s’inquiéter que les institutions ne semblent plus répondre à leur fonction prévue dans un État de droits. C’est une position réformiste
tout à fait cohérente. Nous sommes d’un autre avis.
Nous croyons qu’il est temps de passer de l’indignation à l’organisation de la révolte.
Étant de la perspective du mouvement, nous ne sommes pas surprises ou indigné-e-s de l’incarcération de notre ami. Encore moins sommes nous
prêt-e-s à jouer la carte de la démocratie en déroute ou du droit qui serait à préserver des influences des grands médias. Nous savons que
l’État et la justice sont des outils de la classe dirigeante qui ne joueront jamais en notre faveur. En ce sens, nous ne sommes pas
indigné-e-s que « les bandits à cravates qui ont défilé devant la Commission Charbonneau [aien]t droit à toutes les précautions quant au
respect de leurs droits, mais [que] face aux militants politiques, la justice se fa[ssent] expéditive.» Khadir pleurniche que «ceci ne
fa[ssent] pas honneur à notre démocratie» alors que nous savons que le droit n’est que l’institutionnalisation du rapport de force entre deux
classes antagonistes, rapport de force qui penche toujours en faveur des bourgeois et de leurs alliés. Nous pensons qu’au contraire, il faut
s’organiser contre l’État et que le système judiciaire est une trappe de laquelle il faut faire sortir notre ami. Il n’y a pas de lutte à mener à l’intérieur de celui-ci.
Il ne faut pas se terrer, ni être terrorisé-e-s. Il faut s’organiser, rester solidaires, et contre-attaquer. Notre ami est accusé et détenu
pour avoir fait la grève. Ainsi, il a été arrêté en raison d’un contexte politique. Mais si notre ami était en dedans pour vol à l’étalage ou
s’il s’était agit d’une camarade emprisonnée pour s’être défendue contre un-e partenaire violent-e, nous aurions été là aussi, car nous
comprenons que tout emprisonnement est politique et traversé par des rapports de pouvoir structuraux de classe, de race, de sexe et bien
d’autres. Est-ce que les opportunistes de QS peuvent dire la même chose s’illes utilisent le Droit et la Démocratie comme socle de leur
argumentaire? Et si nous osions poser la question de la Violence… Jusqu’où pourraient-illes aller avant de commencer à se dissocier, à
condamner? Jusqu’où va notre solidarité avec les personnes arrêtées ? Des serpentins, c’est injuste. Bloquer une porte, ça passe. Et qu’en
est-il de bloquer un pont, occuper un édifice ministériel, saboter les propriétés privées de compagnie pétrolières? Nous n’avons pas besoin
de figures paternelles déconnectées du mouvement pour nous indiquer lesquels de nos moyens d’action sont légitimes et lesquels ne le sont
pas. Ce serait comprendre la question à l’envers. Comme Angela Davis, nous pensons que pour résister et combattre des violences systémiques,
la violence est une nécessité. Quand les élites politiques et financières nous attaquent – en privatisant tout, en détruisant les
écosystèmes, ou en nous attaquant dans la rue -, nous n’avons d’autres choix que de nous organiser, nous défendre et riposter.
Nous refusons de penser que l’arrestation et la détention de notre ami est une bavure d’un système qui marche et qui est là pour durer, au
contraire, il a très bien rempli son rôle. Notre objectif politique ne devrait pas être de demander des corrections aux systèmes
judiciaire/carcéral/capitaliste/parlementaire, mais plutôt de les pousser à leur perte.
À ceux et celles qui s’étonneraient de la mort de la Justice ou de la Démocratie à grand renfort de cris effarouchés, nous vous invitons à
venir rejoindre l’effort de grève – maintenant, tout le temps – , c’est là, dans la rue avec nous, que vous serez plus utiles.
On se voit mercredi, et surtout le 1er mai.
des ami-e-s