Un événement d’une tristesse sans nom est survenu vendredi dernier, 10 septembre, lorsqu’une personne s’est immolée devant des policiers dans un stationnement en face du palais de justice au centre-ville de Chicoutimi. Une tragédie qui, dans certaines villes, aurait engendré des émeutes bien méritées contre les pouvoirs en place. Comme un rappel que nous sommes tanné.e.s de crever dans ce système pourri. La personne en question, dont le but ici n’est pas de faire sa biographie et de coller des intentions sur son acte, connu pour avoir fréquenté dernièrement la Maison des sans-abri, est maintenant dans un état stable à l’hôpital de Chicoutimi malgré les graves brûlures qu’elle a subies.
Cet événement tragique reflète la réalité qui règne au centre-ville depuis plusieurs années. Dans le quartier le plus défavorisé de Chicoutimi, la situation se dégrade de plus en plus pour les moins nantis, engendrant une détresse devenue insupportable pour plusieurs. Des maisons de chambres qui passent au feu mettant à la rue des personnes déjà proche d’y vivre, le manque de ressources et la difficulté d’accéder aux services en santé mentale, une offre alimentaire bien limitée, une répression toujours plus présente avec l’augmentation des patrouilles policières et l’embourgeoisement du centre-ville qui amène des entreprises privées et des restaurants « chics, branchés » avec des menus très dispendieux, et en plus de cela, les initiatives mises en place pour aider les plus démunis manquent cruellement de ressources et ne parviennent pas à aider efficacement toutes les personnes [1] qui en ont besoin et qui vont chercher cette aide précieuse (ex : Travail de rue, Café-Jeunesse, etc.). Pour les politiciens locaux, c’est comme-ci personne ne vivait au centre-ville ou bien celles qui l’habitent sont perçues comme un problème à régler, une entrave au développement du quartier. Ce territoire vierge est un terrain de jeu qu’ils peuvent modeler comme bon leur semble. Commerces, restaurants et stationnements, voilà ce qui pousse comme des champignons au centre-ville. La seule fois où les élus ont eu l’air de comprendre que des gens vivent dans le quartier, c’est quand ils ont déplacé le poste de police au centre-ville afin de « sécuriser » la place dans le but d’attirer des entrepreneurs.
En 2015, peu de temps après l’implantation du nouveau poste de flics, Karine Potvin, propriétaire de l’École musicale du 94 rue Jacques-Cartier Est et qui était à l’époque administratrice de l’Association des centres-villes, résumait bien la situation (sans le vouloir) dans Horizon commerce, le Bulletin commercial de Promotion Saguenay : « Les gens d’affaires et les habitants du quartier commencent tout juste à s’approprier leur nouvel environnement après plusieurs années d’incertitude. Au début, ils se disaient que c’était trop beau pour être vrai! Ils sont d’autant plus satisfaits et confiants qu’ils constatent que le niveau de sécurité a connu une amélioration fulgurante avec l’implantation du poste de police. ». Le pauvre, on le traque, on le cache, car il faut nettoyer le quartier des indésirables. Mais les gens ne disparaissent pas et les problèmes sont transportés ailleurs, comme dans le quartier Saint-Paul (pas très loin du centre-ville) où de plus en plus de personnes pauvres se réfugient, étant chassé du centre-ville soit par la répression ou le manque de logements abordables engendré, entre autres, par les maisons de chambres qui ont passé au feu mais qui n’ont pas été reconstruites.
Toutefois, il ne faut pas se méprendre. Les politiciens et les politiciennes sont bien au courant des problématiques de pauvreté au centre-ville de Chicoutimi. Ils/elles voient passer les études comme tout le monde. S’ils/elles ne font rien, c’est par ce qu’ils/elles veulent, c’est défendre leurs intérêts et aider les gens de leur classe sociale, les entrepreneurs, les propriétaires et les investisseurs. Rappelons que bien des politiciens locaux, Simon-Olivier Côté en tête (conseiller municipal au centre-ville), sont eux-mêmes des entrepreneurs et des propriétaires de commerces et de logements. C’est la lutte des classes en action. Il n’y a donc rien à attendre des élus, jamais ils ne viendront réellement en aide aux pauvres. Ils feront quelques concessions quand la situation sera devenue intenable, 2-3 miettes lancées par terre qui les feront passer pour de bons samaritains. S’il faut encore s’en convaincre, simplement lire ce qui suit…
10 millions de dollars pour un quartier numérique au centre-ville de Chicoutimi
Sous l’administration de Jean Tremblay, les élus voulaient faire du centre-ville un quartier des affaires. Maintenant, avec Josée Néron, c’est au tour du quartier numérique! Un nouveau branding bien vendeur et propre. « Le ministère de l’Économie et de l’Innovation, qui avait déjà annoncé cette enveloppe de 10 M$, s’est dit heureux de ce pas important dans la revitalisation du centre-ville de Chicoutimi. », peut-on lire dans un article du journal Le Quotidien [2]. Pour les politiciens au pouvoir (autant au régional qu’au provincial), la revitalisation du quartier passe par l’injection de millions afin d’attirer des entreprises et non pas par des mesures sociales qui viendraient aider plusieurs centaines de personnes qui habitent le quartier (!!) à s’extirper de la pauvreté. Quand ils annoncent sourire aux lèvres la revitalisation du centre-ville, ils supposent que l’on habite un quartier qui a perdu sa force vitale et là-dessus, ils ne se trompent pas. Mais s’il faut revitaliser le quartier, c’est via des mesures sociales qu’il faut le faire. On crève au centre-ville. On ne crève pas du manque de stationnements ou du manque de jeunes professionnels friqués du domaine du numérique (de toute façon, nous les paumé.e.s, on ne peut pratiquement pas se payer de voiture ou d’ordinateur). On crève de faim, on crève de chaud, frappés par un char, de violence conjugale, on crève d’overdose, on crève de misère. Comme les études, les statistiques et les cris du cœur des organismes communautaires du quartier ne suffisaient pas à le faire comprendre, maintenait une personne s’immole sur la rue Racine, peut-on être plus clair?
À terme, ce nouveau quartier numérique pourrait même devenir une zone d’innovation : « Confirmées par le gouvernement Legault à la fin de l’automne 2020, les zones d’innovation seront en quelque sorte des parcs industriels nouveau genre, qui vise à stimuler les projets de recherche appliquée entre les grandes entreprises et celles qui sont en démarrage. » [3]. Un parc industriel « nouveau genre », en plein ce dont les personnes pauvres ont besoin!
Il est évident que les changements vont venir d’en bas, c’est-à-dire des personnes qui vivent ces injustices et les organisations de base qui militent jour après jour sur le terrain pour l’amélioration des conditions de vie des gens du quartier. Il faut s’organiser entre laissés-pour-compte, se rencontrer, discuter et créer nos propres alternatives qui vont nous permettre d’améliorer nos vies et de combler nos besoins. Mettons en place un rapport de forces avec lequel nous serons capables de lutter contre ceux et celles qui profitent de notre misère; les politiciens, les propriétaires et les entrepreneurs véreux!
Un travailleur précaire qui vit et travaille au centre-ville de Chicoutimi depuis une décennie
1. Certaines personnes ne peuvent pas recevoir de dépannage alimentaire par manque de ressources.
2. Patricia Rainville. 10 M$ pour un quartier numérique à Chicoutimi, Le Quotidien.
3. Ibid.