Dans le cadre du dixième anniversaire de la grève étudiante de 2012, notre collectif revisite divers aspects de ce mouvement social. Après un article sur les grands moments de la grève puis sur les mobilisations en région, le présent texte offre la parole à trois militant·es du P!nk Bloc qui racontent leur participation au débrayage et partagent leurs réflexions politiques.
« Les P!nk Blocs des contre-sommets internationaux ont été de véritables laboratoires militants qui ont expérimenté des techniques d’actions directes non violentes, mais aussi de nouvelles pratiques d’organisation collective, de distribution de la parole, de prise de décision au consensus… en rupture avec un certain phallocentrisme latent dans les groupes militants – même les plus radicaux – plus classiques. »
Elsa Dorlin, Le queer est un matérialisme
Montréal, 2012. Entre les assemblées des associations étudiantes, les émeutes enflammées et le fracas des casseroles, une autre histoire se dessine. Le P!nk Bloc, inspiré par les Panthères roses et la Radical Queer Semaine, et façonné par les grandes mobilisations anticapitalistes des années 2000 (dont le contre-sommet du G20 de Toronto en 2010), prend d’assaut les actions étudiantes avec ses paillettes, ses pompons colorés et ses slogans percutants. Ces queers anti-autoritaires apportent une dimension festive à la grève, flirtant avec la procession activiste carnavalesque, dansant pour une éducation accessible et de qualité, occupant les rues avec joie et plaisir et articulant dans l’action anticapitalisme, queer et féminisme. Iels ont organisé des actions percutantes et avant-gardistes, se mobilisant notamment contre les slogans pro-viol qui fusaient dans les rues. Dix ans plus tard, retour sur cette zone méconnue de l’histoire de la grève étudiante de 2012 à l’occasion d’une conversation animée[1].
Qu’est-ce qu’il y avait comme mobilisation ou espace politique queer francophone au soi-disant Québec avant le P!nk Bloc?
Chacha Enriquez : Il y a eu PolitiQ et la Radical Queer Semaine. Moi je suis arrivé en août 2008 au Québec, et on a organisé la première Radical Queer Semaine en février-mars 2009. C’était assez désorganisé ! On était une batch de queers. C’était un espace bilingue avec une crew plus franco, une crew plus anglo. C’est drôle, il y avait une espèce de répartition des tâches où les anglos s’occupaient plus de l’art puis des partys, et les francos s’occupaient plus de faire des ateliers puis des manifestes puis des affaires du genre. Il y avait eu quelques événements queers avant ça, mais la crew queer était assez petite.
Pascale Brunet : Pour moi qui ai été impliquée vaguement dans les Panthères roses de Montréal, c’était une grosse différence entre les Panthères roses et la Radical Queer Semaine. Parce que même si c’était désorganisé, il y avait crissement beaucoup de monde soudainement. Les Panthères roses sont arrivé·e·s à un moment où est-ce que la majorité des gens des communautés LGBTQIA2S ne s’identifiait pas nécessairement comme queer. Rendu à la Radical Queer Semaine, soudainement il y avait une masse critique de personnes francophones qui avaient envie de s’organiser.
CE : Je pense que tu as un point, que les Panthères ont réussi à faire connaître le queer dans le monde francophone et à politiser toute une gang autour du queer. Et si la première Radical Queer Semaine était messy, après c’était beaucoup plus organisé.
PB : Il y avait Les Lucioles aussi, des soirées de vidéastes engagé·e·s, et c’était une gang des Lucioles qui étaient les Panthères roses à la base, donc ils documentaient leurs trucs. La première fois que j’ai entendu parler des Panthères roses, c’était pour un événement qu’on avait organisé, Anti-St-Valentine, avec Head & Hands, puis les Panthères avaient été invité·e·s pour projeter des films. C’est la première fois que je découvrais le mot queer. Et les Panthères, c’était des francos.
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