Soumission anonyme à MTL Contre-info
Les dernières années ont été le théâtre de réflexions intenses et conflictuelles au sein de la gauche radicale concernant la manière d’agir en solidarité avec les groupes marginalisés et opprimés ainsi que sur le rôle d’allié.e – auquel plusieurs, dont je suis, on préféré celui de complice. Sans aucun doute, les luttes autochtones, noires, queer et transféministes ont profondément bouleversé les vocabulaires et les pratiques, enrichissant et complexifiant énormément nos pensées et nos luttes. Ces questions ont tout à la fois transformé les rapports de force, suscité des désaccords profonds, créé des scissions, donné lieu de nouvelles alliances. Malgré des fractures multiples, ce contexte particulier a permis d’établir au moins quelques bases relativement consensuelles, qui me semble effarant de devoir rappeler en cette période où la guerre menée par Israël contre le peuple palestinien nous oblige à adopter à nouveau une position de solidarité.
En effet, le devoir d’écouter et de croire les opprimé.e.s, tout particulièrement quand on se trouve du côté des dominant.e.s, paraît soudainement ne plus relever de l’évidence dans le contexte palestinien, alors qu’il s’est imposé comme impératif dans une foule d’autres situations. De la même manière, il ne semble pas être si clair qu’on se doit ces jours-ci de reprendre la posture adoptée notamment face aux luttes autochtones de décolonisation : prioriser et mettre de l’avant la(les) parole(s) du peuple concerné et reconnaître totalement son leadership dans le mouvement de résistance en cours. Pourtant, dans notre solidarité avec la Palestine, il nous faut encore une fois accepter le second rôle, se taire parfois, apprendre, écouter.
Bien sûr, écouter ne veut pas dire arrêter d’exercer une réflexion critique sur les informations et les prises de positions qui nous parviennent. Écouter veut aussi dire : éviter la tentation d’homogénéiser les Palestinien.e.s, tenter de percevoir les voix multiples qui traversent leur mouvement de libération, prendre le temps d’essayer de comprendre ses conflits internes, les penser avec la lenteur qui est nécessaire quand on pense des situations qui font sens dans des codes qui nous sont étrangers. Mais écouter veut assurément dire « ne pas être en train de parler » ; reconnaître notre extériorité extrême à ce que vivent les Palestien.ne.s – en Palestine ou ailleurs – et reconnaître donc que nous ne sommes peut-être pas en position de développer et de partager publiquement des considérations stratégiques. Si cela me semble évident, une chose me paraît encore plus certaine : apporter des nuances et souligner la complexité de la situation n’est aucunement notre rôle. Dans un moment où la soi-disant « complexité du conflit » ne cesse d’être utilisée comme argument dans l’espace public pour contourner une franche condamnation d’Israël, relayer ce type de réflexion est tout simplement gênant.
Il faut réussir à coupler une position de véritable écoute, avec ce que ça implique d’humilité et d’incertitude, à une position de ferme et engageante solidarité. Dans le contexte où le gouvernement canadien réitère sans cesse son soutien à la violence israélienne, cette deuxième dimension est essentielle et urgente. Et surtout, il faut se pointer. Aller aux manifs, aller aux actions, peu importe le fait que leurs tactiques puissent peut-être différer des rituels de la gauche radicale montréalaise. La solidarité avec la Palestine n’est pas affaire d’internationalisme abstrait et symbolique, mais d’opposition concrète à notre propre État, qui est matériellement engagé dans l’oppression du peuple palestinien.
Prendre cette position est aussi notre responsabilité envers celles et ceux de qui notre territoire est la terre d’exil, que ça soit temporairement ou durablement. Il me semble capital de participer à ce que les Palestinien.ne.s avec qui on partage notre ville se sentent non seulement respecté.e.s comme humain.e.s de qui on défend les droits fondamentaux, mais aussi comme actrices et acteurs détenteur.trice.s d’une agentivité indéniable, possédant des pensées, des héritages et des pratiques politiques extrêmement riches et singulières. Comme citoyen.e.s d’un État directement impliqué dans ce qui fait de la Palestine un endroit inaccessible et inhabitable pour sa diaspora, on se doit de faire tout ce qu’on peut pour faire du lieu où l’on habite un espace vivable pour celles et ceux qui se sont retrouvé.e.s ici, un lieu où vie est synonyme de dignité et pas uniquement de survie et où l’exil peut se déployer comme une expérience politique. Et ce commentaire vaut aussi pour tous les gens issus de peuples pour qui la situation palestinienne est un enjeu fondamental, profondément ancré dans la culture politique.
Aux Palestinien.nes et à leurs complices de toujours, issu.e.s d’ailleurs au Moyen-Orient et dans le monde arabe : Sachez que certains silences sont un immense respect pour votre lutte et qu’ils n’excluent pas une totale solidarité, en mots comme en gestes. Je sors du mien seulement parce que je vois mes ami.e.s du Moyen-Orient effarés par la faiblesse de la prise de position de la gauche radicale locale et que cela me pousse à écrire, parce que je souhaite que mon monde politique puisse être pour le leur un espace sincèrement accueillant et solidaire.
À celles et ceux qui partagent ma sorte de silence : Pointez-vous. Si la solidarité en mots peut effectivement ne pas valoir pas grand-chose ces temps-ci, la solidarité dans la rue ne sera jamais de trop.
Vive la Palestine libre.