Montréal Contre-information
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Fév 222021
 

De la Convergence des luttes anti-capitalistes

La Convergence des luttes anticapitalistes (CLAC) publie aujourd’hui le premier épisode d’une série de podcasts sous forme d’entrevues nommée Le Verger au complet. Le Verger au complet vise la diffusion d’information relative à l’abolition de la police et des prisons et à la justice, en abordant des thématiques telles que l’emprisonnement des migrant.e.s, la criminalisation de la dissidence et la justice transformatrice. Le premier épisode introduit l’idée derrière le projet et propose un survol historique de la police en Amérique colonisée et plus spécifiquement au soi-disant « Québec ».

Alors que les discours libéraux présentent les violences policières comme l’affaire de quelques pommes pourries dans le panier nous proposons plutôt une analyse critique de la police et des institutions punitives: on ne réforme pas un système pourri, on l’abolit! Attaquons-nous au verger au complet!

Si nos imaginaires radicaux sont aussi les vôtres et que vous souhaitez partager notre contenu encore tout chaud du four, toute diffusion publique et/ou à vos membres serait extrêmement appréciée! Le podcast peut être trouvé sur la plupart des plateformes de diffusions de podcasts.

Vous pouvez écouter notre premier épisode, HIS-1312 – Introduction et histoire de la police, ici :

L’épisode vise à retracer le développement des différents services de police dans le nord de l’Île de la tortue, pour mettre en évidence son importance pour le développement du racisme et du capitalisme qui continuent jusqu’à nos jours.

Produit par la CLAC, 2021. Diffusé sous license Creative Common – Attribution – Pas d’Utilisation Commerciale – Partage dans les Mêmes Conditions 3.0 France (https://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/3.0/fr/)

Musique

* “Caché icitte” des Goules, tirée de l’album “Les Animaux”, https://lesgoules.bandcamp.com/album/les-animaux , utilisé avec la permission du groupe.
* “Black Sheep” de Backxwash, tirée de l’album “God Has Nothing To Do With This Leave Him Out Of It”, https://backxwash.bandcamp.com/, utilisé avec la permission de l’artiste.

Références

BRODEUR, Jean-Paul, 1984, La délinquance de l’ordre, enquête sur les commissions d’enquêtes (http://classiques.uqac.ca/contemporains/brodeur_jean_paul/delinquance_de…)
GAUTHIER, Carl, 2005, La sûreté du Québec un professionalisme en voie de développement, Mémoire de maîtrise, Université Laval (https://corpus.ulaval.ca/jspui/handle/20.500.11794/18395)
MAYNARD, Robyn, 2017, Policing black lives, Fernwood Publishing.
WILLIAMS, Kristian, 2008, Our ennemies in blue, South End Press.
ZINN, Howard, 2015, A people’s history of the USA, Harper Perennial Modern Classics, p.173-177.
La commission Viens: https://www.bibliotheque.assnat.qc.ca/DepotNumerique_v2/AffichageFichier…
La commission Keable: https://www.bibliotheque.assnat.qc.ca/DepotNumerique_v2/AffichageFichier…

Transcription

La police et les prisons sont des institutions violentes et racistes, issues d’un héritage colonial qui ne servent qu’à reproduire les injustices du système capitaliste. Tous les jours, même quand c’est la soi-disant paix sociale, la police violente, harcèle et incarcère les personnes les plus démunies et les plus opprimées. Et quand elles se soulèvent, c’est encore la police et la prison.

Le problème, ce n’est pas seulement les dérapes violentes de la police, mais l’institution policière elle-même, qui constitue une forme de violence tout comme les tribunaux, les lois et les prisons. Peut-on vraiment parler de pommes pourries quand l’institution entière existe pour réprimer et opprimer?  Le verger au complet, c’est une série de podcast sous forme d’entrevues touchant à différents thèmes liés à la police, aux prisons et à la justice, mise sur pied par la CLAC, la Convergence des luttes anticapitalistes, un groupe basé à Tiohtià:ke/Montreal, en terres Autochtones non-cédées habitées entre-autres par la nation Kanienkeha:ka. Nous vous proposons une analyse critique qui s’oppose à la vision libérale préférant cibler les pommes pourries dans le panier plutôt que de s’attaquer aux systèmes d’oppression. Ne leur laissons pas cette chance: On ne réforme pas un système aux fondations pourries, on les démolit! Attaquons-nous au verger au complet!

Derrière l’idée de ce podcast, il y a une volonté de partager les connaissances, les expériences et les imaginaires radicaux, afin de mieux comprendre qui sont et comment fonctionnent nos ennemis. Il peut être difficile d’y voir clair à travers la supposée neutralité du système juridique et les discours de légitimation de la police. Comment faire la part entre bavures individuelles et discriminations institutionnalisées? Qu’est ce qui explique la sur-représentation de certains groupes dans les prisons? Comment ces structures nous mettent à mal en prétendant vouloir nous protéger et nous servir? Comment la catégorie de “criminel” est-elle construite? Ne sert-elle pas seulement à nous faire avoir peur les unes et les uns des autres? En quoi le définancement de la police est-il insuffisant et son abolition nécessaire? Comment repenser la justice au sein d’un État qui perpétue le génocide des peuples Autochtones? Quels type de justice alternatives pourraient remplacer les systèmes répressif et punitif actuels? Quelle forme prendraient une justice transformatrice dans une société post-révolutionnaire? Et dans la société actuelle? C’est entre autres ce que nous nous proposons d’explorer au fil de ces épisodes.

Dans cet épisode, on va traiter de l’histoire de la police sur l’île de la Tortue. On va d’abord discuter des fondements de la police comme outils de protection de la propriété privée et comme groupe organisé et rémunéré visant à l’application de règles des autorités établies. On discutera ensuite du développement de forces policières dans l’Amérique colonisée en brossant un portrait de l’histoire de la police au soi-disant Canada, au soi-disant Québec, puis aux soi-disant États-Unis. Tout ça pour mettre en évidence les différentes motivations qui ont amené l’implantation de ces organisations, exposant leur caractère profondément raciste et capitaliste.

Q : À partir d’où tracerais-tu les débuts de la police comme on la connaît?

R : C’est un gros débat académique de savoir à quand date l’apparition de la police. En fait, des forces militaires, des groupes armés, des gardes du corps, des mercenaires ont existé depuis des temps immémoriaux. Pour ce qui est d’une définition de la police moderne, elle comprend différents aspects: 
• une force permanente et salariée,
• ayant un responsabilité 24 heures par jour sur une ville ou un territoire
• et dont le personnel est principalement occupé à l’application des lois et au contrôle
Pour revenir à son origine, les forces policières se renforcent au fur et à mesure de l’implantation du capitalisme. Les premières forces policières organisées telles que nous les concevons de nos jours sont apparues en Angleterre au 18ème siècle. Avec le mouvement d’appropriation des terres et d’expulsion des paysans et paysannes qui a commencé deux siècles plus tôt, phénomène qu’on associe à la naissance du capitalisme moderne, les plus riches propriétaires terriens craignent les soulèvements des paysans et paysannes expropriés. En plus d’enclôturer leurs terres afin d’empêcher l’accès au territoire, d’où le terme “enclosures”, les seigneurs vont utiliser leurs ressources pour former des milices armées et protéger leur propriété. Précisons que depuis l’Antiquité jusqu’à la Renaissance, la royauté et les seigneurs recourent à leurs armées afin de réprimer violemment les révoltes des populations pauvres. Mais c’est avec l’émergence de l’État moderne qu’on voit une démarcation claire entre armée et police, pour la fonction de répression interne de la population.

Q : D’ailleurs, le déplacement vers les villes s’accompagne de plusieurs pratiques disciplinaires qui marquent les populations pauvres dans ce qui sera appelé “le grand enfermement”. Depuis le 15ème siècle, des mesures sont mises en place pour empêcher les gens qui sont capables de travailler de bénéficier de l’assistance sociale. Puis, la chasse aux sorcières s’en prendra aux femmes seules ou sans enfant et forcera plusieurs femmes vers la mise en famille. Le grand renfermement et l’apparition des asiles survenues au 17ème siècle a déplacé les personnes considérés inaptes à travailler dans des institutions. Ensuite, l’apparition des prisons au début du 18ème siècle a écarté une autre grande partie de la population. Par exemple, les nombreuses lois contre les vagabonds visent directement les personnes qui vivent du glanage, c’est-à-dire de la chasse illégale dans les forêts communes ou de la cueillette. De quelle façon la répression interne dont tu parlais a contribué à la stratification socio-économique pendant l’émergence capitalisme moderne?

R : C’est vrai que l’exode forcée des paysans et paysannes sans terres vers les villes causé par les situations que tu as nommées coïncide avec la première vague d’industrialisation et la consolidation de la bourgeoisie en tant que classe dominante. Cette bourgeoisie, propriétaire d’usines, bénéficie alors du travail bon marché des nouveaux et nouvelles citadins et citadines. Les villes deviennent des espaces où se côtoient la richesse la plus extravagante et la pauvreté la plus trash. Avec la création des premiers syndicats ouvriers et des grèves, la classe dirigeante craint une Révolution. C’est essentiellement pour contrôler ces nouveaux foyers de luttes, organisées ou non, que le premier corps policier moderne a été créée à Londres en 1829. À noter que cette réforme à été mise en place par le conservateur Robert Peel, qui, en passant, possède une rue à son nom à soi-disant Montréal. En fait, la plupart des services de police en occident sont créés en parallèle à des mouvements de grèves dans les usines. Supposément pour prévenir les émeutes, la police réprime les réunions syndicales, emprisonne les leaders syndicaux et utilise la violence pour écraser les manifestations. Lorsqu’elle n’est pas utilisée pour le contrôle des foules, on la charge de patrouiller les quartiers pauvres et d’assurer la tranquillité des quartiers riches. Derrière la création des forces policières se trouve l’idée qu’en contrôlant les soi-disantes “classes dangereuses”, on diminuera les crimes. Voilà qui résume la double fonction de la police moderne: d’une part, la surveillance et l’intimidation au nom de la lutte à la criminalité et, d’autre part, la répression et le contrôle des grèves, émeutes et grandes manifestations.

Q : Fait intéressant: Les marchants riches engagent depuis longtemps des brutes ou des mercenaires pour protéger leur biens contre d’éventuels voleurs, mais avec la prise de contrôle graduelle des pouvoirs étatiques par la bourgeoisie, ils utilisent la création de services de police comme une manière de financer publiquement cette protection. Ils évitent donc d’avoir à payer eux-mêmes des agents de sécurité privés et renvoient les coûts à la société toute entière. Bref, la police moderne remplace la milice privée et le mercenariat, mais sa fonction première reste la même: protéger la propriété des mieux nantis et le système politique qui les avantage.

R : Et en prime, ce sont maintenant les opprimés qui paient!

Q : Donc là, on a parlé surtout du rôle de la police dans le contrôle des classes sociales chez ses propres citoyennes et citoyens. Maintenant, peux-tu parler du rôle de la police chez les peuples colonisés du soi-disant Canada?

R : Évidemment, la création de la Confédération canadienne en 1867 n’a pas mis un frein aux politiques colonialistes qui prévalaient à l’époque. Au contraire, tout au long de son histoire et jusqu’à aujourd’hui, le Canada reste un État colonial et ses forces policières sont utilisées pour imposer ses décisions politiques au détriment des populations autochtones. Malgré le mythe tenace selon lequel la Canada est un pays moins violent, aux méthodes plus humaines que son voisin du sud, l’histoire de la police, particulièrement la GRC, mais aussi la SQ au Québec, nous démontre que sous son masque bienveillant le Canada n’a rien a envier aux violences et à la barbarie des autres États coloniaux. Le Canada reste le territoire d’une compagnie, la compagnie de la baie d’Hudson, transformé en pays.

C’est à partir d’une force militaire formée expressément pour mater les rébellions Métis que la Police montée du Nord-Ouest, l’ancêtre de la GRC, va voir le jour au nord de l’actuel soi-disant Manitoba. Un convoi militaire d’un millier de soldats  est envoyé pour réprimer la Rébellion de la Rivière Rouge, à laquelle participent Louis Riel et ses alliées.Puis, il est établi comme force permanente sur ce territoire pour être finalement transformé en Police Montée en 1873. L’organisation participe à l’écrasement de nombreuses révoltes autochtones et Métis tout au long du 19e siècle. C’est après la grève insurrectionnelle de Winnipeg en 1919, que la Police montée du Nord-Ouest devient officiellement la Gendarmerie royale du Canada.

Q : C’est pas surprenant quand on voit ce qu’elle fait aujourd’hui.

R : En effet, le rôle de la GRC c’est d’être le bras armée dans la continuité des politiques colonialistes canadiennes. L’État se doit d’avoir plein contrôle sur l’ensemble du territoire qu’il définit comme “le sien”. Les souverainetés autochtones sont tolérées dans la mesures où elles n’entrent pas en contradiction avec les intérêts corporatifs du régime ou des compagnies qu’il protège. La GRC est alors déployée comme une armée d’occupation en territoire ennemi pour faire respecter les lois et les décrets votés par le parlement canadien… ou les projets privés cautionnés par le gouvernement. 

Q : On peut penser à certains projets extractivistes qui ont fait l’objet d’une résistance Autochtone importante dans les dernières années, comme par exemple le pipeline Coastal GasLink, le pipeline TransMountain ou le projet Alton Gas. 

R : Exactement, c’est difficile de dénombrer les projets coloniaux qui nécessitent une répression policière des protectrices et protecteurs du territoire au soi-disant Canada parce c’est simplement une réalité constante et omniprésente de l’occupation Canadienne.

Q : Quand on regarde l’histoire des luttes Autochtones au soi-disant Québec et les disputes territoriales actuelles, on se rend compte que c’est plutôt la Sureté du Québec, la SQ, qui incarne la menace de violence envers les Autochtones qui défendent leur territoire traditionnel. La force de police au soi-disant Québec, ça a débuté comment?

R : On peut remonter au rapport Durham de 1839 qui recommande la ré-implantation d’une police au Bas-Canada. Le rapport dit que la police a toujours été dysfonctionnelle sur le territoire et que ses six agents n’avaient aucun compte à rendre. C’est donc après la rébellion des patriotes que le premier service de police moderne voit le jour au Canada, avec comme objectif explicite de surveiller les activités politiques des populations rebelles. Les services de polices de Montréal et de la ville de Québec sont quant à eux crées en 1843 chacun composés d’une cinquantaine d’hommes. La police provinciale est officialisée par l’Acte de police du Québec en 1870, abolie par les libéraux en 1878 et ré-établie par les conservateurs en 1883. En 1937, le gouvernement ultra-conservateur de Maurice Duplessis réorganise la police provinciale en quatre services distincts: la police judiciaire, la gendarmerie, la police de la route et la police des liqueurs. La même année, la Loi du cadenas a été adoptée. Cette loi mène à des perquisitions et à la fermeture des établissements soupçonnés d’héberger des activités subversives, notamment des journaux communistes de l’époque, mais aussi des activités syndicales. La SQ est née suite à l’implémentation des recommandations du rapport Cannon de 1944, qui, et je cite: « se penche sur le véritable rôle de la Sûreté provinciale, notant que, dans l’opinion publique, la Sûreté était depuis des années critiquée pour l’inefficacité de son travail et le résultat négatif de ses activités ». Il semble déjà y avoir une constante, la police est inefficace.

Q : Effectivement. Puis là, si je comprend bien, l’organisation des différentes forces de police sur le territoire, c’est pas une histoire tout a fait linéaire?

R : Non en effet, et l’importance relative de la SQ en comparaison aux polices locales et municipales va continuer de changer entre l’époque de Duplessis et aujourd’hui. En général, dans les années 70s, et depuis l’implantation de leur centre opérationnel sur la rue Parthenais à Montréal, les policiers vont développer plus de niveaux hiérarchiques, implanter différentes spécialités, et s’équiper de gestionnaires pour encadrer le tout. Depuis 1960, les services de police municipaux tendent de plus en plus à disparaître pour laisser place à la SQ. C’est comme ça qu’entre 1960 et 1980, la SQ est passée de 1500 à 4500 agents, en plus d’ajouter 1000 employés civils. En 1977, la commission Keable sur l’infiltration du FLQ par la police, rapporte que les opérations étaient dépourvues de légitimité et estime que les corps policiers ne sont soumis à aucun contrôle satisfaisant. La même année, la commission Mcdonald blâme sévèrement la GRC pour diverse pratiques illégales (écoute électronique sans mandat, vols, fabrication de faux documents) et ses recommandations mènent à la séparation du service de police fédéral et de sa branche de contre-espionnage, qui devient le Service canadien de renseignement et de sécurité, le SCRS, en 1984.

Q : 1984, bel adon! Après ça, le prochain événement d’importance pour la police provinciale, vous l’aurez deviné, c’est l’intervention de la SQ lors du blocage d’une route par les Mohawks/Kanienkeha:ka de Kanesatake, le 11 juillet 1990. Un assaut manqué qui a coûté la vie à un agent, le caporal Lemay. Au fur et à mesure du déroulement de la crise d’Oka, les propos désobligeants envers les autochtones tenus par le représentant de l’Association des policiers provinciaux du Québec (le syndicat des agents de la SQ) pis les responsable de la SQ eux-mêmes, renforçaient l’image négative de la SQ. Voici un extrait du journal La Presse qui dénonce racisme de la SQ et son manque de nuance dans ses communiqués de presse: 
“Ce communiqué, où l’on n’a même pas la décence de faire la distinction entre les Warriors armés et l’ensemble de la communauté Mohawk, donne l’image d’une police raciste, aux yeux de laquelle tout Mohawk est un criminel en puissance”. 

Un rapport du coroner sera produit à ce moment, le rapport Gilbert, qui montre que la SQ a décidé d’intervenir seule, sans l’autorisation explicite du ministre. Le rapport Gilbert nous dira, ouvrer les guillemets:
“Lorsque l’ordre social et la sécurité publique sont menacés, le problème en est un qui doit être pris en main par le gouvernement et non laissé à la décision isolée de la police.” Fermer les guillemets.

Donc, même si les différentes commissions d’enquête qui se succèdent ont des mandats et des contextes différents, il reste que les services policiers continuent d’agir sans nécessairement devoir répondre à qui que ce soit. Après Oka, de nombreux efforts sont mis en place pour encadrer le corps de police provincial et le rendre plus transparent aux yeux du public. Mais malgré les efforts pour camoufler leurs bavures et leur incompétence, les rapports qui suivent continuent de pointer les mêmes problématiques.

R : Oui et c’est pas tout, avec l’obligation de toutes les municipalités du Québec de plus de 5000 habitant-e-s d’avoir un service de police, mise en place depuis 1992, plusieurs petites villes et communautés rurales ont eu à transférer leurs activités à la SQ. C’est le cas par exemple du service de police de Joliette, qui est passé au contrôle de la SQ en 2008, de celui de Val-d’Or en 2002 et tout récemment, celui de Mont-Tremblant. C’est le cadre qui va mener à la commission Viens sur les relations entre les communautés autochtones et certains services publics, dont la SQ de Val-d’Or, suite aux témoignages d’une dizaine de femmes autochtones rapportant des abus physiques et sexuels, de la négligence et du mépris entre 2002 et 2015. Ce rapport nous dit aussi que, et je cite:
“Entre le 1er janvier 2012 et le 31 août 2017, 4 270 constats d’infractions ont été remis à Val-d’Or. 75,1% de ces personnes étaient d’origine autochtone”.
Les motifs de ces interventions, selon la police sont les nombreuses infractions à la réglementation municipale, dont flâner, se trouver en état d’ébriété dans un endroit public ou troubler la paix. Encore une fois, les policiers, responsables de l’ordre public, agissent en fonction de priorités qu’ils définissent eux-mêmes. Ce sont les mêmes reproches que dans le rapport sur la crise d’Oka. La soi-disante transparence n’a aucunement augmenté et le racisme n’a pas été remis en cause. C’est presque grotesque que malgré plusieurs rapports pointant les mêmes violences et les mêmes lacunes, rien ne change réellement sur le terrain et l’histoire semble se répéter sans cesse.

Q : On parle de rapports et de commissions d’enquête, pourtant la seul tendance qu’on semble constater chez la SQ ou le SPVM, c’est l’accroissement de leur budget et de leur capacité technologique, mais leur rôle et leur façon d’agir restent sensiblement les mêmes. Peut-être qu’on peut essayer de synthétiser tout ça; j’aimerais que tu parles justement de la façon dont l’État présente la police à la population.

R : On s’entend, depuis trois quart de siècle, la police est inefficace, contre-productive et agit en cavalier seul. Même si les rapports des commissions présentent une relation houleuse entre l’État et sa police, on doit se demander: est-ce vraiment le cas? Une institution dysfonctionnelle, qui est rabrouée tout les 10 ans sans jamais rien changer me semble un signe indéniable que: son rôle informel est en fait son rôle formel. Sur papier, l’État a les compétences pour “faire le ménage” au sein des corps policiers en termes de transparence et d’imputabilité. Mais le simple fait que rien n’est mis en place depuis toutes ces années souligne très bien qu’on a affaire à plus qu’une pomme pourrie, mais bien un verger au complet, et ce tant du côté de l’État qui profite de la situation que de la police. 

Pensons par exemple à certaines manifestations du 1er mai, en réponses aux assassinats de la police ou au Printemps 2012 et 2015. Comment le ministre de la sécurité publique peut-il tolérer que des centaines de policiers armés attaquent violemment des manifestantes et manifestants à proximité de zones résidentielles? En fait, il y a deux hypothèses. La première c’est que la classe politique ne veut pas savoir les détails, pour éviter d’être tenue responsable. La seconde, plus plausible, est que ses ordres proviennent directement des éluEs, mais que ces ententes sont gardés secrètes. Dans un cas comme dans l’autre, la responsabilité des agissements de la police n’est pas assumée par les pouvoirs politiques, mais tout de même supportée tacitement. La répression, la violence et les agressions envers les plus vulnérables, qui sont au centre des agissements que la police, aurait pu diminuer en implantant les mesures d’un rapport ou d’un autre, si la volonté du gouvernement existait. Mais l’État se soucie peu de l’application des mesures, sinon que des apparences qui facilitent son acceptation sociale. La police provinciale a été mise en place à la suite de soulèvement populaires et contribue au maintient du colonialisme, du racisme et du capitalisme. C’est son rôle officieux, parfois exposé, mais jamais sanctionné. On est loin d’une quelconque garantie de justice ou d’impartialité qui garantirait le respect de la loi, comme on aime nous le dire. 

C : En d’autres mots, les services de police ne sont que les chiens de garde de l’État, jamais dociles, jamais contrôlables, même si l’État s’achète une bonne conscience et tente d’embellir son image en les critiquant de temps à autre.

Q : Pour mieux comprendre les manifestations contre la police et le mouvement Black Lives Matter aux États-Unis, peux-tu nous parler des origines de leur police?

R : La police aux États-Unis est une continuité de l’esclavagisme. Selon Howard Zinn, au 19e siècle, comme les populations esclaves américaines étaient moins nombreuses et moins denses que dans les Caraïbes, l’évasion était plus réaliste que l’insurrection armée. Les propriétaires d’esclaves mettent alors sur pied des dispositifs pour surveiller les esclaves sur leurs terres, les overseers, mais également pour retrouver les esclaves en fuite, les slave patrols, les patrouilles d’esclaves. Ces patrouilleurs agissent avec une cruauté inqualifiable envers les esclaves récalcitrantes et récalcitrants, allant jusqu’à la torture et l’assassinat légalisé. Ils utilisent des chiens de chasse pour traquer les personnes fugitives et les mutiler. Les peines pour les personnes blanches aidant des esclaves à s’enfuir sont aussi rehaussées avec le Fugitive Slave Act de 1850, qui sera appliqué dans les États du Nord, où l’esclavage est pourtant interdit. C’est entre autre aussi dans le but de décourager la solidarité de classe entre personnes noires et personnes blanches que les autorités du Sud, comme du Nord, mettent en place une ségrégation raciale de plus en plus stricte. Les overseers, engagés pour réprimer les esclaves, sont souvent des immigrants irlandais eux-mêmes très pauvres, ce qui accentue la division raciale au profit de l’élite propriétaire.

Les slave patrols servent une autre fonction, essentiellement contre-insurectionnelle: leur présence et leur méthodes brutales agissent de manière préventive, qu’on pourrait qualifier de terroriste, pour décourager tout soulèvement de la part de populations noires.

Q : Et après la guerre civile?

R : Après la Guerre Civile et l’abolition de l’esclavage, la tradition esclavagiste se poursuit dans les États du Sud. Les esclaves nouvellement libérés demeurent liés à leurs anciens maîtres à travers des dettes ou des conditions de vie misérables pour les rendre dépendantes et dépendants du nouveau système économique importé du Nord. Mais pour pouvoir exploiter leur force de travail dans les usines, il faut les autoriser à circuler librement, au grand regret de la population blanche, qui vit dans la peur constante d’une insurrection. C’est devant cette menace perçue que sont créée les premières polices modernes dans les villes. Dans certains cas, les soulèvements populaires appréhendés se sont bel et bien produits. Au Nord, entre 1801 et 1832, les noirs de New-York, par exemple, ont déclenché pas moins de quatre émeutes pour tenter d’empêcher les esclaves affranchis d’être renvoyés à leurs anciens maîtres. Ces efforts ont généralement échoué: la garde a répondu violemment et les participantes et participants ont reçu des peines particulièrement sévères. Mais malgré la désapprobation de l’élite et la répression, les classes populaires ont continué de se révolter, parfois même en transgressant les barrières raciales. 

Q : Donc gros spoiler, l’abolition de l’esclavage, c’est plutôt une transformation des mécanismes d’exploitation, c’est bien ça?

R : Exact, comme je disais, après la guerre, plusieurs états du Sud créent de nouveaux codes de lois qui reproduisent leurs lois esclavagistes, et qui régissent les déplacements et à peu près toutes les sphères de la vie des esclaves libérés. On les appelle les Black Codes ou Black Laws. Par exemple, selon les vagrancy laws, qu’on pourrait traduire comme lois sur le vagabondage, on retrouve l’obligation de trouver un travail, sans quoi on peut se faire arrêter et emprisonner pour n’avoir que marché dehors sans preuve d’avoir un travail. Ça donne le pouvoir aux employeurs et ça fait que les gens sont obligés de prendre n’importe quelle job de marde. C’est carrément de l’esclavage à peine salarié.

Q : Donc l’esclavage est soi-disant aboli… mais le fait d’exister sans travailler est criminalisé. Puis en prison, c’est le travail forcé!

R : Oui, et même si les overseers et les slaves patrols sont abolies, dans les faits, les forces policières qui les remplacent vont en conserver plusieurs éléments, dont faire respecter les couvres-feu, la surveillance des quartiers et, bien sûr, un racisme insidieux. Dès sa naissance, par exemple, le Ku Klux Klan jouit d’une immunité face à ses crimes, alors que les prisons que l’on bâtit par centaines au pays se remplissent majoritairement de détenus noirs. Ce n’est pas surprenant quand on sait que les membres du Klan sont souvent eux-mêmes des policiers ou des sheriffs. Avec une telle histoire, on comprend mieux pourquoi le profilage racial est autant enraciné dans les structures policières actuelles; c’est l’essence même de sa fondation. Aux États-Unis comme au Canada, les personnes Noires et Autochtones sont sur-représentées dans les prisons, et le racisme des services de police, qui se combine avec celui des systèmes de justices contribue fortement à cette situation. En ce moment, aux États-Unis, 40% des personnes incarcérées, tous niveaux confondus, sont Noires, alors qu’elles représentent 13% de la population. Il y a des États, comme la Louisianne et l’Oklahoma, où plus d’un pourcent de la population est actuellement incarcérée.

C : Des pendaisons publiques aux détachements militaires dans les villages, les démonstrations publiques de cruauté ont toujours visé a susciter la peur chez celleux dont l’existence est jugée un affront. Il faudrait qu’on accepte l’ordre social et qu’on abandonne notre pouvoir collectif à un vote aux quatre ans…

Tant qu’un segment de la population exercera un pouvoir disproportionné sur le reste d’entre-nous et sur les ressources dont on a besoin pour survivre, la police existera pour réguler, discipliner et maintenir ce contrôle. La violence policière n’est pas un accident – c’est une menace quotidienne – qui ne peut être séparée du contexte socio-politique dans lequel elle existe. Les mesures d’austérité s’accroissent, les mécanismes d’exploitation néocoloniale se modernisent, et les technologies de surveillance se normalisent dans nos quartiers en gentrification.

Dans le prochain épisode, on interview une militante du Collectif Opposé à la Brutalité Policière (le COBP) pour une discussion introductive sur l’abolition de la police. Ce sera l’ occasion d’explorer et d’avoir des réponses aux questions fréquemment posées sur la transition vers un monde sans police et de repenser sur quoi est basé notre sentiment de sécurité.

D’ailleurs, on en profite pour vous inviter à la 25e Manifestation Internationale contre la brutalité policière du 15 mars, organisée par le COBP. Restez à l’affût pour les détails.