Montréal Contre-information
Montréal Contre-information
Montréal Contre-information
Juin 072022
 
Le 3615, rue Bélanger, à Montréal, où Clément Robitaille occupait un logement

Du Collectif Emma Goldman

La crise du logement frappe un peu partout au Québec. Entre des taux d’inoccupation très bas ou des prix exorbitants demandés par des propriétaires exploiteurs pour leurs taudis/appartements, il devient de plus en plus difficile, voire impossible, de se trouver un logement abordable et de qualité. Comme si le portrait n’était déjà pas assez sombre, il faut ajouter à cela les appartements transformés en Airbnb et les rénovictions qui poussent les locataires à quitter par la force leur domicile devant la hausse vertigineuse du prix de leur loyer. Ainsi des gens, qui bien souvent habitent leur appartement depuis plusieurs décennies (!), se font mettre à la rue. Il est évident que cela entraîne des drames humains pour ces gens qui devront quitter leur chez-soi puisque leur propriétaire veut augmenter ses profits en exploitant des personnes dans l’un de leurs besoins les plus primaires, celui d’avoir un toit sur la tête.

Ce drame, Clément Robitaille l’a payé de sa vie. Celui qui a été mis à la porte de son logement où il habitait depuis 30 ans a été retrouvé mort sur la banquette de son véhicule qui lui servait d’appartement… Paul Girouard, ami et ancien voisin de M. Robitaille a déclaré au journal La Presse: « Les propriétaires allaient l’achaler souvent. Ils mettaient de la pression. Ils l’ont quand même harcelé jusqu’à ce qu’il signe. ». Il ajouta : « Quand [M. Robitaille] a signé, c’est là que sa vie a changé. Il était devenu dépressif, tu voyais que ça ne marchait plus, son affaire. J’allais le voir, il ne parlait même plus, je voyais qu’il était dérangé, dépassé par les évènements. ». Évincé puisque son logement était jugé insalubre et impropre à l’habitation. Au lieu de faire les rénovations et de relocaliser temporairement M. Robitaille, la juge administrative Sylvie Lambert a accepté la demande d’éviction faites par les propriétaires du bâtiment.

À ce moment, Clément Robitaille payait 400$ pour son logement qui aujourd’hui est loué 1 400$ au nouveau locataire (!), soit 1000$ de plus! Avec la crise du logement et le faible revenu de Clément, il lui fut impossible de retrouver un logement au même prix que celui qu’il habitait auparavant. « Il voyait que c’était bien plus cher », explique M. Girouard. « Quand il allait voir des logements, c’était comme 800 $-900 $. Il disait : “ Ça a pas de bon sens. ” ». Parti avec son camion et le peu d’effets personnels qu’il possédait, Clément Robitaille a été perdu dans la brume, tellement que ses proches ont lancé un avis de recherche avant que M. Girouard finisse par le retrouver. Mais finalement, le pire est arrivé. Comme le déclare le rapport du coroner : « M. Robitaille est vraisemblablement décédé le 16 juillet 2021 d’un malaise cardiaque, après s’être déshydraté [à la suite d’] un séjour prolongé dans son véhicule, sans ventilation ni climatisation, alors que les températures extérieures étaient élevées ». Cette personne de 71 ans sans problème de santé s’est laissée mourir : « C’est parce qu’ils l’ont mis dehors qu’il s’est laissé mourir », affirme M. Girouard, une formule reprise dans les autres témoignages. « Quand tu restes à la même place [aussi longtemps], puis que tu es obligé de changer de place, tu es perdu. » (3) Tout cela alors que le Code civil du Québec interdit d’évincer une personne de 70 ans et plus qui habite le même endroit depuis 10 ans et qui gagne égal ou en dessous du revenu maximal qui lui permettrait d’être admissible à un loyer modique, c’est-à-dire 31 000$ par année pour une personne seule à Montréal (en 2020). Clément Robitaille répondait à tous ces critères selon son ami Girouard… Il a quand même été foutu à la rue au prix de sa vie. La justice québécoise et les propriétaires du bloc appartements ont du sang sur les mains. Une vie sacrifiée au nom du profit et de la propriété privée.


1. Selon Statistique Québec : « À l’automne 2021, le taux d’inoccupation des logements locatifs pour l’ensemble des centres de 10 000 habitants et plus au Québec est de 2,5 %. ». Cependant, dans certaines villes, le taux d’inoccupation est encore plus critique comme c’est le cas à Saguenay où il se situe à 1,7% (!) pour 2021 et de 2,8% en 2020. Pendant ce temps, les loyers ont subi une hausse de 7%. Pire encore, dans certaines villes comme Sherbrooke, Granby, Terrebonne et Gatineau, les taux d’inoccupation frôlent 0%! Résultat : il est presque impossible de se trouver un logement et les hausses de loyer sont extrêmement élevées. En banlieue de Montréal, le taux est de 1,1% et à Laval, en seulement quelques années, de 2019 à 2022, le prix des loyers a explosé de 37%! L’Abitibi est aussi durement touché avec des taux de 0,3% à Rouyn-Noranda, 1,1% à Amos et 2,2% à Val-d’Or. 

2. Une rénoviction survient lorsqu’un propriétaire veut mettre à la porte le locataire sous prétexte de rénovations à venir. Bien souvent, soit les rénovations ne se font pas ou bien quand elles surviennent, les propriétaires profitent de cela pour augmenter de manière démesurée le prix du loyer dans le but de faire plus de profit. L’ancien locataire n’est donc plus capable de payer le montant du loyer rendu trop élevé et les prochains vont payer un prix beaucoup trop cher. Sans registre public des loyers où serait inscrit le prix payé par le locataire antérieur, il est souvent très difficile de savoir combien payait l’ancien locataire pour une personne qui loue par la suite le même appartement. Avec le registre et en connaissant les prix, il serait possible de desceller les hausses abusives. 

3. Frédérik-Xavier Duhamel, La Presse : « C’est parce qu’ils l’ont mis dehors qu’il s’est laissé mourir »