Montréal Contre-information
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Nov 222021
 

Soumission anonyme à MTL Contre-info

Cet article nous a été envoyé par un camarade des Balkans. C’est une critique de la célèbre “théorie du fer à cheval”, cette idée fausse et pernicieuse qui veut que “les extrêmes se rejoignent”, établissant une équivalence entre extrême gauche et extrême droite. Cette doctrine est très populaire non seulement chez les politiciens occidentaux, ses créateurs, mais aussi chez les oligarques de la technologie dont le pouvoir et la fortune atteignent aujourd’hui des sommets.

Lire la version originale en anglais sur It’s Going Down


La rengaine médiatique, ces temps derniers, nous serine que le monde est plus divisé que jamais. Parmi les habitués des plateaux télé, nombreux sont ceux qui suggèrent qu’il faudrait trouver un compromis – s’entends, un compromis entre liberté totale et fascisme total. Quel genre de compromis peut-on trouver entre opresseurs et opprimés ? C’est un peu comme si on suggérait de résoudre le racket à l’école en disant aux élèves les plus faibles de donner volontairement la moitié de leur argent de poche à leurs agresseurs.

L’année dernière, Facebook a aidé les politiciens occidentaux à perpétuer cette faute politique déjà dangereuse, qui met sur le même plan toute parole jugée “radicale” :

Les groupes Facebook supprimés par la plate-forme comptaient aussi bien des collectifs consacrés à la suprématie blanche portant des discours génocidaires, qui constituent une réelle menace pour les communautés Noires, indigènes et les autres personnes racisées, que des pages d’information, d’organisation et d’actualité antifascistes et anti-capitalistes. Ces actions s’inscrivent dans un discours bien établi par l’administration Trump (et repris sans critique par la majorité des média *mainstream*) qui met sur le même plan des groupes racistes et fascistes bien organisés et les groupes antifascistes qui les combattent.

The Intercept

Pendant des années, le FBI a considéré le Earth Liberation Front et le Animal Liberation Front comme les groupes terroristes les plus dangereux opérant sur le sol américain. Ces collectifs informels et décentralisés, opérant de manière clandestine, n’ont jamais attaqué physiquement qui que ce soit ; cette approche non-violente a toujours fait partie de leurs principes directeurs.

Cette classification des menaces a été mise en place neuf ans après que Timothy McVeigh, influencé notamment par la lecture des Turner Diaries, a provoqué la mort de 168 personnes lors de l’attentat d’Oklahoma City. Les Etats-Unis ont investi des millions, sinon des milliards de dollars pour traquer et terroriser des groupes de défenseurs de l’environnement, des militants pour les droits des Noirs, des anarchistes et d’autres mouvements luttant pour la liberté et contre toutes les oppressions.

Aujourd’hui, après la marche “Unite the Right” à Charlottesville en 2017 puis l’attaque contre le Capitole à Washington le 6 janver dernier, il semblerait que le FBI ait enfin décidé de prêter attention aux groupes d’extrême droite. Mais il est toujours extrêmement clair que même lorsqu’une politique “anti-extrémistes” est mise en place, elle prends pour cible en priorité les groupes de gauche et les anarchistes. On pourra par exemple comparer [les décisions de justice contre les militants d’extrême droite avec le sort des personnes arrêtées lors des manifestations qui ont suivi la mort de George Floyd à l’été 2020.

Mais peu d’incidents ont capturé cette dynamique de manière aussi claire que les déclarations de Trump à la télévision après le meurtre de Heather Heyer par un néo-nazi à Charlottesville (Virginie), selon lesquels “il y avait des gens très bien des deux côtés de la manifestation”. Ces propos ont choqué certaines personnes pourtant convaincues par le sophisme de la “théorie du fer à cheval”, tant aux USA qu’à l’étranger, mais ils en sont en fait la suite logique : toutes les expressions politiques qui sortent des normes établies par le système en place sont traitées comme identiques, quel qu’en soit le contenu.

Un autre exemple récent est la la récente désignation par l’état d’Israël de six ONG comme des organisations terroristes. La logique de “l’anti-extrémisme” est si pratique pour le pouvoir en place qu’elle est appliquée jusqu’à l’absurde.

Nous voulons ici nous attarder sur un exemple européen : le récent procès de l’Aube Dorée en Grèce, conduit par le gouvernement supposément modéré de la “Nouvelle Démocratie” dirigé par le Premier ministre Kyriakos Mitsotakis.

Après cinq ans de procédure, ce groupe néo-nazi qui avait obtenu des sièges aux parlements grecs et européens a finalement été désigné comme une organisation criminelle.

La gauche institutionnelle grecque et ses soutiens se sont félicités de ce verdict. Il a cependant suivi et renforcé une véritable guerre menée par l’Etat grec contre les anarchistes, les collectifs de migrants, et tous les groupes qui menaçaient un status quo certes poli, mais bel et bien conservateur. L’Aube Dorée était un ramassis de salopards haineux qui terrorisaient les migrants et ont commis une série d’actes brutaux et fascistes : meurtres de migrants, incendies de camps de réfugiés, barbecues de porc anti-musulmans, sans compter l’assassinat du rappeur antifasciste Killah P (sans doute la raison pour laquelle ils ont finalement été traduits en justice).

Moins d’un an plus tard, certains des accusés ont déjà été libérés, mais ce n’est pas pour cela que nous nous attardons sur ce cas particulier. Il nous importe peu qu’ils crèvent en prison plutôt que d’attraper le COVID dehors ; l’Aube Dorée nous intéresse parce que son procès a principalement servi à la “Nouvelle Démocratie” pour annoncer au monde que la Grèce avait choisi le centrisme.

Nous sommes supposés nous réjouir de la “dissolution” de l’Aube Dorée, mais les pogroms visant les migrants et les réfugiés, ainsi que les attaques contre les militants anarchistes, ont atteint en Grèce une intensité bien au-delà de celle dont ses membres auraient été capables.

A l’heure où nous écrivons, des réfugiés meurent de faim dans les camps de concentration de la “Nouvelle Démocratie”, qui se coordonne avec d’autres états pour laisser se noyer les migrants en Méditerranée. Dans le même temps, ce gouvernement développe tout un arsenal législatif pour criminaliser les militants anarchistes et augmenter la sévérité des peines prononcées par le système judiciaire. Mais bon, ils sont bien polis, ils croient au réchauffement climatique, et ils ont dit que les militants de l’Aube Dorée étaient vraiment très méchants, alors…

Dès qu’on commence à jouer hors du cadre de la politique institutionnelle “raisonnable”, la répression est inévitable. Mais les militants réactionnaires (qu’ils propagent des théories de la conspiration antisémite ou militent pour une guerre raciale) n’ont pas de problème avec ce cadre ; ils veulent simplement l’étendre un petit peu et le rendre légèrement plus explicite, par exemple en promettant une version plus dure des dynamiques racistes déjà en place dans les prisons américaines ou les camps de réfugiés européens.

En un sens, nous préférons l’honnêteté de l’Aube Dorée et de Trump à l’hypocrisie de la “Nouvelle Démocratie” ou de Joe Biden : elle permet d’attiser les flammes de la libération.

Les anarchistes rejettent tout cela en bloc, c’est notre caractéristique première. Nous n’avons pas d’ambassade dans laquelle nous réfugier, et notre solidarité n’a pas de frontières. Oui, nous sommes radicaux, car c’est être radical que d’exiger la libération dans ce monde pétri d’exploitation et de domination. Notre radicalité n’a rien d’absurde : elle découle logiquement de notre volonté d’affronter les problèmes à la source.

Une personne qui tient une arme à feu génère nécessairement une situation extrême, mais le contexte compte aussi : peut-on comparer, par exemple, le geste d’une personne qui tue son violeur (Cynthia Brown) avec celui d’une autre qui massacre à l’aveugle des Juifs, des musulmans ou des migrants?

Et, pour continuer d’attaquer la logique centriste : une femme qui se défends à l’arme à feu est-elle une extrémiste, comparée avec un policier parfaitement banal à qui le système donne toute légitimité pour tuer quiconque menace le status quo?

Facebook, Merkel, Macron, la “Nouvelle Démocratie”, et tous les tenants de la politique “raisonnable” cherchent à normaliser ce monopole de la violence et à tenir à distance leurs partisans les plus radicaux, tout en ayant l’audace suprême de mettre sur le même plan celles et ceux qui luttent contre l’oppression avec celles et ceux qui luttent pour les renforcer.

Les mêmes tactiques sont employées contre les communautés qui se défendent contre les violences policières, les luttes des autochtones en Papouasie Occidentale ou en Amazonie, ou les personnes trans qui ne peuvent pas marcher dans la rue sans craindre pour leur vie. Les politiciens qui participent à la COP26 sont les mêmes qui emprisonnent les militants écologistes radicaux. Ces politiciens et militants raisonnables ne se font pas bannir de Facebook, ni harceler chez eux par les agents de l’Etat, et ils fabriquent de fausses divisions en qualifiant “d’extrémistes” des groupes totalement différents aux objectifs radicalement opposés. Le but est double : détourner l’attention, et persuader les dominés que la structure politique actuelle est la seule barrière qui les sépare du chaos.

Cette idée du “raisonnable” en politique est une tactique dangereuse. Elle conduit à l’idée que toute proposition politique radicale est équivalente à n’importe quelle autre, et que l’éthique, les objectifs ou le contexte local n’ont aucune espèce d’importance.

Elle nous conduit à avoir peur de nous-même et de nos proches, et à ne pas trop poser de question. Être raisonnable, c’est accepter ce qu’on nous dit : si on s’éloigne trop du consensus, dans ses objectifs ou son analyse, c’est de “l’extrémisme” et déjà presque du nazisme.

C’est ce qui conduit à cette “politique polie” qu’on observe dans la plupart des pays occidentaux, et par exemple aux USA depuis le départ de Trump. L’arrivée au pouvoir de Biden a conduit de nombreuses personnes qui avaient acclamé l’incendie d’un commissariat à Minneapolis à “se mettre en retrait” de la politique. En réalité, rien n’a vraiment changé, sinon que le type à la télé est un peu plus mesuré dans ses propos et joue le jeu de la diplomatie classique. La “raison” est de retour, nous dit-on, et Dame Justice tient de nouveau bien haut sa balance…mais la misère, elle, n’a pas bougé d’un iota.

Traiter comme identiques les groupes qui combattent la répression et les oppressions et ceux qui cherchent à les favoriser est honteux et obscène. Nous rejetons cette comparaison, ceux qui la soutiennent, et les groupes à qui nous sommes comparés.

Nous n’acceptons aucune modération, et nous voyons les centristes pour ce qu’ils sont : la droite, en plus poli. Leur “modération” n’a rien de “raisonnable” : son but est de maintenir et de perpétuer la cascade de tragédies qu’est notre status quo.

Il nous faut continuer de nous affirmer, quels que soit le jugement du pouvoir en place. Il nous faut utiliser ces réseaux sociaux toujours plus horribles de manière stratégique, anonymement, et redoubler de créativité pour éviter la censure.

En un sens, nous préférons l’honnêteté de l’Aube Dorée et de Trump à l’hypocrisie de la “Nouvelle Démocratie” ou de Joe Biden : elle permet d’attiser les flammes de la libération.

Les Biden et les Macron de ce monde nous isolent lorsqu’ils arrivent au pouvoir, car ils sont un peu plus doués pour calmer l’angoisse des masses indécises, pacifiées par la soupe que leur sert Facebook et le credo de la “modération politique”.

Cette politique de la politesse, promue par Facebook et ces sympathiques conservateurs qui dirigent le monde, n’est rien d’autre qu’une mise en scène : leurs prétendues rivalités politiques sont purement superficielles, destinées à nous distraire et à laisser le véritable pouvoir aux mains des forces les plus dangereuses.