Commentaires fermés sur Journée d’action le 17 janvier #StopLine3
Jan102020
Soumission anonyme à MTL Contre-info
Depuis la source du fleuve Mississippi, un appel résonne dans l’Île de la Tortue : stoppez la ligne 3 !
Bien avant la fondation des Etats-Unis, les peuples Dakota et Anishinaabeg vivaient et prenaient soin des eaux dans ce qui s’appelle actuellement « le Minnesota ». L’entreprise canadienne Enbridge propose aujourd’hui de construire un oléoduc sur les terres et eaux des peuples autochtones du nord du Minnesota – un projet nommé « la ligne 3 ». Il est prévu que cet oléoduc traverse 211 plans d’eau et des cultures de riz sauvage parmi les plus riches du monde, violant alors les droits des traités des Anishinaabeg négociés en 1837, 1854 et 1855. Le segment de la ligne 3 au Minnesota est le dernier obstacle à cet oléoduc qui enverra chaque jour un million de barils de pétrole provenant des sables bitumineux de l’Alberta sur la rive ouest du lac Supérieur. La ligne 3 représente une augmentation de 10 % de la production des sables bitumineux.
Alors que le Minnesota se trouve présentement en train d’examiner les derniers permis de traversées de cours d’eau, nous vous invitons à vous joindre à nous pour une journée d’engagement publique joyeuse, exubérante et ludique, et à envisager les possibilités d’une vie sans pétrole. Personnes autochtones, colons et migrant-e-s – nous sommes tous d’accord : un monde d’extraction n’est pas le monde que nous voulons !
Agir pour soutenir les peuples Dakota et Anishinaabeg à préserver leurs terres patrie et leur culture permet d’ouvrir ensemble des possibilités de réinventer nos vies au-delà du colonialisme et du capitalisme. Vous n’avez pas besoin de faire partie d’une organisation, d’un gouvernement ou d’un autre type de système pour vouloir un changement. Ce que nous revendiquons est simplement une éthique de notre liens entre nous et à la terre, car la terre est notre unique lieu de vie.
Entre le 17 à 19 janvier nous faisons donc appel à tous ceux qui aimeraient voir un monde de différent à se rassembler et à démontrer ce désir en utilisant le hashtag #StopLine3. Des déploiements de banderole aux manifestations en passant par des déambulations festives dans les rues et des journées d’éducation – tout ce qui nous aide à répandre notre joie et notre esprit de défi est bienvenu.
Le gouvernement caquiste de François Legault vient une nouvelle fois de faire la preuve que ses intérêts et ses priorités sont placés du côté de l’industrie et des patrons. Alors que les caribous forestiers peinent à survivre, la Coalition Avenir Québec (CAQ) vient d’abolir des mesures de protection visant trois territoires (massifs de forêts matures) au Saguenay-Lac-St-Jean sur le Nitassinan, soit 46 000 hectares de forêt. Pierre Dufour, ministre des Forêts, de la Faune et des Parcs, a déclaré dernièrement: « On a aussi tout l’aspect industriel qui nous dit : “Bien là, M. Dufour, si vous faites quelque chose pour le caribou, on va perdre des emplois” » [1]. L’industrie forestière, toujours plus avare de nouveaux territoires à exploiter, se réjouit d’une nouvelle comme celle-ci. Pour le caribou présent dans la région de Charlevoix, le ministre y va encore une fois d’une décision tout aussi teintée d’intérêts : abattre des loups au lieu de mettre en place des mesures afin de protéger le cheptel présent sur ce territoire où seulement 26 individus ont été observées lors du dernier recensement. Dans le rapport d’inventaire produit par le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs qui a été mis en ligne dernièrement, il est clairement écrit noir sur blanc que le problème n’est pas le loup, mais la présence de l’industrie forestière et de l’étalement urbain causé par le tourisme: « Le territoire occupé par le caribou de Charlevoix est fortement perturbé par diverses activités industrielles et récréotouristiques » [2].
Évidemment, cette décision du gouvernement caquiste a fait réagir plusieurs personnes dont Martin-Hugues Saint-Laurent, professeur d’écologie animale à l’Université du Québec à Rimouski (UQAR). Ce dernier possède un doctorat en biologie et un stage postdoctoral sur le caribou. Mais voilà que le grand champion international de la connerie, le ministre Pierre Dufour (bachelier en science politique et possédant un certificat en marketing), se permet de rabrouer Saint-Laurent: « C’est facile d’être assis dans sa tour d’ivoire à l’université de Rimouski et de dire : « Voici comment ça fonctionne » ou encore « Si M. St-Laurent est capable de faire repousser une forêt mature – comme il dit toujours : « Ça prend une forêt mature » –, s’il est capable de me repousser une forêt en l’espace d’un an, qu’il me le dise, parce que je n’ai pas la solution » [3]. Au final, il est clair que le ministre Dufour [4] et la CAQ vont faire le strict minimum pour se sauver la face. Utiliser une solution à très court terme, abattre les loups, au lieu de favoriser la protection des territoires afin d’empêcher toute destruction de l’habitat du caribou. Opter pour la seconde option en viendrait à donner une baffe à ses amis de l’industrie forestière. La même catastrophe se passe en Gaspésie où l’industrie forestière a tellement coupé d’arbres dans la réserve faunique de Matane que les forestiers ont atteint les sommets des Chic-Chocs, refuge des derniers caribous de la région. Et comme l’a déclaré monsieur Saint-Laurent, malgré l’abattage de coyotes et d’ours, prédateurs du caribou, la population de ce dernier est toujours en déclin.
Coupe à blanc en Abitibi
Les Premières Nations en résistance
Le Première Nation innue de Pessamit a publié un communiqué affirmant sa volonté de protéger le caribou : « Les Pessamiulnuat ont cessé depuis plus de dix ans le prélèvement de ce gibier, sacrifiant ainsi une partie importante de leur culture. En retour, quels ont été les sacrifices des forestières qui sont scientifiquement reconnues comme étant la principale cause du déclin de l’espèce? Quelles ont été les actions concrètes du Ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs durant ces années, où le déclin n’a fait que s’accentuer? Il est grand temps que le gouvernement du Québec prenne ses responsabilités », affirme Éric Kanapé. Le communiqué déclare également que « la culture innue est aujourd’hui menacée par l’altération de la forêt due au type de foresterie qu’on y pratique. Une foresterie qui, à ce jour, a très peu tenu compte des besoins des Pessamiulnuat et qui a altéré une grande partie des écosystèmes naturels du territoire. L’intégrité biologique des forêts est toutefois nécessaire pour le maintien des pratiques traditionnelles, qui reposent tout particulièrement sur le prélèvement de la ressource faunique » [5]. Le Conseil des Innus de Pessamit veut que le gouvernement du Québec crée une aire protégée afin d’aider les caribous.
En Abitibi, le gouvernement québécois se magasine une crise avec les communautés Anishinabeg à propos de la harde de caribous de Val d’Or. Déjà sous le gouvernement Couillard, le ministre des Forêts, de la Faune et des Parcs, Luc Blanchette, avait déclaré qu’il ne serait pas question de sauver les 18 caribous restant près de Val d’Or. Selon un rapport préliminaire sur lequel se basait le ministre, il faudrait investir 76 millions sur 50 ans pour sauver le caribou forestier, un montant trop grand pour le libéral [6]. Et il faut ajouter à cela leur éternelle chansonnette sur la perte d’emplois et le risque de voir des entreprises fermer. Pour les libéraux, la vie a donc un prix. Sauver une espèce en voie de disparition contre quelques millions étalés sur plusieurs décennies ne vaut pas la peine. Surtout qu’il aurait fallu mettre un frein à ses amis des industries minière et forestière, ce que ce dernier n’a jamais voulu faire. Aujourd’hui, autre gouvernement, mêmes intérêts. Outre l’abattage de loups, le ministre Dufour n’a pas l’intention de faire grand-chose d’autre sinon une rencontre avec les chefs Anishinabeg. Le bouffon de service n’a pas dérogé de sa ligne en déclarant qu’il faut prendre en compte l’aspect industriel afin d’éviter la perte d’emplois. La cheffe de la communauté de Lac-Simon n’a pas tardé à répliquer : « On a déjà eu des crises nous autres, puis s’il faut qu’il y ait une crise pour les caribous, on va la faire encore. Les compagnies forestières savent qui on est ». D’ailleurs, il y a plus d’un an, les communautés de Lac-Simon, de Kitcisakik et de Winneway ont pris des engagements afin de protéger le caribou. Les Anishinabeg ont aussi mis un terme à la chasse aux caribous, activité ancestrale de ce peuple. Le chef de la communauté de Kitcisakik a aussi fait un lien avec les orignaux en danger dans la réserve faunique La Vérendrye : « Qu’est-ce qui va arriver avec le cheptel d’orignaux? Avec les agissements du ministre dans ce dossier-là. On y voit un parallèle là ». [7] En effet, sûrement pas grand’ chose à espérer de ce côté…
L’économie avant la vie
« La forêt, c’est une manière d’exploiter économiquement quelque chose qui repousse. Mais c’est sûr que ça peut avoir un effet sur le caribou, on ne se le cachera pas. » – Pierre Dufour
La forêt, c’est un réservoir de ressources à exploiter pour faire tourner l’économie, rien de plus. Du moins, c’est ce que l’on peut en comprendre en lisant les propos du ministre caquiste. Si l’industrie forestière est au bord du gouffre, c’est à cause de l’industrie elle-même et de la concurrence internationale engendrée par le capitalisme. Une industrie avare qui ne sera jamais rassasiée et qui est prête à couper à blanc n’importe quelle forêt afin d’empiler encore plus les profits. Les dirigeants pourraient faire massacrer tous les caribous et l’industrie ne serait pas plus sauvée pour autant.
Au final, tout le monde le sait que de tuer des loups ne va rien changer à moyen et long terme. Le loup est un animal extrêmement important pour les écosystèmes. C’est la destruction des vieilles forêts où se trouvent le précieux lichen et les champignons que les caribous mangent ainsi que la multiplication des chemins forestiers qui facilitent les déplacements des loups qui mettent en danger les hardes de caribous forestiers.
Évidemment, nous sommes conscients et conscientes que plusieurs villages dépendent de l’industrie forestière (coupes en forêt ou scieries). La situation des paroisses marginales, des villages et villes mono-industrielles présente une contradiction importante de l’économie capitaliste : une localité et ses ressources naturelles sont exploitées par une industrie (les taux de profits augmentant sans cesse sans qu’en profitent les travailleurs et travailleuses) et cette localité vit une dépendance envers la même industrie pour l’emploi et la simple survie économique de la place. Plusieurs régions périphériques du Québec ont été colonisées pour répondre aux intérêts de grands capitalistes qui souhaitaient en extraire les ressources naturelles, pour ensuite les transformer et les commercialiser dans les régions centrales et à l’étranger, et y entretenir une main-d’œuvre à bon marché, disciplinée par la rareté des emplois de qualité.
Tôt ou tard, il faudra mettre fin à ce cercle d’exploitation et de dépendance. Quand il n’y aura plus rien à couper et à exploiter, l’industrie pliera bagage et ne laissera derrière elle que désolation et destruction. Les travailleurs et travailleuses du bois seront toujours dans le même merdier de précarité et les municipalités de petite envergure auront encore des problèmes de survie. Les habitants et habitantes doivent s’organiser et trouver de nouvelles manières d’habiter le territoire. Cela ne veut pas dire d’arrêter complètement « l’exploitation forestière » car il existe des façons de faire où la foresterie n’est pas le rouleau compresseur de la mort comme elle l’est en ce moment. De plus, il faut mettre en place une économie basée sur nos besoins réels et prendre en compte la capacité des territoires et des écosystèmes. Reprenons du pouvoir sur nos vies et nos territoires!
Comment?
La création de comités de quartiers et de municipalités autonomes, qui pourraient éventuellement se fédérer à l’échelle des villes et des régions, permettrait aux habitant-e-s des périphéries de s’organiser sur des bases à la fois locales et régionales pour faire front contre les problématiques que nous avons en commun et développer un contre-pouvoir à la gestion et l’aménagement du territoire d’« en haut ». La révolution ne pourra être complète sans un désengagement des périphéries, à quelque échelle qu’elles soient, par rapport à leurs centres. Notre action se doit d’être locale et axée sur la satisfaction des besoins réels de la population (notamment par la souveraineté alimentaire) et non selon les dictats fixés par un marché qui engendre et maintient les inégalités. Toutefois, nous ne pouvons repenser nos régions sans inclure dans notre démarche les Premières Nations. La colonisation du « Saguenay-Lac-Saint-Jean » s’est faite sur des terres volées, le Nitassinan, qui n’ont jamais été cédées. La véritable revitalisation passe par la décolonisation du territoire.
[4] Le ministre Dufour s’est excusé pour ses propos via sa page Facebook. Il reste néanmoins que ses piètres excuses ne cachent pas sa pensée et ses visées, mais servent seulement à lui sauver le peu de crédibilité qu’il lui reste.
Dans la rue. À bloquer les ponts, les ports, les autoroutes, les quartiers des affaires, les terminaux de carburant et même à prendre d’assaut le complex de TC Energy. On fonçait sur des immeubles de bureaux, on pendait des banderoles, harcelait des politiciens, la police et les tribuneaux. On sensibilisait, engageait, incitait. Des réunions se tenaient sans doûte tard le soir et nos rêves nous gardaient éveillé·e·s. On développait des stratégies. Nous étions en colère, passioné·e·s et déterminé·e·s. C’était tellement beau! Ça nous a inspiré, nous a donné de l’espoir.
Qu’est-ce qui s’est passé?
Pas possible que ce soit fini, car tout continue! La force n’est pas le consentiment. La GRC — les mêmes commandants qui se sont octroyé le droit de tuer — sont encore implantés dans le territoire Wet’suwet’en à harceler les gens. Leur audace est telle qu’ils ont établi un poste de surveillance dans un lieu où ils n’ont pas affaire et où ils n’ont aucune juridiction.
Le poste 9A fonctionne déjà au dela de la zone autour de Unist’ot’en et CGL anticipe d’en construire un autre plus important, dans les environs du printemps prochain. Une centaine de personnes liées à l’industrie sont installées à 9A et d’autres arrivent tous les jours par camion, tandis que d’autres prennent des hélicos qui polluent par leur bruit et particule.
CGL et ses sous-traitants détruisent la terre tous les jours avec des coups-à-blanc et en faisant sauter les montagnes avec de la dynamite tout au long du droit de passage de l’oléoduc. Cette activité stresse les animaux sauvages et les poussent vers de nouvelles zones et sur les routes, où la circulation ne cesse de croître.
Rien de cela ne devrait arriver.
Ces terres sont des terres autochtones non cedées.
Pour tout le monde qui y a mit pied, il est facile de vouloir défendre le yintah, facile d’en tirer de l’inspiration.
On peut boire directement des sources des rivières Skeena et Bulkley, lieux de reproduction pour 30% des saumons. Dans le silence des journées d’hiver, les pins imposants laissent tomber de leurs branches tout en douceur des couches de neige et les corbeaux sautent d’arbre en arbre. En août, les sommets des montagnes glaciales restent enneigés, l’eau du Wedzin Kwah coule froid et turquoise et les fleurs magentas de l’épilobe s’ouvrent comme des taches de peinture sur le paysage tandis que les aigles parcourent la longueur de la rivière.
C’est pittoresque — et il faut que chaque détail soit maintenu tel quel pour permettre au Wet’suwet’en de survivre et prospérer. Et à cette heure, à ce moment même, il nous est possible de les aider à rendre ceci possible. Et ils nous demandent de les appuyer, ils n’ont jamais cesser de le demander. C’est nous qui avons arrêté·e·s.
Pourquoi?
Si vous avez arrêté parce que vous n’étiez pas sûr·e·s quel camp soutenir, soutenez-les tous.
S’il n’est pas clair ce qui est voulu:
Ils ont besoin de gens sur place, surtout à long terme (il y a de l’argent dispo pour aider des personnes autochtones à s’y rendre);
Des actions respectant le droit naturel et avec les accords d’allié en place (ce qui ne veut pas forcement dire de demander la permission);
Les camps ont aussi publié des listes de souhaits sur leurs sites web;
Si vous ne savez pas par où commencer, commencez ici (les liens sont tous en anglais):
L’alternatif à essayer (ce qui n’est pas la même que l’abilité) c’est la complicité. Nous sommes nombreux·euses à profiter de nos vies et des privilèges qui vont avec, tel la possibilité de voyager, avancer sa carrière, aller en classe ou avoir du temps de loisir.
Ceci n’est pas un argument à se culpabiliser et « tout sacrifier pour la révolution » — c’est un argument à faire de cette lutte une priorité et d’y accorder autant d’importance que les autres élèments de sa vie: carrière, études, sociabilité, aventures, voyages… C’est un argument à prendre ceci au sérieux, car ce l’est, et il faut qu’on se prenne donc nous-même au sérieux; on parle de la survie des gens et de leur culture. On parle de souverainté et guérison autochtones. Cette lutte est anticoloniale, mais elle est aussi anticapitaliste et antiétatique, avec de la place pour plein d’actions différentes.
Considérez ce texte donc comme un appel à l’action.
Considérez-le un encouragement ponctuel à construire des réseaux et un momentum capable de s’adapter, prendre des risques et ainsi capturer l’énergie.
Retrouvez-vous entre proches et discutez:
Qu’est-ce qui vous permet de prendre des risques? Comment peut-on mettre ces choses en place? Comment peut-on incorporer plus d’énergie et de capacité dans nos actions sans se compromettre au niveau de la sécurité? Quelles pratiques et cultures voulons-nous développer pour nous permettre de procéder? Qu’est-ce qui a bien marché ici ou ailleurs? Si ailleurs, quelles leçons sont pertinentes à en tirer?
Qu’est-ce que l’État? Quels sont ses composants, aux niveaux physiques et symboliques? Quels sont les autres éléments et participants dans cette lutte? Si c’est le capital qui pousse ce projet vers l’avant, comment peut-on entraver soit les capitaux, soit les profits?
Dormez bien les ami·e·s et rêvez en grand. Une autre fin est possible.
Du MARDI le 7 JANVIER 2020 (date anniversaire de la descente de la GRC et de CGL) au DIMANCHE le 12 JANVIER 2020
Nous appelons toutes les communautés qui défendent la souveraineté autochtone et qui reconnaissent l’urgence de freiner les projets extractivistes menaçant la vie des générations futures à entreprendre des actions de solidarité.
Le territoire souverain et non cédé des Wet’suwet’en est sous attaque. Le 31 décembre 2019, la juge Marguerite Church de la Cour suprême de la Colombie-Britannique a accordé une injonction contre les membres de la nation Wet’suwet’en, laquelle assume l’intendance et la protection de ses territoires traditionnels contre de multiples pipelines destructeurs, dont celui de Coastal GasLink (CGL), qui transporte du gaz naturel liquéfié (GNL). Les chefs héréditaires des cinq clans Wet’suwet’en rejettent la décision de Church, qui criminalise les Anuk’nu’at’en (loi Wet’suwet’en) ; en ce sens, ils ont émis et appliqué une ordonnance d’expulsion des travailleurs de CGL du territoire. Le dernier entrepreneur de CGL a été escorté hors du territoire par les chefs Wet’suwet’en le samedi 4 janvier 2020.
En janvier 2019, lorsque la GRC a fait une violente descente sur nos territoires et nous a criminalisés pour avoir assumé nos responsabilités envers nos terres, nous avons vu des communautés du Canada et du monde entier se soulever en solidarité avec nous. Aujourd’hui, notre force d’action découle du fait que nous savons que nos alliés du Canada et du monde entier se lèveront à nouveau avec nous, comme ils l’ont fait pour Oka, Gustafsen Lake et Elsipogtog, en fermant des lignes de chemin de fer, des ports et des infrastructures industrielles et en faisant pression sur les représentants élus du gouvernement pour qu’ils respectent la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. L’État doit cesser d’imposer sa violence en soutenant les membres du 1 %, qui volent nos ressources et condamnent nos enfants à un monde rendu inhabitable par les changements climatiques.
À l’heure où la GRC se prépare à commettre de nouveaux actes de violence coloniale contre le peuple Wet’suwet’en, allumez vos feux sacrés et venez à notre aide.
Nous demandons que toutes les actions entreprises en solidarité avec nous soient menées de façon pacifique et dans le respect des lois de la ou des nations autochtones du territoire en question.
L’année 1970 marque le 300e anniversaire de la fondation de la Compagnie de la Baie d’Hudson (aujourd’hui La Baie). Alors que les actionnaires et le gouvernement canadien festoient, en compagnie de la reine d’Angleterre qui participe aux cérémonies entourant l’événement, les peuples et les personnes autochtones qui ont été trompés et volés par la Compagnie de manière séculaire, eux, ne se réjouissent pas. Pierre angulaire du colonialisme au fondement de l’état canadien, la Compagnie de la Baie d’Hudson (CBH) est toujours en 1970 un agent actif de la dépossession de plusieurs peuples autochtones du nord du Canada (au premier rang desquels les Ojibwas). C’est cette violence coloniale que dénonce le film La face cachée des transactions, produit en 1972 par Martin Defalco et Willie Dunn. Narré par le célèbre militant George Manuel, alors chef de la Fraternité des Indiens du Canada, La face cachée des transactions constitue un véritable manifeste pour le respect et la dignité, qui expose avec force l’essence coloniale du Canada ainsi que des compagnies telle que La Baie.
Fondée en 1670, la Compagnie de la Baie d’Hudson constitue la plus ancienne société par actions du monde anglophone. Dès sa fondation, elle obtient un monopole commercial sur la Terre de Rupert. Ce territoire de 3,9 millions de kilomètres carrés lui est octroyé par une charte du roi d’Angleterre Charles II. Dès lors, la CBH est la seule qui puisse légalement installer ses postes de traite et contrôler le commerce des fourrures dans l’entièreté du bassin versant de la Baie d’Hudson. La Compagnie de la Baie d’Hudson constitue en ce sens une pièce maîtresse dans le processus colonial qui fonde le Canada. À la même époque, les colons et les marchands français consolident eux aussi des monopoles commerciaux le long du fleuve Saint-Laurent, des Grands Lacs et dans la vallée du fleuve Mississippi.
Georges Manuel, La face cachée des transactions
La consolidation d’une économie extractive impériale dans les territoires du Nord de l’Amérique instaure, dès l’arrivée des commerçants européens sur ces territoires, un rapport d’échange inégal. Les marchandises offertes par les Blancs, comme des casseroles en fer-blanc ou des armes à feu, sont des biens manufacturés européens bon-marché. Même si ces objets sont utiles, ils ne valent rien en comparaison du prix que le commerçant peut demander pour ses fourrures sur le marché européen. La première arnaque est là : dans un rapport d’échange, on suppose que les deux parties connaissent la valeur des produits échangés. Or, les Autochtones ne connaissent pas la valeur marchande des produits européens. Un fusil est échangé contre plusieurs dizaines de peaux, parfois même un nombre de peaux empilées équivalent à la longueur de l’arme. Pour obtenir de tels produits, les peuples qui font du commerce avec les Européens doivent donc passer un temps fou à trapper et chasser, un temps de travail qui ira en augmentant à mesure que les animaux se feront plus rares (à cause de la chasse intensive) et à mesure que s’instaurera un rapport de dépendance des peuples autochtones aux produits européens.
En effet, les outils en métal ou les fusils apportés d’Europe sont des produits dont les peuples autochtones d’Amérique du Nord ignorent la méthode de fabrication. Ces outils sont utiles car ils facilitent la chasse ou l’agriculture, mais leur utilisation massive entraîne parallèlement la perte des méthodes traditionnelles de fabrication d’outils en pierre (en quelques décennies seulement). Ne connaissant plus les techniques pour produire eux-mêmes les biens nécessaires aux activités quotidiennes, les Autochtones doivent donc continuer de faire affaire avec les marchands européens, ce qui implique d’échanger de plus en plus de fourrures, bien sûr obtenues par la chasse, elle même dépendante des fusils… qui ne peuvent être obtenus que grâce aux Européens. Les personnes autochtones dépendent donc du commerce inégal avec les Européens et sont forcées de travailler (à chasser notamment) des temps démesurés pour simplement survivre. Ce rapport inégal produit à terme un appauvrissement généralisé des populations autochtones ; parallèlement, les compagnies impliquées dans le commerce des fourrures (comme la CBH) engrangent des profits faramineux.
Pour préserver leur marge de profit, alors que le lucratif commerce des fourrures gagne en popularité, les compagnies européennes cherchent à consolider (politiquement ou par le biais d’alliances) leurs monopoles commerciaux. Jusqu’en 1763, la Compagnie de la Baie d’Hudson entretient une vive concurrence avec les commerçants français pour le contrôle de la traite des fourrures dans le sud de la Terre de Rupert, ce qui donne lieu à de nombreuses altercations armées. Après que le territoire soit passé aux mains des Britanniques, une nouvelle et intense concurrence entre deux compagnies anglaises, la CBH et la Compagnie du Nord-Ouest, déborde de la Terre de Rupert et s’étend jusque dans le bassin versant du fleuve Mackenzie (actuellement Territoires du Nord-Ouest et Yukon). Comme la compétition entre les deux compagnies leur nuit réciproquement, les deux compagnies décident toutefois de fusionner en 1821 (dans un geste de concentration monopolistique éloquent). Cette fusion, confirmée par le Parlement britannique, élargit le monopole de la Compagnie à la totalité des Territoires du Nord-Ouest.
À ce moment, le colonialisme et le commerce ne font qu’un, alors que la CBH est celle qui ouvre de nouveaux territoires à la présence blanche et y fournit les services gouvernementaux contre remboursement par ce dernier des frais encourus. Ainsi, la Compagnie de la Baie d’Hudson devient le principal agent colonial du Canada tout en se substituant au gouvernement et en imposant son monopole commercial si néfaste pour les peuples autochtones. Au milieu du XIXe siècle, la CBH est le substitut du gouvernement jusqu’à la vallée de la rivière Rouge et sur l’île de Vancouver même.
Cette tendance s’accentue à partir de 1867, alors que de nouveaux actionnaires prennent le contrôle de la Compagnie. Ces nouveaux investisseurs s’intéressent de plus en plus à la spéculation immobilière et au développement économique de l’Ouest canadien ; ils cherchent à se détacher de la traite des fourrures au profit de ces nouvelles activités. En 1868, en vertu de l’Acte de la Terre de Rupert, la Grande-Bretagne acquiert ce territoire (qui était propriété de la Compagnie depuis la donation de Charles II en 1670) et en transfère la propriété au nouveau Dominion du Canada. Cette transaction constitue le plus important achat de biens fonciers jamais réalisé au Canada : le territoire acquis comprend la majorité des terres qui forment aujourd’hui les provinces des Prairies ainsi que d’importantes portions du Nord du Québec et de l’Ontario, des Territoires du Nord-Ouest et du Nunavut. Avec cette transaction, le Canada repousse profondément ses frontières coloniales.
En 1910, la Compagnie est restructurée en trois services distincts : les ventes immobilières, la traite des fourrures et la vente au détail. En 1913, la CBH investit dans la construction de nouveaux magasins de détail, puisque ce secteur offre un plus grand potentiel que la vente immobilière et la traite des fourrures. En 1970, à l’occasion du 300e anniversaire de la Compagnie de la Baie d’Hudson, la reine Elizabeth II accorde alors une nouvelle charte qui révoque la plupart des dispositions de la charte précédente et qui transfère officiellement la compagnie du Royaume-Uni au Canada. Le nouveau siège social de la CBH est établi à Winnipeg au Manitoba.
Ce sont sur ces festivités du tricentenaire de La Baie que s’ouvre le film La face cachée des transactions. Profitant de cette soi-disant fête, les réalisateurs trouvent l’occasion de nous présenter 300 ans de colonialisme canadien, mais aussi de dénoncer les connivences coloniales actuelles entre le gouvernement et les compagnies. Le film, à la fois documentaire et manifeste, montre que dans des postes de traites du Nord et chez les communautés isolées de la Saskatchewan et du Manitoba, c’est toujours La Baie qui fait sa loi. Profitant de son monopole commercial de fait dans certaines zones reculées, la CBH impose des prix élevés pour les marchandises de la vie quotidienne qu’elle rend disponibles dans ses postes. C’est aussi elle qui fait crédit. C’est envers elle que les communautés s’endettent. Grâce aux droits indus qu’elle possède sur le territoire, la CBH ouvre celui-ci à l’exploitation minière. Les célébrations du 300e anniversaire de la CBH ou du centenaire du Manitoba cachent difficilement, derrière les festivités ludiques et stéréotypées, la destruction que le colonialisme et l’industrie ont apportés.
Dr. Howard Adams, La Face cachée des transactions
Si le film souligne la responsabilité des monopoles commerciaux coloniaux dans le sous-développement et l’appauvrissement des communautés autochtones partout au Canada, il met aussi en valeur les résistances mises en place par les gens afin de contrecarrer ces monopoles. Les résistances économiques et sociales se traduisent, par exemple, par l’instauration de coopératives (à Pelican Narrows ou encore dans quelques villages Inuits). Le film met aussi en valeur les différentes stratégies politiques de lutte, de l’approche juridique préconisée par la Fraternité des Indiens du Canada aux analyses révolutionnaires issues du Red Power. Le film est d’ailleurs réalisé dans un moment de résurgence politique autochtone, alors que les Premiers Peuples du Canada viennent d’obtenir une importante victoire contre le gouvernement fédéral qui voulait municipaliser les réserves à l’aide de sa politique exposée dans le Livre blanc de 1969. Les luttes autochtones et les résurgences politiques et culturelles se multiplient partout au soi-disant Canada.
Dans ce contexte, les réalisateurs Martin Defalco et Willie Dunn participent à l’Indian Film Crew, un collectif créé en 1968 à l’issue d’une série d’ateliers organisée dans le cadre du projet Société Nouvelle (Challenge for Change en Anglais) menée par l’ONF de 1967 à 1980. De ce projet sont issus plusieurs films politiquement essentiels, dont You Are on Indian Land. Un des buts du programme Société Nouvelle était de transférer le contrôle du processus de création des films aux personnes et communautés en lutte plutôt qu’à des professionnel.les du cinéma. Le programme cherche donc à offrir des moyens d’expression financés publiquement à des personnes qui autrement n’en auraient pas. C’est notamment à travers ce programme que plusieurs militant.es et artistes autochtones ont pu produire des films et des documentaires exprimant leurs revendications, documentant leurs luttes et traitant de sujets tels que les pensionnats autochtones, qui auraient difficilement pu être portés à l’écran par des personnes non-autochtones. Ironiquement, c’est grâce à ce programme, financé par le gouvernement, que les réalisateurs de La face cachée des transactions ont pu dénoncer le colonialisme de ce même régime !
Notons pour finir que les méthodes malhonnêtes de négociation avec les peuples autochtones ne sont malheureusement pas chose du passé. Afin de s’accaparer les terres autochtones non-cédées, le gouvernement canadien négocie encore à ce jour de manière trompeuse avec les peuples autochtones (et toujours au profit des compagnies !). Dans le cadre de ses politiques de règlement final, le gouvernement prête de l’argent à une communauté pour qu’elle engage des avocats, ceux-ci devant négocier pour la communauté avec le gouvernement. La communauté se trouve donc endettée auprès du gouvernement avec qui elle négocie… Pour rembourser sa dette, la communauté doit mener les négociations à terme (pour obtenir une compensation financière en échange de ses terres). Enfin, le gouvernement refuse toute autre conclusion qu’un règlement final, à savoir la cession des droits passées, présents et futurs d’une communauté sur ces terres. Si la négociation n’aboutit pas, la communauté endettée auprès du gouvernement est mise sous tutelle. Voilà une des manières dont le colonialisme se perpétue au Canada de nos jours.
Les pièces composées par Willie Dunn, dont la chanson I Pity the Country qu’on peut entendre à la fin du film, sont disponibles sur Youtube. Pour continuer la réflexion critique sur le colonialisme canadien grâce à l’art, notons le travail de l’artiste criKent Monkman, qui utilise les couvertures à points de la CBH dans sa série de toiles intitulée « Shame and Prejudices : A Story of Resilience » (Honte et préjugés : une histoire de résilience) pour représenter « les pouvoirs impériaux ayant dominé et dépossédé les Autochtones de leurs terres et de leurs moyens de subsistance ». Pour mieux comprendre les processus coloniaux actuels, notamment les négociations trompeuses pratiquées par le gouvernement canadien, on lira avec plaisir le livre Décoloniser le Canada, écrit par Arthur Manuel (fils de George Manuel) et traduit en français aux éditions Écosociété en 2018.
Commentaires fermés sur Des zombies anticoloniaux attaquent le monument de John A. Macdonald avec de la peinture orange
Oct312019
Soumission anonyme à MTL Contre-info
Halloween, 31 octobre 2019, Montréal — Lors d’une action revendiquée par des zombies anticoloniaux, des morts-vivants se sont réveillés du cimetière Saint-Antoine (1799-1855) situé sous ce qui est aujourd’hui le square Dorchester et la Place du Canada.
Les zombies anticoloniaux ont émis un communiqué pour les médias indépendants du monde vivant :
« Aux vivants—Nous sommes les mort-e-s que vous avez oublié.
Nos squelettes, enterrés entre 1799 et 1855, sont ici par milliers.
Vous nous avez recouverts d’asphalte et de béton. Vous avez érigé des parcs à la gloire du colonialisme au-dessous de nos corps. Vous avez profané notre mémoire avec le monument d’un des architectes du génocide autochtone, John A. Macdonald.
Vous avez échoué. Vous continuez d’allouer la présence de la statue de Macdonald dans un endroit public important de Montréal, par-dessus nos corps, comme un symbole de la suprématie blanche.
Les quelques tentatives des vivants anticoloniaux d’attaquer le monument raciste pour le faire retirer ont échoués à ce jour. Alors nous, les morts, avons dû prendre acte et asperger le monument de peinture orange.
La couleur orange représente notre journée sacrée de la Samhain (Halloween), mais c’est aussi une façon appropriée de profaner John A Macdonald qui était membre de l’ordre raciste et anti-catholique « Orange Order ». Après tout, les squelettes sous la place du Canada et le square Dorchester sont à grande majorité irlandaise catholique. Beaucoup d’entre nous ont été victimes des épidémies du choléra du 19e siècle.
Nous nous soulèverons encore et encore, pour attaquer cette statue, tant qu’elle ne sera pas retirée ou que la peinture sera laissée comme signe visible de contestation de l’héritage de Macdonald.
Nous sommes morts-vivants et vos lois ne s’appliquent pas à nous.
Nous avons une longue mémoire et beaucoup de motivation.
Nous n’oublions pas, nous ne pardonnons pas.
Joyeux Halloween anticolonial !
— Signé des zombies anticoloniaux du vieux cimetière Saint-Antoine (sous le square Dorchester et la Place du Canada). »
Commentaires fermés sur Des anarchistes anti-coloniaux votent en vandalisant (encore) les statues de John A. Macdonald et Reine Victoria
Oct202019
Soumission anonyme à MTL Contre-info
Quelques anarchistes anti-coloniaux de Montréal ont décidé de « voter » par anticipation aux élections fédérales en utilisant de la peinture. Encore une fois, et ce pour environ la 10e fois en trois ans, le monument de John A. Macdonald a été attaqué, cette fois-ci en bleu. La statue de la reine Victoria située sur rue Sherbrooke Ouest a également été prise pour cible.
Tel que mentionné dans les communiqués précédents, le groupe #MacdonaldMustFall à Montréal rappelle aux médias et au public que John A. Macdonald était un suprémaciste blanc. Il a directement contribué au génocide des peuples autochtones avec la création du système brutal des pensionnats ainsi que d’autres mesures destinées à détruire les cultures et les traditions autochtones. Il était raciste et hostile envers les groupes minoritaires non blancs au Canada, promouvant ouvertement la préservation d’un Canada dit «aryen». Il a adopté des lois pour exclure les personnes d’origine chinoise et il a également été responsable de la pendaison du martyr Métis Louis Riel.
Et dans les mots de la Brigade de Solidarité Anticoloniale Delhi-Dublin: « La présence de statues de la Reine Victoria à Montréal est une insulte aux luttes d’autodétermination et de résistance des peuples opprimés dans le monde entier, y compris les nations autochtones en Amérique du Nord (l’Île de Tortue) et en Océanie, ainsi que les peuples d’Afrique, du Moyen-Orient, des Caraïbes, du sous-continent indien, et partout où l’Empire britannique a commis ses atrocités. Le règne de la reine Victoria a représenté une expansion massive de l’Empire britannique barbare. Collectivement, son règne a représenté un héritage criminel de génocide, de meurtres de masse, de torture, de massacres, de terrorisme, de famines forcées, de camps de concentration, de vols, de dénigrement culturel, de racisme et de suprématie blanche. Cet héritage devrait être dénoncé et attaqué. »
Les statues de Macdonald et Victoria devraient être retirées de l’espace public. En tant qu’artefacts historiques, elles devraient être entreposées, soit dans les archives ou les musées. L’espace public devrait plutôt célébrer les luttes collectives pour la justice et la libération et non pas la suprématie blanche et le génocide.
Ce texte a été produit par la CLAC, l’IWW et Montréal Antifasciste et a été distribué lors du manifestation pour le climat qui a eu lieu le 27 septembre 2019 à Montréal. On peut aussi télécharger la brochure pour imprimer ici.
1. LES GOUVERNEMENTS NE NOUS SAUVERONT PAS
Ceux qui profitent de la destruction des écosystèmes et de l’exploitation des gens qui nous tiennent à cœur ne seront pas « réformés ». Ils prétendront entendre nos voix et, par moments, mettront en place de grandes entreprises spectaculaires pour apaiser temporairement notre colère. Ils nous encourageront à canaliser notre anxiété dans des gestes inutiles qui ne font que renforcer l’individualisme. Pendant que certain.es d’entre nous s’efforcent de prendre des douches plus courtes ou de réduire les déchets qu’iels produisent, les représentants des gouvernements, des universités et des entreprises investissent sans aucune gêne dans de nouveaux pipelines, organisent des conférences académiques dépourvues de toute critique systémique ou s’envolent vers de luxueuses rencontres pour faire des promesses creuses.
L’impact humain des émissions de gaz à effet de serre sur le climat est connu depuis la fin du 19e siècle. L’impact du dioxyde de carbone sur le réchauffement climatique est largement reconnu depuis les années 70. Depuis les années 80 et 90, les études et les modèles informatiques démontrent de façon accablante l’impact de l’activité humaine sur les changements climatiques. Cela fait plus de 30 ans que l’Intergovernmental Panel on Climate Change (IPCC) a été fondé dans le but de compiler de l’information et de conseiller les gouvernements sur la façon de minimiser les changements climatiques anthropiques (produits par l’humain) qui ont déjà causé la perte d’innombrables vies humaines et l’extinction de plusieurs autres espèces animales. Ce panel affirme maintenant qu’il ne nous reste que 10 ans avant d’atteindre un point de non-retour vers la mort de la planète. Ce sont les pays du Nord global qui consomment la majeure partie des ressources de la planète. Et pourtant, nous voici encore à demander aux gouvernements coloniaux et à la classe politique qui ont causé cette catastrophe de bannir les pailles de plastiques et d’augmenter la taxe sur le carbone. Cela fait des décennies que nous les supplions. Il est grand temps que nous reprenions le pouvoir sur la situation.
2. LE CAPITALISME ET LA CRISE CLIMATIQUE
Le capitalisme est un système socioéconomique et politique qui implique qu’une poignée de privilégiés possèdent ce dont le reste d’entre nous a besoin pour survivre. Cela signifie que la valeur des êtres sensibles est déterminée selon leur capacité à générer du profit. Les terres, les lieux de travail, les arbres, les animaux, les habitations et l’eau sont la propriété privée d’individus et d’entreprises, leur donnant ainsi le pouvoir de les exploiter comme bon leur semble, sans égard de nos préoccupations, de nos besoins et de notre bien- être. C’est ce système économique qui permet aux entreprises d’exploiter les hydrocarbures sur des territoires autochtones non cédés alors que les gouvernements étouffent toute forme de résistance en employant des forces policières militarisées.
Pour assurer son existence, le capitalisme doit maintenir en place la hiérarchie, le pouvoir et l’obéissance. C’est ce qui explique que nos actes de rébellion soient traités différemment de leurs actes de violence systémiques (ex. voler de la nourriture au Wal-Mart ou voler les terres des communautés autochtones). Les actions que l’on pose en vue d’un meilleur futur n’ont aucun sens sans une rupture radicale avec le système qui a érigé la violence et la destruction comme l’état normal (et légal) des choses.
3. COLONIALISME, RACISME ET DESTRUCTION
Être vert, c’est aussi s’opposer au colonialisme et au racisme. Ces systèmes d’oppression sont intégralement imbriqués dans la crise climatique.
La pollution atmosphérique ne peut être comprise sans prendre en compte le passé et le présent des réalités coloniales. Notre compréhension des contributions respectives de divers pays aux changements climatiques doivent rendre compte de l’émission historique des gaz à effet de serre et, encore davantage, de qui profite de la destruction. Des entreprises et des empires ont été bâtis sur l’exploitation des Noirs, des communautés autochtones et d’autres personnes de couleur. Des entreprises canadiennes et américaines assassinent des militant.es pour la protection de la terre en Amérique latine et en Afrique, empoisonnent l’air et les courants d’eau en Asie et expédient nos ordures par bateau pour les déverser loin de nos regards.
À plusieurs moments dans l’histoire canadienne, la dévastation écologique a été utilisée comme une arme à l’encontre des communautés autochtones. Au 19e siècle, la surchasse des bisons par les colons dans les Prairies a mené à des famines, alors que la pratique était encouragée en toute connaissance de cause par le gouvernement canadien de John A. McDonald comme outil génocidaire visant à « clear the West ». De telles pratiques continuent toujours aujourd’hui. Dans la communauté autochtone de Grassy Narrows, située près de la frontière de l’Ontario et du Manitoba, l’eau a été contaminée par du mercure déversé dans leur source d’approvisionnement en eau par une usine de papier en amont. Une étude estime que 90 % de la population souffre d’un empoisonnement au mercure, qui peut causer entre autres des changements émotionnels, des troubles cognitifs ou des pertes de auditives. Le métal lourd peut être transmis d’une mère à son enfant durant la grossesse, ce qui en fait une problématique qui s’étale sur plusieurs générations. C’est l’héritage du colonialisme et du génocide canadien: pour plusieurs personnes la catastrophe écologique a déjà eu lieu il y a plusieurs centaines d’années.
Les personnes les plus opprimées sont toujours celles qui payent le prix des modes de vie occidentaux et de la croissance effrénée qui les accompagne. Les sécheresses, les inondations et les famines sont de plus en plus communes et créent des réfugiés climatiques de plus en plus nombreux. Pendant qu’on se bat contre les changements climatiques, on doit aussi se battre contre le système de frontières qui accorde plus d’importance à certaines vies qu’à d’autres. On doit se battre contre la police qui entre chez des migrant.es au beau milieu de la nuit pour enlever les parents. On doit se battre contre la construction de la prison de migrant.es à Laval où des enfants grandissent derrière des barreaux. On doit se battre contre les guerres du pétrole, qui laissent dans leurs sillages des pays entiers détruits. On doit se battre contre la suprématie blanche, qu’elle prenne la forme de milices néofascistes, de chroniqueurs conservateurs ou de l’État colonial réclamant la souveraineté sur des territoires autochtones. Au bout du compte, on doit aussi confronter quiconque accepte cette situation sans en ressentir une profonde colère. On ne peut pas accepter que les privilégiés de cette planète utilisent des termes comme « surpopulation » ou « crise migratoire » parce qu’ils sont trop apeurés ou égoïstes pour s’opposer aux réels coupables de la destruction de notre monde.
4. REFUSER LES BOUCS ÉMISSAIRES ET L’EXTRÊME-DROITE
Suite à l’ouragan Katrina qui a dévasté la Nouvelle-Orléan en 2005, des suprémacistes blancs ont profité du désastre pour assassiner, au hasard, des personnes noires qui tentaient de survivre aux inondations. Plus récemment, en 2019, que ce soit à Christchurch, en Nouvelle-Zélande ou à El Paso, des néonazis ont commis des massacres tuant des dizaines de personnes de couleur en affirmant explicitement vouloir « sauver l’environnement ». Partout sur la planète, des pressions sont faites pour que les pays riches, ceux qui sont à l’origine de la crise écologique, resserrent leurs frontières et limitent l’immigration au nom de la protection des ressources naturelles. Parallèlement, des racistes s’en prennent aux minorités visibles ou aux populations du Sud global à coût de mesures coercitives de « contrôle de population » dans le but de limiter la croissance de la population mondiale. Au Québec, les membres des groupes d’extrême-droite anti-immigration se sont parfois retrouvés les bienvenus dans les espaces de mobilisation pour l’environnement, alors que les problématiques liées aux personnes de couleurs et à l’antiracisme ont été mises de côté.
Cet héritage de l’écofascisme doit être adressé et confronté. Autrement, les mouvements écologistes sont à risque de se faire manipuler et transformer en instrument d’oppression envers les populations qui subissent déjà le plus directement les catastrophes engendrées par le capitalisme
5. CE QU’ON PEUT FAIRE !
Rejeter la légalité, particulièrement quand les lois ont été faites par des États coloniaux (comme le Québec et le Canada) et ne sont pas reconnues par les communautés autochtones.
Écouter et faire place aux voix des communautés autochtones au sein des luttes contre la destruction coloniale et capitaliste des écosystèmes.
Être à l’affût de la récupération de nos luttes par les partis politiques ou les entreprises dans le but de gagner de la sympathie ou du capital.
Éviter les partis politiques, les organismes ou quiconque prétend se battre contre la domination tout en reproduisant des systèmes hiérarchiques de pouvoir.
Apprendre des façons alternatives (anarchistes, communistes, féministes, anticoloniales) d’organiser la vie sociale.
S’attaquer aux symboles du pouvoir capitaliste : les banques, les compagnies minières, les corporations multinationales.
Prioriser la lutte contre toutes les formes d’oppression, et s’assurer que le poids lié aux problèmes causés par les changements climatiques ne retombe pas sur les épaules de celleux qui sont attribué.es par le patriarcat à des rôles de soin.
Mettre en pratique des méthodes de prise de décision par consensus et établir des relations consensuelles.
S’informer, se sortir de l’isolement en trouvant des allié.es dans nos communautés et construire des réseaux de résistance avec celleux qui veulent lutter contre le pouvoir en place.
Ne prendre que des risques calculés et adopter des pratiques sécuritaires.
Et bien sûr, si on est pour se faire arrêter, que ça en vaille la peine!
Ce pamphlet a été écrit et distribué sur des terres autochtones non cédées et sur un lieu de rassemblement appelé Tiohtiá:ke (Montréal) par la nation Kanien’kehá:ka (Mohawk).
Le 4 septembre 1995, un groupe d’une trentaine d’hommes, de femmes et d’adolescent.es autochtones Chippewas de la réserve de Stoney Point, en Ontario, pénètre dans le parc provincial d’Ipperwash. L’occupation pacifique, qui dure quelque jours, fait suite aux nombreuses tentatives par les habitant.es de Stoney Point de faire entendre leurs revendications territoriales auprès des gouvernements canadien et ontarien. Mais, sous la pression du gouvernement provincial conservateur de Mike Harris, les occupant.es d’Ipperwash sont bientôt la cible d’une intervention policière musclée visant à les déloger. Au cours de l’opération, la police blessera de nombreux occupants et assassinera Dudley George, un militant de 38 ans.
Les réserves de Kettle Point (Wiiwkwedong) et de Stoney Point (Aazhoodena) sont situées dans le sud de l’Ontario, le long des rives du lac Huron. Les revendications territoriales en jeu dans la crise d’Ipperwash sont le fruit d’une longue série de dépossessions territoriales subies par les Chippewas de la région. Si la Proclamation Royale de 1763 attribue une grande partie de l’intérieur de l’Amérique du Nord aux Autochtones uniquement, elle décrète aussi que ces territoires doivent être volontairement cédés aux colons avant que ceux-ci puissent s’y établir. Lorsque les colons respectaient cette clause, ils achetaient des parcelles du territoire, au terme de négociations parfois frauduleuses et moyennant des compensations souvent infimes en regard des territoires perdus. Mais ce n’était pas toujours le cas, les colons s’appropriant parfois sans plus de manières des zones qui ne leur appartenaient pas, même en vertu de la loi coloniale…
C’est ainsi qu’en 1827, pour la modique somme de 10$ par personne par année (supposément à perpétuité), les Chippewas cèdent plus de deux millions d’acres de leur territoire au Haut-Canada, ce qui ne leur laisse que quelques zones sur lesquelles vivre : Sarnia, le canton de Moore, Kettle Point et Stoney Point. Au cours du XIXe siècle, Kettle Point et Stoney Point obtiennent le statut de réserve. Déjà à cette époque, celles-ci sont convoitées par des colons blancs, notamment des promoteurs immobiliers, qui envient la richesse et la beauté du territoire. La zone est aussi la cible de pillages de bois d’œuvre par des entrepreneurs qui estiment ne pas avoir de comptes à rendre aux personnes autochtones pour le bois volé.
En 1928, en raison de fortes pressions exercées par le ministère des Affaires indiennes, la réserve de Stoney Point cède 377 acres à des promoteurs immobiliers, y compris tout le rivage du lac Huron. Cette cession (dont la légitimité sera remise en cause en 1992, puis en 1993 à l’initiative des membres des premières nations de Kettle et Stoney Point) ampute une importante partie du territoire de Stoney Point. Puis, en 1932, le gouvernement de l’Ontario achète une partie des terres (140 acres) cédées en 1928 pour y fonder le parc provincial d’Ipperwash. La région devient alors un lieu touristique prisé et de nombreux bourgeois blancs y installent leur maison d’été. Le parc, quant à lui, est fréquenté par une masse de vacancier.ères et de campeur.euses qui profitent de ses plages magnifiques et de ses riches forêts.
En 1936, le conseil de bande de Stoney Point demande à ce qu’un cimetière, qui se trouve alors à l’intérieur des limites du parc, fasse l’objet d’une protection spéciale pour éviter sa dégradation. Le gouvernement canadien s’engage alors à clôturer le site… mais ne prendra jamais de mesures concrètes en ce sens. Malgré ce qu’en diront plus tard les politiciens, la présence d’un cimetière est indiscutable : par deux fois, en 1937 et en 1950, des ossements humains sont découverts dans le parc, dont certains sont transférés à la University of Western Ontario pour y être étudiés par les archéologues Wilfrid et Elsie Jury. La présence d’un cimetière dans le parc provincial d’Ipperwash est un fait à noter, puisque la rétrocession de ce territoire sacré à ces détenteur.trices originel.les est une des revendications principales portées par la communauté de Stoney Point et les occupant.es du parc d’Ipperwash en 1995.
En 1942, en plein cœur de la Deuxième guerre mondiale, le ministère de la Défense nationale confisque ce qui reste de la réserve de Stoney Point afin d’y construire un camp d’entraînement militaire (le camp militaire d’Ipperwash). En invoquant la loi martiale, le gouvernement outrepasse le refus de la communauté de Stoney Point, arguant que les terres seraient de toute façon restituées une fois la guerre terminée. Les habitant.es de Stoney Point sont alors exproprié.es, leurs maisons sont détruites ou déplacées dans la réserve de Kettle Point et les deux bandes sont fusionnées de force. À l’étroit au sein d’une autre communauté qui n’a pas les ressources pour les accueillir, les réfugié.es de Stoney Point s’apprêtent à subir de longues années de pauvreté et de discrimination : en effet, le gouvernement ne tiendra jamais sa promesse de rétrocession des terres confisquées. En 1995, la base militaire est toujours en activité. Depuis près de 50 ans, des demandes ont été faites pour que les terres de Stoney Point soient restituées, sans aucun résultat.
En 1993, les familles originaires de Stoney Point commencent à revenir s’installer sur le territoire de la base militaire, ou ils érigent un camp, après des années d’appels vains et de promesses non-tenues de la part des gouvernements provincial et fédéral. En mai 1993, des membres de la Première Nation de Stoney Point occupent pacifiquement une partie du camp d’Ipperwash pour faire valoir leurs revendications territoriales et forcer le gouvernement fédéral à négocier. Puis un groupe décide de charger un prix d’entrée pour les touristes voulant se rendre à la plage du parc d’Ipperwash, ce qui leur vaut une arrestation et quelques jours en garde a vue. En 1994, lueur d’espoir : le gouvernement fédéral annonce qu’il compte fermer le camp militaire et restituer les terres… mais il se révèle que c’est un mensonge une fois de plus. Excédés, des membres de la communauté de Stoney Point occupent les bâtiments administratifs du camp à la fin du mois de juillet 1995, forçant cette fois-ci les militaires à se retirer complètement.
L’occupation du parc provincial d’Ipperwash, le 4 septembre 1995, constitue une énième tentative par la communauté de Stoney Point de faire valoir des revendications territoriales vieilles d’un demi-siècle. Cette action, prévue et annoncée depuis quelques mois, s’inscrit dans la vague de réoccupation du territoire originel de Stoney Point et vise aussi à protester contre la destruction du cimetière qui se trouve dans le parc provincial d’Ipperwash. Il.les sont une trentaine, cette soirée là, à entrer dans le parc alors que celui-ci ferme pour la saison. Les occupant.es ont apporté de la nourriture et de quoi faire des feux. Malgré son caractère pacifique et la légitimité de la revendication territoriale qu’elle souhaite mettre de l’avant, l’occupation est considérée comme illégale par la police provinciale de l’Ontario (OPP), qui déploie rapidement ses agents (en uniforme comme en civil) pour patrouiller la zone.
L’objectif officiel des forces de police est d’obtenir une injonction de la cour pour faire cesser l’occupation (sans une injonction, il est difficile de prouver que l’action est illégale au niveau juridique, même si elle est de facto traitée comme telle). Parce que l’occupation concerne une revendication territoriale, l’OPP a aussi prévu 13 négociateurs dans le cadre du Projet Maple, un plan sensé assurer la résolution pacifique du conflit via la négociation et des procédures juridiques. Malgré ces prétentions pacifiques, de nombreux équipements militaires et de surveillance sont amenés sur place : hélicoptères, bateaux, fourgons, fusils de longue portée… La police a aussi mobilisé son escouade anti-émeute, qui encercle rapidement les militant.es non-armé.es. La trentaine de personnes qui se trouve dans le parc, à laquelle même les médias ne portent pas attention, se retrouve bientôt au centre d’une surveillance digne d’un scénario de prise d’otage. La soirée même, des policiers tentent de pénétrer dans le parc, mais sont repoussés.
Si l’occupation génère du support dans la communauté, elle rencontre aussi l’opposition du chef de Kettle Point et Stoney Point, Tom Bressette, qui prend initialement position contre les occupant.es, qu’il qualifie de fauteur.euses de trouble. Mais il n’est pas le seul que cette occupation dérange. Le gouvernement provincial conservateur, qui vient tout juste de remporter ses élections, convoque une réunion d’urgence : il réclame une intervention immédiate. Moins de deux jours après le début de l’occupation, le 6 septembre 1995, alors que le premier ministre ontarien Mike Harris célèbre sa victoire électorale au York Club de Toronto lors d’un souper gargantuesque réunissant la crème du patronat des journaux canadiens, l’escouade anti-émeute de l’Ontario Provincial Police s’apprête à marcher sur le parc d’Ipperwash.
Cette soirée là, c’est le racisme des policiers, leur violence et l’intransigeance du gouvernement colonial qui auront raison de Dudley George. Alors que plusieurs occupant.es quittent le parc et que ceux qui restent allument des feux pour la nuit, des rumeurs de présence d’armes à feux sur les lieux commencent à courir parmi les policiers. Celles-ci sont absolument infondées. La surveillance para-militaire opérée depuis des jours par la police l’a bien montré. Malgré tout, des bâtons sont confondus avec des carabines et des cigarettes sont vues dans le noir comme des pointeurs de fusils ; des feux d’artifices, comme des coups de feu d’armes automatiques. Et malgré ces rumeurs, qui devraient logiquement pousser les « forces de l’ordre » à faire preuve de prudence, la charge est lancée. Les policiers en anti-émeute entrent dans la zone occupée en tapant sur leur bouclier, une tactique sensée effrayer les occupant.es pour les disperser.
Dans le but d’éviter une escalade de la situation, Cecil Bernard ‘Slippery’ George, membre du conseil de bande, tente alors de s’interposer entre les policiers et les occupant.es en répétant que personne n’est armé. Il est sévèrement battu par une dizaine d’agents. Plusieurs personnes tentent de lui porter secours, mais sans succès. Pour sauver Slippery George, maintenant inconscient, Nicolas Cottrelle, 16 ans, décide de foncer vers les policiers à l’aide d’un autobus scolaire qui se trouvait là. Si la stratégie fonctionne et que les policiers se dispersent, elle ne les empêche pourtant pas de tirer sur l’autobus et son conducteur, de blesser Nicolas Cottrelle et de tuer un chien qui se trouvait dans l’autobus avec lui. Alors qu’il se trouve au milieu de la mêlée, désarmé et à découvert, Dudley George est quant à lui blessé gravement. Il succombera aux balles de l’agent assassin Kenneth Deane, un des tireurs d’élites déployés sur place par la police provinciale de l’Ontario.
– Vous savez, si vous aviez coopéré, vous auriez pu être libérés plus tôt. – Coopéré en quoi ? Je n’ai rien fait. Tout ce que j’ai fait c’est amener mon frère à l’hôpital parce que vous l’avez tué.
Réponse de Pierre George à un détective au lendemain de sa libération et de l’assassinat de son frère Dudley George par la police provinciale de l’Ontario.
À deux doigts de la mort, Cecil Bernard ‘Slippery’ George est amené en ambulance à l’hôpital. Deux blessés graves le suivent : Nicolas Cottrelle et Dudley George (qui est alors inconscient en raison de la gravité de ses blessures) sont conduits à l’urgence par leurs proches. Les policiers, quant à eux, reviennent de cette intervention en dénombrant un seul blessé, un agent qui s’est foulé la cheville.
À leur arrivée à l’hôpital, Pierre et Carolyn, le frère et la sœur de Dudley Geroge, sont immédiatement interpellé.es et arrêté.es par la police. Accusé.es de tentative de meurtre, il.les n’auront même pas l’occasion de faire leurs adieux à leur frère : cette nuit là, celle où les médecins constatent la mort de Dudley Geroge, Pierre et Carolyn la passent injustement en prison. Il.les sont libéré.es le lendemain. Pour avoir tenté de sauver Slippery George, Nicolas Cottrelle sera aussi accusé de tentative de meurtre. Le lendemain du meurtre de Dudley George, dans un geste de solidarité, des habitant.es de Kettle Point érigent un barrage sur l’autoroute 21 près de l’occupation. Il.les sont les premier.es à faire face aux médias, qui se mettent soudainement à porter attention aux événements d’Ipperwash.
L’extrême violence de la police dans la nuit du 6 septembre 1995 n’est pas sans lien avec le contexte de graves tensions nationales qui émerge d’une autre confrontation qui a lieu presque au même moment en Colombie-Britannique à Gustafsen Lake. Pendant 31 jours, du 18 août au 17 septembre 1995, les Secwepemc, qui affirment seulement leur droit d’usage d’un site sacré leur appartenant traditionnellement et non-cédé, doivent affronter un siège de la GRC qui ne recule devant rien pour les déloger. La réponse du gouvernement de l’Ontario n’est pas non plus sans lien avec la panique qu’avait déclenché, cinq ans auparavant, la crise d’Oka. L’intransigeance de la police et du gouvernement à Ipperwash est directement liée à ce contexte de répression nationale des demandes légitimes des nations autochtones par les gouvernements coloniaux qui voient les limites de leur capacité à tromper ceux et celles qu’ils dépossèdent depuis des centaines d’années. Confrontés sur plusieurs fronts aux exigences légitimes des peuples autochtones, les gouvernements fédéral et provinciaux réagissent partout de la même manière : par la répression militaire d’état.
L’occupation du camp d’Ipperwash visait à obtenir justice. Elle visait à retrouver une souveraineté sur des territoires qui avaient été dépecés, confisqués et vendus en fonction des intérêts des colons, sans égard pour ceux et celles qui y habitaient. Elle visait aussi à faire cesser la destruction d’un lieu sacré, le cimetière, piétiné pendant des années par des vacancier.ères blanch.es parce qu’il se trouvait dans les limites d’un parc national érigé sur un territoire colonisé. La crise d’Ipperwash aura fait un mort, meurtre que la police aura l’audace de présenter comme un acte d’auto-défense. Afin d’obtenir justice pour le meurtre de leur proche, la famille de Dudley George entame, dans les mois qui suivent l’occupation, des poursuites contre le premier ministre Mike Harris et la police provinciale de l’Ontario. C’est la première fois qu’un premier ministre en fonction est cité à comparaître. Une longue bataille juridique s’amorce.
« The prisons are full of Indian people who stole a carton of cigarettes, but if you kill a Native, you’re free. »
Sheila Hippern, Stoney Point (One Dead Indian, page 216)
Si le gouvernement ontarien est traîné en justice, c’est aussi le cas pour plusieurs personnes ayant participé à l’occupation du parc provincial. Ces accusations portées contre les occupant.es du parc d’Ipperwash sont en majorité sans fondement et la plupart des accusé.es sont aquitté.es. Sous enquête, les policiers entretiennent un silence coupable quant à leur rôle dans le tabassage subi par Cecil Bernard George. Aucun enregistrement de la soirée, audio, vidéo ou en photo n’a pu être retrouvé ; un bris d’équipement aurait empêché la police d’enregistrer, selon la procédure, ses agissements. Sur les 250 témoins interrogés, aucun ne fournit d’information probante, ce qui force finalement la fermeture du dossier. Pour avoir consciemment tiré sur un homme désarmé et pour avoir menti à plusieurs reprises devant la justice sur ses agissements ce soir là, Kenneth Deane, l’assassin de Dudley George, est finalement condamné pour négligence criminelle causant la mort. Il purgera sa peine en faisant des travaux communautaires.
La mort de Dudley George aura aussi comme conséquence de lancer une enquête gouvernementale qui mènera à des recommandations pour qu’un tel événement ne se reproduise plus. Malgré le caractère intrinsèquement colonialiste du Canada, les terres de Stoney Point seront graduellement rétrocédées à la communauté Chippewa. La lutte exemplaire des Chippewas à l’automne 1995 et leur détermination devant les tribunaux aura réussi, pour une fois, à faire plier le gouvernement. En 2007, le parc provincial d’Ipperwash est remis aux membres de la communauté de Stoney Point. En 2015, les terres confisquées par le ministère de la Défense en 1942 sont rétrocédées par le gouvernement ontarien à la communauté. Cela aura pris presque un siècle, un mort et des années de procédures judiciaires épuisantes pour que les gens de Stoney Point retrouvent un territoire qui n’aurait jamais dû leur être soustrait. Cette victoire a été acquise au prix du sang.
La crise d’Ipperwash nous rappelle que l’état canadien est fondé sur le vol et le génocide des peuples autochtones. Sa condition d’existence, le colonialisme de peuplement, implique parallèlement l’annihilation de sociétés pré-coloniales. Pour cela, tous les moyens sont bons, de l’élimination physique à l’acculturation, en passant par la répression politique et juridique. Les agissements de la police ou de l’armée dans le cadre des différentes crises autour des revendications territoriales autochtones sont à comprendre dans ce contexte. En effet, même si la police ne subit pas toujours directement de pressions politiques (comme ce fut par ailleurs le cas lors de la crise d’Ipperwash), elle soutient néanmoins les valeurs fondamentales de l’état qu’elle défend et ses lois. Si ces lois et juridictions sont injustes pour une partie de la population, la police reproduira ces injustices, sous le couvert de la loi et l’ordre. Ici, la loi et l’ordre, c’est le colonialisme. Les boucliers se lèvent chaque fois que cela est remis en question. Et l’assentiment presque généralisé que reçoit cette répression de la part des descendant.es de colons contribue à perpétuer cette situation inique.
Enfin, la nouvelle stratégie de pacification des relations entre Autochtones et gouvernements ne doit pas faire illusion. À ce jour, on exige toujours des peuples autochtones qu’ils renoncent à leurs droits ancestraux pour pouvoir obtenir une compensation financière et territoriale. Le gouvernement continue de retirer les enfants des communautés sous prétexte de les protéger. On voit toujours le rouleau compresseur de l’acculturation à l’oeuvre, et ce n’est pas la présence de quelques personnes autochtones en public qui change ce paradigme. Enfin, les personnes autochtones continuent d’être incarcérées et de subir les violences policières de plein fouet. La pacification semble fonctionner à sens unique. Et comme nous l’a démontré l’exemple d’Ipperwash, seule la lutte des peuples autochtones pourra leur donner gain de cause quant à leurs revendications légitimes.
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Sur la crise d’Ipperwash, on consultera avec profit le livre One Dead Indian de Peter Edwards (2001), qui offre un récit honnête de la violence d’état durant cette crise. Les documents de l’enquête sur Ipperwash sont disponibles en ligne, dont celui élaboré par la première nation de Stoney Point sur l’histoire d’Aazhoodena. On pourra aussi regarder le documentaire de SubMedia : Ipperwash Crisis in 5 minutes, qui rend compte de la crise de manière frappante. Pour avoir une vue d’ensemble des luttes autochtones au Canada des années 1970 à aujourd’hui, on consultera le livre du grand militant secwepemc Arthur Manuel, Décoloniser le Canada (2018). Enfin, sur les procédures actuelles mais toujours trompeuses du gouvernement du Canada, on consultera le livre de Glen Sean Coulthard, Peau rouge, masques blancs (2018). L’auteur y explique comment l’actuelle stratégie de pacification des rapports entre gouvernements et Autochtones reste au désavantage de ces derniers.