Bien que voter ne soit pas vraiment notre tasse de thé, il faut bien reconnaître que les campagnes électorales sont des périodes où les gens s’intéressent de manière plus aiguë à la politique, de manière générale, et aux politiques des différents partis, dont plusieurs auront un impact concret dans leur vie. Cette fois-ci (et ce n’est pas la première fois), les conservateurs sont aux prises avec un parti national sur leur droite, le Parti populaire du Canada de Maxime Bernier, qui présente des candidats partout au pays avec un programme populiste dont les principaux axes sont le déni des changements climatiques et le sentiment populiste anti-immigration.
Maxime Bernier a été ministre fédéral de 2006-2007 et de 2011-2015 au sein du gouvernement du Parti conservateur de Stephen Harper. Il s’est présenté à la direction du Parti conservateur à l’élection de 2017 et a terminé deuxième avec plus de 49 % des voix au 13e tour, après avoir conservé l’avance sur l’éventuel gagnant, Andrew Scheer, au cours des 12 premiers tours. En août 2018, Bernier a démissionné du Parti conservateur pour créer le Parti populaire du Canada (PPC). Le PPC s’est rapidement accroché aux angoisses cultivées par certains au sujet de l’immigration et des immigrant-e-s en faisant de cette question l’enjeu central de sa plateforme, en plus de soutenir sans réserve le développement des pipelines et de propager diverses théories complotistes niant la réalité des changements climatiques. En fait, bien que le déni climatique soit le thème de droite que l’on retrouve avec le plus de constance sur les comptes de médias sociaux des candidats québécois du PPC, ce sont les nouvelles liées au racisme qui ont le plus souvent mis les populistes de Bernier sur le devant de la scène.
Le PPC correspond à un phénomène (qui a fait ses preuves dans le monde entier) où un nouveau parti de droite se détache du principal parti conservateur pour ouvrir un espace sur sa droite. Au Canada, dans le genre, c’est le Parti réformiste de Preston Manning qui a jusqu’ici connu le plus grand succès dans les années 1990. Le Parti réformiste du Canada a émergé du flanc droit du Parti progressiste-conservateur de Brian Mulroney, en 1987, et son succès a été tel qu’il a remplacé les conservateurs avant de s’y joindre à nouveau en 2000. Comme le PPC aujourd’hui, le Parti réformiste du Canada s’est attiré l’appui massif des Canadien-ne-s de droite, dont la plupart étaient des conservateurs déçus, mais aussi d’une poignée de néonazis et autres personnages d’extrême droite qui ont pris le train en marche pour être plus tard chassés du parti. Le Parti réformiste a finalement absorbé le Parti progressiste-conservateur et pris le nom de « nouveau » Parti conservateur du Canada sous la direction de Stephen Harper. C’est cette nouvelle formation qui a été le bercail politique de Maxime Bernier, où il a fait carrière avant de créer le PCC. Autrement dit, le PPC s’inscrit dans une dynamique qui se poursuit depuis des décennies où une partie de l’électorat canadien parvient à pousser la politique parlementaire toujours plus à droite. Dans un certain sens, il n’y a là rien de nouveau, mais il ne faut pas perdre du vue que le contexte mondial et national est aujourd’hui beaucoup plus favorable à l’extrême droite, et ce n’est pas un hasard si de nombreux partisans de Bernier comparent sa campagne d’« outsider » à celle de Donald Trump.
Bien que le PPC ne soit pas un parti nazi ou fasciste, Bernier, alors même qu’il se présentait à la direction du Parti conservateur en 2017, était déjà désigné par certains néonazis canadiens, comme un « franc-tireur » qui pourrait aider à changer les choses en leur faveur, comme l’a fait Trump aux États-Unis. Ils n’avaient pas tort. Depuis la fondation du PPC, Bernier a adopté la stratégie du « dogwhistle » pour s’attirer l’appui des éléments les plus réactionnaires de l’électorat blanc au Canada. En tant que tel, le parti est devenu un pôle d’attraction pour de nombreux éléments de l’extrême droite espérant soit renforcer leur pouvoir politique, soit (pour les plus lucides) déplacer le cadre du débat vers la droite. Prendre des selfies aux côtés de Bernier est devenu une espèce de hobby pour une partie de la réaction canadienne, et ce, avant même que les médias se mettent à parler des séances de photos de néonazis comme Alex Brisson de Huntingdon, Paul Fromm de l’Ontario, les membres du Northern Guard en Alberta, et les membres des Proud Boys posant avec « Mad Max ».
Certains (par exemple, B’nai B’rith Canada) ont suggéré que Martin Masse, le porte-parole du PPC et l’architecte de sa stratégie de relations publiques, est en grande partie responsable de cette tolérance à l’égard de l’extrême droite. Masse était propriétaire et éditeur du Québécois Libre, un journal libertaire en ligne qui a fermé ses portes en 2016. Il est cependant fort peu probable que les relations intimes du PPC avec les racistes soient principalement dues à l’influence d’une seule personne. Le PPC se positionne plutôt comme une option de choix pour ceux et celles qui trouvent que les conservateurs ne sont pas assez à droite.
Le racisme est clairement l’un des outils les plus efficaces en appui à une telle stratégie, comme en témoignent les panneaux d’affichage et les tweets du PPC contre « l’immigration de masse » et contre « antifa », ou la diatribe de Bernier sur « l’Islam radical », qui serait « la plus grande menace pour la liberté, la paix et la sécurité dans le monde aujourd’hui ». Bernier accuse les autres partis d’être « complaisants et de se plier aux exigences des islamistes », et il promet que « le PPC ne fera aucun compromis avec cette idéologie totalitaire ». Le programme de Bernier prévoit une réduction massive de l’immigration au Canada en réduisant le seuil de nouveaux immigrants à entre 100 000 et 150 000 par année, et promet du même coup de doubler le nombre de « migrants économiques ». Il veut aussi que le gouvernement supprime tout financement du multiculturalisme officiel, qu’il quitte le Pacte mondial pour la migration des Nations Unies et qu’il accorde la priorité aux réfugié-e-s qui, entre autres choses, « rejettent l’islam politique ». (À cet égard, il est utile de consulter cet article du magazine Politico, qui observe que les attitudes envers les immigrant-e-s sont devenues un facteur clé pour déterminer quel parti politique les Canadien-ne-s vont choisir d’appuyer.)
Une telle stratégie requiert un exercice d’équilibriste. Pour réussir, Bernier et le PPC doivent jouer des notes qui feront vibrer l’extrême droite, tout en prenant soin de ne pas dépasser les bornes pour l’électorat moyen. C’est peut-être d’ailleurs la raison pour laquelle Bernier ne s’est pas présenté à la manifestation de décembre dernier à Ottawa contre le Pacte des Nations Unies sur la migration. Lors de ce rassemblement organisé par le groupe antimusulman « ACT for Canada », Bernier devait prendre la parole aux côtés de membres de La Meute, de Rasmus Paludan du parti d’extrême droite danois Stram Kurs, et de Travis Patron du Parti nationaliste canadien (nationaliste blanc en fait), avant de se retirer à la dernière minute.
Un certain nombre d’articles de presse ont révélé les liens avec l’extrême droite de certaines personnes actives au sein du PPC en tant qu’organisateurs ou en tant que membres dont les signatures ont été utilisées pour donner au PPC le statut officiel de parti. Par exemple :
- Darik Horn, un bénévole du PPC et agent de sécurité qui a accompagné M. Bernier à divers événements et réunions avec les médias, s’est avéré être un membre fondateur du Parti nationaliste canadien (néofasciste).
- Shaun Walker, un immigrant américain et organisateur du PPC à St Catharines, en Ontario, ainsi que l’un de ceux qui ont donné leur signature pour que le PPC devienne un parti officiel, a été le président de la National Alliance (une organisation néonazie basée aux États-Unis) en 2007, et a été condamné pour crimes haineux contre des personnes de couleur. À la suite de ces révélations, Walker a été expulsé du PPC et Bernier a prétendu qu’il avait échappé au processus de filtrage du parti. Cependant, il s’est aussi avéré que Bernier lui-même suivait Walker sur Twitter.
- Janice Bultje, une membre fondatrice de PEGIDA Canada (sous le nom de « Jenny Hill ») et Justin L. Smith, chef de la section de Sudbury des Soldiers of Odin, ont également signé pour que le PPC devienne un parti officiel.
Sans grande surprise, un certain nombre de candidats du PPC ont fait les manchettes lorsque leurs messages passés et présents sur les médias sociaux ont été révélés :
- Brian Everaert, le candidat du PPC dans Sarnia-Lambton, a affiché des tweets où il qualifie l’Islam de « verrue sur le cul du monde », ainsi que des messages sur Hilary Clinton et en faveur de l’idée d’armer les enseignant-e-s. Bernier refuse de condamner Everaert.
- Une série de messages racistes et transphobes sur les médias sociaux sont attribués à Bill Capes, le candidat du PPC dans Essex.
- Le candidat du PPC dans Kamloops Ken Finlayson a publié sur les médias sociaux une comparaison entre l’activiste climatique Greta Thunberg et l’image d’une jeune fille employée dans de la propagande nazie des années 1940.
- Sybil Hogg, la candidate du PPC dans Sackville-Preston-Chezzetcook, a publié au cours de la dernière année une série de messages sur Twitter et Facebook contenant des déclarations islamophobes, dont une où elle qualifiait l’Islam de « mal absolu ».
Le traitement médiatique de ces incidents est quelque peu trompeur, cependant, car il suggère que le PPC ne contient que quelques pommes pourries, alors qu’en réalité, tout le parti est animé de tels sentiments. Un bon indicateur de cela, et un signe que cette filiation est intentionnelle, est le nombre de candidat-e-s qui sont parti-e-s (ou ont été expulsé-e-s) après qu’il fût devenu clair que les responsables du parti ne condamneraient pas l’extrême droite :
- Le 12 septembre, Brian Misera a été démis de ses fonctions de candidat du PPC dans Coquitlam-Port Coquitlam après avoir demandé (en vain) à la direction du parti de rejeter publiquement le racisme.
- Le 30 septembre, Chad Hudson, qui avait été candidat du Parti populaire dans la circonscription de Nova-Ouest, en Nouvelle-Écosse, a quitté le parti en raison du racisme qui y prévaut, expliquant : « Je crois fermement maintenant que je rends davantage service à la collectivité en dénonçant cette haine et ces immondices qu’en restant dans la course. »
- Le 8 octobre, Victor Ong, le candidat du PPC dans Winnipeg-Nord, a démissionné, déplorant le fait que le parti ait « attiré toutes sortes de marginaux, des dizaines de théoriciens du complot et tout un éventail d’abjections diverses d’un océan à l’autre. Sans parler de la base aigrie de Bernier, qui est animée par l’idéologie “le blanc a raison” et est pleine de membres arborant des casquettes “Make America Great Again”. »
En effet, un examen rapide des pages Facebook des candidats du PPC révèle que ce qui est vraiment remarquable, c’est à quel point les reportages portant sur les tweets et messages FB racistes ont été sélectifs. Presque tous les candidats du PPC au Québec ont récemment (et à maintes reprises) partagé des articles provenant de sources négationnistes des changements climatiques, dont un grand nombre affichent un penchant clairement complotiste. Mark Sibthorpe, candidat dans Papineau, a même produit son propre « exposé » sur YouTube « révélant » comment George Soros est à l’origine d’un complot mondialiste international visant à détruire les économies et à faire de l’argent en semant la panique au sujet des changements climatiques. Après le déni climatique, les craintes concernant les menaces à la « liberté d’expression » et « l’immigration massive » sont des thèmes récurrents pour les candidats québécois du PPC, et environ un sur cinq a récemment partagé des articles de ce que nous pourrions appeler des sources « nationales-populistes » ou d’extrême droite, dont LesManchettes.com, le site d’André Boies (celui qui avait traduit en français le manifeste « The Great Replacement » du tueur de Christchurch), la chaîne YouTube « Stu Dio » d’André Pitre, et un mélange éclectique comprenant Faith Goldy, Alexis Cossette-Trudel, Black Pigeon Speaks, les Gilets jaunes et la très raciste « Voice of Europe ».
Les candidats du PPC ne sont pourtant pas tous du même acabit. Pour certains, il s’agit de leur première incursion en politique, alors que d’autres sont là depuis un certain temps déjà. Par exemple, Ken Pereira, le célèbre dénonciateur de la Commission Charbonneau, devait se présenter comme candidat pour le PPC au Québec, jusqu’à ce qu’il se voie forcé de retirer sa candidature au début de septembre après l’arrestation de son fils pour meurtre. Pereira produit des vidéos sur la chaîne YouTube d’André Pitre, alléguant toutes sortes de conspirations farfelues, dont celles relatives à QAnon, que Vice décrit comme « une théorie fumeuse voulant qu’un individu se faisant appeler “Q” divulgue des renseignements détaillant une guerre secrète menée par Trump contre “l’état profond” et une cabale internationale de pédophiles — et qui qualifie les attaques terroristes du 11 septembre “d’attaque sous fausse bannière”. »
Dans le même ordre d’idée, Raymond Ayas, qui écrit pour Postmillenial et est actif dans l’extrême droite catholique au Québec, se présente comme candidat du PPC dans Ahuntsic-Cartierville. En tant que porte-parole de l’Association des parents catholiques du Québec, Ayas a défendu dans les médias en 2017 une conférence de Jean-Claude Dupuis, membre de la Société-Saint-Pie-X et ancien dirigeant du Cercle Jeune Nation, et de Marion Sigaut (une proche d’Alain Soral en France). Il convient aussi de noter que des membres d’Atalante auraient été présents lors de cette conférence pour assurer en la sécurité.
Le PPC aura de la chance s’il gagne plus qu’une circonscription au Canada, et il est tout à fait possible qu’il s’étiole et disparaisse. Il pourrait tout aussi bien consolider un bloc d’électeurs à la droite des conservateurs et rendre le débat politique au Canada encore plus hostile aux personnes racisées, aux peuples autochtones, aux musulmans et aux immigrants. Quoi qu’il en soit, il y a peu de chance que les racistes et réactionnaires qui ont gravité autour du PPC nous fassent le bonheur de disparaître de sitôt, et certains pourraient rester dans le décor encore longtemps. À tout le moins, il sera utile de garder un œil sur eux.