La révolte gronde à travers le Québec et se propage jour après jour. Déjà 66 associations étudiantes ont voté la grève reconductible. Les manifs de soir s’accumulent. Le Vieux-Montréal et l’Université Laval se saisissent de leurs campus et les transforment en lieux politiques. L’UQAM a été bloquée aujourd’hui même. Alors que le Printemps 2012 avait pris plusieurs semaines pour se mettre en branle, le Printemps 2015 a pris son envol en l’espace de quelques jours. Le mouvement reprend là où 2012 s’était interrompu. La grève est en marche.
Et la répression, elle, ne s’est pas fait attendre. Des arrestations massives ont eu lieu aussi bien à Québec qu’à Montréal. Des chiens se sont rués sur les manifestant.es les plus pacifiques. Une jeune étudiante s’est même fait tirer à bout portant par les flics. Et la direction de l’UQAM menace maintenant d’expulsion politique neuf étudiant.es militant.es.
C’est dans cette conjoncture tendue mais enthousiaste que le comité exécutif de l’ASSÉ balance son pavé : un appel à la fin de la grève étudiante, alors que celle-ci bat son plein dans les universités, en démentant tous les pronostics pessimistes. La parole du comité exécutif de l’ASSÉ serait la parole raisonnable et paternelle qui appellerait à l’évidence stratégique. Le comité exécutif aurait son propre agenda, ses propres ultimatums : une méga-manifestation le 2 avril appelant une grève à l’automne qui agirait de pair avec une grève des travailleurs du secteur public, et plus particulièrement du secteur de l’éducation. Selon cette parole « raisonnable », nous serions aujourd’hui en déficit de puissance pour faire grève – sans allié.es parmi les travailleuses et les travailleurs – si bien qu’il y aurait apparemment danger de défaite aux lourdes conséquences.
Or, avec cet appel raisonnable et paternaliste, l’exécutif de l’ASSÉ vient de saper sa légitimité en remettant en question une grève adoptée par plus de la moitié de ses associations membres.
Depuis la naissance du mouvement Printemps 2015, ce comité exécutif martèle la même stratégie à travers toutes les assemblées générales et congrès, rappelant à chaque fois que la grève n’aura d’efficace qu’en automne. Et pourtant, ces mêmes assemblées ont refusé leur mot d’ordre en entamant une grève le 21 mars. Si bien qu’il est dorénavant hors de doute que ce même comité exécutif ne remplit pas les conditions minimales pour s’autoriser, aujourd’hui, un appel à la fin de la grève. Ironie suprême : l’ASSÉ s’était toujours démarquée des fédérations étudiantes (FEUQ-FECQ) par sa loyauté envers sa base militante, refusant de se servir des médias de masse pour influer sur elle. Or, c’est elle qui se salit aujourd’hui les mains en reproduisant les manœuvres qu’elle décriait jadis.
La grève du printemps 2015 s’est organisée sur d’autres bases que les traditionnelles structures de l’ASSÉ. En appelant à la fin de la grève sous prétexte de repli stratégique, l’exécutif cherche à museler une base qui tend de plus en plus à se dérober de sa mainmise.
À chacune de ses manifestations, la contestation n’épuise pas ses forces. Au contraire, notre force s’alimente et devient contagieuse. Parlerait-on de grève sociale en 2015 s’il n’y avait pas eu le mouvement de 2012 ? Et pourtant, aux premières semaines de 2012, personne n’aurait pu prévoir l’ampleur de ce qui est advenu. Une grève maintenant ne signifie pas l’impossibilité d’une grève plus tard, à l’automne. C’est bien cela que signifie un printemps rampant : un mouvement qui s’inscrit dans la durée, qui prend différentes formes et possède plusieurs moments de puissance effective. Le plus important est qu’au sein de ce mouvement des allié.es se rencontrent, des tactiques s’inventent et des forces s’organisent. Inversement, selon la conception de l’exécutif actuel de l’ASSÉ, ces forces seraient toujours à économiser, comme si nous étions de petits soldats à usage unique qu’il faudrait lancer au combat au bon moment (et au profit des centrales syndicales).
Mais plus profondément, cette confiance aveugle envers la mobilisation des centrales syndicales rend perplexe. Ces mêmes centrales qui, en 2012, au sommet du plus grand mouvement social que le Québec ait connu, n’ont jamais envisagé la grève. Ces mêmes centrales qui sont contre toute grève illégale, qui ont appuyé la Charte et qui ne se positionnent pas contre les projets d’hydrocarbures. Et si les syndicats ne partaient pas en grève à l’automne 2015, comme leur logique l’indique, quel est le plan de l’ASSÉ ? Va-t-on remettre entre les mains de dirigeant.es syndicaux, notre destinée politique ?
Les exécutant.es de l’ASSÉ à l’origine de cette « proposition » répondraient qu’eux non plus n’ont jamais cru aux dirigeant.es des centrales syndicales, mais qu’ils comptent sur les syndicalistes locaux pour déborder les dirigeant.es dans un mouvement contre l’austérité. Pas au bout de ses contradictions, l’exécutif de l’ASSÉ fait pourtant le même geste que les centrales : de peur d’être dépassé par ses membres ardent.es, l’exécutif les rappelle à la raison et à l’ordre. De plus, cette focalisation sur l’agenda de syndicats de la fonction publique met de côté toutes celles et ceux que l’appel à la grève sociale vise à rejoindre. Organismes communautaires, chômeurs et chômeuses, travailleurs et travailleuses du privé : autant de forces prêtes à se mobiliser et autant, sinon plus, touchées par l’austérité.
Dans le contexte actuel, abandonner ne signifie pas seulement mettre fin à un mouvement inédit dans la radicalité de ses revendications et l’autonomie de ses formes, mais surtout abandonner des luttes nécessaires : les neuf camarades sur qui plane la menace de l’expulsion à l’UQAM, qu’est-ce qui les sortira de là sinon un mouvement combatif qui met la pression pour que la direction abandonne les charges ? Et ces blessé.es que la police a déjà mutilé.es, qui portera leur parole, qui défendra leur honneur et qui accomplira leurs aspirations ?
Pour un syndicat « de combat », être dépassé par sa base devrait toujours être une bonne nouvelle, et non une menace au plan stratégique d’un exécutif autoritaire et condescendant. Parier sur une grève sociale, c’est parier sur la combativité des membres de la base, sur des gens qui résistent d’ores et déjà aux menaces, à la répression et à la bureaucratie syndicale grassement payée. Mais surtout, nous misons sur l’élan qui a déjà porté des milliers de personnes à sortir dans les rues, à plusieurs reprises en une seule semaine.
Cet élan ne s’arrête pas strictement à la grève étudiante. Il se prolongera lors du 11 avril, à la manifestation contre le Conseil de la Confédération sur les changements climatiques, lors de la grève sociale du 1er mai, puis pendant l’été en luttes localisées contre les projets d’hydrocarbures.
Vive le printemps! Vive la grève!
Printemps 2015