Montréal Contre-information
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Avr 072022
 

Du Collectif Emma Goldman

De nombreux ouvrages ont été publiés dans les mois qui ont suivi la grève étudiante de 2012. Toutefois, de notre côté, rien n’a été écrit outre les quelques entrées de blogue publiées dans le feu de l’action et une brochure. Nous, le collectif Emma Goldman, trouvons important de retracer et de garder bien vivante la mémoire de nos luttes. Nous avons donc réalisé une série d’entrevues que nous publierons sur le blogue dans les prochains jours et semaines.

À l’UQAC, il y avait plusieurs étudiants et étudiantes qui s’organisaient de manière autonome en dehors du MAGE-UQAC, l’association centrale. Il y a eu le comité pour la gratuité scolaire vers 2007 et 2008, par la suite le CAPAÉ (1) qui se mobilisait afin de contrer les frais afférents. Après cela, il y a eu le comité autonome d’action de l’UQAC qui lui luttait principalement contre la hausse des frais de scolarité. Ça toujours été une nécessité de s’organiser de façon autonome, voyant que le MAGE-UQAC ne bougeait pas. Aussi, il y a toute cette pesanteur qui est liée avec le MAGE-UQAC, les associations étudiantes et le rectorat. Alors, qu’est-ce que l’on respecte? Qu’est-ce que l’on ne respecte pas? 

Il y avait une branche des étudiant.e.s qui trouvait que c’était intéressant de faire des actions par eux et elles-mêmes sans que ça passe nécessairement par les canaux réguliers. Au final, il faut dire que même les associations étudiantes qui ont voté la grève étaient occupées à 99% du temps à simplement essayer de faire respecter les lignes de piquetage. Ça prenait vraiment beaucoup d’énergie se rappelle Steeve. Mais via ce comité autonome d’action durant la grève étudiante, ce qui était intéressant, c’est qu’il en a découlé des actions que l’on disait dérangeantes et qui sortaient le mouvement de grève des murs de l’université. La manière de faire était assez horizontale. Évidemment, c’était un peu en apprentissage mais ça demeurait très horizontal. De semaine en semaine on essayait de changer le/la porte-parole pour pas que ça soit une seule figure qui se retrouve au front et qui prenne tous les trucs et de l’autre côté on ne voulait pas créer un symbole avec cette personne-là. Après coup, en voyant ce que les  principaux porte-parole au niveau national ont fait de leur capital de sympathie obtenu de cette lutte, je crois que c’était une bonne chose. À chaque semaine, on essayait de trouver une thématique pour accrocher et amener une critique. Par ces thématiques, on tentait de parler d’un sujet qui avait rapport avec la lutte aux frais de scolarité, mais aussi à la gestion qui avait à ce moment-là à l’UQAC. Donc, ça pouvait aussi être au niveau du rectorat et la manière assez autoritaire de gérer l’université . 

Le comité avait-il des liens avec le comité de mobilisation de l’UQAC ou le MAGE-UQAC?

Le comité autonome n’avait pas d’argent, il n’y avait rien, c’était complètement autonome. Des gens pouvaient participer au comité de mobilisation du MAGE-UQAC et après aller dans le comité autonome à titre individuel. Les deux pouvaient faire du sens pour les gens à ce moment. Pour ma part, aller au comité de mobilisation me permettait de voir ce qui se passait, c’est quoi les possibilités d’actions, les alliances, s’il y avait des complicités possibles ou simplement des bouts de chemin qu’on pouvait faire ensemble. C’est sur que ces deux comités étaient différents dans leur composition, leur fonctionnement, leur radicalité et leur autonomie par rapport aux institutions établies. 

Quels étaient les objectifs des actions dérangeantes?

À la base, c’était de faire bouger les trucs ou du moins d’essayer qu’il se passe quelque chose parce que c’était assez amorphe à l’UQAC. Comment on pouvait s’organiser et reprendre du pouvoir sur nos vies mais aussi dans ce mouvement en tant qu’étudiant et étudiante? On se demandait si ça allait bouger à l’UQAC. On n’était pas certain du résultat du vote de grève sur l’ensemble du campus en raison de l’immense structure que représente le MAGE-UQAC, de l’historique au niveau de la démocratie étudiante, du côté autoritaire de l’administration et du rectorat, etc. C’était un peu difficile parce que tout passe par le rectorat, les conseils centraux et l’association générale. Même si le MAGE-UQAC se vote des positions en AG, elles étaient plus ou moins respectées. C’était donc une manière de dire « Bon, si on est dans une grève étudiante, il va falloir bouger, il ne faut pas juste rester là à ne rien faire ». Et une bonne manière de se faire entendre, bien c’est par des actions autonomes. Faire des manifestations qui vont aussi être en rupture avec ce qu’on pouvait voir à l’UQAC et au Cégep à ce moment-là. Des manifestations qui sont tranquilles et gentillettes où l’on donne systématiquement notre itinéraire et fournit le point départ et le point d’arrivée à la police.

Il y avait toute une réflexion et une façon de faire qu’on voulait apporter dans cette grève dont la remise en question des itinéraires, les limites du respectable, les limites de la légalité et jusqu’où on peut aller. Il y avait cette vision-là. Il faut dire que c’était principalement organisé par un groupe d’extrême gauche et des gens de gauche. Oui, on a le droit de manifester, mais est-ce qu’on peut faire ceci? Est-ce qu’on peut faire cela ? Ce n’est pas juste de dire « nous on est contre la hausse des frais de scolarité » mais aussi de réaffirmer que le droit de manifester ne comprend pas nécessairement de coopérer avec la police en leur donnant notre itinéraire. C’était un enjeu qui se parlait beaucoup à cette époque.

Quel a été l’un moment marquant de cette lutte?

C’est clair que la première action dérangeante demeure pour moi assez marquante. Nous étions au milieu du mois de mars, ça reste quand même épique… Tout ça dans sa portée évidemment. Pour la première action dérangeante on ne savait pas trop à quoi s’attendre. Il faut dire que le comité autonome à ce moment-là, c’était un peu le collectif Emma Goldman, du moins c’était ses militant.e.s qui lançaient ça. Je me rappelle de discussions à la Tour à bières où on se demandait comment on pouvait apporter notre grain de sel en tant que groupe d’extrême gauche dans cette grève. À ce moment, on croyait qu’il serait difficile d’organiser des actions sur nos propres bases. En créant un comité autonome, ça nous permettait d’amener notre grain de sel, mais en mettant aussi un peu d’eau dans notre vin pour que tout le monde puisse avoir le goût de venir. Parce que lorsque c’est un groupe d’extrême gauche qui lance la patente, tu peux te demander parfois à quoi il faut s’attendre. 

Ça avait assez bien commencé. Je me rappelle qu’il y avait des gens de l’ASSÉ qui était à cette première manif. Ils étaient venu aider à organiser l’action. Le point de rencontre pour la manif était à l’UQAC. On attendait des gens de St-fé qui réalisaient une action à La Baie. Deux autobus devaient donc venir rejoindre la manif à Chicoutimi. Nous sommes dehors et il fait frette. Rappelons qu’on est quand même en mars et dans la région du Saguenay. On se fait venter comme le Christ, on décide alors d’entrer à l’intérieur pour attendre. Sauf que là, les petits gardiens de l’UQAC qui sont sur les dents ne trouvaient pas ça drôle. Ils ont donc essayé de nous barrer le chemin. Évidemment, il y a eu un peu de brasse camarade!

Il n’y avait pas juste des agents de l’UQAC, mais aussi un flic qui s’est fait particulièrement brasser en essayant de contenir les gens à l’extérieur ajoute Steven.

On a fini par entrer poursuit Steeve. C’était juste pour se réchauffer en attendant. Notre intention n’était pas de faire une manif dans l’UQAC. Finalement, Saint-Félicien arrive et on part en manif sans itinéraire et sans savoir où l’on va. On ne savait pas trop combien on allait être puisque c’est un groupe autonome sans moyens qui avait appelé à la manifestation. Ce n’est pas comme une association étudiante qui a de l’argent et des milliers d’étudiant.e.s relié.e.s à elle. Au final, on dépassait facilement la centaine voire plusieurs centaines de personnes. C’était un peu le bordel avec la neige, le vent et les 17 chars de flics… Donc on y va comme on le sens.  On croise une banque sur la Racine, on fait une petite occupation d’une dizaine de minutes de la Banque Nationale avec des discours anticapitalistes.

Dans le papier publié sur le blogue, on écrivait : « Après un énergique jeu de chat et de souris dans les portes, toutes et tous purent toutefois entrer dans le pavillon principal où près d’une dizaine de policiers étaient déjà présents. À noter que durant la matinée, des policiers étaient venus faire des rondes dans l’UQAC pour interroger des militant-e-s étudiant-e-s sur l’action prévue et les agents de sécurité se préparaient de façon très visible.  

Escortée par 17 voitures de police, la manifestation descendit par la suite vers la rue Racine, où la Banque nationale fut occupée pendant une dizaine de minutes, pour y dénoncer symboliquement les profiteurs de l’endettement des classes moyennes et moins nanti-e-s, prises au cou par les mesures d’austérité. Une critique sociale qui fut bien comprise des étudiant-e-s, en colère contre les coupures à l’accessibilité aux études. La manifestation est par la suite rapidement remontée vers le Cégep de Chicoutimi, dans laquelle celle-ci entra. En se dirigeant vers le centre social du Cégep, une partie des manifestant-e-s se sont retrouvé-e-s coincé-e-s dans une cage d’escalier – le personnel de sécurité et la police ayant brusquement refermé une porte au milieu de ceux et celles-ci. De longues minutes pour réclamer la « libération » des collègues pri-se-s de l’autre côté de la porte furent nécessaires pour que les agents de sécurité entendent raison et les laissent finalement passer. »

C’était la première action dérangeante avec des centaines de personnes d’un peu partout dans la région  où l’on ne dit pas notre itinéraire. Moi, à ce moment-là j’étais le porte-parole, le petit hautain lance alors Steevette en riant.

Oui, je me suis fait un peu ramasser sur les ondes de Radio X par l’ancien animateur Carl Monette  poursuit Steeve.

Je me disais : waouh (!) il va falloir que justifie ça tantôt à tous ceux qui vont m’appeler (rire). Évidemment, il y a eu beaucoup d’appels mais ça c’est bien passer. On savait pourquoi on était là, il y avait les frais de scolarité, le droit de manifester, mais aussi bien de la détermination car si on veut que les choses se passent, il faut aussi monter le ton des fois. Mais, c’est sûr que ce fut une grosse action marquante. 

On prend le pont! 

Il y a aussi la première fois qu’on a pris le pont avec ce qui est devenu le classique « libérez son papa » dans le milieu militant à Saguenay! C’est ça qui était intéressant avec les actions dérangeantes, des fois il y en avait qui étaient plus organisées comme « on va viser telle personne » (ex : la maison du recteur), il va y avoir tel truc machin, des fois c’était juste on y va selon le senti des gens qui sont là. Elle où on a été sur le pont pour la première fois c’était un peu ça. Au début, les participants et participantes décident d’aller en descendant vers le boulevard St- Paul, tout simplement parce qu’on n’avait jamais été dans cette direction. C’est à ce moment que des flics décident d’arrêter une personne qui est dans la manifestation pour avoir jeté quelque chose sur la chaussée (il paraîtrait). Est-ce qu’il dépassait la ligne jaune ou il voulait pogner cette personne pour x raison? Chose certaine, la personne qui est arrêtée cette journée-là ce n’était pas n’importe qui, c’était le candidat investi de Québec solidaire dans le comté de Chicoutimi. Après cette manif, les apparatchiks du parti dans la région lui ont fait un beau travail en se dissociant par communiqué et en lui retirant l’investiture. Mais ça c’est une autre histoire… C’est sûr que dans un premier temps, des gens essaient d’empêcher l’arrestation. Finalement, la personne se fait arrêter. Après, ça monte et l’adrénaline est au plafond. Les gens sont fâchés et ils et elles sont en tabarnak alors les participants et participantes commencent à crier: « On prend le pont! ». On va quand même pas les en empêcher, pas plus cave qu’un autre!

Car il faut dire que prendre le pont Dubuc, ça demeurait jusqu’à ce moment un fantasme un peu impossible. Après on y allait tout le temps enchéri Steven (rires). 

Pour être dérangeant, il n’y a pas plus dérangeant ajoute Steevette.

C’est un gros symbole le pont Dubuc. Ça souille du monde c’est clair poursuivi Steeve, car c’est la plus grosse artère qui relie Chicoutimi et Chicoutimi-Nord. C’est imposant, tu es en manif autonome non sécurisée. Les flics sont là, mais ils sont plus dangereux qu’autre chose. On sait donc dirigé sur le boulevard St-Paul et on a réussi à bloquer la circulation. En entrant sur le pont, on ne voulait pas sauter de l’autre côté et prendre les quatre voies parce que ce n’était pas bloqué et on allait juste se faire faucher avec les gens qui descendent en trompe le boulevard Ste-Geneviève. On prend donc le pont dans une seule direction. Bref, on suit la circulation mais à pied. On emprunte la bretelle pour sortir à Chicoutimi-Nord et on retourne sur la rue Roussel pour reprendre la bretelle et remonter sur le pont .  

Au retour, on s’est fait jeter un café bien brûlant par une mère en BMW qui était avec son jeune fils… un très bon exemple pour son enfant.

Ensuite, on voulait aller attendre le camarade au poste de police. En se dirigeant vers le poste, on a  retrouvé notre camarade qui marchait pour nous rejoindre et nous avons retourné à l’UQAC pour terminer la manif. 

(1) Comité autonome pour l’accessibilité aux études