J’ai commencé mes recherches pour cet article alors que je me trouvais à Standing Rock, après avoir appris que le Premier Ministre Justin Trudeau venait d’approuver un projet de pipeline de 7,5 milliards pour remplacer la ligne 3. À ce moment, je ne savais même pas qu’une telle proposition était sur la table. Au soi-disant Canada, les pipelines Kinder Morgan et Énergie Est ont eu leur part du lion en terme d’attention médiatique.
Ma première pensée quand j’ai vu la carte du pipeline est qu’il semble avoir été calculé pour passer à travers des régions où le mouvement environnemental est à son plus pauvre et là où l’activisme anti-pétrole serait le plus impopulaire. Ma seconde pensée fut de me demander ce que je pourrais bien faire pour y mettre fin. Je crois que dans des climats politiques plus hostiles c’est davantage important que des organisateurs sachent qu’il-elles ont le support de la part d’un mouvement plus étendu.
Après avoir lu quelques articles, j’ai été excité par les possibilités de cette campagne. En bref, la Ligne 3 est un pipeline vieillissant qui a atteint la limite de sa longévité. Vous pourriez aussi l’appeler une bombe à retardement. Mon point ici est que si le projet de remplacement de la Ligne 3 est stoppé, et si la Ligne 3 est mise hors fonction, alors pour la première fois dans l’histoire du mouvement contre les pipelines, on va pas simplement les empêcher d’étendre leurs capacités, nous allons aussi les réduire. Nous allons renverser le courant.
Qu’est-ce que la Ligne 3?
Le projet de remplacement de la ligne 3 de Enbridge est un projet de 7,5 milliards, prévu pour sillonner vers le sud-est; de Hardisty, Alberta (près de Edmonton), à travers le Saskatchewan, le Manitoba, le Dakota du Nord et le Minnesota jusqu’à Superior, Wisconsin, sur la pointe ouest du Lac Supérieur. Le pipeline original de 34 pouces a été construit en 1968. Ce nouveau pipeline serait de 36 pouces (environ 1 mètre) de diamètre et pourrait acheminer 760 000 barils par jour (bpj).
Ce projet serait le plus coûteux de l’histoire de Enbridge. La ligne transporte actuellement 390 000 bpj, loin en-dessous de son débit maximal de 760 000 bpj. Ces flux ont été restreints pour des raisons de sécurité.
Bizarrement, dans le cas présent Enbridge cherche à convaincre les régulateurs à quel point la Ligne 3 n’est pas sécuritaire. Selon un témoignage d’experts que la compagnie a rendu à la Public Utilities Commission du Minnesota, la corrosion et les craques sont si extensives que de continuer de l’utiliser pourrait causer des fuites catastrophiques.
À quel point est-il en si mauvais état? Enbridge affirme que la moitié des joints sont rouillés, et qu’il y a cinq fois plus de craques de stress par mile que les autres pipelines dans le même corridor. Ce fut originellement construit avec de l’acier défectueux et les soudures faites avec des technologies passées date. Un ouvrier a qualifié l’exercice de les maintenir sécuritaires « un jeu de whack-a-mole ».
Selon Enbridge, « Approximativement 4000 excavations d’intégrité (inspections invasives de pipelines) aux États-Unis seulement sont prévues pour la Ligne 3 au cours des prochains 15 ans, pour maintenir ses niveaux actuels d’opération. Cela pourrait résulter en des impacts d’année en année sur des propriétaires terriens comme sur l’environnement. En moyenne, de 10 à 15 excavations sont prévues pour chaque mile sur la Ligne 3 s’il n’est pas remplacé… »
Enbridge a les yeux fixés sur l’horloge maintenant, puisque le Département de la Justice Américaine a donné l’ordre à la compagnie en juillet de remplacer son pipeline en entier pour Décembre 2017, ou bien de s’engager à des mises à jour de sécurité substantielles de la ligne existante. Ce décret fait partie d’une entente que la compagnie a conclue après un déversement massif, en 2010, de 3,8 millions de litres de bitume dans la rivière Kalamazoo au Michigan.
Bien qu’Enbridge remplace la Ligne 3 car ils le doivent, ils vont aussi tenter de passer quelque chose hors du regard du public. Non seulement le «remplacement» proposé augmente la capacité du pipeline, ça lui permettrait aussi de transporter du pétrole des sables bitumineux. Présentement, la Ligne 3 transporte du pétrole brut « léger » – qui est en large partie extrait des puits de pétrole conventionnels de l’ouest canadien- mais la complétion du remplacement de la Ligne 3 permettrait à Enbridge de transporter du bitume dilué à travers la frontière. Ce projet n’a pas eu à esquiver les lourdeurs politiques comme d’autres pipelines traversant la frontière, tels que Keystone XL, et a déjà une permission présidentielle.
La nouvelle ligne suivrait un tracé parallèle à la Ligne 3 sur le plus long de sa route, mais prendrait un tracé différent pour les derniers 3000 kilomètres entre Clearbrook, Minnesota et Superior, Wisconsin. Et puis, oui, le pipeline d’origine serait décommissionné puis laissé dans le sol.
Or récapitulons. Ce « remplacement » doublera la capacité de la Ligne 3, changera la nature du produit à être transporté, suivra une route différente, et le pipeline qu’il remplacera va demeurer sous terre. N’aimez-vous pas vivre à l’âge de la persuasion?
Honor the Earth, un ONG basé au Minnesota, n’aiment pas. Selon leur site web : « Enbridge veut simplement abandonner la Ligne 3 et passer à autre chose, parce que ce pipeline a au-delà de 900 ‘anomalies structurelles’ », puis construire une toute nouvelle ligne dans son corridor. Si ce nouveau corridor est établi, on s’attend à ce que Enbridge propose la construction de plusieurs autres pipelines sur celui-ci. On ne peut pas permettre ça. »
Résistance au Minnesota
Grâce au travail splendide de Honor the Earth et d’autres activistes au Minnesota, la campagne contre la Ligne 3 s’augure bien. Voici une description:
Le groupe conservationniste Friends of Headwaters a été formé pour diverger la Ligne 3 hors des lacs à riz sauvage du Minnesota. Ils ont proposé un pipeline plus long qui tracerait plus loin au sud à travers des terres agricoles. Une loi de l’État requiert que les compagnies de pipeline soumettent une évaluation environnementale des projets proposés. Il y a trois ans, lorsque Enbridge a d’abord amené le remplacement, ils ont tenté d’étudier leur site choisi uniquement. Friends of Headwaters a insisté qu’ils étudient aussi les routes praticables en-dehors de la région de Mississippi River Headwaters.
Une longue poursuite judiciaire s’est ensuivi, et en décembre 2015, la Cour Suprême du Minnesota a pris le côté des environnementalistes. Enbridge s’est fait ordonner de compléter une évaluation plus compréhensive, incluant des trajets alternatifs.
Le Minnesota rédige présentement sa Déclaration d’impact environnemental (EIS) pour la Ligne 3, après des mois de bataille sur ce que l’étude pourrait inclure et qui procéderait aux analyses. L’ébauche du EIS devrait être produite pour Avril 2017 et le public aura la possibilité de commenter durant ses audiences publiques. Une décision finale sur un permis est attendue pour le Printemps 2018.
Aussitôt que la EIS du Minnesota sera produite en avril, le Minnesota Center for Environment Advocacy planifie de continuer de lutter contre la Linge 3 en cour. Or considérant tous ces facteurs, il est sûr que Enbridge va échouer à rencontrer son ultimatum fixé pour décembre 2017. Ça va être intéressant de voir ce qui en advient.
Soyons réalistes, cependant. Y a un gros tas d’argent en jeu ici. Je trouve difficile à imaginer des décideurs de mettre hors fonction un pipeline de 390 000 bpj. Je n’ai as eu connaissance d’un pipeline majeur ayant été mis hors fonction simplement parce qu’il était trop vieux et non sécuritaire. Un exemple de cela est le pipeline TransNorthern à l’est du Canada. En novembre dernier, un trio de femmes québécoises ont fermé un pipeline par une action de verrouillage. Elles l’ont fait pour amener l’attention sur le fait que le National Bureau of Energy (NBE) a recommandé que ce pipeline, construit dans les années ’50, soit décommissionné. TransNorthern continue de l’opérer malgré sa non conformité aux améliorations ordonnées par le NBE que la compagnie se devait de faire.
Ça serait grandiose si la Ligne 3 était mise hors fonction dans l’état du Minnesota, mais c’est également possible que la Ligne 3 cause un déversement et que, lorsque ça arrivera, une armée d’experts portent le blâme sur les environnementalistes en les accusant d’avoir causé un délai dans le remplacement de la Ligne 3. Vous vous souvenez du Lac Mégantic? Un train de pétrole qui a exposé dans une petite ville du Québec, tuant 47 personnes, et le jour d’après les docteurs du spin médiatique utilisaient ce désastre comme argument en support aux pipelines, car le pétrole sur rails n’est pas sécuritaire. Ces bâtards sont sans pitié.
Ce qui nous amène à une réalité que nous allons probablement avoir à subir dans le futur proche. Alors que l’infrastructure des pipelines vieillit, le « public » sera présenté avec un nouveau choix: des beaux pipelines tout neufs, ou bien des vieux, rouillés et fuyants. C’est l’expérience classique du double aveugle; un faux choix destiné à forcer l’acceptation de quelque chose de non-désiré. Vous savez… comme la démocratie. De façon perverse, les environnementalistes pourraient se voir accusés d’être la cause des déversements pétroliers. Les activistes vont rejeter cette logique, mais ça pourrait être séduisant pour les centristes et autres penseurs de pensées préfabriquées. Il serait sage de penser à un contre-message.
La réalité demeure que la Ligne 3 pourrait se déverser avant qu’elle soit fermée. Ma prédiction est que Enbridge va obtenir une extension du délai au-delà de Décembre 2017 pour continuer d’opérer ce pipeline. Et c’est certain que d’autres pipelines vont rompre.
Une nouvelle approche
Supposons que, plutôt que d’occuper le corridor pour empêcher le pipeline d’être bâti, les défenseurs de la terre utilisaient l’événement d’un déversement de pétrole pour forcer la fermeture d’un pipeline? Quoique ce soit plutôt indésirable d’occuper le site d’un déversement, cela pourrait être accompli en occupant un site d’importance critique pour le fonctionnement de ce tuyau, comme une station de pompage ou une soupape, et en prévenant les travailleurs d’y accéder. Il pourrait y avoir de nombreux avantages à une telle stratégie.
Premièrement, lorsqu’il y a une fuite de pétrole, un pipeline est déjà fermé. Quoiqu’un récent déchaînement d’actions directes ciblant des soupapes a démontré qu’il est certainement possible de fermer des pipelines soi-même de façon sécuritaire, ça serait plus facile et moins psychologiquement exigeant de garder un pipeline hors-ligne plutôt que de le mettre hors fonction.
Deuxièmement, une fuite de pétrole provoque un impact émotionnel. Pour la plupart des gens, l’économie pétrolière est si normale que ça demande un changement de conscience pour perturber leur acceptation de celle dernière. Ça fournit un moment propice pour qu’une action directe anti-pipeline puisse être plus largement comprise, et permette d’attirer comme par miracle des sympathisant-es et des supporteur-es. La propagande anarchiste avec un côté artistique donne l’impression que les idées radicales font partie du sens commun, et alors, l’argument se construit par lui-même : si un pipeline est appelle au désastre, il doit être mis hors service.
Troisièmement, si on ferme des pipelines qui sont en fonction, on ne fera pas que stopper l’expansion de l’industrie du pétrole et du gaz, nous forçons son rapetissement. Nous saisissons l’initiative des mains des capitalistes. Nous défaisons le mythe opérationnel de l’habileté politique; celui voulant que nous n’avons «pas le choix!».
Quatrièmement, ça recentre l’attention loin d’une mentalité qui présente chaque cause unique comme étant le but suprême de l’activisme écologique. Il y a plus de 200 000 pipelines sillonnant le territoire de l’Ile de la Tortue. Ça représente une ligne de front qu’on trouve presque partout. Ça redirige donc le focus plus près de chez soi, et idéalement ça mènerait à des situations où la tactique devient normale, puisque ça arrive partout.
Enfin, tout ce qu’on peut faire pour augmenter le risque politique et économique des corporations face aux ruptures de pipelines est bien. Si les déversements sont accompagnés de conséquences plus sévères pour les compagnies, ces dernières auront plus d’incitatifs à les prévenir.
Un graffiti célèbre dans les squats en Espagne se lit « ÉVICTIONS = ÉMEUTES ». Dans deux ans d’ici, pourrions nous dire « DÉVERSEMENTS DE PÉTROLE = OCCUPATIONS »?
De Zones autonomes temporaires à Zones autonomes permanentes
Je souhaite que la campagne contre la Ligne 3 mène à quelque chose de semblable à la résistance de Standing Rock, mais qui tire aussi des leçons de cette lutte. Ça a été depuis longtemps ma croyance que la résistance au capitalisme industriel devrait aller main dans la main avec la création de communautés autonomes capables de survivre et prospérer indépendamment de l’économie des combustibles fossiles, et que les blocages permettent de vivre un moment où l’impossible devient possible, où nous pouvons frapper au coeur du capitalisme en défiant collectivement l’illusion de la propriété qui tient tout le système en place.
Mon objectif politique est la création d’une fédération de communes autonomes capables de combler leurs besoins indépendamment de l’économie des combustibles fossiles.
Pour cette raison, je suis allé à Standing Rock avec l’espoir que d’autres ressentent la même chose, et que plusieurs personnes ressentent le besoin de réclamer les terres des traités et de créer une communauté autonome permanente sur le site. Hélas, ce site n’était pas idéal, à la fois parce que le camp Oceti Sakowin/Oceti Oyate se trouvait sur une plaine d’inondation, et parce qu’il se trouvait sur un ancien cimetière sacré.
Certains colons se sentiront inconfortables avec l’idée d’approcher avec un quelconque programme les moments d’opportunité créés au fil de campagnes de résistance menées par des autochtones. Les alliés non-autochtones ne sont-ils-elles pas censé-es se laisser guider par les peuples autochtones? À cela, je répliquerai avec une histoire.
Fait inconnu de la plupart des gens, après la victoire du mouvement anti-fracturation hydraulique dans le Mik’mak’i (ou soi-disant Nouveau Brunswick) et que la plupart des participant-es soient rentrés chez eux-elles, l’occupation a continué. Il y avait un petit groupe de gens extrêmement engagés qui ont tenté de faire exactement ce que je propose ici; de tourner un camp de résistance en une éco-communauté permanente.
Certains de ces gens étaient autochtones, certains Acadiens, et d’autres des colons d’autres origines. Ils ont pu passer tout l’hiver et le printemps. Mon-ma partenaire et moi étions là au printemps et nous avons commencé un jardin avec l’aide d’un aîné Mi’kmaq. Ce fut un moment splendide, dans un lieu splendide. Un rêve splendide.
Le soutien local était évident et massif, quoique passif. Quand le camp avait besoin d’argent, ils n’avaient qu’à faire un blocage de la route pour lever des fonds, laissant les voitures passer une à la fois pour demander un payage. La plupart des gens, autochtones comme colons, donnaient de l’argent. Un jour, dans la plus étrange expérience de performance de rue de ma vie, mon-ma partenaire et moi avons agrémenté ce spectacle bizarre avec des feux d’artifices. Je me souviens de m’être dit… Bon dieu, j’aime ce coin des maritimes; où ailleurs dans le monde ça ferait autant de sens?
À la fin, le rêve a été abandonné à cause de conflits interpersonnels, mais à ce point-là le projet avait déjà arrêté de progresser car les occupants n’avaient ni le savoir-faire ni les ressources pour bâtir des structures permanentes. Elle-ils ne sentaient pas que d’autres gens, qui ont été si actif-ves à ce camp quand il était une attraction en vogue, s’en préoccupaient assez pour venir les aider à construire cette communauté rêvée. Pour eux-elles c’était la prochaine étape naturelle, et ça leur a fait mal que d’autres ne puissent pas le voir. Ça m’attriste encore que ce rêve demeure irréalisé, et dans ma mémoire il ne sera que le souvenir d’une opportunité manquée, qui renforce ma résolution d’être préparé-e pour le prochain moment de potentialité imprévisible.
Ajoutons que certains des Acadiens qui ont été impliqués ont démarré un projet de terre dans la forêt de Mi’kmak’i, qu’ils ont développé en grande partie pour acquérir les savoir-faires pouvant leur permettre d’avoir du succès dans ce type de projet. Cet endroit, situé au sein du légendaire vortex de Cocagne, est, tant qu’à moi, un héritage persistant de la résistance à Elsipogtog.
Aussi, soyons réalistes, la plupart des gens qui viendront à la ligne de front ne vont pas décider d’y vivre à long terme. Pour le mouvement révolutionnaire que j’envisage de voir émerger, les gens devraient vouloir continuer à vivre de manière permanente dans une zone libérée après que l’action se soit éteinte. Cette part de théorie n’est pas testée. Est-ce que suffisamment de gens veulent vivre dans des communautés clandestines tout au long des quatre saisons?
Soit, lorsque la crise s’approfondira et que les enjeux de survie deviendront beaucoup plus prononcés, nous ferons certainement le nécessaire. C’est le meilleur espoir que j’aie; qu’on va connaître du succès là où de nombreuses générations de radicaux ont échoué, pas parce qu’on est plus brilliant-es ou courageux-es, mais parce qu’on doit. L’instinct de survie est quelque chose de puissant.
Alors que les idéologies de la démocratie libérale et le dogme de la croissance infinie se révèlent n’être que les attrapes qu’ils sont réellement, de plus en plus de gens vont chercher des réponses. Je n’ai pas beaucoup de réponses, mais je vois la création de zones autonomes comme un enjeu réaliste. De tels territoires libérés nous donnent l’opportunité d’apprendre, d’expérimenter, de mettre des idées en pratique, de créer des liens basés sur des valeurs partagées, et d’inspirer soi-même et les autres à travers des expériences directes. C’est seulement à travers l’expérimentation, à travers l’essai et l’erreur, à travers le sang, la sueur et les larmes qu’on va apprendre à être libres. Standing Rock a fourni à des milliers de gens une expérience physique directe dans un laboratoire de liberté. De telles expériences sont transformatrices, et nous préparent pour ce qui est à venir.
Une réponse rapide
Mon but est de connecter le moment politique actuel avec la vision de plusieurs éco-anarchistes – c’est-à-dire la création de communes autonomes capables de survivre et prospérer indépendamment de l’économie des combustibles fossiles.
Alors, commençons à penser à comment nous pourrions y arriver. Qu’est-ce qu’il faudrait?
À Standing Rock, j’ai mis une tonne d’énergie à bâtir des abris et à les isoler pour l’hiver, comme plusieurs autres gens l’ont fait. Plusieurs abris ont été abandonnés plus tard et avaient à être ramassés. Je crois que ça ferait beaucoup de sens si les gens en ligne de front penseraient à acquérir ou construire des maisons mobiles qui sont facile à monter, défaire et transporter. Le modèle de Standing Rock change la donne, mais il y a aussi beaucoup de choses à améliorer.
Lorsque j’étais à Standing Rock, il y avait un manque d’entreprise d’actions stratégiques. Plusieurs personnes pourraient voir cela comme attribuable à un manque de leadership, mais je le vois plutôt comme un manque de groupes d’affinité cohérents. Un plan d’action requiert un groupe pour le mener, et plus le plan est élaboré, plus le groupe a besoin d’être coordonné. Un exercice de sophistication impliquant la diversion et une multitude de flancs, comme ce qui est requis pour prendre un site lourdement armé, comme le site de forage à Standing Rock, nécessiterait plusieurs équipes partageant un certain niveau d’entraînement et de confiance.
Or quand je pense à l’avenir, j’imagine des groupes d’affinité constitués d’activistes à temps plein pour qui les activités du groupe sont leur intérêt premier dans la vie. Comment peut-on rendre plus réaliste la potentialité pour plus de gens de réaliser cela?
On a besoin de bases. Je pense qu’on a besoin d’une combinaison de communes urbaines et de projets de fermes rurales, d’où des éco-anarchistes peuvent lancer des actions. Nous avons besoin d’une culture de gens voyant la révolution comme un appel dans leurs vies, comme leur vocation. C’est ça que ça prend, je crois, pour que ce mouvement devienne révolutionnaire.
Où s’en va-t-on en tant que mouvement?
De retour à la Ligne 3. Comme vous voyez, c’est un pipeline. Vous êtes contre, je suis contre, et on peut l’arrêter. Pour moi, la question la plus intéressante est: Qu’est-ce qui sera accompli par la victoire? Bien-sûr la terre et les eaux seront défendues, et c’est une raison suffisante pour se battre; mais tous ces pipelines, mines, écoles et prisons ne sont que les symptômes visibles, manifestes d’une maladie qui s’appelle «capitalisme». Aussi longtemps que nous dépendons du capitalisme pour nos moyens, on ne fera tout au plus que mordre la main qui nous nourrit.
Le mouvement environnemental n’est pas révolutionnaire de façon inhérente. Que pouvons-nous faire en tant qu’anarchistes pour cultiver les tendances révolutionnaires qu’il peut contenir? Je ne suis pas intéressé à rendre le capitalisme plus soutenable, en aidant la machine à parfaire notre servitude. Le fait qu’il soit insoutenable pourrait être la dernière chance pour la liberté de l’humanité. Je ne veux pas passer le restant de ma vie à combattre différentes têtes de l’Hydre sans qu’au final nous ayions fondamentalement transformé notre façon de vivre.
Alors, je vous demande, où nous allons en tant que mouvement? Je demande, car si on veut l’amener quelque part, on a intérêt à avoir une idée claire de vers où on s’en va. Quelle vision avons-nous à offrir? Qu’avons-nous à offrir comme croyance aux autres? Quel esprit pouvons-nous faire ressortir dans la conscience collective? Quelles chansons allons-nous chanter de tout coeur quand on sera sur la ligne de front?
Rien n’est plus puissant qu’une idée dont l’heure est venue. Regardez Standing Rock. Qui aurait pu imaginer une telle chose jusqu’à récemment? Qui aurait seulement pris cet article au sérieux si je l’avais écrit il y a un an? Notre mouvement grandit, il s’étend, il devient de plus en plus fort à chaque jour… Nous gagnons les coeurs et les esprits de toujours plus de gens, et des enjeux de plus en plus grands deviennent de plus en plus atteignables. Il est temps d’articuler un programme de changement social voyant la résistance aux pipelines comme son point de départ.