Montréal Contre-information
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Sep 102015
 

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Chaque fois qu’arrivent les élections, aux niveaux provincial ou fédéral du moins, les anarchistes montréalaises répondent. Il y aura des collants, des affiches, des manifs. ON NE VOTE PAS, ON LUTTE! déclare la bannière à l’avant du défilé.

Je pense que toute personne devrait, de temps en temps, réfléchir sur leurs habitudes. Il se peut que changer une habitude, même une mauvaise, exige trop d’énergie, mais c’est bon d’au moins d’au moins savoir quelles sont ces habitudes, ce qu’elles impliquent et comment mieux vivre avec.

C’est aussi comment je me sens vis-à-vis la population anarchiste montréalaise dans son ensemble. Je ne suis pas certain à savoir s’il y a beaucoup d’entre nous qui ont été impliquées dans l’action anti-électorale de façon continue, élection après élection. Mais, tant quelque chose plus grande que les individus qui se composent, il semble que nous nous soyons impliquées dans ces spectacles depuis des années. Ça reste, à certains égards, une bonne chose. C’est la consistance de notre pratique collective qui rend Montréal attrayante aux anarchistes qui vivent ailleurs.

L’action anti-électorale est-elle la meilleure façon d’utiliser notre temps et notre énergie? Je ne sais pas. Pour être honnête, j’imagine que non. Et donc j’imagine ce que d’autres anarchistes icitte (particulièrement celles-ceux de tendance anti-civ/post-gauche) pourraient avoir à dire sur le sujet.

Comme: « pour l’anarchiste, la seule attitude qui convienne envers les élections est l’indifférence. »

Ou: « l’action anti-électorale, c’est juste de l’activisme d’une autre saveur, et l’activisme est quelque chose qu’on doit abandonner. »

Ou: « une manif contre les élections sera toute aussi faible que la majorité des manifs anti-systémiques qui se tiennent aujourd’hui. »

À mon avis, rien de tout cela n’est faux. Ou, du moins, je ne pense pas que ce soit mal pour qui que ce soit de penser ces choses. Mais je pense aussi que l’habitude de s’opposer aux élections serait, pour la population anarchiste dans son ensemble, une habitude difficile à rompre. Et, de plus, je pense que décrisser des élections pourrait être une bonne idée, si c’est bien fait. Joyeuse, autonomisatrice et stratégique. Un grand grand pas vers la libération pour un grand nombre de gens. Un attaque qui vaut le coup, contre l’État canadien et la société libérale-industrielle.

Mais il reste aux anarchistes à sérieusement décrisser des élections. Nous n’avons pas même atteint le point d’avoir une audience continue à notre audace et nos coups d’éclat – parce que, même s’il semble que nous ne puissions pas dépasser la stratégie démodée de surpasser le Spectacle, nous devrions au moins pouvoir retenir l’attention d’une partie semi-considérable de la population pour un moment ou deux.

La date du vote finale est le 19 octobre. Il sera « historique », insiste les médias. Dans l’espoir, peut-être naïf, que ces élections puissent être historiques d’une façon qui importe aux anarchistes, et en particulier à nous à Montréal, il y a ci-dessous quelques réflexions sur comment approcher l’organisation anti-électorale cette fois-ci.

 

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  1. Peu importe qui remporte les votes, nous sommes ingouvernables.

C’est une belle pensée, ça. C’est possiblement faux – nous sommes, hélas, plutôt gouvernables, et ce la plupart du temps – mais cela reste quelque chose à quoi nous pouvons aspirer. Dans cet esprit, on ne devrait dépenser aucune énergie à tenter d’influencer le résultat des élections.

Quelqu’un sera le premier ministre du Canada. On ne devrait pas nier le fait qu’il y a des différences politiques entre Mulcair, Trudeau et Harper, mais on devrait néanmoins clarifier que, en tant qu’anarchistes, notre opposition ne se limite pas à ces gens en particulier, mais au bureau du premier ministre lui-même – et à tout l’État canadien qui l’entoure.

La gauche canadienne craint surtout une nouvelle victoire conservatrice, mais nous ne devrions pas. Si nous le craignons, une victoire pour Harper nous déprimerait, alors que sa défaite nous ferait baisser notre garde.

  1. Que les gens votent ou non est sans importance.

Je vois un collant à Montréal depuis l’été 2012: LES ÉLECTIONS, ON S’EN CÂLISSE – ON VOTE PAS, ON LUTTE! Dans le coin, il est écrit A – ANTI – ANTI-CAPITALISTES! A – ANAR – ANARCHISTES!

Le collant me fait chier pour quelques raisons. Tout d’abord, le mot « anarchistes » possède deux syllabes de moins que « anti-capitalistes », donc si on connaît le slogan original, on sait que celui-ci ne sonne pas juste. Mais, plus important encore, le collant dit que les anars ne votent pas.

La plupart des anarchistes ne votent pas, c’est bel et bien vrai. Mais il y a des anars qui le font, peut-être pour des raisons caves – comme moi, qui a voté pour le BQ dans la dernière élection en croyant que la balkanisation serait un environnement fertile pour l’anarchie. Cela pourrait être embarrassant, mais elle n’invalide pas mon identité anarchiste.

Dans la société au sens large, il y a des gens qui votent et des gens que ne le font pas. Il n’existe pas des études qui se penche sur la question, à savoir si un groupe est plus ou moins probable d’être attiré aux idées et modes de vie anarchistes. Nous n’avons donc que nos hypothèses. Mais ce n’est pas encore le vrai problème. Ce qui est stratégiquement stupide pour nous n’est pas seulement que le collant dit que les anars ne votent pas, mais que toi, qui vote et qui lit ceci, tu n’es pas un anar. Que tu ne peux pas être un anar. Car tu votes.

Voter, c’est le moins efficace parmi les moyens disponibles pour provoquer le changement politique. Nous devrions le dire, haut et fort (et, bien sûr, nous le faisons déjà). Nous devrions aussi dénoncer, sévèrement si nécessaire, tout effort à rediriger le temps et l’énergie de gens vers la démarche électorale pour des partis politiques, aussi « progressifs » soient-ils. Mais si une personne individuelle prend la décision de gaspiller un peu de son temps aux urnes, ça ne devrait pas nous regarder.

  1. Les anarchistes peuvent prédire l’avenir.

J’imagine une manifestation, en septembre peut-être, menée par cette bannière: LE NPD N‘EST PAS DIFFÉRENT – DON’T TRUST THE NO DIFFERENCE PARTY.

Si Thomas Mulcair gagne l’élection, le résultat prévu par les sondages les plus récents, les canadiennes auront leur premier gouvernement néodémocrate de à Ottawa de l’Histoire. C’est sans doute que, après 9 ans de règne conservateur, il y aura plusieurs montréalaises entretenant beaucoup d’espoir face à un gouvernement social-démocrate. Il est fort probable que beaucoup de ces gens seront profondément déçues.

Je ne pense pas que nous pouvons prédire quel parti va réellement gagner – mais, si le gagnant est le NPD, nous pouvons prévoir avec précision ce qui arrivera. Les sables bitumineux vont continuer d’être exploités, les coupures aux services sociaux se poursuivre également, la dérive sécuritaire ne sera pas arrêtée… Je n’ai pas besoin de tout énumérer. En tant qu’anarchistes, nous le savons. Mais si nous pouvons répandre ce message à la population, puis être vues comme ayant été exactes avec nos prédictions après coup, ça pourrait être bon pour notre crédibilité avec celles-ceux qui, d’habitude, nous comprennent en tant que fous imbéciles.

  1. S’il y a un seul politicien qui mérite notre colère, c’est Justin Trudeau.

Trudeau est l’équivalent de Barack Obama à la fin des années de Bush. Il est l’incarnation de l’Espoir pour un Capitalisme Amélioré. Il est jeune, dynamique, plein de nouvelles idées. Il est l’outsider de la politique, le « rebel », celui qu’on peut s’imaginer se présenter aux élections à cause d’idéaux au lieu de d’agenda politique. Pour toutes ces raisons, il est notre adversaire, et nous devrions chercher à le détruire.

Le comté de Trudeau (qui couvre Villeray, Parc Ex et une section de Saint-Michel) est l’un des plus pauvres au Canada. C’est aussi là que plusieurs d’entre nous vivons. C’est aussi un endroit où c’est nice de prendre la rue. Sans recommander une autre personne, nous pouvons communiquer à la population du comté le caractère réel de ce personnage – que Trudeau est un impérialiste, un partisan de la surveillance étatique, un gosse privilégié. Nous pouvons le troller tandis qu’il essaie de gagner l’élection à l’échelle nationale. Ça serait amusant, particulièrement si notre activité lui fait penser qu’une des candidates de troisième ordre qui lui font face au niveau local pourrait gagner. Mais plus important encore, cette démarche démontrerait l’attitude qui convient aux anarchistes envers politiciennes, incluant envers les politiciennes dites« honnêtes ». Tu n’es pas notre amie, et nous n’allons pas y aller doucement avec toi parce que tu vas décriminaliser la marijuana. On va faire passer le bong pendant qu’on occupe ton bureau et qu’on chie sur ton plancher.

  1. C’est dans les quartiers qu’on devrait prendre la rue.

Ce qui m’excite vraiment dans l’idée de troller Trudeau , c’est la perspective d’être dans les rues à Villeray et à Parc Ex. Mais, à travers la ville, il serait plus logique d’organiser des manifs plus petites dans nos propres quartiers – et, de préférence, d’une manière qui serait plus difficile pour le SPVM de suivre – que de mobiliser des gens pour des grandes démonstrations de force au centre-ville.

Dans l’ensemble, des anarchistes et d’autres anti-capitalistes combatives ont perdu la capacité de tenir les rues du centre-ville. Mais cela n’est pas nécessairement vrai dans les quartiers – surtout si les choses se passent de façon imprévisible, ou dans plusieurs lieux en même temps. Je ne proclame pas qu’on devrait laisser faire le centre-ville, mais nous devrions penser aux avantages des quartiers, pour le combat de rue bien sûr, mais aussi pour d’autres raisons. Il serait plus facile de mobiliser des gens dans la rue si, au lieu d’acheter un billet à 3.00$ pour un voyage de métro vers la place Émilie-Gamélin, il serait possible de marcher quelques pâtés de maison jusqu’au point de rassemblement. Si nous pouvons commencer quelque chose de consistant dans les quartiers, d’ici au 19 octobre, c’est pour le mieux.

Pour les anarchistes qui sont des étudiantes, il peut être intéressant de penser les campus universitaires et cégepiens comme étant similaires aux quartiers. Les manifs à l’UQÀM ont été souvent mises de l’avant. Il ne fait aucun doute que la démarche et propagande électoraliste sera omniprésente dans les milieux scolaires de l’île de Montréal.

  1. Faut que ça reste l’fun.

Une élection ressemble à une série de hockey. Certaines gens le trouvent boring en criss. D’autres la trouvent divertissante. Voici le facteur qui fait river des yeux aux écrans pendant les débats, qui encourage des gens à suivre les sondages chaque jour.

Si les gens se détournent de leur télévision afin de nous regarder lorsque nous défilons hors son appartement, c’est possible que nous ayons déjà là une victoire. Mais il serait bien mieux que ces gens nous rejoignent dans la rue. C’est encore mieux s’ils et elles ont tellement apprécié l’expérience, qu’au lieu de lire les nouveaux rendus de la campagne, électorale, ils et elles passent la semaine à se demander comment ils et elles pourront contribuer à la prochaine manif.

Mais nous ne devons pas imaginer quelque chose qu’une « personne ordinaire » peut apprécier. Nous devrions faire ce qui est l’fun pour nous-mêmes. Sinon, ça ne sera pas quelque chose à quoi nous voudrons participer. Faire une manif dans la rue avec nos amies devrait être plus attrayant que quel que soit le spectacle qui occuperait notre temps autrement – les élections, Le Trône de fer, whatever. Si nous faisons quelque chose de publiquement spectaculaire, et que nous ne sommes pas aliénantes en tabarnak, nous devrions être aussi capables de forger quelques connexions humaines. Au final, nous pourrions trouver de nouvelles et nouveaux copaines de hockey, partenaires sexuelles et complices criminelles.

  1. Si tu ne t’organises pas contre les élections, ne t’organise pas contre les élection.

Le camp Unis’tot’en. L’occupation de la Palestine. Le régime de l’austerité imposé par le gouvernement à Québec. Il y a, bien sûr, de nombreux enjeux sur lesquels les anarchistes montréalaises, ou certaines d’entre nous du moins, essaient de sensibiliser la population. Pendant une campagne électorale, nous serons tentées d’utiliser l’élection comme plateforme pour le faire. Nous savons qu’il y a beaucoup de monde qui prête attention aux élections, et si nous pouvons leur parler à propos des élections, puis discuter de l’accès à l’avortement au Nouveau-Brunswick…

Mais faire cela dévalorise les enjeux. Il nous font paraître comme des désespérées qui cherchent toute l’attention qu’il est possible d’apporter aux choses qui nous concernent. Pire que ça, il encourage une participation aux élections, même si nous n’approuvons aucun parti en particulier. « Pense au logement social lorsque/si tu vas aux urnes… » Fuck cette démarche. Si on veut qu’une personne pense au logement social, on devrait lui demander d’y penser sans mentionner les élections. Si les élections sont mentionnées quand même, on peut élucider ses opinions puis laisser tomber le sujet.

  1. La démocratie ne sera pas vaincue à coup dappels creux à la démocratie.

Les anarchistes sont divisées à propos du mot « démocratie ». Quelques-unes parmi nous l’aiment, d’autres non. Cette tension n’est pas nécessairement terrible, et je ne prétends pas l’avoir résolue, mais je veux poser un argument contre l’intégration des appels à la « démocratie directe » ou la « démocratie pure » à notre opposition à la démocratie représentative canadienne. Non pas parce que les structures directement démocratiques sont merdiques, mais parce que le projet de détruire le système sous lequel nous vivons – un projet de destruction qui créerait l’espace dans lequel les alternatives directement démocratiques peuvent se développer, si il y en a le désir – est mieux servi par une rhétorique de négation.

Faire en sorte que les gens parlent notre langage politique bizarre, c’est un projet impossible. Les gens vont faire des recherches sur les idées anarchistes – à propos du processus décisionnel, par exemple – s’ils et elles ont la volonté de le faire, et seulement s’ils et elles ont cette volonté. En attendant , nous pouvons parler dans un langage que les autres comprennent, comme FUCK ALL POLITICIANS, DESTROY CANADA. Beaucoup de gens ne seront pas d’accord avec ce slogan, mais ce qu’il veut dire sera très clair.