Montréal Contre-information
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Nov 042023
 

De Archives révolutionnaires

Le 5 octobre 2023, c’est avec une profonde tristesse que nous avons appris le décès de notre ami et camarade, le militant Norman Laforce (1952-2023). Norman était un ami fidèle, sensible, bienveillant, un camarade dévoué, combatif, prêt à tout donner. C’est en sa mémoire que nous présentons cet article biographique à son sujet : pour que ses engagements ne soient pas oubliés et qu’ils servent d’inspiration aux jeunes générations.

Norman est né dans le quartier populaire de Jacques-Cartier à Longueuil le 25 mars 1952. Mis au monde par le médecin militant Jacques Ferron, il fréquente la même école que Paul et Jacques Rose, futurs membres du Front de libération du Québec (FLQ). Au début des années 1960, la famille de Norman déménage dans l’État New York, d’abord dans un quartier populaire de la métropole puis dans la ville de Corning où il fréquente la Corning Painted Post West High School qu’il délaisse pour travailler. Norman a rapidement été conscient de l’injustice qui fonde notre monde. À l’adolescence, sa réflexion se consolide par la lecture du Rat Subterranean News, un journal contre-culturel adoptant des positions anti-capitalistes, pacifistes et écologistes.

De retour à Montréal, Norman structure de plus en plus sa pensée au contact des mouvements marxistes en pleine ascension. En tant que plombier (et plus tard déménageur), il constate quotidiennement la pauvreté dans les appartements dont il doit s’occuper. D’ailleurs, il fait régulièrement des travaux gratuitement pour ses voisin·e·s pauvres ayant des propriétaires négligents. Norman acquiert ainsi une conviction durable comme quoi le système capitaliste entraîne une lutte des classes qui oppose la bourgeoisie au prolétariat. Dans le but de faire avancer la cause du peuple, Norman s’investit dans les années 1970 au sein du Rassemblement des citoyens de Montréal (RCM), étant même candidat au poste de conseiller municipal à l’élection de 1978.

Au tournant des années 1980, Norman s’intègre de plus en plus à la scène punk et skinhead émergente de Montréal. Il participe à l’organisation de concerts locaux (Genetic Control, SCUM) et de groupes internationaux (dont Angelic Upstarts et Dead Kennedys), assure la sécurité dans les spectacles et compose quelques chansons. En plus de son implication musicale, Norman assume le leadership d’une bande de skinheads d’extrême gauche – les East End Skins – afin de combattre manu militari les groupes fascistes qui apparaissent dans la métropole. C’est ainsi qu’à la fin des années 1980 et au début des années 1990, Norman devient un des piliers de la lutte anti-fasciste à Montréal. Il mène ce combat avec succès, notamment contre l’éphémère section montréalaise du KKK dirigée par Michel Larocque. Grâce à ses nombreuses contributions à la scène musicale et au combat anti-fasciste, Norman continuera d’entretenir de forts liens de camaraderie avec les Red and Anarchist Skinheads (RASH) de Montréal et d’ailleurs. Il est salué personnellement par Roddy Moreno, chanteur de The Oppressed, lors du passage du groupe à Montréal en décembre 2021.

De gauche à droite : Norman Laforce en 2019, vers 1982 et en 2022.

Norman contribue aussi grandement aux luttes des locataires des années 1990 jusqu’à son décès en 2023. Il est membre du Comité logement Ville-Marie où il intègre le conseil d’administration de 2012 à 2014, et participe au POPIR Comité Logement dont il est vice-président en 2016, tout en écrivant pour son journal Le Canal. Il s’implique en sus au Regroupement des comités logement et associations de locataires du Québec (RCLALQ), au Comité logement du Plateau Mont-Royal, au Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU) dont il est président aussi en 2016 et, enfin, au Regroupement information logement (RIL). Installé dans Pointe-Saint-Charles depuis 2013, Norman participe aux mobilisations pour que la communauté récupère les terrains et la bâtisse qui deviendront le Bâtiment 7 (B7). Lorsque nous obtenons gain de cause en 2017, Norman poursuit son implication dans les différents cercles du B7, à l’épicerie communautaire Le Détour et au regroupement Action-Gardien. Ces dernières années, il était au cœur du grand projet communautaire qu’est le B7.

Au fil du temps, Norman évolue du marxisme à l’anarchisme « lutte de classes » qu’il découvre dans les années 1980 grâce au livre L’anarchisme (Daniel Guérin, 1965). Norman s’investit beaucoup dans le mouvement montréalais, faisant régulièrement des permanences à la librairie L’Insoumise puis à la Bibliothèque DIRA (toutes deux situées sur la rue Saint-Laurent). Il assume deux mandats comme membre du conseil d’administration de l’Association des espèces d’espaces libres et imaginaires (AEELI) qui gère le bâtiment abritant ces deux « institutions ». Norman donne des ateliers lors de plusieurs Salons du livre anarchiste de Montréal et aide diverses initiatives militantes révolutionnaires. Il mène plusieurs actions conjointement avec la branche montréalaise du Industrial Workers of the World (IWW), dont il devient officiellement membre en 2014.  Pour souligner sa longue implication dans la défense de la classe ouvrière, la branche le nomme « membre à vie » en 2019 ; Norman est la première et seule personne ayant obtenu ce statut honorifique à ce jour.

De gauche à droite : le Bâtiment 7 en deuil, 6 octobre 2023 ; Norman en 2022 ; graffiti-hommage, octobre 2023.

Norman participe aussi à l’Association pour la liberté d’expression (ALE), dont il sera président, qui met sur pied la Commission populaire sur la répression politique (CPRP) en 2014-2015. L’objectif est de documenter et dénoncer les abus policiers, et le projet débouche sur la publication de l’ouvrage collectif Étouffer la dissidence. Vingt-cinq ans de répression politique au Québec (Lux, 2016). En 2017, il cofonde le Collectif d’éducation et de diffusion anarcho-syndicaliste (CÉDAS) qu’il anime jusqu’en 2021, traduisant la brochure La libération queer est une lutte de classe. Dans les dernières années, Norman a consacré beaucoup de temps et d’énergie aux luttes LGBTQ+, notamment à la défense des droits des personnes trans. Peu avant son décès, il a joint le Comité queer de Pointe-Saint-Charles à titre d’homme bisexuel pro-transidentités. Il cherchait toujours une manière de lier les luttes afin qu’ensemble, nous puissions détruire le capitalisme et instaurer une société égalitaire. Enfin, que ce soit contre l’extrême droite, au sujet du logement, pour le 1er Mai (Journée internationale des travailleuses et des travailleurs), pour des actions de désobéissance civile ou contre la répression, Norman a participé à des centaines de manifestations partout au Québec : il était littéralement de tous les combats.

Depuis 2018, Norman a contribué au collectif Archives Révolutionnaires, en achetant des ouvrages pour le collectif, en numérisant des archives et en éclairant nos lanternes sur les luttes passées. Il était plus qu’un compagnon de route pour nous : c’était un véritable ami. La collaboration devait se poursuivre puisque Norman voulait faire des permanences à notre local, mais la mort en aura décidé autrement. Atteint de la maladie de Forestier et d’un cancer, Norman Laforce est décédé le 5 octobre 2023 à Pointe-Saint-Charles. Qu’importe, son esprit revendicateur continuera d’habiter notre projet et nous poursuivrons notre mission de documenter les luttes passées pour dynamiser les luttes actuelles. Longue vie cher ami, c’est maintenant à nous de continuer le combat pour l’égalité.