Soumission anonyme à MTL Contre-info
Samedi dernier, plus de soixante personnes ont bloqué pendant plus de six heures la principale ligne du CN à Saint-Lambert, au sud de Montréal, en solidarité avec les défenseur-es de la terre Wet’suwet’en. Il s’agissait du plus long blocage ferroviaire au Québec depuis l’hiver 2020, interrompant le service de Via Rail et immobilisant six trains de marchandises. Les notes suivantes réflètent l’expérience de certain-es participant-es au blocage de samedi.
Nous ressentions de la nostalgie et de l’anticipation en arrivant sur les rails au croisement de la rue Saint-Georges avec des bannières prêtes à être suspendues au travers du chemin de fer et aucune police en vue. C’était un matin ensoleillé, avec une température juste en dessous de zéro et un sol sans neige, un contraste avec la première nuit en février 2020, alors que la température est descendue à -25 celsius et que la neige s’empilait en buttes sur les rails.
Sur le territoire Wet’suwet’en, 4000km à l’ouest, les défenseur-eures de la terre continuent de combattre la construction de Coastal GasLink. Des semaines après que les raids de la GRC sur le Checkpoint Gidimt’en et le Coyote Camp ont mené à 30 arrestations, les appels à se rendre directement sur les lieux à l’Yintah ont été renouvelés et les supporters ont déjà refusé d’accepter la dernière invasion comme une défaite, mettant le feu à des routes et bloquant les travaux de CGL. Leurs actions nous ont inspiré-es.
Une police de concertation
Le Service de police de l’agglomération de Longueuil (SPAL) compte 546 agents et a juridiction sur la cinquième ville la plus peuplée au Québec, de laquelle Saint-Lambert fait partie. Fady Dagher, chef du SPAL depuis 2017, a déjà fait les nouvelles pour « essayer de changer le visage de la police » dans la rive-sud de Montréal. Ses efforts ont été décrits comme « humanisant » et même « révolutionnisant » la police. Le SPAL a récemment reçu 3,6 millions de dollars du gouvernement du Québec pour développer une « police de concertation », au travers de programmes de formation axés sur la prévention, une meilleure compréhension des enjeux sociaux et le dialogue constructif.
Qu’est-ce que tout ça a à voir avec notre blocage de trains? Alors que sur l’île de Montréal, nous aurions fait face au SPVM armés de fusils lanceurs de gaz lacrymogènes et nous menaçant quelque part dans l’heure suivant notre arrivée, nous avons plutôt été abordés par des négociatrices non-armées disant respecter ce que nous faisions et que la police avait d’autant plus nolisé et apporté au blocage un autobus afin que nous puissions avoir un endroit pour nous réchauffer. Bien entendu, l’offre a été déclinée et il est devenu évident que la réelle mission des négociatrices était d’amasser de l’information, mais la faible présence policière (et la musique!) ont permis à l’ambiance de demeurer joyeuse, donnant le temps aux personnes présentes de mettre en place des dizaines de petites barricades au long de 500 mètres de rails avec des traverses de chemin de fer et des branches d’arbres. Les travailleurs-euses du CN ont ainsi dû passer un temps considérable à nettoyer ces barricades une fois que nous avons quitté. La mince ligne de police a même battu en retraite hors des rails pendant que la foule avançait en leur demandant de retourner sur le trottoir.
Une désarrestation
Les masques sont tombés sur l’heure du dîner. Deux gentil-les camarades sont arrivé-es avec une boîte de samosas, mais la police leur a refusé l’entrée sur les rails, les coupant du groupe de personnes qui les bloquaient. Nos demandes répétées n’ont pas fait bouger la douzaine de policiers présents, alors une équipe est sortie des rails afin d’escorter les camarades et la caisse de nourriture dans le blocage. C’est alors qu’un agent du SPAL s’est jeté violemment sur une personne, se jetant avec elle au sol, l’étranglant et lui donnant des coups à la tête. Les manifestant-es ont rapidement encerclé le policier, desarrêté le camarade et repoussé l’agent. Même si certains samosas sont tombés sur la chaussée pendant l’échaffourrée, nous avons tout récupéré et la boîte a pu être ramenée sur les rails, où tous les camarades se sont regroupés en sécurité pour continuer le blocage. Ces samosas ont sans doute été parmi les meilleurs que nous avons mangé.
Arrêter les trains
Le ciel s’est ennuagé et la neige a commencé à tomber en début d’après-midi. Une poignée de renforts du SPAL sont arrivés. Des journalistes ont monté sur la bute d’un côté des rails afin de prendre des photos d’un nouvel angle. Plus ou moins une demi-heure après le dîner, les policières de liaison sont à nouveau entrées dans le périmètre pour nous informer que nous commettions un crime et que nous brisions la loi fédérale de sécurité ferroviaire. Elles nous ont dit que la Sûreté du Québec (SQ), la police provinciale, étaient en chemin. Les slogans « Shut Down Canada » ont enterré certaines de leurs paroles et des cris de joie ont retenti lorsqu’elles nous ont informé que six trains de marchandises étaient bloqués. Nous avons observé les trains s’arrêter et se retirer dans l’échangeur au sud de notre emplacement au travers de la journée, mais nous ne comptions pas. Le blocage a continué.
Essayer de quitter Saint-Lambert
Autour de 15h, il était clair que notre nombre allait bientôt diminuer, alors que la police allait bientôt avoir des renforts mieux équipés. Alors que les rails étaient toujours barricadés et allaient demander une inspection de sécurité détaillée, nous sommes partis en manifestation dans Saint-Lambert. Des voitures du SPAL nous ont suivi de près, tentant de traverser la foule au moins à deux reprises. Nous avons atteint l’avenue Victoria, une rue commerciale de Saint-Lambert, où nous nous sommes dispersés.
La violence policière nous prenant pour cible ne se compare pas à la violence d’être expulsé à la pointe de fusils d’assaut de son territoire par la GRC, mais nous pensons qu’il est important de documenter ce qui s’est produit samedi dernier. Peu après que la manifestation soit terminée et que nous ne puissions plus être un groupe occupant la rue, des policiers ont commencé à poursuivre plusieurs personnes qu’ils suspectaient d’avoir pris part à la manifestation. Quatre violentes arrestations ont été observées dans la zone de dispersion, dans chaque cas la personne visée devait faire face à un nombre important de policiers. Un agent du SPAL a déchargé son taser sur une personne avant de l’arrêter.
Jusqu’à la prochaine fois
Dans le futur, nous espérons être inventi-ves et imprévisibles dans nos dispersions en arrivant à des actions avec différents plans de départ possibles qui prennent en compte différents niveaux d’escalade. Récemment dans la ville de Québec, un blocage de trains a quitté en manifestation le long des rails, sortant au travers d’un trou dans la clôture près d’un campus universitaire, étant immédiatement capable de se mêler à la foule d’étudiant-es.
Malgré les arrestations, nous avons quitté avec une confiance renouvelée dans notre capacité à tenir un blocage pendant plus d’une heure ou deux et motivés pour les prochaines actions de solidarité. Nous sommes impressionnées par la façon dont nous avons collectivement géré différentes formes de pression policière et refusé d’entrer dans le jeu de concertation que nous proposaient les flics.
Continuons de #ShutDownCanada!