Soumission anonyme à MTL Contre-info
Il faut toujours voir au-delà, prendre tout pour une fenêtre.
– R.G. 1950
Qu’on l’annonce froid ou chaud, mai fera des épuisé-es et des éparpillé-es. Par vingt-milles groupes signal, en suivant le calendrier infini ou par l’angoisse, on s’épuise, on s’éparpille: tout ça c’est dans l’air du temps.
Au camp Al-Aqsa, une militante m’avait confié ne pas comprendre cette tendance répandue de se plaindre d’être fatigué-e en début de réunion. Être épuisé-e avant même que ça commence? C’est curieux, démotivant – geignard qu’elle disait. Mais l’épuisement peut avoir sa place. Il sonne l’alarme : faisons un repli stratégique! Or, lorsque ce sentiment se fait rengaine et défaite, lorsque que nous réduisons notre participation à un acte de présence, ne nous étonnons pas de trouver répétition et échecs dans tout ce que nous entreprenons.
En privé, un ami-toujours-frustré me disait ne plus vouloir rien savoir des groupes et des comités. Envahi par le sentiment d’être sollicité, il avait développé une phobie des chapeaux. Il pestait devant la démultiplication des réunions : «Occupez vous donc de bien faire vos affaires pour commencer !»
Retour à la case départ : le repli contre l’éparpillement. En face, l’éparpillement comme agitation contre la torpeur: je fais plein de choses, je ne suis donc plus épuisé-e!
Cyclones et anti-cyclones de la fin de printemps, du mois à venir: mois de l’anarchie et des vacances pour les un-es, sueurs et clients pour les autres. Dans tous les cas, l’éparpillement sera l’inverse nécessaire de l’épuisement: un beau système.
Bien que les phénomènes météorologiques soient fascinants, il est lassant d’en rester aux systèmes chaotiques ayant des lois connues. Pourquoi ne pas chercher les failles dans d’autres épuisements et vers d’autres éparpillements? Par moments d’effervescence collective, la métaphore des batteries à recharger est provisoirement remplacée. On en vient à croire aux machines perpétuelles. L’épuisement qui suit la longue journée de GGI après avoir couru partout, mais que ça en valait la peine, il est enivrant. Les journées où on a pas assez dormi, mais qu’on traverse en trouvant un second souffle, ça aussi c’est une forme d’épuisement. Et l’éparpillement dans l’émeute ou durant de longues discussions avec des camarades qu’on apprend à connaître? Le moment où on se lance partout après avoir commencé l’occupation, n’est-ce pas beau aussi l’éparpillement ?
Il faut s’arrêter ici sans quoi on retrouve Stakhanov ou le mythe des ressources infinies. Tout ça pour dire, si nous allons nécessairement tous et toutes à l’épuisement et à l’éparpillement, certaines de ces inclinaisons nous conduisent aussi sur le chemin des énergies inattendues, des second souffles. Il est donc important de choisir et de chérir quand on se dépense, cela devrait en valoir la peine. Épuisement et éparpillement ne devraient pas être les mots des défaites qui nous excusent.
Soyons honnêtes : nos victoires seront épuisantes et nous n’en sortirons pas en un morceau.
– Maulwurf
* * *
Le répondeur.
Y’a ben des mots qui grouillent dedans, malgré l’été qui fait son smatte…
Lors de la dernière brève, j’ai étiré le format, si bien qu’elle ne l’était plus tout à fait, brève. Pour continuer entre l’agir et les mots, dois-je éviter le pré-texte des réponses? En même temps, j’aime bien vous lire. Puis, c’est malpoli de se laisser sur seen entre gens de l’écriture.
Peut-être faudrait-il des échanges courriels, un forum, une case postale, une boîte vocale ? Ma solution temporaire: vous laisser des messages.
Cher Charles I,
Le plagiat est nécessaire, notre progrès l’implique, mais seulement s’il est capable de serrer de près une idée approximative pour la remplacer par une idée juste. Le détournement n’est pas la citation, ce n’est pas l’autorité conférée à des paroles du simple fait qu’elle sont celles qui se disent d’un(e) (h)auteur. Nous avons connu, nous connaissons encore, la tentation de ne pas se mouiller en disant des banalités comme la tentation de parler depuis le canon, le Parti, qui est l’exemple inverse. C’est aussi ça l’opposition stérile entre activisme et militantisme. Alors, qu’est-ce qui t’appelles lorsque t’écris ici ?
Au nouveau variant, H2N2
J’aime ton nouveau style, moins de détours, moins d’effets spéciaux. Des désaccords subsistent mais je trouverai une autre façon de te rejoindre. Un échange épistolaire? J’attend toutefois – sans précipitation – réponse à la question suivante : que faire face aux gens qui accolent une identité à ton corps révolutionnaire, qui le nomment dans une identité et l’y réduisent ? Ton idée du corps, j’y vois un cadre théorique, une injonction à regarder ce qui se fait ou une éthique, mais je ne vois pas comment la construction langagière que tu proposes pourrait autre chose qu’un usage métaphorique. S’il échoue à nommer sa position, si le mot se fige en une énième identité, doit-on avouer notre échec ou simplement proposer d’autres synonymes : nébuleuse révolutionnaire, rhizome destituant, fractale insurrectionnelle ? Je connais bien le dictionnaire si t’en a besoin.
Another Fragment, Comrade!
I must praise the tone, the metaphors. A fine piece, quite sharp. Should you not break the pen right now, after such a short use, I would love to hear the words that follow the deed and the words that attack the glow of theory. Writing is a neat technology, a necessary mediation in my life. It’s a practical way to prepare myself to have better conversation, because often when I tried to have conversation face to face, I ended up forgetting what I wanted to say, doing the same mistakes or wasting our meeting time. Words are far from a substitute to action, but being an old mole, I need my time, my pen and paper. En t’écrivant, j’essaie d’«avoir un argument», mais il me faut traduire mes pensées. En ce sens, l’écrit est comme un post-it – à jeter ou à conserver –, il m’aide à me rappeler d’éviter les mots du quotidien qui sont en travers de ma bouche quand je parle, surtout entre les langues.