Montréal Contre-information
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Juil 132025
 

Soumission anonyme à MTL Contre-info

J’ai répondu à l’un de ces appels à réinvestir le CSA il y a environ 2 ans. Les anarchistes n’ont rien à faire là tant que le bâtiment est habité. On sait, L’Achoppe est le lieu d’habitation, de fréquentation, de “squat” d’un groupe plus ou moins homogène, en tout cas assez soudé, on le verra, qu’on tend à appeler “les punks”, du fait qu’iels se rejoignent entre autres par amour de la vie d’une certaine scène. Ces gens, en tant que locataires, en transit ou visiteur-euses, n’ont pas l’obligation d’entretenir le Centre Social Anarchiste (rez-de-chaussée et sous-sol) en participant aux instances décisionnelles ou en prenant des tâches. Ça va de soi: on n’a pas le réflexe, en tant qu’anarchistes, de forcer les gens à faire ce qui ne les passionne pas; on pense généralement que chacun-e a quelque chose qui lui tient à cœur et que la place de chacun-e dans la chaîne de (re)production devrait être désignée en fonction de cela. En d’autres mots, on pense que l’on a intérêt, toustes, à ce que les tâches soient menées par passion plus que par obligation. C’est cela, selon les anarchistes, qui pousse à avoir du cœur à l’ouvrage. Or il est pour le moins curieux, en dépit de cette raison, de voir des anarchistes dans une telle situation, qui en est une d’inégalités.

En effet, les gens qui investissent bénévolement le CSA se mettent en position de subir la volonté de gens qui ne conçoivent à peu près pas de responsabilités envers elleux et qui pourtant fréquentent le lieu qu’iels entretiennent. Les “punks”… Je les appelle “les torché-es”… Appelons-les “les torché-es”… Les torché-es ont tout loisir, lors des périodes d’inactivité du CSA, quand on a le dos tourné, de dégueulasser la place et de laisser les anarchistes torcher par la suite. Il n’était pas rare, quand je m’y impliquais, de voir s’attrouper dès la conclusion d’une activité menée par des bénévoles ou d’une journée de travail, toujours plus de dandys dans la cour ou au rez-de-chaussée et de retrouver le CSA dégueulassé le lendemain ou surlendemain. – Quoi!? C’est pas ce qui les passionne, les anarchistes, torcher? Iels ont bien volontairement pris la tâche! – C’pas d’même ça marche, ti gars. Évidemment que les bénévoles torchent volontairement, or c’est pour que le lieu puisse accueillir des projets, principalement menés par elleux-mêmes. Or ces projets, ça prend du temps; et je n’ai vu personne du CSA qui était enchanté-e de se taper deux heures de ménage, initialement prévues pour autre chose, parce que la veille, 2-3 torché-es ont décidé que la bibliothèque devenait un lieu de ramassage de scrap.

Je n’ai vu personne enchanté-e par ce genre de situation, en effet, puisque le temps est limité, d’autant plus que l’on doit déjà se faire exploiter ailleurs, sur le marché du travail. Et c’est ça qui est grave à l’Achoppe: on s’y fait voler son temps, une chose des plus précieuses qu’on a. Si on veut se faire exploiter de la sorte, il n’y a qu’à travailler au communautaire avec une direction qui se paie deux fois le taux horaire du plancher (sans justification aucune que celle d’entretenir la fidélité, le contentement, des hiérarques, versus des employé-es dépendant-es de leurs misérables paies). L’Achoppe a tout d’un centre de bénéficiaires, moins la paie.

Certaines personnes ont eu longtemps espoir de voir les torché-es devenir des personnes responsables.

Ce fut tout à leur honneur: dans le lot de nos déterminations, certaines se contrarient et ainsi, nous ne sommes pas, a priori, condamné-es à faire toujours les mêmes choix. N’empêche, la répétition est signe que certaines déterminations empiètent grandement. Et c’est là que prend tout son sens l’expression “choisir ses combats”. Il faut bien choisir ses combats, en effet, puisque notre temps est limité et que certains sont peut-être, du moins de notre vivant, voués à l’échec, une mise avec trop peu de chances de succès, comme quand on veut “se refaire aux machines” après une énième perte d’argent.

De ce que j’ai entendu, la structure d’organisation du CSA est demeurée sensiblement la même depuis mon départ. Probablement que le système de membrariat s’est ramoli, voire n’est plus existant. C’était quelque chose qui me semblait être respecté avec réticence quand j’y étais. Les signes que L’Achoppe est un mauvais choix, les voici…

• Les torché-es ne s’intéressent généralement pas à la théorie. Beaucoup d’anarchistes se sont proclamé- es tel-les suite à un contact avec des théories sur le travail et l’autorité. Quand est venu le temps de discuter théorie à L’Achoppe, j’ai vu des yeux rouler d’exaspération. Et pour m’exhorter à la patience, on me disait quelque chose de condescendant comme: “À leurs yeux, on est une gang d’intellectuel-les diplômé-es, donc privilégié-es. Faut donc user de tact”… Comme si j’en avais pas lavé des assiettes depuis mes 13 ans… Comme si j’en avais pas ramassé de la scrap depuis que je suis tout p’tit… Comme si mon diplôme m’avait pas valu une dette de 30 000$… Comme si ma mère m’avait pas appris à torcher, parce qu’y était pas question qu’à 2-3 jobs salaire minimum, elle torche toute seule… Privilégié, je veux bien, mais pas à quel point? Comme si ma réalité de pauvre n’avait pas informé mon parcours d’étudiant… Et comme si la théorie n’avait jamais été un outil d’émancipation des masses… Bref, apparemment, les torché-es pensent que la théorie c’est bourgeois, ou quelque chose du genre. Donc, on ne les verra pas aisément se poser des questions à propos d’une organisation équitable du travail, du travail domestique comme d’un travail à part entière (on repassera, d’ailleurs, pour le féminisme à L’Achoppe… n’est-ce pas?), etc.

• Il est un drôle de fait que j’ai encore grand mal à concevoir: certaines personnes, pourtant assez autonomes en maints domaines et assez peu privilégiées, se sentent le luxe de n’avoir à peu près jamais à ne serait-ce que songer aux tâches ménagères; et on les voit préférer, à l’idée d’adresser l’encombrement fréquent que cela implique, d’être interpellées à maintes reprises par les gens avec qui elles cohabitent, détériorant ainsi leurs relations. Je soupçonne que cela nous vient de la famille, de cet amour supposé inconditionnel qui lui est propre, qui cautionne toutes sortes d’abus. La précarité grandissante n’arrange sûrement rien, réduisant davantage les possibilités de sortir de son milieu d’origine. Sans parler du familialisme qui, au Québec, nous colle à la peau… Bref, cela est un autre sujet. De ce drôle de type de gens, il s’en trouvait au CSA entre les périodes d’activités préparées par les bénévoles. Et souvent, quand nous étions ravis-es de l’état de l’endroit à notre arrivée, et que nous félicitions la bonne volonté des torché-es, un-e comembre nous reprenait en nous disant qu’en fait, c’était tel-le organisateur-ice d’événement qui avait fait torcher sa gang avant leur départ… La période que j’ai connue où le CSA était le plus propre, c’était un été où la majorité des habitant-es étaient parti- es, probablement travailler au BC ou quelque chose du genre que les torché-es font l’été. Très souvent, on ne demandait pas de comptes, on se contentait de torcher, par dégoût du conflit puéril, du sermon et du temps potentiellement perdu à chercher qui avait laissé dans la buanderie ses sacs de plastique déchirés ayant contenu des vêtements don’t on savait qu’ils abritaient possiblement des parasites, après une alerte punaises… Il fut question de barrer les portes du CSA et de ne laisser l’accès qu’aux membres, or on s’est mal vu-es priver les locataires de salle de lavage, ce à quoi iels n’ont pas accès autrement dans le bâtiment, me disait-on. Bref, le point est que la cohabitation d’anarchistes et de torché-es ne fonctionne pas dans la mesure où les premier-ères ont très souvent intérêt à rapidement nettoyer plutôt qu’à tenter de trouver l’enfant-adulte responsible de leur désarroi, car le-la bénévole du CSA est présent-e généralement pour préparer quelque activité imminente. Ainsi, les torchées continuent de se faire torcher et ne sont pas poussé-es à changer leur conduite.

• On a envisagé de priver de moyens d’empiéter sur le CSA par la légitimité que conféraient les processus démocratiques en cours… Or cela n’a semblé qu’un rêve aussi. Quand venait le temps de remettre en question des activités associées à beaucoup de soucis et au caractère punk (jam space, dortoir), les torché-es avaient soudainement la forte envie de participer aux processus démocratiques.

On comprend. Le dortoir, plus particulièrement, est un moyen de garder une force du nombre pour les torché-es: pas mal moins intimidant de se pointer en bas, chez les supposé-es intellectuel-les bourgeois- es, quand une partie de ta gang de torché-es vit en bas. De plus, la communauté des torché-es en est une qui voit ses membres en être longtemps et elle pose sa légitimité là-dessus. En effet, quand est venu le temps de refuser un don de légumes à sécher à L’Achoppe, par manque de place et d’effectif, et de répondre à cet individu qui s’indignait que l’on refusât une telle charité, on rétorqua chez les torché-es: “Ah! Mais un tel, c’est un ami de longue date de L’Achoppe!” – Ouin pis? Qui va inventer la place et coordonner tout ça?… Personne? Bah ta yeule. Je ne compte pas les fois où j’ai entendu dire avec fierté qu’un-e tel-le torché-e avait connu L’Achoppe du temps de telle affaire ou de telle autre, quand c’était pas carrément : “L’Achoppe a toujours été punk et elle restera punk”. Ressort un ton héroïque (le terme est peut-être un peu fort) des paroles de torché-es que je rapporte. Cette durabilité du « projet punk » n’a pas manqué, clairement, de paraître un signe de vitalité… sauf qu’elle est fondée sur l’abus en vérité.

• C’est quoi le “projet punk”? Après un an et demi d’implication à L’Achoppe, je crois comprendre que c’est un paradoxe. C’est l’inconfort, être toujours entre deux chaises, énerver à la manière d’une mouche qui attend sa claque. Ça fait du bruit pour pas grand-chose, ça recherche sa misère… Jusque-là, en dépit de mon ton, on peut y trouver quelque honorabilité: pas évident d’être parvenu-e avec une telle attitude, d’être un traître à sa classe (versus, disons, des représentants syndicaux, avec le respect qu’on croit généralement leur devoir). Or c’est ici que ça se corse: ça a en horreur toute clarification de rapports.

C’est que ça pense bêtement, parce que, on se souvient, ça n’aime pas la théorie, que structure consciemment travaillée = autorité, plutôt que moyen de coordonner les intérêts. Attendez-la, si vous avez la bêtise de vous investir à L’Achoppe à cause du récent appel, la qualification de votre personne d’autoritaire. Ça se pense vertueux en cultivant l’informel. Certes, il leur arrive, aux torché-es, de fréquenter la structure… On a vu pourquoi. En fait ça en veut bien une structure. Il s’agit de celle que j’achève de dessiner ici, informelle, inconsciente. Notez, ce n’est pas pour dire que les anarchistes, versus les torché-es, ont pour fin une seule structure donnée. Seulement, l’anarchisme, du moins celui don’t je suis, refuse le regroupement bête, de ne pas tenter de prendre conscience, en vue d’atteindre ses buts, des rapports qui unissent et désunissent. Puisque la vie est faite de pressions, d’impacts, de glissements, de frottements, de temps, qu’elle conduit. La bonne foi ne suffit pas toujours à la paix. Il faut parfois d’abord chercher à modifier le contexte. Ainsi les torché-es sont bien plus à risque de stagner que les anarchistes.

En conclusion, les torché-es ont tout pour sentir que leur “projet” leur réussit. Chez les torché-es, on méprise la théorie et ce qui dure, pourtant n’a pas manqué la formation de quelque instinct, ou réflexe, par une Achoppe “still punk” et l’ancienneté de certain-es membres de cette communauté… C’est que l’instinct cautionne à la fois le changement et le durable. Il y a stabilité et stagnation, deux termes signifiant des réalités similaires, mais aux connotations différentes. Et il y a changement et mauvaise surprise… C’est bien là le lot des gens qui refusent de réfléchir et choisissent de n’être qu’un paquet de réflexes: ne pas réaliser les contradictions bêtes par lesquelles on trahit les camarades. Il s’agit bien de trahison, puisqu’il s’agit d’exploitation. En effet, il s’agit, quand on travaille au CSA, d’à peine pouvoir profiter de son travail, alors que d’autres, qui ne s’impliquent pas du tout ou seulement quand l’intégrité de leur “projet”, le “projet punk”, est mise à mal, en profitent tout simplement. En tant qu’anarchiste, paraît d’abord un rare lieu d’expérimentation le CSA. On en ressort généralement déçu-e et épuisé-e. Et on part. Ai-je besoin d’expliciter en quoi cela est terriblement néfaste pour le projet anarchiste? Non seulement cela, mais considérez à un niveau plus personnel. Les choix qu’on fait sont vitaux puisqu’ils nous font plus ou moins gagner du temps. Il est, en ce sens, absolument outrageant de voir les torché-es à répétition flouer des travailleur-euses bénévoles, qui ont bien d’autres choses à faire que de s’impliquer dans un centre social tout pourri des murs aux gens. C’est rien moins qu’un vampirisme. Je disais: on peut penser que l’entretien de ce cycle par les torché-es est instinctif; il s’agit de reproduire une situation qui paraît bénéfique, simplement, de faire comme d’habitude. Et l’anarchisme est toujours là… Depuis quand? Plus de dix ans?… pour renforcer sans cesse cet instinct, en se mettant dans des situations où il est difficile de ne pas simplement torcher ou de ne pas finir par partir et être remplacé-e par quelque personne non avertie. On entend souvent en frais d’introduction à l’anticapitalisme: “L’histoire démontre que le capitalisme ne sert pas l’humanité”. Il faudra combien d’anarchistes passé- es et déçu-es par L’Achoppe pour user de la répétition comme argument? Notez que si le CSA avait un homologue dans les environs, on n’en serait sûrement pas là.

Naturellement, si je me fais chier là, je vais voir ailleurs. Or il n’est pas de tiers lieu comme le CSA dans les environs de celui-ci pour lui “faire compétition”. Et si la tendance se maintient dans l’immobilier, il semble que l’acquisition pour un projet de ce genre d’un autre bâtiment par des moyens légaux s’avérera de plus en plus ardue… C’est la raison pour laquelle plusieurs me disaient ne pas vouloir abandonner le projet: “C’est le seul endroit du genre dans le quartier; un lieu désigné pour l’anarchisme, c’est précieux, surtout de nos jours.” Est-il si précieux s’il y a à peine le temps de s’y investir déjà sans les torché-es? Il n’est pas dit, dans ce contexte, que le temps nécessaire à une sensibilisation efficace, s’il en est, auprès des torché-es en est un raisonnable. Et la tendance n’est pas qu’à la difficulté d’acquérir un bâtiment, évidemment; le temps lui-même se fait de plus en plus rare. Il semble qu’on essaie de gagner du temps avec du temps qu’on n’a pas en maintenant une Achoppe à la fois anarchiste et “punk”. En effet, ne désire-t-on pas entre autres du CSA qu’il soit le lieu de réunions par défaut, le lieu de confection de réserves alimentaires, le lieu de recrutement pour diverses organisations? Tout cela a trait au temps, est censé libérer du temps aux anarchistes.

C’est en raison de tout ce qui précède qu’on doit, je pense, miser sur les propositions suivantes:

• Réaffecter les habitations, afin que ces espaces ne puissent plus être occupés par de simples habitant- es qui n’ont aucun scrupule à saper les projets d’anarchistes.

• Ou enfin renoncer au lieu, le laisser aux torché-es (”L’Achoppe a toujours été punk et elle restera punk”), et faire campagne plus ou moins formellement, selon les besoins, pour que les anarchistes ne s’y fassent plus avoir. On verra combien de temps ça tough un centre social mené par rien que des torché-es… L’Achoppe telle qu’on la connaît n’est sûrement pas la seule avenue de l’anarchisme dans Hochelaga. J’ai tenté de rendre évident le fait qu’elle est plutôt une épine dans son pied. D’autres types de projets existent, et qui peut-être ont plus de chance de nous faire gagner du temps.

Nus