Montréal Contre-information
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Jan 252022
 

Du Collectif Emma Goldman

Le projet de 1.1 milliard de la multinationale Métaux BlackRock à plus que jamais du plomb dans l’aile. Après avoir mis un coup d’arrêt en 2019 au déboisement du terrain où l’usine est censée être construite à Grande-Anse, retardé le début des travaux sur le site (travaux qui n’ont toujours pas commencé), voilà que nous avons appris le 23 décembre dernier que la multinationale a dû se placer sous la protection de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (LACC) puisqu’elle n’est pas capable de rembourser ses pourvoyeurs. En plus d’avoir fait faux bond à ses créanciers, quelques membres de la Chambre de commerce et d’industrie Saguenay-Le Fjord doivent aujourd’hui déchanter face à la situation de Métaux BlackRock.

En 2019, lors de l’arrêt des travaux, Sandra Rossignol, alors directrice générale de la Chambre, déclarait : « Ils mettent vraiment toutes les chances de leur côté pour éviter les dépassements de coûts parce qu’ils savent que la construction hivernale, ça coûte cher. La Chambre croit que c’est une bonne décision. On connaît bien l’équipe de Métaux BlackRock. On a confiance en ses capacités de mener à terme le projet. » (1). J’imagine que depuis le temps, la confiance a dû s’effriter…

Cependant, il n’y a pas d’inquiétude à avoir pour la bourgeoisie locale puisque la majorité du temps, quand des projets destructeurs sombrent, il y a toujours les gouvernements pour venir les sauver et y injecter des deniers publics. Comme le rapporte La Presse : « Depuis 2018, la société Métaux BlackRock a sollicité sans succès 150 investisseurs institutionnels, incluant le Fonds de solidarité FTQ et la caisse de retraite Teachers. Elle a aussi pris contact avec une cinquantaine de gestionnaires de fortunes familiales et une dizaine de fonds de capitaux européens. (…) Au fil des ans, BlackRock a recueilli environ 67 millions US en actions pour un total de 149 millions d’actions. » (2). Visiblement, les investisseurs ne se poussent pas au portillon et l’argent amassé est une maigre somme face au milliard nécessaire. Malgré tout, le gouvernement québécois, via Investissement Québec, souhaite racheter 100% de Métaux BlackRock avec la société Orion Resource Partners.

Chibougamau et Saguenay veulent le projet dans leur cour

Devant les difficultés rencontrées par Métaux BlackRock, les divers paliers de gouvernements y vont de leur grain de sel afin de redonner un petit boost, voire une deuxième vie à ce projet destructeur. Andrée Laforest, la ministre caquiste des Affaires municipales et de l’Habitation, y va de sa petite tape dans le dos afin d’encourager la multinationale à ne pas lâcher : « Dans la foulée des informations sorties récemment concernant le projet de Métaux BlackRock, je tenais, à titre de ministre responsable de la région du Saguenay-Lac-Saint-Jean, à réitérer mon appui au projet dans sa forme actuelle, tel qu’approuvé par le décret. Ce projet est très important pour notre région et le Québec. » (3). De son côté, Jean Rainville, l’ancien président-directeur général PDG de BlackRock, est en beau fusil et veut saborder le processus de restructuration, croyant qu’Investissement Québec et la société Orion profite de la situation pour évincer tout le monde et prendre le contrôle de la multinationale (4).

Au Saguenay-Lac-St-Jean, les mairesses de Chibougamau-Chapais et de Saguenay font des courbettes pour avoir le projet dans leur cour. Manon Cyr croit qu’une des solutions serait de construire la fonderie près de Chibougamau : « Le projet prévoit que l’on devra transporter le minerai sur des centaines de kilomètres avant de le transformer véritablement. Pourquoi ne pourrions-nous pas le transformer plus près de la mine? […] J’ai toujours eu de la misère à comprendre comment on pouvait justifier sur le plan environnemental et financier le fait de déplacer autant de minerais sur une longue distance avant de le transformer de façon adéquate » (5). Malgré sa petite fibre écologiste, la mairesse ne semble pas comprendre que le problème ne réside pas dans le transport des matériaux.

Que l’usine soit à Chibougamau ou à Grande-Anse, les matériaux devront faire des centaines de kilomètres par train dans les deux cas, soit pour acheminer le produit brut à La Baie pour le transformer près du terminal ou amener le produit fini jusqu’au port où il pourra être transbordé sur des bateaux et envoyé à l’international. Le problème environnemental se trouve dans le projet même : creuser une mine à ciel ouvert, construire une usine qui sera la deuxième plus polluante au Québec et transporter les matériaux d’abord par train et ensuite dans des bateaux qui devront utiliser le fjord comme autoroute.

La Chambre de commerce de Chibougamau-Chapais (CCCC) abonde bien évidemment dans le même sens que la mairesse Cyr. Le président de la CCCC, Sébastien Valdal, emploi lui aussi le langage visant à justifier en douce ce projet sous un couvert de capitalisme vert : « Considérant que le potentiel du camp minier de Chibougamau-Chapais démontre un potentiel de fer-titane-vanadium, nous croyons que développer une expertise locale serait un apport important au développement économique de la région et un positionnement essentiel dans la course à l’électrification des transports et au développement d’une économie plus verte » (6). 

L’électrification des transports, on parle ici de la voiture solo et ce n’est pas avec les automobiles électriques que l’on va rendre l’économie plus verte. Ces dernières demandent, tout comme l’auto à essence, la multiplication d’immenses infrastructures (des boulevards, des autoroutes, de nouvelles rues et artères de contournements, etc.) et l’exploitation infinie de ressources pour fabriquer sans cesse de nouveaux modèles. À la place, nous devons miser sur le transport en commun et les moyens alternatifs de se déplacer ainsi que de mettre en commun le plus possible nos autos afin d’en maximiser l’usage. Après tout, les voitures passent la majorité du temps à l’arrêt dans des stationnements. 

Du côté de Saguenay, la nouvelle mairesse, Julie Dufour, a réitéré par communiqué son « soutien entier au projet dans sa forme actuelle ». Elle enchaîne avec : « Les études réalisées par Métaux BlackRock ont démontré que la zone industrialo-portuaire de Grande-Anse était le meilleur site pour établir l’usine. C’est aussi ce qui a été présenté au Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) et qui a obtenu tous les permis et autorisations auprès du gouvernement du Québec. Nous nous sommes également engagés à un congé de taxes dégressifs sur 10 ans pour la mise en opération du projet. » (7). 

Cela fait suite à la sortie de Gérald Savard, préfet de la MRC du Fjord-du-Saguenay, qui a déclaré dans les médias soutenir le projet tout en interpellant le Premier ministre du Québec pour qu’il s’assure que le projet voit bien le jour à Grande-Anse.

Comme si ce n’était pas assez, Marc Bouchard, chef par intérim de l’Équipe du renouveau démocratique (ERD) et conseiller désigné du parti, a lui aussi lancé son appui par voie de communiqué en suppliant les membres du conseil de ville « de tout mettre en oeuvre pour que ce projet de 1,1 milliard de dollars puisse voir le jour et que son usine de transformation soit érigée sur le site de Port Saguenay » (8). 

Mais à part l’endroit où devrait avoir lieu le projet, le consensus est total chez la classe politique locale. C’est le capitalisme extractivisme version turbo qu’ils et elles aimeraient instaurer au Saguenay-Lac-St-Jean sur le Nitassinan.

L’État, un pilier dans l’économie extractiviste 

Les différents paliers de gouvernements jouent un rôle majeur dans l’extractivisme et ils viennent en aide aux multinationales de diverses manières. D’abord en les finançant directement via des prêts d’argent ou en construisant, avec l’aide des deniers publics, des infrastructures pour les compagnies privées. Au Québec, cela se traduit, entre autres, par la construction de routes, de lignes hydroélectriques, d’aqueducs (branchement des usines à l’eau de la ville), etc. (9).

L’État vient aussi en aide aux multinationales en mettant en place des lois qui font la part belle à l’extractivisme. Voter des lois  ou en enlever, de manière à favoriser le plus possible les compagnies extractivistes. L’État vient aussi en aide aux multinationales en mettant en place des lois qui font la part belle à l’extractivisme. Voter des lois  ou en enlever, de manière à favoriser le plus possible les compagnies extractivistes. Ainsi, le Canada est le pays où le plus de minières sont enregistrées puisque la loi canadienne leur est très favorable (10). En s’établissant au pays de l’unifolié, les minières savent qu’elles ne seront pas importunées par la justice et elles auront le champ libre pour exploiter les territoires (très majoritairement du Sud) et les populations qui y vivent. Ensuite, une fois les ressources pillées, c’est bien souvent le gouvernement qui doit payer pour nettoyer et décontaminer les sites exploités. Au Québec, ce genre de scénario se compte par milliers (11). Finalement, comme c’est le cas pour Métaux BlackRock, quand les multinationales sombrent et n’arrivent pas à mener à termes leur projet, il y a toujours le gouvernement pour venir injecter de l’argent public pour les financer ou les racheter et éviter, pendant un temps, le naufrage.

Cependant, que ce soit Métaux BlackRock ou une compagnie de façade appartenant au gouvernement du Québec, nous serons toujours là pour nous opposer à ce projet. Plusieurs actions ont déjà eu lieu : blocage d’une voie ferrée à Chicoutimi, peinture lancée sur les bureaux de BlackRock, action à Grande-Anse, des conférences, etc. Notre monde ne réside pas dans la destruction engendrée par ce projet écocide.

Pour une décroissance libertaire 

Tant qu’il y aura un arbre à raser, une rivière à harnacher, une montagne à raser pour le minerai, les multinationales, alliées des gouvernements, seront présentes pour en tirer d’importants bénéfices. Bien sûr, elles  »créeront »  en échange quelques emplois dans des régions qui connaissent des taux chômages importants depuis de nombreuses années et qui sont le produit d’un développement basée sur la mono-industrie. Mais que valent ces emplois dans un environnement saccagé et  invivable?  Mais surtout qu’allons-nous faire quand la multinationale aura plié bagage une fois le sol épuisé et les millions amassés? Si nous persistons dans cette voie,  nous retournerons à la case départ.

La seule alternative : décider maintenant de briser ce cycle de misère et d’exploitation et construire  une économie basée sur la satisfaction de nos véritables besoins et la pérennité des ressources. Face aux grands projets inutiles que veulent mettre de l’avant gouvernements et multinationales, nous devons non seulement résister, mais créer nos propres alternatives à ce système autodestructeur. Nous ne pouvons plus accepter les miettes de pain que la grande entreprise est disposée à nous offrir pour  »assurer »  pendant un temps notre  »bien-être ». Car ne nous leurrons pas, la seule chose de durable dans leur système c’est la misère et la désolation qu’il engendre. Une décroissance libertaire, c’est-à-dire non pas l’arrêt du développement de nouvelles technologies qui facilitent et améliorent nos vies, mais l’arrêt de la fabrication de marchandises inutiles (12) qui alimentent cette société consumériste et qui nécessitent de plus en plus de ressources bien souvent exploitées dans les pays du Sud. Une société horizontale et égalitaire basée sur nos besoins réels et construite en complicité avec les Premières Nations.


1. Radio-Canada: Métaux BlackRock retarde le début de ses travaux à La Baie

2. André Dubuc, La Presse: Investissement Québec propose d’acheter Métaux BlackRock

3. Solveig Beaupuy, Le Quotidien: Andrée Laforest soutient toujours le projet de Métaux BlackRock

4. Gilles Munger, Radio-Canada: BlackRock: l’ancien PDG tente de bloquer le processus de restructuration

5. Isabelle Tremblay, Le Quotidien: Métaux BlackRock: Manon Cyr propose un complexe intégré à Chibougamau

6. Isabelle Tremblay et Marc-Antoine Côté, Le Quotidien: Métaux BlackRock: la communauté d’affaires de Chibougamau ne veut pas d’une usine à La Baie

7. Vicky Boutin et Myriam Gauthier, Radio-Canada: L’usine de BlackRock doit être à Saguenay, réitèrent Julie Dufour et la MRC du Fjord

8. Idem

9. Radio-Canada: Plan Nord : Québec construit une route vers les monts Otish

10. Sarah R. Champagne, Le Devoir: Minières canadiennes à l’étranger: la création d’un poste d’ombudsman se fait toujours attendre

11. Alexandre Shields, Le Devoir: L’héritage toxique des minières explose

12. Le cellulaire est un bon exemple. Le téléphone portable est utile pour nos vies, mais nous n’avons pas besoin d’en sortir des dizaines de nouveaux modèles à chaque année.  En plus de cela, ils sont énergivores en métaux rares et demandent beaucoup de ressources et d’infrastructures. Dans une décroissance libertaire, le but n’est pas de faire disparaître les cellulaires et de ne plus en produire, mais d’arrêter de fabriquer à l’infini des modèles qui sont extrêmement similaires d’année en année et qui servent simplement à vendre de la marchandise et à faire des profits pour des compagnies privées milliardaires.