
Soumission anonyme à MTL Contre-info
Le dimanche, 29 juin 2025, à Québec, les ministres et députés fédéraux Jean-Yves Duclos et Joël Lightbound ont convié leurs partisan·es à un événement festif organisé à l’occasion de la fête du Canada. Ce rassemblement, sous forme de pique-nique public où hot-dogs et crudités étaient à l’honneur, s’inscrivait dans une mise en scène politique visant à projeter une image de normalité et d’unité nationale. L’événement, présenté comme le « BBQ annuel Fête du Canada – région de Québec » par le Parti libéral du Canada, figurait sur le site officiel du parti. La promotion de ce rassemblement affirmait qu’« on ne peut jamais tenir nos progrès pour acquis », notamment dans le contexte d’un gouvernement minoritaire, une rhétorique destinée à mobiliser la base libérale autour d’un exercice de visibilité publique.
Malgré le silence complice des grands médias et les tentatives des organisateurs de camoufler la présence des manifestant·es derrière des images soigneusement sélectionnées, l’action militante menée sur place a imposé un contre-récit clair et puissant.
Dans un contexte de génocide en cours à Gaza, alors que la famine forcée sévit, une vingtaine de citoyen·nes ont choisi de dénoncer pacifiquement l’hypocrisie de ce BBQ. Dès les premières minutes, des slogans et des prises de parole ont été lancés, tandis qu’une dizaine de militant·es s’infiltraient parmi les partisan·es libéraux pour mettre en scène une performance intitulée « À Gaza, on meurt pour un sac de farine ». Allongé·es au sol, couvert·es de faux sang et entouré·es de sacs de farine, les participant·es ont incarné la réalité des Palestinien·nes contraint·es de risquer leur vie pour se nourrir.
Cela dit, la réaction des forces policières a été révélatrice. Plusieurs manifestant·es ont été poussé·es, piétiné·es, voire agressé·es physiquement, notamment par des coups de botte assénés à des personnes allongées au sol. Les policiers ont également tenu des propos moqueurs, protégeant les dignitaires pendant qu’ils festoyaient sans être inquiétés. Certains ont refusé de s’identifier, dissimulé leurs matricules sous des dossards ou agi sans uniforme officiel. Des propos méprisants, tels que « vous ne changerez rien » ou « vous allez vous fatiguer avec ça », ont été rapportés.
Il est important de rappeler que l’événement était officiellement ouvert à toutes et à tous. Aucune inscription préalable n’était requise, si ce n’est une simple adresse courriel permettant de figurer sur la liste de diffusion du Parti libéral. Il n’était pas nécessaire d’avoir un billet ni de fournir son nom ou d’autres informations avant de s’y présenter. Pourtant, une fois sur place, une table a été installée pour distribuer des bracelets rouges, accompagnés de plusieurs feuilles incitant les participant·es à fournir leurs renseignements personnels afin de « s’inscrire » sur place. Cette mise en scène administrative évoquait, pour plusieurs, les dispositifs de filtrage social mis en place durant la pandémie de COVID-19. Dans les faits, des personnes qui ne correspondaient pas au moule attendu de la partisanerie libérale, ayant des piercings, des cheveux courts et colorés, se sont vu restreindre l’accès à la nourriture en l’absence de bracelet, ont été épiées de près, et parfois même empêchées de s’inscrire. Derrière les apparences d’un événement inclusif se dessinait ainsi un mécanisme de tri politique, où la dissidence se voyait rapidement marginalisée.
Pendant ce temps, à Gaza, l’accès à la nourriture constitue un enjeu de survie. Selon le journal Haaretz, des soldats israéliens ont reçu l’ordre explicite de tirer sur des foules civiles en attente de distributions alimentaires. Les convois d’aide humanitaire sont régulièrement ciblés par des bombardements, et les points de distribution sont systématiquement pris pour cibles. Plus récemment, des professionnel·les de la santé sur le terrain ont révélé la contamination de sacs de farine par des opioïdes comme l’oxycodone, un narcotique hautement addictif. Des comprimés écrasés ont été retrouvés directement mélangés à la nourriture, soulevant de sérieuses inquiétudes quant à l’utilisation d’armes chimiques à visée destructrice et coloniale.
Ce qui se déroule à Gaza pourrait même dépasser le cadre d’une famine : il s’agit d’une guerre chimique, d’un processus de destruction lente ciblant les populations civiles par la privation, l’empoisonnement et la dépendance. Dans ce contexte, l’attitude du gouvernement canadien, qui refuse d’imposer des sanctions, maintient ses exportations d’armes et approfondit ses relations diplomatiques avec Israël, s’apparente à une complicité active.
La participation publique des ministres et députés Duclos et Lightbound à un événement festif en pleine tragédie humanitaire constitue une démonstration flagrante de cynisme politique. Tous deux sont directement impliqués dans les politiques d’approvisionnement militaire, ayant dirigé ou supervisé Services publics et Approvisionnement Canada. Par ailleurs, leur parti se rend complice de la normalisation des relations avec Israël, du conditionnement de l’aide humanitaire et de la criminalisation des mouvements de solidarité avec la Palestine.
Le gouvernement fédéral a récemment annoncé une hausse significative de ses dépenses militaires, visant 2 % du PIB, tout en réduisant les budgets consacrés aux services publics. Sur les campus et dans les rues, il multiplie les mesures de censure et de répression à l’encontre des voix dissidentes, tout en favorisant les intérêts de groupes de pression comme le CIJA (Centre Israélien-Juif pour les Affaires publiques).
L’action du 29 juin visait à briser cette indifférence institutionnalisée, à affirmer que toutes les vies ne sont pas traitées de manière égale par l’État canadien, et à réitérer une solidarité ferme envers le peuple palestinien. Par cette action sobre mais percutante, les manifestant·es ont confronté l’image rassurante des élites canadiennes avec la réalité brutale d’un peuple affamé et bombardé.
Enfin, il est impossible de dénoncer les politiques génocidaires à l’œuvre en Palestine sans reconnaître les fondements coloniaux du Canada lui-même. Ce même 1er juillet, que l’État présente comme une fête nationale, représente pour de nombreux peuples autochtones une journée de deuil. Elle rappelle un passé et un présent marqués par le vol des terres, les pensionnats, les stérilisations forcées, les disparitions, la négation culturelle et la pauvreté systémique. Tandis que le gouvernement se livre à des célébrations festives sous des drapeaux tricolores, il continue de refuser de reconnaître les droits territoriaux des Premières Nations, d’appliquer pleinement la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, et d’adopter des lois controversées comme le projet de loi C-5, critiqué pour faciliter l’appropriation de terres non cédées au bénéfice d’intérêts privés.
La solidarité avec la Palestine est indissociable de celle envers les peuples autochtones d’ici. Les logiques coloniales, racistes et extractivistes qui alimentent l’oppression au Moyen-Orient résonnent dans les structures de pouvoir canadiennes. C’est dans cette continuité des luttes, locales et transnationales, contre les formes contemporaines de colonialisme et de génocide que s’inscrit notre action.
