Montréal Contre-information
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Avr 042014
 

traduction de l’espagnol reprise de Non Fides

On dit que pour comprendre une réalité il est nécessaire de la vivre, et ici à l’Oriente je peux clairement voir que, dans une proportion écrasante, la réalité crue que l’on vit est causée par un système de domination conçu par le contrôle de tout ce qui est contrôlable à leur profit.

Quand quelque chose ou quelqu’un se retrouve en dehors des paramètres de leur structure, il devient une erreur et ils le « réparent » tout de suite avec leurs méthodes institutionnelles si peu flexibles.

Les prisonnier-e-s (de conscience, politiques, anarchistes, etc) font partie des failles du système.

En discutant avec plusieurs prisonniers de cette prison, car je suis très curieux, ils m’ont raconté avoir commis certains délits, le vol par exemple, qui fait partie des plus communs, que ce soit pour gagner de l’argent facile ou par nécessité, mais en fouillant dans leur passé, presque tous ont souffert dans l’enfance de la faim, la misère, l’oppression, l’exploitation, la toxicomanie, etc, qui ont marqué l’individu et l’ont condamné à faire partie de cette faille.

C’est une partie du jeu du système, de causer la « criminalité » et ensuite de la criminaliser. Je ne prétends pas justifier le « délit », seulement donner mon impression sur comment il surgit des engrenages du système, de la division de la société en classes, la toujours injuste distribution des richesses que les travailleurs produisent et dont les exploiteurs jouissent, les programmes sociaux pour la déviation des ressources, réformes bien maquillées qui profitent à ceux d’en haut, manipulation médiatique, etc.

C’est le même système qui force Mario López “El Tripa” à vivre dans la clandestinité. Ami et compagnon Tripa, à partir de ces lignes je m’associe et me solidarise avec toi. Rompre avec l’existant, être conséquent et chercher à être libre font partie de la vie d’anarchiste, font partie de ta vie. Et même si le prix à payer est la fuite, je sais que tu l’affronteras avec force et dignité, en portant le vieux mot d’ordre : « mieux vaut mourir debout que vivre à genoux ».

En vivant l’anarchie !
En affrontant le système dominant !

Carlos López “Chivo”
Reclusorio Oriente

Pour écrire à Carlos :

Reclusorio Preventivo Oriente
Carlos López Marin
Calle Reforma #50
Col. San Lorenzo Tezonco,
Deleg. Iztapalapa
C.P. 09800

Avr 032014
 

traduction de l’espagnol reprise de Non Fides

Plusieurs semaines sont passées depuis la dernière mise à jour sur l’affaire des anarchistes arrêté-e-s le 5 janvier (« 5E »). Plusieurs choses sont arrivées depuis. Voici une mise à jour :

Puisque le Procureur Général de la République n’a pas trouvé d’éléments suffisants pour maintenir les accusations de Terrorisme et de Délinquence Organisée contre les trois, ils furent remis au Procureur Général de la Justice [1] sous les accusations de Dommages et Attaque à la paix publique.

Leur procès en est à l’étape de la présentation des preuves, et leur première audience sera réalisée les 2 et 3 avril.

Amélie et Fallon ont été emmenées à la prison pour femmes de Santa Martha et Carlos au Reclusorio Oriente [« prison Orient »].
Elles se trouvent déjà dans le quartier de la population normale. Lui est encore dans le quartier d’Observation et de Classement, mais il sera sûrement mis dans la population normale dans les prochains jours.

Nous souhaitons développer un peu la situation de Carlos en expliquant un peu les conditions dans lesquelles vivent les milliers de détenus dans les prisons de la ville de Mexico.

Dans ces centres de réclusion, il existe un grand réseau de corruption et de complicité entre les autorités et certains prisonniers, qui reproduisent la logique de la prison en s’assumant comme les gardiens des autres prisonniers. Ce réseau de corruption et de complicité ne sert pas seulement à renforcer le rôle disciplinaire des prisons, mais c’est aussi un gros commerce, puisque la majorité des prisonniers sont obligés de donner de l’argent pour tout : les visites, l’appel, etc, en échange de ne pas être frappés par ces autres prisonniers qui profitent de la protection des autorités, lesquelles reçoivent une partie de cet argent en échange. Ces prisonniers gardent le contrôle sur presque toute la prison.

Il y a quelques jours, nous avons appris que Carlos avait eu un problème avec un autre prisonnier, l’amenant à se battre avec lui, motif pour lequel les gardiens sont intervenus en les frappant tous les deux et en les enfermant pendant 9 heures dans des cellules disciplinaires. En sortant de cette punition, Carlos a été transféré au quartier des arrivants où il se trouvait pour le classement. Là, on lui a demandé de payer pour être dispensé de la tâche de nettoyage appelée « fajina ». Le compagnon a décidé de ne pas payer. La « fajina » consiste à laver une zone déterminée, mais sur un modèle d’exercices très pénibles. Durant la fajina du premier jour, Carlos a été de nouveau frappé par des prisonniers qui tentaient de le faire se soumettre pour qu’il finisse par payer.

Aujourd’hui, nous savons que le compagnon est malade à cause de l’humidité qu’il y avait dans la cellule disciplinaire, en plus d’avoir mal à l’épaule à cause des coups reçus. Cependant, il reste ferme et fort dans ses convictions.

Les compagnonnes Amélie et Fallon, de leur côté, n’ont pas eu à faire à ce genre de situations.

Nous appelons à exprimer notre solidarité avec les prisonnier-e-s du 5E. Nous continuerons à diffuser à propos de leur situation.

Liberté pour Carlos, Amélie et Fallon !
Solidarité avec Mario González !
Un salut au compagnon Tripa, que tes pas ne s’arrêtent jamais !

Croix Noire Anarchiste Mexico

[1] Cela signifie qu’ils ne sont plus poursuivis par la juridiction nationale mexicaine mais désormais par le parquet de l’Etat de Mexico (DF).

Mar 292014
 

note de sabotagemedia: Trois versions de cette lettre nous ont été envoyées, une en espagnol, une en français et une en anglais. Nous tenons à mentionner qu’il existe des différences (la plupart n’étant pas trop majeure) entre les trois versions. Comme il est mentionné par les traducteur.e.s, la lettre originale a été écrite en combinant le français et l’espagnol, ce qui leur a compliqué la tâche. Nous avons légèrement modifié les trois textes, en les comparant les uns aux autres, quand nous avons jugé que cela allait de soi, aidant la compréhension et à ce qu’il y ai moins de divergences. Pour celleux qui aimeraient avoir accès aux versions non-retouchées par nous, elles ont déjà été publiées par Cruz Negra Anarquista México. Nous sommes très reconnaissant.e.s de la contribution importante accomplie par les traducteur.e.s et notre intention n’est pas de dénigrer leur dur labeur, mais vue le contexte de la version originale, nous voulons de cette manière faciliter de futures traductions en d’autres langues.

Lettre de Fallon

Je veux commencer cette lettre par un gros câlin pour tou-te-s les camarades en fuite, tout-e-s celles et ceux qui se battent pour leur liberté, et tou-te-s celles et ceux qui sont enfermé-e-s et dont ce monde de domination tente d’étouffer la rage. Il n’y a pas une cellule, un mur, une autorité à qui je donne assez de pouvoir pour faire taire ma rage et mon désir de liberté.

Ces sentiments, je les ai depuis que je suis toute petite et maintenant, dans mon cœur et dans ma tête, ils sont plus forts que jamais. Il ne se passe pas un jour sans que je pense à vous, mes ami-e-s.

Je peux imaginer, et on me dit aussi, que la situation à l’extérieur est très précaire. Ça ne me surprend pas, car nous avons choisi d’affronter la répression. Ce n’est pas simple, ce n’est pas facile, il y a plein d’émotions mélangées, mais il y a une émotion en particulier que nous partageons, et c’est notre force, individuelle et collective. Et ce sentiment, rien ne peut le mettre en cage, ni une prison, ni une frontière.

C’est avec beaucoup d’amour que je pense à vous, mes ami-e-s, et spécialement à Marc, qui est enfermé dans une prison de Kingston, aux camarades du Che qui furent torturé-e-s par le comité Cerezo, à la danseuse de cumbia, à Tripa, à Amélie et à Carlos. N’en soyons que plus fort-e-s, peu importe la distance !

Je me sens un peu bizarre d’écrire une lettre sans destinataire précis, j’ai l’impression d’écrire à une galaxie qui me semble quelque peu éloignée. En disant ceci, je veux être claire sur le fait que je n’écris pas cette lettre pour obtenir du support ou pour me poser en victime. Mon intention est d’utiliser la plume et le papier pour communiquer avec des ami-e-s et aussi pour partager des analyses.

Je pense que le fait d’être emprisonné-e est une opportunité très spéciale de laisser tomber la fétichisation de la prison et d’actualiser cette réalité de manière contextuelle. Aujourd’hui, j’écris cette lettre depuis Santa Marta, mais qui sait qui sera le ou la prochain-e** ?

Quand nous avons été arrêté-e-s, le 5 janvier 2014, pour moi, c’était un peu comme une blague, avec les sept chars de flics qui bloquaient la rue, j’avais l’impression d’être dans une pièce de théâtre, et depuis ce moment-là, la sensation est restée. Tout le monde joue son rôle. Je me rappelle du moment où, vers deux ou trois heures du matin, on nous transportait du PGJ (Bureau du Procureur Général de la Justice *ndt) au centre scientifique pour des tests. Nous étions trois, dans trois voitures différentes, avec deux flics de chaque côté de nous et un minimum de dix chars de flics qui nous escortaient en faisant aller leurs gyrophares dans les rues désertes du DF, et avec les scientifiques qui dormaient presque quand nous sommes arrivé-e-s au centre. Un vrai show. CSI Miami à Mexico.

Ah, et le centre d’Arraigo, ouf!
Ce fut la chose la plus théâtrale que j’ai vécue de toute ma vie. Quand nous sommes arrivé-e-s, la rue était fermée pour notre venue. Les hommes avec leurs muscles de télé-romans, et avec leurs mitraillettes étaient dehors, dans la rue, et aussi dans le fourgon avec nous. Je ne pouvais pas m’empêcher de rire – rire de leur autorité pour laquelle je n’ai pas le moindre respect, rire de la manière dont ils se prenaient tellement au sérieux. « Ken et Barbie » en uniformes de police fédérale. Et les prisonnier-e-s, qui n’avaient pas de nom, mais qui avaient la chance d’avoir une couleur. La mienne était orange. Le pire était que les filles de ma cellule avaient adopté les rôles de la soumission, de la peur et de l’autorité entre elles, si sérieusement, qu’elles donnaient l’impression d’auditionner pour un film hollywoodien.

Désolé pour les personnes qui pensent que je tourne tout au ridicule mais, c’est vraiment comme ça ! Une blague, un jeu de rôles.

Et maintenant, ici à Santa Marta, il y a plusieurs quartiers allant de A à H, il y a un «parc», des appartements et des voisin-e-s. Il y a un dépanneur, des travailleuses du sexe, des drogues un peu partout. Il y a des gens qui reproduisent les rôles de «filles» et de «garçons», et il y a aussi beaucoup de bébés. Il y a une école, une clinique, un palais de justice. Il y a des études qui sont menées pour te classifier à Santa Marta, il y a de la corruption, du pouvoir formel et informel. Il y a des horaires et aussi beaucoup d’émotions, beaucoup d’histoires, beaucoup de temps pour partager des expériences, de la rage, et certainement beaucoup de cigarettes et de café à partager. Eh bien, je ne sais pas si je suis claire (mon espagnol n’est pas parfait) mais maintenant Santa Marta est ma nouvelle ville, «A» est mon nouveau quartier, 107 est mon appartement et Amélie, ma voisine.
Pour moi, c’est plus clair que n’importe quelle théorie.

Ainsi, je vais terminer cette lettre.

Une note:

Comme la première, je l’ai écrite en espagnol* parce que, déjà, c’est parfois plus facile. Alors, je veux dire un gros merci aux personnes qui font la traduction, j’essaierai de faire la traduction de mes prochaines lettres en français et en anglais.

Cette lettre est la première que j’écris depuis un bon bout de temps parce qu’au centre d’Arraigo c’était plus difficile, les stylos étaient interdits, comme tout le reste !

Pour moi, c’était important d’écrire cette lettre avec une touche d’humour et de sarcasme, non parce que je veux minimiser l’impact que peut avoir la prison sur les gens, mais bien pour minimiser l’impact que la prison a sur moi. Comme j’ai essayé de l’exprimer, avec un espagnol simple (j’espère un jour le maîtriser mieux)(j’espère aussi que c’est comprenable), les éléments qui me marquent le plus depuis ma détention sont les jeux de rôles et la ville prison, prison-ville. Je ne vous cache pas que c’est pas toujours facile, que oui on est entourées de barbelés, mais y’a une chose dont je suis sûre c’est que la liberté commence dans notre tête, peu importe où on se trouve. C’est que dans la mienne en ce moment, y’a beaucoup de rage, beaucoup de force et oui, malgré tout, plus de liberté qu’il n’y en a jamais eu.

Merci aux ami-e-s qui viennent nous visiter ! À ceux et celles qui prennent nos appels a frais virés. À ceux et celles qui s’organisent, malgré les tensions.
À ceux et celles qui continuent à faire naître le feu et à attaquer cette société pourrie. RAGE ET ANARCHIE ! (A).
Et solidarité avec Marc, les camarades du Che, Tripa, la sorcière danseuse de cumbia, Amélie, et Carlos.

Fa

Santa Marta, Mexico, 14 mars 2014.

Et bon 15 mars !! (A)

*Cette lettre fut écrite originalement en combinant le français et l’espagnol

Pour écrire à Fallon et Amélie :

Amelie Trudeau/Fallon Rouiller
Centro Feminil de Reinsercion social Santa Martha Acatitla
Amélie Trudeau / Fallon Rouiller
Calzada Ermita
Iztapalapa No 4037
Colonia Santa Martha Acatitla
Delagation Iztalpalapa
C.P. 09560

note par sabotagemedia : Dans la version anglaise cette phrase apparaît comme « Aujourd’hui, je vous écris cette lettre de Santa Marta, mais qui sait ce qui s’en vient » Ce qui fait plus de sens selon le contexte de ce qui est dit. Nous n’avons pas modifié parce que la version anglaise est la seule des trois qui fut écrite ainsi, les deux autres retenant le sens de « …mais qui sait qui sera le ou la prochain-e ? .»

Mar 202014
 

De Solidarite sans frontieres

Le 8 mars dernier, après une semaine d’action ayant pour but une enquête nationale sur les 825 femmes autochtones assassinées et disparues au Canada, des warriors de la Territoire Mohawk de Tyendinaga ont bloqué la ligne principale du chemin de fer de CN. Cet action, qui a eu lieu sur la journée internationale des femmes, est venu un jour après qu’un rapport parlementaire a complètement nié et négligé la crise des femmes autochtones assassinées et disparues et a empêché aucun action ou réponse au niveau national. Cela fait partie de la colonisation continue et sa violence inhérente contre les communautés autochtones, et en particulier les femmes autochtones. Pour plus d’information sur les femmes assassinées et disparues au Canada: missingjustice.ca

Pendant le blocage ferroviaire, Shawn Brant, Matt Doreen, et Marc Baille ont été arrêtés et font face aux accusations allant de méfaits liés aux blocages de la route et du chemin de fer ainsi que voie de fait sur policier. Steve Chartrand a été également arrêté le jeudi après le blocage. D’autres accusations ont été annoncés en cour, mais n’ont pas étés portés formellement encore.

Marc Baille est toujours en détention provisoire, après avoir refusé de signer des conditions restrictives qu’il jugeait ingérable et insupportable. Ces conditions, imposées par le tribunal, aurait pour effet de lui interdire de se trouver dans la communauté de Tyendinaga, ainsi de lui empêcher de s’associer ou de communiquer avec des membres de sa famille. De plus, les conditions ne lui permettrait pas de se rendre à son travail, où il travaille depuis quatre ans, ayant une pression foncière importante sur sa famille ainsi que sur le garage à motos où il travaille.

Les deux autres hommes arrêtés samedi ont été libérés dimanche matin. Shawn Brant a signalé qu’il est tombé gravement malade après le repas servi pendant son détention dans un poste de la police provinciale de l’Ontario à Napanee. Malgré ses demandes pour de l’assistance médicale, personne est venue pour répondre à son état de maladie. Pour plus d’information, cliquez ici.

Présentement, le besoin financière pour soutenir ces personnes est urgent. Il faut de l’argent afin de rétenir des avocats, payer des cautions, contester des conditions à la cour supérieur, commander des transcriptions de la cour, payer des frais pour ceux qui restent détenus, et pour soutenir les familles.

Nous encourageons toutes les personnes qui le peuvent à faire un don…

Par chèque: S’il-vous-plait, faites votre chèque à « Solidarité sans frontières » et inscrivez « Soutien Tyendinaga» comme objet. Vous pouvez envoyer votre chèque par courriel à l’adresse suivante (ou, alternativement, visitez la même adresse et laissez le chèque dans le pigeonnier) :

Solidarité sans frontières / Soutien Tyendinaga
1500 de Maisonneuve ouest, suite 204
Montréal, Québec H3G 1N1

Par Paypal : Visitez : www.solidarityacrossborders.org/fr/donate (* svp indiquer qu’il s’agit d’un don pour Tyendinaga)

Pendant ce temps, le gouvernement canadien reste complice dans le meurtre et la disparition des femmes autochtones. Des actions qui exigent la justice pour ces femmes, leurs familles, et leurs communautés sont aussi importants maintenant que jamais.

Mar 182014
 

23 février 2014, prison de Santa Martha, México, DF

Le soir du 5 janvier dernier, j’ai été arrêtée avec mes compagne.on.s Fallon et Carlos pour avoir supposément attaqué le Secrétariat Fédéral des Communications et Transports de Mexico, ainsi qu’un concessionnaire de voitures Nissan. Des vitres ont été brisées et des cocktails molotov ont été projetés à l’intérieur du ministère, (selon ce que les preuves disent) et dans les voitures neuves du concessionnaire. Les dommages se sont élevés à plus de 70 000 pesos au ministère et de plus de 100 000 pesos au Nissan.

Effectivement, je suis anarchiste et je vis à Montréal, au Canada. J’étais de passage au Mexique, et voilà que mon voyage se prolonge de quelques temps.

Après avoir été arrêtée, on nous a enfermé pendant 96 heures, pour ensuite nous transférer au Centre Fédéral des Arraigo- sans même avoir vu un juge. Nous y avons été séquestré pendant 40 jours. En cellule, 23 heures sur 24, une cigarette par jour, fumée en 10 minutes; 3 repas par jour, mais avec seulement 10 minutes pour manger à chaque fois, sans parler; pas le droit d’avoir de crayon; 9 minutes de téléphone par jour… Bref, c’était l’attente, et il ne se passait rien d’autre que la télé ouverte, du matin au soir, avec les «télé-novelas» mexicaines qui passaient. Une chance que nos ami.e.s nous ont envoyées des livres! Merci, je ne sais pas comment j’aurais survécu sinon.

Le jour 40, le Procureur Général de la République (PGR- police fédérale) transfère nos dossiers à la PGJ (police d’état) parce qu’ils n’ont pas de preuves pour nous accuser au fédéral. Ansi, depuis le 17 février, Fallon et moi sommes à la prison de «Santa Martha», prison d’État pour femmes à Mexico City, où nous avons été transférée et Carlos se trouve à «Oriente», une prison d’État pour hommes à 20 minutes de nous. Ici, c’est une micro-société entourée de béton et de barbelés, mais où on peut faire ce qu’on veut à l’intérieur des murs.

Au moment où j’écris ce texte, il est 7h30 du matin. Je suis dans la cour et je regarde le soleil se lever derrière la tour de garde qui occupe le paysage. En vrai, je me sens presque dans une cour de HLM quand je regarde le bâtiment avec les vêtements qui pendent aux fenêtres sans barreaux. Y’a plein de pigeons, de poubelles, de gazon jauni et de barbelés. Y’a aussi plein de gens avec leurs histoires.

La prison, comme la police, est un fait nécessaire au maintient de la paix sociale. C’est la domination et le contrôle qui permettent à ce monde dégueulasse de persister. La prison signifie peur, inconnu, honte, solitude, isolement. La société c’est le dressage des individus en bons citoyens. Ainsi, ma force en tant qu’individue prend racine dans le refus que la peur soit une limite dans ma vie. Bien sûr que j’ai peur, comme tout le monde, de plein de choses, mais mes désirs de liberté sont plus forts. La peur est souvent construite et se déconstruit quand on y fait face. Ce qui importe, c’est de voir plus loin, de dépasser les cadres, les frontières, au delà des murs, des montagnes, des fleuves et des océans.

Je suis ici pour je ne sais combien de temps, mais je ne m’apitoie pas sur mon sort. J’ai confiance que dehors, la lutte continue et les gens se rencontrent, s’aiment, se détestent, vivent, osti. En fait, je ne me sens pas à l’aise que des gens focussent sur notre cas sans engager leurs propres luttes dans leurs contextes. Je pense que la meilleure solidarité se construit dans le partage des forces individuelles et collectives. Le pire pour moi serait que rien ne se passe dehors, alors que nous sommes séquestrées ici, mais je sais que mes ami.e.s continuent, malgré les difficultés auxquelles nous devons faire face. Ma réalité d’anarchiste en prison n’est qu’un fait parmi d’autres avec lequel nous devons nous adapter. Le plus difficile est souvent de maintenir et protéger les liens de confiance entre compagne.on.s avec qui nous partageons des affinités pour pouvoir penser dans le long terme. Lorsque c’est possible, cela fait émerger des possibilités inimaginables.

En ce sens, mes idées et analyses restent les mêmes qu’en dehors. C’est pourquoi je n’ai pas envie de changer mon discours pour recevoir l’appui des gens. J’apprécie énormément les efforts de solidarité qui ont été fait jusqu’à maintenant, par contre, je me distancie de certaines initiatives qui ont été prises en solidarité avec nous, à Montréal : lors de la vigile qui eut lieu devant le consulat mexicain, le discours exposé dénonçait la torture et le non-respect des droits humains pratiqués par l’État mexicain. L’ONU a été mentionnée avec un ton réformiste et progressiste. Honnêtement, j’apprécie que plusieurs personnes se préoccupent de notre cas, seulement je refuse d’utiliser ces discours réformistes illusoires. Pour moi, l’injuste, la torture et le non-respect des droits humains font partis intégralement du monde tel qu’il est. Les droits sont régulés par l’État et sont suspendus à tout moment dès que besoin se fait sentir. De plus, cela favorise l’idélogie de la démocratie (des droits pour des citoyens), la plus grande des illusions qui soit. Et surtout, appuyer nos idées en faisant référence à des instances du pouvoir telle l’ONU ne peut construire une lutte anti-autoritaire forte. Ce n’est pas en tentant d’influencer l’opinion publique avec des discours réformistes que l’on pourra construire les bases solides d’une lutte irrécupérable.

Je dois dire aussi que je n’ai honnêtement rien à faire des syndicats étudiants et de travailleurs, et cela même dans l’idée du «syndicalisme de combat» très à la mode chez moi, à Montréal. Ces organisations sont formelles et bureaucratiques. Elles reproduisent la «démocratie directe». Ce sont ces mêmes structures que je veux détruire, qui imposent une distance entre les individus, dans le rapport des individus au monde et au vivant. La formalité, la bureaucratie, la loi, et l’institutionnalisation transforment les liens entre les personnes. Ils figent les possibilités de transformation constante, exactement comme le font les partis politiques. Ils tentent d’organiser et de diriger «la masse informe».

Ainsi, il y a une contradiction évidente : nous avons été appuyées par des associations étudiantes au Québec. Pour ma part, je n’ai aucun problèmes avec le fait d’accepter cet argent qui nous aidera sans doutes à sortir de prison. Mais je dois dire que selon moi, ces organisations n’ont rien de révolutionnaire. Elles sont pourries à la base. Elles sont fondées sur des structures d’organisation maoïste et sont entièrement formelles, avec leur code de procédure de politiciens. Ce langage est incompréhensible. Des orateurs charismatiques manipulent les votes des masses en exprimant ce que la majorité veut entendre plutôt qu’en parlant avec le cœur. Des foules de 100 000 personnes marchent comme des zombies, chantent et répètent les même slogans réformistes et retournent ensuite chez eux, dans leurs quotidiens.

Dans la situation dans laquelle je me trouve, en attente de ma sentence ou de ma libération, exprimer ouvertement que je suis anarchiste peut me mettre dans la précarité. J’ai choisi de le faire, de toute façon. Plusieurs fois, j’ai ressenti le besoin de communiquer avec d’autres anarchistes ayant vécu des situations semblables. Confronté.e.s à la répression de l’État , il y a plusieurs façons de réagir. Je pense qu’utiliser un discours modéré procurent des privilèges tels que sortir de prison plus rapidement, obtenir du financement ou se faire accepter socialement. Mais je pense qu’aussi longtemps que les discours et les actes seront modérés, il sera difficile de propager des pratiques insurrectionnelles et anti-autoritaires. C’est pourquoi il est important de communiquer mes idées ouvertement et en connaissance de cause.

Je ne sais pas combien de temps je serai enfermée ici, mais une chose est certaine : ce ne sera pas pour toute la vie. J’ai la chance d’avoir des ami.e.s et des compagne.on.s de luttes géniaux, et je ne me sens pas seule. La force et le courage se trouvent d’abord en soi. Il y a un univers de possibles, ici comme ailleurs. Toutes formes de domination sont à combattre, autant celle qui crée les structures et les institutions que celles qui s’immiscent dans nos relations. Il n’existe pas de paradis ni de monde parfait. La liberté c’est le mouvement et le conflit permanent, en confrontation avec le monde des images, des symboles et des apparences. La liberté, c’est la destruction des structures de domination sur nos vies. Au Mexique, à Montréal, en France, à Vancouver, aux Etats-Unis, en Espagne, en Grèce, au Chili, en Égypte, en Belgique, en Italie, en Allemagne, en Angleterre, en Hollande, je salue mes ami.e.s et compagne.on.s de lutte. Pour la liberté totale, je souhaite que des liens se forgent dans la lutte.

En solidarité avec Carlos «Chivo» et Fallon.

Avec Amour, à bas les murs de toutes les prisons.

Amélie.

Pour écrire à Fallon et Amélie :

Centro Feminil de Reinsercion social Santa Martha Acatitla
Amélie Trudeau / Fallon Rouiller
Calzada Ermita
Iztapalapa No 4037
Colonia Santa Martha Acatitla
Delagation Iztalpalapa
C.P. 09560

Fév 272014
 

Source

Depuis quelques mois, les dénonciations d’agressions sexuelles se succèdent à l’intérieur du milieu militant montréalais. D’abord, il y a eu l’envie d’affronter la culture du silence et les positions de principes inappliquées qui traversent ce dit milieu. Il y a eu l’envie de confronter l’habitude de préserver un front uni des conflits internes, d’attaquer la loi paternelle ou patriarcale qui veut toujours escamoter les violences sous le tapis de la bonne entente à la table familiale, qui cherche à minimiser les actes destructeurs pour éviter « la chicane ».

Une des grandes forces du féminisme est bien d’ouvrir une porte qui nous permet d’interroger nos rapports, d’examiner leur ancrage structurel, en vue de s’affranchir des normes qui les régissent. Pourtant, nous ressentons que la situation actuelle bloque le débat : des tabous apparaissent, toutes les avenues semblent piégées.

Est-ce normal que, même si nous nous considérons féministes, nous trouvions difficile de prendre la parole pour interroger ce qui se passe, pour nommer notre malaise qui va grandissant? Nous le faisons même si nous sentons que cela nous fait aujourd’hui courir le risque de nous faire traiter en ennemies, ou associer au backlash. Ni silence, ni censure.

Nous allons donc tenter d’exprimer quelques réserves, pointer les dangers qui nous guettent, les dérives possibles, et surtout, tenter de rouvrir la porte.

premiers pas sur corde raide (pdf)

Derrière les principes à la base des processus en cours, il y a des raisons, des attentions qu’il s’agit de faire valoir. Ces raisons et ces attentions, nous les partageons. Par exemple, il est bien entendu nécessaire que ceux et celles qui vivent des agressions soient en mesure d’en parler et de ne pas être isolé.e.s dans le silence. Cette nécessité implique que le mot agression ne soit pas attribué à des gestes en particulier, ou qu’il en exclue d’autres : il désigne une façon de poser des gestes, et c’est à la personne qui les vit comme tels de l’établir. Ainsi, il n’y a pas à remettre en question ce vécu – car cela reviendrait à discréditer et à bloquer la mise en partage d’expériences douloureuses, et à faire l’impasse sur la problématique de l’attention à l’autre dans nos relations. Si ce sont ces mêmes sensibilités qui nous guident, nous croyons toutefois qu’elles ne peuvent donner lieu à un protocole de règlement, non critiquable et applicable sans égard aux situations. Ainsi, c’est le traitement que nous souhaitons questionner.

Le processus en cours semble être porté par deux logiques. D’un côté, ce qui est appelé « justice transformatrice » suppose un tissu de relations déjà existantes avec lesquelles il faut composer, une « communauté » plus ou moins concrète, ainsi qu’une volonté, plutôt bienveillante, d’investir les rapports et de les transformer. De l’autre côté, le fond théorique qui sous-tend le discours est celui d’une opposition claire, catégorique, contre la classe des « hommes » – visible dans des déclarations du type « tous les hommes ne sont pas des agresseurs, mais tous les hommes profitent des agressions », ou dans la réticence exprimée à l’idée que des hommes discutent entre eux des rapports de domination. On affirme ainsi une logique plutôt guerrière, où il ne s’agit plus de composer mais de combattre le camp opposé, celui des « hommes ».

Deux tendances s’entremêlent : soit il y a une communauté qui devrait collaborer de bonne volonté avec les visées transformatrices du comité, soit c’est la division sexuée qui prévaut, et toute communauté n’est qu’une fiction qui recouvre la réalité violente de la division entre hommes et femmes. Ni l’une ni l’autre de ces logiques n’est fausse en soi, lorsqu’elles sont assumées comme telles: ce qui trouble, c’est leur cohabitation non problématisée, et les contradictions à laquelle elle donne lieu.

Ainsi, le comité de justice transformatrice se retrouve dans la situation ambiguë de mener en même temps un combat frontal contre la logique de solidarité masculine et la domination patriarcale en général, et de ne devoir en même temps son pouvoir et sa légitimité qu’à son activité au sein d’une communauté militante qui, se disant « féministe », se doit d’être cohérente avec ses propres principes. L’efficacité des moyens de base du processus, la dénonciation « publique » d’agresseurs et leur exclusion, repose d’ailleurs sur l’existence d’une telle communauté, qui s’en fait garante. Suivant un même mouvement, une autre contradiction taraude : alors que les hommes, surtout, mais aussi les critiques, n’ont pas voix au chapitre, on s’attend à ce qu’ils respectent, voire à ce qu’ils adhèrent explicitement au consensus général, fondateur de la communauté.

Cette contradiction nous mène donc à l’hybridation quelque peu effrayante des deux logiques, conservant le spectre d’action et le soft power de l’une, et l’intransigeance de l’autre. Ainsi, ni la réelle transformation des rapports ni la guerre ne sont assumées en tant que telles.

Une telle ambiguïté ouvre la porte à ce que le processus dégénère en une simple justice d’exception. Étrange asymétrie où une fois que tombe l’opprobre, l’individu accusé, automatiquement coupable, ne bénéficie pas des principes sur la base desquels il est jugé. La justice d’exception permet aussi au comité de combiner les rôles d’accusateur, de juge et d’exécutant de la peine. L’idée ici n’est pas de s’insurger contre le « traitement injuste » fait à l’accusé, de crier au non-respect de la présomption d’innocence – après tout, il peut être entendable que le respect de ces principes n’est le problème ni de la personne ayant vécu une agression, ni du comité. Ce qui est plus inquiétant, à plus long terme, c’est ce à quoi nous amène collectivement une telle logique d’exception : face à une telle « justice », situation kafkaïenne où rien ne semble pouvoir être dit ni discuté, on pourrait en venir à regretter le bon vieux tribunal d’État.

Les actes de dénonciation résument en eux-mêmes toute la confusion du processus en cours, rassemblant en un seul geste une déclaration de guerre et l’ouverture d’un processus de transformation des rapports. On ne saurait remettre en doute la nécessité de sortir du silence, même si cela implique des conflits à l’intérieur du dit milieu. Or, on ne peut pour autant éviter d’affronter la question de savoir à qui l’on s’adresse et pourquoi.

Beaucoup de collectifs de féministes black et de queers1   se sont confrontés à ce problème: faire appel à la justice de l’État ou ne serait-ce qu’aux médias redoublait la violence de la société à leur encontre sans rien résoudre des violences dans leurs communautés. Les processus de justice transformatrice sont en partie nés dans de tels contextes. Ces collectifs prenaient acte de l’impasse logique qu’il y aurait à prendre pour juge une société qui les opprime dont ils nient les fondements. La question posée par un certain féminisme est ici celle de faire tenir ensemble une communauté de lutte qui s’oppose à l’ordre dominant, tout en tentant de contrer les reproductions de cet ordre à l’intérieur de cette dite communauté. Il s’agit donc de maintenir l’opposition contre la société majoritaire, tout en travaillant les divisions internes, refusant toute hiérarchie entre ces deux fronts.

La « justice transformatrice » désigne une manière d’agir dans cette complexité. Elle part du constat que ces violences qui se produisent dans une communauté, quand bien même une ou deux personnes serait punies ou exclues, continuent d’arriver. Elle analyse la situation non pas à travers le spectre judiciaire – qui cherche à désigner un coupable et le punir – mais plutôt à travers les agencements collectifs de pouvoir dans lesquels ces gestes se produisent2. La justice transformatrice mise sur la possibilité de modifier les conditions mêmes qui permettent une reproduction de ces violences et pas seulement à exclure quelques éléments indésirables,au fur et à mesure qu’ils apparaissent. Elle tend à se distinguer autant du modèle judiciaire étatique que du spectre d’une « justice populaire », qui n’est pas non plus exempte de dérives.

En ce sens, peut-on faire l’économie de se demander: à qui s’adressent les dénonciations? Quel est leur objectif? On ne pourra s’empêcher de nommer le malaise suscité par un usage symptomatique de Facebook. Drôle de substitut à « l’espace public » inexistant, Facebook est devenu depuis quelques années l’espace de discussion – et d’exposition – par défaut du milieu militant. Et pourtant, ce n’est pas sans péril, car n’oublions pas que sur Facebook, au bout des multiples partages entre « amis », le post intial est accessible à tout chroniqueur, journaliste, employeur, professeur, famille, etc.: à la société entière. Or si la dénonciation publique rend ainsi le privé « public », elle ne le rend pas pour autant automatiquement politique. Rendre politique, c’est-à-dire parler de ce qui est d’habitude confiné au privé, le mettre en partage de façon à tordre un peu nos relations, à faire réfléchir, problématiser les gestes.

Ce n’est jamais simple. Un processus de justice transformatrice, tel que pensé à l’origine, demande avant tout l’instauration d’un climat de bienveillance, de possibilité de dialogue. Ainsi, il devient nécessaire de ne pas bloquer l’échange, la mise en récit, le partage d’expériences.

Évidemment, on n’est jamais obligé de raconter, et le faire ne verse pas forcément dans le compte-rendu policier ou dans le voyeurisme violent qui accompagne l’exactitude des horaires, des dates, des personnes ou des lieux. Il ne s’agit pas de « prouver » qu’il y a eu agression, d’exiger que « justice soit rendue » par l’établissement des faits et d’une définition exacte de ce qui constitue une agression. Il s’agirait plutôt de raconter un geste, un comportement auparavant peut-être jugé inoffensif et dont il faudrait parler, d’autres pouvant s’y reconnaître. Des questions qui pourraient être alors posées : dans quels contextes ces agressions surviennent-elles? Comment s’est établi ce rapport inégalitaire? Qu’est-ce qui permet l’inattention à l’autre, à ses signaux?

Raconter les agressions ainsi, de façon à politiser nos gestes, à les investir, cela implique une certaine prudence dans le recours à la dénonciation punitive. Et à éviter l’usage trop rapide d’une catégorie « agresseur » abstraite, indiscutable, inamovible. Ces dénonciations tombent telles un couperet : elles servent à la fois d’accusation, c’est-à-dire de déclaration de litige et de volonté de réparation, mais aussi de publicisation du geste reproché à une communauté abstraite et au-delà, à n’importe qui, même mal intentionné. Car elles agissent comme une punition immédiate: le jugement est d’emblée donné dans l’accusation, qui ne saurait être remis en cause, et la punition est incluse au passage, par opinion publique interposée. Peut bien s’ensuivre un processus de réparation à la mesure des besoins de la personne ayant vécu une agression : l’exclusion est déjà effective. Il ne s’agit pas de condamner tout recours à Facebook, toute désignation d’un agresseur dans la sphère publique. Seulement, un tel geste ne peut être considéré que comme une stratégie située, comme un outil, partie intégrante d’un processus, destiné à être chaque fois réadaptée à la situation – et non pas comme son point de départ automatique.

Ici, l’exposition du privé mène plutôt à départager entre bons et méchants, force à trancher, ou plutôt à appliquer les bons principes, à prendre des « positions » qui sont de simples étiquettes – « es-tu féministe, ou pas? ». Une dérive pointe à l’horizon. C’est le passage des intentions réparatrices à un code de déontologie. Alors ces principes se renferment, s’appauvrissent en caricatures d’eux-mêmes: ce qui importe n’est plus de prêter attention les un.e.s aux autres mais de respecter un droit, des codes, qui nous protégeraient de nos déplorables manques d’attention, voire nous déchargeraient de la nécessité de prendre soin.

En somme il s’agit d’articuler deux plans, sans jamais les confondre : celui du bien-être de la personne ayant vécu une agression, qui cherche à se reconstruire, et pour laquelle il peut être absolument nécessaire de ne pas croiser la personne qui lui a fait du tort dans certains espaces, et le plan de la communauté à transformer. Pour qu’une telle transformation puisse avoir lieu, il s’agit dès lors d’ouvrir toutes les portes à la discussion, et mettre en partage des expériences, des vécus difficiles, de les affronter. Si le premier aspect implique la personne ayant commis une agression en tant qu’individu, le deuxième doit reconnaître la dimension structurelle et impersonnelle de la violence et de la domination. C’est sans doute la plus grande difficulté à laquelle la situation actuelle nous confronte.

Le deuxième plan excède le cas particulier, qu’il arrache à son exceptionnalité pour l’inscrire dans une dynamique plus large. Il implique d’éviter l’illusion selon laquelle la communauté pourrait se refonder sur une purge salvatrice. La justice d’État fonctionne en partie d’après ce précepte, et pourtant chacun sait qu’elle n’est qu’un système reproduisant cela même qu’elle dit combattre. Identifiant le déviant, l’inscrivant « hors la loi », la société se légitime elle-même, se renforce et se donne bonne conscience. Le recours au cas exemplaire permet à tous ceux qui ne sont pas directement visés par l’accusation de se laver de tout soupçon, notamment en affirmant publiquement leur adhésion au processus. L’effectivité d’un tel recours repose moins sur l’examen intime et collectif des logiques de domination qui contaminent nos rapports, que sur la peur d’être incriminé à son tour. Certes, ce procédé a historiquement fait ses preuves, il peut certainement arriver à modifier les comportements. On peut toutefois douter de sa capacité à installer le climat de confiance nécessaire à l’élaboration durable d’autres rapports.

C’est à ce point, précisément, que se révèle toute la complexité du brouillage entre ami.e.s et ennemi.e.s, à laquelle le féminisme se retrouve sans cesse confronté. Une réelle transformation ne viendra pas de l’adoption d’un code de comportements irréprochables, mais bien de l’attention toujours renouvelée à l’autre et aux signes qu’il ou elle envoie, à la circulation du pouvoir, à la complexité et la profondeur des relations.

Ainsi, de briser le silence, la question devient celle de comment libérer la parole de manière à ce que chacun.e puisse, vis-à-vis de son vécu, examiner ses gestes. Si le problème n’est pas le désir en soi, ni même la séduction, il va sans dire qu’un rapport à l’autre en tant que corps disponible et interchangeable ne pourrait jamais être recevable. Pour dépasser cette superficialité, cette violente médiocrité, il ne s’agit pas de définir les bons comportements. Ce dont il faudrait parler c’est aussi de ce flou, de cette maladresse qu’on a à exprimer nos désirs, notre nullité émotive et gestuelle, la façon qu’on a de se rabattre sur des gestes déconnectés, calqués sur les écrans, parfois trash, en tout cas inattentifs. Se l’admettre, explorer les façons singulières que ça a de se déployer en chacune de nous, de nos relations : voilà peut-être ce qui pourrait nous donner de la force.

premiers pas sur corde raide (pdf)
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1 cf. le livre collectif Black feminism : Anthologie du féminisme africain-américain, 1975-2000, l’harmattan.
2 Ching-In Chen, Jai Dulani, Leah Lakshmi Piepzna-Samarasinha. The Revolution starts at home : confronting intimate violence within activist communities, South end press.
Jan 312014
 

repris de CNA México
traduit de l’espagnol par sabotagemedia

Un gros câlin à tou.te.s les compagnon.ne.s !

J’ai été très heureux d’apprendre les gestes de soutien de l’extérieur envers nous trois prisonniers.ères anarchistes. Nous restons fermes et fort.e.s malgré les accusations ridicules portées contre nous et les commentaires intimidant ( ici, ils nous disent que nous passerons beaucoup de temps en prison ) qui cherchent à éteindre notre identité. Ils ne réussissent pas, parce que nous sommes solides et de conviction.

Aujourd’hui, ils nous ont amenés à déclarer, s’attendant que nous nous déclarons innocent.e.s ou coupables. Sur ce point, je veux clarifier ouvertement quelque chose ; personnellement, je n’accepte aucune des deux positions. Coupable ? Innocent ? Cela donnerait une légitimité aux lois stupides de l’État, dont je ne reconnais pas l’autorité. Après tout l’État et ses lois ne sont que des générateurs et régulateurs de privilèges, d’injustices, d’exploitation et de domination.

J’ai appris quelque chose qui m’a retourné l’estomac ; qu’on nous lie avec le mouvement 132 , #Posmesalto , et d’autres similaires. Je tiens à préciser que d’aucune façon j’accepte cela. Je ne reconnais aucun mouvement d’organisation hiérarchique institutionnalisée. D’aucune façon !

Je veux cracher ma haine pour le système de prison, je ne sais pas si il y en a vraiment qui sont convaincus par la “réintégration”, c’est à dire, que par l’emprisonnement les gens sont domestiqués et resortent mener une vie tranquille en harmonie avec les gens et les fleurs autour d’eux. Je cherche et je vois qu’une seule chose; SÉQUESTRATION, la privation de liberté d’une personne est appelée séquestration.

Grâce à la prison, ils veulent éteindre la volonté de celleux qui luttent pour un monde nouveau, et appellent violent, danger pour la société, terroriste, celleux qui se révoltent. Le seul terroriste est l’État, le principal générateur de violence, qui a le monopole des armes, la torture, et le viol de nos droits naturels.

C’est le système de domination qui nous agresse tous les jours, nous payant des salaires de misère, exploitant les travailleurs, les voyant non pas comme des êtres humains mais comme des machines à faire de l’argent. Il nous agresse quand il détruit la nature pour construire des centres commerciaux, il nous agresse avec ses émissions de télévision, en essayant de modeler nos pensées.

AI FERRI CORTI AVEC LEURS MÉTHODES DE DOMINATION.

Carlos López Marin.