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Sur la réponse anarchiste à la pandémie mondiale

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Fév 102021
 

Soumission anonyme à MTL Contre-info

La crise de la COVID 19 a représenté un défi pour les anarchistes et pour toutes celles et ceux qui croient en une vie pleinement autonome et libérée. Nous écrivons ceci aujourd’hui car nous avons le sentiment que trop de personnes qui, en des temps meilleurs, portent ces couleurs politiques et philosophiques, mettent de côté leurs croyances fondamentales – ou pire – les déforment de manière tout à fait décevante, et se conforment ainsi aux mandats des technocrates et des politiciens, convaincues qu’il s’agit d’un grand acte de solidarité envers les plus vulnérables.

Nous disons haut et fort que si les principes politiques que vous défendez et encouragez en temps normal se rétractent dans les moments de crise, ils n’ont aucune valeur. Tout système d’organisation ou toute croyance en l’autonomie humaine qui doit être mis de côté aux moindres soubresauts de l’histoire ne vaut pas la peine d’être conservé lorsque l’urgence s’estompe. En effet, ce sont les moments difficiles qui mettent nos idées à l’épreuve et nous disent si elles sont ou non aussi solides qu’on pourrait le croire.

En tant qu’anarchistes, l’autonomie de notre esprit et notre corps est une valeur essentielle. Nous estimons que les êtres humains sont suffisamment intelligents pour décider eux-mêmes comment évaluer leur environnement et déterminer comment avancer dans la vie en répondant à leurs besoins et désirs. Bien entendu, nous reconnaissons que cette autonomie s’accompagne d’une véritable responsabilité, non seulement envers soi-même, mais aussi envers celles et ceux avec qui on vit en communauté – humains et non humains. Nous acceptons tout à fait qu’on puisse demander à des individus de coopérer à la réalisation d’un objectif collectif. Mais nous sommes également convaincu.e.s de l’importance fondamentale du consentement dans de telles situations, et que la force et la punition sont contraires à une vision anarchiste du monde.

C’est pourquoi nous vous écrivons aujourd’hui. Pour vous tendre la main à vous, nos amis, nos camarades, allié.e.s intellectuel.le.s et philosophiques, et vous demander, si ce n’est déjà fait, de commencer à critiquer et à remettre en question sérieusement les réponses des États à la pandémie de la COVID 19. Nous avons observé l’année qui vient de s’écouler docilement, tranquillement, comme d’autres anarchistes qui sont resté.e.s dans les limites tracées par les bureaucrates de l’État. Nous nous sommes tu.e.s devant les anarchistes agissant avec hostilité à l’égard de celles et ceux qui se révoltaient contre les couvre-feux et les ordres de fermeture imposés par l’État, uniquement parce que ces pressions viennent ordinairement de gens affiliés à une politique de droite, cédant ainsi malheureusement ce terrain à la droite, au lieu d’élaborer nos propres critiques de la politique de l’État, et offrir ainsi un foyer intellectuel aux personnes isolées qui ont développé de l’antagonisme à l’égard de ceux qui, au pouvoir, se moquent de nos vies.

L’impulsion de ce comportement chez les anarchistes paraît enracinée dans leur désir de faire du bien à celles et ceux qui en ont besoin, et comme cette crise particulière est causée par un virus, cela semble se manifester par une volonté enthousiaste d’accepter les injonctions de l’État et de faire honte à celles et ceux qui ne les respecteraient pas. Il est admirable de vouloir bien agir envers les personnes âgées et les invalides, mais cet instinct devrait n’être que le début de la conversation, et non sonner la mise de côté de nos principes fondamentaux, et justifier cet abandon en prenant au mot les technocrates et les politiciens, en utilisant les déclarations d’experts établis comme un évangile pour prétendre que si on ne résiste pas aux injonctions, c’est qu’elles ont don ben de l’allure.

Les politiciens mentent. Ils sélectionnent les analyses et les techniciens qui font la promotion de leurs programmes. Les dirigeants d’entreprises font la file pour les soutenir, sachant que ça leur délie les cordons de la bourse de l’État. Et les médias, qui veulent toujours être dans les bonnes grâces de ceux qui détiennent le pouvoir politique et financier, fabriquent du consentement en cycles d’informations de vingt-quatre heures. Cela, nous le savons. Nous avons des bibliothèques pleines de livres que nous avons lus et recommandés pour expliquer en détail les rouages de cette réalité. Par conséquent, il est toujours nécessaire de critiquer les politiciens qui déclarent que leurs violations des libertés fondamentales sont justifiées par la crise. Il est toujours nécessaire de critiquer les dirigeants pharmaceutiques qui disent au public qu’ils sont les seuls à détenir les clés d’un avenir de liberté et de sécurité, ainsi que les médias qui agissent comme des machines de propagande au service des récits officiels.

Les anarchistes semblent savoir tout cela instinctivement quand la guerre que les politiciens veulent nous faire mener est une guerre menée avec des armes littérales, quand les victimes sont plus évidentes, quand la propagande est plus nationaliste, xénophobe et raciste. Mais avec la crise de la COVID 19 , la guerre menée par les personnes au pouvoir est ostensiblement une guerre pour sauver des vies, et cette nouvelle façon de présenter les choses semble avoir effectivement touché le cœur et l’esprit de bien des anarchistes qui, au fond de tout, se préoccupent profondément et sincèrement des autres.

Mais nous devons prendre du recul et réfléchir de manière critique à notre situation. Il est pardonnable, lorsqu’on est confronté à une situation d’urgence où tout va très vite, sans avoir les informations nécessaires pour prendre des décisions en toute confiance, de vouloir se ranger du côté des experts placés sur des podiums lorsqu’ils demandent que nous nous mobilisions toutes et tous pour le plus grand bien commun. Mais la situation a changé. Bien des mois se sont écoulés depuis l’époque où le SRAS-COV-2 était un mystérieux nouveau virus respiratoire qui infectait des dizaines de personnes à Wuhan, pour devenir un virus de portée mondiale ayant probablement infecté 20 % de la population humaine*. Les données ont afflué de la part des chercheurs du monde entier, et il n’y a désormais plus d’excuse pour prendre des décisions fondées sur la peur, pour accepter comme un évangile les perceptions et les prescriptions estampillées par l’État et distribuées par ses laquais dans les médias.

Nous pensons que cette crise est comme toutes les autres qui l’ont précédée, en ce sens qu’il s’agit d’une période où ceux qui détiennent le pouvoir et la richesse voient une opportunité d’étendre leurs griffes et de se les accaparer encore un peu plus. Nous vivons un moment de peur et d’incertitude collectives qu’ils peuvent exploiter pour prendre le contrôle encore davantage et s’enrichir aux dépens de la population. La seule chose qui semble séparer la crise de la COVID 19 de celles qui l’ont précédée, c’est la volonté d’une si grande partie de l’opinion publique (dont malheureusement de nombreux anarchistes) de soutenir volontairement et avec enthousiasme la perte de sa propre autonomie.

*Début octobre, l’OMS a publié une estimation selon laquelle 10 % de la population mondiale avait eu une infection de COVID 19. Il est donc raisonnable qu’après un deuxième hiver dans l’hémisphère nord, ce nombre ait pu doubler.

La science !!!

Dès le départ, nous pensons qu’il est très important de souligner la nature dangereuse, quasi religieuse, de la manière dont les médias et l’État poussent – et dont le public accepte – la notion d’un consensus scientifique unifié sur la manière d’aborder politiquement la question de la COVID 19. Avant tout, la science est une méthode, un outil, et son principe fondamental est que nous devons toujours poser des questions, et toujours essayer de falsifier notre hypothèse. La science n’est absolument PAS une question de consensus, car la bonne expérience menée par une seule personne peut absolument démolir les dogmes établis avec de nouvelles informations, et c’est la science dans toute sa gloire. En outre, le SRAS-COV-2 est un virus connu de l’ensemble de l’humanité depuis un peu plus d’un an. Il est absolument faux de suggérer qu’il existe une compréhension totale et irréfutable de ses caractéristiques et de sa dynamique, et que tous les scientifiques, chercheurs et médecins du monde entier sont d’accord sur la politique publique à adopter pour le combattre.

En outre, nous entrons en terrain très dangereux en tant que société lorsque nous permettons, voire exigeons, que des experts enfermés dans des laboratoires utilisant des méthodes ésotériques soient les seules voix qui génèrent des déclarations politiques uniques pour des nations entières s’étendant sur un territoire géographique immense, pour des nations peuplées de groupes d’êtres humains très divers qui ont tous des besoins différents. Ce type de technocratie est très préoccupant, tout comme le sont les déclarations selon lesquelles les gens sceptiques face à de tels schémas de manipulation sociale sont en quelque sorte des abrutis intellectuels ou des antiscientifiques.

La science est un outil qui permet d’éclairer l’humanité par l’élucidation des mécanismes de cause à effet. C’est un processus de découverte. Ce que nous faisons avec cette illumination, comment nous menons notre vie avec les informations découvertes, dépend de nous, en tant qu’individus et communautés.

Enfin, il est très facile de tomber dans le piège de la concurrence entre experts. Une partie a un expert qui dit X et l’autre partie trouve un expert qui dit Y, et nous voilà dans une impasse. Ce n’est pas notre intention, cependant, nous avons le sentiment d’être doublement coincés si nous ne démontrons pas, à un certain niveau, que le récit avancé par l’État et ses médias n’est pas aussi ancré dans les faits scientifiques qu’on voudrait nous le faire croire. Si nous ne présentons pas un certain nombre de contre-preuves, nous risquons d’être rejeté.e.s du revers de la main comme des individualistes ignorant.e.s dont les véritables motivations sont « égoïstes ». Il n’est pas facile de décortiquer un récit d’un milliard de dollars élaboré pendant près d’un an par les médias publics et privés du monde entier, dans le but de créer une atmosphère de peur et donc de conformité, et c’est pourquoi nous allons maintenant présenter certaines recherches ci-dessous afin d’aider celles et ceux qui nous lisent à comprendre la situation actuelle en se basant sur la réalité et les données, non pas pour dire que nous avons des informations alternatives et secrètes, mais simplement pour démontrer qu’il existe des recherches qui font que de nombreuses injonctions des États semblent absurdes, même d’un point de vue scientifique.

La recherche

L’idée sous-jacente aux fermetures et aux couvre-feux est que ces efforts peuvent arrêter la propagation du SRAS-COV-2. Mais est-ce vraiment possible ? C’est une question de nuances. Tout d’abord, nous sommes prêt.e.s à reconnaître que si l’on pouvait isoler chaque être humain dans sa propre bulle, oui, on pourrait probablement éliminer de nombreuses maladies (tout en créant une série de nouveaux problèmes). Mais ce n’est pas ainsi que les choses fonctionnent en réalité. Même sans parler de ces délinquant.e.s de l’ombre qu’on blâme de Londres jusqu’en Californie pour les échecs de ces efforts de confinement, incapables qu’ils et elles sont de respecter les consignes à la lettre, le fait est que la civilisation moderne exige une quantité massive de travail quotidien afin d’empêcher son effondrement immédiat, et que ce travail nécessite que les êtres humains entrent en contact les uns avec les autres, et qu’ils se déplacent sur de grandes distances.

Tout a un impact, des travaux agricoles au transport routier. De l’exploitation des centrales électriques aux plombiers effectuant des visites à domicile. Les médecins doivent se rendre à l’hôpital, tout comme le personnel d’entretien et de cuisine. Les usines d’engrais doivent continuer à produire pour la saison prochaine, comme les centres de données tentaculaires doivent rester opérationnels pour que tous les professionnels du tertiaire puissent se rencontrer sur Zoom. Et puis il y a les entrepôts d’Amazon et les Wal-Marts ! Comment nous confiner sans nos livraisons quotidiennes ? La liste des industries et des institutions qui ne peuvent pas fermer si nous voulons des maisons chauffées, de l’eau potable, des réseaux électriques fonctionnels, des routes praticables et tout autre système de soutien de la vie moderne est très longue, et chacune d’entre elles a besoin d’êtres humains pour les faire fonctionner. Ce simple fait signifie qu’il est impossible que 100 % de la population soit confinée.

On constatera évidemment que la majorité de la main-d’œuvre qui doit continuer à travailler est col bleu et/ou gagne un salaire de misère. Ce constat à lui seul fait de l’idée même du confinement une entreprise classiste, mais ceci a déjà largement été discuté, nous allons donc poursuivre.

N’oubliez pas non plus que ces confinements massifs n’ont jamais eu pour but (dans la plupart des endroits, au départ) d’éliminer la COVID 19. Ils avaient pour objectif d' »aplatir la courbe », ce qui se traduit par « ralentir la propagation » du SRAS-COV-2 afin que les hôpitaux ne soient pas débordés. Il convient de noter que la plupart des hôpitaux dans la plupart des localités n’ont jamais été confrontés à cette menace, et que même si c’est une bonne idée d’empêcher le débordement des hôpitaux, les plans visant à prévenir un tel scénario devraient être locaux et non pas nationaux, ou même provinciaux. Au fur et à mesure que l’année avançait, lentement, on a oublié l’intention initiale des mesures de confinement, et les politiciens et leurs experts choisis ont sans cesse prolongé les fermetures, pour finalement transformer le discours qui s’est fixé sur l’éradication du virus. Cette situation est inacceptable dans la mesure où c’est un objectif probablement impossible à atteindre.

Quant à ces mesures de confinement et à leur efficacité, les recherches ont montré qu’elles n’ont pas beaucoup d’effet lorsqu’il s’agit de réduire le nombre total de cas :

« Conclusions : Bien qu’on ne puisse exclure de petits avantages, nous ne voyons pas d’effets significatifs des mesures restrictives sur la croissance des cas. Des réductions similaires peuvent être obtenues avec des interventions moins restrictives ».

Une autre étude conclue:

«Des taux plus élevés de mortalité de la Covid sont observés dans la latitude [25/65°] et dans les plages de longitude [−35/−125°]. Les critères nationaux les plus associés au taux de mortalité sont l’espérance de vie et le ralentissement de la vitalité, le contexte de santé publique (charge des maladies métaboliques et non transmissibles (MNT) par rapport à la prévalence des maladies infectieuses), l’économie (croissance du produit national, soutien financier) et l’environnement (température , indice ultraviolet). La rigueur des mesures prises pour lutter contre la pandémie, y compris le confinement, ne semble pas être liée au taux de mortalité.»

Nous devons absolument comprendre qu’aucune intervention ne vient sans coûts et lorsqu’une intervention implique de la distanciation, de l’isolement et la fermeture des points habituels d’interaction sociale et de soutien, ces coûts sont payés par la santé physique, mentale et émotionnelle de la population. Nous ne pouvons détériorer la santé publique pour sauver la santé publique. Cet éditorial du British Medical Journal soulevait que:

«Le confinement peut également causer des problèmes de santé à long terme tels que le retard du traitement et des examens. Les retards de diagnostic et de traitement de divers types de cancer par exemple, peuvent engendrer la progression du cancer et affecter la survie des patients. On estime qu’un délai de trois mois à la chirurgie cause plus de 4 700 décès par an au Royaume-Uni. Aux États-Unis, on estime que les retards dans le dépistage et le traitement entraînent chaque année 250 000 décès évitables supplémentaires de patient.e.s atteint.e.s du cancère.

De plus, une forte diminution du nombre d’admissions hospitalières pour syndromes coronariens aigus et interventions coronariennes d’urgences a été observée depuis le début de la pandémie aux États-Unis et en Europe. En Angleterre, le nombre hebdomadaire d’hospitalisations pour syndromes coronariens a chuté de 40% entre mi-février et fin mars 2020. La peur d’une exposition au virus a empêché de nombreux patients de se rendre à l’hôpital, les exposant à un risque accru de complications à long terme suite à un infarctus du myocarde.»

Malgré la pression des personnes au pouvoir pour présenter leurs mesures draconiennes préférées comme étant totalement soutenues par «la science», il y a plusieurs sources de désaccord entre les chercheurs et les médecins sur la meilleure façon de traverser cette crise. Scientific American écrit:

«Dans la lutte contre le Covid-19 d’aujourd’hui, la communauté scientifique mondiale est divisée. D’une part, certain.es penche fortement en faveur d’interventions de santé publique actives et parfois même draconiennes, comprenant l’arrêt généralisé des activités non essentielles, la prescription de masques, la restriction des déplacements et l’imposition de quarantaines. D’un autre côté, certains médecins, scientifiques et responsables de la santé publique remettent en question le bien fondé de ces interventions sanitaires en raison des grandes incertitudes qui persistent quant à leur efficacité, mais aussi de preuves de plus en plus claires que de telles mesures peuvent ne pas fonctionner dans certains cas, voir causer des dommages nets. Alors que les gens sont mis au chômage en conséquence directe des fermetures temporaires et que de plus en plus de familles se retrouvent incapables de payer leur loyer ou leur nourriture, il y a eu une forte augmentation de la violence conjugale, de l’itinérance et de la consommation de drogues illégales.»

Le confinement prolongé et les couvre feux sévères ont intéressés beaucoup de gens au danger que présente le Covid-19, sans pour autant que la menace que représente le virus puisse être réellement comprise. En raison de la posture alarmiste des médias, – une industrie que nous savons fondée sur le sensationalisme pour attirer l’attention et qui s’efforce toujours de promouvoir les récits politiques officiels – de nombreuses personnes pensent qu’une infection par le SRAS-COV-2 est beaucoup plus mortelle que ce qu’elle n’est en réalité. Selon une étude rédigée par John P. Ioannidis de Stanford, le taux de mortalité par infection dans le monde est assez faible:

«Le taux de mortalité à différents endroits peut être inféré par les études de séroprévalence. Bien que ces études comportent des mises en garde, elles montrent un tauxx de mortalité allant de 0,00% à 1,54% sur 82 estimations d’études. Le taux de mortalité médian sur 51 sites est de 0,23% pour l’ensemble de la population et de 0,05% pour les personnes de moins de 70 ans. Le taux de mortalité est plus important dans les endroits où le nombre total de décès est plus élevé. Étant donné que ces 82 études proviennent principalement d’épicentres durement touchés, le taux de mortalité au niveau mondial pourrait être légèrement inférieur. Des valeurs moyennes de 0,15% à 0,20% pour l’ensemble de la population mondiale et de 0,03% à 0,04% pour les personnes de moins de 70 ans en octobre 2020 sont plausibles. Ces valeurs concordent également avec l’estimation de l’OMS d’un taux d’infection mondial de 10% (d’où un tauxx de mortalité environnant 0,15%) au début d’octobre 2020. »

Nous sommes conscients d’un sentiment commun selon lequel le confinement pourraient éliminer le SRAS-COV-2 s’il était plus strict si seulement chaque personne s’y conformait irréprochablement. C’est le genre de pensée infalsifiable que les politiciens et les experts aiment pousser pour excuser l’échec des mesures précédentes à rencontrer les résultats escomptés, ainsi que pour cibler leurs politiciens opposants qu’ils aiment accuser de «laisser tomber la balle» et qui devraient donc porter la responsabilité du bilan de la pandémie. Toute politique reposant sur une totale adhésion de la population est vouée à l’échec dès le départ. Même en ignorant notre point précédent sur le travail requis pour maintenir la société fonctionnelle, il n’y aura jamais de conformisme total de tous les êtres humain.e.s sur aucune question.

Nous pensons qu’il est nécessaire de préciser qu’un nouveau coronavirus n’est pas quelque chose qui serait détecté immédiatement par les médecins ou les chercheurs lors de sa première transmission d’animal à humain. Étant donné que les coronavirus sont courants et parce qu’ils induisent des symptômes similaires (en plus d’avoir une évolution des symptômes similaire à d’autres formes de virus respiratoires) et que le SRAS-COV-2 n’est pas symptomatique chez un tiers des personnes qui le contractent, il ne serait pas étonnant qu’il circulait sur la Terre avant que quiconque ne sache qu’il fallait le chercher.

Il a maintenant été confirmé que le SRAS-COV-2 circulait en Italie en septembre 2019:

«Des anticorps anti-SARS-CoV-2 ont été détectés chez 111 individus sur 959 (11,6%), à partir de septembre 2019 (14%), avec un groupe de cas positifs (> 30%) au cours de la deuxième semaine de février 2020 et le nombre le plus élevé (53,2%) en Lombardie. Cette étude montre une circulation très précoce et inattendue du SRAS-CoV-2 parmi les individus asymptomatiques en Italie plusieurs mois avant l’identification du premier patient et clarifie l’apparition et la propagation du Coronavirus en 2019. »

Il circulait au Royaume-Uni en décembre :

«Le professeur Tim Spector, épidémiologiste au King’s College de Londres dirige l’étude Zoe Covid Symptom Study, qui suit les symptômes signalés par les patients pendant la pandémie.

Il a déclaré que les données collectées « montrent clairement que de nombreuses personnes avaient le virus en décembre ».

Il circulait aussi aux États-Unis à la fin de l’automne 2019 :

«Ces sérums réactifs confirmés comprenaient 39/1 912 (2,0%) dons collectés entre le 13 et 16 décembre 2019 auprès de résidents de Californie (23/1 912) et de l’Oregon ou de Washington (16/1 912). Soixante-sept dons réactifs confirmés (67/5 477, 1,2%) ont été recueillis entre le 30 décembre 2019 et le 17 janvier 2020, auprès de résidents du Massachusetts (18/5 477), du Wisconsin ou de l’Iowa (22/5 477), du Michigan (5 / 5 477) et Connecticut ou Rhode Island (33/5 477). »

Il existe d’autres exemples démontrant que le SARS-COV-2 circulait dans divers pays du monde avant que son existence ne soit confirmée par la Chine. Au fil du temps, nous aurons probablement une idée plus précise de ce à quoi ressemblait cette circulation, mais nous pouvons sans risque présumer que s’il y avait des anticorps chez les personnes sur les différents continents en décembre 2019, la circulation du virus aurait commencé des mois auparavant. Et nous soulignons ce fait, une fois de plus, pour insister sur le fait qu’il n’y avait probablement aucune mesure de confinement qui aurait pu être mise en œuvre pour éteindre le virus, car il avait déjà pris une avance si formidable.

Par principe

En tant qu’anarchistes, il y a des principes phares auxquels nous revenons dans la nuit noire de l’inconnu et ceux-ci incluent la liberté, l’autonomie, le consentement et une profonde croyance en la capacité des gens à s’auto-organiser pour leur bien en tant qu’individus et en tant que communauté. Personne n’est mieux placé que soi-même pour connaître ses besoins. En vérité, la plupart des gens ont des instincts d’autoconservation qui les poussent à choisir des comportements qui mènent à leur propre sécurité et à leur survie, ainsi qu’à celles de ceux dont ils prennent soin.

Au début de la pandémie, alors que les informations étaient encore rares, nous avons beaucoup vu des gens faire des choix pour s’éloigner des foules et des rassemblements qu’ils ne croyaient pas essentiels, alors qu’ils ont également entâmé des démarches pour soutenir et prendre soin de ceux qui pourraient être plus vulnérables à une maladie respiratoire pour laquelle il n’y a pas encore de traitement.

Bien que nous accueillons les informations et les données qui circulent, bien que désagréables, décrivant les circonstances actuelles, nous pensons qu’il faut faire confiance aux gens pour analyser ces informations. Dans le paradigme actuel, l’État et ses experts technocratiques sélectionnés filtrent les données disponibles et ne mettent en évidence que ce qui soutient les décisions politiques qu’ils ont déjà décidé de mettre en œuvre sans aucune considération de l’opinion publique. Les informations et analyses qui peuvent être considérées comme de «bonnes nouvelles» ont été largement ignorées par l’État et ses exécutant.e.s et occultées par les médias.

On peut toujours trouver des «expert.e.s» pour légitimer des horreurs. En effet, nous aurions probablement du mal à trouver un cas dans l’histoire récente dans lequel des crimes massifs contre l’humanité ne sont pas accompagnés du cachet d’approbation d’un consortium d’expert.e.s en qui tout le monde a été prié de faire aveuglément confiance. La pandémie de Covid-19 n’est pas différente et en tant qu’anarchistes nous vous demandons simplement de vous rappeler que le débat, la critique et la dissidence sont des composantes essentielles pour la libération et l’autonomie des sociétés. Nous vous demandons, quoi que vous pensiez de l’efficacité des mesures sanitaires, de ne reconnaître en aucun cas, aussi désastreux que cela puisse paraître, les décrets justifiant la menace de la force et de la violence pour atteindre leurs objectifs. Notre engagement inébranlable envers l’autonomie humaine et notre conviction qu’aucune autorité n’est valable sans le consentement de ceux sur qui elle est exercée est ce qui fait de l’anarchisme une chose à part des autres philosophies politiques. Nous n’abandonnerons pas cet engagement et espérons que vous non plus.

200 jours au 1492 Land Back Lane : Mise à jour de Skyler

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Fév 052021
 

De 1492 Land Back Lane (Twitter)

Lorsque les défenseur.es des terres Haudenosaunee sont obligé.es de défier des injonctions pour protéger nos territoires, nous sommes arrêté.es, inculpé.es, menacé.es et incarcéré.es.

C’est un crime de se battre pour nos terres, mais nous continuons à nous battre. La criminalisation de la défense des terres vise à diviser les familles, les nations et les alliés, afin de nous effrayer et de nous soumettre.

Le 5 août et le 22 octobre sont des jours qui pèsent lourdement sur l’esprit de chacun.e. Des jours où l’on nous a tiré dessus, où l’on a utilisé des tasers et où l’on nous a traînés hors de nos terres. La résilience de tant de personnes est étonnante. Ce sont des jours parmi les 200 derniers qui ne seront pas oubliés.

L’OPP a toujours essayé de diviser notre communauté. Pour essayer d’entraver le soutien de toutes les manières possibles. Vous avez tous et toutes clairement fait savoir que nous ne jouerons plus leur jeu. Ce territoire est Haudenosaunee !

En regardant en arrière et en voyant tout ce que nous avons enduré ensemble. Toutes les familles et tous les ami.es qui nous ont soulevé.es dans ces moments-là. Se souvenir de tous les rires et de toute la joie. La construction d’une communauté. L’unité des nations. Quel cadeau nous avons reçu.

Les routes, les autoroutes et les chemins de fer qui traversent nos terres ne seront pas utilisés pour infliger davantage de violence à notre peuple, toutes ces infrastructures coloniales qui ont été utilisées pour nous opprimer et exploiter nos terres.

Nous avons la possibilité d’aller de l’avant. Mais nous devons le faire ensemble. Toutes les souffrances que nous avons endurées en tant que nations. Le traumatisme qui nous a été infligé. Pour donner à nos enfants et petits-enfants plus que ce que nous avions, nous devons rester uni.es.

À mes frères et sœurs, des gens qui se sont donnés tout entiers pour nous tous, des vies et des membres en danger, des libertés et des carrières, qui ont donné tant de temps et d’énergie, des gens qui ont dû supporter le poids de lourdes conditions de libération sous caution et de mise en liberté : nous avons tant d’amour et de gratitude pour vous.

Il n’y a rien que ces tribunaux, ces flics ou ces politicien.nes racistes puissent faire avec leurs armes et leurs prisons pour nous faire tourner le dos aux générations futures. Ces terres sont seulement empruntées aux générations à venir. Il est de notre devoir de les garder pour elles.

Complément d’information : Le policier Sanjay Vig désarmé dans Parc Ex le 29 janvier 2021 a déjà été trouvé coupable de brutalité policière et d’arrestation illégale

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Fév 042021
 

Du COBP

Le policier Sanjay Vig du SPVM matricule 5144 et désarmé dans Parc Ex le 29 janvier 2021 a déjà été trouvé coupable de brutalité policière et d’arrestation illégale par le Comité de déontologie policière.

https://www.canlii.org/fr/qc/qccdp/doc/2018/2018qccdp43/2018qccdp43.html

https://www.lapresse.ca/actualites/justice-et-faits-divers/2021-01-30/policier-blesse-dans-parc-extension/le-spvm-deploie-un-poste-de-commandement.php

Aux feux incouvrables

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Fév 012021
 

De Pas de solution policière à la crise sanitaire

Nous serions donc recouverts, écrasées. Après des mois à suivre tant bien que mal les restrictions sanitaires, voilà que l’on ploie sous le poids de l’inédit : un couvre-feu qui nous intime à rester chacun chez soi, du jamais vu de notre côté du monde depuis plus d’un demi-siècle.

L’idée n’est pas ici d’ajouter un autre texte d’analyse soulignant le caractère autoritaire, disproportionné et violemment « symbolique » du couvre-feu, son impact dévastateur sur les plus démuni.e.s, les marginaux et marginales, les travailleuses et travailleurs du soir (souvent précaires, ou déjà surmené.e.s), ou même d’en rajouter contre la dérive policière qu’il implique ou le fait que le caractère catastrophique de la situation actuelle provient surtout d’une série de compressions récurrentes dans les service publics depuis au moins 30 ans… Plusieurs textes1 prenant la pandémie au sérieux et ne tombant pas dans le registre conspirationniste ont déjà bien souligné le côté ignoble de la mesure (il ne vous reste plus qu’à les lire si ces éléments ne sont pas déjà des évidences pour vous).

Il s’agit plutôt ici de faire ressortir quelques lignes qui n’ont pas (ou si peu) été énoncées au cours des derniers mois. Des lignes qui ne nous feront pas d’ami.e.s, on le sait bien, mais qui circulent déjà comme un secret, exprimées à la fin d’une marche nocturne entre deux ami.e.s, dans une discussion furtive entre deux jeunes commis dans les allées d’une pharmacie, dans une rencontre Zoom entre des grand-parents et leurs enfants qui habitent dans une autre ville. Ces lignes, qui ont peut-être traversé par moments même les plus aligné.e.s, ne sauraient être tues plus longtemps. Il en va des sens portés par nos vies mêmes.

*

Le couvre-feu vient nous enlever un des derniers espaces de liberté qui nous restait. Celle de prendre un moment avec un.e ami.e à distance dans un parc après une journée à se faire bouffer les yeux par les écrans, celle d’aller prendre une marche pour changer d’air, sortir un peu de nos existences séparées par le confinement pour rencontrer un peu de différence. Après les fêtes, les bouffes entre ami.e.s, les moments de création collective, les concerts, on nous a enlevé ça, aussi. Alors que cette opération concertée contre les joies du commun était jusqu’à tout récemment justifiée par la science (ou du moins une certaine conception de la science), le couvre-feu semble être la première mesure proprement morale2 qui nous est imposée durant cette crise : cet « électrochoc symbolique », de l’aveu même du gouvernement et de la Santé publique, tombe comme un jugement sur les manières de vivre.

Ce nouveau diktat porte directement les mesures gouvernementales en réponse à la pandémie sur le terrain éthique, non pas dans le sens du code qui vient cadrer une série de pratiques, de règles immuables qui viennent surplomber des relations professionnelles, de recherche ou judiciaires, mais dans le sens de l’ethos, celui des manières de vivre. Cette conception de l’éthique pousse à interroger comment on souhaite vivre, qu’est-ce qui fait que cette vie vaut la peine d’être vécue, au-delà de la pure survie.

En nous imposant à résidence – réprimant toute sortie qui ne serait pas justifiée par le travail, les besoins primaires ou les soins de base –, le gouvernement nous dit ni plus ni moins comment vivre. Il y a longtemps que l’on sait que la vie est objet de pouvoir – c’est ce que Foucault avait pointé il y a plus de quarante ans par son concept de biopolitique : or ce que la pandémie vient clarifier maintenant, c’est que cette vie objet de pouvoir n’est pas uniquement la vie biologique, la survie, mais la qualité même de la vie, ce qui lui donne sa teneur, son goût, ce qui fait qu’elle peut avoir un sens pour nous.

*

La situation nous apparaît plus clairement comme une guerre entre formes de vie : ce qui est réprimé, c’est une vie faste, généreuse, conviviale3, où les liens primordiaux ne se limitent pas au couple, à la famille nucléaire, où ce qui compte ne se calcule pas en termes d’opportunités de carrière ou de bons coups sur les réseaux sociaux, mais une vie tissée de liens, pour qui les amitiés sans statut priment, une nocturne ponctuée de fêtes, de musique, tournée vers l’extérieur, vagabonde voire même sans domicile fixe. Parce qu’il se trouve que pour pas mal de monde, ce qui donne un sens à l’existence est justement ce qui est rabroué couche par couche, voire interdit, depuis le début de la pandémie.

Il faut se rendre à l’évidence : ce qui est préservé depuis la deuxième vague de la pandémie, c’est la forme-de-vie type de celles et ceux qui ont élu ce gouvernement : le petit entrepreneur, la jeune professionnelle, la gérante de service, le jeune cadre, qui se rendaient au travail juste pour faire acte de présence, mais qui n’avaient que hâte de rentrer dans leur maison de banlieue ou leur condo pour pouvoir s’enfiler quelques verres et passer le reste de la soirée à regarder des séries sur Netflix… avant de recommencer le lendemain. Le principal impact que le couvre-feu a vraiment sur ces types est qu’il n’a plus à se taper le trafic, qu’elle n’a plus besoin d’excuse pour tout acheter sur Amazon. Bon, il y a bien l’impossibilité d’organiser le souper du vendredi soir avec la belle famille (pour reprendre un des loisirs avoués du PM), ou la soirée de hockey avec les chums de gars, ou d’aller voir Louis-José Houde au Théâtre St-Denis une ou deux fois par année. Mais c’est pas mal tout que ça empêche, au fond.

On caricature un peu, c’est souvent plus complexe que ça, évidemment. Mais il reste que la plupart des gens qui soutiennent le couvre-feu sont aussi ceux et celles qui avouent que la mesure n’aura à peu près aucun impact sur leur vie quotidienne. Et ils-elles vont jusqu’à sous-entendre que ça ne devrait pas avoir d’impact négatif sur la vie de personne, comme si cette mesure était à la hauteur de l’idée misérable de la vie qu’on devrait avoir au Québec en hiver : « Anyways, y fait frette pis noir tôt, c’est plate, y’a pas de raison de sortir faque… pourquoi ça vous dérange? ». Et si vous ne pensez pas comme ça, si vous avez une autre conception de la vie, eh bien c’est vous le problème, vous êtes louches en fait.

Car voilà une des fonctions tacites les plus puissantes du couvre-feu : rediriger le ressentiment. Après avoir multiplié les petits empêchements, on peut enfin s’en prendre à ces irresponsables qui sortent le soir, qui ne vivent pas comme nous. Ça a au moins l’avantage de détourner l’attention de la gestion pitoyable de la crise, des innombrables incohérences des mesures, et des coupures et compressions répétées dans le système de santé qui l’ont rendu si vulnérable et qui ont mis tout le monde qui y travaille à bout. Grâce au couvre-feu, on peut enfin punir celles et ceux qui ont « triché » pendant le temps des fêtes, les jeunes qui se rencontrent malgré tout, mon voisin qui a reçu un ami l’autre soir sur son balcon et qui avait l’air d’avoir ben trop de fun… Et tant pis pour les pauvres qui sont trop mal foutu.e.s pour se trouver un logement où on peut rester enfermé à la journée longue sans virer fou, pour ceux qui s’entassent en ville avec plein d’étrangers, pour celles qui habitent seules sans connexion Internet…

Pendant ce temps, la majorité des éclosions a lieu dans les institutions disciplinaires (écoles, usines/lieu de travail, prisons), toutes qualifiées par un certain niveau d’enfermement. Mais mieux vaut taper sur celles et ceux qui refusent de s’enfermer.

*

Évidemment, il y a des gens qui ne prennent tout simplement pas la pandémie au sérieux, qui se croient au-dessus d’une solidarité de base et qui mettent une foule de monde en danger. Mais aujourd’hui malheureusement, pas besoin d’être aussi con pour se faire traiter d’irresponsable. Suffit de ne pas s’enligner sur la morale gouvernementale, et hop c’est parti. Mais si on s’y arrête un peu, est-ce que les jeunes qui dépriment chez eux, sans contacts sociaux, sont irresponsables d’aller voir des ami.e.s une nuit? Est-ce que des célibataires sont irresponsables de chercher à avoir une vie sexuelle pas complètement inactive malgré tout? Est-ce que l’aîné qui a reçu un diagnostic d’Alzheimer et qui n’a pas vu ses petits-enfants depuis des mois est irresponsable de passer les voir pendant une heure, masqué, à deux mètres à l’intérieur? Un peu, dans un sens, puisque si tous ces gens finissent par se faire contaminer ainsi, ils et elles iront se faire soigner comme les autres, avec tous les impacts qu’on connaît. Mais tous ces gens (et les innombrables situations différentes), ne sont pas écervelés : ils montrent seulement qu’il y a des dimensions de la vie à laquelle ils et elles ne sont pas près à renoncer totalement, que la vie est une affaire éthique. Ou, dans un langage plus clinique, qu’on ne saurait subsumer indéfiniment la santé mentale et les relations sous la santé physique (et les suicides? les dépressions? les violences intrafamiliales? les mutilations? c’est moins important parce que ça ne se chiffre pas en nombre d’hospitalisations?). Cet aspect de l’existence qui se voit constamment rabattu depuis des mois, en attendant…

Parce que ça commence à faire longtemps. Longtemps qu’entre la santé et l’économie, il ne reste plus de place pour grand chose. Que tout ce qui ne tombe pas dans ces deux catégories est limité, dissout, écrasé. Et à force d’être contraintes et isolés, on en vient à se demander ce qui reste de notre dignité, jusqu’où peut-on peut mettre la vie de côté? Quelles zones de l’existence va-t-on encore devoir mettre sur pause, voir disparaître? Combien de temps on pourra rester des zombies, chacun sur notre écran pour travailler, « voir » ses ami.e.s, se divertir, et rebelote? Deux mois? Six mois? Un an? Cinq ans? Parce que depuis le début, on nous dit que c’est un sacrifie à faire, pour un court laps de temps, pour sauver les plus démuni.e.s et éviter que le réseau de santé s’effondre. Ok, mais là ça va faire un an. Un an qu’on pourrit de l’intérieur. Et soyons réaliste, personne ne peut garantir qu’il n’y aura pas de 3e, 4e, 5e, voire même de 6e vague. Que les vaccins accordent une immunité de plus de six mois. Que le virus ne va pas muter, rendant certains inopérants. Pendant que le gouvernement fait de la gestion de la population (« il faut diminuer la probabilité des rassemblements ») et de la morale de crise, les yeux rivés surs les sondages, la vie s’écoule, dans un petit bruit qui ne reviendra pas.

Il faut bien se le dire, à un moment donné : on ne saurait « limiter tous les contacts » sans que la vie perde un peu de son sens. Il va falloir apprendre à re-vivre, à vivre-avec. Pas comme les conspis balançaient, en tout début de pandémie, qu’il fallait laisser le virus faire ses ravages, sans contextualiser, sans penser le soin, la complexité de l’immunité collective, etc. Non, vivre avec au sens de mettre fin à l’effritement de nos vies communes, de tracer une ligne, chaque fois singulière, derrière laquelle les mesures sanitaires ne passeront pas, de prendre soin de ces parts de nous qui meurent à petit feu enfermées. En fait, la question est déjà là : on « vit » déjà avec cette maladie depuis des mois. Mais on vit très mal. La question est de savoir comment vivre avec. Et ça, aucun gouvernement ne pourra nous l’imposer.

D’ici là, on lâche pas, on continue : à faire attention et à trouver des zones d’ombres, pour occuper les interstices, à prendre soin de nos proches et à retrouver le sentiment fuyant de la liberté, partager une intensité commune quelques instants, trouver les manières de contourner leurs cloisons.

Ces feux-là ne se recouvrent pas.

P.S. Oh, et pour celles et ceux qui reprendront la morale gouvernementale pour nous traiter d’égoïstes, de privilégié.e.s ou d’irresponsables (encore une fois), sachez que ces quelques lignes s’adressent à tout le monde : on le souhaite particulièrement pour les employé.e.s du réseaux de la santé, qui se font enfoncer des heures supplémentaires dans la gorge, pour les enseignantes et enseignants forcés de rentrer au travail, les itinérants et itinérantes, les fameuses gens vulnérables, qui peuvent aussi ne plus être capables de supporter l’isolement et la zoomification de l’existence… Va falloir arrêter de cliver le débat, de rabattre tout questionnement des mesures sanitaires-répressives dans l’imbécilité ou l’égocentrisme (ce qui revient souvent au même). Ce texte n’est qu’une amorce pour ouvrir des espaces de réflexion que trop de gens voudraient voir se refermer illico.

1 Notamment celui de Jaggi Singh (https://ricochet.media/fr/3431/pas-de-couvre-feu-ni-police-ni-delation), de Montreal Antifasciste (https://montreal-antifasciste.info/fr/2021/01/16/position-de-montreal-antifasciste-sur-le-couvre-feu-decrete-par-quebec) et du blogue L’Éteignoir (https://www.leteignoir.com/2021/01/ton-couvre-feu-de-marde.html), pour ne mentionner que ceux-là.

2 Une des premières mesures, plutôt : en fait le mode même d’imposition des confinements pandémiques vient implicitement poser l’unité familiale et le couple comme formes appropriées du vivre-ensemble. Sans rentrer dans le fait que la science implique souvent sa propre morale…

3 Le président français, qui semble servir d’exemple à notre mononcle national, a au moins eu l’honnêté de déclarer, lorsqu’il fut question d’imposer un nouveau couvre-feu, « Le problème, c’est la convivialité ».

Contrôle et surveillance en temps de pandémie

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Jan 302021
 

Du Projet accompagnement solidarité Colombie (PASC)

La pandémie a révélé les conséquences d’années de coupes budgétaires des gouvernements et de politiques favorisant la privatisation graduelle de nos systèmes publics de santé, au profit d’une vision mettant de l’avant la rentabilité économique de la santé.

Pour faire face à la pandémie de la COVID-19, au lieu de proposer des investissements dans nos services publics, de nombreux État ont opté massivement pour l’implantation de mesures répressives, telles que le confinement strict et le couvre-feu, et d’une panoplie de mesures de contrôle et de surveillance.

L’urgence et le climat de peur servent à forcer le consensus et à fabriquer le consentement de la population aux diverses mesures mises de l’avant pour nous sortir de la crise sanitaire. Nous acceptons jours après jours la mise en place de mesures de contrôle social qui, il y a à peine quelques mois, auraient été impensables. Le traitement médiatique de la pandémie n’est pas étranger à l’acceptation sociale des changements drastiques qui nous sont imposés.

Ainsi, la majorité des États se tournent vers le privé pour nous offrir des solutions technologiques. Comme ceux mis en place dès le début de la crise en Israël par exemple, où les données de géolocalisation des cellulaires, normalement utilisées par les services de renseignement pour réprimer les mouvements sociaux palestiniens, ont été utilisés pour identifier les personnes qui auraient été en contact avec des porteurs du virus.

Partout dans le monde, des pays ont maintenant recours à des applications de traçage numérique. Ainsi, avec le prétexte de vouloir nous protéger du virus, nous assistons à la mise en place de systèmes de suivis des déplacements et des relations de milliards d’individus, alors que les résultats sanitaires sont plus qu’incertains.

La pandémie est vue par l’élite mondiale comme une opportunité d’accélérer la mise en œuvre du capitalisme de surveillance et de ce que le Forum économique mondial (FEM) appelle, la 4ieme Révolution Industrielle : numérisation des chaines d’approvisionnement et de pans entiers de l’économie, Internet, des objets, villes intelligentes, etc. Le capitalisme de surveillance est une forme d’extractivisme, dans laquelle la matière première sont les données personnelles des individus, le nouvel « or » sur les marchés boursiers. Bref, une hyper-connexion via un système Internet totalement centralisé et contrôlé qui consigne dans de gigantesque centre de données, nos amitiés, nos désirs, nos tristesses et nos peurs afin de pouvoir les analyser et mieux les « influencer » grâce a la capacité de traitement de données de l’intelligence artificielle.

Les plans de développement des villes intelligentes, basés sur la surveillance et l’interconnectivité des données, affrontaient avant la pandémie de nombreuses réticences à cause de l’ampleur des changements proposés. La pandémie semble avoir fait disparaître ces réticences, agissant comme un choc qui permet de rendre acceptable que nos maisons deviennent notre bureau, notre gym, notre école et même notre prison si l’État le décide.

Montréal est devenue un des plus importants pôles de développement de l’intelligence artificielle dans le monde. « Les entrepreneurs en IA ont dans leur mire l’ancien pôle industriel entre Parc-extension et la Petite-Patrie, qu’ils appellent le Mile-Ex. Ils profitent aussi de l’expansion du campus de l’UdM dans la partie Sud de Parc-Extension. (…) Plusieurs start-up sont aussi situées près du Canal Lachine. (…) Ces entreprises s’approprient des ateliers locatifs, faisant grimper le prix des loyers et des ateliers, mais aussi des logements tout autour. Ce mouvement d’appropriation du territoire par les entrepreneurs en IA contribue à achever la gentrification des quartiers visés. »1 Nos luttes contre la gentrification peuvent les décourager de s’installer dans nos quartiers ; à nous de faire les liens entre l’embourgeoisement de ces derniers et le développement des pôles de l’IA.

Les crises du capitalisme opèrent toutes selon la même dynamique ; elles liquident des pans entiers de l’économie et permettent de la restructurer avant d’entrer dans une nouvelle phase de croissance et d’accumulation de capitaux, qui concentre chaque fois plus la richesse. Les crises financières, les guerres et les catastrophes, dont les pandémies, sont idéales pour remettre les compteurs à zéro. Klaus Schwab, le fondateur et président exécutif du FEM (aussi appelé forum de Davos) en est bien conscient, puisqu’il fait la promotion active de l’idée que la pandémie offre une fenêtre d’opportunité pour effectuer ce qu’il appelle The Great Reset, visant à jeter de nouvelles bases pour le fonctionnement du capitalisme global, basé sur l’idée d’une mondialisation version 4.0.

La crise actuelle permet également de mettre à jour les cadres légaux et les comportements sociaux et de réécrire les règles du jeu de la « nouvelle normalité » qui s’installe. N’oublions pas que les États tendent à rendre permanentes les lois spéciales et autres mesures d’exceptions introduites en temps de crise. Nous n’avons qu’à penser aux lois anti-terroristes ayant été votées un peu partout sur la planète après le 11 septembre 2001, donnant des pouvoirs accrus aux forces de l’ordre et à l’État en matière de contrôle et de surveillance ; l’ensemble de ces pouvoirs sont toujours en place.

En plus de mesures autoritaires comme l’imposition de couvre-feu et les contrôles d’identité, plusieurs autres moyens de surveillance médicale de masse sont en train de voir le jour : caméras thermiques et de reconnaissance faciale, bracelets électroniques pour contrôler la distanciation physique, et carnet de vaccination numérique font partie des propositions en vogue. Ce dernier est probablement le plus inquiétant car les personnes qui refusent de se faire vacciner pourrait se voir refuser l’accès aux avions, aux endroits publics, commerces, restaurants, bars, salles de spectacles et même à leur lieu de travail. L’Ontario et le Québec ont déjà indiqué qu’ils pensent à exiger des preuves de vaccination pour certaines activités.

Alors qu’on nous demande de nous adapter à cette nouvelle « normalité », nous devons nous demander jusqu’où sommes-nous prêtes à accepter ces nouvelles formes de contrôle et de surveillance de nos vies.

Nous assistons à une véritable réingénierie des comportements sociaux : imposition du télétravail, délation des voisins, peur de la contagion, peur d’une accolade, isolement social et acceptation de la surveillance de masse. Alors que le capitalisme de surveillance a bel et bien pris son envol et que son éventail de nouvelles technologies nous est présenté comme autant de solutions miracles à la crise que nous vivons; nous percevons avec inquiétude la rapide acceptation des mesures qui créent de la distance dans nos relations humaines et nous empêchent d’être ensemble…

Bien que nous acceptions la distanciation sociale comme un mauvais moment à passer, tant qu’il s’agit d’une mesure temporaire pour se protéger et protéger nos proches, nous pouvons refuser de nous y habituer et affirmer d’ores et déjà que nous n’accepterons pas la distanciation sociale perpétuelle. Nous avons besoin du contact humain et nous en priver revient à nous déshumaniser.

Tout comme nous refusons l’imposition de mesures autoritaires pour faire face à la pandémie, refusons que s’installe un monde sans contact!

Mise à jour 2021 du TuTORiel Tails

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Jan 282021
 

De Paris-Luttes.info

[Version mise à jour du tutoriel – janvier 2021] Tails est un système d’exploitation qui tient sur une clef USB fait pour faire de la sécurité informatique et qui regroupe des logiciels pour se protéger un minimum de la surveillance. Une mise à jour vient d’être proposée à une brochure publiée il y a un an pour aider à utiliser cet outil.

Vous pouvez retrouver la mise à jour de la brochure «TuTORiel Tails» (janvier 2021) qui avait été publiée il y a un an en suivant ce lien :
https://infokiosques.net/spip.php?article1726

Petit tutoriel de base sur l’usage d’une clé Tails, système d’exploitation qui tient sur une clé USB. Utile pour tout ce qui touche à la sécurité informatique et relativement simple d’usage.

• Tails est un système dit live. Ça veut dire qu’il ne s’installe pas sur un ordinateur. Il s’installe généralement sur une clé USB (ou une carte SD ou même un DVD). Lors de son utilisation, l’ordinateur fonctionne uniquement sur cette clé. D’ailleurs, cet ordi peut ne pas avoir de disque dur, son système d’exploitation habituel peut être complètement planté ou surchargé, peu importe, ça marchera pareil, il ne s’en servira pas.
• C’est ce qui lui permet d’être amnésique. Par défaut, Tails est conçu pour ne pas laisser de traces sur l’ordinateur une fois que la session est terminée. La clé utilise uniquement la mémoire vive de l’ordinateur (mémoire plus volatile que le disque dur), qui est nettoyé à l’extinction. Elle est faite aussi pour, par défaut, ne pas installer de nouveaux logiciels (même si l’on verra que c’est possible) et revenir à son état initial après chaque redémarrage. Il est possible d’y stocker des données dans un espace chiffré par une phrase de passe.
• Tails est aussi un système qui vous permet d’être incognito. Il cache les éléments qui pourraient révéler votre identité, votre localisation, le contenu de ce que vous échangez, etc.
• Tails est conçu pour faire de la sécurité informatique, elle est aussi bien utilisée pour des activistes, journalistes, toutes personnes souhaitant limiter ses traces numériques (pour des raisons politiques ou de protection), des mafieux, des militaires, etc. Un environnement minimal, fonctionnel et vérifié est déjà installé (avec de quoi faire un minimum de traitement de texte, traitement d’image, de son, de vidéos, etc.). Elle intègre des outils de chiffrements et de suppression de données qui se veulent simples et tout un tas de protections contre un certain nombre de types d’attaques est pensé.
• Tails n’est pas magique et conserve des limites abordées dans le tutoriel.

Ce petit guide sert de complément à une formation Tails. Il est construit à partir de copier-coller de sites internet ou documents déjà existants, complétés sur d’autres parties par une personne non informaticienne, mais qui s’intéresse à l’autodéfense numérique et en propose des formations depuis quelques années.

Cette brochure ne donne pas les tenants et aboutissants comme peut le faire le guide d’autodéfense numérique (à consulter sur ce lien : https://guide.boum.org/), elle sert plutôt d’accompagnement pour utiliser Tails, avec des astuces, des captures d’écrans, quelques réglages de bugs récurrents qui font abandonner Tails à certaines personnes.

Réorientation anarchiste à l’époque de la COVID

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Jan 282021
 

Soumission anonyme à MTL Contre-info

Publication initiale le 23 mars 2020

La situation change d’heure en heure. Comme tout le monde, je le suis de près et je partage les nouvelles infos, je regarde nos vies changer chaque jour, je sombre dans l’incertitude. Il nous arrive d’avoir l’impression qu’il n’y a qu’une seule crise dont les faits sont objectifs et qui ne permettent qu’une seule voie: celle de la séparation, de l’enfermement, de la soumission, du contrôle. L’État et ses appendices deviennent donc les seuls acteurs légitimes et le récit des médias de masse, avec la peur qu’ils véhiculent, inonde notre capacité d’action autonome.

Certain·e·s anarchistes ont signalé l’existance de deux crises qui se déroulent en parallèle. La première c’est la pandémie qui se répand à toute allure, qui nuit gravement et provoque même la mort pour des milliers de personnes. L’autre, c’est la stratégie de gestion de crise de l’État. Il veut nous faire croire qu’il agit pour défendre la santé de tout le monde — il veut qu’on voit sa réponse à la crise comme objective et inévitable.

La gestion de crise permet à l’État de décider les conditions qui existera une fois la crise passée, ce qui lui permet de choisir les gagnants et les perdants, selon des critères prévisibles. Si on reconnait l’inégalité comme partie intégrante de ces mesures soi-disant neutres, il faut aussi avouer que certain·e·s payeront un prix bien plus élevé pour ce que les puissants nomment le bien collectif. Je veux retrouver l’autonomie et la liberté d’action dans cette situation et pour ce faire il sera nécessaire d’échapper au récit qui nous est donné.

Lorsqu’on permet à l’État de contrôler le récit et les questions que l’on pose, on lui permet aussi de contrôler la réponse. Si on désir un résultat autre que ce que préparent les puissants, il sera nécessaire de poser une question différente.

Nous ne faisons pas confiance aux récits médiatiques sur bien des sujets et nous restons d’habitude conscient·e·s du pouvoir des puissants de façonner le récit pour rendre inévitable les actions qu’ils ont envie de prendre. Ici au Canada, l’exaggération et les mensonges sur l’impact des blocages liées au mouvement #shutdowncanada ont préparé le terrain pour un retour violent au normal. Il est possible de comprendre l’importance d’un protocol pour limiter les infections tout en restant critique de la manière dont l’État s’en sert à ses propres fins. Même si on regarde la situation pour nous même et on arrive à accepter certaines recomandations que prône aussi l’État, il ne nous est pas nécessaire d’adopter son projet comme le notre. Il y a toute une différence entre suivre des ordres, et la pensée indépendante qui mène à des conclusions semblables.

Lorsqu’on porte vraiment notre propre projet, il nous est plus facile d’arriver à une analyse indépendante de la situation, d’examiner les diverses informations et suggestions pour nous même et de se demander ce qui est en accord avec nos buts et priorités. Par exemple, céder la possibilité de manifester quand grand nombre ont encore besoin de bosser dans le commerce du détail ne peut être qu’une mauvaise décision pour tout projet libérateur. Ou bien reconnaître la nécessité d’une grêve des loyers, tout en propageant une peur qui interdit toute manière de se retrouver entre voisin.e.s.

Abandonner les moyens de lutter tout en accomodant l’économie n’a rien en commun avec nos buts à nous mais découle du but de l’État qui veut gérer la crise tout en limitant les dégats économiques et empêchant toute atteinte à sa légitimité. Ce n’est pas que l’État cherche à limiter la dissidence, c’est juste un sous-produit. Mais si nous avons un point de départ différent — cultiver l’autonomie au lieu de protéger l’économie — nous arriverons sans doûte à un équilibre différent sur ce qui nous est acceptable.

Pour ma part, un point de départ c’est que mon projet en tant qu’anarchiste est de créer les conditions pour des vies libres et enrichissantes et non simplement des vies les plus longues possibles. Je veux écouter des conseils intelligents sans céder mon autonomie et je veux respecter l’autonomie des autres — au lieu d’un code moral à imposer, nos mesures pour le virus devrait se baser sur des accords et des limites, comme toute pratique de consentement. En discutant des mesures qu’on a choisi, on arrive à des accords et là où l’accord est impossible, nous établissons des limites auto-exécutoires qui n’ont pas besoin de coercition. Nous prenons en compte comment l’accès aux soins médicaux, la classe, la race, le genre, la géographie et bien sûr la santé interagissent avec en même temps le virus et la réponse de l’État et nous prenons celà comme une base pour notre solidarité.

Le récit de l’État insiste sur l’unité — l’idée qu’il est nécessaire de se rassembler comme société pour un bien singulier qui nous appartiendrait à tous et toutes. Les gens aiment le sentiment de faire partie d’un grand effort de groupe et aiment l’idée qu’ils puissent contribuer par leurs gestes individuels — le même genre de phénomène qui rend possible les mouvements sociaux contestataires permetant aussi à ces moments d’obéissance de masse. Notre rejet de ce récit peut donc commencer en se rappellant de l’opposition fondamentale entre les intérêts des riches et des puissants et les nôtres. Même dans une situation où ils pourraient tomber malade et mourir eux aussi (en différence avec la crise des opiacés ou l’épidémie du SIDA avant), leur réponse à la crise à peu de chance de satisfaire nos besoins et risque même une intensification de l’exploitation.

Le sujet présumé de la plus part des mesures tel que l’auto-isolement et l’éloignement social est de classe moyenne — ils imaginent une personne avec un emploi qu’elle peut facilement faire de chez elle ou bien qui a accès à des congé payée (ou dans le pire des cas, à des économies), une personne avec un chez-elle spacieux, une voiture personelle, sans beaucoup de relations intimes et avec du fric à dépenser sur la garde d’enfants et le loisir. Tout le monde est exhorté à accepter un niveau d’incomfort, mais ceci augmente à force que nos vies diffèrent de cette idéale implicite, ce qui augmente l’inégalité du risque des pires conséquences du virus.

En réponse à cette inégalité on voit circuler de nombreux appels pour des formes de redistribution étatique, telles que l’expansion de l’assurance emploi, des prêts ou des reports de paiement. La plus part de ces mesures se résument à de nouvelles formes de dette pour des gens déjà en difficulté, ce qui fait écho de la crise financière de 2008, où tout le monde a partagé les pertes des riches tandis que les pauvres ont été laissés pour compte.

Je n’ai aucun intérêt à donner des conseils à l’État et je ne suis pas parmi celleux qui voit en ce moment un point de bascule vers des mesures socialistes. La question centrale à mon avis, c’est si on veut ou non que l’État ait le pouvoir de tout arrêter, peu importe ce qu’on pense des raisons invoqués.

Le blocages #shutdowncanada étaient jugées innacceptables, bien qu’ils ne causaient pas une fraction des dégats que ce qu’a pu faire l’État, à peine une semaine plus tard. C’est clair que le problème n’est pas le niveau de perturbation, mais qui est l’acteur légitime. De la même manière, le gouvernement de l’Ontario ne cessait de répéter à quel point la grève des enseignant·e·s et leurs quelques journées d’actions auraient été un fardeau inacceptable pour les familles, juste avant d’ordonner la fermeture des écoles pendant trois semaines. Encore une fois, le problème c’est que c’était des travailleurs·euses et non un gouvernement ou un patron. La fermeture des frontières à des gens mais non à des biens intensifie le projet nationaliste déjà en marche partout dans le monde et la nature économique de ces mesures à l’apparence morale deviendra évidente après le pic du virus et quand les appels deviendront plutôt « achêter, pour l’économie ».

L’État rend légitime ses actions en les positionnant comme la simple mise-en-pratique des recommandations expertes et de nombreux gauchistes répètent cette même logique dans leurs appels pour la gestion directe de la crise par des experts. Tous les deux prônent la technocratie et le règne des experts. On a vu de ça dans certains pays européens, où des experts économiques étaient nommés chef d’État pour mettre en place des plans d’austérité « neutres’ et « objectifs ». On trouve souvent à gauche des appels à céder notre autonomie pour se fier à des experts, surtout dans le mouvement contre les changements climatique, et aucune surprise de les retrouver pour le virus.

Ce n’est pas que je ne veux pas l’avis d’experts ou qu’il existe des individus avec une connaissance profonde de leur domaine — c’est que je trouve que la manière de présenter un problème anticipe déjà la solution. La réponse au virus en Chine nous montre de quoi la technocratie et l’autoritarisme sont capables. Le virus ralenti et les postes de contrôle, les couvre-feu, les technologies de reconaissance faciale et la mobilisation de main d’oeuvre peuvent servir à d’autres fins. Si on ne veut pas cette réponse, il faut savoir poser une question différente.

Les écrans ont déjà réussi à enfermer énormément la vie sociale et cette crise ne fait qu’accélérer ce processus — que peut-on faire pour lutter contre l’aliénation en ce moment? Que peut-on faire pour répondre à la panique de masse que répandent les médias, ainsi qu’à l’anxiété et la solitude qui viennent avec?

Comment répandre la possibilité d’agir? Les projets d’entraide et de santé autonomes sont une bonne idée, mais peut-on passer à l’offensive? Peut-on entraver la capacité des puissants de décider quelles vies valent la peine de sauver? Peut-on aller au-delà du soutien pour s’attaquer aux rapports de proprieté? Aller vers le pillage ou l’expropriation, ou même extorquer les patrons au lieu de mendier pour un peu de congé maladie?

Que fait-on pour préparer à esquiver les couvre-feu ou des restrictions de déplacements, même à traverser des frontières bouclées, si on décide que c’est approprié? Cela comprendra d’établir nos propres standards pour la sécurité et la nécessité et de ne pas accepter bêtement celles de l’État.

Que peut-on faire pour avancer nos engagements anarchistes? En particulier, notre haine de la prison dans toutes ses formes me parait pertinente. Que peut-on faire pour cibler les taules en ce moment? Et les frontières? Et si la police s’en mêlent pour appuyer les mesures de l’État, comment faire pour délégitimer et limiter leur pouvoir?

Le pouvoir se reconfigure autour de nous — comment cibler ses nouveaux points de concentration? Quels intérêts cherchent à « gagner » au virus et comment les miner (pensons aux opportunités d’investissement, mais aussi aux nouvelles lois et l’expansion de pouvoirs autoritaires). Quelles infrastructures de contôle se renforcent? Qui sont les profiteurs et comment les atteindre? Comment préparer pour ce qui viendra après et se préparer pour le moment de possibilité qui pourrait exister entre le pire du virus et un retour à la normalité économique?

Développer notre propre récit de ce qui se passe, ainsi que des buts et priorités qui nous sont propres, n’est pas mince affaire. Il sera nécessaire d’échanger des textes, experimenter en action et communiquer sur les résultats. Il nous sera nécessaire d’élargir notre idée d’intérieur-extérieur pour avoir suffisament de gens avec qui s’organiser. Il sera nécessaire de continuer d’agir dans l’espace publique et refuser de se replier sur l’internet. Avec les mesures pour combattre le virus, la peur intense et la pression de se conformer chez nombreuses personnes qui seraient autrement nos alliées rend difficile la tâche de discuter de la crise autrement. Mais si on veut vraiment défier la capacité des puissants de façonner la réponse au virus selon leurs intérêts, il faut commencer par regagner l’abilité de poser nos propres questions.

Les conditions sont différentes partout, mais les États se regardent et se prennent en exemple, alors il nous ferait bien de regarder les anarchistes ailleurs pour voir comment illes font face à des conditions qui seront bientôt les notres. Alors je vous laisse avec cette citation d’anarchistes en France, où le confinement obligatoire est en place depuis une semaine, maintenu par la force armée de la police:

Alors oui, on va éviter les activités trop collectives, les réunions superflues, on va maintenir des distances de sécurité, mais on niquera votre confinement, déjouera autant que possible vos contrôles, hors de question qu’on cautionne la restriction de nos libertés et la répression ! A tou.te.s les pauvres, les marginaux et les révolté.e.s, soyons solidaires et entre-aidons nous pour maintenir les activités nécessaires à notre survie, éviter les arrestations et les amandes et continuer à nous exprimer politiquement.

Contre le confinement généralisé, Indymedia Nantes

Ex Masculus : Réflexions critiques sur les groupes d’hommes pro-féministes

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Jan 282021
 

Soumission anonyme à MTL Contre-info

Cette brochure est originellement écrite en anglais depuis les USA, et publiée en 2013. La version originale est trouvable sur :
https://exmasculus.wordpress.com/

Nous l’avons traduite à 3, si on ne compte pas les nombreux·ses relecteur·ices qui nous ont permis d’arriver au bout, et qu’on remercie beaucoup : merci beaucoup. Nous sommes une meuf et deux mecs cis réuni·es autour d’un groupe de travail antisexiste, et à qui il a semblé que ce type de brochure manquait cruellement en francophonie.

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La Mauvaise Herbe vol.19

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Jan 262021
 

De La Mauvaise Herbe

Heureuse nouvelle contre la dépression saisonnière, La Mauvaise Herbe vient de publier son nouveau numéro (décembre 2020)!!

Sommaire des articles:
– Des kilomètres et des chalets
– Tchernobyl et le COVID
– Des nouvelles du progrès
– Être ancrés dans la réalité et le sol
– Anarchiste d’esprit vs anarchiste de parole
– Compte-rendu du livre Operation Chaos
– Voici à quoi ressemble le terrorisme domestique
– Extraits du livre La lutte pour le territoire québécois; entre extractivisme et écocitoyenneté

Vous pouvez télécharger ce numéro sur le lien ci-dessous:

MH19

Crise sanitaire : comment le capitalisme nous tue depuis un an

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Jan 262021
 

De Archives Révolutionnaires

Au début de l’année 2020, la presse fait état d’un nouveau virus se propageant à travers le monde. Au printemps, dans un pacte officieux et en attendant d’en savoir plus sur les modalités de transmission et la dangerosité du nouveau coronavirus, la plupart des États capitalistes décident de ralentir, voire de fermer la majeure partie de leur économie. Au Québec, l’état d’urgence sanitaire est déclaré le 13 mars 2020. Pourtant, dès que « l’on en sait un peu plus » et que l’on croit le virus contrôlable, l’ensemble des pays industrialisés rouvrent leur économie : il faut faire vite dans le but de ne pas être laissé derrière. Au début du mois de mai, les magasins, la plupart des entreprises et les garderies entament une réouverture au Québec, la ville de Montréal retardant de quelques semaines sur le reste de la province. Un déconfinement général est amorcé le 25 juin, alors que l’obligation de porter un masque dans les lieux publics fermés est décrétée le 18 juillet : l’économie fonctionne quasi à plein régime, quoique les citoyen.nes doivent changer quelques habitudes de vie. L’été semble offrir un répit avant que le virus ne recommence à se répandre au début du mois de septembre, grosso modo lors de la période du retour en classe et à cause de la baisse graduelle des températures qui pousse la population à passer plus de temps à l’intérieur et dans des lieux moins aérés, au travail comme ailleurs. En janvier 2021, le Québec fait état de plus de 250 000 cas et d’un bilan de plus de 9 400 mort.es de la COVID-191. Qu’est-ce qui nous a menés là ? Pourquoi, malgré un an d’efforts collectifs, la situation semble-telle toujours s’aggraver ? Éléments d’explication.

L’état dans lequel se trouve aujourd’hui le Québec est directement imputable à l’organisation capitaliste de notre société. Les gouvernements québécois des 30 dernières années, en phase avec l’idéologie néolibérale, ont systématiquement détruit les structures de solidarité sociale, au premier rang desquels le système de santé publique2. Anémique, le réseau hospitalier est dorénavant incapable de supporter la pression d’un afflux supplémentaire de malades, comme il est incapable de prodiguer des soins adéquats aux patient.es ou d’offrir des conditions de travail dignes à la majorité de ses employé.es. Négligés ou privatisés, les Centres d’hébergement de soins de longue durée (CHSLD) sont devenus le tombeau des improductif.ves. Dans ce tout-à-l’économie, focalisé sur le maintien de la production et de la consommation, le gouvernement – de connivence avec l’industrie – a de surcroît mis en danger les travailleur.euses en lésinant sur la fermeture du secteur manufacturier, de la construction et de nombreuses autres entreprises. Cette désinvolture a entraîné la concentration des contaminations dans les quartiers ouvriers, révélant au passage les inégalités sociales et la division de classes sur lesquels repose le système capitaliste3. Face à cette gestion froide et comptable de la crise, qui réduit l’individu à sa seule fonction productive tout en rudoyant les secteurs reproductifs (santé, éducation…), une colère multiforme se fait entendre. C’est pour dissimuler les facteurs structurels qui alimentent la pandémie et mater la colère qui se généralise que le gouvernement de François Legault (Coalition Avenir Québec) se dédouane en responsabilisant les individus – pourtant victimes de la crise – et qu’il emploie de plus en plus de mesures fondées sur la peur, la répression, la discipline policière et l’autoritarisme.

Néolibéralisme et système de santé : un mal profond

Les gouvernements péquistes, libéraux et caquiste des 30 dernières années, adhérant tous à l’idéologie néolibérale, ont systématiquement détruit les structures de solidarité sociale4, en particulier le système de santé publique dont nous aurions tant besoin en ce moment. Le gouvernement de Lucien Bouchard (Parti Québécois) – dans lequel François Legault était ministre – a fait du néolibéralisme une politique d’État en imposant son programme du « déficit zéro » en 1996, une politique à laquelle se sont désormais pliés tous les gouvernements successifs. Le gouvernement libéral de Philippe Couillard, quant à lui, a donné le coup de grâce en opérant des compressions massives et des restructurations au sein du système de santé publique dans le cadre de la « réforme Barrette » amorcée en 20155. Ce programme a entraîné une dégradation majeure des conditions de travail des employé.es du secteur public de la santé, sans compter l’effondrement de la qualité des soins6.

Le réseau ressemble maintenant à un monstre centralisé et surbureaucratisé7, dans lequel les travailleur.euses ont peu d’ascendant sur les décisions qui affectent leur travail et doivent répondre à des standards de productivité difficilement applicables en contexte de soins8. De nombreux.euses employé.es, incapables de supporter plus longtemps une telle pression – d’ailleurs contraire aux principes altruistes du système de santé – quittent leur emploi dans le secteur public, ce qui entraîne des pénuries de personnel. La pandémie n’a fait qu’aggraver cette situation catastrophique. Le gouvernement du Québec a suspendu plusieurs conventions collectives dans le domaine de la santé en mars 2020, s’octroyant ainsi le droit de déplacer le personnel à sa guise et sans égard pour les postes occupés, d’annuler des congés préalablement autorisés et de refuser l’octroi de nouveaux congés9. Aucune réponse n’a par ailleurs été donnée aux demandes légitimes et aux mobilisations des travailleur.euses de la santé concernant l’équipement de protection individuel adéquat, l’interdiction de déplacer le personnel hospitalier pour freiner la propagation du virus, les heures de travail, les congés ou la paie. En décembre 2020, les travailleur.euses de l’hôpital de Chicoutimi imploraient encore leur Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux (CIUSSS qui chapeaute une région socio-sanitaire du Québec) de leur fournir des masques N95 afin de freiner la contamination au sein du personnel soignant10.

Affichage public, Trois-Rivières, 2020 (@le_pleurnicheur)

Au cours des années, l’État québécois – responsable du domaine de la santé – s’est montré incapable d’assumer sa responsabilité envers les personnes âgées et les CHSLD, en laissant nombre d’établissements aux mains du secteur privé et en négligeant ceux du secteur public. Sans surprise, les CHSLD privés imposent les pires conditions de travail pour le personnel et les salaires les plus bas, entraînant là aussi une grave pénurie de main-d’œuvre. Ces établissements ont par ailleurs fait la manchette en raison des négligences dont leurs résidant.es sont victimes. L’hécatombe dans les CHSLD privés et publics du printemps 2020 est la conséquence tragique d’un mode de gestion entrepreneurial de la société qui rejette sa responsabilité envers les aîné.es (vu.es comme des non-productif.ves) ou qui privatise cyniquement les soins auxquels il.les ont droit. Le travail de reproduction sociale associé à ces soins, principalement dévolu à des femmes (dont beaucoup sont issues de l’immigration) est naturellement dévalorisé en régime capitaliste, sexiste et raciste. Pour remédier à la catastrophe dans le système de santé, aucune solution conséquente ou structurelle n’a été proposée. Le comptable en chef, François Legault, se contente de féliciter les « anges gardiens » (entendre, les travailleur.euses essentiel.les), tout en laissant le système dépérir et en maintenant une attitude condescendante et violente envers celles et ceux qui travaillent dans le domaine de la santé. Les gestionnaires d’établissements continuent d’user de la contrainte envers leur personnel en toute impunité11, notamment par l’imposition de « temps supplémentaire obligatoire ». L’appel de plus en plus massif aux agences de placement pour pallier les pénuries de main-d’œuvre contribue par ailleurs à la contamination massive des employé.es comme des patient.es12, alors que les « employé.es volant.es » deviennent involontairement et à leur grand dam des vecteurs de transmission.

Nous voilà devant les conséquences des compressions drastiques et des restructurations des gouvernements péquistes, libéraux et caquiste qui, depuis les années 1980, détruisent le système de santé publique que le Québec avait tenté de mettre en place à partir des années 1960. L’économicisme et l’incurie sociale de ces gouvernements successifs tuent les plus vulnérables d’entre nous aujourd’hui. Un réseau décentralisé, bien organisé et bien financé, aux employé.es en nombre suffisant et bénéficiant de bonnes conditions de travail, aurait certainement fait la différence13. De même, si une partie des soins de santé pour les personnes en fin de vie ou âgées n’avait pas été laissée entre les mains du secteur privé, nous n’aurions sûrement pas subi ces terribles pertes en vies humaines dans les CHSLD au printemps 2020. Si nous ne pouvons pas revenir en arrière, il est pourtant primordial de mettre en œuvre des solutions systémiques afin qu’une telle tragédie ne se reproduise jamais. La solution à long terme repose sur une vision de la santé non capitaliste et qui fait fi du productivisme, ainsi que sur une gestion coopérative ou une autogestion des établissements de santé, qui place le bien-être des patient.es et du personnel au premier plan : nous savons déjà que le personnel de santé est le plus apte à organiser convenablement les soins et c’est ce qu’il a prouvé malgré les terribles conditions actuelles. Laissons-le travailler comme il l’entend pour le bien-être, la santé et la dignité de toutes et tous.

Une crise pandémique qui en révèle cent autres : quand le capitalisme déconne

En refusant d’élaborer un plan conséquent, dans le temps long, de fermeture de différents secteurs de l’économie après le printemps 2020, le gouvernement Legault, obsédé par le maintien de la production et de la consommation, a mis en danger un grand nombre travailleur.euses, au premier rang desquels les employé.es des secteurs manufacturiers, de l’entreposage, de l’alimentaire et des services (bien sûr, sans compter celles et ceux de la santé). Ce n’est pas un hasard si la crise sanitaire frappe le plus durement les quartiers ouvriers, populaires et paupérisés – là où vivent les travailleur.euses des secteurs maintenus en activité – depuis le printemps 2020.

C’est un lieu commun de dire que le mode de production capitaliste est créateur de profondes inégalités tant au niveau national qu’international14. Ce système, qui génère des bénéfices pour une minorité de privilégié.es et laisse des miettes à la majorité qui produit, s’appuie sur une division de classes, sexuelles et raciales du travail. L’accélération du déconfinement au printemps 2020, alors que la pandémie était loin d’être maîtrisée, a ainsi frappé de plein fouet les travailleur.euses les plus précaires, dont le large contingent des travailleur.euses essentiel.les. Malgré l’insistance médiatique sur les rencontres privées et les partys, les principaux lieux d’éclosion ont toujours été les milieux de travail, ainsi que les hôpitaux, les écoles et les garderies (qui sont aussi des milieux de travail). Le 31 août 2020, le journal Métro rapportait que quelque 1 200 entreprises montréalaises (excluant les services publics, entre autres les hôpitaux) avaient officiellement recensé au moins un cas de COVID-19 depuis la mi-mars. Parmi celles-ci, environ le quart était considéré comme des foyers d’éclosion15. En date du 23 janvier 2021, les milieux de travail comptabilisaient 56,1 % des éclosions terminées, les milieux scolaires, 21,3 % et les garderies, 6,6 %. Quant aux « milieux de vie et de soins », ils comptaient pour 11,5 % des éclosions terminées alors que la catégorie « autres milieux » en recensait 1,8 %16.

Qui sont les travailleur.euses les plus à risque ? En sus des employé.es de la santé et du secteur tertiaire, ce sont les travailleur.euses des secteurs manufacturier, de l’entreposage et de l’alimentaire, des employé.es précaires – en grande partie immigré.es, sans-papiers ou racisé.es – qui doivent travailler dans des conditions difficiles et le plus souvent dangereuses, en « temps normal », mais aussi en temps de pandémie. Les abattoirs, par exemple, ont été des milieux particulièrement touchés par le virus, pour la simple raison que les employé.es sur les lignes de production doivent travailler côte à côte et que les employeurs y négligent les mesures de protection17. Des employé.es des entrepôts de Dollarama dénonçaient à l’été 2020 leurs conditions de travail qui ne respectaient aucunement les consignes sanitaires18. Dans le secteur manufacturier, on continue à déplacer matin et soir des travailleur.euses dans des autobus scolaires (jaunes), ce qui constitue un important vecteur de transmission auquel les travailleur.euses ne peuvent pas échapper19. Tous ces secteurs ont en commun de faire appel massivement aux agences de placement, qui favorisent un grand roulement de personnel et augmentent la difficulté d’organiser des syndicats… et qui permettent aussi au virus de circuler et aux employeurs d’être négligents sans avoir à répondre de leurs actions.

Le ministre Pierre Fitzgibbon ne se gênait pourtant pas pour mentir impunément aussi récemment que le 8 janvier en entretien au Devoir20, alors qu’il affirmait « qu’il n’y en a pas eu tant que ça [des contaminations en milieu de travail] », reconnaissant pourtant « qu’il y a peut-être eu un peu d’influence » de sa part pour que les manufactures et le secteur de la construction demeurent en activité. Le ministre affirmait compter sur « l’autodiscipline » des entreprises pour éviter les éclosions de COVID-19 en milieu de travail. Nous sommes en droit de nous demander de quelle « autodiscipline » le ministre parle alors qu’un grand nombre d’entreprises fait visiblement passer le profit avant la sécurité et la santé des employé.es. Si plusieurs entreprises lésinent sur les mesures préventives, celles qui les mettent en place, comme les épiceries, trouvent d’autres moyens de malmener leurs employé.es. La chaîne d’épicerie Loblaws, par exemple, a annulé au cours de l’été 2020 son « augmentation salariale d’urgence » de 2 $ de l’heure qu’elle avait offerte à ses employé.es en raison des dangers encourus par celles et ceux-ci au début de la pandémie. Ce 2 $ s’ajoutait à un salaire de plus ou moins 13 $ de l’heure. Pendant ce temps, la fortune de la famille Weston, propriétaire des épiceries Loblaws, s’élevait (en septembre 2020) à 10,8 milliards de dollars21… et les caissières et commis de Loblaws continuaient d’être exposé.es au virus lors de la deuxième vague de l’automne.

Farm Workers / Vegetable and Fruit Pickers – Essential Worker Portrait no.6 (Carolyn Olson)

Dans de telles conditions, les quartiers ouvriers et populaires connaissent les taux de contamination les plus graves de la province depuis le printemps 2020. Ces quartiers, où habitent un grand nombre de préposé.es aux bénéficiaires, d’infirmier.ères, de travailleur.euses des secteurs secondaire et tertiaire, des quartiers où vivent de nombreux.euses travailleur.euses migrant.es et sans-papiers, les plus touchés par la pandémie, sont paradoxalement (mais sans surprise) les plus négligés par les pouvoirs provinciaux et municipaux. Au printemps 2020, Le Devoir révèle que les quartiers Saint-Michel, Montréal-Nord et Rivière-des-Prairies à Montréal sont les quartiers les plus touchés par le coronavirus22. À la même période, le quartier Parc-Extension connaît une hausse fulgurante des cas de COVID-19. Le même article du Devoir rapporte qu’à Montréal-Nord, 40 % des cas de coronavirus sont directement liés aux travailleur.euses de la santé et des CHSLD. Un grand nombre de résident.es de Parc-Extension travaillent quant à eux dans le secteur agricole – lui aussi durement touché par le virus23 – et dans le secteur de la transformation alimentaire24, alors que les logements du quartier sont souvent trop petits pour accueillir les familles qui y vivent25. Conditions de travail non sécuritaires et proximité dans les milieux de vie deviennent vite les raisons évidentes de la contamination qui affecte les travailleur.euses et les quartiers populaires, loin du fantasme des « vilain.es fêtard.es » sensé.es être la cause principale de la propagation du virus. Face à cette situation, bien peu est proposé par le gouvernement provincial afin d’aider les travailleur.euses précaires, les locataires paupérisé.es ou les personnes marginalisé.es, entre autres. L’incurie des administrations provinciales comme municipales a forcé des citoyen.nes bénévoles à prendre en charge la prévention, la distribution de masques, le dépistage ou encore l’aide alimentaire. À Montréal-Nord, ce sont des bénévoles (lié.es aux organisations de quartier Hoodstock, Paroles d’excluEs et Un itinéraire pour tous notamment) qui se sont occupé.es de la sensibilisation ainsi que de la distribution de matériel de protection individuelle et de denrées alimentaires26.

La précarité économique, les emplois à risque, le manque de logements adéquats, le surpeuplement et la densité de certains quartiers sont les facteurs systémiques déterminants qui amplifient la crise pandémique. Le port du masque est certes l’une des meilleures barrières contre la transmission du virus en situation fermée, mais comment espérer que des employé.es travaillant, par exemple, dans une cuisine surchauffée et étroite puissent respecter ledit port du masque durant huit heures d’affilée ? Comment croire que les lieux de travail seraient magiquement immunisés contre les éclosions, alors que c’est pourtant eux qui mettent en contact le plus régulièrement et avec la plus grande proximité le plus grand nombre de personnes, sans compter la négligence des entreprises qui sont là pour le profit et non pour le bien-être et la santé des employé.es ? Comment ignorer que le fait d’habiter dans des logements trop petits, mal aérés et surpeuplés – c’est le cas pour une grande partie des travailleur.euses – contribue à la propagation du virus ? Si les mesures « de base » (distanciation, lavage de mains, port du masque, etc.) sont efficaces pour freiner la propagation du coronavirus, il faut pourtant, afin qu’elles portent réellement fruit, qu’elles soient accompagnées de mesures structurelles favorisant réellement et durablement la distanciation sociale, au travail comme à la maison, sans abandonner des pans entiers de la population à leur sort.

Comment croire que les lieux de travail seraient magiquement immunisés contre les éclosions, alors que c’est pourtant eux qui mettent en contact le plus régulièrement et avec la plus grande proximité le plus grand nombre de personnes, sans compter la négligence des entreprises qui sont là pour le profit et non pour le bien-être et la santé des employé.es ?

Pour ce faire, il est nécessaire d’impliquer les travailleur.euses (des secteurs public et privé) et leurs organisations, notamment les sections syndicales locales, dans la mise en place des mesures sanitaires et que celles et ceux-ci jugent des conditions adéquates et sécuritaires de leur travail. Il faut (à court terme) régulariser la demi-journée de travail sans perte de revenu, réduire fortement et durablement les effectifs, fermer les lieux de travail dangereux et non essentiels, ne plus tolérer la complaisance envers les grandes industries et maintenir une aide financière conséquente pour toutes les personnes affectées par la crise. La situation d’un grand nombre de travailleur.euses à risque est invisibilisée et évacuée du discours gouvernemental et médiatique, car il reste malvenu de dire que les milieux de travail sont les lieux principaux de la contamination. Cela ne doit pas nous surprendre, puisque le gouvernement place l’économie avant le bien-être de la population, mais nous ne pouvons pas faire l’autruche et accepter béatement cette supercherie. S’il est bien plus commode de mettre en accusation le jeune, le fêtard, le voyageur ou n’importe quelle figure à même d’attiser la grogne populaire dans la situation actuelle, il faut nous rappeler que celles et ceux qui perpétuent et amplifient la crise sanitaire et sociale sont nos dirigeant.es – gorgé.es d’idéologie néolibérale – de connivence avec les industriel.les et autres patron.nes sans scrupules : c’est contre eux et elles que doit se tourner notre colère.

En refusant d’agir, le gouvernement ne fait qu’empirer les choses. En plus de négliger la santé et la sécurité des travailleur.euses, l’obsession productiviste de François Legault l’a poussé à laisser tomber le secteur de la culture et ses travailleur.euses27 ainsi que de nombreux groupes aux marges de l’activité économique. Un grand nombre de personnes n’a eu droit à aucune aide, parce que leurs revenus n’étaient pas déclarés avant la crise, alors que bien d’autres ont dû se débrouiller avec les mêmes montants misérables – les personnes recevant de l’aide sociale ou du chômage par exemple – qu’avant la crise, qui a pourtant durci la situation socio-économique pour toutes et tous. Le gouvernement se sent légitime de laisser tomber, plus que jamais, cette large population à la marge de la production, et ce, en pleine période de crise28. Enfin, l’arbitraire policier continue de s’abattre avec la bénédiction du gouvernement et nombre de personnes continuent de souffrir et de mourir29.

En somme, malgré l’ampleur de l’actuelle tragédie, les idéologues néolibéraux continuent de négliger le système de santé et de violenter ses employé.es, l’économie reste privilégiée aux dépens de la sécurité, de la santé et de la dignité des gens, les quartiers ouvriers et immigrants sont encore les plus frappés, alors que bien sûr, les travailleur.euses les plus pauvres ainsi que les personnes les plus marginalisées voient leur fardeau alourdi. Dans cette situation intenable pour la majorité, ce que toutes et tous demandent, c’est une pause économique et une organisation solidaire. Mais le gouvernement, à l’encontre du bon sens et du respect qui est dû à la population, effectue plutôt une fuite vers l’avant et impose une gestion de plus en plus autoritaire de la catastrophe dont il se rend lui-même coupable.

Pas de solution policière à la crise sanitaire… et sociale

La stratégie du gouvernement caquiste, depuis la réouverture partielle de l’économie au printemps 2020, a été de faire reposer la responsabilité pandémique sur l’action d’individus récalcitrants tout en refusant de s’attaquer aux causes structurelles qui perpétuent et aggravent la crise. Cette gestion basée sur la culpabilisation individuelle et le dédouanement institutionnel – qui ramène par ailleurs l’individu à ses fonctions productive et consommatrice tout en négligeant les secteurs reproductifs (santé, éducation…) – a entraîné une colère multiforme portée par différents secteurs de la société : les personnes âgées, les locataires, les communautés autochtones, les travailleur.euses de la santé, le milieu communautaire, les syndicats, etc. C’est pour mater cette colère toujours plus visible et pour dissimuler les facteurs structurels qui alimentent la pandémie, le tout afin de maintenir la production, que le gouvernement a employé de plus en plus de mesures fondées sur la peur, la répression, la discipline policière et la responsabilisation individuelle jusqu’à ce jour.

Depuis le début de la crise, l’explication que le gouvernement Legault a privilégiée afin d’expliquer les difficultés dans la lutte contre le coronavirus et les différentes recrudescences de la maladie est celle qui met en cause les comportements individuels négligents, au travail ou dans la vie de tous les jours. S’il est bien sûr important de respecter les mesures de distanciation sociale, de réduire au minimum les contacts sociaux et les déplacements et d’adopter une hygiène de vie préventive (port du masque, lavage des mains) afin de ne pas mettre inutilement d’autres personnes en danger, il est faux de croire que cela suffise à endiguer la transmission, alors que de nombreuses personnes sont objectivement dans l’impossibilité de se prémunir ainsi que leur entourage : toutes et tous sont loin d’être égaux devant la pandémie30.

Comme nous l’exposions, la précarité économique, les environnements de travail et de soins déstructurés et dangereux, les logements trop petits, surpeuplés et mal ventilés, les quartiers denses et la ségrégation sociale sont d’importants facteurs qui contribuent à la perpétuation de la crise pandémique, sans égard pour la « morale sanitaire » des individus31. Il est plutôt facile de respecter les mesures sanitaires pour celles et ceux qui sont en télétravail ou en télé-école, ou qui habitent dans des maisons spacieuses avec toutes les commodités, dont un grand terrain ; il devient beaucoup plus difficile d’éviter les contaminations pour celles et ceux qui sont forcé.es de travailler, celles et ceux dont les enfants vont à l’école, qui habitent avec plusieurs personnes ou qui sont sans domicile fixe, qui sont incarcéré.es ou qui plus globalement manquent de ressources de toutes sortes. En maintenant un discours qui met l’accent sur l’agir problématique des « individualistes », le gouvernement détourne l’attention et contribue à créer un climat de suspicion sociale généralisée où chacun devient l’ennemi de tous, chaque contaminé devenant de plus un poids sur la société, un coupable – probable individualiste – plutôt qu’une victime du virus qui a besoin de bienveillance et de soins. En parallèle à cette culpabilisation, les gouvernements ont fait bien peu pour soutenir les efforts de solidarité, s’assurer de la mise à niveau des normes sanitaires dans les entreprises, financer le secteur de la santé ou s’occuper de la ventilation dans les écoles, un effort simple et important qui aurait pu être fait durant l’été, du propre aveu du ministre de la Santé Christian Dubé32. Le climat de répression nuit d’autant plus aux efforts de lutte contre le virus qu’il fait craindre aux personnes atteintes de la maladie de dévoiler des informations sur leurs activités à la santé publique, par peur de recevoir une amende de 1000 $ à 6 000 $ (l’ampleur des amendes peut faire hésiter bien des gens, même s’il.les n’ont « rien à se reprocher »)33. Il devient alors difficile de retracer les tierces personnes qui pourraient être porteuses de la COVID puisqu’elles auraient été en contact avec un.e tel.le malade.

Le manque de transparence du gouvernement dans plusieurs dossiers, son mépris affiché pour les êtres humains qu’il persiste à infantiliser et son manque d’écoute face aux nombreuses revendications légitimes (des locataires, des travailleur.euses, des syndicats, des communautés autochtones, des professeur.es, des organismes communautaires, des organisations pour la protection des droits des personnes migrantes ou sans-papiers, etc.) ont contribué à propager un sentiment de colère au sein de la population qui a donné lieu à de nombreuses mobilisations tout au long de l’année 2020. Dans cette situation de gestion de crise à la fois économiciste et méprisante, qui impose régulièrement de nouvelles contraintes sur les individus, cette colère a parfois pris des formes erratiques, entre autres au sein des mouvements complotistes eux-mêmes plus ou moins poreux à des idées d’extrême droite ou libertariennes. Cette colère confuse, que le gouvernement utilise comme un épouvantail, ne saurait pourtant cacher toutes les colères et révoltes justifiées, venant de nombreux secteurs de la société.

La répression détourne l’attention et donne l’impression de l’action.

Le paroxysme de la gestion policière, antisociale et procapitaliste de la crise est atteint au début de l’année 2021, alors que le gouvernement du Québec impose un couvre-feu généralisé à l’ensemble du territoire le 9 janvier. Alors même que le couvre-feu est annoncé, le Dr Horacio Arruda, directeur national de la santé publique, avoue qu’aucune étude contrôlée n’a démontré l’efficacité d’une telle mesure34. On sent bien ici que le gouvernement responsabilise indûment les citoyen.nes qui, somme toute, font de leur mieux, alors que lui ne fait pas même l’effort d’investir conséquemment en santé, de traiter dignement les infirmières, de ventiler les écoles ou encore d’imposer une pause économique digne de ce nom35. La répression détourne l’attention et donne l’impression de l’action. Comme cette gestion autoritaire ne sert qu’à cacher l’échec du gouvernement, il faut bien la justifier d’une manière ou d’une autre. La ligne communicationnelle du gouvernement est circulaire : la nécessité de la répression se voit confirmée du fait même que l’on trouve toujours des contrevenant.es au nouveau règlement gouvernemental (tel.le citoyen.ne prenant une marche tardive, telle autre personne itinérante…). En date du 18 janvier, c’est plus de 200 contraventions par jour qui étaient données pour non-respect du couvre-feu36, alors même que nous parvenait la nouvelle du décès de Raphaël « Napa » André, un homme innu sans domicile fixe, mort seul alors qu’il se cachait des policiers dans une toilette chimique durant le couvre-feu37. La crise continue pourtant d’être alimentée par les déficiences structurelles d’un système de santé détruit et par les contaminations sur les lieux de travail, malgré que le gouvernement s’en prenne à ses propres citoyen.nes afin de cacher son échec, tout en forçant le maintien de la production. La gestion autoritaire du gouvernement vise à obliger les gens à se conformer, à travailler et à consommer, ni plus ni moins38. En contrepartie, le plan de reconfinement partiel ne prend pas en compte les ressources complètement défaillantes, tant communautaires qu’en santé mentale ou financières, laissant un grand nombre de personnes – considérées comme « improductives » – sans aucune aide ni ressource.

Bref, devant le mécontentement populaire qui s’est développé en raison de l’incapacité du gouvernement à gérer la crise, la stratégie de la CAQ a été de se dédouaner de sa responsabilité en mettant la faute sur les lambdas. Cela lui permet de cacher sa gestion erratique – d’un point de vue sanitaire – tout en créant un bouc émissaire. Ensuite, cela justifie l’ensemble de son programme autoritaire, qui sert en fait à mater la colère légitime, à imposer le maintien de l’activité économique et à obliger les travailleur.euses de nombreux secteurs à continuer le boulot : cette manière de faire perpétue paradoxalement la situation de crise et de contamination, en raison de l’ouverture des manufactures et de la construction par exemple. Le gouvernement, complètement borné, refuse d’avouer ses torts qu’il attribue à autrui tout en continuant d’entretenir la catastrophe sanitaire. Pourquoi, pour le bénéfice d’une poignée d’industries, et ce, à court terme ? Et contre quoi, contre la santé, la sécurité, la dignité de toutes et tous ? La conséquence de cette approche est une répression démesurée, mal ciblée et foncièrement inique, alors que de nombreuses personnes continuent de mourir. La conséquence en est aussi une colère grandissante, qui – souhaitons-le – viendra bientôt ébranler ce gouvernement incapable et népotique ainsi que son idéologie néolibérale, son économie capitaliste et plus largement l’ensemble de ses structures antisociales.

En guise de conclusion : des solutions solidaires

Il est clair que la perpétuation de la crise sociale et sanitaire actuelle est due à (au moins) trois facteurs systémiques : premièrement, la faiblesse généralisée du système de santé publique, victime de la gestion entrepreneuriale des gouvernements acquis à l’idéologie néolibérale ; deuxièmement, la priorité absolue accordée à l’économie (à la production et à la consommation notamment), entraînant une négligence constante quant aux conditions de travail et de vie des travailleur.euses, fortement à risque de contracter le coronavirus ; et troisièmement, le choix d’une gestion culpabilisante et autoritaire envers les individus plutôt qu’une prise en charge collective, conséquente et structurelle de la crise, des problèmes qu’elle soulève et des solutions qui s’imposent. L’actuelle crise sociale et sanitaire est assurément favorisée, perpétuée et même amplifiée par ces trois facteurs qui lui préexistaient, mais qui révèlent plus que jamais leur toxicité. Il faudra bientôt penser collectivement à se débarrasser de l’idéologie néolibérale, de l’économie capitaliste et de la norme individualiste si nous voulons éviter de telles catastrophes à l’avenir, si nous voulons collectivement vivre39.

Une accusation fréquente portée contre ceux et celles qui critiquent l’actuelle gestion gouvernementale consiste à dire que ce n’est pas le temps de critiquer puisqu’il est déjà trop tard (autrement dit, il vaudrait mieux agir sans penser maintenant et réfléchir plus tard puisque « l’heure est grave »). Pourtant, comment ne pas critiquer alors que ce sont l’État et les industries qui sont responsables de la perpétuation de la crise, alors même que l’obsession productiviste et le refus obstiné d’investir dans les structures de solidarité sociale continuent de nourrir la bête pandémique ? Ce n’est pas parce que François Legault tente de cacher l’éléphant dans la pièce, son échec retentissant causé par son mépris des services publics et sa complaisance envers le secteur privé, que nous devons tomber dans le panneau. Les gouvernements sont ceux qui possèdent, de loin, les plus grands leviers et ressources pour faire face à la crise. Il est de leur devoir d’agir à court terme. Nous sommes dans une pandémie mondiale depuis plus d’un an, l’Institut national de la santé nous informe rigoureusement de son développement, un grand nombre de scientifiques identifient les véritables facteurs de contagion ; comment se fait-il que le gouvernement n’agisse pas pour la population et à l’encontre de sa doxa économiciste, du moins pour un temps afin de sauver des vies et notre dignité collective ?

Il faudra bientôt penser collectivement à se débarrasser de l’idéologie néolibérale, de l’économie capitaliste et de la norme individualiste si nous voulons éviter de telles catastrophes à l’avenir, si nous voulons collectivement vivre.

Le gouvernement a eu tout le temps d’installer des purificateurs d’air ainsi que des systèmes de ventilation dans les bâtiments publics, puis d’obliger le secteur privé à faire de même. Il a eu le temps de mettre les écoles à niveau40 et de fournir des ressources aux parents, comme il a eu l’occasion d’offrir le soutien et les ressources justement réclamées par les communautés autochtones. Il a eu un an pour établir et imposer un plan de fermeture (majoritaire) et de sécurisation des secteurs manufacturier et de la construction ainsi qu’agroalimentaire. Il a eu le temps de financer le système de santé, les services communautaires, l’aide aux aîné.es, l’aide aux itinérant.es, l’aide aux groupes marginalisé.es. Il aurait pu à tout moment troquer sa rhétorique méprisante envers les travailleur.euses et la population pour une attitude respectueuse. La liste est trop longue de ce qu’il aurait pu et dû faire. Il n’y a pas lieu de croire qu’un gouvernement qui est capable de mettre en œuvre une répression qui s’étend chaque nuit à l’ensemble du Québec soit incapable de fournir des ressources conséquentes afin de s’attaquer aux facteurs systémiques qui aggravent la pandémie actuelle. Nous sommes peut-être trop avancés dans l’actuelle crise pour transformer en profondeur le système de santé avant que celle-ci se termine, mais il n’est jamais trop tard pour fournir les ressources adéquates fondées sur la solidarité sociale et le soin plutôt que sur la répression et la peur. Si le gouvernement refuse d’agir conséquemment depuis un an, c’est qu’il est incapable d’aller, ne serait-ce que durant quelques mois, à l’encontre de son essence entrepreneuriale et économiciste. Ce gouvernement et les précédents, néolibéraux et capitalistes, ont donné la preuve qu’ils n’étaient capables que de nous mener collectivement à la catastrophe et à la mort, en cette circonstance comme en d’autres.

« Aide mutuelle : nous nous protégeons les un.es les autres. Solidarité. Contre la COVID, le capitalisme et les autres menaces mortelles. » (artiste inconnu)

À brève échéance, face à cette crise sociale et sanitaire, nous devons envisager des solutions faites par et pour les personnes concernées, qui savent mieux que quiconque ce dont ils et elles ont besoin pour bien faire leur travail, se protéger ainsi que leurs proches et leurs collègues. Tou.tes les travailleur.euses de la santé, des services publics et des entreprises privées doivent être écouté.es quant à l’organisation sécuritaire de leur lieu de travail et à la gestion pandémique de ces lieux. Nous devons exiger que les citoyen.nes soient impliqué.es à tous les niveaux dans la gestion de la crise et que nous ayons collectivement le contrôle sur les décisions nous affectant. La fermeture d’une grande partie de l’économie, accompagnée d’un soutien financier et global pour les travailleur.euses ainsi que pour tou.tes les citoyen.nes, doit devenir une priorité. Un gel immédiat et prolongé des loyers est aussi nécessaire. Nous devons exiger plus d’investissements en santé et dans le système d’éducation ainsi que le financement massif et la réouverture totale et sans contrainte des organismes d’aide aux plus démuni.es. La fin immédiate du couvre-feu est une condition sine qua non au commencement d’une gestion socialement acceptable, non violente, non culpabilisante et collaborative de la crise. Nous devons miser le plus possible sur l’auto-organisation, avec l’obtention de tous les moyens de l’État, quitte à les lui prendre s’il nous les refuse.

Cette crise pandémique, dont nous ne sommes toujours pas sorti.es, doit aussi nous faire réfléchir à de nouvelles formes d’organisation non capitalistes et non soumises aux impératifs capitalistes, à un système de santé renouvelé, solidaire, communautaire et autogéré41. La prolifération des groupes d’entraide au début de la pandémie et les réflexes altruistes que nous constatons depuis un an montrent qu’il est possible d’envisager une société basée sur les principes de la solidarité et de la communauté, de la coopérative et de l’autogestion : nous savons ce qui est le mieux pour nous, autoorganisons-nous selon nos volontés42. Car disons-le, à moyen terme, nous ne pourrons plus tolérer l’idéologie néolibérale et le régime capitaliste qui détruisent nos vies ; nous ne pouvons plus, après l’échec gouvernemental actuel, nous fier ni aux gestionnaires des vieux partis, ni à leur potage idéologique infect, ni à leur système qui alimente la catastrophe. L’angoisse et la tragédie actuelles ne doivent pas nous empêcher de continuer à réfléchir de manière critique au monde qui nous est imparti. Maintenant, organisons-nous et mettons la pression sur nos gouvernements, avant de mener à terme notre combat contre l’État et le capitalisme puis d’édifier notre société nouvelle, solidaire, communautaire, coopérative et autogérée.


Notes :

[1] Plus d’une personne sur mille est morte de la COVID-19 au Québec en moins d’un an et ce bilan ne cesse de s’alourdir.

[2] Dans ce texte, notre critique vise principalement les gouvernements provinciaux québécois, dont relève le système de santé publique. Nous ciblons particulièrement le gouvernement de François Legault (Coalition Avenir Québec), élu majoritairement en octobre 2018 et principal gestionnaire de la crise sanitaire et sociale dans la province depuis le début de l’année 2020.

[3] La crise a donc servi à révéler et à accélérer « les tendances de fond qui traversaient les sociétés », précipitant quelque peu la transition vers un certain « capitalisme numérique ». Pour en savoir plus : https://www.monde-diplomatique.fr/2021/01/CORDONNIER/62635

[4] Pour les peuples autochtones, ces structures de solidarité sociale, dont des services de santé adéquats, n’ont jamais réellement été mises en place. De plus, le système québécois est encore rongé par le racisme systémique, comme en a récemment témoigné la mort de Joyce Echaquan, femme atikamekw, survenue le 28 septembre 2020 sous les insultes racistes du personnel de l’hôpital de Joliette.

[5] https://www.lapresse.ca/actualites/sante/2019-09-17/reforme-barrette-la-sante-publique-frappee-de-plein-fouet

[6] Le secteur privé a lui aussi contribué à cette situation, en pressurisant les gouvernements successifs pour qu’ils ne répondent pas aux exigences légitimes des employé.es du secteur public… afin d’éviter de voir des exigences semblables formulées dans le secteur privé : https://iris-recherche.qc.ca/blogue/la-memoire-selective-du-milieu-des-affaires-quebecois

[7] Cette centralisation est diamétralement opposée aux principes qui devaient fonder le système de santé publique au Québec, à savoir les soins de proximité et les cliniques de quartier, les fameux CLSC (Centre local de services communautaires).

[8] L’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS) a produit un dossier très complet sur les conséquences des compressions et des restructurations néolibérales sur le système de santé. En 2017, l’Institut a publié une étude complète sur l’allocation des ressources pour le domaine de la santé et des services sociaux au Québec. Le dossier et l’étude sont disponibles en ligne : https://mailchi.mp/iris-recherche.qc.ca/sante

[9] https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1756578/ciusss-ouest-ile-montreal-annulation-vacances-hiver-2020

[10] https://www.lequotidien.com/actualites/la-fiq-propose-un-projet-pilote-n95-a7621e61ad2014d839f73cb1f48c8bba

[11] https://www.journaldequebec.com/2018/08/27/des-employes-dun-chsld-embarrees-pour-en-forcer-une-a-rester-au-boulot-denonce-le-syndicat

[12] https://www.lapresse.ca/debats/opinions/2020-05-16/agences-de-placement-la-faille-du-reseau

[13] Un réseau, donc, fait par et pour les communautés, dont les valeurs centrales sont le soin, le respect et la dignité, comme en réclament par exemple les communautés autochtones – sans réponse – depuis des lustres.

[14] Le système capitaliste est en effet le grand responsable de la perpétuation et de l’amplification de la crise sociale et sanitaire actuelle. À ce sujet : https://www.contretemps.eu/lecture-anticapitaliste-pandemie-covid19/

[15] https://journalmetro.com/local/saint-laurent/2507034/entreprises-covid-drsp-montreal/

[16] https://www.quebec.ca/sante/problemes-de-sante/a-z/coronavirus-2019/situation-coronavirus-quebec/

[17] https://ricochet.media/fr/3133/abattoirs-contagion-covid19-quebec-canada-2020-olymel

[18] https://iwc-cti.ca/fr/les-artistes-montrealais-soutiennent-la-campagne-pour-la-justice-des-travailleur-euse-s-du-dollarama/

[19] https://www.ledevoir.com/societe/sante/592711/coronavirus-comment-briser-la-deuxieme-vague

[20] https://www.ledevoir.com/economie/592907/coronavirus-des-mesures-non-desastreuses-pour-l-economie-selon-pierre-fitzgibbon

[21] https://www.rcinet.ca/fr/2020/09/22/la-richesse-des-milliardaires-canadiens-a-explose-en-pleine-pandemie/

[22] https://www.ledevoir.com/politique/montreal/577870/montreal-nord-saint-michel-et-riviere-des-prairies-sont-des-quartiers-chauds-de-la-pandemie

[23] https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1711732/travailleurs-etrangers-vegpro-main-doeuvre-stable-eclosion-coronavirus

[24] https://www.ledevoir.com/politique/montreal/578424/inquietude-dans-parc-extension

[25] https://www.cbc.ca/news/canada/montreal/parc-extension-covid-19-rate-increase-1.5775079

[26] https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1699608/protection-epidemie-coronavirus-depistage-communaute et https://www.ledevoir.com/societe/586931/la-pandemie-ce-puissant-revelateur

[27] https://www.ledevoir.com/culture/593541/coronavirus-un-travailleur-de-la-culture-sur-quatre-a-perdu-son-emploi-en-2020

[28] Un exemple parmi d’autres : https://www.ledevoir.com/societe/sante/593644/hausse-des-psychoses-toxiques-chez-les-itinerants

[29] Un arbitraire et une violence qui affecteront certainement de manière disproportionnée les personnes autochtones et racisées, les minorités de genre, les femmes, etc., alors que l’on sait que les corps policiers sont gangrénés par le racisme, l’homophobie, la transphobie et le sexisme (entre autres). Le Service de Police de la Ville de Montréal (SPVM) reconnaît par exemple lui-même le racisme systémique dans son organisation sans agir conséquemment pour le supprimer. Voir entre autres : https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1712386/spvm-reconnaissance-caractere-systemique-racisme-discrimination-rapport-ocpm

[30] À ce sujet : https://www.college-de-france.fr/site/didier-fassin/L-illusion-dangereuse-de-legalite-devant-lepidemie.htm

[31] La situation d’inégalité de conditions et d’exigences face à la pandémie n’est pas différente en France : « À l’opposé de cette figure du bourgeois confiné, en capacité de travailler à distance ou de profiter de ses enfants dans un cadre spacieux et agréable, les personnes qui travaillent dans les centres de tri ou les entrepôts, les assistantes maternelles, les livreurs, les éboueurs, les femmes de ménage, les aides à la personne, etc., témoignent toutes de l’absence de gants, de masques, de possibilité d’observer la distance requise […] des difficultés à trouver comment garder leurs enfants, d’assurer les cours à la maison […]. Elles doivent obéir aux injonctions contradictoires du gouvernement, le ‘en même temps’ qui dit ‘allez travailler, mais ne sortez pas, car vous mettez les autres en danger’, sans que les moyens minimaux de protection ne soient fournis. » Article complet : https://www.contretemps.eu/travail-invisible-confinement-capitalisme-genre-racialisation-covid-19/

[32] https://www.ledevoir.com/politique/quebec/589529/quebec-aurait-du-s-occuper-de-la-ventilation-dans-les-ecoles-admet-dube

[33] https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1761546/covid-enquete-tracage-quebec-coronavirus-sante-publique

[34] https://www.ledevoir.com/societe/sante/592788/point-de-presse-legault-17h

[35] « Il est désormais évident pour une majeure partie des populations qui ont eu à en subir les conséquences que ces gouvernants sont prêts à tout pour masquer leur impéritie, leur absence de prise sur des événements, surtout leur responsabilité dans l’insuffisance notoire de la capacité de réaction d’un appareil sanitaire qu’ils ont sciemment affaibli, au prix de mensonges redoublés que leur redoublement même finit par trahir. » Citation tirée de : https://www.contretemps.eu/covid-19-sorties-crise/

[36] https://www.ledevoir.com/societe/593510/deux-cents-contraventions-par-jour-pour-non-respect-du-couvre-feu

[37] https://www.lapresse.ca/actualites/justice-et-faits-divers/2021-01-18/un-itinerant-autochtone-meurt-dehors-pendant-le-couvre-feu.php

[38] L’analyse du couvre-feu comme mesure autoritaire réduisant l’individu à sa seule fonction productive est partagée par plusieurs : https://acta.zone/couvre-feu-produire-quoi-quil-en-coute/

[39] Les mêmes facteurs idéologiques et économiques ainsi que les structures qui en découlent nous ont précipités dans la crise climatique, dont il est incertain que nous sortions collectivement indemnes ; une raison de plus pour réfléchir sérieusement au rejet du modèle économique capitaliste et de la gouvernementalité qui lui est concomitante.

[40] Le gouvernement provincial aurait en effet pu installer des purificateurs d’air dans les écoles, les hôpitaux et divers bâtiments publics, comme le lui conseillait l’Agence de la santé publique du Canada : https://ricochet.media/fr/3436/oui-les-purificateurs-dair-peuvent-etre-utiles

[41] Un tel système est loin d’être une utopie et les auteur.es du présent texte sont loin d’être les seul.es à l’appeler de leurs vœux : https://www.contretemps.eu/sante-publique-economie-democratique/

[42] Un tel monde autogéré est envisageable et possible : https://www.contretemps.eu/autogestion-autre-monde-possible/