
Soumission anonyme à MTL Contre-info
Cher Maulwurf,
Je suis heureux que les échos se rendent chez vous. J’espère que de ta chambre tu vois le printemps qui arrive, que tu sais prendre ses beautés sans croire à ses promesses. J’ai bien reçu ta réponse et je t’en remercie. Elle me permettra peut-être de dire deux trois mots sur des passages rapides d’un texte qui était déjà inutilement long.
Dans ton texte, tu dis « Rejoindre une position c’est voir une position qui n’est pas la nôtre et s’y rallier. Il faut donc être en mesure d’identifier un autre et soi pour y parvenir. Le vocabulaire de la position révolutionnaire n’est pas en dehors du terme d’identité politique que tu dis pourtant rejeter. ». Je crois qu’il y a confusion quant au soi-disant caractère identique de la position et de l’identité.
L’identité représente, je crois, un double problème que tu as quelque peu énoncé. D’un côté l’identité fixe ce qu’il est (ce qu’il croit être) et ce n’est jamais réellement ce qu’il est. De l’autre le sujet identifié doit communiquer son identité pour être vu comme il est (j’évite ici le terme de « reconnaissance » pour ne pas que l’on dérape sur un autre terrain). Tu l’as dit, l’identité politique (ou l’identité tout court) c’est la correspondance relative du moi et du sujet. À la fois donc le sujet n’est jamais exactement ce qu’il à l’impression d’être ou ce qu’il veut être, mais en plus doit-il le communiquer pour se faire comprendre ce qui ne se réalise non plus jamais exactement comme tel. Pourtant on dit correspondance relative du moi et du sujet. J’avoue regarder autour de moi et ne voir que rarement cette correspondance relative. C’est peut-être ça je crois qui est à la fois dangereux et contagieux quant l’identité devient la pierre angulaire du politique dans une situation comme la nôtre. Là où il pourrait y avoir la discussion interminable sur les constitutions et les arrangements intérieurs propres de chacun et chacune pour voir de quelles manières nous voulons que fonctionnent nos machines politiques, là où il y a les égos comme je disais et les mécanismes consacrés de nos chefferies (comme accès et contrôle des infrastructures mais aussi comme simple force charismatique) il me semble y avoir une concomitance de la disparition de la position. Le terme de position ne cherche pas à contourner le problème de l’identité, mais plutôt se refuse à le régler (puisqu’il n’est pas réellement réglable). La position je crois admet les différentes réalités ou problèmes que pose l’identité, mais en redéfinissant des horizons de considérations stratégiques qu’on voudrait voir. C’est là où peut-être le terme d’identité politique pose problème au sens où si réellement il y avait correspondance entre identité de la politique (insère ici une tendance de ton choix) et le sujet qui s’y réclame, le geste politique s’accomplirait réellement et on sortirait des discours de curé. L’identité si elle existait comme identité ferait réellement le geste. Pourtant cette concordance n’existe pas, pas d’elle-même en tout cas. Il ne s’agit pas de « rejeter les termes d’identité politique » comme tu as cru que je disais, mais à ne pas jouer selon les règles que posent ces identités politiques. Je ne veux plus jouer au roi de la montagne avec le milieu.
Peut-être aurais-je dû commencé par ça : le corps révolutionnaire ne décrit pas un mode qui existe en ce moment, mais est plutôt une tentative exploratoire à répondre à un certain nombre de redites des formes d’organisation classique. Une redite qui tourne à vide, je crois, c’est bien celle de l’identité comme geste. À la question : « qui es-tu? », tombé sur la tête est celui qui répond « anarchiste ». Lorsque je dis que « Nous sommes de ceux qui préfèrent réfléchir en termes de situations, de stratégies, d’éthiques et d’usages plutôt qu’en termes d’identité politique ou de principes moraux. » (§3), je dis que ce n’est pas l’identité politique que j’invoquerai de prime à bord comme médiation entre une situation donnée et une fin voulue. Là où la position ne se résume pas à la question de l’identité, c’est que la position se définit par l’usage et le geste (défendre une barricade, partager un jardin ou s’écrire des lettres par exemple) tandis que l’identité peut se jouer dans un discours ou un métadiscours sur soi. Ma volonté de mettre en lumière et en préférence la première à la seconde ne la nie pas du même coup, elle ne fait que l’écarter stratégiquement. L’identité persiste, mais elle ne devient plus outil de stratégisation de choix. Persiste ceci étant dit un élément proprement délirant de l’idée de s’imaginer « dépasser l’identité » et peut-être charmant, mais ce n’a jamais été mon propos.
Le deuxième problème que tu soulèves c’est celui du corps comme somme ou non-somme du corps révolutionnaire. Tu dis « Personnellement, je vois dans cette proposition (en référant à la §10 de l’écho) une variation sensible, une variation qui fait usage de la métaphore du corps, pour proposer une énième structure de coordination ou une autre table de concertation. ». Il y a dans la §10 la formule « forces organisantes du corps révolutionnaire à construire ». L’énumération que je fais par la suite concerne un ad minima qui irait dans le sens de quelque chose comme la construction éventuelle de ce que j’ai nommé un corps révolutionnaire, soit une forme d’organisation tournée vers l’extérieur qui varie l’agencement de ses forces selon les besoins de la situation. Là où je dis qu’il n’est pas la somme de ses parties, c’est que la somme de ses parties ne lui suffit pas. C’est ce que je veux dire quand je dis qu’il est tourné vers l’extérieur. : il se nourrit par accroissement en saisissant les êtres qu’il traverse. Évidemment, on comprend bien comment la question de choisir la position au lieu de l’identité constitue une condition de possibilité d’une telle forme d’organisation. Ce n’est pas le même en tant qu’identique à soi que les êtres du soi-disant corps révolutionnaire recherche, mais la force de la position comme moment d’organisation et de surgissement politique trans-identitaire (au sens qui est transversal aux identités). Rapidement, je dirais que tu as raison quand tu dis que mon problème ce n’est pas l’identité, que c’est la fétichisation de l’identité, sa sublimation dans les stéréotypes ou la norme, mais qu’il fallait l’écrire : là où je pensais qu’on avait balancé par la fenêtre les injonctions abrutissantes et la fausse performativité de l’identité comme geste par la fenêtre, elle revient par la grande porte d’entrée. J’aurais toujours méfiance envers celles et ceux qui tiennent à tout prix à ce que tout le monde fasse pareil.
J’aurais voulu conclure sur une phrase qui ouvre comme un pied par terre, comme une déclaration, une position, mais elle ne vient pas. Pour finir, je veux te dire que tes mots déjà me suffisent quand tu dis « et surtout assumons notre vie, nos échecs, nos répétitions d’échecs ridicules qu’on veut surmonter, et les idées folles qu’on a, mais qu’on a peur d’énoncer parce qu’on l’a jamais fait. C’est seulement en écrivant et en pensant par nous-même, en cherchant à devenir ce qu’on est pas encore, qu’on réussira à mettre à mal la fixation identitaire. ». Je dirai que ça résonne. Je te rejoindrai sur cette barricade-là.
-HN