Les militant-es d’Extinction Rebellion ont entrepris des actions de perturbation et de blocage un peu partout en Occident dans le cadre de la semaine d’action « La rébellion d’octobre ». À Montréal, le groupe a fait la une des journaux, en arrivant à faire fermer le pont Jacques-Cartier durant plusieurs heures en matinée et en bloquant le boulevard René-Lévesque en fin de journée. De l’aveu des manifestant-es, c’était l’objectif visé par leurs actions : faire un coup d’éclat, donner de la visibilité à la cause environnementale et obtenir une tribune pour parler de l’urgence climatique.

« Un moindre mal pour avoir une tribune »

L’attention médiatique est toutefois une arme à double tranchant, et on a pu le constater dans les jours qui ont suivi ces actions de blocage : on a bien peu parlé d’écologie, et beaucoup plus du dérangement causé par les actions de perturbation. Sur toutes les tribunes, on a vu les militant-es de XR se confondre en excuses et essuyer — parfois bien maladroitement — une pluie d’insultes venant d’animateurs-trices, de chroniqueurs-ses, de citoyen-es ou de politicien-es. 

Bloquer un pont qui relie une métropole et sa banlieue à l’heure de pointe, c’est pourtant bien plus qu’un stunt médiatique. Si cette action a pu convaincre qui que ce soit de la nécessité de prendre acte face l’urgence climatique, ce n’est certainement pas en lisant le Journal de Montréal ou en écoutant Dutrizac crier des bêtises que c’est arrivé. On doit arriver à détourner le regard des médias pour comprendre ce qui est mis en jeu par de telles actions de blocage. C’est un grain de sable dans l’engrenage, qui arrive à stopper la machine capitaliste pendant un moment. C’est ça qui dérange tant, c’est l’interruption de ce monde effréné qui nous entraîne tous et toutes avec lui dans le désastre écologique. Un monde organisé autour du travail et de la voiture — autour des marchandises et de leur circulation — qu’on arrive à interrompre si facilement dès qu’une de ses courroies de transmission se coince. Suffit de quelques crinqué-es avec du matériel d’escalade. 

Au-delà de l’attention médiatique qu’on amène à la cause environnementale, on doit arriver à assumer les blocages pour ce qu’ils sont : une critique de l’organisation spatiale et temporelle de notre société et une attaque envers les infrastructures sur lesquelles repose la destruction organisée de la planète. On ne devrait pas s’excuser de remettre en question le fait que des centaines de milliers de personnes prennent leurs voitures, matin et soir, cinq jours semaine, pour faire plusieurs dizaines de kilomètres vers le boulot. Au contraire, assumons la critique portée par ce type d’action et incarnons les changements qu’on souhaite voir arriver. C’est ainsi qu’on arrive à « convaincre » les gens de se rallier à notre cause : en démontrant que c’est possible de mettre ce monde qui nous tue en déroute, possible de s’organiser et d’agir pour construire d’autres façons de faire et de vivre.

De Hong-Kong à Santiago: Bloquer la métropole planétaire

La puissance contenue dans l’interruption des infrastructures de circulation de main-d’oeuvre et de marchandises n’est pas unique au territoire montréalais. De par le monde, ceux et celles qui résistent à l’ordre existant s’emparent des autoroutes, ronds-points, métros, gares, ports et aéroports afin de briser la mécanique de la métropole et de réinventer leur rapport au territoire urbain. À cet égard, les blocages par des milliers de manifestant-es des aéroports internationaux de Hong-Kong et Barcelone, ou le saccage de plus de 40 stations de métro dans la capitale du Chili, ont mis en lumière la puissance que peut dégager l’interruption des flux de main-d’oeuvre et marchandises à l’échelle de la métropole planétaire. Un militant de Hong Kong défendait, à ce titre, l’importance du blocage des flux pour la suite du mouvement en affirmant que « l’insubordination continue dans le métro, dans les zones commerciales très fréquentées, dans des endroits comme l’aéroport […] peut avoir des effets perceptibles sur l’économie, le flux de touristes, l’investissement étranger, et ce genre de choses ». À la suite de ces actions d’envergure, le discours public porté par les militant-es de Hong-Kong et Barcelone était empreint d’une détermination qui permettait de transmettre le courage dont les forces vives du mouvement ont besoin pour donner suite à la lutte. 

Le territoire du soi-disant Québec est entrelacé entre la métropole et son extension extractiviste qui colonise toujours davantage et poursuit l’entreprise de destruction écologique en cours. Prendre place dans le théâtre de la fin du monde, c’est aussi quitter notre rôle de spectateur métropolitain pour s’imposer sur la scène des espaces mortifères de l’industrie extractiviste. Il s’agit non seulement de bloquer les flux des marchandises vers la métropole, mais aussi d’occuper avec détermination et sans concessions les territoires balafrés par les minières, pétrolières et autres industries extracitviste.

« Quand nous aurons appris à aimer le monde, à aimer la vie plutôt que l’argent »

Dans une lettre ouverte aux militant-es d’Extinction Rebellion, un camarade français de la ZAD écrivait il y a quelques mois que « peut être l’une des meilleures manières d’être rebelle aujourd’hui implique de tomber amoureux-se de quelque part, de s’y attacher si profondément que l’on est prêt-e à tout pour défendre la vie qui s’y trouve ». Derrière la question environnementale, c’est le rapport au territoire qu’on entretient, qui se doit d’être radicalement transformé. Mais que reste-t-il à défendre dans les rues quadrillées des métropoles nord-américaines ? Comment les 500 000 manifestant-es qui déambulent entre les gratte-ciel du centre-ville financier, le port commercial qui borde le fleuve sur des kilomètres et les tours à condos des anciens quartiers ouvriers, peuvent aspirer à prendre racine dans des espaces aussi inhospitaliers à toute forme de vie à même de rompre avec l’ordre des choses ? Comment penser la lutte dans le contexte colonial qui se réactualise sans cesse, et arriver à l’inscrire dans des territoires volés, aseptisés et disputés ? C’est là tout le défi qui se pose aux écologistes montréalais-es : arriver à bloquer et habiter la métropole dans un même mouvement.

Prendre place sur le territoire métropolitain ne consiste ainsi pas uniquement en un blocage, une interruption des activités de celle-ci, mais aussi en une subversion des manières que l’on a d’habiter chaque place, chaque ruelle, chaque parcelle, afin de s’y inscrire dans toute notre vitalité. On doit se réapproprier les rues, les parcs, les bâtiments, en changer l’usage et les faire nôtres : transformer une autoroute en festival, une place publique en lieu de vie, un centre commercial en jardin ! Refusons de jouer le « mort » dans un énième die-in et d’habiter le territoire tel des « images » ternes et sans volonté. Au contraire, nous voulons habiter pleinement avec toute la puissance de notre mouvement les brèches que l’on fracturera dans la métropole. Lorsque les forces de la mort tenteront de nous réduire au silence, nous défendrons inlassablement le territoire et la vie qui l’habite. Nous assumerons une image qui n’est pas le reflet de ce qu’attend de nous le pouvoir, mais le reflet de ce qu’exigent de nous les périls de notre temps.