Soumission anonyme à MTL Contre-info
Ce 1er mai, la manifestation anticapitaliste annuelle organisée par la CLAC s’est rassemblée au parc Jarry sous le thème « Pas de retour à la normale ». C’était une fin d’après-midi ensoleillée et l’énergie était au rendez-vous à travers les bannières et les drapeaux noirs quand la foule a commencé à traverser les rues résidentielles de Villeray.
D’abord vers l’ouest sur De Castelnau, des feux d’artifices ont été lancés, et des cônes de construction utilisés pour bloquer la route derrière nous. Les policiers ne semblaient pas préparés pour le trajet choisi, et donc il y en avait de moins en moins aux alentours. Tournant d’abord vers le sud pour rejoindre Jean-Talon, la manif a ensuite continué vers l’ouest sous le viaduc, en dessous de la ligne des trains de banlieue vers St-Jérôme.
Se débarrasser du dispositif policier
La manif tourna ensuite vers le sud sur l’avenue Parc, pour entrer sous un second viaduc passant sous la même ligne de train. Cette fois, une surprise attendait les policiers en camions et en vélo qui attendaient que la foule passe pour continuer à leur poursuite : des fumigènes ont été lachées sous le viaduc et des pieds de corbeau ont été déployés sur la route pour crever les pneus des véhicules policiers qui tenteraient de continuer leur poursuite sous le viaduc rempli de fumée. Ces actions ont ainsi bloqué complètement le passage sous le viaduc, une voie clée permettant normalement l’accès à la portion du quartier dans laquelle la manif avait continué.
La majorité des effectifs policiers étant coincée au nord du chemin de fer surplombant le viaduc, la manifestation a tourné abruptement à gauche sur la rue Saint-Zotique en quittant le viaduc. Des ordures et des meubles de terrasses ont été déplacés au milieu de la rue afin de protéger la manifestation dont la vitesse de marche a pu accélerer.
Nous n’acceptons pas que la police entoure nous manifestations, se déplaçant sur le côté, en nous filmant et en nous intimidant, ou encore en nous suivant de près avec des dizaines de camionnettes de policiers émeutes prêts à nous gazer à tout moment. Certaines situations nous appellent à entamer des confrontations directes, mais ce jour-là, notre meilleure stratégie était de les semer. Avec un peu d’inventivité, de prévoyance et de l’intelligence collective, nous avons pu laisser la police loin derrière.
Rendre visite aux gros noms de l’intelligence artificielle
Près de deux minutes après avoir continué à l’est sur Saint-Zotique, la manifestion a tourné à droite sur Saint-Urbain. Un petit groupe de policiers à vélo observaient la manifestation à environ un coin de rue de distance, mais leur back-up antiémeute n’était nulle par à vue, obligeant les policiers à vélo à garder une distance de sécurité.
À notre droite se dressait l’immeuble « O Mile-Ex », qui tient lieu d’épicentre du secteur de l’intelligence artificielle à Montréal, tel qu’imaginé par les politiciens et universitaires dans les cinq dernières années afin de positionner la ville comme centre névralgique mondial de ce domaine. Les immeubles regroupées entre le 6650 et le 6666 Saint-Urbain abritent MILA (un institut de recherche affilié à l’Université de Montréal qui collabore avec Google et Facebook), Thales (une compagnie française de défense et de sécurité), Borealis (le laboratoire d’intelligence artificielle de la Banque royale du Canada, Quantum Black (le laboratoire d’intelligence artificielle de la firme de consultants McKinsey), SCALE AI (un supercluster de la chaîne d’approvisionnement contrôlé par la famille Desmarais), et plus d’une vigntaine d’autres laboratoires et start-ups.
Pendant qu’ils discutent d’éthique afin de distraire la population, ces compagnies développent des technologies qui renforcent l’emprise du capitalisme et de l’autorité sur nos vies. Qu’elles rendent plus efficaces les chaînes d’approvisionnement des grandes entreprises, qu’elles automatisent la vidéosurveillance et la réconnaissance faciale afin de protéger le gouvernement et la propriété des riches, ou qu’elles développent des algorithmes afin de surveiller les milieux de travail et imposer des conditions déshumanisantes aux travailleur-euses, nous savons qui tire profit de ces outils, et ce ne sont pas les exploité-es, les exclu-es et les opprimé-es de la société. Comme des anarchistes l’ont écrit récemment, « ce qui est en jeu, c’est notre capacité d’avoir des secrets, de résister, d’agiter, d’attaquer ce qui détruit tout ce que nous aimons et qui protège tout ce que nous détestons ».
De plus, les installations de O Mile-Ex, avec ses hordes de yuppies du monde de la techno, sont un moteur majeur du déplacement des populations moins nanties de cette partie de la ville. Avec l’implantation du nouveau campus Mil de l’Université de Montréal, ses effets s’étendent sur l’ensemble de Parc-Extension, un quartier ouvrier, principalement immigrant, soumis à la menace grandissante de gentrification.
Les entreprises techno ont exploité notre isolement pendant les mesures de confinement de la pandémie de COVID-19 afin d’augmenter leurs profits et étendre leur présence avec peu de résistance. Comme la crise pandémique introduit une phase nouvelle dans la crise du capitalisme, ces compagnies entendent façonner une « nouvelle normalité » qui alimenterait leur pouvoir.
Pour toutes ces raisons, de voir différents groupes attaquer ces immeubles était satisfaisant. Alors que les vitrines de MILA étaient brisées les unes après les autres par des marteaux, des roches et d’autres projectiles, toute illusion comme quoi ces entreprises et ses chercheurs profitaient des bénéfices d’un consensus social éclatait également. Des fumigènes ont été lancées dans l’immeuble au travers des trous dans les vitrines dans le but d’activer les systèmes de gicleurs et de causer davantage de dommages.
À la suite de l’attaque sur le O Mile-Ex, quelques policiers sont apparus au sud de Saint-Urbain et ont reçu des vollées de roches et de feux d’artifices. La manifestation s’est dirigée vers l’est sur Saint-Zotique, continuant d’éviter un déploiement policier majeur, tournant au sud sur Clark, puis traversant le parc de la Petite-Italie pour tourner au nord sur Saint-Laurent. Le parc et plusieurs rues transversales à Saint-Laurent ont offert plusieurs bonnes opportunités afin de se changer et de quitter. La dispersion a été accélérée par l’antiémeute qui a chargé sur Saint-Laurent derrière la manifestation en lançant des gaz lacrymogènes. Quelques policiers ont été vus sur le toit d’un immeuble résidentiel, lançant des gaz lacrymogènes sur la foule, une manoeuvre inattendue. Un conducteur de voiture agressif qui a tenté d’avancer sur la manifestation a été confronté et les vitres de sa voiture ont été brisées. Les policiers qui ont envahi la zone où les personnes tentaient de se disperser ont détenu quelques personnes, arrêtant deux d’entre elles, mais aucune accusation sérieuse ne leur a été donnée. Le blocage des rues avec des ordures et d’autres obstacles dans ce contexte aurait pu permettre de réduire leur capacité d’action.
C’est une expérience précieuse que de prendre des risques ensemble dans les rues avec des centaines de camarades et de complices anonymes, qui rêvent d’un monde après le capitalisme, de postes de police et de postes frontaliers incendiés, de supermarchés pillés, de forêts, de montagnes et de rivières protégées de toutes les formes de destruction industrielle et retournées au soin de l’autonomie territoriale autochtone. Bien que les réussites d’une seule manif du premier mai soient minimales face à l’ensemble de nos aspirations, nous croyons que les relations développées au travers de ces moments ne devraient pas être sous-estimées.
– Des anarchistes