[Voici deux textes au sujet de la nuit émeutière du 3 mars dernier dans un quartier riche d’Hamilton.]
Hamilton : Ingouvernables et pleurs de bobos : un samedi soir à Locke Street.
Chaque jour, que ce soit les propriétaires qui touchent de plus en plus de loyers pour des apparts toujours plus merdiques, des patrons qui vous poussent à travailler toujours plus ardemment, des associations de commerçants qui militent pour davantage de flics, ou juste l’Audi qui vous coupe aux heures de pointe… Les riches nous pourrissent la vie. Chaque jour, nous devons faire face à leurs attaques mais de temps en temps, nous pouvons trouver un moyen pour rendre les coups.
Samedi soir, j’ai retrouvé un groupe de gens dans le quartier ‘Durand’ : nous avons flâné le long ‘d’Aberdeen’ et dans certaines rues du secteur, en attaquant des véhicules de luxe et des hôtels particuliers qui étaient sur notre chemin, en faisant du bruit avec un sound system portable des feux d’artifice. La balade s’est ensuite rabattue sur ‘Locke’ en attaquant le maximum de commerces de bobos que nous pouvions avant de prendre la décision de se disperser. La police a dit que nous avions fui, mais je n’ai pas vu un seul flic après qu’ils ont été chassés ‘d’Aberdeen’.
Pour tous les anti-capitalistes indubitablement sincères qui, sur Internet, se demandent pourquoi les Starbucks n’ont pas été détruits, contrairement aux petites entreprises et commerces locaux, c’est seulement parce que ceux-ci étaient situés juste un peu trop au nord. Mon seul regret de la soirée.
Comme le camarade Kirk Burgess [1] l’a expliqué sur twitter :
« Imaginez que vous êtes si fâchés vis-à-vis de la gentrification, que vous vous rassemblez avec quelques potes en galère, que vous vous masquez le visage, et que vous déchaînez dans l’un des quartiers les plus riches de la ville. En jetant des pierres sur les maisons et les entreprises. Vous êtes répugnants. »
C’est plus ou moins ça Kirk, moi et mes ami.e.s galériens.
Tous mes pires patrons ont été propriétaires de petites entreprises. Le problème ne réside pas dans la taille de l’entreprise, mais bien dans la relation d’exploitation. Quand une personne décide d’être capitaliste, de faire de l’argent par le biais de ses investissements plutôt que par son travail, sa position par rapport aux changements dans la ville devient fondamentalement différente. La gentrification, par exemple: lorsque les loyers augmentent, cela signifie qu’ils gagnent plus d’argent (plutôt que de perdre leur maison); quand les prix montent et que les riches emménagent, cela signifie une chance de vendre des produits de luxe (alors que nous travaillons au salaire minimum); quand davantage de police et de surveillance arrivent, cela sécurise votre investissement (pendant que nous sommes harcelés et expulsés). Ils deviennent riches parce que nos vies se détériorent.
Bien sûr, les propriétaires de petites entreprises peuvent travailler de longues heures, mais même si je mets 12 heures à côté de mon patron, et que nous nettoyons les toilettes, le fait qu’ils possèdent et que je travaille signifie que notre relation au travail est totalement différente. Quand les affaires sont bonnes (ou quand ils réussissent à faire du financement collectif), ils entérinent un nouveau bail sur une voiture ou signent une hypothèque sur une propriété d’investissement alors que mon chèque est mangé par le loyer, les factures et le magasin d’alimentation. Je n’ai pas d’autre choix que de me présenter demain alors que leur capacité à s’enrichir augmente.
Fuck les riches. Fuck les capitalistes (même ceux qui vendent des produits de boulangerie haut de gamme). Et à tous ceux qui veulent se plaindre de la violence, souvenez-vous que la seule raison pour laquelle ces parasites parviennent à garder leurs mains propres est que, le plus souvent, leurs attaques ressemblent à des affaires des plus banales.
Devrions-nous continuer à écrire des lettres en espérant que Jason Farr [2] « Je-veux-un-magasin-Apple » fasse quelque chose? Ou croire que d’une façon ou d’une autre, Andrea Horwath [3] arrêtera de lécher le cul du BIA de Locke Street [4] ? Ou nous pourrions nous perdre dans le fait que la solution à l’oppression économique résiderait dans des start-up plus innovantes, ou bien dans la charité? Est-ce que je devrais garder le sourire face au connard de riche en espérant qu’il me donne un pourboire plus important?
La rue Locke a été la première rue embourgeoisée du centre-ville, sa « success story », comme pourrait le dire le maire Fred, les quartiers environnants étant les premiers à voir les hausses de loyers qui finissent par dominer tant de nos vies. Retourner des tables et finir par contre-attaquer samedi soir m’a aidé à me débarrasser de la peur et de la frustration qui s’accumulent lorsque vous êtes embourbés dans une situation désespérée. Que les riches se rappellent qu’ils sont toujours à la portée de toutes les personnes qu’ils écrasent.
NdT:
[1] Il parait que Kirk Burgess est un quidam qui a posté ce commentaire marrant sur twitter que l’auteur du texte a décidé de résumer parfaitement la nature de l’action.
[2] Jason Farr c’est un membre du conseil municipal, un vrai opportuniste qui ne fait que courir après les riches pour les attirer dans notre quartier (y compris le apple store).
[3] Andrea Horwath c’est la cheffe du parti de gauche au niveau provincial, qui est venue poser des messages de solidarité sur les façades fracassées.
[4] Un BIA c’est un « Business Improvement Area », une association appuyée par le gouvernement municipal qui réunit les propriétaires et les petits patrons pour coordonner les affaires des quartiers. Assez dégueu.
Après la balade émeutière de Locke Street de samedi 3 mars, le Centre Social Anarchiste The Tower à Hamilton (Ontario, Canada) a eu sa vitrine défoncée dans la nuit de dimanche et la porte pétée la nuit de mardi.
Communiqué de The Tower sur les événements récents
Nous avons attendu jusqu’à maintenant pour écrire un communiqué public, car ce n’est vraiment pas notre volonté d’avoir des conversations sur internet, un endroit si toxique et aliénant. Mais puisque notre local a été attaqué deux fois dans les derniers jours, nous pensons qu’il est important de partager quelques réflexions et d’être clairs sur notre position.
Tout d’abord, non, les actions qui ont eu lieu samedi soir sur les rues Locke et Aberdeen n’ont pas étés organisés par The Tower, mais oui, nous soutenons ce qui s’est passé et nous sommes solidaires de ceux/celles qui l’ont fait. La guerre de classe se poursuit chaque jour dans cette ville, avec des attaques constantes contre les pauvres et les travailleurs. C’est consternant de voir que de si nombreuses personnes se fassent du souci seulement lors de rares occasions où un peu de rage se retourne contre la domination. Les effets permanents de la gentrification dans cette ville sont déchirants : vagues de déplacements, violence croissante et pauvreté grandissante. On ne peut pas simplement s’attendre à que tout ça reste caché sous le tapis des mots. Nous n’avons aucune larme à déverser pour Locke Street.
Nous ressentons qu’à chaque famille qui se fait expulser de sa maison c’est bien pire que tout ce qui s’est passé sur Locke Street, même si on croit que tenir des boutiques de luxe est un acte neutre. Et le niveau d’indignation est particulièrement odieux, considérant que ces dernières jours il y a également eu deux femmes lambda qui ont étés poignardées. C’est plus que dégoûtant de voir que les discussions sur les pâtisseries artisanales dégradées ont la priorité sur les discussions à propos de la violence sur les femmes.
Ce n’est pas simplement du jemenfoutisme, cela veut dire choisir son camp. Quand les choses tournent mal, nous ne sommes pas du côté des riches et de la classe des affaires. Nous sommes solidaires de tous ceux qui résistent aux pouvoirs dominants dans cette ville et si nous avons des critiques sur la tactique nous les faisons en privé. Nous nous opposons à toute répression et à toute collaboration avec la police.
Ces derniers jours, nous avons reçu plusieurs menaces de la part de groupes d’extrême droite, présageant les attaques contre notre espace. Sans surprise, la classe commerçante locale et les suprématistes blancs qui ont organisé des manifestations anti-immigrés en ville l’année dernière se sont retrouvés du même côté.
Tout le théâtre à propos de Locke Street montre qu’ils ne s’attendent pas seulement à se faire de l’argent en suivant leurs intérêts et en ignorant leurs impacts sur d’autres, mais qu’ils s’attendent aussi bien à être aimés pour cela. Nous ne sommes pas « choqués et horrifiés » d’être attaqués, puisque nous n’avons jamais pensé que les puissants de cette ville et leurs larbins pouvaient nous remercier de s’opposer à eux.
Nous savons que ce ne sont pas les boutiques qui sont le principal facteur d’embourgeoisement et des souffrances qu’il entraîne: ce sont plutôt les investissements immobiliers, la spéculation et les politiques municipales qui les encouragent. Les petits magasins sont souvent sous le feu des projecteurs, mais ce ne sont pas eux qui réaménagent les blocs d’immeubles entiers ou mènent des expulsions massives. Cependant, ce qu’ils ont fait, cela a été de se mettre du côté des spéculateurs et des proprios, se positionnant de manière à profiter des forces qui portent préjudice à la plupart de leurs voisins. Nous avons choisi de les critiquer et de nous y opposer par le passé, à cause de leur alliance aux riches et aux gros capitalistes, et même s’ils ne sont pas les plus responsables, leurs actions ont des conséquences réelles.
Pour être clairs, nous ne remplirons pas des formulaires de police en lien à ces événements, mais nous les gérerons plutôt de façon autonome, en nous appuyant sur des réseaux d’entraide. The Tower continuera à héberger le même type d’événements et de groupes qu’il a toujours fait, en mettant des ressources en commun et en partageant des idées. Les événements des derniers jours ne changent rien pour notre projet ou nos choix et nous faisons appel à tous/toutes ceux/celles avec qui nous avons partagé des moments par le passé à prendre le temps de souffler et à considérer que même si les choses sont plus intenses en ce moment, rien n’a changé au fond.