Montréal Contre-information
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Juin 292017
 

De La Fronde: Journal anarchiste montréalais
La fronde est disponible à L’Insoumise et La Déferle

Le territoire (lequel, du soi-disant «Canada») a connu divers actes d’insoumission face à la domination de l’État et du Capital dans les dernières années. Notamment, on a qu’à penser aux sabotages de projets pétroliers un peu partout, tels qu’à l’île d’Anticosti et les sabotages de nouvelles lignes de haute-tension. En passant aussi par les différentes résistances des Mi’kmaq contre la fracturation hydraulique ou de plusieurs nations autochtones contre les traités modernes destinés à compléter l’assimilation et le projet de génocide culturel. Et à la grève étudiante de 2015, les nombreuses attaques contre la gentrification dans les quartiers populaires ou les révoltes ayant éclaté suite à la mort de Bony Jean-Pierre dans Montréal-Nord. Considérant le contexte dans lequel on vit, c’est-à-dire la réalité montréalaise ainsi que les quelques projets de vie collective émergeant à la campagne, de la Gaspésie à Lanaudière, nous avons pour objectif de détruire l’État et la domination sous toutes ses formes. Nous avons l’intention de nous attaquer aux fondements idéologiques et culturels qui sont à la base de la reproduction du monde autoritaire, afin que celui que nous souhaitons construire prenne racine ici et maintenant. Néanmoins, une perspective multidimensionnelle à moyen-long terme a le potentiel de créer le contexte d’une lutte pouvant matérialiser ces idéaux. C’est là où nous nous trouvons. Nous voyons les limites que contiennent autant les actions sporadiques que des manifestations rituelles telles le 15 mars ou le premier mai. Seront donc exposées ici certaines réflexions dans une perspective de contribution à la guerre sociale en cours. Plusieurs actes de rupture ont lieu face à l’ordre que tente d’imposer l’État et ces chiens de garde en uniforme. La rage contre ce monde n’est pas seulement portée par les anarchistes et nous avons l’intention de tisser des relations de solidarité, de réciprocité et d’amitié avec quiconque a un cœur insoumis, peu importe sa réalité, sa couleur, son quartier ou son milieu.

Le territoire du soi-disant Canada est vaste et peu peuplé, par contre, son rôle dans le capitalisme mondialisé est primordial, puisque tout est mis en place pour favoriser l’extraction de ses ressources naturelles ; bois, pétrole, minerai, gaz naturel. L’exploitation se fait majoritairement dans les régions éloignées des grandes villes, vers le nord ou il y a peu d’opposition. Quant à elles, les métropoles situées au sud longeant la frontière américaine servent de point de transit pour les produits extraits. Il est impératif pour l’État-Capital de pacifier les régions urbaines afin que les marchandises puissent y circuler sans entraves. Nous avons la certitude que cette économie destructrice est néanmoins fragile et qu’il est facile de l’entraver. Les derniers territoires encore non-exploités se font décimer peu à peu par l’industrie. De nombreux moyens de résistance sont possibles pour déstabiliser ce système destructeur dans ses projets expansionnistes.

Afin de tracer cette perspective, il nous faut faire un léger retour en arrière. Les événements de printemps 2015 furent assez déterminants pour certains anarchistes à Montréal. Pour une fois, la grève ne s’appuyait plus seulement sur des enjeux corporatistes axés sur la condition étudiante, mais s’opposait à l’austérité en générale. Elle ne fût pas organisée par les syndicats étudiants réformistes, mais par des groupes affinitaires autonomes appelant à des assemblées générales de grève dans lesquelles des anarchistes ont pu intervenir. Par l’absence intentionnelle d’interlocuteur officiel avec l’État, de grand leader étudiant lançant des appels au calme et par l’insouciance de garder une belle image devant les médias, la situation a permis l’ouverture de nouvelles possibilités. Somme toute, c’est dans la rue que la contribution anarchiste fut la plus effective. Les réflexes acquis durant 2012 n’avaient heureusement pas été perdus et une nouvelle génération a pu se radicaliser à travers ce mouvement. Les masques sont réapparus sur les visages. Les affrontements avec la police et la destruction de symboles du capital reprirent leur souffle après l’accalmie de la période post-2012 qui avait été marquée par une répression acharnée des manifestations. Chaque rassemblement était encerclé par un cordon policier ne permettant aucun déplacement sous peine de réprimande. Cela eut pour résultat de calmer la rue et d’alimenter la peur des flics. Bien que la grève ne soit pas éternelle, les liens entre les compagnons et la mémoire des expériences restent, ce qui contribue entre autres à consolider les idées et pratiques de lutte anarchistes dans la durée.

Dans les moments où il est relativement plus difficile de nous rassembler, où le contexte semble absent, il y a toujours des situations et des points conflictuels sur lesquels nous pouvons intervenir afin de continuer à créer une tension avec l’Existant. La révolte ne doit pas être limitée uniquement aux journées spécifiques ou aux contextes de mobilisation sociale large. Bien que l’on doit donner une certaine importance à ces journées symboliques ou aux mouvements de masse, c’est dans notre quotidienneté que nous devons continuer d’agir. La société nous a enseigné que seules, nos idées n’ont aucune valeur. Elle nous a appris que l’opinion de la majorité nous est indispensable. Nous avons choisi de faire rupture avec elle et d’agir selon nos désirs et volontés. Les systèmes de domination et d’exploitation continuent d’enterrer la révolte sous plusieurs couches d’illusions et nous refusons d’attendre que les bonnes conditions soient réunies pour lutter. L’anarchie est avant tout une forme de vie. Il n’est pas toujours possible de prévoir les effets d’une action. Parfois, elle sera l’étincelle qui mettra le feu aux poudres de cette société pourrie.

Par la volonté de quitter le carcan étudiant réformiste afin d’expérimenter de nouveaux lieux conflictuels, plusieurs compagnons ont choisi.es de partager leurs différentes perspectives et de coordonner leurs efforts afin de créer un contexte de lutte prenant racine dans notre quotidien, dans nos quartiers en plein processus d’embourgeoisement. Au-delà du fait que plusieurs d’entre nous sont précaires et habitent ces quartiers populaires en périphéries du centre-ville, nous y avons vu un potentiel intéressant d’intervention. Les nouvelles populations bien nanties viennent s’établir alors que les personnes plus défavorisées sont poussées à quitter leurs logements en raison de la hausse des loyers. Ces problématiques affectent la vie de beaucoup de gens. La lutte contre l’embourgeoisement nous offre de multiples angles d’approches, en plus de la possibilité de partager nos idées et projets avec nos voisins qui habitent à proximité. Plutôt que de revendiquer des logements sociaux en optant pour une posture citoyenne, nous avons l’envie d’aller de l’avant avec un projet offensif ayant le potentiel de se généraliser. Nous envisageons une rupture totale avec le capital, ce qui implique d’assumer un conflit permanent sans concession pour libérer ces espaces. Nos ennemis sont autant les promoteurs de condos, nos propriétaires de logement, les propriétaires des commerces yuppies, les flics, les banques ou les élu.es qui prennent des décisions. Soit, notre ambition n’est pas tant l’obtention de plus de logements abordables. Nous proposons de nous organiser pour occuper tous ces bâtiments vides en attente de spéculation foncière, de se rencontrer dans des assemblées autonomes de quartiers, d’aller remplir nos sacs dans les commerces bobos, de détruire les caméras de sécurité qui apparaissent dans tous les recoins, de construire une culture et des pratiques de lutte nous permettant réellement de libérer notre temps et nos espaces de vie du travail, de la nécessité de payer tout, tout le temps, du contrôle de la police et de l’État.

On veut nous faire croire que seul.es nous ne sommes rien et que chaque action que l’on pourrait porter est vaine. La société libérale cherche à nous rendre dociles en nous apprenant dès le plus jeune âge que les changements adviennent grâce aux partis politiques ou aux ONG. Dans cette logique, sans organisations nous ne sommes rien. La politique n’est pas là pour changer les choses, mais pour maintenir le statu quo. Regardez qui s’assoient au parlement. Ce ne sont pas des gens issus des classes populaires. Même si c’était le cas, cela ne changerait pas le fait que plusieurs personnes ont faim tous les jours, que d’autres se fassent déporter parce qu’ils sont sans-papiers ou que certains, dans plusieurs réserves autochtones, vivent encore en 2017, sans eau potable ni électricité.

D’autre part, nous sommes concerné.es par la montée de l’extrême-droite, prenant de l’importance en occident depuis les dernières années et spécialement depuis l’élection de Trump. Le soi-disant Québec ne fait pas exception. Bien que ces groupes aient toujours été dans le paysage, ils ont récemment recommencé à se mobiliser et à prendre la rue, même à Montréal. Leur stratégie semble être de récupérer la colère contre le gouvernement libéral, exploiter la précarité et le sentiment identitaire nationaliste pour faire appel à des manifestations. Ils optent pour un discours modéré dans l’apparence, mais qui s’oppose farouchement aux politiques d’accueil des personnes immigrantes, au multiculturalisme et au droit des gais et lesbiennes (ou LGBTQ). Les organisateurs de ces rassemblements mettent en place un service d’ordre composé de grands baraqués munis de casque, de bâtons et de brassards. Ils arrivent étonnamment à mobiliser quelques centaines de personnes pour prendre la rue et scander des discours xénophobes. En tant qu’anarchistes nous croyons qu’il est nécessaire de nous organiser contre ces différents groupes et contrer leurs discours. L’éducation populaire est autant nécessaire que l’attaque physique de certains fachos radicaux prônant la suprématie blanche et le meurtre raciste. Le fascisme est un symptôme de la précarité, des frontières et d’un système autoritaire dont nous combattons tous les aspects. C’est parfois une question de culture et de langage. La haine que les fachos dirigent contre les personnes de couleur vient souvent d’un sentiment d’injustice ou d’oppression. C’est comme s’ils se trompent d’ennemis. Nous avons une responsabilité d’expliquer que c’est le système de domination qui crée la hiérarchie et les injustices. C’est aussi la culture dominante qui construit des normes et les systèmes de valeurs. Bien que les groupes d’extrême-droite soient encore loin de prendre le pouvoir, c’est la menace du contrôle de la rue qui nous inquiète. En effet, chaque fois qu’ils réussissent à marcher en grand nombre dans les rues, cela renforce leur sentiment de force et d’unité. On ne sera pas surpris.es de voir une radicalisation du discours d’extrême-droite dans un futur proche, car plus il y a de gens qui les suivent, plus ils se permettront de montrer leur vrai visage. Nous voulons éviter que leur mouvement prenne de l’ampleur et cela se fera dans la rue.

Ainsi, nous avons pour objectif de faire des liens pour que différents angles de luttes s’entrecroisent et de propager des formes d’attaques des plus variées pour maintenir constamment une tension afin de favoriser les moments de ruptures. Pour nous, l’anarchie n’est pas une plateforme d’idées, ni une construction historique, mais une manière d’être dans le monde, de vivre en lutte, de s’attaquer à la domestication de la pensée et des gestes.