Montréal Contre-information
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Juin 112025
 

Soumission anonyme à MTL Contre-info

On fait constamment l’objet d’une récupération. Par le passé, j’aurais utilisé la notion de Spectacle, mais plus le temps avance, et plus je me dis que c’est aussi le propre de chaque fois qu’on prend la parole d’être mécompris.e, c’est une fonction du langage.

Cette mécompréhension est constitutive de l’échange, du dialogue, du débat, sans quoi ce on pourrait clarifier nos positions une bonne fois pour toute et les suivre. On connaît l’histoire, des tendances s’imaginent pouvoir enfin parvenir à un accord sur des principes simples et puis soudainement, ça capote, on s’entend plus, chaque mot renferme une Boîte de Pandore. Souvent, on en cherche la cause dans le marécage de l’interpersonnel ou de la mauvaise communication, mais c’est aussi plus profond. On peut pas tout dire, s’entendre vraiment, sans quoi le momentum est passé.

Proposition: le modèle qu’on devrait prendre pour la prise de parole ou l’entente, ça devrait être davantage celui de deux processus concurrents. D’un côté, la récupération et le déplacement de sens incessant, de l’autre la précision et le retour à l’idée politique à répéter. On s’entend que la compulsion de répétition est pas toujours du bon côté ni le déplacement dans le flou.

Exemple concret et récent (pour une fois) : on pitch une idée sur l’antifascisme pendant la fête des Patriotes, les OUI Québec la récupèrent, on est content.e de voir que ça prend: peut-être que quelque chose pourrait se jouer, une ligne de démarcation dans le mouvement indépendantiste… Ensuite, on voit un vieux réac, apprenti bock-cotiste reprendre l’idée d’une indépendance antifasciste. Mais quelle est la valeur alors de l’antifascisme qui peut faire l’objet d’un tel glissement? Est-ce que ces affirmations profitent à l’antifascisme ou bien est-ce qu’elles créent une position vraiment cursed des souvrainistes-antifa pour l’indépendance mais qui ne dénoncent pas les Bock-Côté ou PSPP? Ce glissement est positif et négatif : l’enthousiasme a-critique comme le rejet en bloc sont des attitudes qui nous aident pas à penser dans ce genre de moment politique.

M’intéresse un antifascisme qui permet de faire advenir un clivage, de bouger l’ensemble de l’espace public et qui s’intéresse à toujours préciser et clarifier le contenu de son mot d’ordre contre la fascisation en cours.

Je parle ici aussi de façon large: les mots «antifascisme» comme «gauche» ou «anarchisme» font l’objet de déplacements et de récupérations constants. Publier un post ou un texte ou tenir une position politique dans le discours, c’est comme faire la vaisselle – c’est à refaire à chaque jour –, mais c’est aussi comme un muscle. Oui, il faut le travailler d’abord et avant tout. Mais un fois qu’on a recommencé à faire des exercices, il faut aussi faire attention aux patterns de faux mouvements qui peuvent nuire à la longue. Il faut changer les paramètres de l’exercice ou carrément d’exercice quand ça fait plus forcer.

Quand le travail de propagande antifa atteint un consensus relatif, on peut se réjouir. En Allemagne, récemment, les manifs contre la droite et contre le fascisme ont rassemblé des centaines de milliers de participants. Or, à la fin de la journée ces manifs avaient un discours politique qui était si peu clair, elles avait tellement de difficulté à préciser des lignes de démarcation, qu’elles ont principalement servi la dédiabolisation de tout ce qui n’est pas l’AFD mais qui s’en inspire et reprend ses politiques. Ceci est un bon exemple de la récupération toujours possible, on se fait dérober nos propres termes, puis on les revoit en face de soit à la fois étranges et familiers. En Allemagne, les groupes qui sont parvenus à intervenir de la façon la plus intéressante dans ces manifs contre la droite, qui ont prolongé la lutte antifasciste, ce sont les groupes pro-pal qui ont décloisonné l’image du fascisme de ses usual suspects. Ça n’a pas plus à certains antifas–antideustch, ceux qui, depuis les années 1990 font de la politique de rue contre les nazis, mais qui font également coexister le symbole des drapeaux antifa avec le drapeau d’Israël et sa politique; un exemple de glissement et de récupération avec un autre drapeau bleu et blanc.

Tout ça pour dire, il faut prendre la parole, entraîner le muscle souvent. Mais il faut le faire en ayant conscience que les mots nous échappent, que ça en prendra beaucoup de mots, des arguments – avec des gestes – pour faire gagner une ligne. On ne peut se contenter du flou et de son corollaire, l’évidence partagée, mais jamais argumentée.

Lorsque se présente à nous une situation de rapprochement inattendue celle-ci est indissociable de la récupération. Il faut avancer avec nos deux jambes et prévoir ce qui va nous revenir en pleine face si on le clarifie pas, si on précise pas.

– Maulwurf