Montréal Contre-information
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Ça brasse partout!

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Déc 162023
 

De la Convergence des luttes anticapitalistes

Tract distribué lors des différentes manifestations de l’automne 2023

C’est l’fun de vous voir manifester! On écrit ce document parce que les politiques des gouvernements nous forcent à marcher souvent pour dénoncer les injustices et plein de mouvements s’activent. Ça brasse pas mal dans plein de secteur de la société; ça faisait longtemps qu’on avait pas vu autant de manifs aussi populeuses, des grèves, des blocages et des actions directes aussi fréquentes. C’est une opportunité exceptionnelle de rejoindre des luttes conviviales et combatives, si vous avez le temps et l’énergie. C’est non seulement plus d’opportunités de faire du trouble à Legault et à Trudeau, mais une manière de créer des liens entre les luttes, de s’informer, de créer des solidarités et de trouver des gens qui nous ressemblent. C’est pour ça qu’on vous présente d’autres luttes qui se passent entre autres à Montréal.

La CLAC est un collectif anti-autoritaire réuni sur la base de la lutte contre toute les oppressions et dominations.

Autre collectif intéressant : l’ORA est une nouvelle Organisation Révolutionnaire Anarchiste ouverte et publique à Montréal.

Attaques contre les locataires

L’agenda de la CAQ n’est pas compliqué: on prend aux pauvres pour donner aux riches. En terme de logement, ça veut dire de s’attaquer aux dernières mesures qui permettent de garder quelques espaces pas trop cher pour nous. Une de ces attaques est le projet de loi 31, qui vise entre autres ầ empêcher la cession de bail, une pratique qui permet de garder le loyer au même prix entre deux locataires. Bien que les propriétaires n’ont pas le droit d’augmenter le loyer de plus qu’un taux déterminé par la régie du logement, les cessions de bail sont la seule façon d’empêcher les hausses excessives qui se produisent lors d’un changement de locataire.

Le FLIP (Front de Lutte pour une Immobilier Populaire) organise plusieurs événements pour lutter contre ce projet de loi, dont une grande manif le samedi 2 décembre à midi au métro Parc!

Le SLAM (Syndicat de Locataires Autonomes de Montréal) a une approche anarcho-syndicaliste du droit au logement.

Génocide à Gaza

La bande de Gaza, depuis le milieu des années 2000, faisait l’objet d’un blocus économique, empêchant l’importation de plusieurs biens essentiels et empêchant les gens de sortir du territoire, et même d’aller pêcher dans la mer. Plusieurs expert·e·s ont qualifié Gaza de prison à ciel ouvert et ce longtemps avant l’attaque du 7 octobre. Les attaques Israëliennes sur les populations civiles de Gaza ne sont pas une guerre: Gaza ne possède pas d’armée à proprement parler. C’est pourquoi le terme de génocide est plus approprié pour la situation. De très nombreuses manifs se produisent en solidarité avec les gazaouis. Voix Juives Indépendantes, et Palestiniens et Juifs Unis organisent des manifestations pour que cessent le génocide.

Destruction environnementale

Pendant ce temps, les gouvernements coupent dans le transport en commun et visent à continuer le tout-à-l’auto, au dépend de la survie de la planète. En tête de liste des choix douteux du gouvernement, l’investissement de 7 milliards de dollars dans une usine de batteries au lithium qui désire s’implanter à McMasterville, au dépens de l’écosystème local, au profit des minières canadiennes, et aux dépens d’un plan de transport raisonnable. Dans le mouvement écolo, Rage Climatique lutte contre ce projet d’usine.

Lutte contre la transphobie et l’homophobie

L’extrême droite s’en prend désormais de plus en plus droits des enfants et personnes trans-, queer et non-binaires en tentant d’empêcher l’éducation sexuelle inclusive, comme celle effectuée par des personnes trans. Heureusement, ces attaques ne sont pas sans réponses grâce aux efforts incessant du P!nk Bloc Montréal.

Attaques contre les travailleur·euse·s

Les conventions collectives pour le secteur public arrivaient à échéance le 31 mars 2023, au même moment où continuait la mauvaise foi du gouvernement Legault. Une fermeture à discuter des conditions de travail ou à offrir des augmentations qui s’approche de l’inflation a amené des votes de grève historique dans les nombreux syndicats, avec des votes de grève atteignant parfois 100%. Plusieurs journées de  grèves sont prévues dans les prochaines semaines.

Donc ça va très mal, mais au moins on résiste! Pour avoir plus d’informations sur tout les événements organisés dans le cadre de ces différents mouvements, consultez le calendrier de Résistance Montréal au https://www.resistancemontreal.org/calendrier

Femme à maintenir séparée : La prison, le genre et la violence de l’inclusion

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Déc 052023
 

Soumission anonyme à North Shore Counter-Info

Avant toute chose, un avertissement : ce texte est écrit par et pour des personnes queers et leurs ami-e-s. Il a pour intention de contribuer au débat autour de l’inclusion et des identités, où la validité des personnes queers n’est pas questionnée. Quiconque utilise ce texte pour contribuer à de l’homophobie ou de la transphobie est un foutu crétin.

Quand la porte de la cellule se referme enfin, quand le bruit métallique des clés s’éloigne, tu sais que t’iras pas plus loin aujourd’hui. Enfin tu peux relâcher ton souffle, seul-e avec ton matelas, et être dans ton propre corps à nouveau, ton corps qui n’est plus un problème à résoudre ou une question à laquelle répondre. Simplement ton poids familier sous la couverture, où tu peux trembler encore et encore, et essayer de dormir et de te préparer à ce qui va venir.

J’ai fait de la taule autant dans des prisons pour hommes que pour femmes, et j’en ai beaucoup appris sur le monde dans lequel on vit. Sur le genre et sur comment l’État le perçoit, et sur la façon dont le genre est une forme de contrôle. Ici, dans le territoire appelé Canada, l’État a changé ses règles sur la façon dont ses institutions traitent le genre il y a de ça quelques années. Il a ajouté «l’identité de genre» à la liste des «catégories protégées», comme la race ou le sexe, dans le projet de loi C-16(1). Cela signifie qu’il a fallu s’informer sur comment respecter l’auto-identification de genre.

Dans le monde austère et violent de la prison, la fragilité de ce cadre progressiste du genre apparaît clairement. La société canadienne a une approche – officiellement – positive de la différence, à travers l’inclusion de diverses identités basées sur l’auto-identification. C’est en grande partie le résultat de luttes, mais nous devons aussi être capable de le critiquer pour continuer à lutter pour un monde sans prisons et sans la violence du genre. On se penchera plus tard dessus dans le texte, mais adopter nous-mêmes la vision purement positive de l’identité de genre que véhicule l’État peut nous mener à une compréhension simpliste de (l’hétéro-)sexisme et à défendre les projets de l’État contre les réactionnaires, alors que nous devrions les attaquer à notre façon(2).

Se faire identifier

La prison est l’un de ces rares espaces restants où l’État continue à s’impliquer ouvertement dans la catégorisation des gens par le genre, et à les exposer à un traitement différencié sur cette base. Allongée sur ce matelas merdique, j’étais dans une cellule de l’unité d’isolement de la section femme de ma prison régionale après avoir été identifiée comme trans. Les gardiens m’avaient cuisiné sur mon genre et ma sexualité pendant à peu près deux heures jusqu’à ce que je sois en pleurs, ce qui était horrible, puisque j’essaye d’habitude de ne pas leur montrer grand-chose.

Au niveau humain, je ne pense pas qu’ils agissaient avec malveillance. Le processus était nouveau, la plupart d’entre eux ne s’en étaient jamais chargé
avant et ils ne connaissaient probablement aucune personne trans. Et beaucoup des questions posées n’étaient pas les questions officielles. Quand le gardien
derrière le bureau s’arrêtait pour taper quelque chose, l’un de ceux sur le côté intervenait avec curiosité : « Donc tu ne t’identifies comme rien, mais tu aimes les hommes ou les femmes ? Tu dois choisir. » Et alors le gardien au bureau continuait « Donc si tu es en surveillance étroite en cas de risque de suicide, et on t’a retiré tes vêtements, tu veux être surveillé par qui sur caméra, un homme ou une femme ? »

Comment tu t’identifies ? Identifie-toi ! Il y a deux portiques de détection menant à deux différentes incarcérations, tu dois t’identifier de façon à ce qu’on sache lequel utiliser.

La pression pour s’identifier avait commencé juste avant l’aube ce jour-là, peu de temps après les détonations des grenades assourdissantes quand les flics avaient enfoncé notre porte. J’étais nue sous un drap, les poignets attachés par des serflex, surveillée par un flic masqué en tenue de protection avec un fusil d’assaut à la main, quand un flic habillé plus normalement est entré. Il m’a annoncé les chefs d’accusation, et m’a ensuite demandé si je préférais qu’un flic homme ou femme me regarde m’habiller. J’ai dit que je m’en fichais. Il est parti chercher une flic femme et a coupé les menottes. Je passais en revu mes vêtements à la recherche de quelque chose qui serait à la fois féminin et chaud, puis j’ignorais leurs sommations pour me dépêcher alors que je me maquillais.

Au commissariat, je gardais un visage fermé alors que le policier me montrait des photos et des documents et me posait des questions. Quand arriva le temps du transfert au tribunal, les officiers de justice me demandèrent qui devait me fouiller, un homme ou une femme. Je dis que je m’en foutais. Ils dirent qu’il fallait que je réponde. Je dis que qui voudrait le faire le pouvait, que je ne pouvais pas les arrêter. Ils décidèrent de me faire fouiller le bas du corps par un homme et le haut par une femme.

Après le tribunal, je fus chargé dans le fourgon dans un box pour un seul prisonnier, classifiée comme « Femme : à maintenir séparée ». Il y avait plusieurs hommes dans les autres box et l’un d’eux commença à plaisanter, m’appelant sa petite-copine. On nous déplaça un à la fois vers la section homme de la taule, placés en cellules les uns à côté des autres, et les plaisanteries continuèrent. Je jouais le jeu nerveusement. J’avais déjà été en prison pour hommes avant, j’y ai parfois été identifiée comme gay, mais j’avais l’air assez différente à cette époque. Les gardiens virent ce qui se passait et me sortirent après quelques minutes. Ils me demandèrent où je voulais être. Je demandais quelles étaient mes options et ils répondirent probablement l’isolement chez les hommes ou l’isolement chez les femmes. Les autres prisonniers parlaient toujours de moi. Je dis chez les femmes. Ce fut la première affirmation que je fis en réponse à une question de la journée.

Construire et affirmer une identité, sur instagram comme dans une salle d’interrogatoire, est une façon de nous faire parler. La prison doit se montrer inclusive de la diversité de genre, et l’inclusion équivaut à une invitation à participer : « Où veux-tu être ? ». Devrais-je me sentir heureuse de me voir inclus dans une prison, affirmée en tant que personne trans, quoique ce mot puisse signifier ? Bien sûr que je suis contente de n’avoir pas vécu davantage de violence, mais est-ce que cette expérience tient vraiment lieu d’une victoire pour celleux qui ont milité pour l’inclusion ?(3)

Il est facile, et pas nouveau, de faire des critiques de l’inclusion, parce qu’il y a tellement de choses que nous préférerions demander – je viens d’une tradition anarchiste où c’est ce que le mot « queer » signifie. Cependant c’est différent de partir de ce que l’inclusion nous fait ressentir dans nos corps, comment elle nous façonne. Les façons dont l’exclusion est violente sont souvent évidentes, mais y at-il aussi une dimension violente à l’inclusion, quelque chose que nous rejetons à juste titre?

Comme point de départ on peut se demander comment l’État voit le genre. Que signifie le mot « femme » dans la phrase « prison pour femmes » ? Quelles sont les conséquences de l’inclusion en tant que femme dans une telle prison ? Comment est-ce que l’État comprend le mot « trans » et comment cette compréhension se manifeste-t-elle par des murs et des barreaux ? L’identité a deux versants, un positif et un négatif. Le négatif renvoie à
l’oppression et à la violence, le positif à l’affirmation et à l’appartenance. La première fois que j’ai appris cette distinction, elle portait sur le fait d’être noir-e (je suis blanche). Dans ce contexte, « Noir-e » renvoie à une histoire et à un vécu continu de violence raciste qui produisent certaines personnes comme noires, mais en même temps cela affirme une identité résiliente, une lutte partagée et la culture qui en émerge (4). Un débat semblable est en cours dans ma région autour de l’identité autochtone et le rôle de l’ascendance, de la culture, de l’appartenance, de la violence, du racisme et de la lutte pour construire ces identités.

Le débat sur l’inclusion trans et le discours officiel d’État insistent sur le versant positif, sur l’affirmation – l’auto-identification comme base d’appartenance à une classe reconnue de personnes (pour moi, celle des femmes). Mais cette positivité n’est qu’un vernis, ce qui s’avère particulièrement évident en ce qui concerne la prison, car entre les murs c’est notre affirmation positive, notre autoidentification qui nous expose au versant négatif de l’identité – à savoir la
violence genrée des prisons pour femmes.

Être vrai

Dans le contexte carcéral les femmes existent comme « les autres ». La prison est pour les hommes, la prison est masculine, même si le taux d’incarcération des femmes ne cesse d’augmenter. Dans le contexte du patriarcat, une prison qui « ne voit pas le genre », exposerait les femmes à une violence additionnelle que cette société ne sanctionne pas officiellement. Donc, dans un esprit d’égalité bourgeoise, le système carcéral produit une institution séparée pour les femmes, les regroupant sur la base d’un vécu de violence sexiste. Quand l’État commence à voir sa légitimité menacée par l’expérience de violences similaires des personnes queers et trans, celles-ci peuvent être ajouté-e-s à cette catégorie pré-existante sans avoir à changer la nature fondamentale de la prison.

Hommes et femmes sont des catégories signifiantes dans la mesure où il existe un vécu du patriarcat propre à chacun; les femmes trans constituent une identité distincte dans la mesure où elles ont aussi une relation spécifique à la violence du patriarcat (5). La prison fonctionne alors comme une usine : elle trie les corps pour les exposer à des traitements différenciés et les reproduire violemment comme des êtres genrés dans un monde qui a besoin de tels êtres.
Être séparé-e ne veut pas dire être égal-e. La façon dont les gens sont traités dans une prison pour femmes n’est pas la même que dans une prison pour hommes. C’est en partie pour répondre à des besoins différents : des vêtements avec des hauts et des bas séparés plutôt qu’une combinaison, l’accès à des serviettes et des tampons, davantage de travailleurs sociaux, moins d’insistance sur la colère dans les programmes et davantage sur le trauma. D’autres aspects sont manifestement sexistes et correspondent à l’application des normes de genre par la prison : un code vestimentaire stricte, une interdiction de se toucher, une dissuasion pour l’exercice physique, et une tolérance limitée pour les conflits et les bagarres.

Au-delà des traitements différents, mêmes les choses qui sont identiques entre les prisons pour hommes et pour femmes ne produisent pas le même effet : les plateaux repas standardisés, les visites, la surveillance et les fouilles, la présence à la fois de gardiens et de gardiennes. Les deux expériences de ces mêmes éléments ont des effets très différents. Développons un de ces exemples : Les prisons provinciales des hommes et des femmes dans l’Ontario servent exactement la même nourriture. Dans la prison pour hommes, on la trouve souvent insuffisante, en partie parce que l’exercice joue un rôle important dans la culture des prisonniers ; il n’est pas rare que les prisonniers sortent de prison en meilleure forme et plus musclés qu’à leur entrée. Dans les prisons pour femmes, s’exercer est fortement déconseillé entre prisonnières et parfois les gardiens le traitent comme une violation des règles. Il est courant pour les prisonnières de prendre du poids rapidement tout en ayant une baisse globale de condition physique du fait d’une inactivité imposée. La société dans son ensemble traite la grosseur de façon fort différente pour les hommes et pour les femmes, donc cette prise de poids est souvent accompagnée de honte et vient jouer avec des troubles alimentaires et d’autres enjeux de santé mentale.

Des repas égaux dans une société profondément inégale produisent un impact global négatif sur les prisonnièr-e-s dans les établissements pour femmes – la prison nuit et contrôle autant par ce qu’elle donne que par ce qu’elle enlève. En ce sens, la prison pour femmes reproduit une vision spécifique du patriarcat à travers les formes de nuisance qu’elle cause et les dynamiques toxiques qu’elle encourage. Nous pourrions faire une analyse semblable de la façon dont les expériences de violence sexuelle et d’objectification rendent les fréquentes fouilles au corps plus pernicieuses, tout comme la présence de gardiens hommes t’observant à tout instant. Ou comment les systèmes de visites et de téléphones restrictifs viennent jouer avec le fait que les prisonnières ont beaucoup moins  d’accès à des ressources et à du soutien extérieur que ce à quoi ont accès les prisonniers du côté des hommes.

Pour en revenir à mon histoire, je finis en isolement chez les femmes à la fin de cette première journée. Ce qui est plus ou moins la même chose que l’isolement chez les hommes, superficiellement du moins. La cellule fait à peu près la même taille, son agencement est le même, tout comme le sont les règles étranges comme ne pas avoir droit à des chaussures, et comme la télé qui est à l’extérieur de ta cellule et n’a pas de son. J’ai fini par rejoindre un bloc normal avec d’autres prisonnièr-e-s que le système considérait comme des femmes, mais ça a pris du temps.

Beaucoup de choses horribles se passent en prison. Une grande partie n’en sort jamais, ne devient jamais visible pour celleux qui sont à l’extérieur. Mais il y a des exceptions, la plus notable étant la mort. Si à l’heure actuelle les prisons provinciales dans ma région font l’objet d’une réorganisation pour réduire le
nombre de morts par overdose, ce n’est pas parce qu’ils se soucient des prisonniers, mais parce que un corps qui en sort en tant que cadavre est impossible à ignorer. Ils préféreraient ainsi que les prisonniers n’aient aucune activité, aucun livre et aucune lettre plutôt que de risquer que du fentanyl ne puisse trouver son chemin vers l’intérieur. De même, les prisons ne peuvent cacher les grossesses.

Dans son entreprise de tri des corps, la prison a considéré mon corps comme une source potentielle de violence dont l’évitement (ou la gestion) est à l’origine de l’existence des prisons pour femmes. Lors de mes premiers jours en isolement chez les femmes, on m’a dit que je sortirais de l’isolement seulement si je pouvais prouver que j’étais incapable d’avoir une érection. Je n’ai pas mordu à l’hameçon, j’ignore donc ce que le «prouver» aurait pu impliquer. Mais il y a d’autres façons par lesquelles la prison s’assure que tu n’es pas une menace : ils regardent si tu prends des hormones et quelles sont tes doses, ils observent comment tu te présentes à l’intérieur des murs comme à l’extérieur, à ce pourquoi tu te bats contre eux (combien de fois tu les supplieras à la fenêtre de ta cellule d’isolement pour obtenir un rasoir ?). Ils évaluent aussi comment les autres prisonnièr-e-s réagissent face à toi.

À un moment, un sergent est venu et m’a dit que j’avais dix minutes pour me préparer, que j’allais visiter un bloc. Je résistais en disant qu’on ne m’avait pas encore donné de rasoir, alors ils m’en ont ramené un, mais sans démordre sur les dix minutes. Heureusement, comme ça faisait maintenant un mois que j’étais à l’intérieur, des gens m’avaient envoyé de l’argent, donc j’avais déjà pu me procurer du maquillage à la cantine. Je me suis donc précipitée avec le rasoir merdique et j’ai réussi à appliquer du fond de teint sur les coupures avant que ne soient revenus les matons pour m’emmener dans un bloc avec trente autres prisonnièr-e-s.

Je n’ai jamais vécu quoique ce soit de semblable au fait d’entrer pour la première fois dans un nouveau bloc. La seule chose qui change en prison d’un jour à l’autre, c’est les gens, donc tous le monde se scrute les un-e-s les autres et les nouvelles personnes sont de vraies curiosités. Tu dois te rendre inintéressant-e, mais évidemment les gardiens m’avaient amené là pour qu’on parle de moi. Je n’ai passé que quelques minutes dans le bloc durant ma «visite». Quelques personnes m’ont parlé, tout le monde m’a regardé et on m’a sorti à nouveau. C’était profondément gênant. J’ai réussi le test, c’est ce qu’on m’a expliqué plus tard, et ça avait à voir avec le son de ma voix, si je pratiquais le tucking, ce à quoi je ressemblais et comment je bougeais. J’ai une petite corpulence et on m’a dit que ça a aussi aidé. Les prisonnièr-e-s avec lesquel-le-s les gardiens parlèrent se trouvaient d’accord pour dire que j’étais «vraie», alors on m’a bougé dans ce bloc le soir-même.

J’ai entendu beaucoup d’histoires à propos de «fausses» femmes trans, expression qui peut signifier que des femmes trans n’ont pas un bon passing, mais la plupart du temps ça désigne celles qui n’en font pas l’effort. J’ai entendu mes co-détenu-es décrire des agressions ou des avances de la part de femmes trans alors qu’elles étaient à l’intérieur. Je n’ai aucune raison de douter de leurs expériences, car on a passé des mois ensemble et on a fini par se connaître assez bien. Un certain nombre de personnes qui m’ont raconté ces faits étaient aussi les plus accueillante-s avec moi, personnellement. Il semblerait que ce mépris pour les «fausses» femmes trans était proportionnel avec combien mes co-détenues pensaient que les «vraies» devaient être incluses.

Les «vraies» femmes trans ne se battent pas, ne crient pas avec des voix masculines, ne font pas de pompes et ne draguent pas d’autres femmes; à l’inverse, les «fausses» femmes trans aiment tyranniser les autres, font monter leur voix dans les aiguës sauf si ça peut servir à intimider, ne veulent pas d’un corps féminin et leur sexualité est celle d’un homme hétéro. Ça me fait ressentir un truc dégueulasse de répéter ce discours qui fait écho à la pire propagande antitrans. Pourtant, je pense que dans le contexte de la prison, c’était aussi une façon pour ces gens, dont je sais qu’elles ne détestent pas les femmes trans, d’essayer de se protéger les unes les autres.

La distinction entre «vraie» et «fausse» est encore plus bidon que le genre lui-même, mais je veux assumer la manière dont j’y ai participé. Au début d’une période d’un an et demi, dans laquelle j’ai fait trois passages en taule, je suis passée de non-binaire féminin à faire de mon mieux pour avoir un bon passing de femme. Par certains aspects, ce processus s’est avéré très satisfaisant et peut-être que j’aurais fini par le faire de toute façon. Par d’autres, une bonne partie de ma motivation était de ne pas avoir à passer des mois et des mois en isolement. Je comprends encore mon identité de genre comme étant – par essence – imposée, et je m’efforce encore d’avoir un bon passing, même si ça fait maintenant presque un an que j’ai entendu pour la dernière fois la porte d’une cellule se refermer derrière moi.

Ceci dit, je ne pense pas que ce soit un problème d’attitudes individuelles – pas les miennes, pas celles de mes co-détenu-e-s, pas même celles des gardiens-. Je pense que la compréhension progressiste et purement positive du genre est fausse et nuisible, ce que l’adoption par le système carcéral de l’auto-identification du genre a rendu encore plus évident. Je compte développer plus ce point, mais j’y reviendrai plus tard, car je veux d’abord vous raconter une histoire que j’ai entendue à l’intérieur.

Quand identité signifie accès

L’État a une règle selon laquelle il doit fournir des repas répondant aux régimes alimentaires religieux, parmi lesquels le plus compliqué est le kasher, puisqu’il ne s’agit pas que de remplacer une chose par une autre. Donc, les prisons de l’Ontario ont signé un contrat avec une entreprise privée pour les repas kasher, qui sont souvent d’une qualité bien meilleure que les repas standards. Ça fait que les prisonniers essayent constamment de convaincre l’institution qu’iels sont juifve-s, de façon à accéder à de la meilleure nourriture. Les prisons sont alors dans un rôle de contrôle de l’identité juive et fabriquent toute sorte d’obstacles pour celleux qui essayent sincèrement d’observer des règles religieuses.

J’ai entendu récemment qu’un bloc de la prison pour hommes adjacente avait essayé de régler ce problème une fois pour toute en déposant une plainte pour
violation des droits de l’homme concernant l’accès aux repas kasher. Ils soutenaient que les règles alimentaires suivies par les personnes juives sont
également celles présentées dans les Écritures observées par d’autres religions; il s’ensuit donc que toute personne observant les Écritures Saintes devrait avoir accès à de la nourriture conforme à ces règles. Le tribunal leur a donné raison et, tout d’un coup, des centaines de prisonniers exerçaient leur tout nouveau droit d’accès à de la nourriture kasher. Ça entraîna l’effondrement de l’approvisionnement de repas kasher (ou du moins de la ligne budgétaire
correspondante), ce qui a eu pour conséquence que la plupart des prisonniers juifs furent poussés à prendre le régime vegan, puisque les repas kasher se
raréfiaient.

Je ne sais pas si cette histoire est vraie. Je ne peux en retrouver aucune trace sur google. Mais j’ai été témoin, autant en tant que prisonnière qu’en tant que personne solidaire, de plusieurs moments de lutte de prisonnièr-e déclenchés au Canada dont la revendication pour l’accès à une meilleure nourriture pour tou-tes tenait lieu de poudrière. Même si cette histoire n’est qu’une fable, elle souligne certaines dynamiques sur la façon dont le changement – sur des bases d’identité – se produit.

Le système carcérale a été obligé d’accepter une définition élargie d’une classe reconnue de personnes et, de ce fait, de fournir un ajustement lié à cette classe, à plus de prisonniers. Autant le système que les prisonniers comprirent cette ajustement comme un privilège dont l’obtention représentait une amélioration des conditions de vie des prisonniers, aussi bien qu’une obligation financière accrue pour l’institution. La prison a alors refourgué ce fardeau à un autre groupe  de prisonniers (ici, les prisonniers juifs pratiquants dans leur vie hors murs) tout en essayant de limiter l’accès à l’ajustement (ou au privilège) sur une base différente, plutôt que de remettre en cause l’identité de qui que ce soit.

Vous aurez sans doute deviné où je veux en venir, mais laissez-moi le développer. Le système nécessite d’étendre son contrôle sur le genre pour tenir compte de l’auto-identification, ce qui entraîne une augmentation du nombre de personnes assignées homme à la naissance placées en prison pour femmes (6). Il crée également un chemin plus facile pour quiconque voudrait bouger d’une prison pour hommes vers une prison pour femmes. Les conditions dans les deux établissements sont différentes, comme je l’ai expliqué plus haut, et cette différence se fonde sur la réduction ou la gestion de la violence à laquelle font face les personnes que le système considère comme femmes.

La violence dans les prisons pour hommes, en Ontario comme ailleurs, peut être intense, ce qui fait que beaucoup de gens ont leurs raisons de vouloir y échapper, pas seulement les femmes trans. Les prisons pour hommes essayent de répondre à ce besoin (parce que la prison a du mal à dissimuler les visites à l’hôpital, tout comme les cadavres et les bébés) avec la Détention protégée (DP) , ce qui revient plus ou moins au même que la Population générale (PG), à la différence que toutes les personnes qui s’y trouvent ne se sentaient pas en sécurité dans un bloc normal (7). Beaucoup de queers finissent en DP, mais c’est aussi l’endroit où finissent les personnes accusées de crimes d’ordre sexuel ou de violence contre des enfants, tout comme les personnes qui ont trop de conflits, qui sont dans le mauvais gang, qui ont une mauvaise réputation, qui étaient dans les forces de l’ordre…

L’admission en DP est volontaire, les prisonniers doivent juste en faire la demande, mais une fois que tu es en DP, c’est la plupart du temps impossible de revenir sur ce choix. Au fil du temps, il en résulte que le nombre de prisonniers en DP et en PG se ressemble de plus en plus, tout comme leurs niveaux de violence. Alors où va-t-on pour échapper à la violence de la DP ? Il y a eu un développement de nouvelles formes d’isolement ces dernières années (8). De plus en plus de queers se retrouvaient à purger la totalité de leur peine en isolement, ce qui ne fait qu’aggraver le problème préexistant de surpopulation dans les prisons en Ontario. Les unités d’isolement ne peuvent la plupart du temps pas être aussi densément peuplées, et le système carcéral veut disposer de l’espace à sa discrétion. Les personnes trans, en particulier, finissent la plupart du temps seul-e en cellule, au lieu de deux ou trois personnes par cellule comme pour d’autres.

Déplacer les personnes trans vers un autre établissement où iels seraient placé-e-s dans un bloc normal est donc une réponse partielle à la surpopulation. Ça signifie aussi que s’identifier comme trans donne à des prisonnièr-e-s, qui ne se seraient peut-être pas identifié-e-s comme trans autrement, une option additionnelle pour échapper au choix entre violence et isolement. Je crois que peu de gens agissent ainsi de façon tout à fait cynique et que pour beaucoup, ça ressemble plutôt à mon processus à moi de transition de non-binaire vers une présentation qui correspond à l’idée que se fait la prison (et la société en générale) d’une «vraie» femme (trans). Aussi, la violence carcérale s’abat de façon disproportionnée sur celleux dont la santé mentale les rend incapables de se conformer à l’environnement social rigide, qui est lui-même une réponse à la surpopulation et à l’incarcération elle-même (9).

La pression pour s’identifier à un genre auprès de la prison commence de plus en plus à ressembler à la pression pour s’identifier devant un flic qui t’arrête. C’est une invitation à participer à ce que le processus de contrôle de ton corps se passe en douceur sans trop te blesser. Je me souviens que quand je pleurais dans la salle d’admission, ce n’était pas que je refusais encore de leur dire quelles cases cocher, mais que je n’avais juste pas le bon type de réponses. Finalement, j’en arrivais à une réponse qui me fit obtenir ce dont j’avais besoin à la fin de cette très longue journée – un lieu sûr où dormir (10).

J’avoue que certains s’identifient comme trans cyniquement, tout comme ces prisonniers qui se battent pour être identifié-e-s comme des «gens du Livre» afin d’avoir accès aux repas kashers de meilleure qualité. Mais c’est une très petite minorité. Néanmoins, la prison pour femmes vient jouer un rôle de «super DP» dans le système carcéral global.

Toujours contre la prison

J’ai passé beaucoup de temps à discuter de ce sujet avec d’autres prisonnièr-e-s, aussi bien cis que trans. Peut-être que ce n’est pas un problème que la prison pour femmes soit également une super DP. La coercition et la violence font partie de l’identité de toute façon, donc c’est peut-être dans la culture entre prisonnier-e-s dans les prisons pour femmes qu’il faut gérer ce changement. C’est ça l’idéal progressiste, non ? Que des dirigeants éclairés décident des droits des gens et que l’exigence de respecter ces droits constitue l’unique limitation à notre liberté? Parce que l’oppression n’est qu’une question de comportement individuel, non ? Donc, heureusement que le système carcéral a collé des posters Personne Gingenre™ dans toutes les blocs de la prison pour femmes, de façon à ce que les prisonnièr-e-s puissent s’éduquer et préserver cet endroit comme un lieu sûr (11). Je ne plaisante pas; c’est vraiment là, juste à côté de l’imprimé obligatoire de nos droits, une douzaine de pages sous un panneau en plastique, et dont la typographie est si petite que ça en est illisible.

Toute personne qui se soucie de l’inclusion des trans, qui a pu lutter dans les campagnes que l’État vient de récupérer et de régurgiter sous la forme du projet de loi C-16, devrait examiner honnêtement ce que fait le système carcéral de leur projet. Le voir sous cette forme grotesque devrait ébranler notre analyse du genre et de l’inclusion de façon à la rendre plus riche et nuancée. Parce que l’autoidentification comme base d’inclusion en prison est intenable. Quand il y aura une réaction anti-trans au niveau législatif, on ne manquera pas d’histoires d’horreur venant de la taule pour alimenter l’indignation.

Et c’est pas du fait que certaines meufs trans sont «fausses», ni parce que certaines meufs trans reproduisent un comportement prédateur, qu’ont certaines prisonnières cis aussi. Il est évident que c’est injuste de tenir responsable un groupe entier de personnes pour les choses merdiques que font quelques individus de ce groupe. La réaction viendra parce qu’il ne suffit absolument pas de coller au système carcéral une vision positive de l’identité de genre. Il me semble important qu’il y ait une critique du projet de loi C-16 et de sa mise en œuvre qui provient de queers et de personnes porteuses d’un projet d’émancipation – et pas seulement d’opportunistes qui haïssent les personnes trans, comme Jordan Peterson (prof canadien devenu philosophe de droite). Je ne considère pas l’État comme un agent de changement social positif, mais même celleux d’entre vous qui le voient ainsi devraient se demander s’il n’existe rien à critiquer du projet de loi C-16, comme si Trudeau (le premier ministre canadien) avait tapé dans le mille du premier coup.

Pour celleux en-dehors du Canada, peut-être que voir comment l’inclusion trans progressiste s’est jouée ici s’avérerait utile pour éviter les écueils dans lesquels nous avons échoués. C’est un autre sujet, mais une analyse de comment s’est joué l’inclusion trans dans le milieu brutal de la prison pourrait bien révéler certaines faiblesses dans l’auto-identification comme base du genre ailleurs.

Le système carcéral pourrait réagir de différentes manières face à ces contradictions, mais d’abord une petite histoire : il y a eu quelques gardien-ne-s queers avec lesquels j’ai interagi dans la prison pour femmes. L’une était une femme trans qui, en me fouillant au corps, m’a dit «On a eu de grands progrès ces dernières années, les choses s’améliorent.» Mais celui avec qui j’ai interagi le plus régulièrement travaillait dans mon bloc et se montrait assez amical avec moi. Un jour, il brutalisa une de mes amies en vidant une bombe au poivre dans ses yeux à quelques centimètres de distance tandis qu’un autre gardien la maintenait au sol. On lui donna un sale surnom en référence à cet événement, et il se plaignit auprès de la direction afin que nous arrêtions de le «harceler». Plus tard il a eu une mammectomie, et me l’annonça avec enthousiasme pendant que je faisais la queue pour les médocs, et je regrette d’avoir alors fini par l’en féliciter.

Une des premières façons dont le système pourrait réagir serait de mettre les bouchées doubles dans l’amélioration de son projet d’inclusion, peaufinant ses politiques trans et résolvant les problèmes en cours. J’espère que des histoires comme celle-ci pourront aider à nous convaincre que leurs efforts en ce sens ne répondent en rien à nos besoins. Je m’en fiche de l’identité de genre du gardien qui me brutalise, de la même façon que leurs ajustements pour mon identité de genre ne m’ont pas rendue plus libre (12). De plus, le système carcéral pourrait se replier sur ses origines en appliquant un modèle de contrôle par la séparation. On entend beaucoup parler d’une unité spéciale pour les queers, voire même d’un établissement séparé. Le statut des personnes queers ne serait plus à mi-chemin entre la prison pour hommes et celle pour femmes, mais entre la prison ‘normale’ et la prison psychiatrique, ce qui constitue déjà la façon dont le système gère les formes de déviances qu’on ne peut nous reprocher. Nous devrions nous opposer à ça, tout comme nous nous opposons à tout développement du système carcéral.

En tant qu’anarchiste, je suis bien entendu contre toutes les prisons et je ne vais pas offrir de suggestions de politique. J’écris peu de temps après le meurtre de George Floyd par la police de Minneapolis et après l’énorme rébellion qui s’en est suivie, à un moment où les critiques contre la police et la prison se sont propagées comme je n’aurais jamais pensé le voir. Ça m’a motivé à enfin finir ce texte plutôt que de continuer à me trimbaler ces expériences à l’intérieur, parce que je pense que les espaces féministes et queers pourraient faire plus pour construire une hostilité envers les flics et les prisons, à leurs manières. Je vis pour voir le jour où tou-te-s celleux dont la vie a été impactée par la prison se rassembleront pour les détruire, et laisser le champ libre aux pigeons et à la pluie. Nous planterons des arbres fruitiers sur leurs ruines et nous ferons un feu de joie des uniformes de prisonnier et de gardien. Je sais que la fumée emportera avec elle certains aspects du cauchemar genré dans lequel nous vivons tou-te-s, autant à l’intérieur qu’à l’extérieur des murs.

Postscriptum : Ça fait quatre mois que la parution de la version anglaise de ce texte est sortie, et je veux y ajouter un petit mot pour l’occasion de sa traduction vers le français. Si je n’ai guère traité de la race dans ce texte, c’est parce que j’hésitais à raconter des histoires qui ne sont pas les miennes ou d’en faire une analyse à la noix. J’aurais dû trouver la manière d’en parler, mais mieux vaut tard que jamais. Je n’ai rencontré aucune autre femme trans blanche en prison, elles étaient toutes noires ou autochtones, et j’avais beaucoup moins d’ennuis qu’elles. Elles finissaient presque systématiquement en DP ou restaient en isolement. Impossible de savoir dans quelle mesure c’était dû au niveau de soutien extérieur dont j’ai profité en tant que prisonnière anarchiste; mais le fait est que si toutes les femmes trans ont plus de chances de vivre dans la misère et de finir en taule, c’est autrement plus dur pour les femmes trans racisées.

Comme je l’ai expliqué plus haut, il est nécessaire d’avoir un bon passing pour sortir d’isolement et de se faire accepter par les autres prisonnières aussi bien que par le système. Des féministes racisées ont démontré que les standards de beauté sont blancs, et on pourrait en dire autant pour le passing, qui nous demande (le plus souvent) de jouer sur des notions de féminité stéréotypées. Si, dans les sociétés canadienne et française, on dressait le portrait de ce qu’est une vraie femme, belle et élégante, respectable, ce serait sans doute celui d’une femme blanche.

Pour avoir un bon passing, la couleur de ma peau me facilite beaucoup la tâche, au moins autant que ma petite corpulence. Le système carcéral a décidé que j’étais une «vraie» femme trans qui ne méritait pas une expérience de violence accrue, pour les mêmes raisons que la société accepte que je bosse dans le service aux clients. Ce sont des boulots de merde, mais c’est encore pire de ne pas pouvoir obtenir un boulot de merde quand on en a besoin. Dans ces deux cas, la race vient jouer avec l’identité de genre et faire que les politiques d’inclusion ne sont que pour certains. Ce qui n’est nullement un argument pour une meilleure inclusion, mais pour la nécessité de la critiquer et de concevoir une autre manière de penser le problème.

Galérer davantage en taule -comme économiquement- fait que le cycle de traumatisme, d’instabilité et de criminalisation se répète de plus belle en dehors des murs. La régulation du genre par la prison nuit à tout le monde, mais pas de la même manière. Ce n’est pas nouveau de dire que la prison réserve un traitement différencié selon la race, mais la race entre également dans la reproduction du genre à l’intérieur des murs au moment du tri des corps. Dans ce texte je voulais insister sur la violence de l’inclusion non pas pour minimiser la violence de l’exclusion, mais pour réfuter l’idée progressiste que l’inclusion est la réponse à l’exclusion. L’expérience des prisonnièr-e-s trans n’est qu’un énième exemple qui montre que ce ne sont que les deux faces d’une même
pièce.

Anonyme
Été 2020

Ce texte se veut un point de départ et j’espère que d’autres personnes l’étofferont. Il n’est pas signé, même si je sais bien qu’il n’est pas très anonyme. Si tu veux me contacter pour me faire des retours, c’est possible (en anglais et en français) à l’adresse de la brochure.

Traduction depuis l’anglais
Juillet 2023
Pour recevoir la brochure ou pour toute correction, remarque, critique : atropa@mortemale.org

Notes :

1) Voici un résumé du projet de loi C-16, comme il apparaît présenté dans la proposition de loi : « Le texte modifie la Loi canadienne sur les droits de la
personne afin d’ajouter l’identité de genre et l’expression de genre à la liste des motifs de distinction illicite. Il modifie également le Code criminel afin d’étendre la protection contre la propagande haineuse prévue par cette loi à toute section du public qui se différencie des autres par l’identité ou l’expression de genre et de clairement prévoir que les éléments de preuve établissant qu’une infraction est motivée par des préjugés ou de la haine fondés sur l’identité ou l’expression de genre constituent une circonstance aggravante que le tribunal doit prendre en compte lorsqu’il détermine la peine à infliger. »
https://www.parl.ca/DocumentViewer/fr/42-1/projet-loi/C-16/premiere-lecture?
col=2

2) Mon vécu n’est pas le même que tou-te-s, je ne peux m’exprimer pour le vécu de tou-te-s les personnes trans. Quelques notes me concernant pour aider à
contextualiser :
– Je suis blanche et je ne fais donc pas face au même niveau de criminalisation dans ma vie quotidienne, ni au même niveau d’hostilité au sein du système
carcéral. Les prisonnièr-e-s trans noir-e-s et autochtones avec lesquels j’ai interagi ont souvent fait face à bien plus de violence et de refus autour de leur
identité de la part du système carcéral que ce que j’ai pu connaître, ce qui est logique puisqu’iels subissent également plus de violence et d’exclusion à
l’extérieur.
– Je n’ai jamais été à l’intérieur pour autre chose que de l’activité anarchiste, c’est donc une énorme différence en terme d’expérience par rapport à quasiment toutes les personnes que j’ai pu rencontrer à l’intérieur, et je reçois bien plus de soutien extérieur. J’ai été incarcéré-e en 5 occasions séparées qui, accumulées, équivalent à à peu près un an, ce qui est long sous certains aspects, mais ce qui ne l’est pas du tout comparé à un bon nombre de personnes.
– À savoir aussi que les hommes trans sont dans une position différente relative à ce que je décris dans ce texte. Les hommes trans à qui j’ai parlé ont dû choisir entre arrêter de prendre de la testostérone ou rester en isolement, donc la question de l’inclusion n’est pas la même pour eux.

3) Je ne blâme pas les prisonnièr-e-s de mes mauvaises expériences autant que je blâme l’institution déshumanisante qui expose toute différence à une telle
pression intense.

4) Au-delà de l’élément de l’identité, je n’aurais pas l’analyse que j’ai de la prison sans les écrits et l’exemple des radicaux noirs. Lire Assata Shakur, George Jackson et Kuwasi Balagoon dans la prison des hommes, et en discuter avec d’autres prisonnier-e-s a été assez formateur pour moi.

5) Bien que je comprenne pourquoi ce cadre existe, insister sur le fait que « les femmes trans sont des femmes » est trop simpliste. La plupart d’entre nous avons grandi avec des privilèges masculins et nous ne comprenons pas ce que ça signifie d’être produit comme femme depuis la naissance ; de même, l’exclusion et la violence auxquelles les femmes trans font face dans la société ne sont pas les mêmes que celles auxquelles les femmes cis font face.  Personne ne prétend que les femmes cis comprennent l’expérience d’une femme trans juste parce que « nous sommes toutes des femmes ». On n’a pas besoin de débattre si une forme de violence est pire qu’une autre, il suffit de dire qu’elles sont différentes. La différence ne veut pas dire que l’inclusion n’a pas lieu d’être (je ne vous demande pas d’attendre de rentrer chez vous pour pisser). C’est un argumentaire contre le fait de laisser la nécessité de l’inclusion – du fait de besoins similaires de sécurité dans le monde tel qu’il est – nous mener à une idée du genre qui aurait été réduite à ses dimensions positives. De même, il y a une différence entre le fait de s’identifier en tant que quelque chose et le fait d’être identifié ainsi. Que les deux coïncident ou non pour une personne donnée mènera aussi à une expérience de la violence différente. Problématiser des catégories comme homme/femme (ou cis/trans) est certes utile, mais je ne veux pas qu’on aplatisse les choses et qu’on finisse avec une capacité moindre à discuter de nos expériences différentes de la violence systémique.

6) Il y a eu de rares femmes trans dans les établissements pour femmes depuis au moins les années 80, mais la majorité des femmes trans étaient dans les prisons pour hommes.

7) Je sais que toutes ces classifications peuvent porter à confusion pour quelqu’un qui n’a pas fait de taule avant, donc je vais expliquer un peu ici. DP (Protective Custody, PC, en anglais) et PG (General Population, GP) se ressemblent : même emploi du temps, même niveau de surpopulation, même (manque d’)accès à des programmes. C’est pas l’isolement, tu es toujours avec beaucoup d’autres personnes et tu partages toujours une cellule.

8) C’est en parti en réponse aux verdicts de tribunaux canadiens qui limitent la capacité du système carcéral à utiliser l’isolement comme punition.

9) Soyons clairs, les prisons pour femmes ne sont pas un espace safe pour les queers. Par exemple, j’ai pu être témoin de situations où des personnes queers
assignées femmes à la naissance étaient ballottées d’une relation à l’autre avec des femmes cis dures-à-cuire qui vivaient à hétéroland en dehors de la taule. Les personnes queers pensaient au début être dans une espèce de camp d’été gay, mais iels ont fini par se rendre compte qu’iels étaient dans une situation qu’il ne serait pas facile de quitter ou de changer.

10) Cette pression sur l’identité de genre des prisonnièr-e-s n’est pas qu’une question trans. J’ai vu la façon dont les hommes dans les prisons pour hommes
font face à une pression à performer de l’hypermasculinité. De même, la prison pour femmes reproduit les individus comme des victimes sans défense en les
dépouillant de leurs options et de leurs soutiens tout en jouant avec leur trauma. Le genre de presque tout le monde est examiné et changé par la prison. Il y a néanmoins une expérience distincte à celle-là liée au fait d’être trans, et c’est ce qui m’intéresse le plus ici.

11) La Personne Gingenre (en anglais The Genderbread Person) est un outil éducatif sous forme de poster visant à expliquer les différences entre genre, sexe et sexualité, dans le cadre d’une vision extrêmement progressiste du genre. https://www.genderbread.org.

12) C’est d’une ironie étrange que le syndicat des gardiens ait réussi à obtenir l’acceptation de l’identité de genre de leurs travailleurs avant que le système n’en soit arrivé à faire de même pour les prisonnièr-e-s. Il y a eu des femmes trans gardiennes dans les prisons pour femmes bien avant la Bill C-16.

Pour faciliter la distribution, le texte est disponible en PDF, soit en format page par page, soit en cahier.

Pleins feux sur Shawn Beauvais MacDonald, le néonazi de NDG

 Commentaires fermés sur Pleins feux sur Shawn Beauvais MacDonald, le néonazi de NDG
Nov 292023
 

De Montréal Antifasciste

Entre 2017 et aujourd’hui, Montréal Antifasciste a régulièrement mentionné dans ses publications un néonazi local répondant au nom de Shawn Beauvais MacDonald. Nous n’avions toutefois jamais pris le temps de lui consacrer un article complet. Sachant que le principal intéressé n’a jamais remis en question ses convictions sous l’effet de l’attention négative qui lui a été portée, et que le bonhomme continue de traîner sa carcasse – habituellement décorée d’emblèmes néonazis – dans les rues de Montréal, nous avons décidé de corriger cette lacune. Cela est d’autant plus important que nous avons pris connaissance de ses récentes tentatives d’infiltrer les manifestations de solidarité avec la Palestine et d’autres espaces qui devraient pourtant être sûrs, inclusifs et solidaires des groupes et des personnes dont cet individu souhaite la destruction. Car, qu’on le comprenne bien, Beauvais MacDonald est un personnage éminemment raciste, misogyne, homophobe, transphobe et, bien sûr, d’un antisémitisme grossier.

Voici donc un portrait d’un des néonazis les plus visibles et les plus impénitents de la région de Montréal, qui a collaboré d’une manière ou d’une autre à la plupart des projets suprémacistes blancs et néofascistes du Québec de ces dernières années. Cet article a pour objet de démontrer que Beauvais MacDonald n’a rien d’une brebis autrefois égarée, aujourd’hui rentrée dans le droit chemin, mais qu’il reste à ce jour un militant suprémaciste blanc, idéologiquement fanatisé, endurci et irréformable. Nous espérons que ce dossier sera relayé largement, de sorte que ce méprisable individu ne puisse se sentir nulle part à l’aise dans notre ville.

[Note : cet article reprend en partie des renseignements déjà publiés au cours des dernières années.]

Avertissement : cet article contient des éléments de contenu à caractère raciste, misogyne, homophobe, transphobe et antisémite.

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Shawn Beauvais MacDonald (SBM) est d’abord apparu sur notre radar en août 2017, dans la foulée des événements entourant le rassemblement suprémaciste blanc « Unite the Right », à Charlottesville, en Virginie, les 11 et 12 août 2017. Il a vite été identifié parmi les Québécois ayant fait le voyage jusqu’en Virginie pour participer à cette grand-messe de l’Alt-Right nord-américaine, aux côtés notamment de Gabriel Sohier Chaput, alias « Zeiger » (condamné en septembre 2023 à 15 mois de prison pour avoir fomenté la haine des Juifs) et Vincent Bélanger Mercure. On aperçoit d’ailleurs brièvement SBM dans le reportage qu’a consacré Vice News aux participants de « Unite the Right », où on le voit serrer la main du tristement célèbre « nazi pleurnichard », Christopher Cantwell. Rappelons que le 12 août, en après-midi, après plusieurs heures d’affrontements souvent violents entre suprémacistes (néonazis, KKK, etc.) et militant·es antiracistes/antifascistes, James Alex Fields, un néonazi associé au groupe Vanguard America, avait foncé avec sa voiture sur un cortège antiraciste, faisant plusieurs blessé·es graves et tuant la militante Heather Heyer.

Une analyse subséquente des images captées lors de ces événements nous a permis d’apercevoir SBM dans la marche aux flambeaux du 11 août, scandant le slogan antisémite « Jews Will Not Replace Us! » [les juifs ne nous remplaceront pas]. Il est également aperçu, coiffé d’un casque de baseball rouge distinctif, dans les accrochages du lendemain, lors desquels, explique-t-il dans un épisode du podcast Alt-Right américain « Late Night Alt-Right », il a subi une blessure au coude.

Shawn Beauvais MacDonald (à gauche) à Charlottesville, Virginie, le 11 août 2017, avec Gabriel Sohier Chaput (chandail gris), Vincent Bélanger Mercure (chandail Ensemble…) et Christopher Cantwell (à droite).
Shawn Beauvais MacDonald, lors de la marche aux flambeaux du rassemblement suprémaciste blanc « Unite the Right », le 11 août 2017, à Charlottesville, Virginie.
Shawn Beauvais MacDonald, lors de la marche aux flambeaux du rassemblement suprémaciste blanc « Unite the Right », le 11 août 2017, à Charlottesville, Virginie.
Shawn Beauvais MacDonald au rassemblement suprémaciste blanc « Unite the Right », le 12 août 2017, à Charlottesville, Virginie.
Shawn Beauvais MacDonald lors du rassemblement suprémaciste blanc « Unite the Right », le 12 août 2017, à Charlottesville, Virginie.

SBM de toutes les sorties…

Nous l’ignorions encore à ce moment, mais nous avions déjà croisé son chemin à plusieurs reprises au cours des mois précédents. Les enquêtes sur SBM menées après Charlottesville ont révélé qu’il avait été membre actif de La Meute, la formation populiste islamophobe formée quelque temps plus tôt par des vétérans des forces armées canadiennes. Il en avait été pour un temps, semble-t-il, le responsable des médias sociaux anglophones. Il avait notamment participé au baptême de feu de La Meute à Montréal, le 4 mars 2017 (la première d’une série de manifestations islamophobes), où il s’était rendu avec plusieurs autres membres du petit groupe Alt-Right local dont nous n’allions découvrir l’existence qu’un peu plus tard (voir ci-dessous). À cette occasion, s’étant momentanément retrouvé du côté des contre-manifestant·es antiracistes avec un camarade, les deux larrons s’étaient fait montrer le chemin de la sortie à coups de pied au cul après avoir cru pertinent de traiter ces dernier·es de « race traitors » [traîtres à sa race]. Il expliquera par ailleurs à ses congénères nazis que son implication dans La Meute visait principalement à y propager une vision ethnique (raciste) du nationalisme.

Shawn Beauvais MacDonald dans la manifestation de La Meute, à Montréal, le 4 mars 2017.

Dans le salon de discussion du groupe Alt-Right local, Shawn Beauvais MacDonald évoque son rôle au sein de La Meute, en août 2017.

Toujours en 2017, il se rapproche des Soldiers of Odin Québec (SOO), filiale régionale de ce réseau anti-immigration fondé par un néonazi, et de la formation néofasciste Atalante Québec, dont il s’est lié d’amitié avec le leader, Raphaël Lévesque. Il s’entraîne notamment avec les autres membres d’Atalante à leur club de boxe privé, « La Phalange ». Voici quelques exemples, parmi des dizaines, de son implication avec ces groupes au cours de cette période agitée :

  • Le 30 septembre 2017, il est à nouveau aperçu à une manifestation de l’organisation anti-immigration Storm Alliance près du poste frontalier de Saint-Bernard-de-Lacolle.
Shawn Beauvais MacDonald, avec le contingent Atalante/Soldiers of Odin, à Québec, le 25 novembre 2017.
Shawn Beauvais MacDonald, avec le contingent Atalante/Soldiers of Odin, à Québec, le 25 novembre 2017.

En 2018 et 2019, SBM participe à diverses actions de visibilité d’Atalante à Montréal, où la formation fasciste tente sans succès de s’implanter.

  • En décembre 2018, il est identifié dans notre article « Démasquer Atalante » comme étant membre de la section montréalaise de la formation fasciste.
  • Le 30 septembre 2019, il distribue des sandwichs dans le Quartier latin et le Village de Montréal. Quelques membres d’Atalante posent devant la station Berri et tentent d’intimider des clients du bar L’Escalier, sans grand succès.

Toujours en septembre 2019, SBM est nommé, parmi d’autres, dans notre nouvel article « Chasser Atalante  pour qui travaillent les fachos? », qui dévoile ses emplois et son lieu d’étude. Il semble par la suite prendre ses distances d’Atalante, possiblement pour épargner la réputation de Raphaël Lévesque, qui se prépare alors pour son procès dans l’affaire Vice Québec. Il fait néanmoins partie de la garde rapprochée qui accompagne Lévesque à ses comparutions au tribunal.

Shawn Beauvais MacDonald participe à la garde rapprochée de Raphaël Lévesque au Palais de justice de Montréal, à l’automne 2019.

On peut tout à fait imaginer que la présence de SBM ne faisait pas l’unanimité dans les rangs d’Atalante, puisque ce dernier est considéré dans son propre milieu comme un paquet de trouble dont la simple présence sulfureuse met ses camarades dans l’eau chaude. Quoi qu’il en soit, le procès de Lévesque ne se passe pas comme souhaité (l’affaire de l’agression au bar LvlOp de Québec venant assombrir le tableau), et le projet Atalante perd de la vitesse, jusqu’à s’immobiliser sans bruit quelque part durant la période pandémique.

Alt-Right Montréal

À l’hiver 2018, une fuite du salon de discussion « Montreal Storm » du groupe Alt-Right néonazi local (ARM) a mené à la révélation publique de l’identité de Gabriel Sohier Chaput, alias « Zeiger » et de plusieurs autres membres du groupe, dont SBM, qui y participait sous les pseudonymes « Bubonic » et plus tard « FriendlyFash ».

On déduit assez vite de l’analyse de ces discussions que SBM est au cœur du groupe et en est un des militants les plus actifs. Au cours de cette période, il a vraisemblablement participé à des campagnes d’affichage et de collage de matériel néonazi, notamment des affiches du designer graphique Patrick Gordon Macdonald, alias « Dark Foreigner », un prolifique propagandiste aujourd’hui accusé d’activité terroriste par la justice canadienne. La propagande de « Dark Foreigner » est notamment associée à la réédition du livre Siege, de James Mason, considéré comme la bible des mouvements néonazis contemporains, et à l’activité du réseau néonazi Atomwaffen Division, aujourd’hui reconnue comme organisation terroriste au Canada et dans de nombreuses autres juridictions.

L’un des collants d’inspiration néonazie qui sont apparus à Montréal au moment où les membres du groupe Alt-Right Montréal faisaient des sorties nocturnes. L’image est de « Dark Foreigner ».

SBM fait aussi la promotion du groupuscule identitaire ID Canada (issu des mêmes réseaux Alt-Right et modelé sur l’exemple européen de Génération identitaire et d’autres organisations similaires), qui est conçu par les militants racistes comme un véhicule plus « socialement acceptable » pour promouvoir le nationalisme blanc au Canada. Des collants ID Canada apparaissent notamment dans le quartier Notre-Dame-de-Grâce, où SBM réside.

Sous le couvert de la fausse ironie qui caractérise les forums et babillards de l’Alt-Right extrémiste, SBM tient sur le serveur Discord « Montreal Storm » des propos agressivement racistes, antisémites et misogynes, de la manière la plus décomplexée. Comme pour confirmer sa participation à ce milieu, SBM était déjà sorti le 1er juillet 2017 dans le Vieux-Montréal avec d’autres membres du groupe Alt-Right Montréal, dont le leader présumé, Athanase Zafirov, alias « Date », pour haranguer une manifestation anticolonialiste.

Un échantillon des commentaires racistes et misogynes de Shawn Beauvais Macdonald dans le salon de discussion « Montreal Storm ».
Shawn Beauvais MacDonald avec ses camarades du groupe Alt-Right Montreal, dans le Vieux-Montréal, le 1er juillet 2017.

À la même époque, il est encore présent sur la plateforme Facebook, où il publie d’abord sous son propre nom, puis plus tard, sous le pseudonyme « Hans Grosse », une référence à un pilote renommé de la Lufftwaffe (et à un personnage du jeu vidéo Wolfenstein).

Un échantillon des publications édifiantes de Shawn Beauvais Macdonald sur Facebook en 2017.

Au printemps 2018, après la publication dans The Gazette d’une série d’articles sur Gabriel Sohier Chaput et le groupe Alt-Right Montreal (articles appuyés en grande partie sur le travail d’enquête de militant·es antifascistes), une campagne d’affichage sauvage est organisée dans le quartier NDG pour exposer SBM et son camarade Vincent Bélanger Mercure à la communauté. SBM est aperçu le lendemain en train d’arracher frénétiquement les affiches portant sa photo et ses coordonnées personnelles.

Lors des élections fédérales de 2019, SBM sert de garde du corps au candidat indépendant dans LaSalle-Émard-Verdun, Julien Côté Lussier, un employé d’Immigration Canada qui mène une double vie comme idéologue nationaliste blanc (il est notamment porte-parole d’ID Canada) et éminence grise du milieu Alt-Right local, où on le connaît sous le pseudonyme « Passport ».

Shawn Beauvais MacDonald sert de de garde du corps au candidat nationaliste blanc Julien Côté Lussier, à Verdun, le 19 octobre 2019.

Les années pandémiques

Durant la pandémie de COVID-19, on retrouve SBM sur la plateforme Telegram, où il sévit encore sous le pseudonyme « FriendlyFash ». Au moment d’écrire ces lignes, la « légende » de son profil est « Meine Ehre heißt Treue » [mon honneur s’appelle fidélité], soit la devise des SS. SBM est notamment actif dans le salon de discussion du groupuscule suprémaciste blanc local White Lives Matter Québec (WLM). On le retrouve ainsi avec d’autres membres de ce groupe dans une manifestation anti-mesures sanitaires à Montréal, le 22 janvier 2022.

Shawn Beauvais MacDonald dans la manifestations antisanitaire du 22 janvier 2022, avec d’autres membres du groupe White Lives Matter Québec.

En mars 2022, il discute dans le même clavardoir avec un autre indécrottable nazi, Sylvain Marcoux, au sujet du procès pour incitation à la haine de son ancien camarade Gabriel Sohier Chaput. Il fait aussi la promotion du réseau « Active Club » (AC), l’héritier direct du Rise Above Movement (RAM), affirmant explicitement la nécessité de développer une sorte de club de combat néonazi militant en vue de la guerre raciale à venir. SBM avait d’ailleurs déjà exprimé son soutien au fondateur du RAM et père spirituel des AC, Robert Rundo. Le Frontenac Active Club (section québécoise du réseau) voit d’ailleurs le jour à partir du groupe de discussion WLM Québec… Nous savons que le jeune Raphaël Dinucci, alias « Whitey », qui a sans doute subi l’influence directe de SBM, est aujourd’hui l’administrateur de la chaîne Telegram WLM Québec et un militant principal du Frontenac Active Club.

Shawn Beauvais MacDonald débat avec le néonazi Sylvain Marcoux au sujet de son « ancien chum », Gabriel Sohier Chaput.

Nous n’avons pas la preuve directe de l’implication de SBM dans le projet Frontenac AC, mais il est raisonnable de l’inférer, ne serait-ce que par ses publications passées. Il en est certainement une espèce de « parrain ». Un autre indice de sa participation est survenu le 21 avril 2023, lorsque des autocollants Frontenac AC sont apparus dans le Village de Montréal à la veille d’un événement antifasciste organisé juste à côté. Le soir même de l’événement, SBM a eu l’idée saugrenue de se pointer seul au bar Yer Mad, un établissement bien affiché à l’extrême gauche et proche du milieu antifasciste, sans doute dans le but d’en intimider la clientèle. Au lieu de cela, il en a été sorti sans ménagement par des antifascistes arrivés sur place peu après.

Des collants du Frontenac Active Club ont été collés dans le Village de Montréal en avril 2023, à la veille d’un événement antifasciste organisé à deux rues de là. Nous soupçonnons Shawn Beauvais MacDonald d’avoir participé à cette action.

Récemment…

SBM a régulièrement été croisé dans les rues de Montréal dans les derniers mois, systématiquement affublés de symboles néonazis, dont une épinglette de totenkopf qu’il porte au revers du col de son manteau. Quand il est reconnu, il réagit habituellement par la provocation, profitant de son physique imposant, en faisant des yeux méchants et en roulant des mécaniques comme un décérébré.

Shawn Beauvais MacDonald a fait l’objet de cette publication sur la page Facebook de Montréal Antifasciste en février 2021.
Cette photo de Shawn Beauvais MacDonald nous a été envoyée par un sympathisant le 15 novembre 2023, soit moins de deux semaines avant la publication du présent article.

Récemment, SBM a été aperçu dans des manifestations organisées en solidarité avec la population de Gaza visée par la dernière opération de nettoyage ethnique menée par l’État d’Israël. Il importe de noter qu’il semble s’y présenter seul et marche dans la foule sans interagir avec quiconque, ce qui laisse croire qu’il n’a aucun contact réel avec le mouvement pro-Palestine. C’est dans ce contexte qu’il a notamment publié sur Instagram une longue diatribe antisémite après la manifestation du 13 octobre au centre-ville de Montréal… qu’il a modifié plus tard pour en ôter le passage explicitement raciste à l’égard des arabes. Il a d’ailleurs aussi changé son nom de compte Instagram de « FriendlyFash88 » à « Awakened_amalekite » (référence biblique aux ennemis du peuple israélite), dans la semaine du 20 novembre, c’est-à-dire tout récemment. (Il conserve toutefois le pseudo « FriendlyFash » sur Telegram, auquel il a acollé un icône nazi dans les derniers jours.)

Shawn Beauvais MacDonald a publié une diatribe antisémite sur son compte Instagram le 14 octobre 2023, au lendemain d’une manifestation de solidarité avec la Palestine. Notons qu’il a pris le temps d’éditer son commentaire pour en retirer un passage raciste et arabophobe.
Shawn Beauvais MacDonald a changé le nom de son compte Instagram dans la semaine du 20 novembre, soit environ une semaine avant la publication du présent article.
Shawn Beauvais MacDonald conserve le pseudo « FriendlyFash » sur Telegram, qu’il agrémenté d’un logo nazi dans les jours précédant la publication du présent article.

Il a été vu à nouveau dans la manifestation du 4 novembre, et cette fois-ci le service d’ordre de la manifestation l’en a expulsé à l’instigation de camarades antiracistes. Il a été vu et confronté à nouveau le 11 novembre, puis perdu de vue dans la foule. C’est en partie pour cette raison que nous avons voulu produire le présent article : pour communiquer à la communauté élargie et aux forces vives du  mouvement de solidarité avec la Palestine l’intention de ce néonazi d’infiltrer leurs rangs. Il est hors de question que l’on permette aux adversaires du mouvement d’exploiter la présence de ce bozo isolé pour diaboliser le mouvement en entier. Il doit être expulsé sur-le-champ, et systématiquement, à chaque tentative d’infiltration des espaces de solidarité avec la Palestine.

Soyons parfaitement clairs : Shawn Beauvais-Macdonald est un suprémaciste blanc et un néonazi, jusqu’à ce jour. Il se fait encore voir en public orné de symboles néonazis; il n’est donc absolument pas raisonnable de croire qu’il est réformé, et toute prétention en ce sens devrait se heurter à une fin de non-recevoir. Il ne peut et ne doit être toléré dans aucun espace inclusif.

Multiplions les tracasseries…

Depuis qu’il est apparu sur le radar de la communauté antifasciste montréalaise, SBM a connu une série de revers et de désagréments. Il a d’abord perdu des emplois quand sa participation aux manifestations de Charlottesville a été révélée. Des affiches exposant ses activités ont été posées dans son quartier, il a reçu la visite d’antifascistes à son domicile (2045 rue Elmhurst, Notre-Dame-de-Grâce), puis des tracts le dénonçant ont été distribués au Centre intégré de mécanique, de métallurgie et d’électricité (CIMME), où il a été brièvement inscrit en 2019.

Shawn Beauvais MacDonald a reçu la visite d’antifascistes à son domicile en 2018; le drapeau nazi qui lui servait de rideau de salle de bain lui a été confisqué.
Ces tracts présentant Shawn Beauvais MacDonald ont été distribué au Centre intégré de mécanique, de métallurgie et d’électricité (CIMME), où il a été brièvement inscrit en 2019.

Actuellement, nous savons que SBM s’entraîne régulièrement au Nautilus Plus de LaSalle (il fréquentait auparavant le Nautilus Plus du centre-ville). Des sympathisant·es nous communiquent régulièrement des renseignements à son sujet, notamment sur les lignes de bus où il est régulièrement aperçu. Nous n’avons bien sûr pas l’intention de le laisser tranquille. Si vous avez d’autres renseignements utiles à nous communiquer, notamment sur l’emploi actuel de Shawn Beauvais MacDonald, n’hésitez pas à nous joindre à alerta-mtl@riseup.net.

Pas de fachos dans nos quartiers, pas de quartiers pour les fachos!

Compte-rendu de la contre-manifestation du 21 octobre à la défense de la jeunesse trans

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Nov 272023
 

Soumission anonyme à MTL Contre-info

Samedi le 21 octobre à Montréal, un face-à-face entre une coalition de conservateurs religieux transphobes et une contre-manifestation en défense des jeunes trans prenait place. TL;DR: la défense trans a gagné. 

Cet événement présenté comme une journée d’action pan-canadienne par « 1 Million March for Children », avec le groupe « Ensemble pour protéger nos enfants » (qu’on appellera EPPNE dans la suite du texte) en tête d’affiche du rassemblement à Montréal, se voulait la suite des affrontements du 20 septembre devant l’Université McGill. Cette journée là, une foule surprenamment impressionnante surtout composée de familles musulmanes avec des enfants tenant des pancartes disant « J’appartient à mes parents » en criant des slogans transphobes et des insultes homophobes, avait confronté une contre-manifestation mal préparée et avait réussi à marcher dans le centre-ville de Montréal. Ceci laissant les defenders trans et leur camarades queers et anti-fascistes secoué-es.

EPPNE avait cette fois appelé à une manifestation devant le 600 Fullum, l’adresse du Ministère de l’éducation du Québec, à qui ils adressaient une liste de demandes concernant les curriculums scolaires – ce qui était en fait un prétexte d’exposer leur transphobie sans bornes. On recommande de voir Montréal Antifasciste et P!nk bloc pour des perspectives plus détaillées sur le contexte politique émergeant, incluant l’impact de la guerre au Moyen-Orient (apparemment ceux qui appellent à un génocide peuvent être divisées en ce qui en concerne un autre). Ce compte-rendu met l’accent sur la dimension tactique de ce qu’on a observé le 21.

La manifestation de EPPNE était appelée pour 11h, et la contre-manifestation pour 10h, avec l’intention d’occuper l’endroit en premier. Comme on aurait pu le prédire, un petit groupe dédié a dû arriver vers à peine 8h pour nous permettre d’occuper la rue devant le 600 Fullum et de laisser aux organisateurs d’EPPNE, arrivés à 8h15, seulement un petit bout de gazon entre le côté sud du building et la piste cyclable qui longe l’autoroute. Une douzaine de policiers étaient déjà sur place et avaient délimité un périmètre dans le cul-de-sac à la fin de Fullum avec du ruban, pour créer une zone tampon entre les deux groupes. Ils ont informé les contre-manifestant-es que de traverser le ruban serait considéré un acte criminel. 

Si on s’était réuni-es devant les bureaux du Ministère de l’éducation, ce n’était par pour défende ce système d’éducation qui, en règle générale, veut faire des enfants, de tous les genres et orientations sexuelles, des sujets dociles pour le projet colonialiste capitaliste, et des citoyen-nes obéissant-es face à l’autorité, des travailleurs et des consommateurs ayant le droit de poser quelques questions mais pas trop. Au contraire, on visait à occuper l’espace où les transphobes voulaient s’installer pour leur refuser la visibilité qu’ils veulent et démontrer que nous serons sur leur chemin peu importe où ils tentent s’organiser publiquement. 

Les deux côtés sont arrivés à une scène qui avait été couverte de graffitis antifascistes, pro-trans et pro-Palestine la nuit précédente, avec l’édifice du Ministère, la machinerie lourde et les murs à côté couverts de tags tels que « YOUTH LIBER(A)TION [&] TRANS LIBER(A)TION NOW!”, “Dykes for Palestine” et “Fuck transphobes”. Avec l’installation rapide de cinq tentes à auvent directement devant le 600 Fullum, servant de point de réunion logistique et d’abris de la pluie pour les contre-manifestant-es, il ne pouvait être plus clair qui était en contrôle de l’espace que les transphobes voulaient occuper, et que notre lutte dépasse la défense libérale d’un ordre social tolérant.

Nos nombres ont augmenté graduellement, puis rapidement à l’approche de 10h. L’arrivée d’un camion de son (quelques speakers puissants attachés à un pickup) ont aidé à créer une atmosphère festive. Les camarades arrivant étaient assigné-es à une ou l’autre des unités mobiles, chacune ayant un code de couleur ; rose et noir (les personnes à mobilité réduite ou qui le souhaitaient pouvaient aussi rester au point de réunion). 

En ce qui concerne les caméras des médias de masse: un cameraman de CTV News a été aperçu se promenant à travers la foule devant le 600 Fullum, filmant des contre-manifestant-es de très près. Les guidelines publiées avant le 21 encourageaient les participant-es à porter des masques et à surveiller les médias de masse et les livestreamers, mais nous n’avions pas planifié de nous assurer que les journalistes ne puissent pas explorer nos infrastructures, dans des lieux où certain-es pourraient avoir des conversations privées ou enlever leur masque pour manger ou boire. Des camarades ont pris l’initiative de confronter l’équipe de CTV et de physiquement les escorter hors de notre foule après qu’ils aient refusé nos demandes verbales de quitter. Bien que des bannières et des parapluies peuvent fonctionner contre des médias approchant une ligne solide, nous devons aussi pouvoir repousser ceux qui font leur chemin à travers notre foule, notamment dans les lieux où nous accueillons les nouvelles personnes arrivant. Nous pensons qu’une équipe dédiée à ce travail serait la meilleur approche dans le futur.

Autour de 9h30, l’unité rose s’était déplacée vers le nord sur Fullum pour bloquer la rue en haut du bloc, juste au sud de Sainte-Catherine. Iels allaient maintenir cette position en laissant les nouvelles personnes se joindre à la contre-manifestation et en bloquant l’accès aux transphobes, et ce pour le restant de l’action. Puisque cette intersection était le principal point d’accès pour toute personne arrivant du métro Papineau ou des stationnements sur rue un peu plus haut, le blocage de l’unité rose a permis avec succès de détourner un bon nombre de manifestants anti-trans, qui ont quitté en pensant que la manifestation de EPPNE avait été annulée ou complètement submergée par la contre-manifestation.

Un peu après 11h, l’unité noire a tenté de contourner les lignes policières qui protégeaient les anti-trans au bas de Fullum. Après avoir tourné à gauche sur Sainte-Catherine, il y a eu une altercation avec un fasciste solitaire portant un t-shirt « Kill All Pedophiles », qui a fini par terre. L’unité noire, d’une centaine de personnes protégées par plusieurs bannières de côté, s’est déplacée à l’ouest sur deux blocs, puis a tourné vers le sud sur De Lorimier, avant d’être empêchée de tourner à l’est sur René-Lévesque en direction des EPPNE par une ligne de policiers anti-émeute. Durant 45 minutes, iels ont occupé l’intersection de De Lorimier et René-Lévesque, sans pouvoir s’approcher davantage des transphobes, mais du moins en bloquant un autre accès à partir du métro vers leur point de rencontre, et en bloquant leur possibilité de marcher vers le Village gai et le centre-ville (les organisateurs d’1MM4C avaient appelé à marcher à 13h).

En infériorité numérique d’environ 10 pour 1, sous une pluie constante, étant graduellement encerclés de contre-manifestant-es et voyant leur route de marche vers le centre-ville bloquée, la foule de EPPNE était visiblement démoralisée. Certains ont exprimé leur frustrations sur leur Facebook Lives, disant (et montrant) à leurs spectateurs que notre côté était bien mieux organisé et en leur reprochant de n’être pas venus. Un d’eux a remarqué sur Whatsapp que leur adversaires sont « seulement 0,33% de la population, mais très intelligents et malveillants ». Et on ne peut que le prendre comme un compliment.

À l’approche de midi, l’unité noire a rencontré un groupe de renforts au coin de Sainte-Catherine et De Lorimier, et a commencé à se déplacer encore une fois vers le sud, avec un plan en tête. Rendu à René-Lévesque, un contingent s’est arrêté et a fait face à la ligne de policiers anti-émeute comme plus tôt, les forçant à rester en place, pendant que le reste du groupe, environ 100 personnes, continuait vers le sud avant de couper à l’est entre deux bâtiments. Malgré que ces mouvements soient ralentis par une certaine confusion générale, le SPVM a semblé désemparé pour la première fois de la journée, puisque leur plan de protection des manifestants anti-trans risquait de tomber à l’eau. Des camionnettes de police ont accéléré au coin de rue et une demi-douzaine de policiers anti-émeute se sont approchés, criant au contingent de rebrousser chemin. L’un deux a fait un spectacle de charger son fusil de balles de caoutchouc alors que d’autres brandissaient du poivre de cayenne. Cette intimidation leur a permis de bloquer la foule juste assez longtemps pour que d’autres policiers arrivent et les aident à former une meilleure ligne. Espérons que ces expériences de coordination en rue vont nourrir notre imaginaire tactique et nous aider à être encore mieux préparé-es la prochaine fois.

La carte suivante montre la position finale des transphobes, des contre-manifestant-es et de la police:

Peu après, quand l’unité noire s’est regroupée sur De Lorimier, la nouvelle s’est repandue que le EPPNE avait appelé à la dispersion de leur manifestation, confirmant ainsi leur défaite en ne tentant même pas de marcher et en ayant à expliquer à leur supporteurs comment quitter la zone en sécurité.

Il y avait tellement d’activité des contre-manifestant-es en différents points couvrant plusieurs blocs du quartier, le 21, qu’il serait impossible d’en faire un résumé complet, mais nous voulons remercier spécifiquement celleux qui ont assuré la livraison de nourriture et qui l’ont servie, et tou-tes celleux qui ont tenu des bannières pendant des heures.

Bien que la logique des contre-manifestations nous positionne sur la défensive, notre intuition nous laisse croire que nous pouvons dépasser une position purement réactive – qu’on a quelque chose à gagner – quand on s’organise sur une base de solidarité et qu’on compte sur nous-mêmes, plutôt que sur les médias, la loi ou la police.

À une prochaine fois,
– des anarchistes

Invitation au premier rassemblement international des pratiques anarchistes et antiautoritaires à Tijuana

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Nov 082023
 

Soumission anonyme à MTL Contre-info

Depuis le territoire dominé par l’État mexicain, nous lançons cet appel pour que le premier rassemblement international des pratiques anarchistes et antiautoritaires ait lieu dans les zones frontalières de Tijuana, au Mexique.

Nous organisons le rassemblement qui aura lieu les 25, 26 et 27 janvier 2024, avec pour objectif l’agitation, la solidarité et l’auto-organisation de la rage anarchiste et antiautoritaire contre les frontières entre les territoires, les frontières dans nos esprits et les frontières émotionnelles entre nous en tant qu’individus. Dans le cadre de l’héritage anarchiste de la confrontation, nous n’avons jamais investi d’espoir dans le spectacle politique des élections, ni attendu passivement une quelconque rupture de la part des “masses”, ni espéré l’apparition d’un sujet révolutionnaire clairement défini qui nous tomberait dessus et ferait la révolution ou éveillerait la conscience des patrons, des riches ou de leurs laquais.

Par conséquent, nous invitons tous les collectifs, projets et individus impliqués dans l’édition, la propagande audiovisuelle, la contre-information, le travail anti-prison, et tou.tes celleux qui avancent quotidiennement sur le chemin périlleux de l’anarchisme et de l’anti-autoritarisme – des attaques contre le pouvoir – à envoyer leurs propositions d’ateliers, de discussions, de présentations de livres, de courts-métrages et de documentaires, de performances musicales, d’œuvres théâtrales ou d’autres arts, qui seront diffusés horizontalement, solidairement et auto-organisés dans une offensive contre le pouvoir et ses sbires.

Pour proposer une activité, veuillez nous contacter à l’adresse suivante : encuentroanarquico@riseup.net.

Nous mettrons à jour l’organisation du rassemblement au fur et à mesure que nous confirmerons les activités.

Pour plus d’informations : https://eninpaacf.noblogs.org/

Levée de fonds : https://www.firefund.net/fenipraancof2024

Norman Laforce (1952-2023)

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Nov 042023
 

De Archives révolutionnaires

Le 5 octobre 2023, c’est avec une profonde tristesse que nous avons appris le décès de notre ami et camarade, le militant Norman Laforce (1952-2023). Norman était un ami fidèle, sensible, bienveillant, un camarade dévoué, combatif, prêt à tout donner. C’est en sa mémoire que nous présentons cet article biographique à son sujet : pour que ses engagements ne soient pas oubliés et qu’ils servent d’inspiration aux jeunes générations.

Norman est né dans le quartier populaire de Jacques-Cartier à Longueuil le 25 mars 1952. Mis au monde par le médecin militant Jacques Ferron, il fréquente la même école que Paul et Jacques Rose, futurs membres du Front de libération du Québec (FLQ). Au début des années 1960, la famille de Norman déménage dans l’État New York, d’abord dans un quartier populaire de la métropole puis dans la ville de Corning où il fréquente la Corning Painted Post West High School qu’il délaisse pour travailler. Norman a rapidement été conscient de l’injustice qui fonde notre monde. À l’adolescence, sa réflexion se consolide par la lecture du Rat Subterranean News, un journal contre-culturel adoptant des positions anti-capitalistes, pacifistes et écologistes.

De retour à Montréal, Norman structure de plus en plus sa pensée au contact des mouvements marxistes en pleine ascension. En tant que plombier (et plus tard déménageur), il constate quotidiennement la pauvreté dans les appartements dont il doit s’occuper. D’ailleurs, il fait régulièrement des travaux gratuitement pour ses voisin·e·s pauvres ayant des propriétaires négligents. Norman acquiert ainsi une conviction durable comme quoi le système capitaliste entraîne une lutte des classes qui oppose la bourgeoisie au prolétariat. Dans le but de faire avancer la cause du peuple, Norman s’investit dans les années 1970 au sein du Rassemblement des citoyens de Montréal (RCM), étant même candidat au poste de conseiller municipal à l’élection de 1978.

Au tournant des années 1980, Norman s’intègre de plus en plus à la scène punk et skinhead émergente de Montréal. Il participe à l’organisation de concerts locaux (Genetic Control, SCUM) et de groupes internationaux (dont Angelic Upstarts et Dead Kennedys), assure la sécurité dans les spectacles et compose quelques chansons. En plus de son implication musicale, Norman assume le leadership d’une bande de skinheads d’extrême gauche – les East End Skins – afin de combattre manu militari les groupes fascistes qui apparaissent dans la métropole. C’est ainsi qu’à la fin des années 1980 et au début des années 1990, Norman devient un des piliers de la lutte anti-fasciste à Montréal. Il mène ce combat avec succès, notamment contre l’éphémère section montréalaise du KKK dirigée par Michel Larocque. Grâce à ses nombreuses contributions à la scène musicale et au combat anti-fasciste, Norman continuera d’entretenir de forts liens de camaraderie avec les Red and Anarchist Skinheads (RASH) de Montréal et d’ailleurs. Il est salué personnellement par Roddy Moreno, chanteur de The Oppressed, lors du passage du groupe à Montréal en décembre 2021.

De gauche à droite : Norman Laforce en 2019, vers 1982 et en 2022.

Norman contribue aussi grandement aux luttes des locataires des années 1990 jusqu’à son décès en 2023. Il est membre du Comité logement Ville-Marie où il intègre le conseil d’administration de 2012 à 2014, et participe au POPIR Comité Logement dont il est vice-président en 2016, tout en écrivant pour son journal Le Canal. Il s’implique en sus au Regroupement des comités logement et associations de locataires du Québec (RCLALQ), au Comité logement du Plateau Mont-Royal, au Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU) dont il est président aussi en 2016 et, enfin, au Regroupement information logement (RIL). Installé dans Pointe-Saint-Charles depuis 2013, Norman participe aux mobilisations pour que la communauté récupère les terrains et la bâtisse qui deviendront le Bâtiment 7 (B7). Lorsque nous obtenons gain de cause en 2017, Norman poursuit son implication dans les différents cercles du B7, à l’épicerie communautaire Le Détour et au regroupement Action-Gardien. Ces dernières années, il était au cœur du grand projet communautaire qu’est le B7.

Au fil du temps, Norman évolue du marxisme à l’anarchisme « lutte de classes » qu’il découvre dans les années 1980 grâce au livre L’anarchisme (Daniel Guérin, 1965). Norman s’investit beaucoup dans le mouvement montréalais, faisant régulièrement des permanences à la librairie L’Insoumise puis à la Bibliothèque DIRA (toutes deux situées sur la rue Saint-Laurent). Il assume deux mandats comme membre du conseil d’administration de l’Association des espèces d’espaces libres et imaginaires (AEELI) qui gère le bâtiment abritant ces deux « institutions ». Norman donne des ateliers lors de plusieurs Salons du livre anarchiste de Montréal et aide diverses initiatives militantes révolutionnaires. Il mène plusieurs actions conjointement avec la branche montréalaise du Industrial Workers of the World (IWW), dont il devient officiellement membre en 2014.  Pour souligner sa longue implication dans la défense de la classe ouvrière, la branche le nomme « membre à vie » en 2019 ; Norman est la première et seule personne ayant obtenu ce statut honorifique à ce jour.

De gauche à droite : le Bâtiment 7 en deuil, 6 octobre 2023 ; Norman en 2022 ; graffiti-hommage, octobre 2023.

Norman participe aussi à l’Association pour la liberté d’expression (ALE), dont il sera président, qui met sur pied la Commission populaire sur la répression politique (CPRP) en 2014-2015. L’objectif est de documenter et dénoncer les abus policiers, et le projet débouche sur la publication de l’ouvrage collectif Étouffer la dissidence. Vingt-cinq ans de répression politique au Québec (Lux, 2016). En 2017, il cofonde le Collectif d’éducation et de diffusion anarcho-syndicaliste (CÉDAS) qu’il anime jusqu’en 2021, traduisant la brochure La libération queer est une lutte de classe. Dans les dernières années, Norman a consacré beaucoup de temps et d’énergie aux luttes LGBTQ+, notamment à la défense des droits des personnes trans. Peu avant son décès, il a joint le Comité queer de Pointe-Saint-Charles à titre d’homme bisexuel pro-transidentités. Il cherchait toujours une manière de lier les luttes afin qu’ensemble, nous puissions détruire le capitalisme et instaurer une société égalitaire. Enfin, que ce soit contre l’extrême droite, au sujet du logement, pour le 1er Mai (Journée internationale des travailleuses et des travailleurs), pour des actions de désobéissance civile ou contre la répression, Norman a participé à des centaines de manifestations partout au Québec : il était littéralement de tous les combats.

Depuis 2018, Norman a contribué au collectif Archives Révolutionnaires, en achetant des ouvrages pour le collectif, en numérisant des archives et en éclairant nos lanternes sur les luttes passées. Il était plus qu’un compagnon de route pour nous : c’était un véritable ami. La collaboration devait se poursuivre puisque Norman voulait faire des permanences à notre local, mais la mort en aura décidé autrement. Atteint de la maladie de Forestier et d’un cancer, Norman Laforce est décédé le 5 octobre 2023 à Pointe-Saint-Charles. Qu’importe, son esprit revendicateur continuera d’habiter notre projet et nous poursuivrons notre mission de documenter les luttes passées pour dynamiser les luttes actuelles. Longue vie cher ami, c’est maintenant à nous de continuer le combat pour l’égalité.

Palestine : Quelques rappels sur ce que solidarité veut dire

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Nov 022023
 

Soumission anonyme à MTL Contre-info

Les dernières années ont été le théâtre de réflexions intenses et conflictuelles au sein de la gauche radicale concernant la manière d’agir en solidarité avec les groupes marginalisés et opprimés ainsi que sur le rôle d’allié.e – auquel plusieurs, dont je suis, on préféré celui de complice. Sans aucun doute, les luttes autochtones, noires, queer et transféministes ont profondément bouleversé les vocabulaires et les pratiques, enrichissant et complexifiant énormément nos pensées et nos luttes. Ces questions ont tout à la fois transformé les rapports de force, suscité des désaccords profonds, créé des scissions, donné lieu de nouvelles alliances. Malgré des fractures multiples, ce contexte particulier a permis d’établir au moins quelques bases relativement consensuelles, qui me semble effarant de devoir rappeler en cette période où la guerre menée par Israël contre le peuple palestinien nous oblige à adopter à nouveau une position de solidarité.

En effet, le devoir d’écouter et de croire les opprimé.e.s, tout particulièrement quand on se trouve du côté des dominant.e.s, paraît soudainement ne plus relever de l’évidence dans le contexte palestinien, alors qu’il s’est imposé comme impératif dans une foule d’autres situations. De la même manière, il ne semble pas être si clair qu’on se doit ces jours-ci de reprendre la posture adoptée notamment face aux luttes autochtones de décolonisation : prioriser et mettre de l’avant la(les) parole(s) du peuple concerné et reconnaître totalement son leadership dans le mouvement de résistance en cours. Pourtant, dans notre solidarité avec la Palestine, il nous faut encore une fois accepter le second rôle, se taire parfois, apprendre, écouter.

Bien sûr, écouter ne veut pas dire arrêter d’exercer une réflexion critique sur les informations et les prises de positions qui nous parviennent. Écouter veut aussi dire : éviter la tentation d’homogénéiser les Palestinien.e.s, tenter de percevoir les voix multiples qui traversent leur mouvement de libération, prendre le temps d’essayer de comprendre ses conflits internes, les penser avec la lenteur qui est nécessaire quand on pense des situations qui font sens dans des codes qui nous sont étrangers. Mais écouter veut assurément dire « ne pas être en train de parler » ; reconnaître notre extériorité extrême à ce que vivent les Palestien.ne.s – en Palestine ou ailleurs – et reconnaître donc que nous ne sommes peut-être pas en position de développer et de partager publiquement des considérations stratégiques. Si cela me semble évident, une chose me paraît encore plus certaine : apporter des nuances et souligner la complexité de la situation n’est aucunement notre rôle. Dans un moment où la soi-disant « complexité du conflit » ne cesse d’être utilisée comme argument dans l’espace public pour contourner une franche condamnation d’Israël, relayer ce type de réflexion est tout simplement gênant.

Il faut réussir à coupler une position de véritable écoute, avec ce que ça implique d’humilité et d’incertitude, à une position de ferme et engageante solidarité. Dans le contexte où le gouvernement canadien réitère sans cesse son soutien à la violence israélienne, cette deuxième dimension est essentielle et urgente. Et surtout, il faut se pointer. Aller aux manifs, aller aux actions, peu importe le fait que leurs tactiques puissent peut-être différer des rituels de la gauche radicale montréalaise. La solidarité avec la Palestine n’est pas affaire d’internationalisme abstrait et symbolique, mais d’opposition concrète à notre propre État, qui est matériellement engagé dans l’oppression du peuple palestinien.

Prendre cette position est aussi notre responsabilité envers celles et ceux de qui notre territoire est la terre d’exil, que ça soit temporairement ou durablement. Il me semble capital de participer à ce que les Palestinien.ne.s avec qui on partage notre ville se sentent non seulement respecté.e.s comme humain.e.s de qui on défend les droits fondamentaux, mais aussi comme actrices et acteurs détenteur.trice.s d’une agentivité indéniable, possédant des pensées, des héritages et des pratiques politiques extrêmement riches et singulières. Comme citoyen.e.s d’un État directement impliqué dans ce qui fait de la Palestine un endroit inaccessible et inhabitable pour sa diaspora, on se doit de faire tout ce qu’on peut pour faire du lieu où l’on habite un espace vivable pour celles et ceux qui se sont retrouvé.e.s ici, un lieu où vie est synonyme de dignité et pas uniquement de survie et où l’exil peut se déployer comme une expérience politique. Et ce commentaire vaut aussi pour tous les gens issus de peuples pour qui la situation palestinienne est un enjeu fondamental, profondément ancré dans la culture politique.

Aux Palestinien.nes et à leurs complices de toujours, issu.e.s d’ailleurs au Moyen-Orient et dans le monde arabe : Sachez que certains silences sont un immense respect pour votre lutte et qu’ils n’excluent pas une totale solidarité, en mots comme en gestes. Je sors du mien seulement parce que je vois mes ami.e.s du Moyen-Orient effarés par la faiblesse de la prise de position de la gauche radicale locale et que cela me pousse à écrire, parce que je souhaite que mon monde politique puisse être pour le leur un espace sincèrement accueillant et solidaire.

À celles et ceux qui partagent ma sorte de silence : Pointez-vous. Si la solidarité en mots peut effectivement ne pas valoir pas grand-chose ces temps-ci, la solidarité dans la rue ne sera jamais de trop.

Vive la Palestine libre.

Des voitures qui sont aussi des caméras : un bref aperçu des fonctions de surveillance des Tesla, et des conseils pour l’attaque

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Oct 152023
 

Du No Trace Project

La plupart des gens s’attendent à être filmé·e·s lorsqu’iels se promènent dans les rues du centre-ville, qui sont souvent truffées de caméras de surveillance classiques, telles que les caméras dômes, les caméras cylindriques ou les nouvelles caméras PTZ (Point, Tilt, Zoom) télécommandées. Auparavant on s’attendait moins à ce type de caméras dans les quartiers résidentiels, où l’on trouve désormais de plus en plus de systèmes de surveillance domestique comme les sonnettes connectées Ring d’Amazon ou les caméras Nest de Google. Les services de police ont profité de la popularité croissante de ces dispositifs pour conclure des accords avec les entreprises qui les gèrent afin de les intégrer directement dans les réseaux de surveillance existants et d’accéder aux données à l’insu ou sans l’autorisation du propriétaire de la caméra. Certaines sonnettes connectées permettent également une surveillance audio : les sonnettes Ring d’Amazon, facilement reconnaissables à leur cercle lumineux menaçant, peuvent apparemment capter le son d’une conversation à une distance maximale de 7 ou 8 mètres. Ring s’est associé à plus d’un millier de services de police à travers les États-Unis. Certains services de police ont même mis en place des programmes expérimentaux leur permettant de visionner en direct et en continu les images des sonnettes connectées des habitants.

Si le développement rapide des systèmes de surveillance domestique, comme les sonnettes connectées, a été largement constaté et attaqué par des anarchistes, le développement tout aussi rapide des systèmes de surveillance embarqués à bord de véhicules a été moins abordé.

Depuis longtemps, les voitures sont au centre de nombreuses arrestations marquantes d’anarchistes. La plupart des grandes villes ont investi dans des lecteurs automatiques de plaques d’immatriculation (LAPI) en bord de route, et de nombreux véhicules de police sont équipés de LAPI sur leur tableau de bord, qui lisent, enregistrent et recherchent chaque plaque d’immatriculation dans diverses bases de données. Le No Trace Project a minutieusement documenté les nombreux types de balises et de dispositifs d’écoute que les polices du monde entier ont installés dans des véhicules d’anarchistes. Même sans être surveillées de cette manière, presque toutes les voitures modernes sont équipées de systèmes qui enregistrent les déplacements (et bien d’autres choses encore) et qui peuvent être facilement consultés par les forces de l’ordre. Aux États-Unis, la plupart des constructeurs automobiles fournissent régulièrement des informations sur les véhicules aux forces de l’ordre sans citation à comparaître ni mandat. La grande majorité des voitures vendues aux États-Unis ces dernières années sont équipées de modules télématiques qui transmettent des informations, y compris des informations de localisation, directement aux serveurs du fabricant pour un stockage à distance. D’autres informations peuvent être extraites en accédant physiquement au véhicule cible : un outil vendu par la société américaine Berla peut récupérer l’historique complet de la localisation d’un véhicule, ainsi que les listes de contacts, l’historique des appels, les SMS, etc. de tout téléphone connecté au système d’infotainment (“infodivertissement”) de la voiture.

Les voitures, en particulier les véhicules récents dotés de systèmes informatiques intégrés, savent tout sur leurs utilisateur·ice·s et, par conséquent, sur les personnes qui les entourent. Tesla va encore plus loin en transformant les voitures en systèmes mobiles de vidéo-surveillance haute définition.

Chaque véhicule Tesla est équipé de caméras qui assurent une surveillance vidéo à 360 degrés autour du véhicule quand celui-ci se déplace. Il y a neuf caméras au total : huit orientées vers l’extérieur (trois orientées vers l’avant, deux sur les ailes, une caméra de recul et deux caméras latérales entre les vitres avant et arrière) et une orientée vers l’intérieur de l’habitacle. Les images enregistrées par ces caméras sont stockées localement sur une clé USB ou un autre dispositif de stockage connecté au système informatique central du véhicule, mais elles sont également envoyées aux serveurs de Tesla. Ainsi, Tesla propose une sauvegarde de (minimum) 72 heures de toutes les images enregistrées en cas de vol de la clé USB installée par le conducteur. Certains pays ont interdit aux Tesla de rouler à proximité de zones gouvernementales sensibles, comme la Chine et l’Allemagne, qui a interdit aux Tesla de rouler sur certains sites de la police berlinoise.

Les neuf caméras des Tesla enregistrent activement lorsque la voiture est en mouvement. Cependant, même lorsque la voiture est stationnée et éteinte, les caméras continuent souvent d’enregistrer. Tesla propose une fonction appelée “mode sentinelle” qui transforme la voiture stationnée en un système de surveillance capable de filmer dans toutes les directions. Ce mode doit être activé manuellement par le ou la propriétaire. Il utilise quatre des neuf caméras (une de chaque côté du véhicule), et le flux vidéo est accessible en temps réel via une application pour smartphone. Les caméras sont activées et une notification d'”alerte” est envoyée à l’application chaque fois que quelqu’un touche le véhicule ou que celui-ci bouge, mais elles s’activent aussi quand quelqu’un marche près du véhicule ou qu’un autre mouvement est détecté à proximité. Les vidéos sont envoyées sur les serveurs centralisés de Tesla en guise de sauvegarde. Même si les caméras ne se sont pas activées ou n’ont pas déclenché d'”événement sentinelle”, il est toujours possible de récupérer les images de tout ce qui s’est passé à portée de caméra dans un délai d’une heure (minimum) avant qu’elles ne soient effacées. Toutefois, les propriétaires de Tesla peuvent utiliser un programme accessible au public pour modifier leur système informatique et stocker tous les enregistrements indéfiniment.

Une Tesla endommagée lors d’une manif à Portland dans l’Oregon, aux États-Unis, en juin 2022.

Les caméras utilisées dans les Tesla sont fabriquées par Samsung, acteur majeur dans les secteurs de la technologie et de l’armement. Jusqu’à présent, la plupart ont une résolution de 1,2 mégapixel, mais à partir de 2023, certaines voitures seront équipées de caméras de 5 mégapixels qui sont nettement plus détaillées et plus précises en terme de couleurs. Les caméras frontales ont une portée de 250 mètres. Il est possible de mettre à jour les anciens modèles de Tesla en les équipant de matériel plus récent et de caméras plus performantes.

Il est déjà possible de récupérer les enregistrements vidéo des Tesla et de les soumettre à des programmes d’intelligence artificielle (IA) qui traitent automatiquement les visages et les plaques d’immatriculation. En 2019, lors d’une convention hacker, un intervenant a montré comment il pouvait utiliser sa Tesla, un mini-ordinateur relativement bon marché et des programmes accessibles au public pour créer un système permettant de repérer et de stocker tous les visages et plaques d’immatriculation à la ronde. Combiner des caméras de surveillance de haute qualité qui capturent des images à des programmes d’intelligence artificielle qui analysent automatiquement ces images n’est pas une chose du futur, c’est déjà là. Le système de sécurité domestique de Google, Google Nest, est équipé d’une fonction qui permet de repérer automatiquement les “visages familiers”, et de nombreux autres systèmes de sécurité grand public sont dotés de fonctions similaires. Bientôt, l’agent de sécurité qui surveille des dizaines d’écrans de télévision depuis une pièce sans fenêtre pourrait être complété, voire remplacé, par des systèmes de sécurité dotés d’intelligence artificielle qui apprennent à repérer automatiquement certains visages et comportements “suspects” et à alerter la sécurité. Le développement récent des réseaux 5G permet la connectivité sans fil et la vitesse de transfert de données nécessaires pour transmettre des vidéos en direct suffisamment détaillées des caméras de surveillance aux systèmes d’IA dans les data centers et les fusion centers[1] des forces de l’ordre.

Tout comme les sonnettes connectées sont devenues un atout majeur pour la police, les caméras des Tesla se sont déjà révélées être une source importante et de plus en plus recherchée d’éléments de preuve lors des enquêtes. Des images des Tesla, y compris de voitures Tesla stationnées en “mode sentinelle” (qui n’a été introduit par l’entreprise qu’en 2019), sont déjà apparues dans un certain nombre d’affaires aux États-Unis et ailleurs :

  • 2019 à Berkeley, en Californie : La vidéo d’une Tesla permet à la police d’identifier et d’arrêter une personne qui s’était introduite par effraction dans une voiture. Elle portait un bracelet électronique GPS au moment de l’effraction.
  • 2019 à San Fransisco, en Californie : Une Tesla est cambriolée et ses caméras capturent le visage et la plaque d’immatriculation du suspect, ce qui entraîne son arrestation.
  • 2020 à Springfield, dans le Massachusetts : L’enquête du FBI sur l’incendie raciste d’une église et sur d’autres crimes s’appuie sur les enregistrements d’une Tesla stationnée, qui montrent clairement le visage du suspect alors qu’il vole l’une des roues de la voiture.
  • 2020 à Stamford, dans le Connecticut : Deux personnes ont été arrêtées pour vol à main armée après que la police a récupéré des images d’une Tesla stationnée qui montrent la plaque d’immatriculation de la voiture qu’elles ont utilisée pour s’enfuir.
  • 2021 à Berlin, en Allemagne : Un engin explosif est placé et activé près d’un chantier de construction. La police berlinoise a utilisé la vidéo d’une Tesla garée à proximité pour identifier et arrêter un suspect qualifié d'”extrémiste de gauche”.
  • 2021 à Memphis, dans le Tennessee : Une Tesla stationnée enregistre des personnes en train de voler la roue d’une voiture voisine, et la vidéo est rendue publique par la police pour tenter d’identifier les suspects.
  • 2021 au Royaume-Uni : La police utilise la vidéo d’une Tesla pour retrouver et arrêter une personne ayant volontairement rayé sa carrosserie. La vidéo montre le visage et la plaque d’immatriculation du suspect.
  • 2021 à Riverside, en Californie : Une Tesla qui roulait sur l’autoroute a vu sa vitre brisée par un pistolet à billes. La police a utilisé les images de ses caméras pour identifier la voiture du suspect et procéder à une arrestation.
  • 2023 à San Jose, en Californie : Des transformateurs de PG&E[2] ont explosé lors de deux attaques distinctes, privant des milliers de personnes d’électricité. Une enquête menée par plusieurs agences aboutit à une arrestation, l’un des principaux éléments de preuve étant la vidéo d’une Tesla stationnée qui montre le suspect à proximité de la scène. Des données téléphoniques (sans doute obtenues grâce à un mandat geo-fence[3]) sont également utilisées pour identifier et arrêter un suspect.
  • 2023 à Bend, en Oregon : Dans le cadre d’une enquête sur un meurtre, la police lance un appel public aux propriétaires de Tesla pour qu’iels vérifient leurs vidéos de la journée et qu’iels recherchent une voiture en particulier.

Dans ces affaires et dans d’autres, les forces de l’ordre ont clairement souligné l’importance des vidéos des Tesla au cours de l’enquête :

“Si les gens n’avaient pas accepté de partager leurs vidéos de surveillance avec nous, nous n’aurions probablement pas pu progresser dans cette affaire, donc c’était essentiel.”

Chef adjoint de la police de San Jose, en Californie

“C’est celle-là qui l’a coincé et c’est pour ça qu’il a été arrêté.”

Officier de police montrant une caméra d’une Tesla

“C’est rare, mais on voie de plus en plus de ces caméras de surveillance [de Tesla] un peu partout maintenant et on est heureux de voir ça parce que c’est un outil de lutte contre la criminalité vraiment efficace.”

Porte-parole de la police de San Francisco, en Californie

“La technologie actuelle permet aux constructeurs automobiles comme Tesla de produire des enregistrements, qui ont bien sûr une énorme utilité pour la police lorsqu’il s’agit de faire la lumière sur des crimes ou des accidents de la route. Il serait négligent de ne pas profiter de cette opportunité.”

Président du Gewerkschaft der Polizei, un syndicat de la police allemande

Plus il y a de voitures Tesla sur les routes, plus le réseau de surveillance de l’État s’étend ; la prétendue ligne de démarcation entre “citoyen” et “flic” s’efface. La technologie de surveillance mise au point par Tesla est reprise par d’autres constructeurs automobiles et fabricants de pièces détachées. Une nouvelle fonction de BMW permet aux utilisateurs de générer un rendu 3D en direct des abords de leur voiture grâce à une application pour smartphone. D’autres entreprises ne sont pas en reste et annoncent des fonctions similaires au “mode sentinelle” de Tesla.

Station de recharge de véhicules électriques dont les câbles ont été sectionnés.

Que devraient retenir les anarchistes de tout ça ? Comment continuer à attaquer cet enfer panoptique sans se faire attraper ?

Lorsqu’on se préoccupe du risque de vidéo-surveillance, il faut désormais penser à vérifier la présence de véhicules Tesla en plus des sonnettes connectées et des systèmes de sécurité plus classiques. Il peut être possible d’éviter d’activer les caméras des Tesla stationnées en marchant de l’autre côté de la rue. Contrairement à tous les autres types de caméras de surveillance, les voitures stationnées ne se trouvent pas toujours au même endroit : une rue dépourvue de toute caméra visible un soir peut accueillir une Tesla le lendemain. Les caméras sur les voitures représentent donc un défi particulier lorsqu’il s’agit de planifier des itinéraires pour éviter la surveillance. Pour l’instant, aucun autre grand constructeur automobile ne semble intégrer des caméras de surveillance de manière systématique. La forme unique des Tesla permet donc de les identifier à distance et de les éviter (ou de les cibler !) plus facilement.

Malheureusement, il est souvent impossible d’éviter complètement le regard des caméras. Voici quelques techniques générales pour éviter d’être identifié par les caméras de surveillance : se couvrir entièrement de vêtements amples. Si les circonstances ne permettent pas de se couvrir les yeux avec des lunettes de soleil ou autres, il faut s’assurer que tout ce qui entoure les yeux reste caché. Les sourcils ont notamment tendance à apparaître au niveau du trou pour les yeux des masques, et peuvent être très révélateurs. Les vêtements utilisés, y compris les chaussures, ne doivent être portés qu’une seule fois et doivent être acquis d’une manière qui ne puisse pas remonter jusqu’à vous (attention aux caméras du magasin, à l’historique des transactions, etc.). Idéalement, les vêtements ne doivent pas comporter de logos ou de motifs uniques. Les vêtements doivent être jetés ou détruits immédiatement après, là encore par des méthodes non traçables et dans un lieu sans lien avec vous. L’analyse de la démarche, technique de criminalistique permettant d’identifier les caractéristiques uniques d’une manière de se mouvoir, pourrait être de plus en plus facilitée par l’intelligence artificielle ; envisagez de modifier votre façon de marcher lorsque vous êtes filmé·e. Des enregistrements vidéo montrant que des individus étaient gauchers ont également été utilisés par des enquêteurs pour identifier des suspects.

Il est préférable de s’éloigner le plus possible des caméras et d’éviter de se tourner directement vers elles. Le simple fait de détourner la tête du véhicule lorsque vous passez à côté peut aider à dissimuler votre visage. Même si vous portez un masque, les images en haute définition peuvent révéler des caractéristiques distinctives. Contrairement à la plupart des caméras de surveillance classiques, les caméras des Tesla sont placées sous la hauteur de la tête plutôt qu’au-dessus de la tête. Les parapluies, bords de chapeaux et capuches qui pourraient vous dissimuler efficacement face à une caméra installée en hauteur peuvent s’avérer inefficaces face aux angles bas d’une caméra de voiture.

Dans la plupart des arrestations impliquant des enregistrements de voitures Tesla, la personne a été identifiée à cause de sa voiture, et souvent à cause de la plaque d’immatriculation. L’existence de LAPI, d’autres caméras et de bases de données centralisées rend très difficile, et souvent impossible, de se déplacer en voiture sans laisser de traces. En revanche, les vélos n’ont pas de plaque d’immatriculation, sont beaucoup plus faciles à inspecter pour y chercher d’éventuels mouchards, sont faciles à voler ou à acheter pour pas cher puis à abandonner, et se sont révélés beaucoup plus difficiles à pister dans le cadre d’enquêtes policières.

Lors d’attaques contre des voitures Tesla ou des choses se trouvant à proximité, soyez conscient que vous êtes filmé et préparez-vous en conséquence. Avec un peu d’entraînement, les lance-pierres (ou autres projectiles) peuvent être utilisés efficacement à distance. Un poinçon planté dans le flanc d’un pneu peut facilement le dégonfler, et est plus silencieux qu’un couteau, mais les dommages sont plus faciles à réparer. Ce n’est pas très difficile de repérer les caméras des Tesla une fois que l’on s’est familiarisé avec leurs emplacements, et c’est facile de les recouvrir avec une bombe de peinture.

Certaines des techniques généralement conseillées pour les attaques incendiaires contre les voitures sont obsolètes ou inadaptées dans le cas des véhicules électriques. Les conseils sur l’emplacement d’un dispositif incendiaire supposent souvent l’existence d’un réservoir d’essence et d’un moteur à carburant inflammable. Dans le cas des véhicules électriques, et des Tesla en particulier, les principales parties inflammables de la voiture sont les pneus et la batterie lithium-ion, qui occupe le gros de la partie inférieure de la voiture, dans le châssis. Les pneus s’enflamment plus facilement, et certains allume-feu chimiques ou fusées éclairantes chauffant directement le pneu peuvent suffire. Pour cibler les batteries, le dessous de la voiture doit être suffisamment chauffé pour créer un effet d’emballement thermique dans les cellules de la batterie, ce qui peut être très difficile à éteindre et garantit presque la destruction totale de la voiture. De l’essence ou un accélérateur similaire concentré en un point sous la voiture est le moyen le plus efficace de générer rapidement suffisamment de chaleur pour enflammer la batterie. Il est déconseillé de briser les vitres de la voiture pour placer un engin incendiaire à l’intérieur, car cela augmente le risque d’être repéré (briser une vitre est bruyant !) et de laisser des traces d’ADN.

Extrait d’un communiqué de revendication d’un incendie à Francfort, en Allemagne, en 2023 : “Nous avons incendié quelques nouvelles Tesla à Francfort ce soir. En hommage aux manifestations de Munich. Une attaque parmi d’autres contre l’industrie automobile destructrice… Tesla est l’un de nos principaux ennemis. L’entreprise représente comme aucune autre l’idéologie du capitalisme vert et la destruction globale et coloniale en cours”.

La “révolution de la voiture électrique” continue de piller la terre par l’extraction des ressources, les voitures continuent de tuer et de mutiler massivement les animaux humains et non-humains, et les systèmes de surveillance et de contrôle continuent de se perfectionner et de s’étendre. Tesla, ainsi que d’autres fabricants de véhicules électriques, peut et doit être attaqué par les anarchistes. L’attaque peut avoir lieu à plusieurs niveaux : le réseau de stations de recharge est vulnérable au sabotage, les parcs de véhicules et les bâtiments peuvent être attaqués, et les voitures elles-mêmes peuvent facilement être endommagées ou détruites.

Six câbles à haute tension alimentant le site d’une “gigafactory” de Tesla ont été incendiés près de Berlin, en Allemagne, en mai 2021. Extrait traduit du communiqué : “Notre feu s’oppose au mensonge de la voiture écologique”.

Fuck Tesla. Fuck toutes les voitures et toutes les caméras. Mort à l’État. Rien que de l’amour pour tou·te·s les fauteuses de troubles anarchistes, les vandales et les créatures de la nuit. Frappez sagement et ne vous faites pas prendre !

Autres lectures et ressources pour les audacieuses :

Certains de ces liens contiennent des guides détaillés concernant des actions destructrices. Il est préférable de les consulter à l’aide de Tails ou de Whonix. Un guide d’installation et un lien pour télécharger Tails sont disponibles ici.


1. Note du No Trace Project (NTP): aux États-Unis, les fusion centers sont des centres de partage d’informations entre différentes agences fédérales et les agences de maintien de l’ordre locales.

2. Note du NTP : Pacific Gas & Electric Company (PG&E) est une entreprise de distribution d’électricité et de gaz en Californie, aux États-Unis.

3. Note du NTP : aux États-Unis, un mandat geo-fence (geo-fence warrant) est une autorisation délivrée par un tribunal permettant aux forces de l’ordre d’obtenir la liste des téléphones actifs dans une zone géographique donnée.

Guide de Trans Defense

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Oct 142023
 

Du P!nk Bloc

Les milieux réactionnaires de toutes sortes ont déclaré la guerre aux communautés trans et queer. Les contre-manifs se multiplient et la tension a monté d’un cran. On considère nécessaire de remettre à jour nos conseils pour les militant·e•s qui pourraient se retrouver dans des contre-manifs pour la première fois, toujours en ayant la sécurité de nos communautés comme principale préoccupation. Sur ce, voici quelques conseils pour se protéger et se préparer individuellement et collectivement!

1. Se préparer avant la manif

On recommande à toutes les personnes qui comptent venir à une contre-manif de s’organiser avec des ami·e·s pour ne pas arriver seul•e•s. La formule des binômes fonctionnent généralement assez bien : on s’organise d’avance avec un·e ami·e pour former une paire et rester ensemble pour la durée de la manifestation. L’objectif est qu’il y ait toujours au moins une personne qui veille sur chaque personne. On arrive ensemble, on part ensemble!

Ce qui est encore mieux c’est de s’organiser en groupe! À 4, 6, 8 personnes, on est d’autant plus capables de se protéger entre nous, mais aussi de prendre des tâches sur place et d’aider à ce que tout se passe bien! Voir la section 6 pour plus d’info

2. Protéger son identité

L’extrême droite live stream souvent ses évènements. Cela signifie que nos visages peuvent facilement se retrouver à circuler dans leurs réseaux. Ça peut mener à du doxxing (publication d’informations personnelles dans le but d’intimider une personne) et potentiellement faciliter la répression étatique. De plus, beaucoup de militants d’extrême droite se font passer pour des journalistes et essaient de filmer les visages des gens. Pour s’en protéger, plusieurs options s’offrent à nous :

Beaucoup de nos camarades choisissent de se masquer complètement pour ce genre d’action, ce qui offre la meilleure protection en termes d’anonymat. C’est ce qu’on appelle former un Black Bloc. En s’habillant toustes en noir, sans trait reconnaissable, on se fond les un·es avec les autres et on protège notre identité. Pour ne pas attirer trop d’attention sur nous avant d’entrer dans la contre-manif, il est préférable de porter une couche colorée pour son arrivée et de se changer en black bloc dans la foule en utilisant des bannières ou des parapluies pour bloquer la vue des caméras, et de se changer encore avant de quitter.

Par contre, il faut reconnaître que d’être entièrement masqué·e dans ce genre de contexte peut peindre une cible sur nous autant aux yeux des militant·e•s d’extrême droite que de la police. On peut quand même se masquer et rester relativement subtil•e. Un masque chirurgical, une casquette et des lunettes de soleil peuvent faire une grosse différence. Il est aussi possible de protéger son identité de l’extrême-droite toute en ayant une apparence festive : des masques colorés et des foulards peuvent nous cacher de leurs caméras. Ceci ne nous anonymise par contre pas autant que la technique du black bloc.

Pour cette raison, s’il n’y a pas au moins une bonne vingtaine de camarades en black bloc, le light bloc peut être préférable, c’est-à-dire de cacher son identité autant qu’en black bloc mais avec des vêtements de couleurs neutres (masque t-shirt gris ou bleu marin) plutôt que noir. N’oubliez pas les lunettes de soleil!

En se masquant, on se protège soi-même, mais on permet aussi aux autres personnes masquées de se fondre mieux dans la foule. C’est donc aussi un acte de solidarité, notamment face à nos camarades sans-papiers qui ont besoin de cet anonymat car iels sont facilement criminalisé•e•s ou particulièrement à risque d’être ciblé•e•s par l’extrême-droite.

3. Bloquer les caméras

À l’ère d’Internet et des réseaux sociaux, les caméras sont une arme politique. En filmant ses adversaires, l’extrême-droite cherche à trouver des images qui leur servira à détourner les discours opposés (on ne gagne jamais rien à débattre avec ces gens-là, ils ne diffusent que ce qui sert leur cause) et potentiellement à doxxer les gens pour essayer de s’en prendre à elleux dans leur vie de tous les jours (un camarade migrant en a subi les conséquences récemment).

Tous les téléphones et caméras des anti-trans devraient être vus comme autant de menaces pour nos communautés. Il est nécessaire de les bloquer, de les retirer à l’adversaire et de les sortir de nos rangs! Si des personnes de notre côté filment, il est important de leurs expliquer de ne jamais filmer les visages de nos allié•e•s. Qu’iels filment des pieds, des signes, des bannières ou nos opposants.

Il peut aussi être très utile de se munir de drapeaux, bannières et parapluies pour bloquer les cellulaires et caméras. Ces outils ont aussi l’avantage de mettre une distance entre nous et les fascistes, ce qui permet de diminuer les risques de confrontation physique. Si vous pouvez apporter ce genre de matériel, on vous y encourage fortement! Voir la section 6 pour plus d’info

4. Faire confiance à notre communauté et non à la police

La police est un ennemi historique des communautés trans et queer, et est très souvent un allié objectif des fascistes. Elle le prouve en ce moment un peu partout dans le monde par son traitement des mobilisations anti-drag et anti-trans.

Ne pas se laisser berner par la police devient donc un enjeu de sécurité collective . Leurs consignes n’ont pas notre bien-être à cœur et l’on ne doit pas les laisser dicter notre défense communautaire. Ne les laissons pas entrer dans nos rangs et faisons avant tous confiance à notre organisation collective.

Il ne faut JAMAIS demander à la police d’intervenir dans la manifestation, ne jamais chercher à dénoncer des camarades et ne jamais chercher à dialoguer avec la police. Les services de police attaquent régulièrement nos manifestations, violentent nos adelphes trans et criminalisent notre résistance. Ils sont, de par leur nature historique et politique, naturellement du côté de nos opposants.

5. Former des rangs serrés

Souvent, la situation dégénère dans ces évènements quand les lignes se font floues, quand les gens se dispersent, essaient d’aller débattre avec des individus ou laissent passer des acteurs mal intentionnés dans nos rangs. C’est important de rester groupé•e•s. C’est notre nombre et notre solidarité qui nous protègent et, en ce sens, on doit rester ensemble. Des lignes serrées avec des camarades prêt·e·s à réagir à proximité sont nettement plus sécuritaires qu’une masse éparpillée et divisée.

6. Se préparer à agir.

L’idéal lors des contres-manifs c’est d’être prêt·e à agir. La passivité auxquelles certaines marches et manifestations nous habituent a moins sa place dans ce contexte-ci. Plus nombreux sont les groupes qui arrivent organisés et prêts à agir, plus nous seront fort·e·s en tant que groupe. En s’organisant à 4-6-8 personnes d’avance, on peut avoir un rôle beaucoup plus significatif au sein de la manif.

Certaines tâches auquel on peut se préparer en avance sont:

Équipe de parapluies. Des petits groupes équipés de parapluies pour bloquer les caméras ou tenir à distance les militants d’extrême-droite sont toujours extrêmement utiles dans les contre-manifs. En bloquant les caméras, on protège l’identité de nos camarades et, en créant des obstacles physiques entre les camps, on limite les risques de violences physiques.

Équipe de bannières. En contre-manif, les bannières servent à former des lignes pour maintenir l’adversaire sur un territoire précis, mettre un obstacle entre eux et nous et défendre nos camarades. Des équipes mobiles avec des bannières bloquant le passage à l’extrême droite et défendant les positions stratégiques jouent un rôle important dans ces évènements.

Équipe de médics. Ce sont des équipes de personnes formées en premiers soins, identifiables et portant du matériel de premiers soins sur elleux, qui se rendent disponibles pour intervenir en cas de blessure.

D’autres tâches peuvent apparaître sur place et c’est toujours intéressant de rester attentif·ves à la situation et aux mots d’ordre émergeant dans la manif.

7. Faire attention à son état émotionnel et à celui des autres.

Les contres-manifs sont des moments de tensions et de choc émotionnel assez importants. C’est très facile de perdre son sang-froid sans même s’en rendre compte. Quand nos émotions nous submergent, on risque de prendre de mauvaises décisions et d’agir de manière non sécuritaire.

C’est donc important d’être à l’écoute de son état émotionnel et de prêter attention à celui des autres. Si on se sent devenir trop en colère ou paniqué, il peut être judicieux de se reculer, d’aller vers des coins plus tranquilles, ou d’aller chercher du soutien de personnes disponibles loin de la ligne d’affrontement. On peut aussi faire des exercices de respiration ou tout simplement parler avec nos camarades pour se soutenir les un·es autres.

C’est normal de vivre ces émotions difficiles, alors il faut prendre soin de soi et des autres pour qu’on puisse maintenir notre calme et notre discipline autant que possible pendant ces moments de lutte tendue.

Une autre fin de ce monde est possible : La solidarité avec les peuples autochtones et le blocage des infrastructures extractives au Canada

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Sep 292023
 

Soumission anonyme à MTL Contre-info

Traduction de Infokiosques, première parution décembre 2019

Sommaire

Une autre fin de ce monde est possible
Annexe 1 : Infrastructures de transport au Canada
Annexe 2 : Goulets d’étranglement des infrastructures vulnérables
Annexe 3 : Blocage Wildfire pendant la crise d’Oka
Annexe 4 : Blocages pendant la journée d’action Idle No More
Annexe 5 : Actions anarchistes de solidarité dans le sud de l’Ontario
Annexe 6 : Une sélection de communiqués repris de warriorup.noblogs.org
Annexe 7 : Les 20 pires goulets d’étranglements du trafic

Pour lire les 7 annexes télécharger le pdf de la brochure (page par page, livret).

« Les blocages peuvent non seulement « mettre le monde à l’arrêt », mais aussi ouvrir l’espace pour en construire un nouveau ou, dans le cas des peuples colonisés, un monde retrouvé. Nous pouvons nous référer à de nombreux blocages ou occupations autochtones des dernières décennies pour en trouver des exemples de pratiques cérémonielles, culinaires et d’autres pratiques de reproduction sociale qui incarnent de nouvelles façons de vivre, elles-mêmes issues de la résistance. De même, nous voyons dans la revitalisation de la culture guerrière qui s’exprime à Standing Rock et à d’autres moments de révolte autochtone une possibilité plus large d’une vie sans l’État ni capitalisme […] Nous le trouvons évident que les blocages sont une tactique cruciale dans notre guerre contre l’annihilation planétaire. [ ] Avec cet impératif tactique, nous appelons toutes les guerrières et révolutionnaires du monde entier à s’orienter immédiatement sur le blocage des infrastructures. Les collectifs doivent étudier le fonctionnement des infrastructures pour trouver les points d’étranglement les plus vulnérables et s’organiser en conséquence pour les bloquer de façon efficace. Ceux qui n’ont pas de camarades de combat peuvent encore contribuer au combat par des actes de sabotage en loup solitaire.

Disrupt the Flows : War Against DAPL and Planetary Annihilation

Une autre fin de ce monde est possible

Nous sommes plusieurs anarchistes colons [« settler anarchists »] dans le territoire dominé par le gouvernement canadien. Notre objectif en écrivant ce texte est de mettre en avant certaines considérations stratégiques pour des anarchistes qui voudraient contribuer à la défense des terres, ainsi que de rendre publique quelques recherches sur les vulnérabilités des infrastructures extractives canadiennes à cette fin. Nous espérons également que les communautés autochtones pourront utiliser ces recherches à leurs propres fins.

Nous comprenons que la tâche à accomplir dans notre coin du monde n’est rien de moins que la décolonisation du territoire dominé par le gouvernement canadien et l’économie capitaliste. Décoloniser ce territoire signifie nécessairement détruire sa gouvernance coloniale – un gouvernement qui dépend du génocide continu des peuples autochtones pour préserver sa souveraineté sur les terres qu’il a volées. Son système et le mode de vie qu’il apporte sont fondamentalement construits sur l’exploitation de la terre et de ceux qui l’habitent.

Ce n’est un secret pour personne que l’économie canadienne dépend fortement de l’exploitation des « ressources naturelles ». L’infrastructure de transport sur laquelle cette économie s’appuie pour acheminer ces ressources vers le marché, et leur donner de la valeur, est pratiquement indéfendable et ses goulots d’étranglement sont souvent proches des communautés autochtones – ce qui, comme nous le verrons, fait paniquer la contre-insurrection. Malheureusement, les anarchistes se sont rarement engagés avec le potentiel d’action et de solidarité que suppose cette situation de dépendance et de vulnérabilité. Nous pensons que nous ne pouvons pas limiter la défense de la terre à des parcelles de territoire à conserver, ou à des incursions de colons dans des territoires qui tombent sous un traité, car l’économie coloniale empoisonne le bassin versant et propage la dévastation au-delà de ces frontières coloniales. Renverser l’ensemble de l’économie coloniale est une tâche de très longue haleine, mais à moyen terme, nous voulons développer une capacité à bloquer et à détruire les infrastructures et les développements industriels, de la construction de pipelines aux opérations d’exploitation minière et de construction de barrages, en passant par tous les projets d’extraction auxquels les populations autochtones résistent. Lorsqu’il y a une capacité du mouvement, nos blocages peuvent devenir des communes ; des espaces qui mêlent défense et soins collectifs, débarrassés des lois et des logiques du capitalisme et du gouvernement.

Nous pensons qu’il est essentiel que les contributions anarchistes à la défense des terres évoluent vers des formes de résistance plus collectives qui bloquent les infrastructures, ainsi que vers l’établissement de relations face à face entre les communautés anarchistes et autochtones, mais ce texte se concentrera sur la plus petite échelle des groupes affinitaires dont les contributions peuvent se réaliser à court terme (tout en ayant un impact sur le moyen et le long terme), et ces contributions peuvent se réaliser même lorsqu’il n’y a pas de communauté en lutte contre un projet d’extraction particulier.

Il est important pour nous de réfléchir à la manière dont nous pouvons contribuer à court terme, car la plupart du temps, il n’y a pas d’escalade des tensions autour des luttes pour la défense des terres, et nous voulons agir dans le présent et nous préparer de manière adéquate pour le cas où cela se produirait. Tout d’abord, les contributions à court terme aideront à construire un imaginaire sur la façon dont l’économie extractive peut être combattue dans les moments où il n’y a pas de capacité du mouvement pour maintenir des occupations prolongées, dans le but que ces tactiques soient reprises plus largement dans les futures agitations sociales autour de l’extraction des ressources. De plus, des actions comme celles-ci peuvent avoir des impacts matériels significatifs sur les projets d’extraction dans le présent et avoir des conséquences réelles pour le projet génocidaire en cours du Canada. Enfin, elles peuvent démontrer aux communautés autochtones que les anarchistes prennent des risques contre des ennemis communs dans notre propre lutte. Nous pensons qu’il s’agit là d’une condition préalable à une puissante solidarité.

Alors que le Canada accélère la dévastation écologique, et que le réchauffement climatique rend les latitudes au nord de l’île de la Tortue stratégiquement et économiquement plus précieuses pour les gouvernements, les conflits entre le gouvernement canadien et les autochtones qui défendent le territoire deviendront encore plus fréquents. Les anarchistes doivent être prêts à contribuer à ces moments de manière significative et efficace, au-delà du symbolisme limité d’actions telles que la pose de banderoles et le bris de fenêtres, qui ont peu d’impact. Pour pouvoir intensifier notre solidarité, nous devons développer des pratiques dans le présent, ainsi que des relations de lutte entre les anarchistes et les communautés autochtones engagées dans la défense des terres. De telles relations seront essentielles pour aller au-delà de la solidarité en grande partie limitée qui s’exprime à travers les communiqués, ainsi que pour évaluer comment différentes formes de solidarité seront reçues par différentes communautés hétérogènes en lutte.

En 1990, pendant la crise d’Oka, lorsqu’un projet capitaliste sur un cimetière mohawk a provoqué un conflit armé avec le gouvernement canadien, le sabotage des pylônes à haute tension et les blocages durs des autoroutes et des chemins de fer se sont répandus comme une traînée de poudre. Cette menace d’insurrection autochtone est une considération primordiale dans le maintien de l’ordre contre toute action autochtone, car le gouvernement a vu comment de telles étincelles peuvent s’enflammer s’il n’avance pas prudemment, surtout lorsqu’il s’agit de revendications territoriales et de traités. Au cours d’une occupation de défense des terres à Caledonia en 2006, le commissaire de la Police Provinciale de l’Ontario (OPP) a expliqué qu’il avait agi en supposant qu’un faux pas de ses agents contre l’occupation aurait conduit à « une flambée [autochtone] dans tout le pays ». Pour désamorcer cette plus grande menace, l’OPP n’a pris aucune mesure directe contre elle (pour en savoir plus sur la façon dont la stratégie de contre-insurrection a évolué depuis Oka, voir From Oka to Caledonia : Assessing the Learning Curve in Intergovernmental Cooperation).

Ceux qui sabotent des infrastructures critiques, le développement capitaliste et la police qui les défend seront malheureusement toujours une minorité, mais si cette minorité dispose d’une base de soutien social, elle est beaucoup plus difficile à isoler ou à éradiquer. Les contributions de cette minorité peuvent avoir un impact contagieux lorsqu’elles inspirent les autres. Être une minorité active comporte le risque d’instrumentaliser les communautés avec lesquelles nous sommes solidaires, c’est pourquoi nous prenons soin de distinguer cette voie de celle de l’avant-garde :

« La différence essentielle entre une minorité influente et insurrectionnelle et une avant-garde ou un groupe populiste est que la première valorise ses principes et ses relations horizontales avec la société et tente de diffuser ses principes et modèles sans les posséder, alors qu’une avant-garde tente de les contrôler – que ce soit par la force, le charisme ou la dissimulation de ses véritables objectifs… La minorité influente travaille à travers la résonance, pas à travers le contrôle. Elle prend des risques pour créer des modèles inspirants et de nouvelles possibilités, et pour critiquer les mensonges opportuns. Elle ne jouit d’aucune supériorité intrinsèque et le fait de se replier sur cette hypothèse la conduira à l’isolement et à l’insignifiance. Si ses créations ou ses critiques n’inspirent pas les gens, elle n’aura aucune influence. Son but n’est pas de gagner des adeptes, mais de créer des dons sociaux que d’autres personnes peuvent utiliser librement.  »

 The Rose of Fire has Returned

Et dans le cas des infrastructures critiques dont la perturbation a un effet en cascade, les forces contre-insurrectionnelles l’ont bien compris : « …les dures leçons sur l’efficacité dévastatrice qu’une petite bande de rebelles déterminés et bien dirigés [sic] peut avoir.

 Douglas Bland

Il peut être utile d’examiner de plus près la façon dont ces ennemis pensent à l’insurrection autochtone au Canada. L’analyste militaire conservateur Douglas Bland prévient depuis longtemps que la vulnérabilité économique du Canada repose sur « l’infrastructure critique qui transporte les ressources naturelles et les produits manufacturés des mines, des champs pétrolifères, des installations hydroélectriques et des usines vers les marchés internationaux. » Sans ces systèmes critiques, prévient-il, « l’économie du Canada s’effondrerait ». Ses écrits mettent en garde les décideurs politiques contre la menace d’une insurrection autochtone au Canada, fondée sur la « théorie de la faisabilité »

[Feasibility Theory]. Dans la littérature contre-insurrectionnelle, la prévision de la probabilité d’une insurrection passe d’un modèle centré sur les motivations des insurgés à un modèle centré sur la faisabilité d’une insurrection dans un contexte donné. Les griefs qui motivent l’insurrection sont une constante qui ne peut être désamorcée dans un contexte de génocide colonial, ou de capitalisme d’ailleurs. C’est pourquoi les contre-insurgés étudient ce qui rend une insurrection faisable pour commencer, et proposent ensuite des politiques visant à éliminer ces conditions dans la mesure du possible.

« La théorie de la faisabilité » énumère cinq facteurs de la faisabilité d’une insurrection, qui, selon Bland, sont tous présents dans le contexte canadien, et dont le gouvernement canadien n’a qu’un certain degré de contrôle et seulement sur les trois premiers. Ces facteurs sont les suivants :

1) Fractionnement social – jargon pour l’oppression de classe et coloniale et la menace de la souveraineté autochtone. Le gouvernement cherche à y remédier par l’assimilation, le rachat des communautés qui résistent aux projets d’extraction, et l’instauration des structures telles que les conseils de bande [band councils] qui maintiennent le contrôle du gouvernement sur la population par le biais de visages autochtones travaillant pour les intérêts coloniaux.

2) Cohorte de guerriers – hommes jeunes et d’âge moyen susceptibles de devenir des guerriers. Bland néglige complètement la façon dont les femmes et les personnes bi-spirituelles contribuent à la résistance autochtone. Le gouvernement tente de réduire le « recrutement » de ces populations dans les mouvements de résistance par des programmes d’éducation et de formation visant à l’assimilation.

3) Garantie de sécurité – la perception de la capacité du gouvernement à réprimer et à sécuriser les infrastructures. Le gouvernement tente de minimiser la menace d’une garantie de sécurité inadéquate en finançant la formation de services de police dans les réserves. Comme nous l’avons vu avec les émeutes des colons de Chateauguay pendant l’affrontement d’Oka, cette fonction répressive peut également être exercée par la société des colons.

4 et 5) Exportations des ressources et topographie – « Le contrôle juridictionnel du territoire reste largement indéterminé et en question. L’infrastructure de transport et d’énergie du Canada – l’épine dorsale du commerce des ressources du pays – chevauche ou borde bon nombre de ces terres autochtones et contestées. Le développement, l’extraction et le commerce des ressources naturelles représentant 25 % du PIB canadien, la sécurité des infrastructures de transport et d’énergie est essentielle. Les infrastructures de transport et d’énergie du Canada sont très vulnérables : elles couvrent de vastes distances, ont une redondance limitée et de multiples points d’étranglement, et sont susceptibles d’avoir des effets en cascade si les perturbations sont durables ou généralisées. Sa vulnérabilité et le risque qui en résulte pour l’économie canadienne sont importants, et une perturbation soutenue aurait des effets catastrophiques en l’espace de quelques semaines. » La topographie et la dépendance à l’égard des exportations sont les deux facteurs déterminants impossibles à modifier. En fait, le Canada va probablement devenir encore plus dépendant de son économie d’exportation dans les années à venir.

Cela dit, nous n’avons pas besoin de la preuve de la faisabilité d’une insurrection autochtone par un universitaire blanc. Nous le voyons dans l’histoire consistante de la résistance autochtone au génocide depuis le premier contact, et récemment dans les révoltes à Oka, Ipperwash, Ts’Peten, Caledonia, Six Nations, Elsipogtog et à travers le territoire pendant Idle No More.

Les annexes qui suivent examinent plus en détail la vulnérabilité des infrastructures extractives. Nous espérons qu’elles seront utiles aux groupes affinitaires et aux communautés qui luttent contre l’économie extractive sur tout le territoire.

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