Montréal Contre-information
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Juil 172021
 

Soumission anonyme à MTL Contre-info

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C’est à l’hiver 2020, au lendemain du soulèvement anticolonial le plus inspirant de ma vie, que j’ai lu Rattachementsi et Inhabit (traduit par Habiter dans la version québécoise)ii. Les trains avaient recommencé à rouler à travers le pays, et la COVID-19 commençait à réorganiser nos vies, quelques semaines seulement après que nous ayons fait notre petite part dans le mouvement #ShutDownCanada. À Tio’tia:ke (Montréal) et dans ses environs, là où je vis, il y a eu de nombreuses initiatives menées par des Autochtones, notamment des rondes de solidarité qui ont bloqué la circulation au centre-ville, et bien sûr le blocage des voies ferrées qui traversent Kahnawá:ke qui s’est maintenu durant un mois. Sur l’île et autour, l’engagement des colons dans #ShutDownCanada a pris plusieurs formes, notamment le sabotage clandestin d’infrastructures ferroviaires, des manifestations et du vandalisme sur les propriétés de la GRC et de multiples blocages de voies ferrées, dont l’un a duré quelques jours.

Après ces événements, la lecture des propositions amenées par Inhabit et Rattachements a été particulièrement déstabilisante. Ces deux textes sont des représentations d’une pensée politique issue de communautés aux États-Unis et du Québec, fortement influencée par les écrits du Comité Invisible en France et par les mouvements autonomistes européens. Cette tendance politique est parfois qualifiée de tiqqunienne, d’appeliste ou d’autonomiste. Il s’agit d’une orientation politique qui a beaucoup d’influence sur une frange de ceux et celles qui ont participé à l’organisation des actions initiées par des colonsiii à Montréal l’hiver dernier, et ces deux textes semblent être des points de référence importants pour ces personnes. Malheureusement, le début de la pandémie a étouffé ce qui aurait pu être une occasion d’analyser plus en profondeur certaines des différences politiques entre ceux et celles d’entre nous qui se sont organisés ensemble cet hiver-là. Je voudrais clarifier mon désaccord avec la stratégie anticoloniale (ou bien l’absence de) mise de l’avant par Inhabit et Rattachements. J’espère que lors des futurs moments de solidarité et de coalition large comme celui que nous avons vécu l’hiver dernier, nous pourrons avoir une meilleure compréhension des limites de notre potentiel de collaboration. J’espère également que l’engagement critique à l’égard de l’analyse proposée par ces textes arrivera à limiter la manière dont ils influencent la stratégie de solidarité anticoloniale qui guide les actions des colons au cours des années à venir.

Rattachements

S’opposant aux courants dominants de la lutte écologiste (d’un côté les militants qui demandent au gouvernement d’agir pour sauver l’environnement, et de l’autre les individus qui modifient leurs pratiques de consommation pour faire de même), les auteur.e.s de Rattachements proposent une nouvelle approche pour faire face à la crise environnementale et au capitalisme colonial. Cette nouvelle approche consiste à bâtir une « écologie de la présence » par la construction de communesiv. Les auteur.e.s posent le projet de reconnexion avec ce qui « leur a été arraché » dans un sens à la fois matériel et spirituel. Ils souhaitent habiter véritablement le territoire, à partir duquel ils pourront s’attaquer aux rouages du capitalisme tout en y construisant de nouvelles formes de vie. Leur compréhension du problème repose sur le précepte qu’ils n’ont pas choisi d’être jetés dans un monde voué à sa propre destruction, un monde structuré par le capitalisme colonialv, dans lequel leurs « affects sont capturés » et leur lien avec la terre a été rompu.

Les auteur.e.s avancent que « défendre les territoires veut nécessairement dire apprendre à les habi­ter et inversement, habiter vraiment nécessite de défendre les territoires ». Ce faisant, ils affirment que leur rattachement à la terre est un précurseur et une partie intégrante de la lutte anticoloniale. Une « écologie de la présence », écrivent-ils, se retrouve dans le rapport entretenu entre les peuples autochtones et leurs territoires, notamment dans la résistance des zapatistes contre le gouvernement mexicain et à travers l’autonomie matérielle et territoriale Kanien’keha:ka. Cependant, dès le départ, les auteur.e.s rejettent la position sociale comme outil d’analyse. Ils semblent penser que leur propre leur posture de sujets au sein des systèmes de domination n’est pas pertinente pour leur analyse ou pour l’élaboration de leurs stratégies de résistance contre ces systèmes. Les auteur.e.s sont pourtant des colons qui s’adressent (principalement) à d’autres colons. L’abstraction qu’ils emploient est donc dangereuse : ils poursuivent en disant que « c’est lorsque des communautés affir­ment qu’elles font elles-mêmes partie de ce territoire, de cette forêt, de cette rivière, de ce bout de quartier, et qu’elles sont prêtes à se battre, que la possi­bilité politique de l’écologie apparaît clairement ». Cette déclaration peut facilement être comprise comme un appel aux colons à se définir comme faisant partie du territoire s’ils veulent pouvoir le défendre, ou à tout le moins, à se poser sur un pied d’égalité avec les Autochtones lorsqu’il s’agit de penser à quoi devrait ressembler l’avenir du territoire colonial. Que ce soit l’intention ou non, cela ouvre la porte à comprendre l’auto-autochtonisation des colons comme une stratégie décoloniale. Dans une société fondée sur le colonialisme de peuplement comme le Québec ou le Canada, l’État existe en grande partie pour garantir l’accès des colons à la terre, et les Autochtones sont toujours une menace pour cet accès. C’est à la fois l’histoire passée et actuelle de toutes les sociétés de colons. Nous n’avons pas à chercher bien loin pour trouver des exemples où un rapport au territoire se rapprochant d’une « écologie de la présence » a été efficacement mis en pratique par des colons contre les populations autochtones. 

Prenons, par exemple, l’histoire des chasseurs blancs de Mi’kma’ki (dans les montagnes Chic-Chocs en Gaspésie, plus précisément) qui, en 2004, se mobilisaient déjà contre l’incursion de l’exploitation forestière dans la région et qui, ayant chassé sur le territoire pendant un certain temps et se sentant plutôt liés au territoire (voir « faisant partie du territoire »), étaient confrontés à une nouvelle menace : l’établissement d’une « zone contrôlée par les Mi’kmaq qui offrirait des activités de plein air payantes » (une « pourvoirie »). Ce nouveau projet menaçait leur capacité à chasser gratuitement. En réponse à cela, alors qu’ils se réunissaient dans une « tente communautaire » sur le territoire, les chasseurs blancs ont concocté un plan pour s’identifier en tant qu’Autochtones afin de légitimer leurs revendications de rattachement à la terre. Ils ont fondé une organisation qui allait être appelée la Nation métisse du Soleil levant, et ont réussi à empêcher la création de la pourvoirievi. Cette histoire n’est pas une exception en Amérique du Nord, mais plutôt un exemple d’un phénomène répandu où les colons, se sentant très attachés à la terre sur laquelle ils vivent (et ayant même parfois des penchants communaux), se sentent poussés à défendre leur contrôle sur le territoire envers ce qui le menace, incluant les Autochtones ayant leurs propres revendications et relations préexistantes à ce même territoire. Cela implique souvent de revendiquer une identité autochtone, mais ce n’est pas forcément le cas. L’acquisition continue des terres par les colons et l’enracinement de l’idée que la terre leur appartient est au cœur de l’avancement du colonialisme, que la possession soit basée sur la propriété (j’ai l’acte de propriété et donc c’est à moi) ou la spiritualité (je connais la terre, je me sens lié à la terre, et donc j’y ai ma place).  

En examinant d’autres contextes coloniaux, nous pouvons trouver davantage d’exemples des risques posés par l’établissement de projets communaux entrepris avec des objectifs politiques radicaux. Le mouvement des kibboutz en Palestine, par exemple, raconte l’histoire de communes auto-organisées créées à partir du début des années 1900, lors de la deuxième vague d’arrivée de colons juifs fuyant les pogroms d’Europe de l’Est. Les colons du premier kibboutz avaient des idéaux anarchistes d’égalitarisme, rejetaient la « structure socio-économique d’exploitationvii » des fermes établies par la première vague de colonisation, et espéraient miner l’économie capitaliste en développant leurs communes. Ils ont cherché à établir « une communauté coopérative sans exploiteurs ni exploitésviii», ce qu’ils ont fait en 1910 après avoir obtenu l’accès à des terres « qui avaient été récemment achetées par la Palestine Land Development Company au Fonds national juif ix». Cette première ferme a connu un tel succès que « bientôt, des kvutzot ont été créés partout où des terres pouvaient être achetéesx ». Ces communes, tout en se considérant comme une alternative viable et une menace considérable pour le mode de production capitaliste, servaient également la colonie sioniste de Palestine. Aujourd’hui, elles sont communément considérées comme une partie importante de l’histoire nationale d’Israël, et environ 270 colonies existent toujours (bien que leur organisation interne et leur caractère anarchiste se soient considérablement transformés) dans le territoire occupé. Il est clair que si les idéaux anarchistes et anticapitalistes de ces projets peuvent être inspirants, le contexte colonial appelle à prêter attention aux impacts de la colonisation sur les peuples autochtones, et pas seulement aux idéaux ou à la politique interne des communesxi.

Land back ou Retour à la terre ?

L’analyse proposée par Rattachements s’appuie sur une compréhension du monde selon laquelle les colons ont eux aussi été dépossédés de leur rapport au territoire, à la spiritualité et au savoir. C’est sur la base de ce principe que les auteur.e.s tentent d’inciter d’autres colons à passer à l’action. Le zine, écrit et circulant dans des cercles sociaux dominés par des colons blancs aux politiques radicales variées, postule que la solution à la crise écologique réside dans la capacité de ces milieux (là encore, principalement des colons) à créer des communes. Ces communes pourront alors établir une autonomie matérielle et politique en rendant les espaces (terrains, friches, bâtiments, églises, maisons et parcs) « habitables ». En d’autres termes, les auteur.e.s proposent de s’installer et de squatter en commun le territoire, qu’il ait déjà été investi par d’autres colons ou non, en affirmant qu’il s’agit d’une nécessité stratégique plutôt que d’un simple choix de mode de vie.

Je crois moi aussi que le capitalisme est un système qui nous aliène les un.e.s des autres et des êtres vivants dont nous dépendons. Et pourtant, je crois que nous devons être plus spécifiques : le capitalisme colonial a créé un territoire où, dans l’ensemble, les colons possèdent les terres et disposent des ressources ainsi que d’une relative liberté pour établir divers rapports avec le territoire. Cela se fait au détriment des peuples autochtones, qui ont été dépossédés de leurs terres, de leurs langues, cultures et spiritualités, qui sont directement reliées à ces terres et qui orientent leurs relations au territoire. Rattachements suggère qu’une partie cruciale de la lutte écologique anticapitaliste/anticoloniale consiste à modifier les relations affectives et spirituelles que les colons entretiennent avec le territoire, dans un contexte où notre relation matérielle avec la terre – celle de la propriété, de l’appropriation et du vol – reste inchangée et fondamentalement coloniale. Un groupe de colons achetant ensemble une maison communale en dehors de la ville dans le cadre d’une stratégie d’écologie révolutionnaire a très peu à voir avec la réoccupation par les peuples autochtones de leurs territoires ancestraux. Ce deuxième cas s’oppose directement au développement colonial et à la destruction de l’environnement, et il s’inscrit dans une tradition de résistance autochtone au déplacement et au génocidexii. Le premier se reconnaît à tort comme partageant en quelque sorte quelque chose avec cette tradition, alors qu’il est rendu possible par (et se rapproche bien plus) des générations d’empiètement et d’expansion coloniale.

Ce qui brille par son absence dans le programme de lutte écologique proposé par Rattachements, c’est un appel explicite à la restitution des terres aux communautés autochtones. Au lieu de cela, ses auteur.e.s demandent implicitement une présence accrue de leurs milieux (composés majoritairement de colons) sur ces terres, en partie pour arriver à potentiellement soutenir les luttes autochtones. Malgré la reconnaissance du fait que des terres ont été volées (et l’éloge des relations entre les peuples autochtones et le territoire en tant qu’exemples à suivre pour les lecteurs du zine), il manque dans Rattachements la proposition selon laquelle le retour des terres aux communautés autochtones, « Land Back » au sens littéral et matériel du terme, est une pièce centrale de la lutte écologique, et devrait être priorisé face à l’accélération d’un retour à la terre par les colons. Dans le Land Back Red Paper publié en 2019 par l’Institut Yellowhead, les auteur.e.s nous disent que « la question du retour de la terre [Land back] n’est pas seulement une question de justice, de droits ou de “réconciliation” ; la juridiction autochtone peut en effet contribuer à atténuer la perte de biodiversité et la crise climatique. […] La gestion à long terme des terres permet une réévaluation, une planification et une adaptation constantes ». Cela conduit à une protection efficace de la biodiversité et à un espoir contre le changement climatique grâce à des visions du monde culturellement spécifiques, transmises de génération en génération par une présence avec et dans la défense de la terrexiii

Le fait que les colons développent des relations (spirituelles ou affectives) avec le territoire qu’ils occupent n’est pas une condition préalable nécessaire à la décolonisation. Le fait que les colons décident de prioriser l’établissement de ces nouvelles relations avec la terre ne nous rapproche pas de la décolonisation. En posant les relations spirituelles ou affectives des colons avec la terre comme un élément important des luttes anticoloniales, on détourne et déforme notre capacité à se concentrer sur les problèmes beaucoup plus centraux posés par l’État colonial canadien. La dépossession territoriale des peuples autochtones est un élément partiel, mais crucial, de la lutte contre le colonialisme et contre les changements climatiques. Indépendamment des visées politiques des colons, nos relations avec le territoire sont le plus souvent construites sur une tactique de propriété foncière, en raison de la relative facilité d’accès aux moyens financiers ou au capital social qui permettent l’accès à la terre. Je pense, par exemple, aux nombreux projets fonciers collectifs qui ont été lancés par des colons radicaux au soi-disant Québec, et qui impliquent tous la propriété de la terre. Penser à construire une spiritualité fondée sur un rapport au territoire, mais à partir d’une propriété foncière n’a pas de sens. Ce sont des rapports coloniaux au territoire qui sont alors induits, et non pas révolutionnaires. En d’autres termes, la relation entre les colons et la terre doit d’abord être transformée matériellement, pas spirituellement ou affectivement. Les peuples autochtones ont déclaré que « Land Back » leur donnera le pouvoir de reconstruire leurs connaissances, leurs langues, leur culture et leur autonomie. C’est la substance même de la décolonisation : il est crucial que les peuples autochtones soient libres de se développer et de se réapproprier leurs relations avec le territoire, plutôt que les colons ne prennent sur eux de le faire à leur place.

Sur Inhabit et l’autonomie territoriale des colons

Dans Inhabit, un texte provenant des réseaux appelistes/tiqqunniens/autonomistes aux soi-disant États-Unis, le désir du territoire est élargi. L’horizon articulé dans Inhabit repose sur l’extension et la multiplication des communes isolées proposées dans Rattachements. Mais contrairement à Rattachements, dont les auteur.e.s prétendent être engagé.e.s dans leur propre compréhension d’une politique anticoloniale, Inhabit n’articule pas du tout de politique anticoloniale. Ce n’est pas nécessairement surprenant, dans la mesure où les politiques anticoloniales semblent être moins présentes dans les milieux radicaux de colons aux États-Unis qu’au Canada, mais cela reste un écueil importantxiv. « Notre but est l’établissement de territoires libérés – le prolongement, de loin en loin, de zones ingouvernables. De lignes de faille parcourant l’Amérique et conduisant vers le haut lieu de l’autonomie ». Tout comme les colons expansionnistes lors de la conquête de l’Ouest américain, les auteur.e.s d’Inhabit proposent une meilleure manière d’utiliser le territoire et suggèrent de transformer, à leur image, les espaces qui ne sont pas encore mis au service de leur révolution. En d’autres termes, on peut lire les auteur.e.s d’Inhabit comme mettant de l’avant leur propre vision de la Destinée manifestexv : l’expansion de leur rapport au territoire, des lignes de faille se déplaçant sans entraves à travers une vaste Amérique du Nord vide et non-revendiquée. Peut-être en suivant les chemins de fer qui les ont précédés ?

Les auteur.e.s d’Inhabit semblent incapables ou peu interessé.e.s à problématiser le contexte colonial américain. À l’exception de la mention d’une interaction fortuite entre les colons et les familles autochtones dans des contextes où ils sont déjà des camarades, les questions de la race et du colonialisme sont absentes de leur texte. La réticence des auteur.e.s à s’engager face aux communautés autochtones et au contexte colonial dans lequel ils s’inscrivent trahit leur compréhension coloniale du territoire. En proposant une expansion du territoire sans se soucier des revendications territoriales préexistantes qui recouvrent déjà ce continentxvi, Inhabit interpelle ses lecteur.trice.s à partir de l’imaginaire du projet national de l’État colonisateur américain: from sea to shining sea [la référence à l’imaginaire national disparait dans la traduction québécoise]. « Construire l’infrastructure qu’il faut pour soustraire le territoire à l’Économie », pressent-ils. Mais la terre n’a jamais été qu’un simple territoire, et les colons qui l’occupent ont bien plus souvent donné l’impression de la soustraire aux peuples autochtones qu’à l’économie. Il suffit de se tourner vers le sud des États-Unis pour voir comment, par exemple, le fait que des blancs squattent des terres « vacantes » était une conséquence intentionnelle du processus d’attribution de terres aux Autochtones loin de leurs communautés. Les États-Unis comptaient sur le fait que ces communautés seraient incapables d’empêcher les squatteurs de s’installer et de prendre possession de leurs terres. « Que ce soit un espace dans le quartier ou une cabane dans la forêt. Squatter, s’il faut : un terrain, un local, un immeuble abandonné. Il n’y a pas d’espace trop petit, ni trop grand. » Inhabit réoriente la pensée et les stratégies en partant de contextes très différents des leurs (le mouvement des squats en Europe, notamment) et tente de mettre de l’avant des stratégies supposément libératrices pour « habiter » l’espace qui ne font que renforcer l’accès des colons à la terre et leur contrôle. 

La fuite de l’identité

Dans un compte-rendu publié en octobre 2020 intitulé Chasse à la chassexvii (traduit par Hunting the Hunt dans la version anglaise publiée sur le site Territories d’Inhabit), les auteur.e.s (basé.e.s au Québec) reviennent sur le temps qu’ils ont passé à soutenir les communautés anishinabeg qui luttent pour un moratoire sur la chasse à l’orignal sur leur territoire. Ils concluent leur résumé de la situation par la réflexion suivante : « Ce serait une illusion confinant à l’impuissance de penser que nous ne saurions être et paraître autrement que comme des colons illégitimes, indépendamment de “comment” nous entendons habiter ce qui reste du monde »xviii.

 Je trouve surprenant que l’une des conclusions les plus pressantes à tirer de l’organisation en solidarité avec une communauté autochtone soit la nécessité d’échapper à « l’identité » de colon qu’elle fait apparaître. Il me semble que la crainte d’être considéré comme un « colon illégitime » est ce qui motive en partie leurs rejets de la position sociale qu’ils occupent et qui, à son tour, mine leur analyse. Je ne prétends pas que les auteur.e.s n’ont rien à apporter à la lutte anticoloniale parce qu’ils sont des colons. Cependant, je suis en désaccord avec l’importance qu’ils octroient au fait de ne pas être perçu comme des colons, plutôt que d’évaluer quelle est la contribution la plus efficace qu’ils pourraient apporter à la lutte anticoloniale. Leur positionnement de colons dans une société coloniale doit nécessairement faire partie de cette évaluation. Ce rejet de la position sociale est visible dans Inhabit, dans la mesure où la race et le colonialisme y sont invisibles. Dans Rattachements, il n’est visible que comme une chose que les écrivain.e.s fuient : « Extase : béatitude provo­quée par une sortie, un décalage par rapport à ce qu’on nous a fait comme “soi”, comme “position sociale”, comme “iden­tité” ». Dans leur empressement à rejeter les politiques identitaires et à mettre en relation « l’identité » et la position sociale, les auteur.e.s sabotent la lentille qui leur permettrait d’analyser notre contexte de manière plus globale et précise. Ce faisant, leur analyse tombe à plat et ils se condamnent à une approche limitée, affirmant que s’il est stratégique et possible pour les peuples autochtones de construire une autonomie territoriale, il doit être tout aussi stratégique, possible et subversif pour les colons de faire de même.

Le blocus ferroviaire de Saint-Lambert était une action de plusieurs jours, organisée par des colons et réalisée principalement par des colons, qui s’est déroulée l’hiver dernier au cours du mouvement #ShutDownCanada. Cela aurait pu être une occasion d’expliquer de manière proactive et explicite pourquoi nous, les colons, pensions qu’il était important de répondre à l’appel à des actions de solidarité tel que nous l’avons fait, et d’encourager d’autres milieux radicaux de colons à faire de même. Cela aurait pu être très utile dans un contexte où certains alliés des luttes autochtones hésitaient à organiser ou à participer à des actions initiées par des colonsxix. Malheureusement, cette approche de communication proactive n’a pas été adoptée pour diverses raisons, notamment le manque de cohésion politique entre les personnes qui ont organisé l’action de blocage. Au bout du compte, les communications émanant du blocage sont demeurées vagues quant à l’origine des personnes présentes et la stratégie de communication au terme du blocage a manqué l’occasion de parler en tant que colons, à d’autres colons, sur ce que nous pouvions faire pour intervenirxx. Le fait d’obscurcir notre position a permis aux médias grand public d’utiliser plus facilement le fait que nous n’étions pas Autochtones, ce qui les a aidés à retourner l’opinion publique contre nous sans devoir utiliser un argumentaire ouvertement raciste. Notre manque d’analyse claire a également laissé au Premier ministre François Legault la possibilité de nous séparer des autres blocages, parce que nous n’avons pas su expliquer comment nous nous percevions par rapport à eux. Bien sûr, les flics connaissaient depuis le début la démographie des personnes présentes et ont agi en conséquence. Cette approche ne présentait donc aucun avantage tactique, et nous avons perdu l’occasion de présenter une analyse claire et décisive sur les raisons pour lesquelles d’autres colons devraient prendre les risques que nous (ainsi que de nombreuses communautés autochtones) prenions à l’époque. Je crains que le fait d’éviter d’aborder de front les questions de positionnement social et de rôle des colons dans la lutte anticoloniale ne nous conduise à faire des choix similaires à l’avenir.

Inhabit et Rattachements partagent une volonté de produire des affects chez leurs lecteurs les incitant à se considérer comme emplis de pouvoir et de possibilités. Dans cet objectif, ils encouragent les lecteurs à rejeter la culpabilité ou le sacrifice et à se comprendre comme des protagonistes centraux de la lutte. Pour Rattachements, cela se traduit par l’encouragement des lecteurs à se considérer comme « ni coupables ni victimes » de la crise écologique. Cette aversion pour le sacrifice de soi, dans le sens où l’on est prêt à renoncer à quelque chose, nécessite de nier que le colonialisme, ainsi que d’autres moteurs de la crise, continue à nous profiter. Il s’agit d’une évasion préventive de la culpabilité potentielle d’être un colon : nous ne devons pas nous comprendre comme les sujets qui profitent de l’appropriation génocidaire des terres des populations autochtones. Cette impulsion est liée à un rejet de la politique identitaire, et bien que je ne suggère pas d’embrasser une culpabilité démobilisatrice face aux horreurs passées et présentes, je pense que c’est une nécessité à la fois stratégique et éthique de refuser d’ignorer les conditions qui produisent cette culpabilité. Lorsque nous reconnaissons le mode de vie que le colonialisme continue à produire pour les colons et que nous essayons de trouver les causes de cette disparité manifeste, nous nous dotons d’une compréhension du contexte dans lequel on souhaite intervenir, qui est indispensable pour le transformer de manière efficace. Lorsque nous fuyons les sentiments produits par cette disparité en rejetant une étiquette, on pourrait en venir à croire que nous pouvons nous extirper des structures réelles par un acte de pensée ou de magie. Ce sont les conditions matérielles qui doivent être combattues, et non les affects qu’elles produisent.

À partir de là?

Les auteur.e.s de Inhabit et Rattachements pourraient penser que le rejet, sur la base de leur positionnement social, de leurs stratégies respectives d’autonomie territoriale ou de construction d’une autonomie matérielle par l’établissement de communes sur les territoires est essentiellement un refus de construire un mouvement fort – une concession aux effets démobilisateurs des politiques alliées. Au contraire, je pense que ce refus est un choix à la fois éthique et stratégique, à partir duquel il nous faut développer une stratégie révolutionnaire plus forte et résolument anticoloniale. Cela n’affaiblit pas nos mouvements de se détourner de la construction de l’autonomie territoriale pour des communautés principalement composées de colons, si ce vers quoi nous nous tournons est une plus grande attention à la reconstruction continue de l’autonomie territoriale pour les peuples autochtones avec lesquels nous cherchons à être en lutte. Ce qu’il faut, c’est éviter de considérer les colons comme le sujet central de la lutte anticoloniale révolutionnaire et reconnaître que si les positions à partir desquelles nous luttons sont différentes, les chemins que nous prenons doivent également l’être. Toute analyse sérieuse du colonialisme canadien doit considérer les centaines d’années de luttes autochtones contre le capitalisme et l’État comme pertinentes et, à bien des égards, déterminantes pour les chances de succès de ces communautés dans la construction de leur autonomie territoriale. Cette même analyse notera la différence entre cette histoire de lutte et celle des mouvements radicaux de colons dans le soi-disant Canada.

Si nous prenons réellement au sérieux la question de l’autonomie territoriale, nous saurons que cela implique bien plus qu’un « réseau de points de convergences » que nous avons loués, squattés ou construits dans la forêt, ou qu’une constellation de maisons communales en campagne. L’autonomie territoriale, si elle est considérée comme une stratégie de destruction du capitalisme et de l’État, comprend le travail à long terme de développement de zones où les flics ne peuvent pas aller, où l’on peut trouver les moyens de soutenir et de reproduire ceux qui y vivent, où un grand groupe de personnes engagées et connectées de tous âges a les moyens et la nécessité de défendre ce territoire, sur plusieurs générations. Nous pouvons regarder là où ce travail a déjà été fait depuis des centaines d’années pour en voir des exemples : le territoire de Wet’suwet’en, Elsipogtog, le lac Barrière, Six Nations, Tyendinaga, Kahnawá:ke et Kanehsatà:ke. Dans l’ensemble, ce travail n’a pas été effectué depuis des centaines d’années par des communautés allochtones : nous partons de zéro, et donc même si la priorité donnée à notre propre autonomie territoriale semblait éthique, elle ne serait probablement pas stratégique, car les communautés de colons dans une société fondée sur le colonialisme de peuplement ont beaucoup moins de conflits structurels avec le système colonial. Cela ne nous rend pas plus faibles de donner la priorité à la lutte pour l’autonomie territoriale des communautés dont nous ne faisons pas partie. Cela nous rend plus fort.e.s si, ce faisant, nous établissons des relations qui contribuent à des contextes révolutionnaires dans lesquels les objectifs des réseaux révolutionnaires des colons convergent avec ceux des groupes autochtones anticoloniaux. Vers un potentiel plus fort de lutte commune contre l’État colonial.

Notre politique environnementale doit mettre au premier plan les réponses matérielles à la dépossession des terres des peuples autochtones, pour le bien de la planète et dans le cadre d’un engagement plus large en faveur d’une politique anticoloniale. Il est dangereux de glisser vers une politique d’un « retour à la terre », comme le fait Rattachements, car ces approches et ces projets, au mieux, nous détournent de notre objectif et, au pire, préparent le terrain pour le développement de revendications tordues des colons sur les terres autochtones. Ce genre de revendications va briser les relations que nous devrions chercher à établir avec nos alliés autochtones anticoloniaux et risque de renforcer les tendances réactionnaires des colons que nous devrions combattre. Si nous nous considérons comme visant à nous engager dans une lutte commune avec les communautés autochtones contre l’État colonial, nous saurons que nos mouvements gagnent en force lorsque nos camarades sont plus forts et que nos relations mutuelles sont solides.

Si nous nous concentrons sur les réalités matérielles du colonialisme et sur la manière dont il continue à structurer nos vies, nos options et nos ressources, nous pouvons développer des stratégies plus efficaces en nous demandant ce que nos différentes positions sociales permettent et interdisent, et comment nous pourrions mettre ces différences au service d’objectifs communs. Mike Gouldhawke explique que « les gens considèrent le colon comme une identité personnelle, mais il s’agit plutôt d’une relation catégorique entre un sujet social et les États coloniaux »xxi. Comme le dit La Paperson, le terme de colon (et d’Autochtone, et d’esclave) décrit « des relations de pouvoir par rapport à la terre. Il se rapproche d’identité, mais ce n’est pas une identité en soi »xxii. Au lieu de tenter de fuir ces étiquettes, nous devrions faire un meilleur usage de notre temps et nous concentrer à transformer les conditions qui produisent ces rapports de pouvoir.

Le positionnement social comme seule lentille d’analyse pour développer une stratégie révolutionnaire est bien sûr insuffisant. Ce que les gens souhaitent voir advenir comme monde, quelles que soient leurs vies actuelles, relève d’une importance indéniable. Nous devons toutefois être capables de voir et de comprendre les différentes réalités matérielles de ceux qui nous entoure si on souhaite voir ces réalités se transformer dans l’avenir que nous voulons construire ensemble. Voir ces réalités pour ce qu’elles sont, et pourquoi elles sont, nous montre que les relations que les colons établissent avec la terre sont bien moins importantes que celles que nous arrivons à démanteler. Il est évident que soutenir la résurgence de l’autonomie territoriale autochtone doit être une priorité plus importante que de construire notre propre autonomie territoriale. La question qui se pose alors est de savoir comment construire et maintenir des formations qui peuvent offrir un soutien et une solidarité sur le long terme aux populations autochtones qui luttent contre l’État colonial, et comment cultiver au mieux une politique qui continuera à répondre aux contextes, relations et terrains changeants de cette lutte commune pour l’autodétermination et la fin du capitalisme, du colonialisme et du Canada.

Réflexions? anotherword@riseup.net


i Rattachements est disponible en français ici: https://contrepoints.media/fr/posts/rattachements-pour-une-ecologie-de-la-presence et en anglais ici : https://illwilleditions.com/re-attachments/

ii Inhabit est disponible en anglais ici : https://inhabit.global et en français ici : https://contrepoints.media/fr/posts/habiter-instructions-pour-lautonomie . La traduction québecoise d’Inhabit est sortie le 15 février 2021. Je pense qu’il est nécessaire de sougligner qu’une modification importante a été apportée à cette version québecoise sans note de traduction ni explication. À la phrase « Les terres sont rendues à l’usage commun », les traducteurs.trices ont ajouté « et aux Autochtones, en premier lieu ». De ma perspective, ce changement vise à cacher l’absence d’une analyse anticoloniale dans le texte original. Clairement ce petit ajout ne règle pas les problèmes majeurs de l’analyse en général, mais il pourrait faire en sorte que les lecteurs présument l’existence d’une analyse anticoloniale dans le texte de départ, ce qui n’est pas le cas.

iii Pour être clair, moi et beaucoup d’autres, nous nous sommes vus comme des « initiateurs » d’actions spécifiques en réponse à des appels à l’action explicites, dans des contextes changeants qui, selon nous, l’exigeaient et, dans le cas des blocages ferroviaires du moins, étions très clairement inspirés par des initiatives autochtones déjà en cours. J’utilise l’expression « initié par des colons » non pas pour m’attribuer le mérite des événements de ce qui était très clairement un mouvement dirigé par des autochtones, mais plutôt pour noter qu’il y a une réelle différence entre les actions considérées par les partisans et les adversaires comme étant prises par les communautés autochtones et celles reconnues comme des actions de solidarité des colons. 

iv Il convient de noter que les communes qu’ils décrivent sont essentiellement des lieux où il fait bon vivre, où les gens partagent des repas et des activités quotidiennes et se parlent, et pas nécessairement des communes à une échelle où elles produiraient une réorganisation significative de l’économie ou de la reproduction sociale. Il est raisonnable de supposer qu’un changement d’échelle est souhaité.

v Ce qu’ils appellent modernité coloniale.

vi https://maisonneuve.org/article/2018/11/1/self-made-metis/

vii Page 17 de A Living Revolution: Anarchism in the Kibbutz Movement par James Horrox

viii A Living Revolution p. 18

ix A Living Revolution p. 18

x A Living Revolution p. 19

xi Un autre exemple de ce type d’établissement communal dont j’ai pris connaissance durant la rédaction de ce texte est l’établissement socialiste finlandais de Sointula, situé sur le territoire de la Première nation ‘Namgis. Le village a été établi au début des années 1900 sur l’île Malcolm, en soi-disant Colombie-Britannique.

xiihttps://briarpatchmagazine.com/articles/view/100-years-of-land-struggle

xiii Je ne souhaite pas ici dépeindre une vision romancée des peuples autochtones comme n’exploitant jamais la terre, tel que le Red Paper nous met en garde contre cette pratique à la page 60. Je souhaite plutôt nous rappeler que sans la capacité des peuples autochtones à gérer la terre, la destruction du capitalisme nous laisserait encore sans les connaissances intergénérationnelles nécessaires pour en prendre soin de manière efficace. https://redpaper.yellowheadinstitute.org/wp-content/uploads/2019/10/red-paper-report-final.pdf

xiv À l’inverse, les critiques de l’esclavagisme et du racisme anti-noir sont souvent mal intégrées dans les analyses émanant des réseaux radicaux au Canada par rapport aux États-Unis. Il est d’autant plus grave qu’Inhabit ne fasse pas non plus référence à ce type de critique ou d’analyse.

xv La Destinée manifeste (Manifest Destiny en anglais) est une expression apparue en 1845 qui désigne la croyance calviniste selon laquelle les États-Unis sont investis d’un droit divin à l’expansion territoriale et à la colonisation dans l’Ouest américain et ailleurs dans le monde.

xvi Par revendications territoriales préexistantes, je parle à la fois des revendications territoriales autochtones et des revendications de longue date de groupes tels que la Republik of New Afrika.              https://newafrikan77.wordpress.com/2016/04/20/new-afrikans-and-native-nations-roots-of-the-new-afrikan-independence-movement-chokwe-lumumba/

xvii Disponible en francais ici : https://contrepoints.media/posts/chasse-a-la-chasse-recentes-mises-en-acte-de-la-souverainete-anishinabee et en anglais ici : https://territories.substack.com/p/hunting-the-hunt

xviii Il est important de noter que les versions anglaise et française diffèrent de manière significative. Que ce soit en raison d’importantes erreurs de traduction ou de changements intentionnels en prévision d’un lectorat anglophone américain, la phrase la plus proche dans la version anglaise est la suivante “The question of how to inhabit concerns any living being in any given place.” Il s’agit d’une différence majeure.

xix #ShutDownCanada était un mouvement massif, large et hétérogène mené par des Autochtones. Un grand catalyseur a été le raid militarisé de la GRC sur les défenseurs des terres de Wet’suwet’en qui protégeaient leur lieu de vie contre la construction du gazoduc Coastal Gas Link l’hiver dernier. Dans ce contexte, un certain nombre d’appels explicites à des actions de solidarité ont été lancés, notamment par les chefs héréditaires Wet’suwet’en et par des camps spécifiques sur ces terres, comme le point de contrôle de Gidimt’en. Malgré ces appels à l’action très clairs et explicites, je pense que l’hésitation de certains colons alliés à participer à des actions de solidarité initiées par des colons vient en partie de la conviction que toutes les actions doivent être soit dirigées par des Autochtones, soit explicitement approuvées par un Autochtone. Je pense que les critiques des Autochtones sur la façon dont les colons participent à l’organisation anticoloniale sont importantes. Je pense qu’il est crucial de tenir compte de la façon dont les actions d’une personne peuvent être perçues par les communautés autochtones ou avoir des conséquences pour elles lorsqu’on planifie des actions de solidarité. Cependant, sacrifier les principes de sécurité de base du « besoin de savoir » pour obtenir l’approbation des Autochtones sur une action risquée lancée par les colons semble être une forme assez flagrante de tokenisation. Le fait que nos communautés d’organisation à Montréal soient souvent composées en majorité ou exclusivement de colons est une question qui doit être examinée et traitée à un niveau plus fondamental, plutôt que de tenter de le cacher en cherchant à obtenir une approbation de nos choix après coup. Je peux me tromper, mais mon hypothèse sur ce qui s’est passé l’hiver dernier était que certains colons sympathisants ou alliés de #ShutDownCanada s’inquiétaient des risques de participer à des actions de solidarité et utilisaient le fait que certaines actions étaient initiées par des colons pour éviter de devoir prendre des risques et se joindre au blocus. Je pense que c’est regrettable et que cela doit être changé en partie par une analyse anticoloniale plus claire de la part des réseaux de colons.

xx Il existe peu de traces des discours prononcés devant les médias, mais en voici un exemple: https://contrepoints.media/en/posts/declaration-du-blocage-de-saint-lambert-declaration-from-the-saint-lambert-blocade

xxi https://twitter.com/M_Gouldhawke/status/1345150065103388673

xxii https://manifold.umn.edu/read/a-third-university-is-possible/section/e33f977a-532b-4b87-b108-f106337d9e53