Commentaires fermés sur Indonésie : Urgent : Les inculpé.es dans l’affaire du réseau « Chaos Star » risquent jusqu’à vingt ans de prison
Nov032025
Soumission anonyme à MTL Contre-info, traduction de Attaque
À la suite des révoltes de masse d’août 2025, quand une grande partie de la population s’est soulevée et a attaqué la corruption et l’inégalité fondamentales de l’État, 44 compas anarchistes sont emprisonné.es dans la caserne de la police paramilitaire de Java occidental, à Bandung. Il n’y a d’accès aux visites pour personne d’autre que leurs familles et même cela est réduit minimum. Les détenu.es ont été isolé.es et ils/elles sont utilisésDe dans une campagne de manipulation menée par l’État indonésien par le biais des médias grand public. Beaucoup de nos compas emprisonné.es sont très jeunes. Elles/ils sont tou.tes accusé.es de faire partie du réseau individualiste-nihiliste « Chaos Star » , une invention crée par la police dans le but de les poursuivre. La police affirme que les compas emprisonné.es ont été radicalisé.es par de « leaders » et financé.es par des organisations anarchistes étrangères. Les flics indiquent que l’existence de bannières, de drapeaux, de livres, de brochures et de musique, qui étaient en possession des détenu.es, montreraient leur appartenance à l’organisation « Chaos Star ».
Certain.es compas sont accusé.es d’actions directes graves, telles que des attaques au cocktail Molotov, des incendies, des émeutes, la destruction de biens, etc. Enfin, certain.es des compas sont accusé.es de provocation aux crimes et délits, soit en ligne, pour leurs blogs ou médias sociaux, soit pour leur rôle « proéminent ». Ils/elles sont isolé.es dans la caserne de la police paramilitaire et le Legal Aid Institute (LBH) de Bandung a été empêché de les représenter. Une option serait d’embaucher un avocat privé, mais cela coûterait des dizaines de millions de rupiah. Nous demandons une attention accrue sur cette situation dangereuse. La torture et les mauvais traitements sont largement utilisés sur les détenu.es, ce que les familles ont confirmé. Les jeunes compas ont été blessé.es et tabassé.es jusqu’à ce qu’elles/ils fassent de faux aveux, disant qu’ils/elles ont participé aux manifestations et/ou font partie d’organisations précises, car elles/ils ont été soumis.es à la brutalité de la police paramilitaire. C’est un fait connu et une réalité que nous devons affronter. À la suite de l’insurrection, dans toute l’Indonésie, contre l’ex-militaire de droite Prabowo Subianto, les jeunes et le mouvement anarchiste ont été sévèrement réprimé.es par le régime. Beaucoup de jeunes ont été capturé.es lors des assauts de la police et, peu importe leur « culpabilité » ou « innocence » supposées, nous sommes solidaires avec elles/eux et avec tou.tes ceux/celles qui luttent contre l’oppression sociale, les prisons, la police et l’État.
Nous publions les noms de nos compas emprisonné.es et l’adresse de la prison de la caserne de la police paramilitaire de Java occidental, où nos ami.es sont détenu.es. Ne laissons pas ces compas seul.es et envoyons leur des lettres de solidarité, des cartes postales et notre message de feu. Même si le courrier solidaire est volé et bloqué par ceux qui leurs administrent ces abus, ceux-ci sauront que nous les tiendrons tous responsables de ce qui se passe à Bandung. Allumons les lumières sur ce que les tortionnaires détestés de la police et le régime de Prabowo Subianto font à nos jeunes compas, où cela se passe et par qui et ripostons contre la police et toutes les prisons, partout.
ABC/Palang Hitam
Adresse de la caserne de la police paramilitaire de Java occidental :
(indiquer le nom de la /du détenu.e) Jl. Soekarno Hatta No.748, Cimenerang, Kec. Gedebage, Kota Bandung, Jawa Barat 40292, Indonésie
Première liste Noms des compas suspecté.es de crimes génériques :
Aditya Dwi Laksana (A.d) Mochamad Naufal (M.n) Gregorius Hugo (G.h) Rizki Mahardika (R.m) Herdi Supriyadi (H.s) Rizalussolihin Alias Jalus .(R.s) Rhexcy Fauzi Kunaidi (R.f.k) Tubagus Andika Pradita (T.a.p) Muhamad Jihar Fawak (M.j.f) Angga Wijaya (A.w) Muhamad Subhan (M.s) Eli Yana (E.y) Muhamad Vansa Alfarisi (M.v.a) Muhamad Sulaeman (M.s) Muhamad Rifa Aditya (M.r.a). Veri Kurniawan Kusuma (V.k.k) Joy Erlando Pandiangan (J.e.p) Muhamad Jalaludin Mukhlis (M.j.m). Jatnika Alang Ramdani Septiawan (J.a.r.s). Ariel Octa Dwiyan (A.o.d). Angga Friansyah (A.f). Putra Riswan Anas (P.r.a). Zanief Albani Yusuf (Z.a.y). Wanda Abdurrahman (W.a). Wawan Hermawan (W.h). Reyhan Fauzan Akbar (R.f.a)
Deuxième liste Compas suspecté.es de crimes liée à internet :
Arfa Febrianto Bin Dodo Sujana (A.f) Rifal Zhafran Bin Rohman Maulanarifal Zhafran Bin Rohman Maulana (R.z) Muhibuddin Bin Maemun (M.d) Muhammad Zaki Bin Bambang Priono (M.z) Arya Yudha. (A.y). Azriel Agung Maulana Als Gama Bin Jabidin. (A.a) Rifa Rahnabila Bin M Suparman ( R.r) Marshall Andy Kaswara Bin Nandang Koeswara (M.a.k) Yusuf Miraj Bin Tata Rohmana (Y.m) Moch Sidik Als Acil (M.s) Deni Ruhiat Als Deni Sumargo Bin Rudik (D.r) Cheiza Bin Tatang Hernayadi (C.z / Anak) Rizky Fauzi Als Arab Bin Hasan (R.f) Muhammad Ainun Komarullah (M.a.k) – Muhammad est accusé d’être un administrateur du compte Instagram @Blackbloczone et du site web https://blackbloczone.noblogs.org. Andi Muh. Ashabulfirdaus (A.f) – Andi est accusé d’être un administrateur du compte Instagram @Blackbloczone. Dana Ditya Pratama (D.d) – Dana est accusé d’être un administrateur du compte Instagram @Blackbloczone et le titulaire du compte de son porte-monnaie électronique.
Troisième liste Compas suspecté.es d’avoir un rôle de leaders :
Reyhard Rumbayan Eat a été interpellé à Makassar le 23 septembre 2025 [voir ici ; NdAtt.]. Par le passé, Eat avait été en prison pour une attaque de la FAI/FRI contre une banque, en solidarité avec le compagnon anarchiste Luciano Tortuga, blessé au Chili en 2011. Eat a été accusé d’avoir un rôle de leadership au sein du réseau « Chaos Star » et d’être le chef des émeutier.es anarchistes. Il est à l’isolement et n’a le droit de rencontrer personne. Eat a eu une audience préliminaire le 16 octobre et la période d’enquête sur lui s’étend jusqu’au 20 novembre 202[5]. Eat a de graves problèmes de santé et il a un bras paralysé, après un accident de moto, il y a quelques années, quand un.e autre compa est mort.e. Il a besoin de soins médicaux continus.
Bima Satria Putra [Attention, lire la mise à jour ci-dessous ; NdAtt.] Bima est un anarchiste emprisonné pour la possession de dix kilos de cannabis, connu pour son projet de syndicat des prisonnier.es, ses traductions et ses écrits, depuis son incarcération en 2021. Bima a été transféré du centre de détention de la ville de Palembang à Bandung, où sont détenu.es tou.tes les 43 inculpée.es de l’affaire du réseau « Chaos Star ». En raison du manque général d’informations, il n’est pas clair quelles accusations ont été portées à son encontre. Très probablement, il est accusé de provocation aux crimes et délits et on lui attribue un rôle de leadership, en raison de ses écrits publics. Cependant, Bima ne fait partie d’aucun réseau anarchiste individualiste/nihiliste ni d’aucune cellule égoïste.
Les chefs d’accusation portés contre tous les suspect.es comprennent la violation des articles 187 et/ou 170 et/ou 406 du code pénal et/ou de l’article 1(1) de la loi d’urgence n° 12 de 1951, avec une peine maximale de vingt ans de prison.
En plus, elles/ils peuvent être poursuivi.es en vertu de l’article 45a(2), en combinaison avec l’article 28(2) de la loi n° 1 de 2024, qui modifie la loi n° 11 de 2008 sur l’information et les transactions électroniques (ITE) et/ou des article 170 et 406 du code pénal et/ou de l’article 66 de la loi n° 24 de 2009 sur le drapeau national, la langue, les emblèmes et l’hymne national. La peine pourrait aller jusqu’à six ans de prison.
Pour la provocation aux crimes et délits, ils/elles peuvent aussi être poursuivi.es en vertu de l’article 45a(2), en combinaison avec l’article 28(2) de la loi n° 1 de 2024, qui modifie la loi n° 11 de 2008 (ITE), avec une peine maximale de six ans et/ou une amende pouvant aller jusqu’à un milliard de rupiah [quelque chose dans l’ordre des 52 000 euros, au change de fin octobre ; NdAtt.].
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Mise à jour du 1er novembre 2025
Selon une information plus récente, Bima Satria Putra n’a pas été transféré à la caserne de la police paramilitaire de Java occidental, à Bandung. Il a été placé à l’isolement, du 18 octobre au 30 novembre (la raison n’est pas connue), mais toujours dans la prison de Merah Mata, à Palembang, où il se trouve depuis décembre 2021, pour purger une condamnation à quinze ans pour possession de marijuana. Il va bien.
L’adresse pour lui écrire est :
Bima Satria Putra Lembaga Pemasyarakatan Klas l Palembang Jl. Taqwa Mata Merah, Karya Mulia, Kec. Sematang Borang Kota Palembang, Sumatera Selatan 30962 Indonésie
Il est devenu rare de se déplacer en ville sans être épié par des cameras à chaque coin de rue; l’état policier sévit avec son acquisition de nouveaux logiciels IA comme celui que le SPVM vient d’annoncer, BriefCam. Les fonctionnalités de ce dernier incluent :
-Recherche multi-caméras -Synopsis vidéo des va-et-vient d’un individu sur une période de temps -Reconnaissance faciale -Reconnaissance de plaques d’immatriculation -Recherche par caractéristique (physique ou description d’un véhicule) -Envoi d’alertes de détections d’invidivus ou de localisation.
Fuck les yeux de l’état, rejoins cette saison de CamOver! Dans CamOver, tu joues un groupe d’humains confronté avec une invasion de caméras dans leur quartier. La lutte contre les caméras est importante, mais ta survie est essentielle! Afin de gagner, tu dois former une équipe avec des ami.e.s dans ton quartier et détruire le plus de caméras possible. Cette saison de CamOver débute la fin de semaine de la Convergence Tech Anarchiste 2025 et continue jusqu’à la fin du mois de novembre 2025. Sois rapide et déplace-toi à l’insu de l’état de surveillance, que leurs réseaux d’espionnage se rompent sur le trottoir. Le quartier avec le plus de points remporte la partie!
Que le vandalisme démarre! Que cette saison de récolte soit fructueuse!
Conditions d’engagement (tel que vu lors de la dernière saison de CamOver)
1. Préparation Parle avec tes ami.e.s et réunisser un groupe affinitaire. Marcher dans le coin et identifier les cibles potentielles. Pendant votre repérage, prenez note des aspects suivants de chaque cible: où mettre vos masques sans être détecté.e.s, où positionner vos points d’observation, et quel sera le chemin de sortie.
2. Sabotage La nuit est arrivée. Choississez l’outil approprié et poursuivez votre route. Positionnez vos éclaireurs, mettez vos masques aux points prédeterminés et confirmez que personne ne vous voit. Commettez l’acte de sabotage et quittez les lieux en utilisant le chemin de sortie le plus vite possible.
3. Partagez Calculez votre score: un point par caméra. Écrivez un text court racontant vos actions et envoyez-le à mtlcontreinfo.org. Vous pouvez aussi joindre une image et-ou une vidéo au texte. Si vous réussissez à quittez avec une ou plusieurs caméra(s), soyez créatif: posez avec, dansez avec, transformez-les en pantins ou en installation artistique.
Pourquoi jouer?
• Pour développer des compétences et des affinités qui peuvent servir dans de multiples situations : l’utilisation de certains outils, la planification d’actions, devenir méconnaissable, s’enfuir de la police, comment communiquer dans de telles instances. • Pour garder nos rues sans surveillance; pour laisser le SPVM savoir que nous ne tolérons pas cette vague de technologie de surveillance. • Pour transformer les relations avec nos voisins, pour développer des connaissances intimes avec nos rues, les batiments, les ruelles, etc. • Pour rendre nos quartiers plus sécuritaires : pour celleux dont les activités quotidiennes sont criminalisées (traffiqueu.se.r.s de drogue, travailleu.se.r.s du sexe, etc.), graffeu.se.r.s et pour celleux qui luttent contre les systèmes de domination.
• Attache un petit objet, tel qu’un petit bout de bois, à la corde. • Jette la corde par dessus le bras de la caméra. • Prend les deux extremités de la corde et tire!
« Au début des années 1980, dans un milieu de squats, de punk, d’activisme et de vol à l’étalage, quelques individus affectés par les conflits en cours – luttes autochtones et écologistes, guérilla et guérilla urbaine – se rencontrent et complotent.
Nous sommes au Canada. Dans un milieu de contestation et de vie collective bien connu, l’objectif de Doug, Anna et Brent : construire un groupe armé de type anarchiste. Poser des actes destructifs qui bloquent le pouvoir dans ses projets nocifs, et ce, toujours en soutien avec les mouvements d’opposition. Ensuite : inspirer et instruire d’autres groupes pour qu’ils passent à l’attaque à leur tour.
L’approfondissement de leur rencontre donnera naissance à une expérience particulière et intéressante à laquelle vont se joindre plus tard Juliet et Gerry. Cette expérience se nommera Direct Action. »
Texte originellement publié dans la revue Takakia, brame de combat contre le Mordor industriel, #3 (automne-hiver 2024).
Commentaires fermés sur Fuck la répression, les vitres de Concordia cassées
Oct122025
Soumission anonyme à MTL Contre-info
Deux fenêtres ont été cassées lors de la manifestation du 7 octobre à Concordia en raison de leur suspension et de leur traitement de la grève lundi, car ils ont invité les policiers sur le campus et ont utilisé les services de sécurité pour arrêter deux personnes. Que la sécurité de Concordia suce mes deux roches. Vive la liberté. Vive l’anarchie.
Nous assistons au génocide le plus documenté de l’histoire en Palestine et à la consolidation d’un régime fasciste aux États-Unis. Nous sommes beaucoup à nous demander quoi faire. Voici un cadre conceptuel pour comprendre ce qui se passe et des pistes d’actions. Cette synthèse a été écrite à l’aide de matériel provenant entre autres de Kelly Hayes et de son blog Organizing my Thoughts, de Mariame Kaba et d’Andrea Ritchie de l’organisation Interrupting Criminalisation, d’Ejeris Dixon et son balado Fascism Barometer, de Scot Nakagawa et son blog The Anti-Authoritarian Playbook, du blog flegmatique d’Anne Archet, de la chaîne YouTube Thought Slime et du livre l’Antifascisme de Mark Bray.
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Quelques bases
Les mouvements, partis et régimes fascistes se reconnaissent par :
Leur trajectoire autoritaire visant le démantèlement des structures démocratiques, l’élimination de la dissidence et le maintien au pouvoir de leur leader.
Leurs mensonges flagrants qui n’affectent pas le support de leurs partisans.
Leur propension à instrumentaliser ou à créer de toutes pièces des crises pour s’enrichir et pour restreindre les libertés civiles telles que la liberté de mouvement, de rassemblement, de manifestation, de presse et le droit à un procès juste et équitable.
Leurs représentations idéalisées de la race et de la nation, qu’ils articulent en termes de pureté, d’unité et de loyauté.
Leur désir de dominer et/ou d’éliminer les groupes marginalisés (femmes, migrant’es, personnes 2LGBTQIA+, personnes noires, autochtones, minorités religieuses, personnes handicapées, pauvres, autistes, etc.) se présentant d’abord sous forme d’attaques répétées contre leurs droits fondamentaux et de discours déshumanisants.
Leur conviction que les inégalités ne proviennent pas de conditions sociales, mais sont naturelles, biologiques, et que cette hiérarchie devrait leur assurer les pleins pouvoirs.
Leurs références à un passé fictif où c’était supposément le cas.
Leur fétichisation de la violence comme réponse à l’humiliation de ne pas dominer totalement ces groupes marginalisés.
Leur double objectif de nettoyage interne et d’expansion externe.
Le fascisme peut s’emparer du pouvoir de l’État à travers des élections, un coup d’État, ou un mélange des deux comme dans le cas de l’administration Trump qui a gagné les élections, mais qui a aussi profité de son arrivée au pouvoir pour effectuer un « coup administratif », soit l’usurpation illégale des pouvoirs du congrès et des différents départements de l’État par Elon Musk et DOGE.
Une fois au pouvoir, le fascisme se sert d’un processus bien connu pour opérer : la criminalisation. Il passe des lois qui rendent certaines activités criminelles et déploie la police, le système judiciaire et les prisons contre les gens qui les pratiquent. Il criminalise par exemple :
Le fait de donner ou recevoir certains soins (avortement, soins d’affirmations de genre, éventuellement soins aux personnes autistes, aux personnes handicapées…)
Le fait de donner de l’information (en transformant la définition de pornographie pour que les lois s’appliquent à tout livre qui traite de queerness, en transformant la définition d’antisémitisme pour y inclure toute dénonciation du génocide contre le peuple palestinien, en arrêtant des avocats qui donnent de l’information légale aux migrant’es…).
Le simple fait d’exister sur ce territoire (révocation en masse de visas, annulation des statuts, criminalisation des sans-abris…).
Au-delà des lois, la criminalisation est un processus politique par lequel on désigne des groupes entiers de personnes comme des menaces :
Les femmes trans et intersexes menaceraient ainsi les femmes cis, entre autres dans le sport.
Les manifestant’es menaceraient le reste de la population.
Les migrant’es menaceraient le marché de l’emploi, le marché du logement et la classe populaire.
Les musulman’es menaceraient la sécurité nationale.
Ces menaces sont nourries par les fascistes jusqu’à devenir dans leur narration des menaces existentielles au futur de la nation, et ce faisant :
On déshumanise ces groupes de personnes.
On les dépouille d’avance de leurs droits fondamentaux.
On les dépeint comme des « autres » qu’il faut violemment contrôler, punir et faire disparaître.
On s’en sert comme de boucs émissaires pour tous les maux provoqués par le capitalisme et le fascisme.
C’est par ce processus de criminalisation que les régimes fascistes manufacturent le consentement de la population face aux violences déployées contre certains groupes (violence physique et psychologique, enlèvement, travail forcé, déni de soins, assassinat…). On fait croire aux gens :
Que les victimes ne sont pas violentées par haine, mais qu’elles sont punies pour des crimes.
Qu’ainsi cette violence est justifiée. Qu’elle est normale.
Que tant qu’iels ne commettent aucun crime, il ne leur arrivera rien.
Mais plus le temps passe, plus la définition de ce qui est un crime s’élargit.
Ce processus existe aussi dans ce qu’on appelle les démocraties libérales qui ont développé tout l’appareillage judiciaire et carcéral. Les fascistes ont besoin de cette infrastructure et de la légitimation de ce système industrialo-carcéral pour fonctionner et c’est exactement ce que leur offrent les démocraties libérales.
Rappelons ainsi :
Que la police et les prisons sont un héritage de l’esclavage et de la colonisation.
Que les peuples autochtones au Canada ont été la cible de violences génocidaires.
Que leurs danses, leurs rituels, leurs langues ont été criminalisées.
Qu’iels ont subi des stérilisations de masse, des déplacements forcés et des abus multiples dans les écoles résidentielles.
On peut en comprendre que le fascisme n’est pas tant en rupture avec les démocraties libérales qu’il en est la forme-panique. Ainsi, le fascisme qui se consolide actuellement aux États-Unis et qui se concrétise au Canada et Québec se caractérise aussi par :
Une panique devant les avancées récentes en termes de justice sociale, qu’ils nomment « wokeness » et qui menacent leur domination.
Une panique devant la crise climatique et les efforts pour l’amoindrir, qui dans les deux cas menacent les ressources dont ils dépendent pour maintenant leur domination.
Une alliance tendue entre des fondamentalistes chrétiens, un mouvement populaire raciste et sexiste, une élite du monde de la politique et des oligarques ultrariches du monde de la techno.
En vrac, quelques autres données importantes sur le fascisme :
Les fascistes veulent nous faire perdre notre temps. Ils vont dire toutes sortes de mensonges pour que nous passions des heures à prouver nos points, à décortiquer leurs propos, à clarifier les faits. Et ils vont changer complètement leur discours le lendemain pour nous obliger à recommencer.
Pour les fascistes, certaines vérités (mythiques) sont plus importantes que la réalité. Si la réalité ne concorde pas avec leur vérité, c’est la réalité qui a tort. Leur rapport au réel en est grandement affecté et on ne peut les convaincre qu’ils font fausse route en leur prouvant ce qui est réel. Ça ne change rien à leur vérité.
Par-dessus tout, les fascistes veulent le pouvoir. C’est ce qui les motive. Ils vont changer de discours et de valeurs autant qu’il le faut pour acquérir et maintenir leur pouvoir.
Ils veulent être les plus forts pour survivre, dans une vision darwinienne caricaturale de l’évolution. Ils veulent dominer. Selon cette vision, tout ce qui les maintient au pouvoir est justifié; ils ont raison car ils dominent et c’est la seule preuve dont ils ont besoin.
Le fascisme n’est pas le fait de quelques personnes externes au-dessus de la population. Les gens participent, coopèrent, puis deviennent acculturés au fascisme. Ça devient leur réalité, leur manière de comprendre le monde.
Comment y faire face
Historiquement, ni l’appareil de l’État, ni les partis d’opposition, ni le système de justice, ni les grands médias n’empêchent l’avènement de régimes fascistes. Les élites néolibérales qui gèrent les démocraties peuvent sembler s’y opposer, mais devant un monde de plus en plus invivable où il devient impossible de maintenir à la fois le capitalisme et les démocraties libérales, elles aussi vont aussi adopter des politiques de plus en plus fascistes. Pour les néolibéraux, la criminalisation et/ou l’abandon de groupes toujours plus grands de personnes marginalisées sera articulée comme une question de pragmatisme et d’inévitabilité, alors que pour les fascistes elle sera articulée comme le retour souhaité d’un ordre naturel inégalitaire et violent. Bref, il ne faut pas s’attendre à leur support.
C’est l’organisation populaire qui offre la meilleure résistance. Et si la normalisation de la police, des prisons et de la surveillance de masse dans nos sociétés a rendu cet effort plus difficile, présentant ces outils de contrôle comme nécessaires, voire naturels, il existe tout de même de multiples voies pour résister collectivement.
Ce qu’on peut faire dans un premier temps :
Refuser ouvertement la consolidation du fascisme. Nommer ce qui se passe aux États-Unis, en Palestine, au Canada et ailleurs. Parler du fascisme avec nos proches. Ne pas le laisser être insidieux. L’obliger à apparaître.
S’organiser localement contre les événements de groupes fascistes. Leur nuire de toutes les manières possibles. Les empêcher physiquement de propager leur haine.
Call bullshit. Ne pas nous empêtrer dans leurs mensonges. Ne pas perdre notre temps à argumenter avec eux. Ne pas embarquer dans leur manière de cadrer la situation. Ramener les discussions sur ce qu’ils font, sur les horreurs qu’ils commettent, sur la haine qui les anime.
Surtout, ne pas obéir d’avance quand des fascistes arrivent au pouvoir. Face à un pouvoir autoritaire, les gens ont tendance à prévoir ce qu’un gouvernement plus répressif voudrait et à lui donner d’avance, pour être sûr de ne pas le fâcher et pour se protéger. Cette obéissance anticipée informe le régime sur les compromis que les gens sont prêts à faire et lui permet d’aller beaucoup plus loin beaucoup plus vite. Cette manière de s’adapter nuit à tout le monde. Il est essentiel de se rappeler de ne pas obéir d’avance.
Rester solidaires. Le fascisme normalise la souffrance humaine et l’abandon de groupes de gens désignés comme négligeables ou insignifiants. Les fascistes veulent que nous soyons absorbé’es par notre instinct de survie, pris dans nos préoccupations personnelles, que nous soyons isolé’es et faibles. C’est dans la solidarité que se trouve notre force.
Ensuite, il s’agit de bâtir et d’entretenir notre pouvoir collectif, populaire. Pouvoir de garder nos communautés sécuritaires. Pouvoir d’empêcher qu’un des nôtres se fasse enlever. Pouvoir de nous assurer que tout le monde a quelque chose à manger. D’abord, en explorant toutes les manières de participer à tisser ce pouvoir, par exemple en travaillant à :
bloquer les avancées fascistes (par exemple en combattant tout ce qui augmente la portée, la capacité, les ressources et le pouvoir de l’État carcéral et des mouvements fascistes, comme la construction de nouvelles prisons, la militarisation des frontières, de nouveaux systèmes d’identification visant certains groupes, etc.),
casser leurs alliances, leurs liens avec des groupes ou organisations locales (par exemple les liens entre les syndicats de travailleurs/travailleuses et les organisations représentant la police, les liens entre la police et les milices d’extrême-droite, les liens entre les médias de masse et les militant’es transphobes, etc.),
amoindrir l’impact de leurs politiques sur nous (par exemple en bâtissant et soutenant un réseau communautaire fort, des groupes d’entraide, des réseaux de communications sécuritaires, des infrastructures de défense communautaire, des espaces de rassemblement, etc.),
faire des ponts entre les communautés touchées (par exemple les syndiqué’es, les groupes de femmes, les bandes anarchistes, les mouvements de luttes décoloniales, abolitionnistes, pour les droits des personnes handicapées, etc.) et
construire ce dont on a besoin (par exemple, des organisations dédiées à partager l’histoire des mouvements de luttes, ou des organismes de justice transformatrice, ou le plus d’espaces possibles où nous rassembler, où réfléchir ensemble, où digérer toutes les informations, que ce soit des fêtes de quartier, des journées d’atelier, des conférences, des marches, etc.).
Pour approfondir cette question, je suggère le zine Block and Build : But make it abolitionist de l’organisation Interrupting Criminalization. Ensuite, il s’agit de trouver ce qui a du sens pour nous, ce qui concorde avec nos capacités, notre contexte social et notre compréhension de la situation. Pour cela, je conseille le zine Making a plan, qui vient aussi d’Interrupting Criminalization.
Ça peut être un syndicat, une section locale de Food not Bombs, un groupe qui organise des assemblées populaires, un comité logement, un groupe d’ami’es qui fait de l’art engagé, un groupe de femmes, etc. Tout ça a du sens. Et à partir de ces groupes :
Se partager un langage et des analyses plus ou moins communes de la situation.
Se coordonner de manière décentralisée pour favoriser des actions autonomes qui s’inscrivent dans un tout plus grand.
Bâtir une culture de la sécurité adaptée au risque.
Se préparer à la répression en mettant en place d’avance des systèmes de support.
Puis, le temps venu, il est possible de lutter à grande échelle contre un régime fasciste grâce à :
Une masse suffisamment grande de gens qui s’engage à ne pas coopérer. À oublier de remettre une lettre, de transférer un courriel, à ralentir certains travaux de construction, à ne pas enlever les livres des tablettes, à continuer d’apprendre l’histoire aux enfants, à saboter les processus bureaucratiques, à donner de mauvaises indications aux polices, à continuer à faire de la musique, dehors, le soir, à perturber le fonctionnement du régime.
Une diversité de tactiques. D’immenses manifestations populaires, une grève sociale, du sabotage industriel, des réseaux de soins alternatifs, etc.
Et si nous combattons d’un même geste le fascisme et le processus de criminalisation qui le soutient, tout est possible.
Commentaires fermés sur Si une fenêtre meurt dans la nuit, est-ce qu’elle fait du bruit?
Mai102025
Soumission anonyme à MTL Contre-info
Une question flotte dans le milieu anarchiste depuis quelques temps. Quel est le rôle que doivent/peuvent jouer les manifestations dans la politique que nous menons?
Voici un point de vue situé sur la question.
Ma réflexion pourrait se résumer en un seul énoncé. Les manifestations ont un rôle à jouer dans l’élaboration d’un devenir révolutionnaire, mais c’est un rôle situé dans un contexte qui doit les dépasser. En d’autres mots, il faut arrêter de voir les manifestations comme une fin en soi et commencer à les réfléchir comme un outil. Un outil parmi tant d’autres qui nous sert à atteindre nos buts politiques.
L’enjeu réel derrière la question des manifestations est notre incapacité collective à déterminer nos objectifs politiques. Et c’est pourquoi il est si difficile de déterminer quel rôle devrait jouer celles-ci dans notre univers politique. À force d’être incapable d’imaginer et de matérialiser un devenir révolutionnaire, les manifestations ont fini par prendre toute la place de notre répertoire d’action politique. Nous n’avons plus qu’une seule idée en tête. Faire des manifestations, pour tenir tête à la police, briser une vitre et espérer inspirer par l’action de nouvelles camarades à se joindre à notre cause. Après plus de 15 ans de la reproduction de ce modus operandi, il est temps d’en admettre les limites. Force est que malgré la répétition continue de manifestations, et ce malgré le perfectionnement de la pratique de confrontation face à la police, notre milieu et nos idées politiques stagnent.
Il a été défendu que la solution face à cette stagnation était d’augmenter le nombre de participant.es présent.es dans nos manifestations. Par le nombre, nous serions en meilleure posture d’affronter la police. Mais cette hypothèse ne fait que rejouer la même pièce de théâtre de la politisation à travers la confrontation avec la police.
Et si c’était le contraire? Et si pour tenir tête à la police, il fallait d’abord et avant tout politiser les gens. Cette phrase paraît évidemment simple, mais je suis bien conscient qu’en elle compose un défi énorme. Est-bien malin celui ou celle qui a compris comment repositionner notre politique révolutionnaire dans le contexte politique actuel.
Sans avoir d’idées claires sur ce qu’il faut faire, voici humblement deux pistes de réflexion…
Hypothèse 1
Il faut recommencer à se poser la question du sens de nos actions et manifestations. Arrêter de les voir comme une finalité en soi, mais comme un outil parmi tant d’autres. Comment cette manifestation ou cette action se positionne dans notre stratégie à plus long terme? Qu’est-ce qu’on veut aller chercher avec celles-ci. Est-ce qu’on veut créer du lien? Est-ce qu’on veut favoriser un sentiment de victoire et de joie? Est-ce qu’on veut favoriser la confrontation (qui n’est évidemment pas anti-éthique à un sentiment de joie!)
Une action peut être utile de mille et une manières dans l’avancée des luttes révolutionnaires et il est important selon moi de sortir de la réflexion en silo qui fait de la manifestation un lieu automatique de confrontation face à l’État. J’aime 100 fois mieux une manifestation joyeuse et non confrontationnelle qui nous ferait gagner en puissance et qui nous mènerait éventuellement à une lutte victorieuse que le sentiment d’urgence de devoir attaquer l’État ici et maintenant à tout moment. En d’autres mots, cherchons la confrontation avec l’État, car c’est souvent celle-ci qui permet la radicalisation d’un mouvement, mais pas n’importe quand et à n’importe quel prix.
Hypothèse 2
Augmenter notre nombre et notre force collective dans les manifestations et dans nos luttes en général implique de réfléchir à des façons d’impliquer des gens en dehors de nos milieux.
La meilleure expérience que je connais pour expliciter cette idée m’a été relatée par des militant.es de Chicago et me semble intéressante à rapporter ici pour nous en inspirer.
En 2012, la ville de Chicago a été désignée pour accueillir un sommet de l’OTAN. Dans la tradition des contre-sommets, les anarchistes locaux ont décidé de s’organiser pour perturber l’événement. Mais une question s’est rapidement imposée. Comment, avec leur nombre limité de militant.es, ne pas se faire casser la gueule par la police? La réponse à cette question : en faisant en sorte qu’il soit impossible pour la police de leur taper dessus, en ayant une image positive auprès de la population du quartier dans lequel se tiendrait le sommet. Le moyen d’arriver à leur fin : organiser durant environ un an un marché illégal dans un parc d’un quartier populaire de leur ville.
L’idée était de créer un espace agréable et utile pour les résidents du quartier tout en sachant qu’éventuellement, de par l’absence de permis, il faudrait le défendre face à l’État qui voudrait l’arrêter. Durant l’année qui a précédé le sommet, ils ont donc tenu ce marché public qui était grandement apprécié et visité par les gens du quartier. Et comme prévu, éventuellement la ville a voulu intervenir et empêcher l’activité. Les résidents alliés aux anarchistes ont défendu physiquement le parc où se tenait la manifestation et ont tenu tête à la police.
Résultat, une fois le moment du contre-sommet venu, non seulement la police n’a pas pu attaquer en toute impunité les anarchistes car illes avaient acquis une excellente réputation dans le quartier, mais les résident.es allié.es se sont largement joints à la manifestation permettant ainsi aux anarchistes d’avoir une meilleure chance de perturber l’événement.
L’idée que je cherche à défendre à travers ces deux hypothèses est qu’il faut réfléchir au sens que l’on donne aux manifestations. À la fois dans leur rôle qu’elles peuvent jouer dans nos plans politiques, mais aussi au sens qui donnent envie aux gens de s’y joindre et de les défendre avec leur corps quand il est nécessaire. Car rien ne donne plus de force et de courage que de défendre quelque chose auquel on tient au plus profond de nous-mêmes.
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Avr252025
Soumission anonyme à MTL Contre-info
À la suite des échecs répétés des manifestations dites « combatives » à Montréal entre 2023 et 2025, deux textes militants ont tenté de proposer, d’un côté, une analyse stratégique visant la massification via des structures autonomes, et de l’autre, une critique sceptique de cette orientation, dénonçant la fétichisation des manifestations et le volontarisme militant. Tous deux partent d’un diagnostic partagé : notre faiblesse collective face à l’État, notre isolement et le caractère routinier de nos mobilisations. Le présent texte se veut une critique au second texte rédigé par N.
Le fétichisme de la spontanéité : critique de l’anti-stratégie
Le désaccord de fond entre les deux textes me semble renvoyer à une question stratégique centrale : comment comprendre que la majorité de la classe travailleuse, y compris dans ses fractions les plus exploitées, n’adhère pas spontanément aux appels à la mobilisation radicale, et continue, dans les pays capitalistes avancés, de se montrer largement passive ou attachée à des formes de réformisme ?
N. soulève à juste titre le caractère routinier et parfois performatif de certaines pratiques militantes, mais, pour expliquer la passivité actuelle, son commentaire de réponse glisse dans un déterminisme mécanique permettant d’adopter un scepticisme cynique, qui rejette toute forme de médiation politique comme étant un projet d’avant-garde inutile : « Ce sont les contradictions sociales elles-mêmes qui sont productrices de luttes et non une bande d’évangélistes de la révolution qui convaincraient un à un des prolétaires trop abêtis par le capitalisme. »
S’il est nécessaire de rompre avec le « fétichisme de la manifestation » — cette idée selon laquelle elle constituerait le cœur de notre pratique politique —, il l’est tout autant de se méfier du fétichisme de la spontanéité, qui consiste à rejeter la nécessité de l’organisation au profit d’une attente passive, fondée sur l’illusion que les contradictions du capitalisme produiront mécaniquement l’irruption des masses. Cette posture relève d’un retrait stratégique, qui masque l’impuissance politique derrière une mystique de la spontanéité.
La passivité des classes exploitées
La passivité ou l’adhésion au réformisme de la classe travailleuse s’expliquent en grande partie par le caractère fondamentalement épisodique de la lutte des classes. Les contradictions du capitalisme ne suffisent pas, à elles seules, à rendre les travailleur·euses révolutionnaires. La conscience de classe ne naît pas mécaniquement de l’exploitation, mais se forme, comme l’explique Charles Post, avant tout à travers l’expérience vécue de l’auto-organisation et de la lutte collective, qui ouvre un espace de réceptivité aux idées radicales.
Cependant, cette condition fondamentale de la conscience de classe — l’engagement actif dans des luttes de masse — ne peut être que partielle, rare et temporaire. Structurellement, la grande majorité des travailleur·euses ne peut se maintenir en lutte de manière permanente, car leur position dans les rapports sociaux les oblige à vendre leur force de travail pour assurer leur propre reproduction. La contrainte de la survie individuelle limite donc, en temps ordinaire, la possibilité d’un engagement collectif soutenu.
En l’absence de luttes collectives, les logiques capitalistes, le réformisme et les formes institutionnelles de la politique libérale tendent à redevenir hégémoniques. Les travailleur·euses cherchent alors moins à transformer le système qu’à y obtenir une part jugée équitable, sans remettre en question les structures de pouvoir. Pire, lorsque le réformisme échoue, et qu’aucune alternative radicale crédible n’est disponible, le capitalisme parvient même à produire les conditions matérielles (individualisation, segmentation sociale, compétition entre exploité·e·s) de sa propre défense idéologique : dans ce vide, prolifèrent des mouvements réactionnaires, racistes et patriarcaux, y compris au sein même de segments de la classe travailleuse.
Il paraît ainsi tout à fait irresponsable de renoncer à l’auto-organisation d’action directe et à la construction d’alternatives — au nom du réformisme ou par fétichisme de la spontanéité —, car les contradictions du capitalisme, à elles seules, ne produisent ni conscience de classe ni émancipation humaine.
L’avant-garde
Le caractère intrinsèquement épisodique de la lutte de classe fait en sorte que seule une fraction minoritaire de la classe travailleuse demeure engagée de manière durable dans l’action militante. Ce que nous pourrions appeler une « avant-garde » — sans intention dogmatique — désigne ici celleux qui s’efforcent, dans les creux du cycle des luttes, de maintenir vivantes les pratiques de solidarité et de conflictualité, que ce soit sur les lieux de travail ou dans les milieux de vie.
Pour éviter tout malentendu, il ne s’agit pas d’une conception « léniniste » ou « trotskiste » classique de l’avant-garde comme minorité éclairée et détentrice d’une vérité politique à imposer à la masse. Il s’agit plutôt de nommer un rôle concret : celui des personnes qui, malgré l’isolement, l’usure et la défaite, persévèrent à faire vivre des institutions, des pratiques et des imaginaires de lutte, souvent invisibles, mais essentielles à la reproduction d’une mémoire collective militante. Ce rôle peut bien sûr être débattu, renommé, critiqué. Mais y renoncer totalement reviendrait à céder au désarmement stratégique.
Il est vrai que certaines de ces figures militantes deviennent, dans certains contextes, la base sociale d’une bureaucratie de la classe travailleuse, détachée des réalités concrètes du travail salarié et sujette à la logique du réformisme : éloignement des lieux de production, libération des contraintes du salariat, adoption d’un langage et de pratiques d’appareil. Mais il en existe d’autres — nombreuses — qui continuent à militer tout en vivant les contradictions du travail capitaliste : précarité, aliénation, subordination. Ce sont des militant·es inséré·es dans la vie ordinaire de la classe, qui organisent patiemment leurs collègues, leurs voisin·es, leur communauté.
Toute organisation, aussi bien intentionnée soit-elle, peut générer ses propres inerties, ses rigidités, ses rapports hiérarchiques. Mais cela ne saurait justifier un rejet total des médiations politiques. Le fétichisme de la spontanéité, qui consiste à opposer de manière absolue militantisme conscient et authenticité populaire, risque de dévaloriser l’activité militante organique — c’est-à-dire celle qui émerge de l’expérience vécue des dominé·es — en la réduisant à une forme d’avant-gardisme suspect, voire à un « racket de la révolution ».
L’article de N. illustre cette tendance lorsqu’il cite des mouvements contemporains perçus comme spontanés — les soulèvements BLM/George Floyd, les Gilets jaunes, les révoltes sociales au Chili —, en soulignant l’absence d’organisations de masse les encadrant a priori. Or, il est hautement improbable que ces mouvements aient émergé sans qu’un noyau de personnes expérimentées, formées dans des traditions militantes diverses, n’y joue un rôle actif, qu’elles se revendiquent ou non d’une conscience révolutionnaire.
En outre, ces mouvements — malgré leur puissance — n’ont pas porté de projet révolutionnaire clair, ce qui pourrait précisément constituer un argument en faveur du texte initial. Car en l’absence de structures autonomes de masse dotées de pratiques et de discours radicalement anticapitalistes, la conflictualité tend à se traduire par des formes réformistes, confuses ou contradictoires. Si un contre-pouvoir révolutionnaire structuré — reposant sur une mémoire, une culture, des formes d’organisation autonomes — avait existé dans les deux dernières décennies, il est fort probable que la conscience politique qui aurait émergé de ces mouvements populaires aurait été plus clairement orientée vers la rupture systémique.
La société post-industrielle et la conscience de classe
Les classes sociales sont des relations historiques mouvantes et leur expression politique suppose à la fois une expérience partagée de l’exploitation et un travail d’organisation qui permette de construire une force consciente de ses intérêts.
Or, plusieurs militant·e·s s’opposeront à la construction de la conscience de classe les postulats des thèses de la société post-industrielle. Pour ces analyses, le développement du secteur des services, la complexification des structures professionnelles, l’essor du savoir théorique, la hausse du niveau de vie et l’émergence des régulations étatiques ont restructuré les conflits sociaux autour du contrôle de l’information et permis l’émergence d’une classe moyenne composée de cadres et d’employé-e-s qualifié-e-s. Pour ces approches, la société n’est plus marquée par un conflit de classes, mais par des identités et des discours capables de se définir eux-mêmes. Ainsi, nos sociétés contemporaines ne seraient plus autant contraintes par des facteurs socioéconomiques comme la classe et offriraient davantage de place à l’agentivité, contrairement aux anciennes sociétés industrielles.
Néanmoins, ces analyses surévaluent les impacts de ces changements dans la division du travail sur les rapports d’exploitation. En effet, comme l’affirme Peter Meiksins, « le capitalisme n’a jamais, ni par le passé, ni aujourd’hui, généré une classe des travailleurs homogène. Au contraire, il a créé une classe variée et très stratifiée, et les capitalistes ont toujours eu un intérêt inhérent à faire en sorte qu’elle soit aussi divisée que possible ». De même, la complexification de la division du travail contemporaine ne produit pas une disparition des règles de reproduction pour la classe travailleuse, soit l’obligation de fournir du surtravail à travers la vente de la force de travail sur le marché.
Bien que des rapports d’exploitation spécifiques caractérisent les conditions sociohistoriques et orientent la formation de classe, la conscience de classe a toujours été un processus contingent, relationnel et collectif constamment en mouvement de formation et de désintégration. En ce sens, la conscience de classe n’est pas le produit mécanique de facteurs socioéconomiques, mais le résultat d’agents conscients au sein de conditions sociales, politiques et économiques. La construction d’une conscience collective de classe à d’autres époques, comme aujourd’hui, a été un processus très exigeant issu d’un effort intense et soutenu d’organisation militante.
En somme, le capitalisme produit encore des « champs d’attraction », qui polarisent la société en classe dans des situations de classe vécues. Des processus sociohistoriques peuvent mener, et ont historiquement mené, à l’émergence de groupes conscients de former une classe opposée à une autre. Le défi aujourd’hui est de produire un tel processus par des efforts organisationnels considérables, tout comme cela a été le cas par le passé.
L’auto-organisation en guise de conclusion
Le manque de personne dans nos manifs est un symptôme de la passivité actuelle des classes travailleuses, en ce sens que la rue est un prolongement, et non le centre, des conflits sociaux. La passivité s’explique par l’absence des luttes collectives alternatives à celles individuelles ou réactionnaires. Dire qu’il ne faut pas faire les efforts organisationnels sous peine d’être des « évangélistes de la révolution » est irresponsable et nous condamne à être ce que nous sommes depuis les trois dernières décennies au Québec : une frange radicale au sein de mouvements sociaux réformistes ; une médiation politique faible qui n’a aucune capacité à fonder une force sociale menaçant l’ordre des choses.
Il ne faut non pas un retour dogmatique à une forme d’organisation figée, ni une morale militante, mais une stratégie matérialiste de reconstruction du pouvoir social autonome de la classe travailleuse. La proposition n’est pas ici de plaquer un modèle universel, mais d’affirmer que sans formes durables de médiation entre expériences d’exploitation et horizon politique, il ne peut y avoir de contre-pouvoir. Une politique révolutionnaire cohérente aujourd’hui devrait :
Dire qu’il ne faut pas faire les efforts organisationnels sous peine d’être des « évangélistes de la révolution » est irresponsable et nous condamne à être ce que nous sommes depuis les trois dernières décennies au Québec : une frange radicale au sein de mouvements sociaux réformistes ; une médiation politique faible qui n’a aucune capacité à fonder une force sociale menaçant l’ordre des choses.
Il ne faut non pas un retour dogmatique à une forme d’organisation figée, ni une morale militante, mais une stratégie matérialiste de reconstruction du pouvoir social autonome de la classe travailleuse. La proposition n’est pas ici de plaquer un modèle universel, mais d’affirmer que sans formes durables de médiation entre expériences d’exploitation et horizon politique, il ne peut y avoir de contre-pouvoir. Une politique révolutionnaire cohérente aujourd’hui devrait :
Identifier les lieux où l’exploitation est la plus forte, visible, et vécue collectivement ;
S’insérer dans ces espaces (santé, éducation, services sociaux, syndicats de base, luttes de locataires) pour y développer des pratiques d’auto-organisation anticapitalistes ;
Faire de la rue un prolongement, et non le centre, des conflits sociaux ;
Se concentrer sur la construction patiente de la conscience de classe comme processus historique ;
Construire des organisations populaires capables de revendiquer un pouvoir démocratique sur les sphères économiques, dans une logique d’unification des luttes, non de leur juxtaposition.
Commentaires fermés sur Trois meurtres en 24h. Attaque nocturne contre les Techniques policières. Justice pour Abisay Cruz !
Avr182025
Soumission anonyme à MTL Contre-info
Le lundi soir 14 avril, des anarchistes sont entrés dans le Collège de Maisonneuve où l’on trouve le programme de formation policière, Techniques policières. L’entrée a été peinte avec « MINI FLICS = FUTURS TUEURS » et « JUSTICE POUR ABISAY CRUZ » ainsi que d’autres slogans comme « 3 STATE MURDERS IN 24H » et « MAKE FASCISTS AFRAID ». Un extincteur rempli de peinture a beaucoup aidé et une fenêtre a été pété. Nous n’oublions pas les meurtres et les abus qui ont été commis par la police de Montréal au cours des dernières semaines et lecteurs, svp, répandez la vengeance populaire. Aux étudiants du programme Techniques policières : quitte et change ton parcours, ce n’est pas un avenir sécuritaire, ni pour nous, ni pour vous. Ce programme forme des personnes qui seront l’avenir de la violence d’État. La police est une force qui punit les pauvres, les immigrant.e.s et les personnes racisées, qui mattraque et tire sur les manifestant.e.s, arrête et tue les gens comme des mouches. Cette société est malade et la maladie est le capitalisme, l’État et la hiérarchie et les gardiens de cet ordre social terrible sont la police. Nous n’oublierons jamais les injustices commises à notre égard. Vive la mémoire d’Abisay Cruz et celle des autres personnes tuées par la police.
Le lendemain matin, dans ce vidéo, on peut voir les regards curieux des passant.e.s.
Commentaires fermés sur « Quand on est nombreux.se.s, on fait ce qu’on veut » Analyses et propositions à partir de la séquence de manifs actuelles
Avr102025
Soumission anonyme à MTL Contre-info
Manif contre la brutalité policière du 15 mars, Manif contre la loi sur le flânage dans le métro du 28 mars, Manif de la Vengeance Trans le 31 mars : Pourquoi est-ce que les nombreuses manifestations combatives annoncées récemment se sont soldées par un écrasement policier brutal ?
Nous décidons d’écrire ce texte en ce moment, car nous constatons qu’un sentiment de frustration est partagé chez plusieurs personnes et nous souhaitons profiter de ces multiples expériences d’échec pour mieux comprendre la situation politique dans laquelle nous nous trouvons collectivement en tant que mouvement révolutionnaire. De cette réflexion, nous tentons d’identifier des tâches politiques à mener qui nous permettraient d’envisager une sortie de cet état d’impuissance. C’est le travail politique fondamentale de consolidation d’une force collective à travers l’intervention et la mobilisation autonome qui est notre tâche principale pour se rendre capable de mieux tenir tête aux chiens de garde de l’État et du capital en contexte de manifs. Nous ne souhaitons pas créer des conflits polémiques inutiles, la tradition gauchiste par excellence, ou viser des individus/groupes en particulier, mais plutôt mettre sur la table des réflexions concrètes sur nos lacunes en tant que militant-e-s et mouvement révolutionnaire par rapport au contexte de la politique de rue.
Situation actuelle
Force est de constater que le paradigme d’intervention du SPVM dans les manifestations plus « radicales » ou « combatives » s’est modifié significativement dans les dernières années. À travers des échanges avec d’autres camarades, nous arrivons à la conclusion que, entre le changement de leadership se voulant pacificateur au SPVM et les compensations monétaires liées aux arrestations illégales de 2012 et 2015, l’antiémeute avait fait le choix d’adopter une attitude de laissez-faire presque laxiste entre 2022 et 2024, priorisant les interventions ciblées plutôt que la dispersion de masse. Ainsi, les 15 mars 2023 et 2024 s’étaient dispersés par eux-mêmes, les quelques arrestations répertoriées visant souvent des personnes spécifiques et facilement identifiables. Ironiquement, cette tactique fonctionnait relativement bien pour la police : en l’absence d’escalade et de confrontation, la manifestation se limitait souvent à de légers dégâts matériels, au grand bonheur des vitriers, et finissait par se disperser dans un métro, sans que l’antiémeute ait besoin d’effectuer des interventions plus risquées ou d’utiliser leurs jouets qui, rappelons-le, sont tout de même dispendieux.
Cependant, nous croyons que nous assistons actuellement à un changement de paradigme. Il ne semble pas déraisonnable d’affirmer que cette escalade de répression a commencée pendant l’été des campements pro-Palestine. Face à la pression politique, l’attitude de la police s’est durcie, particulièrement lors des manifestations dans les alentours des campements à l’UQAM et à McGill. Lors des confrontations, parfois hors du contexte de manifestation, les forces policières se montrent particulièrement agressives, bousculant les militant-e-s, faisant bon usage de leur stock de poivre de cayenne et tentant d’arrêter, parfois de façon complètement aléatoire, des militant-e-s. Dans ce contexte, les camarades impliqué-e-s dans les campements ont réagi-e-s comme iels le pouvaient, avec des degrés variables de réussite.
Si la police n’a pas cessé d’employer des tactiques de plus en plus répressives, un moment en particulier marque, pour nous, un tournant dans l’approche qu’adoptera le SPVM dans les événements subséquents : la manifestation du 22 novembre contre l’OTAN. En guise de rappel, pendant le trajet, une escouade de policiers antiémeute s’était retrouvée aspergée de peinture rose, les mettant effectivement hors d’état de nuire pour le reste de la manifestation. Ce qui s’en est suivi est un échec lamentable des forces du SPVM, prises par surprise, à contrôler la foule, accordant ainsi un moment d’impunité aux camarades qui souhaitaient s’adonner à l’art urbain. Les réactions médiatiques des jours suivants ont aussi été considérables en comparaison avec le reste des manifestations que nous avons connues dans les dernières années : dénonciations publiques, appels aux arrestations et menaces de procédures judiciaires de la part de politicien-ne-s au municipal, provincial et fédéral.
Depuis, l’heure de la récréation est terminée : la police a cessé de nous faire croire que nous avions une capacité de contrôle dans la rue, et ses interventions dans les récentes manifestations témoignent de l’ampleur de la pression politique qui lui a été imposée suite aux événements du 22 novembre. Même 4 mois plus tard, lors des rassemblements précédant les manifestations, ils arpentent la foule en indiquant à leurs sous-fifres de repérer celleux dont l’équipement serait encore tâché de peinture rose, maintenant symbole de leur humiliation et marqueur des fauteurs de troubles. Nous en profitons d’ailleurs pour rappeler aux camarades que, si iels utilisent encore de l’équipement sali par leurs récentes promenades, il serait plus que temps de le remplacer.
Nous en arrivons donc à la situation actuelle : Lors des manifestations du 15 mars (Contre la brutalité policière), du 28 mars (Contre la nouvelle loi anti-flânage dans le métro) et du 31 mars (Journée de la Revanche Trans), la police a fait preuve d’une intransigeance et d’une agressivité que nous n’avions pas vu depuis un moment. Pourtant, ces manifs se voulaient combatives, circulant des images, des messages et des slogans appelant à la radicalité, l’action directe, voire la confrontation violente avec l’État. Nous considérons que nous n’avons pas été à la hauteur de cette publicité. Les effectifs policiers étaient plus nombreux que d’habitude, et incluaient souvent des polices montées ainsi que plusieurs escouades d’antiémeutes. Avant le début du trajet, ils circulent dans la foule, filment les camarades qui se changent, tentent de retirer tout objet obstruant leur vision, dont les bannières, s’adonnent à une provocation presque troll et nuisent à la composition d’un groupe compacte et anonyme de manifestant-e-s. Comme mentionné précédemment, ils en profitent aussi pour identifier les personnes qu’ils jugent susceptibles de commettre des méfaits, dont celles ayant des marques de peinture rose ou de l’équipement témoignant d’une préparation à la confrontation (cagoule, masque à gaz, casque, etc). Du moment que nous prenons la rue, c’est l’intimidation qui est de mise. La manifestation est immédiatement encerclée par des cordons d’antiémeutes. Les agents en profitent pour tenter de provoquer la confrontation en pointant des lumières dans la foule, en arrachant du matériel (bannières, parapluies, etc), en bousculant et en criant après les manifestant-e-s. Bien sûr, ces tactiques ne sont nullement nouvelles, mais force est de constater qu’elles sont appliquées avec plus d’intensité et de fréquence. Puis, à la moindre confrontation, ou, dans le cas du 31 mars, lors d’un léger débordement, all hell breaks loose : nos camarades se font asperger de poivre et de gaz, se font matraquer, bousculer et jeter par terre avec une agressivité qui, si elle n’est pas inattendue de la part de la police, contraste nettement avec l’attitude relativement calme des dernières années. Face à cette violence, il nous apparaît souvent impossible de résister, et nos manifestations se soldent par des échecs cuisants ainsi que par des situations choquantes et dangereuses pour nos camarades.
Le contrecoup de ces manifestations, même en dehors des blessures physiques, nous le constatons dans nos discussions avec nos camarades : frustration, colère, démotivation et peur. Nous-mêmes nous sentons angoissé.e.s face à la situation, qui ne fait qu’alimenter le sentiment d’impuissance ambiant. En effet, dans un contexte politique particulièrement déprimant de crise du capitalisme et de montée de l’extrême droite, l’escalade de la répression policière n’est qu’un autre élément qui peut contribuer à notre déprime généralisée.
Cependant, nous ne voulons pas nous résoudre à cette impuissance, et nous savons que ces sentiments de démotivation et de panique, bien qu’ils soient compréhensibles dans la situation actuelle, ne peuvent pas être vecteurs d’action politique stratégique. D’un côté, l’impuissance nous démobilise et, de l’autre, la panique nous pousse à prendre des décisions sur un coup de tête, sans s’attarder aux conséquences ou aux perspectives stratégiques. Nous ne voulons d’aucune de ces options. C’est pourquoi nous écrivons aujourd’hui : parce que nous pensons que de cette colère doit émerger des perspectives de lutte et d’action nouvelle pour les révolutionnaires.
Ce qui suit sont des pistes de réflexions et d’orientations futures que nous proposons aux mouvements d’extrême-gauche montréalais, dans l’espoir celles-ci alimenteront les discussions et, qui sait, modifierons les pratiques pour combattre les causes profondes de notre difficulté actuelle à résister à la nouvelle stratégie d’intimidation et de répression du SPVM.
La pauvreté des effectifs
Lorsque nous parlons de sentiment de panique menant à la prise d’action immédiate, nous parlons d’une forme « d’énergie du désespoir », de ce « Il faut faire quelque chose! » que plusieurs d’entre nous ressentent en regardant les nouvelles ou en discutant du contexte politique actuel. Cette fuite vers l’avant est, selon nous, en partie responsable de la débandade des dernières manifs : des organisations ou des individus, plongé.e.s dans l’angoisse et le désespoir face à la situation désastreuse actuelle, en appellent à des rassemblements et des actions immédiates, en assumant qu’une foule se formera par elle-même le jour venu. Et si ce n’est pas le cas, ce n’est pas grave, nous prendrons tout de même la rue. Bon, nous caricaturons légèrement, mais le résultat reste le même : des manifestations diffusées comme étant combatives se retrouvent avec des effectifs de maximum 300 personnes, une foule facilement contrôlée et réprimée par les tactiques du SPVM, où les actions sont pratiquement impossibles ou hautement risquées, et où la répression est violente.
Allons droit au but. Pour nous, le premier facteur permettant de tenir tête aux chiens de garde du capital en manifestation, c’est le nombre. Nous n’arrivons pas à rallier un nombre suffisamment important de personnes dans la rue avec nos appels combatifs à manifester. Il n’y a pas de substitut technique artificiel au nombre, c’est cela qui nous donne notre force dans la rue. C’est cette évidence qu’on constate aux premiers regards portés sur toutes les grandes vagues de manifestations combatives en général, par exemple le mouvement des gilets jaunes en France en 2019, la vague de manifs au Chili en 2019-2020 contre le coût de la vie, le mouvement Black Lives Matter aux États-Unis après l’assassinat de George Floyd en 2020 et la liste pourrait continuer bien plus longtemps. En analysant le nouveau paradigme d’intervention du SPVM, il nous apparait évident que leurs tactiques d’encerclement, de bousculade et de séparation du cortège ne fonctionneraient pas aussi bien avec une plus grande foule, minimalement à partir de 1000 personnes. Dans ce contexte, les forces policières n’auraient pas d’autre choix que de revoir leur stratégie, changeant la disposition des unités, et créant ainsi des zones d’anonymité facilitant la tenue d’actions collectives.
Si nous observons que le nombre actuel de manifestant-e-s dans des événements combatifs est encore trop bas, nous devons alors aussi réfléchir à comment combattre cette situation. Cette question nous plonge directement au coeur de la question de la stratégie révolutionnaire. Selon nous, la tâche fondamentale, première et urgente des révolutionnaires dans la situation présente, est de travailler à se lier avec une plus grande part de la population à travers des luttes et de la solidarité concrète en autonomie des appareils existants et infusé d’idées révolutionnaires, constituant ainsi avec nous une masse de personnes prêtes notamment à participer à ces manifestations ouvertement combatives. La massification des manifs implique donc un travail préalable et plus fondamental d’intervention, de mobilisation et de liaison. C’est ce travail qui devrait, dans la situation présente, être la priorité absolue de la majorité des militant.e.s révolutionnaires qui constatent avec nous la nécessité vitale d’élargir nos rangs pour constituer une puissance autonome massive réellement menaçante pour l’État. Les manifs combatives, en tant que tactique utilisée lorsque pertinentes et non en tant que finalité en soi, n’ont de sens et de pertinence que si elles sont capables de rassembler des masses importantes de personnes prêtes à soutenir un rapport de force avec le dispositif policier.
Précisons rapidement comment nous concevons ce travail de massification. Il s’agit de se concentrer principalement sur un travail concret d’intervention auprès de larges franges de la population dans des secteurs sociaux capitalistes à forte concentration prolétarienne tels que le logement, le travail et certains milieux étudiants à travers des luttes et pratiques de solidarités menées à partir de structures autonomes des appareils de pacifications existants (notamment les syndicats, partis parlementaires bourgeois, comité logement, etc.) dans lesquels peut être diffusé un horizon politique révolutionnaire. Nous devons cesser d’entretenir notre isolation du reste de la population qui aurait un intérêt et un potentiel à une perspective révolutionnaire, des autres prolétaires, pauvres et opprimés comme nous qui ont tout a gagné de la construction d’une puissance politique autonome pour le renversement du capitalisme.
La forme que doivent prendre les structures autonomes de masse que nous mentionnons, par et dans lesquelles il serait possible de rallier de large nombre de personnes, importe peu : ça peut être un comité de base dans un lieu de travail (en marge du syndicat), un conseil de lutte de locataires dans un quartier populaire (en marge des groupes communautaires et comité logement), un comité de mobilisation ou de lutte sur un campus étudiant (en marge des associations étudiantes). L’essentiel est que nous devons développer notre contact avec des gens, pour constituer autour de nous le plus grand réseau possible de personnes prêtes à supporter notre discours et répondre à des appels à l’action et à la manifestation. Ce travail n’est pas facile ou simple. Depuis plusieurs mois, des camarades révolutionnaires s’impliquant dans diverses organisations créent des liens, à travers les discussions et les actions de solidarité, avec ces personnes que nos milieux peinent souvent à rejoindre. Nous saluons ce travail, et souhaitons souligner que c’est là que nous pouvons trouver une force numérique future. Nous ne voulons pas faire de l’entrisme ou manipuler politiquement les gens : nous sommes clair-e-s sur nos positions politiques et sur notre perspective révolutionnaire. Mais nous n’avons pas besoin de faire preuve de sournoiserie pour convaincre du bien-fondé de notre colère et de notre lutte.
Si le travail de liaison est déjà entamé, il faut l’accélérer. Multiplions les actions de solidarité, pas parce que nous considérons que ces personnes sont de pauvres victimes, mais parce que ce sont des personnes de notre classe, et que de leur apporter support, c’est mener la guerre de classe. C’est de cette solidarité que peut émerger la politisation, et qui nous permettra, dans le futur, de rassembler un nombre plus conséquent de personnes lors de manifestations ouvertement radicales.
Préparation & tactiques en manifestation
Nous identifions une deuxième faiblesse de nos rassemblements dans le manque d’entraînement et de planification en ce qui a trait à la sécurité collective et les tactiques défensives et offensives en manifestation. Nous ne souhaitons pas viser ou blâmer des individus, mais simplement souligner que, souvent, nos contingents manquent de cohésion et de préparation face aux offensives policières. Si nous étions mieux préparé-e-s et entrainé-e-s, la police aurait plus de difficulté, par exemple, à séparer la manifestation afin de réprimer les éléments radicaux. Et même si elle y arrivait, une masse de gens doté.e.s de réflexes stratégiques pourrait utiliser ce moment pour répliquer en l’absence de cordons d’anti-émeutes. Se préparer à une manifestation, ce n’est pas seulement s’habiller en noir ou choisir son équipement, c’est aussi se pratiquer à former des lignes face à la police, apprendre à manier des bannières de manière stratégique, se préparer à exercer une solidarité physique avec ses camarades, connu-e-s ou non, lors de moments de répression violente, et coordonner stratégiquement des petits groupes qui seront prêts à (littéralement) se serrer les coudes le moment venu. En somme, nous pensons que nos mouvements, et cela nous inclut, manquent de savoir-faire pratique combatif. Il nous semble inefficace de continuer à planifier des actions individuelles offensives en l’absence quasi totale de capacité défensive collective. Nos tactiques de manifestations ne peuvent pas uniquement se résumer à briser des choses et humilier momentanément la police, surtout si nous sommes incapables de nous défendre par la suite.
Cette insistance sur la formation à la pratique de rue pose notamment la question du service d’ordre. Bien que ce ne soit pas une solution magique, nous croyons qu’il faut prendre au sérieux la question du service d’ordre, comme instrument d’autodéfense dans la rue, qui permet de coordonner à travers une direction centrale un large nombre de personnes acceptant le face-à-face violent avec la police. Il faut que ces structures de service d’ordre puissent être critiquées, il faut que celles-ci soient unies avec le reste de la manif et il faut que celles-ci soit au service de la lutte et son intensification avant tout, mais ces structures peuvent être intéressantes et doivent être réfléchies pour les essayer dans notre contexte. Celles-ci peuvent êtres appliquées dans le cadre de contingents larges d’une ou des organisations s’étant concertées d’avance pour établir un service d’ordre avec des responsables qui pourront êtres critiquées a posteriori si leur agissement ont été critiquables. La police est organisée pour produire de la violence, si nous voulons résister et contre-attaquer, nous devons l’être aussi.
Au contraire, face à la répression, la plupart des gens, incluants celleux qui arrivent lourdement équipés (casque, cagoule, lunettes de ski, full bloc), fuient. Il est normal de quitter si on n’est pas confortable, mais, dans ce cas, pourquoi arriver équipé-e comme si on se préparait à la guerre civile ? Nous ne pouvons nous empêcher d’éprouver une certaine frustration envers ces comportements, qui relèvent souvent d’une certaine performance de la radicalité qui se dégonflent du moment que la confrontation arrive. Nous ne demandons évidemment pas à toutes les personnes en manifestation d’être prêtes à en venir au corps-à-corps avec la police ; nous demandons seulement aux personnes qui se présentent en manifestation habillées comme si elles étaient prêtes à la confrontation de l’être réellement. Il en va de même pour certaines tactiques considérées plus confrontationnelles ou radicales, mais qui ne sont ajustées ni à notre contexte, ni à nos capacités, et qui ne semblent pas s’inscrire dans l’atteinte d’un objectif stratégique. À quoi sert une bannière renforcée d’un mètre et demi s’il n’y a rien à défendre et que nous sommes incapables de répliquer face à la police ? Malheureusement, elle ne sert qu’à créer une cible visible pour les policiers, qui se feront un plaisir de brutaliser ses porteur-se-s. Ces initiatives peuvent être utiles dans certains contextes, mais, comme toutes les tactiques, elles doivent s’inscrire dans une stratégie réfléchie, pas seulement dans une image de radicalité que nous ne pouvons pas maintenir.
En s’entraînant et en développant de réelles stratégies défensives et offensives face à la répression policière, nous renforçons notre force collective, et nous sommes plus susceptibles de pouvoir protéger les camarades les plus vulnérables d’entre nous. En sommes, nous nous montrons à la hauteur de nos principes de solidarité et de nos affiches qui promettent des chars de flics en feu.
La formation pour les manifestations devrait être comme tout le reste de notre militantisme : aussi pratique que théorique. Elle ne devrait pas se résumer à une liste d’items pour un black bloc, ni à un guide de défense légale (même si ces ressources sont parfois très utiles!). Plusieurs groupes organisent des formations pratiques avant et pendant la saison des manifestations, mais le nombre de participant-e-s y reste restreint. Personne n’est au-dessus de la formation pratique, peu importe leur expérience. Qu’attendons-nous pour nous entraîner à résister à la police ? Si leur attitude est déjà violente, elle n’est pas pour autant à son paroxysme. Ils sont en train de gagner, et ils le savent. N’attendons pas d’être complètement dépassé-e-s par la situation pour répliquer stratégiquement, et pas qu’avec de la peinture.
Des révolutionnaires en lutte dans le logement, les enjeux trans et les milieux étudiants Avril 2025
Commentaires fermés sur La police continue de tuer, abolissons-la maintenant !
Avr102025
Soumission anonyme à MTL Contre-info
Communiqué des organisatrices de la vigile en l’honneur des trois personnes tuées par la police entre le 29 et le 30 mars 2025 au soi-disant Québec
La police continue de tuer, abolition maintenant !
Lors de la fin de semaine du 29-30 mars 2025, trois personnes ont perdu la vie aux mains des forces policières au Québec, Abisay Cruz et deux autres personnes dont nous ignorons encore le nom. Cette vigile est d’abord un temps pour offrir nos condoléances et prêter nos forces à la famille et aux proches. Nous nous réunissons afin d’exiger une justice pour les personnes tuées par la police. Ces personnes ont droit à la reconnaissance de leur vie, de leur histoire et de leur humanité. Nous ne laisserons pas les médias, la classe dirigeante ou la police les dépeindre autrement que comme des personnes méritant la vie et notre soutien.
Selon les informations diffusées par la famille d’une des victimes et en lisant entre les lignes des communiqués — remplis d’euphémismes — du Bureau d’enquête indépendant (BEI), on comprend que le Service de police de Montréal (SPVM) a encore une fois usé de la force illégitime et du permis de tuer que lui accorde l’État. La police a reçu un appel concernant une personne en détresse et a réagi avec les outils dont elle dispose : elle a menotté l’homme en détresse, Abisay, et l’a plaqué au sol avec son genou alors qu’il luttait visiblement pour respirer.
Nous devons commencer par reconnaitre que la police s’ancre dans un héritage sanglant : elle repose sur des systèmes d’oppressions et d’exploitation colonialistes, capitalistes, racistes, sexistes et transphobes. Historiquement, elle a servi — et continue de servir — à contrôler autant le corps que les mouvements de résistances des populations autochtones, noires et racisées. La police ne répond pas aux besoins de la société : elle surveille nos quartiers et maintient les plus vulnérables d’entre nous dans des cycles de précarité en ciblant, judiciarisant et brutalisant des communautés historiquement opprimées. Elle préserve en même temps une forme de confort en déresponsabilisant le reste de la société de la nécessité de partager les ressources et de prendre soin collectivement. La police dira que cette surveillance, ce contrôle et cette violence sont aberrants – ils se produisent rarement et accidentellement – ou qu’ils sont nécessaires pour protéger la société. Mais la violence est l’outil de la police – c’est sa spécialité et sa raison d’être.
Et la police ne protège pas : la police produit et entretient des discours qui légitiment son usage de la violence — une violence présenté comme nécessaire pour “gérer des situations” et pour punir les personnes construites comme criminelles. La police n’intervient pas : elle arrive sur les lieux, et nie aux personnes la reconnaissance de leurs histoires et leur refuse toute forme d’agentivité. Pour elle, ces personnes sont perçues comme criminelles, dangereuse ou sans importance. Elles peuvent réagir à une personne en détresse en l’immobilisant, en contenant le « danger » ou en ne réagissant pas du tout.
La police ne réfléchit pas : elle ne cherche pas à comprendre ou à remettre en question ce qu’elle qualifie de criminel. Elle laisse la classe dominante, les capitalistes et les systèmes colonialistes le rôle de le définir au détriment du bien-être des communautés.
La police ne prévient pas : elle aggrave les épisodes de violence. Elle mobilise la force contre les communautés racisées, les personnes en situation d’itinérance, les personnes vivant avec des enjeux de santé mentale et les autres communautés précarisées. La police ne désescalade pas et ne pourra jamais le faire : elle détient le monopole de la violence — une violence, encore une fois, légitimisée par l’État, une violence amplifiée par un budget sans cesse croissant, par des technologies toujours plus violentes.
La police n’est jamais punie : elle se protège en blâmant les victimes, et en utilisant à leur avantage la dichotomie bonnes et des mauvaises personnes.
La police punit, contrôle, bât et déshumanise. La police tue.
La police ne pourra pas être réformée : on a bien vu que la « police communautaire », implantée dans les année 1980s, a été un échec sur toute la ligne et que tous les changements demandés dans les dernières années n’ont pas porté fruit. La police continue de se servir de contexte de précarité grandissant afin de s’accaparer nos ressources collectives pour grossir toujours plus son budget, ses effectifs et son pouvoir. Le problème, ce ne sont pas les cas isolés, c’est la police dans son semble. C’est le système qui légitimise et perpétue sa violence.
Nous refusons de voir la police comme un mal nécessaire. La police est une des formes de violences les plus profondes de notre société. Nous ne serons jamais capable de médier et de prévenir la violence si nous ne reconnaissons pas ce fait et que nous ne l’abolissons pas. Nous revendiquons des alternatives dès maintenant. Nous réclamons l’abolition de l’institution policière. Nous nous devons d’imaginer un monde sans police. Un monde où nous nous redonnerons les capacités d’offrir des soins, de prévenir la violence et d’intervenir en garantissant la sécurité de nos communautés. Un monde où les communautés sont fortes de leur solidarité, de leur partage des ressources et de leur remise en question continuelle de leurs interventions. Un monde qui redéfinira la justice comme permettant aux personnes de changer, qui s’inspirera de la justice transformatrice. Un monde qui traitera la suprématie blanche avec tout le sérieux nécessaire à sa destruction.
Nous appelons toutes personnes ayant à cœur la réelle protection des communautés de lutter activement pour ce monde. Ce ne sont pas des bodycams ou d’autres énièmes reformes qui nous y mèneront, mais la lutte, l’entraide que l’on s’offre et les liens que nous créons sans et contre les violences policières.
Repose en paix Abisay Cruz.
Reposez en paix tous ceux qui ont péri aux mains de la police.