De l’Organisation révolutionnaire anarchiste
Trop souvent les professionnel·les de l’enseignement sont méprisé·es, déconsidéré·es, pris·es pour acquis·es par l’État québécois et son ministère de l’Éducation. Le travail éducatif, comme les autres emplois du soin et de la reproduction sociale, a une position particulière dans le système capitaliste. C’est un travail dévalorisé parce qu’il ne participe pas directement à la création de profits. Le travail éducatif est aussi une bonne illustration du patriarcat dans la société contemporaine: il est dévalorisé parce qu’il est considéré comme un « féminin ». En même temps, la profession est instrumentalisée et détournée par l’État pour assurer la reproduction du système tel qu’il fonctionne aujourd’hui. Cette exploitation du travail, surtout des personnes femmes, doit cesser : nous espérons que la lutte syndicale actuelle offrira des possibilités de libération pour ces traveilleur·euse·s.
Nous proposons ici quelques réflexions afin d’élargir ces possibilités libératrices de la résistance du milieu scolaire dans la grève actuelle. Nous considérons qu’il n’est pas suffisant de revendiquer de meilleures conditions de travail pour les travailleur·euses : nous croyons nécessaire de chambouler le système scolaire dans son entièreté en reconnaissant l’autonomie de toutes les personnes qui y participent. En plus des revendications salariales, les conditions des classes, particulièrement concernant le nombre d’élèves par classe, le soutien à l’enseignement et le budget pour le matériel scolaire, doivent rester à l’avant-plan des demandes des regroupements des travailleur·euses. D’autant plus que celles-ci ne concernent pas qu’elleux, mais aussi les élèves. À notre sens, c’est cette relation entre les travailleur·euses de l’enseignement et les personnes avec lesquelles illes travaillent qui permet de redonner aux luttes syndicales des perspectives révolutionnaires.
Les revendications syndicales actuelles effacent certains enjeux centraux au fonctionnement de la classe et de l’école. Le mouvement anarchiste nous a laissé en héritage plusieurs pistes d’analyse pertinentes provenant de pédagogues et d’écoles ayant des projets de libération commune au personnel des écoles et aux élèves. Ces expériences nous amènent à souligner deux autres problèmes dépassant les conditions salariales et le sous-financement du système : les fonctionnements prescrits par un État de plus en plus incompétent et méconnaissant des conditions d’enseignement ; le recours constant à l’autorité qui passe de l’État, aux directions, aux enseignant·e·s et, enfin, aux élèves.
Au regard de ces problèmes, nous considérons que la résistance doit commencer dans chaque classe par la collaboration des élèves et des enseignant·e·s et dans chaque école en résistant à l’ingérence de l’État et en créant des structures plus autonomes.
Le rôle de reproduction de l’école actuelle
Les programmes actuels sont, à notre sens, beaucoup trop prescriptifs et restrictifs. Ils assument que les élèves se développent à un rythme régulier et similaire pour toustes. Or, comme il est possible d’observer facilement dans les classes, ce n’est pas du tout le cas. Les atteintes à remplir de ces programmes imposent un stress continu sur tout le système. Le personnel enseignant surchargé n’arrive pas à transmettre et à évaluer tous les éléments du programme ; les élèves se sentent peu à peu de plus en plus incompétent·e·s ou ne sont pas assez stimul·é·s par l’école.
En plus de ce stress, ces programmes restreignent la liberté des enseignant·e·s et des élèves dans les apprentissages. Ensemble, ces derniers·ères devraient être en mesure de choisir un cheminement adapté à leurs besoins et à leurs intérêts en reconnaissant leur expertise commune (celle des enseignant·e·s sur l’éducation et celle des élèves sur leur connaissance d’elle-eux-mêmes). Cela vient nécessairement avec une redéfinition des critères de réussite et d’une définition subjective de la réussite.
Sans cela, nous considérons que l’école ne se voit qu’attribuer la fonction centrale de la reproduction des systèmes oppressifs de la société. Les curriculums structurent l’école autour de pratiques qui servent à classer les élèves selon leur atteinte de la «réussite». Il faut se questionner sur ce que cette réussite sous-entend comme objectifs. À notre sens, elle soutient surtout le système de travail actuel. En évaluant les élèves et en les mettant en compétition, l’école détermine qui aura accès aux emplois les plus valorisés et les plus payés plus tard. Ainsi, on assure une restriction à l’accès à la richesse aux élèves les plus performant·es (encore provenant majoritairement des classes priviligées). Du même coup, on justifie la perpétuité de la misère des classes opprimées. Les élèves intériorisent par coups d’échec et de dévalorisation qu’illes seraient moins méritant·e·s en raison de leur manque de performance scolaire aux tests standardisés et aux évaluations arbitraires. Dès le plus jeune âge, on leur inculque la notion de dominance et de soumission à un système classiste et capitaliste.
Le système québécois à trois vitesses (avec les écoles publiques, privées et les programmes spécialisés) ne fait qu’accentuer les écarts entre les élèves. On ajoute à cela le manque de personnel spécialisé dans les écoles, le manque de ressources matérielles et le trop grand nombre d’élèves : aucune chance que l’école publique puisse réellement remplir son mandat d’éducation. Les élèves n’ont pas non plus la chance d’atteindre leur potentiel. Un potentiel qui ne serait pas défini par un État pour répondre aux besoins du marché, mais par ses intérêts et ses besoins. Pensons ici comme alternatives les pédagogies par projet qui centrent l’élève dans des processus qui lui permettent de participer activement à sa communauté. À travers ces projets, les apprentissages se réalisent selon les besoins qui surviennent, et non selon des impositions externes que l’élève ne comprend pas.
Les systèmes d’oppression dans le système scolaire
Dans un autre ordre d’idées, il faut s’intéresser à la question des élèves en difficulté d’apprentissage et en situation de handicap. Les syndicats revendiquent actuellement un meilleur équilibre du « nombre de cas » dans les classes. Pourtant, cette mesure n’est pas une solution suffisante pour aider autant le personnel enseignant que les élèves. Nous soutenons que la situation de handicap n’est pas un problème individuel, mais un problème créé par le système en place qui assume que les élèves doivent s’adapter à la « norme ». à des critères de réussite abstraits et arbitraires. Malgré le projet d’inclusion que le gouvernement tente de mettre en place depuis quelques années, le fonctionnement des classes et les curriculums n’ont pas reflété de changements permettant que ce projet se concrétise. À la place, le système fait porter la responsabilité au personnel enseignant et aux élèves sans leur donner le réel pouvoir de changer les choses. Nous proposons de décentraliser l’image de l’élève modèle porté par la vision des curriculums en passant par une réappropriation des attentes et des curriculums par le milieu scolaire. Créons plus de chemin de réussites, plus de parcours d’apprentissage selon les besoins réels des élèves et des personnes enseignantes. La prise de décision sur les apprentissages devrait se faire le plus proche possible des élèves.
Il nous apparait aussi essentiel de ne pas garder sous silence quels savoirs et quelles transmissions de savoir sont priorisées par l’État dans les curriculums. En valorisant la transmission des savoirs dominants, l’école reste un projet colonial et raciste. En s’appuyant toujours sur l’autorité présumée de l’adulte pour transmettre les savoirs, l’école soutient indirectement, et parfois même directement, les différents discours oppressifs : raciste, sexiste, queerphobe et capacitiste. En effet, au lieu de donner les outils aux élèves pour analyser les réalités sociales et réfléchir par elleux-mêmes, on primerose de leur présenter les savoirs déjà prémâchés en faisant référence à l’autorité de la personne experte. Cela les empêche d’entrer dans des discussions constructives où illes se sentiraient aptes à remettre en question des « faits établis ». Illes apprendraient à chercher à comprendre plusieurs analyses possibles selon des postures sociales diverses, pas seulement la perspective des hommes blancs cis hétérosexuels qui continuent à prédominer à l’université et dans nos gouvernements. Les élèves doivent être vus comme des personnes capables de produire du savoir aussi, non seulement de le recevoir. Cela est d’autant plus le cas des élèves vivant différentes formes d’oppression qui devraient en mesure d’être entendu.e dans un système où leur communauté est parfois sous-représentée.
Nous soutenons toutes les approches de plus en plus populaires qui redonnent aux élèves du pouvoir dans leur apprentissage et qui les invitent à penser par elleux-mêmes. Or, quiconque souhaite voir une possibilité de changement social dans le projet scolaire verra ses espoirs mitigés par l’expérience et la brutalité des exigences de l’État qui priorise l’atteinte de compétences servant le système au bienêtre des élèves.
L’autorité : une violence partagée
Comme nous venons de le montrer, l’État joue un rôle dans l’instrumentalisation de l’école. L’État impose des curriculums, des examens ministériels, des processus de prise de décision hiérarchiques. Ces mesures restreignent grandement la liberté des enseignant·es à faire des choix pédagogiques et structurels qui pourraient modifier le système. Les personnes enseignantes doivent aussi faire subir les décisions de l’État à leurs élèves, limitant ainsi leur liberté dans leurs apprentissages. Le fonctionnement du haut vers le bas repose sur le recours constant à l’autorité enseignante, soutenu par les méthodes managériales des directions. En plus, en refusant de financer convenablement l’école publique, l’État met le personnel du milieu dans des situations de plus en plus difficiles, ce qui les contraint à assoir une autorité toujours plus grande pour que le système survive.
D’autant plus, l’État vient de passer, en pleine mobilisation syndicale, la loi 23 qui lui octroie encore plus de pouvoir sur le système scolaire. Nous devons reconnaitre que les personnes professionnelles de l’enseignement ne sont que très peu consultées par l’État quand il est temps de prendre des décisions structurelles sur le système. Et quand elles le sont, il est rare qu’elles soient réellement écoutées. C’est une autorité illégitime que se donne l’État alors que le gouvernement n’a pas du tout les connaissances du terrain. En plus, en priorisant la recherche universitaire pour la prise de décision, cela restreint encore la construction du savoir à une classe privilégiée sans considérer toutes les démarches et les analyses qui sont faites dans les classes par le personnel et les élèves. Ces personnes sont à même de choisir ce qu’illes ont besoin et ce qui les aide à réussir, pas les personnes au pouvoir de plus en plus éloignées des écoles.
Il faut aussi souligner les conséquences de l’autorité sur les élèves. L’autorité est souvent utilisée comme moyen de conserver le contrôle d’une classe en vue de transmettre du savoir. Cela a tendance à enlever aux élèves leur confiance dans leur capacité à faire des choix sur le long terme. Les élèves veulent apprendre, mais, quand les apprentissages sont toujours imposés par le haut, illes perdent leur motivation intrinsèque. Il est normal que les élèves questionnent l’autorité et veuillent avoir une prise de parole. En associant toujours cette résistance à de l’indiscipline et en y proposant plus d’autorité comme solution, cela ne fait qu’habituer les élèves à prioriser une personne « supérieure » à elleux pour prendre des décisions. Cela ne leur apprend pas l’autonomie ni à résister aux injustices de la société. Nous soutenons que cela ne fait que les préparer à respecter l’autorité de l’État et de leur patronat.
En ce sens, il est nécessaire que les luttes enseignantes et les luttes des élèves se rejoignent. Il nous faut nommer les ennemis communs : l’État et son système scolaire. Nous proposons aux enseignant·e·s de résister à l’autorité de l’État sur leur travail et de résister à l’autorité éducative que l’école essaie de leur faire imposer aux élèves.
Une lutte syndicale porteuse de changements sociaux
À la lumière de cette analyse, il semble aujourd’hui risible que l’école québécoise se donne comme objectif de favoriser le « vivre ensemble » alors qu’elle abat toute sa violence sur le dos de ses élèves et des personnes y travaillant. Les mauvaises conditions de travail ont des impacts de plus en plus importants sur le bienêtre de toute la communauté scolaire. Le racisme et le capacitisme restent des problèmes largement gardés sous silence dans les écoles, et la situation actuelle ne fait que les empirer. Les comportements des enfants racisé·es continuent d’être de plus en plus policés et punis ; les élèves en situation de handicap ont de moins en moins de ressources pour atteindre leur potentiel. L’école actuelle ne fait qu’assurer l’individualisme de survie dans la jungle capitaliste.
Et les personnes enseignantes sont en première place du spectacle des conséquences de ce système sur les enfants et leur famille n’arrivant pas à répondre à leurs besoins. Les inégalités sociales ont des impacts réels sur les conditions de travail des écoles. Devant ces problèmes systémiques, le personnel éducatif doit s’unir à toutes les luttes qui veulent remettre de l’avant le prendre soin collectif, le partage des ressources selon les besoins de toustes et la destruction des systèmes d’oppression.
On dit souvent que le travail éducatif fait partie des différents emplois du soin. Le soin collectif et l’aide mutuelle sont parmi nos meilleurs outils de résistance au système capitaliste qui veut nous séparer avec l’individualisme et la consommation. Dans nos classes, on voit cette résistance qui s’opère en recherchant à promouvoir le travail d’équipe et l’entraide dans l’apprentissage. Dans les écoles, on voit des communautés de parents et d’élèves plus larges se former pour accompagner le personnel sur les lignes de piquetage. Ainsi, les communautés des écoles et autour des écoles doivent se solidariser. Par exemple, nous proposons de ne pas limiter les revendications sur l’indexation des salaires à l’inflation aux personnes syndiquées, mais pour toustes parce que cela est aussi pour le bien de nos élèves.
Autogestion et libération pour toustes
Les problèmes que nous venons de souligner ne seront pas résolus par l’intervention de l’État, surtout pas devant le mépris qu’il utilise sur les tables de négociation. Nous pensons que le changement doit passer par la mobilisation du personnel enseignant en collaboration avec les élèves. Pour que cela soit possible, nous devons changer l’école pour que les élèves puissent prendre la parole et revendiquer pour elleux-mêmes leurs conditions d’étude. Les syndicats représentent les travailleur·euses; qui représente les élèves? Si les enseignant·es se réclament une indépendance en réponse au paternaliste de l’État, illes ne peuvent en bonne conscience que refuser les mêmes outils pour les élèves. Peu importe ce qu’on essaie de nous faire croire sur l’incapacité des élèves à faire des choix engageants quant à leurs existences, nous devons rejeter ce discours qui engendre des conséquences violentes sur les élèves. Il faut reconnaitre aux élèves leur liberté pour qu’illes aient un réel pouvoir sur leur éducation.
Les élèves devraient pouvoir s’organiser pour présenter des revendications en dehors du regard autoritaire des adultes et de l’État. De cette façon, nous rejetons l’autoritarisme comme seule manière de faire fonctionner une classe, une école, une société. Sans le contrôle imposé de l’État, nous pourrons explorer de nouvelles avenues pour vivre ensemble à l’école, et plus largement dans la société.
L’école devrait être un milieu qui favorise la construction d’une communauté qui prend des décisions collectives en considérant l’autonomie des enfants et des travailleur·euses. Un milieu antioppressif qui combat activement les outils qui soutiennent le système en permettant une remise en question constante des discours sociaux racistes, capacitistes, sexistes et queerphobes. Pour que cela soit possible, la parole de toustes se doit d’être considérée en développant de nouvelles structures réellement démocratiques à l’école et avec les communautés qui l’entourent. Nous rejetons l’idée que l’école soit mise à part de la sphère politique et de ses décisions : les élèves doivent être considéré·es comme des sujets politiques actifs, en reconnaissant les différents besoins et prises de parole.
En ce sens, chaque école devrait mener sa propre lutte selon des demandes conjointes et uniques au contexte des traveilleur·euses et des élèves. Revendiquons l’autodétermination de chaque milieu par rapport à l’État. Redonnons le pouvoir aux communautés de travailler ensemble pour assurer la libération de toustes à travers une éducation populaire. Une éducation qui appartient aux communautés pour les communautés en vue de construire un monde meilleur.