Soumission anonyme à MTL Contre-info
M’intéresse le rapport aux mots qu’on sème, ceux qu’on lance dans ces moments dits informels, car ils nous informent, justement.
Des mots qui ont un poids : il faudrait, on doit…
«Il faudrait faire l’inverse de qu’on faisait jusqu’alors, car ça ne fonctionne plus» ou bien « on doit continuer, car la prochaine fois avec un autre contexte et d’autres personnes…»
Il nous faudrait surtout un peu de vocabulaire.
Comment qualifier cette opposition de contraires symétriques qui apparaît souvent dans des «propositions» qui se disent du stratégique, mais qui sont en fait des Hot takes ou des opinions réchauffées?
Pitcher une idée ou la lancer avec intention, cela ne me pose pas problèmes: c’est deux façons de raffiner quelque chose de brute, d’informe. Pareillement, les dialogues organisés ou l’enthousiasme fonceur – quand on se dit «OK let’s go on le fait!» et qu’on passe pas trois réunions interminables à organiser une seule manif – ça me plaît. J’aime pousser la blague jusqu’à en faire un jeu sérieux, sinon je n’aurais pas investi. Mais c’est bien cet autre truc qui me prend, une sorte de parole magique qui pense faire loi, qui m’embête.
Elle surgit parfois dans l’informe d’une jasette politique sans attache. Qu’est-ce que fait ici cette curieuse tendance déclamatoire ? Elle est le réflexe de la pensée magique qui caractérise les AG. Avec assez de propositions et de considérant ou avec assez de mob et de volonté, on peut rester la Nuit Debout à réinventer le monde, ça je veux bien. Mais en même temps, il faut que j’aie l’impression d’y trouver une forte substance ou que j’en ai pris une pour m’y tenir. Sinon j’y vois le même spectacle et même qu’on dépasse pas souvent la répétition.
Peut-être que c’est davantage d’une «association imaginaire» qu’il me faudrait parler, tellement j’y reste pris, tellement je me fais un campus et des auditoriums dans ma tête. Avant on se sentait contraint.e parce que c’était écrit dans un document quelque part ou parce que ça avait été prononcé alors que personne n’écoutait vraiment. Avant, on voulait passer au vrai moment qui survient après: celui des discussions informelles-affinitaires-vouchés où ça planifie, ça stratégise, ça conspire vraiment. Quand je serai grand, quand j’aurai fini l’école…
Maintenant qu’on y est, on s’accroche à des actes de langage, on veut du performatif, quelque chose qui nous contraint ensemble pour qu’on passe à l’acte. Je suis pas contre de l’institué qui nous organise, mais m’énerve la recherche d’une loi qui ne se dit pas, d’une autorité qui serait enfin la bonne, du rituel qui nous permette d’arrêter de penser.
Et qu’est-ce que je veux ? Au moins un peu d’orientation. Faire diminuer l’aigu du conflit entre la confiance et le doute qui sourd à chaque fois où un geste individuel devient cause d’un échec. Puisque l’illimité est la mesure de ce qu’on peut faire en restant dans l’informe, il devient difficile de différencier cet illimité de celui qui caractérisait l’organisation complète, totale et formelle d’avant. Parfois, les «conflits interpersonnels» ressemblent à des séances d’auto-critiques maos.
Tout ça pour dire, je tends dernièrement à considérer les projets ou les fonctions, à être suspect des coquilles vides. Aussi, à assumer l’inverse: me pitcher en me disant – et pas aux autres – je me lance, je suis tanné de la répétition, d’être spectateur. Il y a une place plus large qu’on le croit entre le «qui m’aime me suive» et le «mettre la charrue avant les boeufs», un usage du conditionnel en acte qui pourrait s’appeler autonomie.
J’évite ainsi de me retrouver à attendre comme un sujet nu devant l’autre sujet nu de la bande ou de l’organisation. C’est gênant de se retrouver tout nu. «On naît nu, mais on a vite fait de s’habiller», me disait un camarade. Je suis donc pour une autonomie habillée.