Montréal Contre-information
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Jan 222021
 

Soumission anonyme à MTL Contre-info

Il y a un truc qui me démange depuis des mois. Pourquoi les anarchistes laissent-iels passer sous silence la répression étatique croissante ? La gauche radicale, n’a-t-elle pas toujours défendu la liberté de réunion, la liberté d’expression et la liberté de la presse ? Mais jusqu’à très récemment, il paraissait que toute mesure prise au nom de la santé publique était à l’abri de la critique.

Heureusement que cela commence à changer. Même au Québec où il existe une tradition anarchiste féroce, ce n’est qu’en réponse à la mise en place d’un couvre-feu que les anarchistes ont commencé à se mobiliser, mais j’ai le plaisir d’annoncer que la gauche radicale québécoise descend dans la rue. Le samedi 16 janvier 2021, la première manifestation contre le couvre-feu a eu lieu dans le quartier d’Hochelaga.

Cette manif donne à espérer encore plus de discussions sur la meilleure réponse de la gauche aux nouveaux défis qu’il faudrait surmonter pour organiser un mouvement de résistance à l’époque de la covid. Quant à moi, j’espère qu’il y aura davantage de réflexions critiques, car nous avons besoin de nous réorienter en tant que mouvement dans ce nouveau paysage politique.

Une année aussi mouvementée risque de nous donner le tournis. Je me demande si l’analyse que j’avais avant la pandémie est encore pertinente dans le monde de la covid. Comment ma perspective doit-elle s’adapter pour prendre en compte les changements ? Le monde a-t-il changé de façon fondamentale ?

Un bon point de départ, c’est la censure. La gauche libertaire – la tradition plus vaste à laquelle fait partie l’anarchisme – s’est toujours opposée à la censure. Cependant, de nos jours, la gauche se retient d’en parler. Il faut reconnaître la manière dont le fake news, les théories de complot et les affaires du genre Cambridge Analytica compliquent la question, alors je l’évoque en pleine conscience de cela, mais il reste néanmoins un vrai sujet qui mérite une discussion. Il nous incombe d’aborder cette question avec sérieux, car nous vivons sans aucun doute une période de censure croissante.

Un exemple d’abord :

Aujourd’hui, Roman Baber, un MPP en Ontario, a publié une lettre pour demander la fin du confinement provincial. Dans sa lettre, Baber soutient que les conséquences sanitaires du confinement – tel que les surdoses, les idées suicidaires et les troubles anxieux – sont pires que le mal causé par la COVID-19. En gros, il avance un argument plutôt insipide que le confinement ne sert pas l’intérêt public. Cette citation résume sa position: « la covid existe, mais la peur de la covid est exagérée. Bien que chaque décès soit tragique, après 10 mois nous savons désormais que la covid n’est guère aussi mortelle qu’on l’a cru dans un premier temps ». Il appuie son argument avec des figures récentes du Center for Disease Control, l’organisation américaine responsable pour la gestion de la pandémie, qui montrent le taux de mortalité de la covid pour des gens dans diverses tranches d’âge. La lettre est consultable ici : https://www.scribd.com/document/490795157/PC-MPP-Roman-Baber-s-Letter-to-Doug-Ford-on-lockdowns

La réponse de Doug Ford ne s’est pas fait attendre. Il a éjecté Baber du caucus avec une interdiction de se présenter de nouveau aux élections pour la partie conservatrice. J’ai décidé d’écrire ce texte car je trouve que cette histoire en dit long sur l’état de la propagande au Canada.

La déclaration de Ford est typique : « Répandre de la désinformation sape les efforts infatigables de nos travailleurs de la santé de première ligne à un moment critique, ce qui met des vies en danger. Je ne mettrai pas en péril la vie d’un seul Ontarien en ne prenant pas au sérieux l’avis des experts dans le domaine de la santé publique. … L’idéologie politique n’a pas sa place dans notre lutte contre la COVID-19 — au contraire, nous avons toujours fondé notre réponse sur la preuve et les données, et nous continuerons de la même manière. »

On aura tendance à prendre cela comme encore du charabia dans la bouche d’un politicard et à l’ignorer, mais je trouve que c’est un bon exemple de l’acceptation croissant d’une attitude selon laquelle le désaccord sera dangeureux, qu’il mettrait des vies en danger et qu’il faudrait le réprimer au nom de l’intérêt public.

Regardons la déclaration de Ford à la loupe. Dans un premier temps, soutenir un confinement n’est pas moins idéologique que s’y opposer. C’est une évidence, mais les paroles de Ford impliquent qu’aucune opposition à l’idéologie de l’État ne sera tolérée. Au fait, il me semble que cette phrase devient plus claire si on remplace « idéologie politique » par « désaccord », ce qui donnera : Le désaccord n’a pas sa place dans notre lutte contre la COVID-19. Ne serait-ce pas plutôt ça qu’il voulait entendre ?

Dans un deuxième temps, quelle désinformation ? Les médias traditionels considèrent les sources citées par Baber comme crédibles. Ford n’a pas précisé, mais le gouvernement a sorti une fiche d’information pour contester les affirmations de Baber, qui vire au ridicule en signalant une coquille. La réponse du gouvernement est consultable ici : https://beta.documentcloud.org/documents/20456206-mpp-baber-fact-sheet

Fait révélateur, il figure dans l’article de la CBC un lien vers la réponse de Ford à la lettre de Baber, mais aucun vers la lettre elle-même, ce qui laisse croire que la CBC trouvait trop dangereuses les « désinformations » pour la publier.

Il vaut la peine de lire l’article de la CBC, car il est typique du triste état du journalisme en 2021. Après avoir rapporté que l’Ontario venait d’annoncer 100 décès ce matin, le journaliste a poursuivi en disant :

« Avec ces nouveaux décès, on marque le nombre de morts quotidien le plus élevé depuis le début de la pandémie, bien que le ministère de la Santé ait affirmé que 46 d’entre eux avaient eu lieu ‘plus tôt dans la pandémie’ et ont été ajoutés au nombre d’aujourd’hui suite à un procédé de ‘nettoyage de données’ de la part de l’unité de la santé publique de Middlesex-London, sans fournir d’autres détails. »

La CBC fera-t-elle suite pour expliquer cette irrégularité statistique ? J’en doute. L’ironie, c’est que le gouvernement se sert de données qui sont d’apparence faussées pour discréditer une voix critique en refutant les statistiques que ce dernier a citées.

Donc quelles sont les désinformations selon Ford ? Les statistiques du CDC ? L’essentiel c’est de savoir qui est en mesure de décider quelles sont les désinformations. Cette question a gagné en importance cette année tandis que les réseaux sociaux ont mis en place des politiques de censure de grande envergure. Les chances s’amoindrissent qu’une personne quelconque tombera sur une opinion critique du récit officiel de la COVID-19.

Les médias canadiens dépendent de plus en plus de l’argent fédéral, ce qui ne fait qu’aggraver le problème. À la base, la diminution du lectorat des journaux et de l’audience des chaînes câblées fait que le modèle économique des sociétés médiatiques canadiennes importantes dépend de plus en plus sur les subventions de l’État. Vous aurez peut-être remarqué que les voix critiques du gouvernement dans les médias traditionels se raréfient et que leurs politiques de rédaction se ressemblent. Il me semble que ce phénomène s’explique par le fait que les rédacteurs savent de quel côté la tartine est beurrée et par conséquent se méfient de la colère de ceux qui contrôlent les fonds sur lesquels ils comptent pour leur subsistance.

Rappelons qu’il y a moins de journalistes en fonction aujourd’hui qu’à n’importe quel autre moment de ces 20 dernières années. En 2021, le travail d’un journaliste est devenu précaire. Dans le climat politique actuel, les conséquences d’exprimer une opinion impopulaire s’avouent sévères. Je me demande si les journalistes n’exercent pas une autocensure. Leur boulot, c’est d’écrire des trucs que leurs patrons publieront. S’ils savent que le boss n’acceptera jamais de publier un article quelconque, auront-ils envie de l’écrire ? Je crois que nous assistons à un rétrécissement de ce qui peut se dire et que nous, en tant qu’anarchistes, doivent réengager avec notre opposition fondamentale au contrôle étatique de nos vies.

Rappelons aussi que les réseaux sociaux épurent leurs plateformes d’infos qui iraient à l’encontre des recommandations de la santé publique. Une telle censure contribue à une pensée conformiste avec comme résultat que toute critique du confinement soit assimilée à une idéologie extrémiste qui existe au-delà des limites de l’acceptabilité. Les progressistes sont rentrés dans les rangs en grande partie. Mais nous, nous ne sommes pas des progressistes.

Il faut qu’on interroge le qui et le quoi de la santé publique, qu’est-ce qui peut se justifier ou non dans son nom. Il faut qu’on dévelope une analyse du sens de « la santé publique », terme qui a gagné en sens et en importance cette année. Quelles sont les implications du terme « santé publique » ? Souvent le terme nous enjoint de subordonner nos besoins et nos désirs au bien commun. Et c’est qui qui déterminera le bien commun ? Nul d’entre nous, bien entendu. « La santé publique » est déterminée par des autorités dont le pouvoir découle de l’État. Donc c’est l’État qui détermine l’intérêt public. Il me semble que la santé publique devient un terme de prédilection dans le lexique de la propagande et il faut qu’on soit de la manière dont ce terme est utilisé.

Voici mes réflexions sur la santé publique. Je crois que ce terme en vient à signifier l’idée de sécurité.

Je crois que les êtres humains veulent la liberté. Cependant, il y a une chose à laquelle la plupart des gens s’y tiennent encore plus que la liberté, et c’est la sécurité. Si un cartel de la drogue menaçait ta vie ou celle de ta famille pour te forcer à bosser pour lui, sans doute tu choisirais la sécurité au lieu de la liberté. Des millions de personnes choisissent la sécurité au lieu de la liberté chaque jour. C’est pour cette raison que quand un régime veut s’assurer de la complaisance d’une population à des fins néfastes, il cherche à leur faire peur. C’est basique. S’il y a une chose contre laquelle les gens troqueraient leur liberté, c’est la sécurité, comme le savent les propagandistes depuis des siècles.

Selon le propagandiste nazi Hermann Goering :

« Le peuple peut toujours être amené à exécuter les ordres des chefs. C’est facile. Il suffit de lui dire qu’on l’attaque et de dénoncer les pacifistes en déclarant qu’ils manquent de patriotisme et qu’ils mettent leur pays en danger. L’effet est le même dans tous les pays. »

C’est analogue à ce que nous vivons de nos jours, non ? Chaque jour, on nous martèle que l’heure est grave. On arrive presqu’à nous dire que nous sommes attaqués. L’unique différence c’est que l’ennemie n’est pas une puissance étrangère, mais plutôt une force de la nature, un virus. Pendant un temps, Trump allait jusqu’à traiter la covid « d’ennemie invisible ».

Dans le rôle des pacifistes, on retrouve les défenseurs des libertés civiques, ceux qui refusent d’accepter les injonctions de la santé publique. Ces gens se font traiter « d’antimasques » ou « d’antivax » pour ensuite faire objet de mépris et de ridicule pour exclure leurs voix de la discussion politique dominante. On les dénonce pour avoir mis des personnes vulnérables en danger et la dangerosité de leurs idées sert à justifier la censure. Le mépris auquel ils font face avertit les autres qui voudraient peut-être s’opposer à la normalisation de mesures arbitraires que ça ne vaut pas la peine.

Il nous incombe de rejeter l’idée qu’on doit être protégés de nous-mêmes. Accepter cette idée c’est accepter la défaite. Si nous acceptons que les informations auxquelles nous avons accès doivent être controlées, nous acceptons qu’on doive nous contrôler. L’État veut nous faire croire qu’il a nos intérêts à coeur et qu’il nous manipule pour notre bien, au nom de la santé publique. Mais moi, je ne l’accepte pas.