Par ces lignes, nous désirons ouvrir des voies de communication et une perspective critique sur les pratiques des anarchistes dans les rues de Montréal, au niveau tactique. Nous voyons continuellement les mêmes erreurs commises dans les manifs et nous pensons qu’elles sont imputables au fait que la réflexion sur ces sujets dépasse rarement les limites des groupes affinitaires. Nous pensons que la quantité limitée d’information nouvelle que la police pourrait apprendre de ces réflexions générales est largement dépassée par les possibilités qui s’offriront à nous dès que nous serons plus aptes à agir en tant que force collective dans la rue. Nous espérons que d’autres se sentiront interpellés par ces réflexions et participeront à les approfondir à l’intérieur de nos réseaux, que ce soit sous la forme de textes anonymes ou dans leurs discussions avec leurs camarades. Voici donc quelques réflexions qui proviennent de trois groupes affininitaires. Leur valeur ne se révèlera qu’à travers la discussion critique et l’application pratique.
La lutte dans les rues de Montréal semble à un point tournant. Durant la dernière année, plusieurs personnes ont appris à contrôler leur peur de la police, et ceci se traduit par une plus grande combativité dans les manifs. D’un autre côté, notre capacité à confronter les forces de l’ordre a progressé moins rapidement, de telle sorte que notre enthousiasme dépasse souvent nos capacités matérielles. Avec une meilleure organisation, les camarades qui partagent des affinités seraient mieux en mesure de clarifier leurs intentions et leurs buts, de fomenter des plans, de partager des connaissances et des outils nécessaires à la confrontation. La police réfléchit continuellement aux techniques de contrôle de foule et s’adapte aux conjonctures changeantes, et nous nous devons de leur répondre avec des développements tactiques de notre crû.
Dans une manif «typique» à Montréal, nous retrouvons des gens masqués éparpillés dans la foule – parfois en groupes, parfois seuls, parfois simplement marchant avec des ami.e.s qui ne sont pas masqué.e.s – qui ne tentent que rarement de communiquer entre eux ou de se tenir proche d’autres groupes. Ceux vêtus de noir sont peut-être désignés comme le «black bloc», mais ce n’est pas un bloc. Un bloc s’efforce consciemment de rester groupé et dense afin de se couvrir les uns les autres et travailler collectivement dans l’anonymat pour réaliser des buts communs.
Nous attribuons l’attitude de se masquer sans intention précise à une fétichisation de la tactique du black bloc, dont l’esthétique est célébré par et pour elle-même. La paranoïa ou le malaise social peuvent également être des barrières à la communication avec des camarades inconnu.e.s avec pour conséquence que les gens ou les petits groupes restent isolés. Nous devons briser ces barrières de communication si nous voulons aiguiser nos tactiques, pour profiter rapidement des opportunités qui s’offrent à nous et réagir avec force. Trop souvent, quelques roches sont lancées dans un geste symbolique avant une dispersion que la foule n’est pas préparée à repousser.
L’objectif poursuivi dans la confrontation avec les flics doit être réfléchie continuellement et est sujet à débat; pour nous, il s’agit de libérer l’espace du contrôle policier, ce que nous voyons comme une prémisse pour que quoi que ce soit d’intéressant puisse se produire par la suite. Fracasser une vitrine de banque rituellement et sans se doter de la capacité de repousser la police va souvent, et de façon prévisible, mener la manif à être attaquée puis dispersée. Une telle attaque isolée contribue peu à construire notre rapport de force dans la rue et notre capacité à soutenir la lutte, à prendre et à défendre l’espace. Nos attaques devraient être menées d’une façon qui collabore avec la manifestation plutôt que d’utiliser celle-ci comme couverture sans égards – ou sans possibilité de répondre – aux conséquences. Nous devons plutôt concentrer nos forces sur la police, cherchant à les faire fuir et à briser leur contrôle sur la foule. Une fois cet objectif atteint, nous pourrons détruire toute la propriété capitaliste que nous voulons et ce sans laisser le reste de la manif subir la répression policière amenée par nos trop brèves actions.
Conseils anonymes et spontané.
Reflexions sur la communication informelle en manif.
Des voies de communication devraient être ouvertes à l’intérieur de la section de la manif qui se veut confrontationnelle. Une forme que cela peut revêtre est une «consultation» informelle et spontanée. Une personne de chaque groupe pourrait se réunir pour parler de stratégies générales et de plans dont ils ressentent la nécessité de partager. Ces discussions pourraient reprendre à n’importe quel moment crucial durant la manif pour prendre plus de décisions collectives, influençant le comportement de tous ceux qui veulent se battre.
Un exemple de cette tactique réalisée avec beaucoup de succès s’est produit pendant le G20 à Toronto. Le bloc – qui fonctionnait comme un bloc bien organisé – a tenu ce genre de meeting à un moment crucial après avoir essayé de se diriger vers le sud, en direction du périmètre sécurisé du G20 et s’être fait repousser à coup de matraques. Les discussions ont contribué à ce que le bloc sprint vers l’est, s’éloignant du périmètre et vers le centre-ville, déjouant ainsi la police et menant à une heure d’émeute, de destruction de propriété et deux voitures de police brûlées.
Ceci n’est qu’un exemple de comment faire pour améliorer nos communications dans un bloc bien organisé. Ce n’est pas une panacée, car difficile à mettre en œuvre. Souvent, encourager les camarades en criant des slogans («vers le centre-ville!», «on reste groupé!», etc.) servira très bien. Mais si nous désirons mieux nous coordonner, il nous faudra réfléchir sur des moyens de communication plus efficaces.
Faire face à la Brigade Urbaine
Une des adaptations les plus notoires dans la stratégie de contrôle de foule du SPVM durant la dernière année est le positionnement de policiers sur le flanc de la portion de la foule qu’ils jugent la plus encline à «causer des troubles». Au moins seize policiers sans bouclier marchent sur les trottoirs avec au moins un «tireur» équipé d’un fusil à balle de caoutchouc, généralement au milieu de la ligne. Durant la manif du 1er Mai 2012, alors qu’ils ne bordaient que le flanc droit de la manif, nous avons vu le bloc ne pas avoir assez de confiance et d’organisation pour les attaquer. Le résultat a été qu’au moment de leur choix, les policiers ont coupé dans la manif et ont pu faire des arrestations avant de battre en retraite sur Ste-Catherine. La Brigade Urbaine va toujours agir à une intersection de telle façon qu’ils pourront se retirer dans une rue qui n’est pas occupée par la manifestation. Ils vont ensuite garder la foule à distance avec des balles de caoutchouc le temps qu’ils complètent leur arrestations. Un nouvel ajout à ce dispositif sont les chevaux, trois accompagnant chacune des deux brigades, qui jouent un double rôle: créer un climat de peur et être en hauteur pour identifier des cibles pour des arrestations éventuelles.
Durant la première manif contre le Sommet de l’éducation supérieure, le 25 février 2013, après des mois où la tactique de la Brigade Urbaine réussissait à contrôler les manifestants, la foule a eu l’intelligence collective de prendre les trottoirs derrière l’unité de la Brigade à gauche de la foule, essayant de la faire sortir de la manif. Si nous réussissons à occuper le trottoir derrière la Brigade Urbaine, cette tactique, qui a connu énormément de succès à nous contrôler, sera grandement compromise. Ceux qui, à cette occasion, ont pris le trottoir n’étaient pas équipés pour le combat rapproché qui suit cette prise de l’espace (mis à part quelques ampoules de peintures), et donc la police a pu résister à notre tentative de les faire fuire. Il leur aura quand même fallu faire appel à la brigade qui était de l’autre côté de la rue pour briser cet encerclement. Un coin de rue plus loin le Groupe d’Intervention (GI) avec bouclier attendaient la foule et ont balancé au moins deux bombes assourdissantes.
S’il y avait eu un bloc dense avec différents groupes en communications entre eux, protégé par des bannières renforcées à l’avant et sur les côtés et défendu par des longs pôles de drapeaux, cette confrontation aurait pu se terminer autrement. Bien sûr, dès que nous aurons libérer nos flancs, les GI avec bouclier vont entrer en action, mais nous nous serons fait moins vulnérables et plus en mesure de confronter les autres forces de police (incluant les undercovers). Cela dit, dès que l’émeute est en cours et que la police tente de nous disperser, il fait beaucoup de sens pour des groupes de 10-20 personnes à l’intérieur de portions de la manif de continuer à foutre le bordel, rendant la situation encore plus incontrôlable pour les flics.
Ceci nous ramène à la question du matériel amené et utilisé pendant les manifs. Nous avons vu dernièrement des camarades s’organiser et amener des bannières de côtés qui nuisent grandement à la capacité de la Brigade Urbaine à agir. Cette pratique devrait devenir systématique. La réponse des flics fût de mettre la cavalerie sur le trottoir. Nous devons réfléchir à des moyens de nous en débarrasser. Le mieux nous seront équipés pour faire face à la Brigade Urbaine, le moins de danger elle représentera. Un groupe de 10 personnes avec des drapeaux appuyé par des jets de pavés serait suffisant pour faire reculer la Brigade Urbaine, mais pas le Groupe d’Intervention avec les boucliers.
Derrière les barricades
La construction de barricades et la défense de lieux occupés comme des squares, des parcs, ou de larges intersections n’a presque jamais été tenté durant la dernière année, malgré toutes les opportunités que nous avons eu. Nous devrions expérimenter l’occupation de l’espace de d’autres façon que la longue procession des manifs traditionnelles, qui peut être relativement facile à couper par la police (couper la manif en deux est même la première étape du processus de dispersion opéré par le SPVM). Par exemple, si un square est rempli de manifestants qui ne sont pas prêt.e.s à abandonner leurs camarades et que les points d’entrée principaux sont barricadés, les flics peuvent être repoussés pendant des heures. Derrière les barricades se trouve la possibilité de renoncer à la fragilité et l’aspect «hit-and-run» usuels de nos attaques et nous ouvre le temps et l’espace pour la rébellion, que nous élaborerons avec joie. Nous pouvons constater que ces leçons ont été apprises et sont appliquées dans les émeutes à Athènes, Barcelone, etc.
Par barricades, nous entendons tout objets qui peuvent substantiellement nuirent aux mouvements de la police, comme des dumpsters renversés ou des voitures que nous pouvons pivoter en soulevant le derrière (qui est plus léger que l’avant). Les panneaux de signalisation et les cônes oranges qui sont fréquemment renversés nous nuisent plus qu’ils ne gênent les mouvements des flics. Ils peuvent même se révéler dangereux pour un camarade inattentif.
Si des barricades peuvent être faites rapidement quand le moment se présente et que nous occupons un espace opportun (par exemple, un lieu sans trop de points d’entrée, avec des sites de construction à proximité qui peuvent être pillés, avec un nombre important de roches ou de pavés que nous pouvons accumuler, un parking qui nous offre une bonne couverture comme au Plan Nord le 20 avril 2012), nous pouvons les tenir et nous battre de derrière elles, repoussant les charges qui ont ultimement dispersé toutes les manifs jusqu’à présent.
Retournons à l’exemple du 1er Mai dernier, au coin de University et Ste-Catherine après que la Brigade Urbaine eut été repoussée avec des projectiles, nous savions tous que le GI avec bouclier allait rappliquer d’une minute à l’autre en quantité trop importante pour être repoussé avec seulement des pavés. Plusieurs personnes ont à ce moment commencé à ramasser des roches pendant ces précieuses minutes, mais aucune barricade n’a été construite. Quand le GI a chargé de par le sud, la manif a été chassée et poursuivie au nord de Sherbrooke et forcée de se disperser.
Nous savons qu’il est difficile de se défaire de la crainte de la répression, que plusieurs d’entres nous hésitent encore à balancer le premier pavé, c’est pourquoi il nous faut collectivement dans nos groupes affinitaires expliciter ce que chaque personne est à l’aise de faire. Certaines personnes préfèreront ramasser des pavés et les distribuer à d’autres qui sont plus à l’aise à attaquer les flics. Certains seront prêts et prêtes à tenir les bannières de côtés, conscients et conscientes qu’ils et elles seront peut-être les premiers à subir le choc de la charge de la Brigade. D’autres encore voudront observer les agissements des flics et les analyser dans le but d’éviter un encerclement.
Il nous faut avoir une perspective critique à propos de nos tactiques de rue et les formes de notre organisation. Ce texte rassemble des réflexions de quelques uns d’entre nous qui en aucun cas ne se considèrent comme experts. Nous attendons d’autres contributions afin de mieux nous organiser dans la rue, autant par ceux qui préfèrent communiquer sous la forme de textes autant que par ceux qui partageront leurs réflexions à travers leurs actions dans la rue.