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Une manifestation en solidarité avec Gaza fracasse des dizaines de vitrines et lance des cocktails molotov vers la police

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Oct 012024
 

De Clash Mtl

Une manif pour la Palestine a pris d’assaut l’Université Concordia dimanche soir. Plusieurs vitrines de commerces de luxe sur la rue Sainte-Catherine ont également été fracassées. La police a été tenue à distance par des jets de cocktails molotov.

Discussions anti-répression #1 : se préparer à la surveillance physique

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Sep 272024
 

Du No Trace Project

Le No Trace Project lance une nouvelle initiative, les discussions anti-répression, pour encourager les échanges autour de sujets en lien avec la surveillance et la sécurité, au sein de et entre les réseaux anarchistes informels, à un niveau international. On pense que de nombreuses pratiques d’anti-répression sont plus efficaces quand elles sont mises en place à l’échelle d’un réseau, plutôt que seulement par des groupes affinitaires spécifiques.

Les discussions anti-répression vont être une série de sessions, chacune sur un sujet différent, chacune durant trois mois. Pendant une session, les participant·e·s sont invité·e·s à former des groupes de travail locaux avec des personnes de confiance pour discuter du sujet de la session — on fournit des ressources et des points de discussions pour aider à démarrer ces discussions. À la fin d’une session, un tchat en ligne international a lieu, où les participant·e·s peuvent se retrouver anonymement pour partager leurs idées et conclusions. Après une session, ses résultats sont publiés sur le site web du No Trace Project, y compris tout contenu contribué par les groupes de travail et un résumé du tchat.

La première session, les discussions anti-répression #1, vont aborder le fait de se préparer à la surveillance physique et auront lieu en octobre, novembre, et décembre 2024, et le tchat en ligne le 4 janvier 2025. Les résultats seront publiés ici.

Surveillance physique

Ces dernières décennies, les capacités de surveillance des acteurs étatiques se sont grandement diversifiées, notamment grâce à de nouvelles avancées technologiques comme la vidéosurveillance, les téléphones portables et les analyses ADN. Malgré cela, la surveillance physique — l’observation directe de personnes ou d’activités dans le but d’obtenir des informations — est toujours largement utilisée par des acteurs étatiques, en particulier dans les cas où d’autres techniques de surveillance ne sont pas efficaces. Notre Bibliothèque de menaces référence des exemples d’utilisation de la surveillance physique contre des anarchistes.

On pense que, dans des contextes où l’État enquête sur des actions directes anarchistes à fort impact — par exemple dans une ville où un incendie volontaire a récemment eu lieu et a été revendiqué sur des sites web anarchistes — il est probable qu’il emploie certaines techniques de surveillance physique. On pense aussi que dans de nombreux contextes, les anarchistes ne se préparent pas suffisamment au risque de surveillance physique. Se préparer à la surveillance physique n’est pas évident, cela demande de développer des compétences spécifiques, mais c’est possible, et c’est la seule chose qui pourra vous aider si les flics vous suivent lorsque vous vous rendez à un rendez-vous sensible ou une action.

Groupes de travail locaux

On invite les participant·e·s à former des groupes de travail locaux pour discuter du sujet de la session, d’octobre à décembre 2024. Pendant la session, s’ils le souhaitent, les groupes de travail peuvent nous envoyer tout contenu qu’ils jugent utile à la discussion. On aujoutera ce contenu aux résultats de la session où les autres groupes pourront le consulter.

On conseille aux groupes de travail de lire les ressources suivantes :

  • La brochure Maßnahmen gegen Observation (Mesures contre la surveillance, en allemand et anglais) pour une vue d’ensemble des techniques de surveillance physique utilisées par la police dans des zones urbaines, avec des exemples en provenance d’Allemagne.
  • Le livre The Theory of Covert Surveillance (La théorie de la surveillance cachée, en anglais) pour une vue d’ensemble plus complète des techniques de surveillance physique utilisées par les détectives privés (et la plupart des unités de police), avec des exemples en provenance du Royaume-Uni.
  • Le livre Surveillance Countermeasures (Mesures contre la surveillance, en anglais) pour une vue d’ensemble complète des contre-mesures à la surveillance physique : la détection de surveillance (y compris la contre-surveillance) et l’anti-surveillance. Une fois que vous comprenez la logique des techniques de surveillance physique de l’ennemi, on conseille fortement ce livre pour commencer à apprendre des contre-mesures que vous pourrez appliquer dans votre vie et vos projets.
  • D’autres ressources sont consultables sur notre site web.

Et on propose les points de discussion suivants, qu’on invite les groupes de travail à compléter avec leurs propres points :

  • Parmi les ressources conseillées, qu’est-ce qui a été difficile à comprendre ou mettre en pratique ?
  • Comment est-ce qu’on peut se soutenir les un·e·s les autres dans le développement et la mise en pratique de contre-mesures à la surveillance physique ?
  • Si on détecte de la surveillance physique, quelles activités ou projets est-ce qu’on voudrait continuer et lesquels est-ce qu’on voudrait mettre en pause ? Si on arrête de voir des ami·e·s pour empêcher une opération de surveillance de cartographier notre réseau social, comment est-ce que notre réseau peut aider à ce qu’on ne se sente pas isolé·e ?
  • Si on détecte de la surveillance physique, comment est-ce qu’on peut en parler à notre réseau d’une manière qui n’alerte pas l’opération de surveillance qu’elle a été détectée ? Comment en parler sans tomber dans la paranoïa ?

Tchat en ligne international

Un tchat en ligne international aura lieu le 4 janvier 2025. Il sera ouvert à tou·te·s, et on demande donc à ce que les participant·e·s n’y partagent pas d’informations identifiantes et n’y discutent pas de quoi que ce soit qui ne devrait pas être rendu public. Le tchat sera limité aux messages textuels (pas d’audio ou de vidéo). Les discussions auront lieu en anglais, avec une traduction en temps réel disponible vers et depuis le français et l’espagnol — merci de prendre contact avec nous si vous pouvez aider à traduire en temps réel dans ces langues ou dans d’autres.

Pour savoir comment rejoindre le tchat, voir ici.

Rad Pride 2024 : Comment une manif de nuit a vaincu le SPVM dans le Village

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Août 252024
 

Soumission anonyme à MTL Contre-info

Le dimanche 10 août avait lieu la deuxième édition annuelle de la Rad Pride. Plus de 250 personnes se sont rassemblées au métro Papineau, les cagoules roses se mêlant aux black blocs et à nos tenues de manif les plus gaies. Sous les cris de ralliement « No Pride in genocide “ et ” Queerness is resistance », la marche s’est mise en branle sur Sainte-Catherine. Aujourd’hui, deux semaines plus tard, nous voulons faire un retour sur cette soirée d’un point de vue tactique.

Sur les bannières latérales

Le conflit entre les bannières de côté renforcées et les « flics de côté » est devenu un pilier des manifestations combatives de Montréal. Les bannières renforcées de Montréal sont des bannières avec un cadre en bois, maintenues par des poignées de portes vissées, utilisées pour protéger contre les charges des flics anti-émeutes et les coups de matraques. Au cours de l’été, les terrasses et les foules obstruant souvent les trottoirs, les policiers ont apparemment reçu l’ordre d’entrer dans la rue aux côtés des manifestantes en marche. Il est essentiel de montrer aux policiers que cette provocation est une grave erreur. La multiplication des équipes de banderoles latérales renforcées peut être l’une des meilleures réponses, mais il est important de savoir où ces équipes se positionnent et comment les autres dans la foule les complètent.

Lors de la Rad Pride, une seule banderole latérale renforcée a pris position à l’avant, dans le coin gauche de la marche, et la situation a rapidement dégénéré en affrontement. Après que les flics de côté ont commencé à pousser la bannière et que la bannière a refusé de céder, les flics se sont retrouvés coincés contre un muret de la terrasse. Ils ont commencé à frapper les gens avec des matraques. La hampe d’un.e participant.e à la manifestation a été utilisée pour frapper un policier à la tête depuis l’arrière de la banderole. Malheureusement, la position de la bannière de côté à l’avant a permis de la couper facilement du reste de la foule, et avec suffisamment de gaz poivré et de coups de matraque, le groupe autour de la bannière a dû se disperser dans une mêlée chaotique qui a renversé plusieurs tables sur une terrasse et a conduit à deux arrestations.

La décision de ne pas déplacer la bannière renforcée avec plus de fluidité a conduit les anarchistes, d’un côté de la banderole, et la police, de l’autre, à se retrancher dans leurs positions. Une lutte acharnée s’ensuivit. Dans une telle situation, l’un des deux camps sera repoussé et sa position sera compromise. Il aurait peut-être été possible d’encadrer la police de tous les côtés alors que les policiers concentraient leurs forces pour repousser la banderole. Mais sans la détermination, le nombre ou la capacité d’utiliser les positions retranchées à notre avantage, nous bénéficierons souvent bien plus en encourageant une banderole renforcée à se déplacer avec plus de liberté, sans s’engager à un endroit spécifique de la manifestation (en particulier à l’avant ou à l’arrière, où elle est la plus isolée). Cette approche complète l’un des principaux avantages des combattant.e.s de rue face à un ennemi aussi puissant que la police : la capacité des militantes à attaquer et à battre en retraite, à utiliser l’élément de surprise, à se disperser et à se reformer.

Une marche sans tête

Le SPVM espérait peut-être que l’attaque de l’avant de la marche entraînerait la dispersion de toute la foule, mais il avait encore une longue nuit devant lui. Des manifestant.e.s plus expérimenté.e.s ont improvisé une nouvelle équipe de bannière à l’avant, ont encouragé la foule à se serrer les coudes et ont rapidement fait une boucle vers Sainte-Catherine. 

Il était évident que le SPVM voulait éviter le cauchemar des relations publiques que représente le gazage des foules de fêtards dans le Village gai pendant la Fierté. Puisque ces foules étaient fortement concentrées sur Sainte-Catherine, la manifestation a pu éviter la dispersion en restant sur cette rue. À plusieurs reprises, les flics anti-émeute ont formé des lignes bloquant notre chemin vers l’avant et vers le sud ; à chaque fois, plutôt que de tourner vers le nord à partir de Sainte-Catherine, la manif a tourné sur ses talons et a fait marche arrière, avec plusieurs bannières capables de se substituer à la nouvelle tête de file.

Ce jeu de ping-pong a donné aux manifestant.e.s de multiples occasions d’agir contre la poignée de cibles le long de notre itinéraire. Des vitres ont été brisées à la RBC, à la BMO, dans un bureau de Remax et chez Starbucks. Ce dernier a été attaqué à plusieurs reprises sur au moins trois passages distincts de la foule. Après le premier affrontement, il a fallu près d’une demi-heure aux flics pour rétablir les unités sur les côtés, nous montrant qu’un élément ouvertement conflictuel dans la foule peut fonctionner comme une diversion, créant de l’espace et du temps pour des groupes plus orientés vers la destruction.

Au fur et à mesure que la nuit avançait, l’ambiance devenait de plus en plus festive. Vers 23h, la manifestation était devenue un party dansant réunissant encore plus d’une centaine de personnes, sous le regard d’une ligne de policiers anti-émeute bien équipés. Faire des autorités la risée de toustes est une signature des mouvements de résistance de masse qui ont réussi à travers l’histoire, et il ne faut surtout pas négliger le potentiel de ridiculiser le SPVM en particulier. La victoire de la soirée a été couronnée lorsque les policiers anti-émeute se sont retirés et ont regagné leurs fourgonnettes, et que la foule a chanté « We Are the Champions ».

Ce type de conclusion est tout simplement extrêmement rare pour les manifestations destructrices dans cette ville. C’est avant tout le résultat de la détermination et de l’intrépidité des manifestant.e.s.

La Bibliothèque de menaces traduite en français

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Juil 092024
 

Du No Trace Project

La Bibliothèque de menaces est une base de connaissances des techniques répressives de l’État, de mesures que l’on peut prendre pour y faire face, et d’opérations répressives où elles ont été utilisées. Publiée en 2023 en anglais et régulièrement mise à jour depuis, elle est désormais disponible en français sur le site du No Trace Project.

La Bibliothèque de menaces est aussi un outil de modélisation de menaces, un processus qui consiste à identifier de potentielles menaces en provenance d’adversaires (l’État, des groupes fascistes…) pour pouvoir ensuite identifier et prioriser des mesures à prendre face à ces menaces. Si vous participez à des actions ou projets subversifs, vous avez probablement déjà l’habitude de réfléchir à comment minimiser les risques posés par diverses menaces. La modélisation de menaces formalise ces réflexions pour les rendre plus organisées et systématiques.

La Bibliothèque de menaces, qui recense actuellement 23 opérations répressives réparties dans 10 pays, est un outil d’anti-répression aux ambitions internationales. Ses futures mises à jour seront disponibles simultanément en français et anglais, et nous espérons la traduire dans de nouvelles langues dans les années à venir. N’hésitez pas à nous contacter pour toute contribution, critique, ou proposition de traduction.

No Trace Project

Davantage de notes à propos du 6 juin 2024

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Juil 032024
 

Soumission anonyme à MTL Contre-info

Un court résumé des événements du 6 juin 2024

Aux alentours de 16h, des manifestant•es étudiant•es entrent dans le pavillon James (l’administration) de l’université McGill dans le but de perturber la réunion du Conseil des Gouverneurs (CdG), s’opposant à leur complicité dans le génocide de Gaza. Le CdG est l’instance la plus haute de l’université et c’est elle qui décide où les fonds de dotation sont investis, incluant des compagnies israëliennes, sionistes et d’armement. Des centaines de manifestant•es forment alors un rassemblement autour du bâtiment, quelqu’un•es construient des barricades improvisées avec des clôtures et du mobilier. Une heure plus tard, à la demande de l’administration, une forte présence policière se présente sur le campus, incluant une douzaine de polices antiémeute. Ces derniers prennent le contrôle de l’allée est du bâtiment et tout en prévenant les manifestant•es de protéger l’entrée nord (l’arrière), les confinant donc au côté sud (l’avant) du bâtiment.

Autour de 18h30, les flics entrent la bâtiment à partir de l’entrée arrière. Ils procèdent alors à l’arrestation des manifestant•es à l’intérieur, qui essayent, du mieux qu’illes peuvent, de barricader la salle dans laquelle illes sont. En même temps, les flics attaquent brutalement la manif de support, utilisant leur matraques, poivre de cayenne et gaz lacrymo pour disperser les manifestant•es, qui n’ont abandonnerons pas sans se battre.

Un moment particulièrement drôle capturant Deep Saini se cachant de ses étudiant•es, réfugié derrière le personnel de l’administration au moment de l’expulsion.

Le niveau de violence policière a pris au dépourvu plusieurs manifestant•es: les flics tirent des gaz lacrymos et des balles de caoutchouc au niveau de la tête, visant intentionnellement les personnes avec leur gaz lacrymogènes et utilisant de grande quantité d’irritants chimiques.

À 19h45, une manif débute au campement de l’UQAM (une autre université) pour se rendre à McGill. La marche symbolise la fin du dit campement et est annoncé quelques jours avant; elle n’est donc pas en réaction à l’occupation du pavillon James, mais l’occasion a peut-être nécessité une modification à l’itinéraire, qui sait. La contestation serpente au travers du quartier de Milton-Parc, essayant d’atteindre le bâtiment d’administration, mais leurs tentatives sont contrecarrées par la police qui les suit en bloquant les rues. Finalement, la manif essaye de briser la ligne de flic sur la rue Milton, quelques centaines de mètres à l’est du bâtiment James. Les manifestant•es sont reçu violemment avec du poivre de cayenne des flics en vélos, backé par l’antiémeute. Dans la confusion qui s’ensuit, les manifestant•es courent, et de quelconque manière, atteignent le campus inférieur (lieu où se situe le campement). 

Tranquillement, le monde de l’UQAM se regroupe là et joignent leur forces des gens de McGill. Ceux•ses qui sont encore en état recommencent à marcher, ne se laissant pas abattre par la pluie torrentielle. La manif serpente une autre fois les rues, les antiémeutes bloquant de toute évidence le chemin qui pourrait les mener au James. Une fois sur Sherbrooke, une vitre de la banque Scotia est éclatée. La manif continue, déambulant dans Milton-Parc et se dirige vers l’est, elle se disout éventuelement sur St-Laurent.

Quelques réflexions

L’auteur•e de ces réflexions applaudit tout le monde qui a participé à l’occupation ou aux manifestations, et espère que les pensées qui suivent ne seront pas prises comme des critiques défaitistes, mais plûtôt des idées à réfléchir, discuter et débattre pour aller de l’avant.

    1    Sur la communication: annoncer publiquement la réunion du CdG sur les réseaux sociaux aurait rendu l’occupation du James impossible, l’admin aurait appelé les flics en prévention et la réunion se serait déplacé en ligne. Toutefois, je pense encore qu’il aurait été utile si les gens de McGill avaient partagé cette info avec des camarades uqamien•nes de confiance. D’une part, ça leur aurait permis de devancer l’heure de leur rassemblement pour pouvoir rejoindre la manif de support à temps. Ça l’aurait aussi facilité l’échange d’informations et de matériel, à savoir des cordes permettant aux occupant•es de s’échapper aux travers des fenêtres et des objets pour bloquer la porte arrière. Sur le dernier point, je pense que plus de travail de renseignement aurait dû être fait pour s’assurer que chaque entrée soit géré.

    2    Sur les conditions métérologiques: la grosse pluie a créé des conditions uniques qui a eu son lot de réussites. Même si la température a pu en décourager plus d’un•e à assister au rassemblement, elle a atténué la portée du poivre de cayenne et des lacrymos et justifié la présence des parapluies. Bien sûr, les lunettes et les masques se sont prouvés utiles cette journée là. Le vent était aussi au rendez-vous: des vidéos montrent des flics antiémeute se poivrer eux-même à cause de cela. Les conditions météorologiques et le relief du terrain (élévation, obstacles) semblent encore être des zones relativement non explorés en terme d’organisation de manifestation.

    3    Sur les objectifs: la manif de l’UQAM et subséquemment celle de Lower Field avaient apparemment pour but de se rendre au James. À mon avis, autre que sa signification symbolique, cet objectif fait peu de sens, considérant que les flics avaient déjà envahi le bâtiment avant même que la manif ne soit commencée. De plus, les longs chemins sinueux n’aidaient pas à se rendre à la destination, les flics sachant constamment où nous allions. Néanmoins, la tenacité et la témérité des manifestant•es est un élément à prendre en considération et à saluer. Des camarades plus âgés ont dit que la manif leur rappelait les manifs de soir combatives de 2012.

    4    Sur la composition de la manifestation: le contingent UQAM a eu quelques confrontations avec la police, intransigeante à nous prévenir de nous rendre au James. Comme expliqué au dernier point, j’ai encore de la difficulté à comprendre l’objectif. Cependant, il y aura peut être un moment dans le futur où des confrontations similaires se prouveront cruciales pour parvenir à nos buts. Je partagerai donc mes takes sur les deux confrontations notables:

    •    La première est survenue avec les flics à vélo qui empêchaient d’avancer davantage sur la rue Prince-Arthur. Après s’être arrêté pendant un petit bout, les manifestant•es se sont avancé•es vers les flics en criant « Bouge! », pour leur donner un goût de leur propre médecine. Quelques roches furent lancés, de manière désinvolte. Malgré l’aspect comique à la situation, les flics n’ont pas cédé, quelques-uns déployant du poivre de cayenne et d’autres menaçant la foule avec leurs vélos. La manif a donc rebroussé chemin. Selon moi, la manif n’a pas foncé assez rapidement pour instiller une peur psychologique chez les flics. C’est comprenable, les manifestant•es n’avaient pas beaucoup d’équipements à leur disposition pour neutraliser les bicyclettes.

    •    La seconde confrontation s’est déroulé sur la rue Milton, où des vans de police étaient déployées tout le long de la rue, réduisant la mobilité pour les deux côtés. Encore une fois, les manifestant•es ont confronté les flics à vélo, mais cette fois-ci avec contact, leur détermination s’étant durçi. Les trois premières rangées tenaient respectivement les items suivants: bannières, parapluies et mâts de drapeau. Les manifestant•es ont tenu la ligne pendant un bout, mais elle tomba en désarroi après l’usage intensif du poivre de cayenne de la part des flics et l’arrivée de la police antiémeute. Je crois qu’avec plus d’entraînement, discipline et expérience, les manifs pourraient rester groupées en attendant l’arrivée des médics ayant la tâche de s’occuper des personnes qui se sont fait poivrés. Cela préviendrait le retrait désorganisé et individualisé qui s’ensuit habituellement. Je crois aussi que faire déborder la manif sur les trottoirs et attaquer leurs flancs (tout en laissant une route de sortie pour les flics) serait plus stratégique. 

Il vaudrait la peine de réfléchir à une autre tactique lorsque les flics bloquent l’entrée d’une zone, celle de séparer la foule en deux groupes ou plus, à condition que les groupes restent assez gros. Chacun prendrait une route différente pour essayer d’étendre et affaiblir le dispositif policier. Cela permettrait aux manifestant•es d’augmenter la zone occupée, par exemple le nombre de personnes qui font face à la police au lieu d’attendre au milieu de la foule. Il va sans dire que le succès de tels manoeuvres nécesitterait préalablement un entraînement et une communication constante entre les groupes.

5 Être comme l’eau: notre force réside dans notre habileté à être partout et n’importe où, que ce soit à une manif ou dans d’autres actions. Selon plusieurs camarades, la priorité des flics antiémeute semblait être de protéger le bâtiment James. Cela limitait leur portée de mouvement, et d’autres type de polices semblaient plus intéressés à suivre la manif que de protéger d’autres cibles potentielles, comme la Banque Scotia. Plus largement, ces événements illustrent une assymétrie entre les gens et les forces de l’État: la première, tel une cavalrie des steppes, a plus de difficulté à défendre un endroit, mais est plus agile; la dernière, tel une infanterie lourde, est plus forte dans les confrontations directes (à moins d’avoir un désavantage numérique significatif), mais est moins mobile. Alors que la police a plusieurs types de véhicules à sa disposition, ils peuvent être ralentis en mettant des objets dans la rue. Je suis conscient•e que cette pratique a une mauvaise réputation parce qu’elle ne ralentit pas vraiment les flics antiémeute et peut être un risque de trébuchement pour nous. Ceci étant dit, dans des rues plus étroites, elle s’est montrée efficace pour créer une distance entre les flics à vélos et les vans, donnant aux manifestant•es du temps pour se regrouper après une déroute.

« Cops Off Campus » : Des anarchistes attaquent McGill

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Avr 052024
 
L’image ne représente pas l’action.

Soumission anonyme à MTL Contre-info

La police a été invitée sur le campus la semaine dernière par McGill et l’administration a fait pression pour qu’elle inculpe quelqu’un juste pour quelques graffitis.

Lorsque les flics sont invités sur le campus, ils surveillent et ruinent la vie des jeunes. Les universités doivent devenir des lieux de refuge. Les dénonciations et les leçons de l’histoire n’ont pas fonctionné jusqu’à présent.

Hier soir, nous, anarchistes, armés d’outils que chacun.e peut trouver, avons commis nos premiers actes de vengeance, laissant nos traces sur le bâtiment administratif de McGill.

Nous n’attendons personne pour agir.

Pour la libération de toute autorité.

Flics hors du campus !

Un passage du flambeau – un regard extérieur sur l’organisation du 15 mars

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Mar 252024
 

Soumission anonyme à MTL Contre-info

Avant toute chose, je tiens à préciser que je n’ai en aucun cas participé à l’organisation de la manifestation du 15 mars contre la brutalité policière de cette année. Je connaissais certaines des personnes impliquées dans son organisation auparavant, et certaines des personnes impliquées dans l’organisation cette année, mais je n’ai vu l’organisation évoluer que de loin.

Donc oui, il y avait un nouveau collectif qui organisait la manifestation du 15 mars cette année. Pendant et après la manifestation, j’ai entendu un certain nombre de critiques, certaines chuchotées entre camarades, d’autres plus publiques. Pour ma part, je souhaite répondre à ces critiques. Je remercie sincèrement et entièrement le collectif du 15 mars, qui a pris les choses en main et a rempli de très grosses chaussures, avec très peu de temps pour le faire. C’est un travail ingrat, difficile et dangereux, et ces personnes ont toutes mon soutien pour s’y être attelées.

Était-ce parfait ? Non. Mais d’après ce que j’ai entendu, elles et ils ont eu à peine un mois pour le faire. Le fait que le collectif ait réussi à produire des tracts, des autocollants, des affiches et à créer une coalition dans un délai aussi court est tout simplement incroyable. Et même si elles et ils avaient eu plus de temps, nous savons tou-te-s que ces événements ne sont jamais parfaits : en tant que personne organisatrice d’événements radicaaux moi-même, je sais que nous faisons de notre mieux avec les maigres ressources dont nous disposons. Nous tirons toujours un millier de fils en même temps, et nous continuons toujours à marcher sur la frontière vers le burnout. Sans parler de la nature chaotique d’un événement radical, où tout peut arriver (et arrive souvent) et où il est impossible de prévoir toutes les éventualités. Et à mon avis, c’est là que réside la beauté de ce que nous faisons. Lors de nos événements, n’importe qui peut prendre l’initiative de brandir un drapeau, une bannière ou un mégaphone, et permettre à tou-te-s d’aller un peu plus loin que ce que l’on pensait.

L’organisation de cette année était-elle différente des manifs du 15 mars auxquelles nous sommes habitué-e-s ? Oui, mais rien ne devrait être inscrit dans la pierre, surtout pas les événements anarchistes. Oui, le format était différent, et bien que je ne connaisse pas les objectifs du collectif, j’ai eu l’impression que cela suivait un format que nous avions l’habitude de voir plus souvent dans les années 90s/00s. Au début, une manifestation semi-radicale, accessible au plus grand nombre. Et puis, par la suite, la vraie chose, pour celles et ceux qui veulent pousser les choses plus loin. D’après ce que j’ai pu voir, il y avait encore de la place pour une diversité de tactiques, c’est juste une manière différente d’organiser les choses. Et ce format est un bon moyen d’introduire des personnes qui ne se joindraient jamais à une manifestation radicale, pour voir ce qui se passe quand les gens sont plus combatifs.

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Le changement de tactique, le nouveau collectif du 15 mars… tout cela nous amène à l’état général de notre mouvement, de nos luttes.

Nous arrivons à un tournant dans nos collectifs, où certains vieux groupes semblent avoir des difficultés : par exemple, nous savons que le Salon du livre, un autre travail ingrat et difficile, a aussi des problèmes. Le COBP continue à faire des miracles avec, d’après ce que j’ai entendu, seulement une poignée de personnes. Et peut-être que l’organisation du 1er mai ne rassemble plus autant de monde qu’avant ? En même temps, de nouveaux collectifs radicaux émergent, comme l’ORA/RAO, le P!nk Bloc et maintenant le collectif du 15 mars. Il est peut-être temps pour nous, l’ancienne génération, de passer le flambeau à la plus jeune.

La nouvelle génération fera-t-elle tout comme nous, les ancien-ne-s, avions l’habitude de faire ? Va-t-elle façonner le mouvement comme nous, les vieilles et vieux punks, le voulons ? Non. Et c’est bien là le but. Les gens changent, les idées changent, et nos mouvements doivent changer avec eux. Les priorités, les tactiques et les objectifs de la prochaine génération ne seront pas les mêmes que ceux des anciens, et c’est tant mieux. Ce n’est pas comme si les priorités, les tactiques et les objectifs que nous utilisons en ce moment donnent beaucoup de bons résultats ces temps-ci, n’est-ce pas ?

Donnons à la prochaine génération une chance et un espace pour grandir, apprendre et, oui, faire des erreurs si nécessaire. C’est le seul moyen d’améliorer ce que nous avons construit au fil des ans et de le faire passer au prochain niveau. Et de faire en sorte que nos mouvements perdurent au-delà de nos propres vies, trop courtes et trop vaines.

Vive la prochaine génération de la Révolution,
Vive le nouveau 15 mars,
Et, comme toujours, ACAB partout.

une vieille personne camarade

Photo : André Querry

Une manif sans tête – Retour critique sur la manifestation du 15 mars 2024

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Mar 232024
 

Soumission anonyme à MTL Contre-info

Cette année, la traditionnelle manifestation contre la brutalité policière était organisée par le nouveau Collectif 15 mars. Les personnes à l’initiative de ce collectif nous sont inconnues, mais nous trouvons qu’autant discursivement – par l’appel à manifester sur leur site – que dans leurs pratiques de rue, ce changement de paradigme fait la part belle à une libéralisation de cette tradition anarchisante et combative. Trop peu de pratiques militantes à Montréal permettent de faire vivre un esprit offensif, où l’affrontement avec les corps policiers n’est pas accueilli négativement par la foule. Nous ne pouvons nous permettre de laisser cette manifestation tomber aux mains des réformistes aux tendances vive le communautaire.

Prenons d’abord l’appel à manifester puisqu’il s’agit du seul texte produit par le nouveau collectif et qu’il indique clairement les tendances idéologiques du nouveau groupe. Que nous dit donc cet appel… Pas grand-chose, sauf leurs brèves lignes politiques : « l’opposition aux interventions policières », « la fin des interpellations de la police, des équipes – intervenant·e·s et policier·ère·s –et de la présence des agences de sécurité privée dans l’espace public » et leur soutien à différents groupes communautaires et militants. Dans les dernières années, le COBP se faisait reprocher de ne pas assez se centrer sur l’opposition à la police en soi plutôt qu’à ses méthodes brutales – alors qu’il est évident que la plus grande part des manifestant·e·s ne tient pas à cette distinction non plus, à en croire la popularité du slogan ACAB. Nous trouvons que le passage d’un collectif opposé à la brutalité policière à un collectif opposé aux interventions policières n’ouvre pas d’horizon politique particulièrement intéressant. Les temps de l’euphémisation des discours d’extrême gauche devraient déjà être longtemps révolus.

Ce monde nous est intolérable, les démocraties libérales occidentales se flétrissent et laissent surgir une autorité, une surveillance ainsi qu’une violence de plus en plus crues. Il nous faut intensifier la lutte et nos discours, et non les vider de leur sens en les affadissant. Le 15 mars, s’il devait n’y avoir qu’un seul mot d’ordre, celui-ci devrait être l’abolition immédiate et non négociable de tous les corps policiers, de l’armée de l’État et de tous les centres de détention.

Suite à notre lecture de l’appel, nous étions sceptiques, mais, considérant qu’un doute planait sur la tenue de la manifestation cette année, nous étions tout de même excité·e·s à l’idée que le quinze mars ait encore lieu. Nos doutes par rapport aux tangentes que prenait la manifestation se sont toutefois cristallisés lorsque le Collectif 15 mars, quelques jours avant l’événement, nous a fait discrètement parvenir l’ordre de « ne pas faire d’action directe lors de la manifestation » et il nous est apparu que le trajet avait été spécifiquement réfléchi afin d’éviter le maximum de cibles potentielles pour des gauchistes excité·e·s. Quelle honte! Les réformistes pacifiant·e·s n’avaient pas assez des 172 autres manifs plates et dociles de l’année? Voilà maintenant qu’iels doivent s’approprier une des seules manifestations radicales traditionnelles de Montréal. Lorsque la manifestation se met à elle-même se policer, il n’y a effectivement plus besoin de police…

Fort heureusement, nous avons eu la preuve que les consignes autoritaires et pacifiantes sur le milieu anarchiste n’ont eu que trop peu de résonance et n’ont su changer la nature de la manifestation du 15 mars! Bon nombre de banques et de condos de luxe se sont fait attaquer et plusieurs feux d’artifices et bombes fumigènes ont coloré le ciel. Nous saluons chaudement les personnes ayant pris ces initiatives!

Mais il nous semble également important de souligner que dès la première attaque contre une banque – la RBC face au métro Beaudry – la tête de la manif du Collectif 15 mars n’a donné aucun mot d’ordre et s’est immédiatement volatilisée (à notre connaissance, la police n’avait pas déclaré la manifestation illégale – on nous corrigera). Cela a eu comme conséquence directe de désorganiser la manifestation et de l’exposer à de potentielles interventions policières au moment précis où des personnes auraient pu se faire arrêter. Pis encore, il nous semble évident que les personnes derrière le Collectif 15 mars comprennent mal l’implication politique des tactiques de manifestation. En effet, sans entrer ici dans une critique exhaustive du concept de « diversité des tactiques », toustes devraient minimalement s’entendre sur la nécessité de la désobéissance civile (c.a.d. non-confrontationnelle ou « non-violente » pour reprendre ce terme répandu mais inexact) dans un contexte de manifestation combative. Ainsi, les personnes organisatrices – qui marchent à visage découvert, ou qui sont associées plus ou moins publiquement à tel ou tel groupe communautaire ou institution – devraient utiliser leur présence en manifestation pour défendre jusqu’à la dernière minute le droit de manifester que prétend octroyer l’État canadien. N’ayant commis aucun acte criminel, elles n’ont pas de raison sensée d’être les premières à quitter. La fuite individuelle et injustifiée n’est pas qualitativement mieux que la course effrénée; les personnes qui ont trop peur devraient avoir l’humilité de s’abstenir d’assumer un rôle de leadership.

Enfin, faut-il ajouter que la présence soutenue et durable du plus grand nombre pendant tout l’événement est pour le moins importante dans un contexte où les manifestations montréalaises sont peu populeuses. Cette coprésence de personnes engagées dans différents rapports confrontationnels mais solidaires dans la rue est un des éléments fondamentaux à la prolifération de mouvements combatifs qui pourraient être à la fois significatifs pour de larges parties de la population qui sont présentement insensibles à nos propositions politiques et réellement inquiétants pour le système. Lorsque des organisateurs·rice·s contre la brutalité policière agissent au contraire de manière à mettre en danger une manifestation combative (et donc à risque d’arrestation), nous ne pouvons nous empêcher de nous sentir trahi·e·s.

Après quelques minutes d’incertitudes suivant la réalisation que l’organisation avait disparu, nous avons décidé avec nos camarades du P!nk Bloc d’utiliser nos bannières respectives pour prendre la tête de la manifestation afin de continuer à marcher avec une masse de gens qui, visiblement, était restée sur sa faim après avoir parcouru les rues résidentielles de Centre-sud sans cibles à portée de jet de pierre. Nous avons ainsi improvisé un itinéraire qui suivrait la rue Ste-Catherine vers la Place-des-Arts, que nous pensions être un bon endroit pour une dispersion réussie. Considérant que la masse de gens rétrécissait et que nous n’étions véritablement pas en assez grand nombre pour être en mesure de résister à une attaque de la police, nous avons rangé nos bannières, puis quitté à la Place-des-Arts comme prévu, mais une partie de la manif a choisi de continuer son chemin pour prendre fin au centre-ville.

Nous avions des critiques concernant le COBP et nous avions espoir que ce nouveau Collectif 15 mars puisse renouveler l’organisation de cette journée en offrant un cadre permettant de redoubler de combativité. Pour nous, le message est clair : le Collectif 15 mars n’a pas été à la hauteur de cette tâche. Il nous a semblé faire plutôt l’inverse par sa compromission avec la tendance libérale et sa soumission implicite à un statu-quo mou. Nous ne voulons pas d’appel à cesser l’action directe lors des manifestations, nous ne voulons pas de tête de manifestation qui abandonne la manifestation dès la première vitrine fracassée. Ce que nous voulons, ce sont de vraies solidarités tactiques et stratégiques, un attachement clairvoyant aux traditions, une compréhension perspicace du rôle des manifestations – une réelle camaraderie, ne serait-ce que l’instant d’un moment de casse. Ce que nous voulons, c’est véritablement devenir ingouvernables et menaçant·e·s pour l’État et son corps policier. Que le 15 mars de l’année prochaine le permette!

Longue vie au 15 mars ingouvernable!

Première Ligne

Solidarité contre la répression : Action contre Indigo

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Jan 142024
 

Soumission anonyme à MTL Contre-info

Aux petites heures du matin du 13 janvier, nous avons posé une action en solidarité avec les personnes arrêtées à Toronto le 23 novembre 2023. La police de Toronto a dépensé des centaines de milliers de dollars afin de s’introduire dans des maisons, menotter des aînéEs, saccager des effets personnels et terroriser des familles. Des parents ont été menotté.es devant leurs enfants. À son retour à la maison, une personne a retrouvé sa porte brisée et une chaise de patio ayant été lancée dans la cour avant. Les membres d’une autre famille se sont fait ordonner de ne pas parler dans leur langue maternelle. Les arrêtéEs ont prétenduement poser l’action ordinaire de poser des affiches sur une librairie de la chaîne Indigo et d’éclabousser sa façade de peinture. Cette action visait la foundatrice et CEO de Indigo, Heather Reisman, qui redirige les profits de Indigo vers la fondation HESEG, laquelle offre des bourses d’éducation à des individus émigrant en Israël pour s’enroler dans l’IDF, soutenant et encourageant ainsi le recrutement à l’international pour l’armée israëlienne. Afin de punir plus durement les militantEs arrêtéEs, de terroriser les autres militantEs engagéEs auprès du mouvement en solidarité avec les Palestinien.nes et de légitimer les persécutions qu’elle commet, la police a encouragé un récit médiatique décrivant l’action comme des crimes motivés par une haine antisémite. La cruauté de ces arrestations et de ces fouilles illustre que si la police était vraiment intéressée à empêcher les attaques haineuses, ses membres ne seraient tout simplement pas allés travailler.

La police ne peut protéger les complices du génocide partout ou en tout temps. Nous avons utilisé un extincteur rempli de peinture rouge pour redécorer l’intérieur du magasin Indigo au centre-ville de Montréal, après avoir brisé les fenêtres. Il n’y a eu aucune arrestation.

Nous avons agi afin de montrer qu’il y a un mouvement qui ne tolérera aucune persécution politique éhontée. Nous voulons attirer l’attention sur les arrêté.es de Toronto afin qu’illes ne soient pas oubliéEs. La police, tout autant que les capitalistes comme Heather Reitman, ne doivent pas avoir la permission de librement terroriser celleux qui expriment leur résistance. Clairement, la loi n’apporte pas notre sécurité et nous devons être les agent.es de notre propre justice.

Nous sommes anarchistes. Nous refusons de supporter un quelconque gouvernement ou parti, qu’il soit ethno-nationaliste, islamiste, fasciste, colonial ou démocratique et libéral. Nous contestons que les problèmes du monde soient réductibles à des enjeux d’ethnicité ou de religion, qu’elles soient juive, arabe ou musulmane. Nous soutenons la liberté et le bonheur de tout le monde. Les gouvernements, les médias et les capitalistes d’Israël, du Canada et des É-U considèrent le siège de Gaza comme une occasion d’accroître leurs propres pouvoir, richesse et privilège. Leur manque de respect envers la valeur de la vie humaine, qui leur profite et qui indigne quiconque observe la situation, devient plus clair à chaque massacre à Gaza. Ceci est évident même pour les gens vivants en Israël qui ont perdu leur droits de manifester ou d’exprimer leur désaccord, et qui ont pu constater que les vies juives ne comptent pas non plus dans la campagne de punition collective et de capture de territoire que mène le gouvernement israélien. Cela est encore plus clair pour les familles des otages israélienEs (trois d’entre elles ont d’ailleurs perdu un être cher, abattus par les troupes israéliennes alors qu’iels agitaient un drapeau blanc). Nous sommes désenchantéEs et avons décidé d’ignorer les cycles médiatiques habituels et leurs attentes de manifestations obéissantes.

Nous avons agi parce que c’est tellement facile de causer des dégâts. Notre but est de miner tous les actes de répression politique ainsi que de bâtir une offensive contre les gouvernements et les capitalistes. Nous espérons que cette action soit populaire et inspire d’autres gens. Lorsque que des actions de ce genre se répandent, que nous soyons caché.es dans la nuit ou fondu.es dans la foule, notre habileté à changer le futur croît radicalement. Aucun sauveur ne prépare son entrée en scène. Nous n’attendrons pas en vain que quelque chose survienne. Personne ne nous a demandé d’accomplir cette action. Il s’agit du genre de résistance que nous voulons voir exister, et donc nous l’avons mise en oeuvre. Si vous lisez ceci, sauf si vous êtes unE flic ou unE capitaliste, nous vous encourageons à vous renseigner sur les idées anarchistes, comment vous habiller pour vous anonymiser et comment agir sans laisser de trace numérique.

Femme à maintenir séparée : La prison, le genre et la violence de l’inclusion

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Déc 052023
 

Soumission anonyme à North Shore Counter-Info

Avant toute chose, un avertissement : ce texte est écrit par et pour des personnes queers et leurs ami-e-s. Il a pour intention de contribuer au débat autour de l’inclusion et des identités, où la validité des personnes queers n’est pas questionnée. Quiconque utilise ce texte pour contribuer à de l’homophobie ou de la transphobie est un foutu crétin.

Quand la porte de la cellule se referme enfin, quand le bruit métallique des clés s’éloigne, tu sais que t’iras pas plus loin aujourd’hui. Enfin tu peux relâcher ton souffle, seul-e avec ton matelas, et être dans ton propre corps à nouveau, ton corps qui n’est plus un problème à résoudre ou une question à laquelle répondre. Simplement ton poids familier sous la couverture, où tu peux trembler encore et encore, et essayer de dormir et de te préparer à ce qui va venir.

J’ai fait de la taule autant dans des prisons pour hommes que pour femmes, et j’en ai beaucoup appris sur le monde dans lequel on vit. Sur le genre et sur comment l’État le perçoit, et sur la façon dont le genre est une forme de contrôle. Ici, dans le territoire appelé Canada, l’État a changé ses règles sur la façon dont ses institutions traitent le genre il y a de ça quelques années. Il a ajouté «l’identité de genre» à la liste des «catégories protégées», comme la race ou le sexe, dans le projet de loi C-16(1). Cela signifie qu’il a fallu s’informer sur comment respecter l’auto-identification de genre.

Dans le monde austère et violent de la prison, la fragilité de ce cadre progressiste du genre apparaît clairement. La société canadienne a une approche – officiellement – positive de la différence, à travers l’inclusion de diverses identités basées sur l’auto-identification. C’est en grande partie le résultat de luttes, mais nous devons aussi être capable de le critiquer pour continuer à lutter pour un monde sans prisons et sans la violence du genre. On se penchera plus tard dessus dans le texte, mais adopter nous-mêmes la vision purement positive de l’identité de genre que véhicule l’État peut nous mener à une compréhension simpliste de (l’hétéro-)sexisme et à défendre les projets de l’État contre les réactionnaires, alors que nous devrions les attaquer à notre façon(2).

Se faire identifier

La prison est l’un de ces rares espaces restants où l’État continue à s’impliquer ouvertement dans la catégorisation des gens par le genre, et à les exposer à un traitement différencié sur cette base. Allongée sur ce matelas merdique, j’étais dans une cellule de l’unité d’isolement de la section femme de ma prison régionale après avoir été identifiée comme trans. Les gardiens m’avaient cuisiné sur mon genre et ma sexualité pendant à peu près deux heures jusqu’à ce que je sois en pleurs, ce qui était horrible, puisque j’essaye d’habitude de ne pas leur montrer grand-chose.

Au niveau humain, je ne pense pas qu’ils agissaient avec malveillance. Le processus était nouveau, la plupart d’entre eux ne s’en étaient jamais chargé
avant et ils ne connaissaient probablement aucune personne trans. Et beaucoup des questions posées n’étaient pas les questions officielles. Quand le gardien
derrière le bureau s’arrêtait pour taper quelque chose, l’un de ceux sur le côté intervenait avec curiosité : « Donc tu ne t’identifies comme rien, mais tu aimes les hommes ou les femmes ? Tu dois choisir. » Et alors le gardien au bureau continuait « Donc si tu es en surveillance étroite en cas de risque de suicide, et on t’a retiré tes vêtements, tu veux être surveillé par qui sur caméra, un homme ou une femme ? »

Comment tu t’identifies ? Identifie-toi ! Il y a deux portiques de détection menant à deux différentes incarcérations, tu dois t’identifier de façon à ce qu’on sache lequel utiliser.

La pression pour s’identifier avait commencé juste avant l’aube ce jour-là, peu de temps après les détonations des grenades assourdissantes quand les flics avaient enfoncé notre porte. J’étais nue sous un drap, les poignets attachés par des serflex, surveillée par un flic masqué en tenue de protection avec un fusil d’assaut à la main, quand un flic habillé plus normalement est entré. Il m’a annoncé les chefs d’accusation, et m’a ensuite demandé si je préférais qu’un flic homme ou femme me regarde m’habiller. J’ai dit que je m’en fichais. Il est parti chercher une flic femme et a coupé les menottes. Je passais en revu mes vêtements à la recherche de quelque chose qui serait à la fois féminin et chaud, puis j’ignorais leurs sommations pour me dépêcher alors que je me maquillais.

Au commissariat, je gardais un visage fermé alors que le policier me montrait des photos et des documents et me posait des questions. Quand arriva le temps du transfert au tribunal, les officiers de justice me demandèrent qui devait me fouiller, un homme ou une femme. Je dis que je m’en foutais. Ils dirent qu’il fallait que je réponde. Je dis que qui voudrait le faire le pouvait, que je ne pouvais pas les arrêter. Ils décidèrent de me faire fouiller le bas du corps par un homme et le haut par une femme.

Après le tribunal, je fus chargé dans le fourgon dans un box pour un seul prisonnier, classifiée comme « Femme : à maintenir séparée ». Il y avait plusieurs hommes dans les autres box et l’un d’eux commença à plaisanter, m’appelant sa petite-copine. On nous déplaça un à la fois vers la section homme de la taule, placés en cellules les uns à côté des autres, et les plaisanteries continuèrent. Je jouais le jeu nerveusement. J’avais déjà été en prison pour hommes avant, j’y ai parfois été identifiée comme gay, mais j’avais l’air assez différente à cette époque. Les gardiens virent ce qui se passait et me sortirent après quelques minutes. Ils me demandèrent où je voulais être. Je demandais quelles étaient mes options et ils répondirent probablement l’isolement chez les hommes ou l’isolement chez les femmes. Les autres prisonniers parlaient toujours de moi. Je dis chez les femmes. Ce fut la première affirmation que je fis en réponse à une question de la journée.

Construire et affirmer une identité, sur instagram comme dans une salle d’interrogatoire, est une façon de nous faire parler. La prison doit se montrer inclusive de la diversité de genre, et l’inclusion équivaut à une invitation à participer : « Où veux-tu être ? ». Devrais-je me sentir heureuse de me voir inclus dans une prison, affirmée en tant que personne trans, quoique ce mot puisse signifier ? Bien sûr que je suis contente de n’avoir pas vécu davantage de violence, mais est-ce que cette expérience tient vraiment lieu d’une victoire pour celleux qui ont milité pour l’inclusion ?(3)

Il est facile, et pas nouveau, de faire des critiques de l’inclusion, parce qu’il y a tellement de choses que nous préférerions demander – je viens d’une tradition anarchiste où c’est ce que le mot « queer » signifie. Cependant c’est différent de partir de ce que l’inclusion nous fait ressentir dans nos corps, comment elle nous façonne. Les façons dont l’exclusion est violente sont souvent évidentes, mais y at-il aussi une dimension violente à l’inclusion, quelque chose que nous rejetons à juste titre?

Comme point de départ on peut se demander comment l’État voit le genre. Que signifie le mot « femme » dans la phrase « prison pour femmes » ? Quelles sont les conséquences de l’inclusion en tant que femme dans une telle prison ? Comment est-ce que l’État comprend le mot « trans » et comment cette compréhension se manifeste-t-elle par des murs et des barreaux ? L’identité a deux versants, un positif et un négatif. Le négatif renvoie à
l’oppression et à la violence, le positif à l’affirmation et à l’appartenance. La première fois que j’ai appris cette distinction, elle portait sur le fait d’être noir-e (je suis blanche). Dans ce contexte, « Noir-e » renvoie à une histoire et à un vécu continu de violence raciste qui produisent certaines personnes comme noires, mais en même temps cela affirme une identité résiliente, une lutte partagée et la culture qui en émerge (4). Un débat semblable est en cours dans ma région autour de l’identité autochtone et le rôle de l’ascendance, de la culture, de l’appartenance, de la violence, du racisme et de la lutte pour construire ces identités.

Le débat sur l’inclusion trans et le discours officiel d’État insistent sur le versant positif, sur l’affirmation – l’auto-identification comme base d’appartenance à une classe reconnue de personnes (pour moi, celle des femmes). Mais cette positivité n’est qu’un vernis, ce qui s’avère particulièrement évident en ce qui concerne la prison, car entre les murs c’est notre affirmation positive, notre autoidentification qui nous expose au versant négatif de l’identité – à savoir la
violence genrée des prisons pour femmes.

Être vrai

Dans le contexte carcéral les femmes existent comme « les autres ». La prison est pour les hommes, la prison est masculine, même si le taux d’incarcération des femmes ne cesse d’augmenter. Dans le contexte du patriarcat, une prison qui « ne voit pas le genre », exposerait les femmes à une violence additionnelle que cette société ne sanctionne pas officiellement. Donc, dans un esprit d’égalité bourgeoise, le système carcéral produit une institution séparée pour les femmes, les regroupant sur la base d’un vécu de violence sexiste. Quand l’État commence à voir sa légitimité menacée par l’expérience de violences similaires des personnes queers et trans, celles-ci peuvent être ajouté-e-s à cette catégorie pré-existante sans avoir à changer la nature fondamentale de la prison.

Hommes et femmes sont des catégories signifiantes dans la mesure où il existe un vécu du patriarcat propre à chacun; les femmes trans constituent une identité distincte dans la mesure où elles ont aussi une relation spécifique à la violence du patriarcat (5). La prison fonctionne alors comme une usine : elle trie les corps pour les exposer à des traitements différenciés et les reproduire violemment comme des êtres genrés dans un monde qui a besoin de tels êtres.
Être séparé-e ne veut pas dire être égal-e. La façon dont les gens sont traités dans une prison pour femmes n’est pas la même que dans une prison pour hommes. C’est en partie pour répondre à des besoins différents : des vêtements avec des hauts et des bas séparés plutôt qu’une combinaison, l’accès à des serviettes et des tampons, davantage de travailleurs sociaux, moins d’insistance sur la colère dans les programmes et davantage sur le trauma. D’autres aspects sont manifestement sexistes et correspondent à l’application des normes de genre par la prison : un code vestimentaire stricte, une interdiction de se toucher, une dissuasion pour l’exercice physique, et une tolérance limitée pour les conflits et les bagarres.

Au-delà des traitements différents, mêmes les choses qui sont identiques entre les prisons pour hommes et pour femmes ne produisent pas le même effet : les plateaux repas standardisés, les visites, la surveillance et les fouilles, la présence à la fois de gardiens et de gardiennes. Les deux expériences de ces mêmes éléments ont des effets très différents. Développons un de ces exemples : Les prisons provinciales des hommes et des femmes dans l’Ontario servent exactement la même nourriture. Dans la prison pour hommes, on la trouve souvent insuffisante, en partie parce que l’exercice joue un rôle important dans la culture des prisonniers ; il n’est pas rare que les prisonniers sortent de prison en meilleure forme et plus musclés qu’à leur entrée. Dans les prisons pour femmes, s’exercer est fortement déconseillé entre prisonnières et parfois les gardiens le traitent comme une violation des règles. Il est courant pour les prisonnières de prendre du poids rapidement tout en ayant une baisse globale de condition physique du fait d’une inactivité imposée. La société dans son ensemble traite la grosseur de façon fort différente pour les hommes et pour les femmes, donc cette prise de poids est souvent accompagnée de honte et vient jouer avec des troubles alimentaires et d’autres enjeux de santé mentale.

Des repas égaux dans une société profondément inégale produisent un impact global négatif sur les prisonnièr-e-s dans les établissements pour femmes – la prison nuit et contrôle autant par ce qu’elle donne que par ce qu’elle enlève. En ce sens, la prison pour femmes reproduit une vision spécifique du patriarcat à travers les formes de nuisance qu’elle cause et les dynamiques toxiques qu’elle encourage. Nous pourrions faire une analyse semblable de la façon dont les expériences de violence sexuelle et d’objectification rendent les fréquentes fouilles au corps plus pernicieuses, tout comme la présence de gardiens hommes t’observant à tout instant. Ou comment les systèmes de visites et de téléphones restrictifs viennent jouer avec le fait que les prisonnières ont beaucoup moins  d’accès à des ressources et à du soutien extérieur que ce à quoi ont accès les prisonniers du côté des hommes.

Pour en revenir à mon histoire, je finis en isolement chez les femmes à la fin de cette première journée. Ce qui est plus ou moins la même chose que l’isolement chez les hommes, superficiellement du moins. La cellule fait à peu près la même taille, son agencement est le même, tout comme le sont les règles étranges comme ne pas avoir droit à des chaussures, et comme la télé qui est à l’extérieur de ta cellule et n’a pas de son. J’ai fini par rejoindre un bloc normal avec d’autres prisonnièr-e-s que le système considérait comme des femmes, mais ça a pris du temps.

Beaucoup de choses horribles se passent en prison. Une grande partie n’en sort jamais, ne devient jamais visible pour celleux qui sont à l’extérieur. Mais il y a des exceptions, la plus notable étant la mort. Si à l’heure actuelle les prisons provinciales dans ma région font l’objet d’une réorganisation pour réduire le
nombre de morts par overdose, ce n’est pas parce qu’ils se soucient des prisonniers, mais parce que un corps qui en sort en tant que cadavre est impossible à ignorer. Ils préféreraient ainsi que les prisonniers n’aient aucune activité, aucun livre et aucune lettre plutôt que de risquer que du fentanyl ne puisse trouver son chemin vers l’intérieur. De même, les prisons ne peuvent cacher les grossesses.

Dans son entreprise de tri des corps, la prison a considéré mon corps comme une source potentielle de violence dont l’évitement (ou la gestion) est à l’origine de l’existence des prisons pour femmes. Lors de mes premiers jours en isolement chez les femmes, on m’a dit que je sortirais de l’isolement seulement si je pouvais prouver que j’étais incapable d’avoir une érection. Je n’ai pas mordu à l’hameçon, j’ignore donc ce que le «prouver» aurait pu impliquer. Mais il y a d’autres façons par lesquelles la prison s’assure que tu n’es pas une menace : ils regardent si tu prends des hormones et quelles sont tes doses, ils observent comment tu te présentes à l’intérieur des murs comme à l’extérieur, à ce pourquoi tu te bats contre eux (combien de fois tu les supplieras à la fenêtre de ta cellule d’isolement pour obtenir un rasoir ?). Ils évaluent aussi comment les autres prisonnièr-e-s réagissent face à toi.

À un moment, un sergent est venu et m’a dit que j’avais dix minutes pour me préparer, que j’allais visiter un bloc. Je résistais en disant qu’on ne m’avait pas encore donné de rasoir, alors ils m’en ont ramené un, mais sans démordre sur les dix minutes. Heureusement, comme ça faisait maintenant un mois que j’étais à l’intérieur, des gens m’avaient envoyé de l’argent, donc j’avais déjà pu me procurer du maquillage à la cantine. Je me suis donc précipitée avec le rasoir merdique et j’ai réussi à appliquer du fond de teint sur les coupures avant que ne soient revenus les matons pour m’emmener dans un bloc avec trente autres prisonnièr-e-s.

Je n’ai jamais vécu quoique ce soit de semblable au fait d’entrer pour la première fois dans un nouveau bloc. La seule chose qui change en prison d’un jour à l’autre, c’est les gens, donc tous le monde se scrute les un-e-s les autres et les nouvelles personnes sont de vraies curiosités. Tu dois te rendre inintéressant-e, mais évidemment les gardiens m’avaient amené là pour qu’on parle de moi. Je n’ai passé que quelques minutes dans le bloc durant ma «visite». Quelques personnes m’ont parlé, tout le monde m’a regardé et on m’a sorti à nouveau. C’était profondément gênant. J’ai réussi le test, c’est ce qu’on m’a expliqué plus tard, et ça avait à voir avec le son de ma voix, si je pratiquais le tucking, ce à quoi je ressemblais et comment je bougeais. J’ai une petite corpulence et on m’a dit que ça a aussi aidé. Les prisonnièr-e-s avec lesquel-le-s les gardiens parlèrent se trouvaient d’accord pour dire que j’étais «vraie», alors on m’a bougé dans ce bloc le soir-même.

J’ai entendu beaucoup d’histoires à propos de «fausses» femmes trans, expression qui peut signifier que des femmes trans n’ont pas un bon passing, mais la plupart du temps ça désigne celles qui n’en font pas l’effort. J’ai entendu mes co-détenu-es décrire des agressions ou des avances de la part de femmes trans alors qu’elles étaient à l’intérieur. Je n’ai aucune raison de douter de leurs expériences, car on a passé des mois ensemble et on a fini par se connaître assez bien. Un certain nombre de personnes qui m’ont raconté ces faits étaient aussi les plus accueillante-s avec moi, personnellement. Il semblerait que ce mépris pour les «fausses» femmes trans était proportionnel avec combien mes co-détenues pensaient que les «vraies» devaient être incluses.

Les «vraies» femmes trans ne se battent pas, ne crient pas avec des voix masculines, ne font pas de pompes et ne draguent pas d’autres femmes; à l’inverse, les «fausses» femmes trans aiment tyranniser les autres, font monter leur voix dans les aiguës sauf si ça peut servir à intimider, ne veulent pas d’un corps féminin et leur sexualité est celle d’un homme hétéro. Ça me fait ressentir un truc dégueulasse de répéter ce discours qui fait écho à la pire propagande antitrans. Pourtant, je pense que dans le contexte de la prison, c’était aussi une façon pour ces gens, dont je sais qu’elles ne détestent pas les femmes trans, d’essayer de se protéger les unes les autres.

La distinction entre «vraie» et «fausse» est encore plus bidon que le genre lui-même, mais je veux assumer la manière dont j’y ai participé. Au début d’une période d’un an et demi, dans laquelle j’ai fait trois passages en taule, je suis passée de non-binaire féminin à faire de mon mieux pour avoir un bon passing de femme. Par certains aspects, ce processus s’est avéré très satisfaisant et peut-être que j’aurais fini par le faire de toute façon. Par d’autres, une bonne partie de ma motivation était de ne pas avoir à passer des mois et des mois en isolement. Je comprends encore mon identité de genre comme étant – par essence – imposée, et je m’efforce encore d’avoir un bon passing, même si ça fait maintenant presque un an que j’ai entendu pour la dernière fois la porte d’une cellule se refermer derrière moi.

Ceci dit, je ne pense pas que ce soit un problème d’attitudes individuelles – pas les miennes, pas celles de mes co-détenu-e-s, pas même celles des gardiens-. Je pense que la compréhension progressiste et purement positive du genre est fausse et nuisible, ce que l’adoption par le système carcéral de l’auto-identification du genre a rendu encore plus évident. Je compte développer plus ce point, mais j’y reviendrai plus tard, car je veux d’abord vous raconter une histoire que j’ai entendue à l’intérieur.

Quand identité signifie accès

L’État a une règle selon laquelle il doit fournir des repas répondant aux régimes alimentaires religieux, parmi lesquels le plus compliqué est le kasher, puisqu’il ne s’agit pas que de remplacer une chose par une autre. Donc, les prisons de l’Ontario ont signé un contrat avec une entreprise privée pour les repas kasher, qui sont souvent d’une qualité bien meilleure que les repas standards. Ça fait que les prisonniers essayent constamment de convaincre l’institution qu’iels sont juifve-s, de façon à accéder à de la meilleure nourriture. Les prisons sont alors dans un rôle de contrôle de l’identité juive et fabriquent toute sorte d’obstacles pour celleux qui essayent sincèrement d’observer des règles religieuses.

J’ai entendu récemment qu’un bloc de la prison pour hommes adjacente avait essayé de régler ce problème une fois pour toute en déposant une plainte pour
violation des droits de l’homme concernant l’accès aux repas kasher. Ils soutenaient que les règles alimentaires suivies par les personnes juives sont
également celles présentées dans les Écritures observées par d’autres religions; il s’ensuit donc que toute personne observant les Écritures Saintes devrait avoir accès à de la nourriture conforme à ces règles. Le tribunal leur a donné raison et, tout d’un coup, des centaines de prisonniers exerçaient leur tout nouveau droit d’accès à de la nourriture kasher. Ça entraîna l’effondrement de l’approvisionnement de repas kasher (ou du moins de la ligne budgétaire
correspondante), ce qui a eu pour conséquence que la plupart des prisonniers juifs furent poussés à prendre le régime vegan, puisque les repas kasher se
raréfiaient.

Je ne sais pas si cette histoire est vraie. Je ne peux en retrouver aucune trace sur google. Mais j’ai été témoin, autant en tant que prisonnière qu’en tant que personne solidaire, de plusieurs moments de lutte de prisonnièr-e déclenchés au Canada dont la revendication pour l’accès à une meilleure nourriture pour tou-tes tenait lieu de poudrière. Même si cette histoire n’est qu’une fable, elle souligne certaines dynamiques sur la façon dont le changement – sur des bases d’identité – se produit.

Le système carcérale a été obligé d’accepter une définition élargie d’une classe reconnue de personnes et, de ce fait, de fournir un ajustement lié à cette classe, à plus de prisonniers. Autant le système que les prisonniers comprirent cette ajustement comme un privilège dont l’obtention représentait une amélioration des conditions de vie des prisonniers, aussi bien qu’une obligation financière accrue pour l’institution. La prison a alors refourgué ce fardeau à un autre groupe  de prisonniers (ici, les prisonniers juifs pratiquants dans leur vie hors murs) tout en essayant de limiter l’accès à l’ajustement (ou au privilège) sur une base différente, plutôt que de remettre en cause l’identité de qui que ce soit.

Vous aurez sans doute deviné où je veux en venir, mais laissez-moi le développer. Le système nécessite d’étendre son contrôle sur le genre pour tenir compte de l’auto-identification, ce qui entraîne une augmentation du nombre de personnes assignées homme à la naissance placées en prison pour femmes (6). Il crée également un chemin plus facile pour quiconque voudrait bouger d’une prison pour hommes vers une prison pour femmes. Les conditions dans les deux établissements sont différentes, comme je l’ai expliqué plus haut, et cette différence se fonde sur la réduction ou la gestion de la violence à laquelle font face les personnes que le système considère comme femmes.

La violence dans les prisons pour hommes, en Ontario comme ailleurs, peut être intense, ce qui fait que beaucoup de gens ont leurs raisons de vouloir y échapper, pas seulement les femmes trans. Les prisons pour hommes essayent de répondre à ce besoin (parce que la prison a du mal à dissimuler les visites à l’hôpital, tout comme les cadavres et les bébés) avec la Détention protégée (DP) , ce qui revient plus ou moins au même que la Population générale (PG), à la différence que toutes les personnes qui s’y trouvent ne se sentaient pas en sécurité dans un bloc normal (7). Beaucoup de queers finissent en DP, mais c’est aussi l’endroit où finissent les personnes accusées de crimes d’ordre sexuel ou de violence contre des enfants, tout comme les personnes qui ont trop de conflits, qui sont dans le mauvais gang, qui ont une mauvaise réputation, qui étaient dans les forces de l’ordre…

L’admission en DP est volontaire, les prisonniers doivent juste en faire la demande, mais une fois que tu es en DP, c’est la plupart du temps impossible de revenir sur ce choix. Au fil du temps, il en résulte que le nombre de prisonniers en DP et en PG se ressemble de plus en plus, tout comme leurs niveaux de violence. Alors où va-t-on pour échapper à la violence de la DP ? Il y a eu un développement de nouvelles formes d’isolement ces dernières années (8). De plus en plus de queers se retrouvaient à purger la totalité de leur peine en isolement, ce qui ne fait qu’aggraver le problème préexistant de surpopulation dans les prisons en Ontario. Les unités d’isolement ne peuvent la plupart du temps pas être aussi densément peuplées, et le système carcéral veut disposer de l’espace à sa discrétion. Les personnes trans, en particulier, finissent la plupart du temps seul-e en cellule, au lieu de deux ou trois personnes par cellule comme pour d’autres.

Déplacer les personnes trans vers un autre établissement où iels seraient placé-e-s dans un bloc normal est donc une réponse partielle à la surpopulation. Ça signifie aussi que s’identifier comme trans donne à des prisonnièr-e-s, qui ne se seraient peut-être pas identifié-e-s comme trans autrement, une option additionnelle pour échapper au choix entre violence et isolement. Je crois que peu de gens agissent ainsi de façon tout à fait cynique et que pour beaucoup, ça ressemble plutôt à mon processus à moi de transition de non-binaire vers une présentation qui correspond à l’idée que se fait la prison (et la société en générale) d’une «vraie» femme (trans). Aussi, la violence carcérale s’abat de façon disproportionnée sur celleux dont la santé mentale les rend incapables de se conformer à l’environnement social rigide, qui est lui-même une réponse à la surpopulation et à l’incarcération elle-même (9).

La pression pour s’identifier à un genre auprès de la prison commence de plus en plus à ressembler à la pression pour s’identifier devant un flic qui t’arrête. C’est une invitation à participer à ce que le processus de contrôle de ton corps se passe en douceur sans trop te blesser. Je me souviens que quand je pleurais dans la salle d’admission, ce n’était pas que je refusais encore de leur dire quelles cases cocher, mais que je n’avais juste pas le bon type de réponses. Finalement, j’en arrivais à une réponse qui me fit obtenir ce dont j’avais besoin à la fin de cette très longue journée – un lieu sûr où dormir (10).

J’avoue que certains s’identifient comme trans cyniquement, tout comme ces prisonniers qui se battent pour être identifié-e-s comme des «gens du Livre» afin d’avoir accès aux repas kashers de meilleure qualité. Mais c’est une très petite minorité. Néanmoins, la prison pour femmes vient jouer un rôle de «super DP» dans le système carcéral global.

Toujours contre la prison

J’ai passé beaucoup de temps à discuter de ce sujet avec d’autres prisonnièr-e-s, aussi bien cis que trans. Peut-être que ce n’est pas un problème que la prison pour femmes soit également une super DP. La coercition et la violence font partie de l’identité de toute façon, donc c’est peut-être dans la culture entre prisonnier-e-s dans les prisons pour femmes qu’il faut gérer ce changement. C’est ça l’idéal progressiste, non ? Que des dirigeants éclairés décident des droits des gens et que l’exigence de respecter ces droits constitue l’unique limitation à notre liberté? Parce que l’oppression n’est qu’une question de comportement individuel, non ? Donc, heureusement que le système carcéral a collé des posters Personne Gingenre™ dans toutes les blocs de la prison pour femmes, de façon à ce que les prisonnièr-e-s puissent s’éduquer et préserver cet endroit comme un lieu sûr (11). Je ne plaisante pas; c’est vraiment là, juste à côté de l’imprimé obligatoire de nos droits, une douzaine de pages sous un panneau en plastique, et dont la typographie est si petite que ça en est illisible.

Toute personne qui se soucie de l’inclusion des trans, qui a pu lutter dans les campagnes que l’État vient de récupérer et de régurgiter sous la forme du projet de loi C-16, devrait examiner honnêtement ce que fait le système carcéral de leur projet. Le voir sous cette forme grotesque devrait ébranler notre analyse du genre et de l’inclusion de façon à la rendre plus riche et nuancée. Parce que l’autoidentification comme base d’inclusion en prison est intenable. Quand il y aura une réaction anti-trans au niveau législatif, on ne manquera pas d’histoires d’horreur venant de la taule pour alimenter l’indignation.

Et c’est pas du fait que certaines meufs trans sont «fausses», ni parce que certaines meufs trans reproduisent un comportement prédateur, qu’ont certaines prisonnières cis aussi. Il est évident que c’est injuste de tenir responsable un groupe entier de personnes pour les choses merdiques que font quelques individus de ce groupe. La réaction viendra parce qu’il ne suffit absolument pas de coller au système carcéral une vision positive de l’identité de genre. Il me semble important qu’il y ait une critique du projet de loi C-16 et de sa mise en œuvre qui provient de queers et de personnes porteuses d’un projet d’émancipation – et pas seulement d’opportunistes qui haïssent les personnes trans, comme Jordan Peterson (prof canadien devenu philosophe de droite). Je ne considère pas l’État comme un agent de changement social positif, mais même celleux d’entre vous qui le voient ainsi devraient se demander s’il n’existe rien à critiquer du projet de loi C-16, comme si Trudeau (le premier ministre canadien) avait tapé dans le mille du premier coup.

Pour celleux en-dehors du Canada, peut-être que voir comment l’inclusion trans progressiste s’est jouée ici s’avérerait utile pour éviter les écueils dans lesquels nous avons échoués. C’est un autre sujet, mais une analyse de comment s’est joué l’inclusion trans dans le milieu brutal de la prison pourrait bien révéler certaines faiblesses dans l’auto-identification comme base du genre ailleurs.

Le système carcéral pourrait réagir de différentes manières face à ces contradictions, mais d’abord une petite histoire : il y a eu quelques gardien-ne-s queers avec lesquels j’ai interagi dans la prison pour femmes. L’une était une femme trans qui, en me fouillant au corps, m’a dit «On a eu de grands progrès ces dernières années, les choses s’améliorent.» Mais celui avec qui j’ai interagi le plus régulièrement travaillait dans mon bloc et se montrait assez amical avec moi. Un jour, il brutalisa une de mes amies en vidant une bombe au poivre dans ses yeux à quelques centimètres de distance tandis qu’un autre gardien la maintenait au sol. On lui donna un sale surnom en référence à cet événement, et il se plaignit auprès de la direction afin que nous arrêtions de le «harceler». Plus tard il a eu une mammectomie, et me l’annonça avec enthousiasme pendant que je faisais la queue pour les médocs, et je regrette d’avoir alors fini par l’en féliciter.

Une des premières façons dont le système pourrait réagir serait de mettre les bouchées doubles dans l’amélioration de son projet d’inclusion, peaufinant ses politiques trans et résolvant les problèmes en cours. J’espère que des histoires comme celle-ci pourront aider à nous convaincre que leurs efforts en ce sens ne répondent en rien à nos besoins. Je m’en fiche de l’identité de genre du gardien qui me brutalise, de la même façon que leurs ajustements pour mon identité de genre ne m’ont pas rendue plus libre (12). De plus, le système carcéral pourrait se replier sur ses origines en appliquant un modèle de contrôle par la séparation. On entend beaucoup parler d’une unité spéciale pour les queers, voire même d’un établissement séparé. Le statut des personnes queers ne serait plus à mi-chemin entre la prison pour hommes et celle pour femmes, mais entre la prison ‘normale’ et la prison psychiatrique, ce qui constitue déjà la façon dont le système gère les formes de déviances qu’on ne peut nous reprocher. Nous devrions nous opposer à ça, tout comme nous nous opposons à tout développement du système carcéral.

En tant qu’anarchiste, je suis bien entendu contre toutes les prisons et je ne vais pas offrir de suggestions de politique. J’écris peu de temps après le meurtre de George Floyd par la police de Minneapolis et après l’énorme rébellion qui s’en est suivie, à un moment où les critiques contre la police et la prison se sont propagées comme je n’aurais jamais pensé le voir. Ça m’a motivé à enfin finir ce texte plutôt que de continuer à me trimbaler ces expériences à l’intérieur, parce que je pense que les espaces féministes et queers pourraient faire plus pour construire une hostilité envers les flics et les prisons, à leurs manières. Je vis pour voir le jour où tou-te-s celleux dont la vie a été impactée par la prison se rassembleront pour les détruire, et laisser le champ libre aux pigeons et à la pluie. Nous planterons des arbres fruitiers sur leurs ruines et nous ferons un feu de joie des uniformes de prisonnier et de gardien. Je sais que la fumée emportera avec elle certains aspects du cauchemar genré dans lequel nous vivons tou-te-s, autant à l’intérieur qu’à l’extérieur des murs.

Postscriptum : Ça fait quatre mois que la parution de la version anglaise de ce texte est sortie, et je veux y ajouter un petit mot pour l’occasion de sa traduction vers le français. Si je n’ai guère traité de la race dans ce texte, c’est parce que j’hésitais à raconter des histoires qui ne sont pas les miennes ou d’en faire une analyse à la noix. J’aurais dû trouver la manière d’en parler, mais mieux vaut tard que jamais. Je n’ai rencontré aucune autre femme trans blanche en prison, elles étaient toutes noires ou autochtones, et j’avais beaucoup moins d’ennuis qu’elles. Elles finissaient presque systématiquement en DP ou restaient en isolement. Impossible de savoir dans quelle mesure c’était dû au niveau de soutien extérieur dont j’ai profité en tant que prisonnière anarchiste; mais le fait est que si toutes les femmes trans ont plus de chances de vivre dans la misère et de finir en taule, c’est autrement plus dur pour les femmes trans racisées.

Comme je l’ai expliqué plus haut, il est nécessaire d’avoir un bon passing pour sortir d’isolement et de se faire accepter par les autres prisonnières aussi bien que par le système. Des féministes racisées ont démontré que les standards de beauté sont blancs, et on pourrait en dire autant pour le passing, qui nous demande (le plus souvent) de jouer sur des notions de féminité stéréotypées. Si, dans les sociétés canadienne et française, on dressait le portrait de ce qu’est une vraie femme, belle et élégante, respectable, ce serait sans doute celui d’une femme blanche.

Pour avoir un bon passing, la couleur de ma peau me facilite beaucoup la tâche, au moins autant que ma petite corpulence. Le système carcéral a décidé que j’étais une «vraie» femme trans qui ne méritait pas une expérience de violence accrue, pour les mêmes raisons que la société accepte que je bosse dans le service aux clients. Ce sont des boulots de merde, mais c’est encore pire de ne pas pouvoir obtenir un boulot de merde quand on en a besoin. Dans ces deux cas, la race vient jouer avec l’identité de genre et faire que les politiques d’inclusion ne sont que pour certains. Ce qui n’est nullement un argument pour une meilleure inclusion, mais pour la nécessité de la critiquer et de concevoir une autre manière de penser le problème.

Galérer davantage en taule -comme économiquement- fait que le cycle de traumatisme, d’instabilité et de criminalisation se répète de plus belle en dehors des murs. La régulation du genre par la prison nuit à tout le monde, mais pas de la même manière. Ce n’est pas nouveau de dire que la prison réserve un traitement différencié selon la race, mais la race entre également dans la reproduction du genre à l’intérieur des murs au moment du tri des corps. Dans ce texte je voulais insister sur la violence de l’inclusion non pas pour minimiser la violence de l’exclusion, mais pour réfuter l’idée progressiste que l’inclusion est la réponse à l’exclusion. L’expérience des prisonnièr-e-s trans n’est qu’un énième exemple qui montre que ce ne sont que les deux faces d’une même
pièce.

Anonyme
Été 2020

Ce texte se veut un point de départ et j’espère que d’autres personnes l’étofferont. Il n’est pas signé, même si je sais bien qu’il n’est pas très anonyme. Si tu veux me contacter pour me faire des retours, c’est possible (en anglais et en français) à l’adresse de la brochure.

Traduction depuis l’anglais
Juillet 2023
Pour recevoir la brochure ou pour toute correction, remarque, critique : atropa@mortemale.org

Notes :

1) Voici un résumé du projet de loi C-16, comme il apparaît présenté dans la proposition de loi : « Le texte modifie la Loi canadienne sur les droits de la
personne afin d’ajouter l’identité de genre et l’expression de genre à la liste des motifs de distinction illicite. Il modifie également le Code criminel afin d’étendre la protection contre la propagande haineuse prévue par cette loi à toute section du public qui se différencie des autres par l’identité ou l’expression de genre et de clairement prévoir que les éléments de preuve établissant qu’une infraction est motivée par des préjugés ou de la haine fondés sur l’identité ou l’expression de genre constituent une circonstance aggravante que le tribunal doit prendre en compte lorsqu’il détermine la peine à infliger. »
https://www.parl.ca/DocumentViewer/fr/42-1/projet-loi/C-16/premiere-lecture?
col=2

2) Mon vécu n’est pas le même que tou-te-s, je ne peux m’exprimer pour le vécu de tou-te-s les personnes trans. Quelques notes me concernant pour aider à
contextualiser :
– Je suis blanche et je ne fais donc pas face au même niveau de criminalisation dans ma vie quotidienne, ni au même niveau d’hostilité au sein du système
carcéral. Les prisonnièr-e-s trans noir-e-s et autochtones avec lesquels j’ai interagi ont souvent fait face à bien plus de violence et de refus autour de leur
identité de la part du système carcéral que ce que j’ai pu connaître, ce qui est logique puisqu’iels subissent également plus de violence et d’exclusion à
l’extérieur.
– Je n’ai jamais été à l’intérieur pour autre chose que de l’activité anarchiste, c’est donc une énorme différence en terme d’expérience par rapport à quasiment toutes les personnes que j’ai pu rencontrer à l’intérieur, et je reçois bien plus de soutien extérieur. J’ai été incarcéré-e en 5 occasions séparées qui, accumulées, équivalent à à peu près un an, ce qui est long sous certains aspects, mais ce qui ne l’est pas du tout comparé à un bon nombre de personnes.
– À savoir aussi que les hommes trans sont dans une position différente relative à ce que je décris dans ce texte. Les hommes trans à qui j’ai parlé ont dû choisir entre arrêter de prendre de la testostérone ou rester en isolement, donc la question de l’inclusion n’est pas la même pour eux.

3) Je ne blâme pas les prisonnièr-e-s de mes mauvaises expériences autant que je blâme l’institution déshumanisante qui expose toute différence à une telle
pression intense.

4) Au-delà de l’élément de l’identité, je n’aurais pas l’analyse que j’ai de la prison sans les écrits et l’exemple des radicaux noirs. Lire Assata Shakur, George Jackson et Kuwasi Balagoon dans la prison des hommes, et en discuter avec d’autres prisonnier-e-s a été assez formateur pour moi.

5) Bien que je comprenne pourquoi ce cadre existe, insister sur le fait que « les femmes trans sont des femmes » est trop simpliste. La plupart d’entre nous avons grandi avec des privilèges masculins et nous ne comprenons pas ce que ça signifie d’être produit comme femme depuis la naissance ; de même, l’exclusion et la violence auxquelles les femmes trans font face dans la société ne sont pas les mêmes que celles auxquelles les femmes cis font face.  Personne ne prétend que les femmes cis comprennent l’expérience d’une femme trans juste parce que « nous sommes toutes des femmes ». On n’a pas besoin de débattre si une forme de violence est pire qu’une autre, il suffit de dire qu’elles sont différentes. La différence ne veut pas dire que l’inclusion n’a pas lieu d’être (je ne vous demande pas d’attendre de rentrer chez vous pour pisser). C’est un argumentaire contre le fait de laisser la nécessité de l’inclusion – du fait de besoins similaires de sécurité dans le monde tel qu’il est – nous mener à une idée du genre qui aurait été réduite à ses dimensions positives. De même, il y a une différence entre le fait de s’identifier en tant que quelque chose et le fait d’être identifié ainsi. Que les deux coïncident ou non pour une personne donnée mènera aussi à une expérience de la violence différente. Problématiser des catégories comme homme/femme (ou cis/trans) est certes utile, mais je ne veux pas qu’on aplatisse les choses et qu’on finisse avec une capacité moindre à discuter de nos expériences différentes de la violence systémique.

6) Il y a eu de rares femmes trans dans les établissements pour femmes depuis au moins les années 80, mais la majorité des femmes trans étaient dans les prisons pour hommes.

7) Je sais que toutes ces classifications peuvent porter à confusion pour quelqu’un qui n’a pas fait de taule avant, donc je vais expliquer un peu ici. DP (Protective Custody, PC, en anglais) et PG (General Population, GP) se ressemblent : même emploi du temps, même niveau de surpopulation, même (manque d’)accès à des programmes. C’est pas l’isolement, tu es toujours avec beaucoup d’autres personnes et tu partages toujours une cellule.

8) C’est en parti en réponse aux verdicts de tribunaux canadiens qui limitent la capacité du système carcéral à utiliser l’isolement comme punition.

9) Soyons clairs, les prisons pour femmes ne sont pas un espace safe pour les queers. Par exemple, j’ai pu être témoin de situations où des personnes queers
assignées femmes à la naissance étaient ballottées d’une relation à l’autre avec des femmes cis dures-à-cuire qui vivaient à hétéroland en dehors de la taule. Les personnes queers pensaient au début être dans une espèce de camp d’été gay, mais iels ont fini par se rendre compte qu’iels étaient dans une situation qu’il ne serait pas facile de quitter ou de changer.

10) Cette pression sur l’identité de genre des prisonnièr-e-s n’est pas qu’une question trans. J’ai vu la façon dont les hommes dans les prisons pour hommes
font face à une pression à performer de l’hypermasculinité. De même, la prison pour femmes reproduit les individus comme des victimes sans défense en les
dépouillant de leurs options et de leurs soutiens tout en jouant avec leur trauma. Le genre de presque tout le monde est examiné et changé par la prison. Il y a néanmoins une expérience distincte à celle-là liée au fait d’être trans, et c’est ce qui m’intéresse le plus ici.

11) La Personne Gingenre (en anglais The Genderbread Person) est un outil éducatif sous forme de poster visant à expliquer les différences entre genre, sexe et sexualité, dans le cadre d’une vision extrêmement progressiste du genre. https://www.genderbread.org.

12) C’est d’une ironie étrange que le syndicat des gardiens ait réussi à obtenir l’acceptation de l’identité de genre de leurs travailleurs avant que le système n’en soit arrivé à faire de même pour les prisonnièr-e-s. Il y a eu des femmes trans gardiennes dans les prisons pour femmes bien avant la Bill C-16.

Pour faciliter la distribution, le texte est disponible en PDF, soit en format page par page, soit en cahier.