Montréal Contre-information
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Articles refusés

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Août 242021
 

En tant que plateforme anarchiste de contre-information, nous cherchons à être un outil et une ressource pour un grand nombre de collectifs et d’individus, ayant des idées, des pratiques et des besoins différents. Par contre, les réalités de la surveillance policière, prenant pour cible toutes formes d’infrastructures associées aux mouvements radicalement opposés à l’ordre social, nous obligent à gérer le projet en cercle restreint. Voilà une tension au sein de ce projet qui nous a fait réfléchir à quelques occasions au cours des dernières années. Nous ne croyons pas être en mesure d’y échapper.

C’est plutôt pour y pallier que nous avons voulu ajouter un certain niveau de transparence à nos pratiques, en publiant en continu une liste des soumissions dont nous refusons la publication, avec la raison de ce refus. Cette pratique emprunté à certains des sites Indymedia prend la forme d’une page que vous trouverez ici, composée pour le moment de quelques exemples tirés des derniers mois afin d’illustrer l’affaire.

D’autres déclarent offrir une tribune pour une grande diversité de tendances, visant à rassembler un maximum de groupes autour d’une unique plateforme au nom de la consolidation, en s’engageant à ne pas centraliser la ligne idéologique, mais refusent tout de même la publication de textes qui posent problème pour l’idéologie dominante au sein du projet, sans devoir rendre compte à personne. Nous tentons de prendre une autre voie : nous voulons diffuser une vision claire des luttes révolutionnaires et anti-autoritaires à partir du contenu publié sur notre site, en laissant place aux débats qui nous aident à approfondir nos idées et à aiguiser nos pratiques, sans prétendre être la plateforme pour toute et chacune des initiatives contestataires et en étant transparente sur les raisons pour lesquelles nous refusons parfois certaines soumissions.

Nos consignes de soumission demeurent les mêmes, ils peuvent être consultés ici.

Nous prenons l’occasion pour souligner que nous ne publions généralement pas les textes en format communiqué de presse, conçu pour remplir les exigences des médias de masse. Nous cherchons à créer un espace pour les récits et réflexions destinés en premier lieu aux gens directement concerné.es par les luttes.

Nous avons aussi tendance à refuser des publications n’ayant aucun lien avec Tiohtià:ke (Montréal), avec une autre région dans les environs ou avec une lutte ailleurs sur le continent que nous croyons importante relativement à notre contexte, comme les luttes de défense de territoire autochtone au soi-disant Canada.

Solidairement,
MTL Contre-info

Une santé à l’échelle humaine : un.e anarchiste vacciné.e opposé.e au passeport vaccinal

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Août 232021
 

Soumission anonyme à North Shore Counter-info

Traduction de Attaque

Le Québec est en train de mettre en place, pour les prochains jours, un système de passeport vaccinal et l’Ontario va probablement faire de même. Le pass est un document confirmant votre identité et votre statut vaccinal, qu’il faudra présenter pour accéder à de nombreux endroits. Pas un jour ne passe ici sans qu’il y ait une avalanche de lettres ouvertes et de messages sur les réseaux sociaux demandant l’obligation de montrer un pass pour se déplacer en la ville, avec chaque travailleur.euse qui se verrait donc attribuer une fonction de flic.

J’ai été entièrement vacciné.e dès que ça a été possible pour moi et tou.te.s mes proches ont fait pareil. Cependant, je pense que le pass vaccinal est quelque chose d’abject et que ceux/celles qui le recommandent commettent une grave erreur.

Le choix de ma bande de se faire vacciner n’était qu’un des résultats des discussions en cours sur la façon de se rapporter à la santé collective pendant la pandémie. Nous n’avons pas obéi aux mesures de confinement ou aux règles relatives aux rassemblements – nous avons établi nos propres lignes de conduite, sur la base de nos propres considérations éthiques, politiques et pratiques. Nous avons posé une question différente. Parfois, cela nous a conduit.e.s à être plus prudent.e.s que ce que la loi permettait, parfois cela a signifié enfreindre les règles. Nous étions loin d’être les seul.e.s dans ce cas et je sais que mon cercle de proches a bénéficié des discussions d’autres personnes.

La pandémie a été quelque chose d’unique dans notre vie, mais ses défis éthiques ne le sont pas : le contrôle du comportement des autres est un élément central dans la politique démocratique. Le gouvernement nous considère comme une masse de personnes à gérer, en vue de différents objectifs, en particulier le profit et la paix sociale. Ils regardent le monde d’en haut, à travers un prisme de domination et de contrôle – c’est autant le cas pour la pandémie que pour le changement climatique et la pauvreté. Des politiciens et des partis différents auront des priorités différentes et notre possibilité d’agir est réduite à préconiser la façon dont nous voulons être géré.e.s – ou la façon dont nous voulons être géré.e.s par ces autres personnes.

Nous en venons à intérioriser la logique de la domination et à mettre les besoins de l’ordre et de l’économie avant les nôtres. Nous commençons à regarder le monde d’en haut, nous aussi, loin de nos propres expériences, de nos désirs, nos idées, nos valeurs et relations. « C’est ça la guerre sociale : une lutte contre les structures de pouvoir qui nous colonisent et nous entraînent à regarder le monde du point de vue des besoins du pouvoir lui-même, à travers le prisme métaphysique de la domination. »

Dans le contexte de la pandémie, regarder le monde d’en haut signifie comprendre la situation à travers les médias institutionnels (qu’ils s’agisse des médias traditionnels ou des réseaux sociaux), à travers des cartes avec différents couleurs, à travers des zones désignées comme « rouges », à travers les débats politiques, à travers des règles énoncées par des experts (je veux leur connaissance, pas leur autorité). Cela signifie penser à nos propres décisions en termes de ce que tout le monde devrait faire, agir nous-mêmes de la manière dont nous pensons que tout le monde devrait agir. Nos propres priorités disparaissent et la possibilité d’action des autres est perçue comme une menace.

En tant que mesure étatique contre le Covid-19, le passeport vaccinal ressemble aux couvre-feux et aux confinements, aux amendes majorées et aux pouvoirs coercitifs accordés aux règlements administratifs. Il s’agit d’une mesure d’ordre public. Toutes ces restrictions sont censées empêcher le genre de conversations qui ont fait descendre les gens dans la rue, ces derniers mois, pour défendre des campements, pour démolir des statues et rendre hommage aux victimes des pensionnats.

Je veux m’opposer à la domination, mais aussi à ses faux.sses critiques. Certains anarchistes ont pensé développer une critique des réponses autoritaires à la pandémie, mais elles/ils n’ont réussi qu’à être réactionnaires. Encore une fois, ils/elles regardent le monde d’en haut, d’où la seule action collective concevable est celle de l’État. Elles/ils se rabattent sur le discours des droits individuels, mais il n’y a rien d’anarchiste dans une liberté soit découpée en petits morceaux qui nous sont données à la cuillère. Leur analyse devient complètement dépourvue de principes lorsqu’ils/elles commencent à défendre le droit des conservateurs religieux à continuer à tenir leurs cérémonies. Elles/ils sont impliqué.e.s dans le mouvement anti-masque, qui n’a rien à voir avec un choix éthique individuel, mais plutôt avec la négation de l’épidémie de Covid-19. Ils/elles finissent bras dessus, bras dessous avec ceux qui considèrent tout bien commun comme une attaque contre leurs privilèges.

Pour moi, la liberté signifie aussi la responsabilité. C’est un impératif individuel de faire ses propres choix, mais aussi de comprendre que l’on est engagé.e dans un réseau de relations. Il s’agit d’association volontaire, mais aussi de comprendre que nous sommes également engagé.e.s dans des réseaux de relations avec tout le monde (sans oublier tous les êtres vivants, la terre et l’eau). Nous avons des responsabilités envers ces réseaux. Quand nos choix face à la pandémie partent de nous-mêmes et se développent vers l’extérieur, vers les personnes que nous aimons et plus loin encore vers les sociétés dans lesquelles nous vivons, nous ne regardons plus le monde d’en haut, mais à l’échelle humaine.

Cela s’appelle l’autonomie et c’est en soi une menace pour les puissants. Cela signifie organiser nos vies sur des bases radicalement différentes, qui entrent en conflit avec les tentatives des puissants de maintenir l’ordre et l’obéissance.

Un système de passeport vaccinaux est un moyen de réprimer l’autonomie. Je m’en fiche d’aller au restaurant ou à un concert et mon groupe continue d’éviter les foules dans des lieux fermés, même si l’État dit que nous ne sommes plus obligé.e.s de les éviter. Organisons-nous pour éviter la répression et continuer à agir selon nos propres priorités. On se voit dans les rues.

Brûler des églises, renverser des statues

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Août 092021
 

De Antimídia

Dans différentes parties des territoires colonisés, les statues des esclavagistes, violeurs, colonisateurs et génocidaires ont été arrachées, déboulonnées ou détruites. Pourquoi se défaire de ces symboles ? Que représentent-ils ? Et quelles valeurs les maintiennent debout ?

[La vidéo est sous-titrée en français.]


Small is Beautiful : Organisation anarchiste et implantation sociale locale

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Août 092021
 

Du Collectif Emma Goldman

Ce qui suit est un texte de réflexion personnelle d’un militant du collectif. Il ne reflète pas nécessairement l’opinion de l’ensemble des membres, mais souhaite avancer certaines réflexions.

Il y a près de sept ans, en 2014, était publié le communiqué officiel annonçant la dissolution de l’Union Communiste Libertaire (UCL). Créé en même temps que sa fondation, en 2008, le Collectif Emma Goldman avait, du Saguenay, consacré beaucoup de son temps et son énergie au projet de fédération dans l’idée de faire prendre de l’expansion au mouvement anarchiste dans la province et en faire rayonner les idées et pratiques au plus grand nombre. L’organisation permettait le développement de campagnes d’actions en unité théorique et pratique qui étaient coconstruites et propagées dans les milieux des différents collectifs (l’UCL en a compté jusqu’à six – Drummondville, Montréal, Québec, Saguenay, Saint-Jérôme et Sherbrooke). Du côté des publications et de la diffusion d’informations, nous produisions le journal Cause Commune (plusieurs milliers d’exemplaires sur papier journal à chaque édition), des revues, des affiches et différentes publications avec une certaine rigueur sur le plan du contenu et des idées. Pour tout organiser, nous nous en remettions au principe du fédéralisme libertaire : les prises de décision se faisaient dans les réunions des collectifs locaux, les décisions étaient relayées par des délégué-e-s aux instances fédérales (d’autres réunions) et aux comités. Il s’agissait d’une forme de démocratie directe. Le temps de gestion, voir ici par exemple tous les déplacements pour des réunions, les longues délibérations sur un peu tout et n’importe quoi, jusqu’aux remises en question sur le graphisme et l’implication dans le secrétariat, était du temps de que les militants et militantes avaient en moins dans leur engagement dans les luttes locales (sans oublier que le nombre d’heures pouvait également précipiter l’épuisement militant). Bien sûr, les outils développés au niveau fédéral étaient d’une grande aide dans le travail local. Mais, sans remettre en cause les principes de fédéralisme libertaire et de démocratie directe, il est tout à fait possible de penser qu’un fonctionnement moins « lourd » (moins énergivore) aurait pu être possible – surtout dans une organisation de moins d’une centaine de membres.

Avec l’expérience acquise au cours des années de l’UCL, le Collectif anarchiste Emma Goldman a continué son chemin en solo à partir de 2014. Bien que nous souhaitions multiplier les collaborations avec d’autres groupes, celles-ci se sont faites plus rares et éphémères – notre condition d’isolement géographique y est sans doute pour beaucoup. En revanche, nous avons pu concentrer l’essentiel de nos efforts et de nos moyens aux luttes sociales du Saguenay-Lac-St-Jean, développer du matériel qui répondait plus directement aux enjeux et cibles de nos milieux et, il faut le dire, passer beaucoup moins de temps en réunion. Travailler en petit groupe a certainement des avantages à ce niveau : la coopération et les décisions se font plus aisément, la recherche de solutions et le règlement des désaccords accaparant moins de temps. Les affiches et journaux que nous avons continué de produire n’ont pas la même qualité que celles de l’UCL, mais elles nous prennent une toute petite fraction du temps qu’elles pouvaient prendre au sein de la fédération.

Tout compte fait, et sans en faire une doctrine, il y a certainement une beauté appréciable dans l’organisation en collectif politique de petite taille. Après tout, il est illusoire de penser que l’implantation sociale de l’anarchisme puisse se réaliser à grande échelle avant qu’elle ne le soit sur le plan local. Les anarchistes ne cherchent pas à prendre le contrôle de mouvements; elles et ils travaillent à la base et leurs pratiques se déploient d’abord à petite échelle avant d’essaimer. Cela n’empêche pas pour autant de développer des liens avec d’autres groupes et de faire appel à eux. Ce modèle d’organisation a, on ne peut le nier, des limites nettes. Il est par exemple beaucoup moins évident qu’un groupe de petite taille isolé reçoive des appuis en cas de répression ou de menaces. Il me semble important de poursuivre les questionnements quant aux formes efficaces que pourraient prendre le développement de liens et d’outils communs avec les camarades de collectifs des autres régions. Comme d’autres, je suis avec attention le travail sur le terrain que font les camarades dans le Kamouraska, sur la Pointe de la Gaspésie, à Sherbrooke, Trois-Pistoles, Gatineau, Hamilton, Québec, Toronto, Montréal, Halifax, etc. et j’y tire, personnellement, l’inspiration pour continuer.

Alan Gilbert

Grèce : Et alors, ces vaccinations ?

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Août 062021
 

De Attaque

athens.indymedia.org / lundi 26 juillet 2021

Alors que l’État grec – comme de nombreux autres États européens – est en train d’augmenter la pression sur sa population pour qu’elle se fasse vacciner contre le Covid-19, des nombreuses personnes semblent avoir cédé à cette imposition de « faire le choix de la responsabilité ». Qu’il soit clair que nous pensons que des individus peuvent avoir des raisons légitimes de se faire vacciner. Nous ne portons pas de jugement moraliste sur le fait de se faire vacciner ou pas. Mais nous continuons à être réticent.e.s. Nous pensons que tout le discours sur le fait d’assumer ses responsabilités vise en fait à donner plus de pouvoirs à l’État, en créant une société à deux vitesses, avec des privilèges pour celles/ceux qui se conforment aux règles et des sanctions pour ceux/celles qui ne veulent ou ne peuvent pas s’y conformer. Cela signifie un renforcement du contrôle et des inégalités.

Crois aux dirigeants

Nous ne pensons pas devoir nous attarder longtemps sur ce point. Nous avons été obligé.e.s de porter des masques lorsque nous marchions seul.e.s dans un parc. Nous avons reçu des amendes parce qu’on était dans la rue la nuit, alors que pendant la journée les métros étaient bondés. Nous avons été insulté.e.s parce qu’on était assis.ses dans des squares, alors que des lieux de travail en intérieur fonctionnaient à plein régime. Et nous les avons vus calculer cyniquement les coûts des lits d’hôpitaux supplémentaires, par rapport à la fermeture de secteurs de l’économie. Nous les avons vus choisir d’enrôler plus de policiers, alors que la santé des gens était en jeu. Nous les avons vus essayer d’étouffer toute forme de protestation, alors qu’ils adoptaient de force des politiques encore plus marquées dans le sens de l’exploitation et de l’oppression. Ils ont perdu toute crédibilité et ils le savent, la seule chose qu’ils puissent encore faire c’est nous forcer et faire du chantage.

Crois aux données

On nous dit que les données sont claires, que se faire vacciner est un choix sûr (le plus sûr). Mais même si nous acceptons que les données existantes sur les vaccinations soient correctes, il y a tout un tas de données que nous n’avons pas (encore). La première chose qui saute aux yeux est que tous les vaccins disponibles ont été approuvés de manière temporaire, avec une procédure d’urgence. Aucun des vaccins contre le Covid-19 a été approuvé jusqu’au bout et ils ne peuvent pas l’être, puisque on ne dispose d’aucune donnée sur les effets à long terme. Nous pouvons formuler des hypothèses sur la base d’autres vaccinations similaires effectuées par le passé (même si les vaccins basés sur la nouvelle technologie ARNm n’ont pas une histoire de ce type), mais il n’y a aucune garantie pour le long terme. Chaque personne qui se fait vacciner devrait en être pleinement consciente. Et rien qu’à cause de ce seul fait, toute obligation ou pression pour se faire vacciner est éthiquement injuste.

Les données dont nous disposons sur les vaccins proviennent principalement d’essais en laboratoire et dans des environnements contrôlés. Ces tests doivent être menés dans des conditions strictement contrôlées (même s’ils sont faits sur des personnes qui vivent leur vie de tous les jours), afin de pouvoir tirer des conclusions significatives sur les causes et les effets. Bien sûr, la vie réelle comporte de nombreuses complications, des interférences, des événements imprévus, etc. Par conséquent, ces données peuvent prédire le comportement des vaccins seulement de manière très limitée. En effet, nous avons vu que les recommandations sur les personnes auxquelles certains vaccins ne doivent pas être administrées et les listes des possibles effets secondaires sont mises à jour pendant que les vaccins sont déjà inoculés dans le monde réel et que des problèmes imprévus commencent à se produire. À cette échelle, des effets secondaires qui n’affectent qu’un toute petite pourcentage de personnes vaccinées peuvent représenter en réalité un dommage collatéral qui s’élève à plusieurs milliers de personnes. Même dans les meilleures conditions, la médecine moderne est loin d’avoir un bilan impeccable lorsqu’il s’agit de respecter la vie dans toute sa diversité, ses nuances, ses complexités et sa totalité. Ne vous y trompez pas, ce qui se passe est une expérience à grande échelle.

Crois en la science

On nous dit de faire confiance à la science. Mais même si nous ne regardons que les recommandations scientifiques pendant cette année et demie de pandémie de Covid-19, cette affirmation est naïve ou malhonnête. Au début de la pandémie en Europe, le port du masque était fortement déconseillé. A l’époque la théorie était que le virus se propagerait par contact et que la désinfection était donc la bonne réponse (et il y avait une pénurie de masques, ils étaient donc réservés au personnel hospitalier). Quelques mois plus tard, cette opinion a changé et il y a désormais un consensus sur le fait que le virus se propage à travers l’air et non par contact. Soudain, les masques sont devenus la réponse à tout. Néanmoins, nous continuons aussi à tout désinfecter (au lieu d’aérer – c’est ce qu’on appelle le théâtre sanitaire, où ce qui compte le plus est l’impression de sécurité). Cet exemple montre que la science peut se tromper et que la société au sens large peut mettre encore plus de temps à s’en rendre compte.

Un autre exemple venant de cette pandémie qui montre que nous ne devons pas faire simplement confiance à la science est le flou autour de la théorie de la fuite du virus d’un laboratoire. Dès le début de la pandémie, un article cosigné par de nombreux spécialistes scientifiques de la question affirmait que l’hypothèse que le virus du Covid-19 pourrait provenir d’un laboratoire était complètement absurde. À l’époque, cet article est devenu le fondement sur lequel s’appuyaient les médias grand public, les réseaux sociaux, les politiciens et les spécialistes pour qualifier de théorie du complot toute mention de l’hypothèse d’une fuite d’un laboratoire. Il a fallu une année entière, une époque durant laquelle le virus faisait pourtant quotidiennement la Une des journaux, avant que certains scientifiques et journalistes portent un regard plus critique sur cet article et arrivent à la conclusion que le principal élément de preuve n’était pas pertinent et que certains des auteurs avaient un intérêt direct à préserver la bonne réputation (des méthodes) du laboratoire qui serait le premier suspect dans l’hypothèse d’une fuite du virus d’un laboratoire. Il est maintenant largement admis qu’une fuite d’une laboratoire est possible et que cette piste mérite d’être étudiée (pour être clairs, ni l’hypothèse de la fuite d’un laboratoire ni celle de la zoonose n’ont été prouvées ou réfutées, elles sont toutes deux plus ou moins probables). Ceci est un exemple qui montre que dans la réalité la méthode scientifique n’est pas aussi robuste et infaillible qu’elle le prétend. Un consensus qui change en raison d’arguments non scientifiques (l’opportunisme politique, des intérêts financiers, etc.), un petit cercle de scientifiques hautement spécialisé.e.s qui ne veulent pas ou n’ont pas le temps de se contrôler mutuellement, etc. Depuis la deuxième moitié du XXe siècle (voir par exemple Paul Feyerabend et Pierre Thuillier), la philosophie et la sociologie de la science ont démontré l’écart entre l’idéologie de la science et sa réalité. Pourtant, les gens semblent s’accrocher à une conception très naïve de ce que font les scientifiques.

Crois à l’immunité collective

On nous dit de nous mobiliser pour atteindre l’immunité collective et « être libres », à nouveau, du virus. Pour ce faire, ils proposent l’objectif de vacciner 70% de la population. Mais en réalité ce nombre date d’avant l’apparition de variants (comme le variant Delta) qui sont plus contagieux et contre lesquels les vaccins sont moins efficaces. Gardons en tête aussi le fait que les vaccins sont conçus pour limiter la gravité de la maladie et que la réduction des contagions n’est qu’un effet secondaire (et la plupart des vaccins qui n’utilisent pas l’ARNm ne semblent pas très efficaces sur ce point). Compte tenu de ces nouveaux variants, de nombreux experts croient aujourd’hui qu’en réalité il faudrait 80 % ou 90 % de la population vaccinée pour arriver à l’immunité collective. Ce nombre signifie que – si nous considérons toujours qu’il n’est pas éthique d’administrer massivement un vaccin nouveau et mal connu à des mineurs et que certaines personnes ne peuvent pas se faire vacciner pour des raisons médicales – tout le reste de la population devrait se faire vacciner. Toute politique publique qui a besoin d’une conformité à 100 % pour réussir est vouée à l’échec.

Un autre facteur est que l’immunité diminue avec le temps. On parle déjà de piqûres de rappel après une période de 6 ou 9 mois (ça sera une seule injection ou elle devra être répétée tous les six mois ou tous les ans ? Pour l’instant, nous ne le savons pas), ce qui augmente encore plus les risques d’échec.

De plus, puisque il s’agit d’une pandémie mondiale d’un virus facilement transmissible, il semble très irréaliste qu’un pays ou une région puisse atteindre l’immunité collective à lui seul. De grandes parties du monde disposent à peine des stocks de vaccins ou de l’infrastructure nécessaires pour vacciner une petite partie de la population, sans parler de sa grande majorité. En outre, ils comptent principalement sur des vaccins qui sont moins efficaces pour stopper les infections. Les chances d’éradiquer ce virus sont inexistantes. À ce point, il a atteint sa phase endémique, ce qui signifie que le Covid-19 va commencer à se comporter comme les autres variétés de coronavirus, avec leurs épidémies saisonnières. L’immunité collective n’est que la dernière carotte que l’on nous agite sous le nez, elle sera tôt ou tard remplacée par quelque chose d’autre, pour nous faire croire que nous pouvons atteindre la « liberté », si seulement nous obéissons.

Sois responsable

Le sujet de l’immunité collective (ou du moins de la vaccination du plus grand nombre de personnes possible) soulève la question de savoir qui reçoit les vaccins. Dans de nombreuses régions, les personnes qui courent le risque d’être gravement affectées par le Covid-19, qui veulent se faire vacciner mais qui n’ont pas accès à des services de santé, ne reçoivent aucun vaccin. Alors qu’en Europe, des personnes qui n’ont même pas un grand risque de développer des symptômes légers et qui ont un risque infiniment faible de développer des formes grave disposent de millions de doses de vaccins qui leur sont réservées. L’accumulation des vaccins va encore augmenter avec le besoin des piqûres de rappel. Le fait que, à ce jour, l’OMS ne veuille pas recommander des piqûres de rappel semble dicté principalement par ce genre de préoccupations. Le choix de la responsabilité ou la reproduction des inégalités mondiales ?

L’établissement d’une immunité collective et la rhétorique de la « guerre contre l’ennemi invisible » vont de pair, en pratique, avec un contrôle strict des accès au territoire et une gestion de la population intensifiée. Il semblerait que nous sommes arrivé.e.s à une situation où la soi-disante partie progressiste de la société est désormais en faveur du contrôle des déplacements et de la fermeture des frontières (bien sûr, elles/ils le remarqueront à peine sur leur peau, puisqu’ils/elles possèdent les documents nécessaires pour se déplacer « librement »). Le choix de la responsabilité ou une intensification de la surveillance et de l’exclusion ?

S’il y a quelque chose que nous avons appris des décennies passées – le 11 septembre et la menace du terrorisme, le crash financier et la menace de la banqueroute, l’austérité et la menace du cannibalisme social, les bateaux de réfugié.e.s et la menace de pogroms racistes, le changement climatique et la menace de catastrophes écologiques, etc. – c’est qu’une position qui ne s’oppose pas radicalement au pouvoir de l’État (peu importe qui le détient), finira simplement par le renforcer et ouvrira ainsi la voie au prochain cycle de crises provoquées par l’État et le capitalisme, ainsi qu’à la gestion de ces crises par l’État et le capitalisme.

Anarchistes
Athènes, mi-juillet 2021

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Annonce du 4e Salon du livre anarchiste annuel de Halifax

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Août 042021
 

Soumission anonyme à MTL Contre-info

4 septembre 2021
Pour les anarchistes, et celleux curieu.ses.x à propos de l’anarchisme
GRATUIT dans Kjipuktuk, territoire Mi’kmaq non-cédé

On ne reviendra pas à la « normale ». La pandémie n’a qu’intensifié le contrôle social et la surveillance, le capitalisme et le colonialisme, avec les personnes au pouvoir s’en mettant plein les poches grâce à l’extractivisme industriel intensifié, le prix toujours grandissant du logement et les conditions de travail intolérables. Alors que les défenseurs de ce système colonial et raciste se préoccupent de leurs propres intérêts, nous savons que nous devons nous protéger et prendre soin les un.e.s des autres. Les racines de la destruction écologique, la pauvreté, la suprémacie blanche, le colonialisme, la violence policière, le patriarcat, et autres, reposent sur le concept d’autorité. L’anarchisme nous aide à comprendre les racines de ces systèmes de pouvoir, à articuler nos désirs d’auto-détermination et à imaginer un monde où tou.te.s sont libres. Il est crucial dans cette époque difficile de créer des espaces pour nous rappeler que la libération est possible, partager nos chagrins et notre rage et cultiver une énergie collective qui alimentera nos luttes.

Le salon du livre est pour les anarchistes, celleux curieu.ses.x à propos de l’anarchisme, les amateurs de livres et toute personne qui remet en question l’autorité. Vous y trouverez des collectifs d’édition et de distribution de livres, des aut.rices.eurs vendant ce qu’iels ont écrit, des artistes, et des présentat.rices.eurs de partout sur l’Île de la Tortue/Amérique du Nord. Le weekend comprendra des ateliers, des discussions, des activités pour les enfants, des expositions artistiques, des partys et bien plus!

Nous acceptons présentement les propositions. N’hésitez pas à nous contacter pour réserver une table ou nous faire part de vos questions, besoins d’accommodements et idées de collaborations à:
halifaxanarchistbookfair@riseup.net

Pour un Halifax plus anarchique, et un monde plus heureux, plus libre (A)

Une bannière suspendue à Saint-Félicien pour dénoncer les déversements dans l’Ashuapmushuan

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Juil 272021
 

Du Collectif Emma Goldman

Des militants et militantes des collectifs Mashk Assi et Emma Goldman ont suspendu durant la nuit d’hier à aujourd’hui une bannière pour dénoncer les déversements d’eaux de traitement dans la rivière Ashuapmushuan par l’usine de pâte Kraft de Résolu à Saint-Félicien (en terres volées du Nitassinan). Portant l’inscription « Ramasse ta marde Résolu », elle a été installée sur la route Saint-Eusèbe, aux abords de l’usine en question, afin de pointer du doigt l’exploitation de la multinationale.

Dans un régime forestier qui s’apparente au Far-West, avec son bar ouvert pour l’industrie, la question de la protection de l’environnement par les entreprises est réduite à de vaniteuses prétentions de conférence de presse. On le voit une fois de plus avec les déversements à répétition réalisés dans l’Ashuapmushuan par l’usine de pâte Kraft de Résolu à Saint-Félicien. La rivière Ashuapmushuan, qui bénéficie pourtant d’un statut de protection pour son patrimoine naturel exceptionnel, a connu 258 jours de déversement d’eaux de traitement industrielles de l’usine entre 2017 et 2020 selon le ministère de l’environnement et la scène s’est reproduite maintes fois depuis le début de l’année 2021. Ces déversements volontaires sont réalisés dans une stratégie de chantage face au gouvernement pour que celui-ci investisse à sa place les dizaines de millions $ nécessaires au remplacement de la conduite d’évacuation. En date d’aujourd’hui, Résolu peut se réjouir d’avoir presque déjà fait plier le gouvernement au grand dam des travailleurs et travailleuses qui financeront la multinationale avec leurs taxes. Pendant ce temps, leurs turpitudes mettent en danger la ouananiche, une espèce de saumon pour laquelle l’Ashuapmushuan est un corridor biologique capital.

Par ses agissements, Résolu affiche son mépris total à l’endroit du territoire ancestral des Pekuakamiulnuatsh et des droits des Premiers Peuples. C’est cela le colonialisme. Face au déni dont fait preuve l’industrie envers l’histoire et les traditions Ilnu, ainsi que le caractère sacré du territoire, il faut résister pour exister! Par cette action, nous souhaitons réitérer que les territoires du Nitassinan n’ont été cédés sous aucun traité. De plus, nous rejetons et dénonçons les Ententes sur les répercussions et les avantages (ERA) signées par les conseils de bande, qui se voient promettent des retombées des grandes entreprises en échange de leur consentement à la destruction rapide du territoire ancestral. Ces ententes sont pour nous bien révélatrices quant au rôle véritable des conseils de bande comme instances issues du colonialisme et sous la mainmise de l’État canadien.

Collectif Mashk Assi et Collectif Emma Goldman

From Embers : Fairy Creek

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Juil 222021
 

De From Embers

Après une interruption, le podcast anarchiste From Embers a été relancé ce mois-ci.

Le premier nouvel épisode est une discussion avec un participant anarchiste aux blocages de Fairy Creek sur la soi-disant île de Vancouver. Écoutez-le ici.

Autres lectures :

Five Months of Direct Action… (No More City)

The Return of the War in the Woods? (BC Blackout)

Desert (The Anarchist Library)

Annonce du Counter-Surveillance Resource Center

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Juil 222021
 

Soumission anonyme à MTL Contre-info

On vous présente le Counter-Surveillance Resource Center, une plateforme pour diffuser une culture de résistance à la surveillance et mettre des bâtons dans les roues des polices politiques.

Partout dans le monde, anarchistes et autres rebelles sommes sous surveillance en raison de nos activités. Cette surveillance peut être exercée par des institutions étatiques ou d’autres acteurs – des détectives privés, des fascistes, des mercenaires et des citoyen.ne.s respectueux de la loi. Elle peut avoir pour but de perturber nos activités, de procéder à des arrestations, d’obtenir des condamnations ou pire encore.

À mesure que les technologies se développent, certaines techniques de surveillance restent les mêmes, tandis que d’autres changent pour intégrer ces technologies émergentes. Si les flics nous suivent toujours dans la rue et conservent des dossiers sur nous dans leurs archives, de nos jours, les caméras sont partout, les drones nous survolent et les analyses ADN envoient de nombreux camarades en prison.

On a ressenti un manque d’outils collectifs pour faire face à ces problèmes, et donc on a créé un site web, le Counter-Surveillance Resource Center (CSRC). Notre objectif est de rassembler diverses ressources en un seul endroit afin d’aider à lutter contre la surveillance dont on fait l’objet. On veut encourager la collaboration internationale, et on accepte les contributions dans toutes les langues.

Comment éviter de laisser des empreintes digitales et autres traces lors d’une action ? Comment utiliser les ordinateurs et les téléphones de manière plus sûre ? Que faire si l’on soupçonne qu’une personne est un.e infiltré.e ? Comment gérer les conséquences psychologiques de la clandestinité ? Comment détruire les caméras dans la rue ? Cette chose que vous avez trouvée sur votre voiture est-elle une balise GPS ? On veut répondre à ces questions et à bien d’autres encore.

N’hésitez pas à nous envoyer vos contributions, traductions ou commentaires. Visitez le site web à l’adresse suivante : https://csrc.link/fr

Another Word for Settle : Une réponse à Rattachements et Inhabit

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Juil 172021
 

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C’est à l’hiver 2020, au lendemain du soulèvement anticolonial le plus inspirant de ma vie, que j’ai lu Rattachementsi et Inhabit (traduit par Habiter dans la version québécoise)ii. Les trains avaient recommencé à rouler à travers le pays, et la COVID-19 commençait à réorganiser nos vies, quelques semaines seulement après que nous ayons fait notre petite part dans le mouvement #ShutDownCanada. À Tio’tia:ke (Montréal) et dans ses environs, là où je vis, il y a eu de nombreuses initiatives menées par des Autochtones, notamment des rondes de solidarité qui ont bloqué la circulation au centre-ville, et bien sûr le blocage des voies ferrées qui traversent Kahnawá:ke qui s’est maintenu durant un mois. Sur l’île et autour, l’engagement des colons dans #ShutDownCanada a pris plusieurs formes, notamment le sabotage clandestin d’infrastructures ferroviaires, des manifestations et du vandalisme sur les propriétés de la GRC et de multiples blocages de voies ferrées, dont l’un a duré quelques jours.

Après ces événements, la lecture des propositions amenées par Inhabit et Rattachements a été particulièrement déstabilisante. Ces deux textes sont des représentations d’une pensée politique issue de communautés aux États-Unis et du Québec, fortement influencée par les écrits du Comité Invisible en France et par les mouvements autonomistes européens. Cette tendance politique est parfois qualifiée de tiqqunienne, d’appeliste ou d’autonomiste. Il s’agit d’une orientation politique qui a beaucoup d’influence sur une frange de ceux et celles qui ont participé à l’organisation des actions initiées par des colonsiii à Montréal l’hiver dernier, et ces deux textes semblent être des points de référence importants pour ces personnes. Malheureusement, le début de la pandémie a étouffé ce qui aurait pu être une occasion d’analyser plus en profondeur certaines des différences politiques entre ceux et celles d’entre nous qui se sont organisés ensemble cet hiver-là. Je voudrais clarifier mon désaccord avec la stratégie anticoloniale (ou bien l’absence de) mise de l’avant par Inhabit et Rattachements. J’espère que lors des futurs moments de solidarité et de coalition large comme celui que nous avons vécu l’hiver dernier, nous pourrons avoir une meilleure compréhension des limites de notre potentiel de collaboration. J’espère également que l’engagement critique à l’égard de l’analyse proposée par ces textes arrivera à limiter la manière dont ils influencent la stratégie de solidarité anticoloniale qui guide les actions des colons au cours des années à venir.

Rattachements

S’opposant aux courants dominants de la lutte écologiste (d’un côté les militants qui demandent au gouvernement d’agir pour sauver l’environnement, et de l’autre les individus qui modifient leurs pratiques de consommation pour faire de même), les auteur.e.s de Rattachements proposent une nouvelle approche pour faire face à la crise environnementale et au capitalisme colonial. Cette nouvelle approche consiste à bâtir une « écologie de la présence » par la construction de communesiv. Les auteur.e.s posent le projet de reconnexion avec ce qui « leur a été arraché » dans un sens à la fois matériel et spirituel. Ils souhaitent habiter véritablement le territoire, à partir duquel ils pourront s’attaquer aux rouages du capitalisme tout en y construisant de nouvelles formes de vie. Leur compréhension du problème repose sur le précepte qu’ils n’ont pas choisi d’être jetés dans un monde voué à sa propre destruction, un monde structuré par le capitalisme colonialv, dans lequel leurs « affects sont capturés » et leur lien avec la terre a été rompu.

Les auteur.e.s avancent que « défendre les territoires veut nécessairement dire apprendre à les habi­ter et inversement, habiter vraiment nécessite de défendre les territoires ». Ce faisant, ils affirment que leur rattachement à la terre est un précurseur et une partie intégrante de la lutte anticoloniale. Une « écologie de la présence », écrivent-ils, se retrouve dans le rapport entretenu entre les peuples autochtones et leurs territoires, notamment dans la résistance des zapatistes contre le gouvernement mexicain et à travers l’autonomie matérielle et territoriale Kanien’keha:ka. Cependant, dès le départ, les auteur.e.s rejettent la position sociale comme outil d’analyse. Ils semblent penser que leur propre leur posture de sujets au sein des systèmes de domination n’est pas pertinente pour leur analyse ou pour l’élaboration de leurs stratégies de résistance contre ces systèmes. Les auteur.e.s sont pourtant des colons qui s’adressent (principalement) à d’autres colons. L’abstraction qu’ils emploient est donc dangereuse : ils poursuivent en disant que « c’est lorsque des communautés affir­ment qu’elles font elles-mêmes partie de ce territoire, de cette forêt, de cette rivière, de ce bout de quartier, et qu’elles sont prêtes à se battre, que la possi­bilité politique de l’écologie apparaît clairement ». Cette déclaration peut facilement être comprise comme un appel aux colons à se définir comme faisant partie du territoire s’ils veulent pouvoir le défendre, ou à tout le moins, à se poser sur un pied d’égalité avec les Autochtones lorsqu’il s’agit de penser à quoi devrait ressembler l’avenir du territoire colonial. Que ce soit l’intention ou non, cela ouvre la porte à comprendre l’auto-autochtonisation des colons comme une stratégie décoloniale. Dans une société fondée sur le colonialisme de peuplement comme le Québec ou le Canada, l’État existe en grande partie pour garantir l’accès des colons à la terre, et les Autochtones sont toujours une menace pour cet accès. C’est à la fois l’histoire passée et actuelle de toutes les sociétés de colons. Nous n’avons pas à chercher bien loin pour trouver des exemples où un rapport au territoire se rapprochant d’une « écologie de la présence » a été efficacement mis en pratique par des colons contre les populations autochtones. 

Prenons, par exemple, l’histoire des chasseurs blancs de Mi’kma’ki (dans les montagnes Chic-Chocs en Gaspésie, plus précisément) qui, en 2004, se mobilisaient déjà contre l’incursion de l’exploitation forestière dans la région et qui, ayant chassé sur le territoire pendant un certain temps et se sentant plutôt liés au territoire (voir « faisant partie du territoire »), étaient confrontés à une nouvelle menace : l’établissement d’une « zone contrôlée par les Mi’kmaq qui offrirait des activités de plein air payantes » (une « pourvoirie »). Ce nouveau projet menaçait leur capacité à chasser gratuitement. En réponse à cela, alors qu’ils se réunissaient dans une « tente communautaire » sur le territoire, les chasseurs blancs ont concocté un plan pour s’identifier en tant qu’Autochtones afin de légitimer leurs revendications de rattachement à la terre. Ils ont fondé une organisation qui allait être appelée la Nation métisse du Soleil levant, et ont réussi à empêcher la création de la pourvoirievi. Cette histoire n’est pas une exception en Amérique du Nord, mais plutôt un exemple d’un phénomène répandu où les colons, se sentant très attachés à la terre sur laquelle ils vivent (et ayant même parfois des penchants communaux), se sentent poussés à défendre leur contrôle sur le territoire envers ce qui le menace, incluant les Autochtones ayant leurs propres revendications et relations préexistantes à ce même territoire. Cela implique souvent de revendiquer une identité autochtone, mais ce n’est pas forcément le cas. L’acquisition continue des terres par les colons et l’enracinement de l’idée que la terre leur appartient est au cœur de l’avancement du colonialisme, que la possession soit basée sur la propriété (j’ai l’acte de propriété et donc c’est à moi) ou la spiritualité (je connais la terre, je me sens lié à la terre, et donc j’y ai ma place).  

En examinant d’autres contextes coloniaux, nous pouvons trouver davantage d’exemples des risques posés par l’établissement de projets communaux entrepris avec des objectifs politiques radicaux. Le mouvement des kibboutz en Palestine, par exemple, raconte l’histoire de communes auto-organisées créées à partir du début des années 1900, lors de la deuxième vague d’arrivée de colons juifs fuyant les pogroms d’Europe de l’Est. Les colons du premier kibboutz avaient des idéaux anarchistes d’égalitarisme, rejetaient la « structure socio-économique d’exploitationvii » des fermes établies par la première vague de colonisation, et espéraient miner l’économie capitaliste en développant leurs communes. Ils ont cherché à établir « une communauté coopérative sans exploiteurs ni exploitésviii», ce qu’ils ont fait en 1910 après avoir obtenu l’accès à des terres « qui avaient été récemment achetées par la Palestine Land Development Company au Fonds national juif ix». Cette première ferme a connu un tel succès que « bientôt, des kvutzot ont été créés partout où des terres pouvaient être achetéesx ». Ces communes, tout en se considérant comme une alternative viable et une menace considérable pour le mode de production capitaliste, servaient également la colonie sioniste de Palestine. Aujourd’hui, elles sont communément considérées comme une partie importante de l’histoire nationale d’Israël, et environ 270 colonies existent toujours (bien que leur organisation interne et leur caractère anarchiste se soient considérablement transformés) dans le territoire occupé. Il est clair que si les idéaux anarchistes et anticapitalistes de ces projets peuvent être inspirants, le contexte colonial appelle à prêter attention aux impacts de la colonisation sur les peuples autochtones, et pas seulement aux idéaux ou à la politique interne des communesxi.

Land back ou Retour à la terre ?

L’analyse proposée par Rattachements s’appuie sur une compréhension du monde selon laquelle les colons ont eux aussi été dépossédés de leur rapport au territoire, à la spiritualité et au savoir. C’est sur la base de ce principe que les auteur.e.s tentent d’inciter d’autres colons à passer à l’action. Le zine, écrit et circulant dans des cercles sociaux dominés par des colons blancs aux politiques radicales variées, postule que la solution à la crise écologique réside dans la capacité de ces milieux (là encore, principalement des colons) à créer des communes. Ces communes pourront alors établir une autonomie matérielle et politique en rendant les espaces (terrains, friches, bâtiments, églises, maisons et parcs) « habitables ». En d’autres termes, les auteur.e.s proposent de s’installer et de squatter en commun le territoire, qu’il ait déjà été investi par d’autres colons ou non, en affirmant qu’il s’agit d’une nécessité stratégique plutôt que d’un simple choix de mode de vie.

Je crois moi aussi que le capitalisme est un système qui nous aliène les un.e.s des autres et des êtres vivants dont nous dépendons. Et pourtant, je crois que nous devons être plus spécifiques : le capitalisme colonial a créé un territoire où, dans l’ensemble, les colons possèdent les terres et disposent des ressources ainsi que d’une relative liberté pour établir divers rapports avec le territoire. Cela se fait au détriment des peuples autochtones, qui ont été dépossédés de leurs terres, de leurs langues, cultures et spiritualités, qui sont directement reliées à ces terres et qui orientent leurs relations au territoire. Rattachements suggère qu’une partie cruciale de la lutte écologique anticapitaliste/anticoloniale consiste à modifier les relations affectives et spirituelles que les colons entretiennent avec le territoire, dans un contexte où notre relation matérielle avec la terre – celle de la propriété, de l’appropriation et du vol – reste inchangée et fondamentalement coloniale. Un groupe de colons achetant ensemble une maison communale en dehors de la ville dans le cadre d’une stratégie d’écologie révolutionnaire a très peu à voir avec la réoccupation par les peuples autochtones de leurs territoires ancestraux. Ce deuxième cas s’oppose directement au développement colonial et à la destruction de l’environnement, et il s’inscrit dans une tradition de résistance autochtone au déplacement et au génocidexii. Le premier se reconnaît à tort comme partageant en quelque sorte quelque chose avec cette tradition, alors qu’il est rendu possible par (et se rapproche bien plus) des générations d’empiètement et d’expansion coloniale.

Ce qui brille par son absence dans le programme de lutte écologique proposé par Rattachements, c’est un appel explicite à la restitution des terres aux communautés autochtones. Au lieu de cela, ses auteur.e.s demandent implicitement une présence accrue de leurs milieux (composés majoritairement de colons) sur ces terres, en partie pour arriver à potentiellement soutenir les luttes autochtones. Malgré la reconnaissance du fait que des terres ont été volées (et l’éloge des relations entre les peuples autochtones et le territoire en tant qu’exemples à suivre pour les lecteurs du zine), il manque dans Rattachements la proposition selon laquelle le retour des terres aux communautés autochtones, « Land Back » au sens littéral et matériel du terme, est une pièce centrale de la lutte écologique, et devrait être priorisé face à l’accélération d’un retour à la terre par les colons. Dans le Land Back Red Paper publié en 2019 par l’Institut Yellowhead, les auteur.e.s nous disent que « la question du retour de la terre [Land back] n’est pas seulement une question de justice, de droits ou de “réconciliation” ; la juridiction autochtone peut en effet contribuer à atténuer la perte de biodiversité et la crise climatique. […] La gestion à long terme des terres permet une réévaluation, une planification et une adaptation constantes ». Cela conduit à une protection efficace de la biodiversité et à un espoir contre le changement climatique grâce à des visions du monde culturellement spécifiques, transmises de génération en génération par une présence avec et dans la défense de la terrexiii

Le fait que les colons développent des relations (spirituelles ou affectives) avec le territoire qu’ils occupent n’est pas une condition préalable nécessaire à la décolonisation. Le fait que les colons décident de prioriser l’établissement de ces nouvelles relations avec la terre ne nous rapproche pas de la décolonisation. En posant les relations spirituelles ou affectives des colons avec la terre comme un élément important des luttes anticoloniales, on détourne et déforme notre capacité à se concentrer sur les problèmes beaucoup plus centraux posés par l’État colonial canadien. La dépossession territoriale des peuples autochtones est un élément partiel, mais crucial, de la lutte contre le colonialisme et contre les changements climatiques. Indépendamment des visées politiques des colons, nos relations avec le territoire sont le plus souvent construites sur une tactique de propriété foncière, en raison de la relative facilité d’accès aux moyens financiers ou au capital social qui permettent l’accès à la terre. Je pense, par exemple, aux nombreux projets fonciers collectifs qui ont été lancés par des colons radicaux au soi-disant Québec, et qui impliquent tous la propriété de la terre. Penser à construire une spiritualité fondée sur un rapport au territoire, mais à partir d’une propriété foncière n’a pas de sens. Ce sont des rapports coloniaux au territoire qui sont alors induits, et non pas révolutionnaires. En d’autres termes, la relation entre les colons et la terre doit d’abord être transformée matériellement, pas spirituellement ou affectivement. Les peuples autochtones ont déclaré que « Land Back » leur donnera le pouvoir de reconstruire leurs connaissances, leurs langues, leur culture et leur autonomie. C’est la substance même de la décolonisation : il est crucial que les peuples autochtones soient libres de se développer et de se réapproprier leurs relations avec le territoire, plutôt que les colons ne prennent sur eux de le faire à leur place.

Sur Inhabit et l’autonomie territoriale des colons

Dans Inhabit, un texte provenant des réseaux appelistes/tiqqunniens/autonomistes aux soi-disant États-Unis, le désir du territoire est élargi. L’horizon articulé dans Inhabit repose sur l’extension et la multiplication des communes isolées proposées dans Rattachements. Mais contrairement à Rattachements, dont les auteur.e.s prétendent être engagé.e.s dans leur propre compréhension d’une politique anticoloniale, Inhabit n’articule pas du tout de politique anticoloniale. Ce n’est pas nécessairement surprenant, dans la mesure où les politiques anticoloniales semblent être moins présentes dans les milieux radicaux de colons aux États-Unis qu’au Canada, mais cela reste un écueil importantxiv. « Notre but est l’établissement de territoires libérés – le prolongement, de loin en loin, de zones ingouvernables. De lignes de faille parcourant l’Amérique et conduisant vers le haut lieu de l’autonomie ». Tout comme les colons expansionnistes lors de la conquête de l’Ouest américain, les auteur.e.s d’Inhabit proposent une meilleure manière d’utiliser le territoire et suggèrent de transformer, à leur image, les espaces qui ne sont pas encore mis au service de leur révolution. En d’autres termes, on peut lire les auteur.e.s d’Inhabit comme mettant de l’avant leur propre vision de la Destinée manifestexv : l’expansion de leur rapport au territoire, des lignes de faille se déplaçant sans entraves à travers une vaste Amérique du Nord vide et non-revendiquée. Peut-être en suivant les chemins de fer qui les ont précédés ?

Les auteur.e.s d’Inhabit semblent incapables ou peu interessé.e.s à problématiser le contexte colonial américain. À l’exception de la mention d’une interaction fortuite entre les colons et les familles autochtones dans des contextes où ils sont déjà des camarades, les questions de la race et du colonialisme sont absentes de leur texte. La réticence des auteur.e.s à s’engager face aux communautés autochtones et au contexte colonial dans lequel ils s’inscrivent trahit leur compréhension coloniale du territoire. En proposant une expansion du territoire sans se soucier des revendications territoriales préexistantes qui recouvrent déjà ce continentxvi, Inhabit interpelle ses lecteur.trice.s à partir de l’imaginaire du projet national de l’État colonisateur américain: from sea to shining sea [la référence à l’imaginaire national disparait dans la traduction québécoise]. « Construire l’infrastructure qu’il faut pour soustraire le territoire à l’Économie », pressent-ils. Mais la terre n’a jamais été qu’un simple territoire, et les colons qui l’occupent ont bien plus souvent donné l’impression de la soustraire aux peuples autochtones qu’à l’économie. Il suffit de se tourner vers le sud des États-Unis pour voir comment, par exemple, le fait que des blancs squattent des terres « vacantes » était une conséquence intentionnelle du processus d’attribution de terres aux Autochtones loin de leurs communautés. Les États-Unis comptaient sur le fait que ces communautés seraient incapables d’empêcher les squatteurs de s’installer et de prendre possession de leurs terres. « Que ce soit un espace dans le quartier ou une cabane dans la forêt. Squatter, s’il faut : un terrain, un local, un immeuble abandonné. Il n’y a pas d’espace trop petit, ni trop grand. » Inhabit réoriente la pensée et les stratégies en partant de contextes très différents des leurs (le mouvement des squats en Europe, notamment) et tente de mettre de l’avant des stratégies supposément libératrices pour « habiter » l’espace qui ne font que renforcer l’accès des colons à la terre et leur contrôle. 

La fuite de l’identité

Dans un compte-rendu publié en octobre 2020 intitulé Chasse à la chassexvii (traduit par Hunting the Hunt dans la version anglaise publiée sur le site Territories d’Inhabit), les auteur.e.s (basé.e.s au Québec) reviennent sur le temps qu’ils ont passé à soutenir les communautés anishinabeg qui luttent pour un moratoire sur la chasse à l’orignal sur leur territoire. Ils concluent leur résumé de la situation par la réflexion suivante : « Ce serait une illusion confinant à l’impuissance de penser que nous ne saurions être et paraître autrement que comme des colons illégitimes, indépendamment de “comment” nous entendons habiter ce qui reste du monde »xviii.

 Je trouve surprenant que l’une des conclusions les plus pressantes à tirer de l’organisation en solidarité avec une communauté autochtone soit la nécessité d’échapper à « l’identité » de colon qu’elle fait apparaître. Il me semble que la crainte d’être considéré comme un « colon illégitime » est ce qui motive en partie leurs rejets de la position sociale qu’ils occupent et qui, à son tour, mine leur analyse. Je ne prétends pas que les auteur.e.s n’ont rien à apporter à la lutte anticoloniale parce qu’ils sont des colons. Cependant, je suis en désaccord avec l’importance qu’ils octroient au fait de ne pas être perçu comme des colons, plutôt que d’évaluer quelle est la contribution la plus efficace qu’ils pourraient apporter à la lutte anticoloniale. Leur positionnement de colons dans une société coloniale doit nécessairement faire partie de cette évaluation. Ce rejet de la position sociale est visible dans Inhabit, dans la mesure où la race et le colonialisme y sont invisibles. Dans Rattachements, il n’est visible que comme une chose que les écrivain.e.s fuient : « Extase : béatitude provo­quée par une sortie, un décalage par rapport à ce qu’on nous a fait comme “soi”, comme “position sociale”, comme “iden­tité” ». Dans leur empressement à rejeter les politiques identitaires et à mettre en relation « l’identité » et la position sociale, les auteur.e.s sabotent la lentille qui leur permettrait d’analyser notre contexte de manière plus globale et précise. Ce faisant, leur analyse tombe à plat et ils se condamnent à une approche limitée, affirmant que s’il est stratégique et possible pour les peuples autochtones de construire une autonomie territoriale, il doit être tout aussi stratégique, possible et subversif pour les colons de faire de même.

Le blocus ferroviaire de Saint-Lambert était une action de plusieurs jours, organisée par des colons et réalisée principalement par des colons, qui s’est déroulée l’hiver dernier au cours du mouvement #ShutDownCanada. Cela aurait pu être une occasion d’expliquer de manière proactive et explicite pourquoi nous, les colons, pensions qu’il était important de répondre à l’appel à des actions de solidarité tel que nous l’avons fait, et d’encourager d’autres milieux radicaux de colons à faire de même. Cela aurait pu être très utile dans un contexte où certains alliés des luttes autochtones hésitaient à organiser ou à participer à des actions initiées par des colonsxix. Malheureusement, cette approche de communication proactive n’a pas été adoptée pour diverses raisons, notamment le manque de cohésion politique entre les personnes qui ont organisé l’action de blocage. Au bout du compte, les communications émanant du blocage sont demeurées vagues quant à l’origine des personnes présentes et la stratégie de communication au terme du blocage a manqué l’occasion de parler en tant que colons, à d’autres colons, sur ce que nous pouvions faire pour intervenirxx. Le fait d’obscurcir notre position a permis aux médias grand public d’utiliser plus facilement le fait que nous n’étions pas Autochtones, ce qui les a aidés à retourner l’opinion publique contre nous sans devoir utiliser un argumentaire ouvertement raciste. Notre manque d’analyse claire a également laissé au Premier ministre François Legault la possibilité de nous séparer des autres blocages, parce que nous n’avons pas su expliquer comment nous nous percevions par rapport à eux. Bien sûr, les flics connaissaient depuis le début la démographie des personnes présentes et ont agi en conséquence. Cette approche ne présentait donc aucun avantage tactique, et nous avons perdu l’occasion de présenter une analyse claire et décisive sur les raisons pour lesquelles d’autres colons devraient prendre les risques que nous (ainsi que de nombreuses communautés autochtones) prenions à l’époque. Je crains que le fait d’éviter d’aborder de front les questions de positionnement social et de rôle des colons dans la lutte anticoloniale ne nous conduise à faire des choix similaires à l’avenir.

Inhabit et Rattachements partagent une volonté de produire des affects chez leurs lecteurs les incitant à se considérer comme emplis de pouvoir et de possibilités. Dans cet objectif, ils encouragent les lecteurs à rejeter la culpabilité ou le sacrifice et à se comprendre comme des protagonistes centraux de la lutte. Pour Rattachements, cela se traduit par l’encouragement des lecteurs à se considérer comme « ni coupables ni victimes » de la crise écologique. Cette aversion pour le sacrifice de soi, dans le sens où l’on est prêt à renoncer à quelque chose, nécessite de nier que le colonialisme, ainsi que d’autres moteurs de la crise, continue à nous profiter. Il s’agit d’une évasion préventive de la culpabilité potentielle d’être un colon : nous ne devons pas nous comprendre comme les sujets qui profitent de l’appropriation génocidaire des terres des populations autochtones. Cette impulsion est liée à un rejet de la politique identitaire, et bien que je ne suggère pas d’embrasser une culpabilité démobilisatrice face aux horreurs passées et présentes, je pense que c’est une nécessité à la fois stratégique et éthique de refuser d’ignorer les conditions qui produisent cette culpabilité. Lorsque nous reconnaissons le mode de vie que le colonialisme continue à produire pour les colons et que nous essayons de trouver les causes de cette disparité manifeste, nous nous dotons d’une compréhension du contexte dans lequel on souhaite intervenir, qui est indispensable pour le transformer de manière efficace. Lorsque nous fuyons les sentiments produits par cette disparité en rejetant une étiquette, on pourrait en venir à croire que nous pouvons nous extirper des structures réelles par un acte de pensée ou de magie. Ce sont les conditions matérielles qui doivent être combattues, et non les affects qu’elles produisent.

À partir de là?

Les auteur.e.s de Inhabit et Rattachements pourraient penser que le rejet, sur la base de leur positionnement social, de leurs stratégies respectives d’autonomie territoriale ou de construction d’une autonomie matérielle par l’établissement de communes sur les territoires est essentiellement un refus de construire un mouvement fort – une concession aux effets démobilisateurs des politiques alliées. Au contraire, je pense que ce refus est un choix à la fois éthique et stratégique, à partir duquel il nous faut développer une stratégie révolutionnaire plus forte et résolument anticoloniale. Cela n’affaiblit pas nos mouvements de se détourner de la construction de l’autonomie territoriale pour des communautés principalement composées de colons, si ce vers quoi nous nous tournons est une plus grande attention à la reconstruction continue de l’autonomie territoriale pour les peuples autochtones avec lesquels nous cherchons à être en lutte. Ce qu’il faut, c’est éviter de considérer les colons comme le sujet central de la lutte anticoloniale révolutionnaire et reconnaître que si les positions à partir desquelles nous luttons sont différentes, les chemins que nous prenons doivent également l’être. Toute analyse sérieuse du colonialisme canadien doit considérer les centaines d’années de luttes autochtones contre le capitalisme et l’État comme pertinentes et, à bien des égards, déterminantes pour les chances de succès de ces communautés dans la construction de leur autonomie territoriale. Cette même analyse notera la différence entre cette histoire de lutte et celle des mouvements radicaux de colons dans le soi-disant Canada.

Si nous prenons réellement au sérieux la question de l’autonomie territoriale, nous saurons que cela implique bien plus qu’un « réseau de points de convergences » que nous avons loués, squattés ou construits dans la forêt, ou qu’une constellation de maisons communales en campagne. L’autonomie territoriale, si elle est considérée comme une stratégie de destruction du capitalisme et de l’État, comprend le travail à long terme de développement de zones où les flics ne peuvent pas aller, où l’on peut trouver les moyens de soutenir et de reproduire ceux qui y vivent, où un grand groupe de personnes engagées et connectées de tous âges a les moyens et la nécessité de défendre ce territoire, sur plusieurs générations. Nous pouvons regarder là où ce travail a déjà été fait depuis des centaines d’années pour en voir des exemples : le territoire de Wet’suwet’en, Elsipogtog, le lac Barrière, Six Nations, Tyendinaga, Kahnawá:ke et Kanehsatà:ke. Dans l’ensemble, ce travail n’a pas été effectué depuis des centaines d’années par des communautés allochtones : nous partons de zéro, et donc même si la priorité donnée à notre propre autonomie territoriale semblait éthique, elle ne serait probablement pas stratégique, car les communautés de colons dans une société fondée sur le colonialisme de peuplement ont beaucoup moins de conflits structurels avec le système colonial. Cela ne nous rend pas plus faibles de donner la priorité à la lutte pour l’autonomie territoriale des communautés dont nous ne faisons pas partie. Cela nous rend plus fort.e.s si, ce faisant, nous établissons des relations qui contribuent à des contextes révolutionnaires dans lesquels les objectifs des réseaux révolutionnaires des colons convergent avec ceux des groupes autochtones anticoloniaux. Vers un potentiel plus fort de lutte commune contre l’État colonial.

Notre politique environnementale doit mettre au premier plan les réponses matérielles à la dépossession des terres des peuples autochtones, pour le bien de la planète et dans le cadre d’un engagement plus large en faveur d’une politique anticoloniale. Il est dangereux de glisser vers une politique d’un « retour à la terre », comme le fait Rattachements, car ces approches et ces projets, au mieux, nous détournent de notre objectif et, au pire, préparent le terrain pour le développement de revendications tordues des colons sur les terres autochtones. Ce genre de revendications va briser les relations que nous devrions chercher à établir avec nos alliés autochtones anticoloniaux et risque de renforcer les tendances réactionnaires des colons que nous devrions combattre. Si nous nous considérons comme visant à nous engager dans une lutte commune avec les communautés autochtones contre l’État colonial, nous saurons que nos mouvements gagnent en force lorsque nos camarades sont plus forts et que nos relations mutuelles sont solides.

Si nous nous concentrons sur les réalités matérielles du colonialisme et sur la manière dont il continue à structurer nos vies, nos options et nos ressources, nous pouvons développer des stratégies plus efficaces en nous demandant ce que nos différentes positions sociales permettent et interdisent, et comment nous pourrions mettre ces différences au service d’objectifs communs. Mike Gouldhawke explique que « les gens considèrent le colon comme une identité personnelle, mais il s’agit plutôt d’une relation catégorique entre un sujet social et les États coloniaux »xxi. Comme le dit La Paperson, le terme de colon (et d’Autochtone, et d’esclave) décrit « des relations de pouvoir par rapport à la terre. Il se rapproche d’identité, mais ce n’est pas une identité en soi »xxii. Au lieu de tenter de fuir ces étiquettes, nous devrions faire un meilleur usage de notre temps et nous concentrer à transformer les conditions qui produisent ces rapports de pouvoir.

Le positionnement social comme seule lentille d’analyse pour développer une stratégie révolutionnaire est bien sûr insuffisant. Ce que les gens souhaitent voir advenir comme monde, quelles que soient leurs vies actuelles, relève d’une importance indéniable. Nous devons toutefois être capables de voir et de comprendre les différentes réalités matérielles de ceux qui nous entoure si on souhaite voir ces réalités se transformer dans l’avenir que nous voulons construire ensemble. Voir ces réalités pour ce qu’elles sont, et pourquoi elles sont, nous montre que les relations que les colons établissent avec la terre sont bien moins importantes que celles que nous arrivons à démanteler. Il est évident que soutenir la résurgence de l’autonomie territoriale autochtone doit être une priorité plus importante que de construire notre propre autonomie territoriale. La question qui se pose alors est de savoir comment construire et maintenir des formations qui peuvent offrir un soutien et une solidarité sur le long terme aux populations autochtones qui luttent contre l’État colonial, et comment cultiver au mieux une politique qui continuera à répondre aux contextes, relations et terrains changeants de cette lutte commune pour l’autodétermination et la fin du capitalisme, du colonialisme et du Canada.

Réflexions? anotherword@riseup.net


i Rattachements est disponible en français ici: https://contrepoints.media/fr/posts/rattachements-pour-une-ecologie-de-la-presence et en anglais ici : https://illwilleditions.com/re-attachments/

ii Inhabit est disponible en anglais ici : https://inhabit.global et en français ici : https://contrepoints.media/fr/posts/habiter-instructions-pour-lautonomie . La traduction québecoise d’Inhabit est sortie le 15 février 2021. Je pense qu’il est nécessaire de sougligner qu’une modification importante a été apportée à cette version québecoise sans note de traduction ni explication. À la phrase « Les terres sont rendues à l’usage commun », les traducteurs.trices ont ajouté « et aux Autochtones, en premier lieu ». De ma perspective, ce changement vise à cacher l’absence d’une analyse anticoloniale dans le texte original. Clairement ce petit ajout ne règle pas les problèmes majeurs de l’analyse en général, mais il pourrait faire en sorte que les lecteurs présument l’existence d’une analyse anticoloniale dans le texte de départ, ce qui n’est pas le cas.

iii Pour être clair, moi et beaucoup d’autres, nous nous sommes vus comme des « initiateurs » d’actions spécifiques en réponse à des appels à l’action explicites, dans des contextes changeants qui, selon nous, l’exigeaient et, dans le cas des blocages ferroviaires du moins, étions très clairement inspirés par des initiatives autochtones déjà en cours. J’utilise l’expression « initié par des colons » non pas pour m’attribuer le mérite des événements de ce qui était très clairement un mouvement dirigé par des autochtones, mais plutôt pour noter qu’il y a une réelle différence entre les actions considérées par les partisans et les adversaires comme étant prises par les communautés autochtones et celles reconnues comme des actions de solidarité des colons. 

iv Il convient de noter que les communes qu’ils décrivent sont essentiellement des lieux où il fait bon vivre, où les gens partagent des repas et des activités quotidiennes et se parlent, et pas nécessairement des communes à une échelle où elles produiraient une réorganisation significative de l’économie ou de la reproduction sociale. Il est raisonnable de supposer qu’un changement d’échelle est souhaité.

v Ce qu’ils appellent modernité coloniale.

vi https://maisonneuve.org/article/2018/11/1/self-made-metis/

vii Page 17 de A Living Revolution: Anarchism in the Kibbutz Movement par James Horrox

viii A Living Revolution p. 18

ix A Living Revolution p. 18

x A Living Revolution p. 19

xi Un autre exemple de ce type d’établissement communal dont j’ai pris connaissance durant la rédaction de ce texte est l’établissement socialiste finlandais de Sointula, situé sur le territoire de la Première nation ‘Namgis. Le village a été établi au début des années 1900 sur l’île Malcolm, en soi-disant Colombie-Britannique.

xiihttps://briarpatchmagazine.com/articles/view/100-years-of-land-struggle

xiii Je ne souhaite pas ici dépeindre une vision romancée des peuples autochtones comme n’exploitant jamais la terre, tel que le Red Paper nous met en garde contre cette pratique à la page 60. Je souhaite plutôt nous rappeler que sans la capacité des peuples autochtones à gérer la terre, la destruction du capitalisme nous laisserait encore sans les connaissances intergénérationnelles nécessaires pour en prendre soin de manière efficace. https://redpaper.yellowheadinstitute.org/wp-content/uploads/2019/10/red-paper-report-final.pdf

xiv À l’inverse, les critiques de l’esclavagisme et du racisme anti-noir sont souvent mal intégrées dans les analyses émanant des réseaux radicaux au Canada par rapport aux États-Unis. Il est d’autant plus grave qu’Inhabit ne fasse pas non plus référence à ce type de critique ou d’analyse.

xv La Destinée manifeste (Manifest Destiny en anglais) est une expression apparue en 1845 qui désigne la croyance calviniste selon laquelle les États-Unis sont investis d’un droit divin à l’expansion territoriale et à la colonisation dans l’Ouest américain et ailleurs dans le monde.

xvi Par revendications territoriales préexistantes, je parle à la fois des revendications territoriales autochtones et des revendications de longue date de groupes tels que la Republik of New Afrika.              https://newafrikan77.wordpress.com/2016/04/20/new-afrikans-and-native-nations-roots-of-the-new-afrikan-independence-movement-chokwe-lumumba/

xvii Disponible en francais ici : https://contrepoints.media/posts/chasse-a-la-chasse-recentes-mises-en-acte-de-la-souverainete-anishinabee et en anglais ici : https://territories.substack.com/p/hunting-the-hunt

xviii Il est important de noter que les versions anglaise et française diffèrent de manière significative. Que ce soit en raison d’importantes erreurs de traduction ou de changements intentionnels en prévision d’un lectorat anglophone américain, la phrase la plus proche dans la version anglaise est la suivante “The question of how to inhabit concerns any living being in any given place.” Il s’agit d’une différence majeure.

xix #ShutDownCanada était un mouvement massif, large et hétérogène mené par des Autochtones. Un grand catalyseur a été le raid militarisé de la GRC sur les défenseurs des terres de Wet’suwet’en qui protégeaient leur lieu de vie contre la construction du gazoduc Coastal Gas Link l’hiver dernier. Dans ce contexte, un certain nombre d’appels explicites à des actions de solidarité ont été lancés, notamment par les chefs héréditaires Wet’suwet’en et par des camps spécifiques sur ces terres, comme le point de contrôle de Gidimt’en. Malgré ces appels à l’action très clairs et explicites, je pense que l’hésitation de certains colons alliés à participer à des actions de solidarité initiées par des colons vient en partie de la conviction que toutes les actions doivent être soit dirigées par des Autochtones, soit explicitement approuvées par un Autochtone. Je pense que les critiques des Autochtones sur la façon dont les colons participent à l’organisation anticoloniale sont importantes. Je pense qu’il est crucial de tenir compte de la façon dont les actions d’une personne peuvent être perçues par les communautés autochtones ou avoir des conséquences pour elles lorsqu’on planifie des actions de solidarité. Cependant, sacrifier les principes de sécurité de base du « besoin de savoir » pour obtenir l’approbation des Autochtones sur une action risquée lancée par les colons semble être une forme assez flagrante de tokenisation. Le fait que nos communautés d’organisation à Montréal soient souvent composées en majorité ou exclusivement de colons est une question qui doit être examinée et traitée à un niveau plus fondamental, plutôt que de tenter de le cacher en cherchant à obtenir une approbation de nos choix après coup. Je peux me tromper, mais mon hypothèse sur ce qui s’est passé l’hiver dernier était que certains colons sympathisants ou alliés de #ShutDownCanada s’inquiétaient des risques de participer à des actions de solidarité et utilisaient le fait que certaines actions étaient initiées par des colons pour éviter de devoir prendre des risques et se joindre au blocus. Je pense que c’est regrettable et que cela doit être changé en partie par une analyse anticoloniale plus claire de la part des réseaux de colons.

xx Il existe peu de traces des discours prononcés devant les médias, mais en voici un exemple: https://contrepoints.media/en/posts/declaration-du-blocage-de-saint-lambert-declaration-from-the-saint-lambert-blocade

xxi https://twitter.com/M_Gouldhawke/status/1345150065103388673

xxii https://manifold.umn.edu/read/a-third-university-is-possible/section/e33f977a-532b-4b87-b108-f106337d9e53