Montréal Contre-information
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Juin 132025
 

Soumission anonyme à MTL Contre-info

On a ouï-dire que vous aimez les comptes-rendus de festivals anarchistes ; nous espérons que d’autres suivront le pas. La deuxième édition de Constellation a eu lieu du 15 au 21 mai 2025 à Montréal. Pendant sept jours, il y a eu des lancements de livres, des fêtes, des spectacles-bénéfices, des randonnées à vélo, un arpentage de livres, un rave squattée dans un magasin de magie abandonné, un BBQ, un autre barbecue qui a bloqué des fachos, une journée de réseaux maillés, un atelier sur le consentement radical, et plus encore. Les participant.e.s venaient de partout dans le pays, du sud de la frontière et aussi d’outre-mer, et les événements se sont déroulés dans des salles combles, même lorsqu’il y en avait cinq en même temps.

Le 17 mai a vu le Salon du livre anarchiste, une tradition montréalaise qui remonte à l’an 2000. Plus de 90 éditeurs, distros de zines, artistes et groupes ont tenu des tables. Il a plu presque toute la journée, et il n’y avait d’espace à l’intérieur du CÉDA que pour les deux tiers des tables. Heureusement, une tente de mariage de la taille d’une grange a été installée sur le terrain de baseball à l’extérieur, ainsi qu’une autre plus petite, et elles ont vraiment fait leurs preuves. Pendant ce temps : des kilos de café volés à l’étalage gardait les participant.e.s caféinés, des enfants jouaient dans la salle du service de garde ou participaient à des ateliers (qui incluaient la lecture d’un livre anarchiste pour enfants par les auteurs) et une équipe de cuisiniers se préparait à nourrir gratuitement des centaines de personnes. Plus de 1000 personnes sont passées, et nous ne nous souvenons pas de la dernière fois où nous avons vu autant de nouveaux visages lors d’un événement anarchiste en ville.

D’autres ateliers ont abordé l’histoire de l’anarchisme révolutionnaire en Europe de l’Est et en Amérique latine, l’intelligence artificielle, un analyse anarchiste du cancer, les dangers de la militarisation des luttes sociales, l’histoire de la résistance à l’esclavage et au colonialisme dans le sud-est des États-Unis, l’organisation des locataires contre l’exposition au plomb, et la vie rurale en tant qu’anarchistes. Des gardiens du territoire Nehirowisiw (Atikamekw), situé à environ deux heures au nord de Montréal, ont également fait le déplacement pour partager dans une salle pleine à craquer, le contexte de leur lutte contre l’exploitation forestière. Cette discussion tombait bien, parce que les blocus contre l’exploitation forestière allaient reprendre trois jours plus tard, avec un appel aux sympathisant-es de la ville à se joindre à elleux. On espère que de nombreuses personnes qui ont assisté à cette discussion ont ensuite pris des zines de réflexions anarchistes sur la solidarité anticoloniale au salon et se sont préparées à faire une contribution matérielle à cette lutte.

Au lieu d’une deuxième journée de livres et de zines, le 18 mai, le CÉDA a accueilli ce qui a été annoncé comme un skill faire. C’était génial. Nos ami-es nous ont dit qu’iels avaient besoin de voir le format en vrai pour comprendre son potentiel, et sont enthousiastes quant à son avenir. Il y avait des tables où les gens pouvaient apprendre à crocheter des serrures, acheter des hormones en ligne avec Bitcoin, souder des composants électroniques, organiser un complot contre leur proprio, s’informer sur les réseaux maillés, créer un compte Riseup, faire des retouches sur leurs vêtements, améliorer la sécurité de leur appareils électroniques, ou faire de la chimie DIY. Des ateliers ont permis aux gens de s’initier à la réparation automobile de base, à la sérigraphie, au chant balkanique, aux techniques somatiques d’action collective, à la guerrilla grafting, et à bien d’autres choses encore. Moins de tables, des interactions en face-à-face plus longues et pratiquement aucun échange monétaire ont été parmis les facteurs ayant contribué à créer un contraste agréable avec la journée du salon du livre. On s’intéresse aussi à la manière dont le format des tables de skills permet d’établir des liens entre les projets et nos différentes connaissances pratiques.

Ce n’est pas un secret que le groupe qui organise Constellation a pris une approche différente à celle du Collectif du salon du livre anarchiste de Montréal (MABC), dont différentes permutations ont organisé le salon du livre jusqu’en 2023. Lorsque le MABC a accusé Constellation de « s’approprier » le Salon du livre, nous avons été heureux-ses de constater que les anarchistes de Montréal étaient assez unanimes à répondre que le salon du livre n’appartient à personne, ou, autrement dit, qu’il nous appartient à tout-es. Depuis la fin de semaine, nous avons réfléchi à la façon dont cette perspective offre un environnement plus libre, dynamique et invitant, tout en requérant un peu plus à chacun-e d’entre nous.

Ceci est vrai notamment en ce qui concerne les conflits. Tout événement rassemblant autant d’anarchistes au même endroit est voué à devenir site de tensions interpersonnelles et politiques. Nous sommes heureux-ses que le festival ait été organisé sans l’intention de balayer les conflits ou de les supprimer, ou selon le modèle d’un comité spécial habilité à décider qui est le bienvenu et ce qui est autorisé. Cette approche a pour conséquence que les personnes qui sont impliqué-es dans des conflits, ou qui ont été blessées ou même lésées par d’autres, peuvent prendre des mesures autonomes pour tenter d’affirmer leurs limites, de mettre un terme à des comportements heurtants ou de se venger. Mais à la liberté s’accompagne la responsabilité. Nous éprouvons le grand besoin d’une culture plus saine en ce qui concerne les conflits, plus à même de désamorcer les conflits qui ne sont pas avec l’ennemi ainsi que de modifier les causes qui en sont à l’origine. C’est en partie grâce à nos réponses à la manière dont les conflits sont introduits dans nos espaces partagés que cette culture se développe en tant que forme de responsabilité collective. Cela peut être inconfortable, qu’il s’agisse de remettre en question les tendances de nos ami.es les plus proches, d’identifier les peurs sous-jacentes à nos propres réponses apprises, de découvrir les hypothèses qui ne sont pas remises en question dans notre cercle social, ou simplement de dire des choses qu’il est difficile de dire. Dans d’autres cas, il suffit de prendre des initiatives.

Dans un cas, une affiche dénonçant une participante au kiosque du salon, écrivaine local et une éditrice de zines, a été collée devant le CÉDA la nuit précédant le salon. Nous n’aimons pas particulièrement cette écrivaine, qui a transformé sa « cancellation » en une sorte d’escroquerie (quiconque possède la grande plateforme de cette personne n’est pas cancellée). Mais l’auteur.e de l’affiche a fait une paire d’allégations sérieuses qui, à notre connaissance, ne sont supportées par quelconque source crédible, dans le contexte de l’annonce que cette personne serait indésirable lors d’événements anarchistes. Faire des allégations sérieuses contre quelqu’un sur la base de preuves fallacieuses ou inexistantes peut être incroyablement endommageant à bien des égards pour nos relations de confiance et nos luttes. Ça nous a pas gênés d’apprendre que la plupart de ces affiches ont été détruites avant même le début du salon du livre.

En général, si vous décidez d’apporter votre beef au salon du livre, en particulier d’une manière qui exige quelque chose de la part de d’autres anarchistes, vous devriez être prêt.es à entendre des questions, des remises en question, et peut-être des critiques. On se méfie de tout groupe qui cherche à s’engager dans un conflit de la manière la plus publique possible tout en exigeant que les autres n’y interviennent pas ; ça ressemble à l’extrême opposé de l’invisibilisation et de l’évitement du conflit, en le transformant en spectacle. Ces deux extrêmes nient la responsabilité collective des conflits, l’un les reléguant à la sphère privée, l’autre nous transformant en spectateurs passifs. Nous ne devrions pas non plus formuler faussement les choses avec des termes qui étouffent le débat ou menacer de diaboliser toute personne qui conteste nos affirmations.

Se donner les moyens de réparer les préjudices sans faire appel à l’autorité ou la reconstituer semble être le projet de toute une vie. Outre le fait de ne pas avoir délégué cette responsabilité, nous doutons que quelqu’un ait atteint la cible à ce niveau au cours de la fin de semaine.

– des anarchistes