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Quelques tuyaux pour la sécurité opérationnelle lors d’une activité de type Camover

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Nov 082025
 

Soumission anonyme à MTL Contre-info

Nous sommes simplement quelques personnes vétéranes des Camovers passés qui ont décidé de prendre un instant de pause dans la planification de nos sorties de ce mois-ci pour partager quelques conseils avec d’autres équipes. Nous préférons gagner parce qu’on accumule plus de points que vous sur un mois complet d’efforts, pas parce que plusieurs d’entre vous se seraient fait pogner.

Tout d’abord, considérons l’état actuel de la technologie des caméras grand public qui a pas mal progressé au cours de la dernière décennie depuis l’avènement de la tradition Camover. Ces informations sont facilement trouvables en parcourant les listes de produits sur Amazon. Il est donc facile de supposer que les caméras de sécurité que nous rencontrons sur les maisons et les entreprises, y compris les caméras de sonnette, ont certaines capacités :

  • Enregistrement vidéo haute définition, y compris la vision nocturne avec un angle de vue assez large;
  • Microphones pour enregistrer l’audio;
  • Analyse vidéo incluant la détection des individus s’approchant de la caméra ou la manipulant;
  • Alertes d’activité suspecte qui peuvent être envoyées en temps réel à une application sur le téléphone du propriétaire ou à un centre de surveillance;
  • Alimentation par batterie et transmission de données via WiFi, ce qui signifie qu’une caméra peut continuer à capturer de l’audio/vidéo après avoir été détachée d’un mur.

Ces capacités rendent encore plus important de se masquer, d’agir rapidement et silencieusement, et d’utiliser des scouts. Développons chacun de ces points.

Se masquer : Cela va sans dire. Des lunettes de soleil pour quiconque s’approche d’une caméra, tout comme un bon winter bloc pour tout le monde, car les nuits se font de plus en plus froides.

Furtivité : Si vous jouez avec un ami, évitez de vous parler n’importe où une caméra pourrait capter l’audio. Développez des signaux manuels si nécessaire. Près des maisons, le niveau de bruit est également essentiel pour ne pas alerter les résidents. Pour un dormeur léger sur son canapé à quelques mètres à l’intérieur, le bruit que vous faites devant sa porte peut ressembler à une tentative d’effraction. Ils pourraient appeler la police sans que vous le sachiez, et les temps de réponse pour les cambriolages sont rapides. Retirer l’appareil avec un pied-de-biche peut être plus silencieux que de le casser avec un marteau. Élaborez un plan à l’avance afin de pouvoir agir et vous enfuir rapidement, en étant hors de vue avant toute réponse à une alerte automatisée.

Scouts/guets (ou peu importe comment t’appelle ça) : Avoir un.e ou plusieurs camarades en rôle de scouts n’est pas facultatif. Si les flics sont appelés, les scouts doivent être capables de les repérer et d’alerter celleux qui sont en action avant que les flics n’arrivent sur le lieu de l’action. Le nombre et le placement de celleux-ci doivent être décidés en fonction de la géographie et du niveau d’activité de la zone d’action. Un long pâté de maisons d’une rue résidentielle à sens unique peut ne nécessiter qu’une seule personne, mais rappelons-nous que les flics peuvent rouler à contresens dans une rue à sens unique (surtout la nuit). Sur des blocs plus courts d’une rue commerciale, bien éclairée et plus fréquentée, vous pouvez vouloir deux, trois ou plusieurs personnes qui font cette tâche. Considérez toujours la ou les directions les plus probables d’arrivée des policiers, y compris la route la plus directe depuis le poste du territoire sur lequel vous vous situez. Les intersections sont souvent de bons endroits pour se placer, car elles permettent une visibilité dans plusieurs directions. Les guets surveillent également les véhicules civils, les taxis, les cyclistes et les piétons afin que vous puissiez agir sans témoins. Pensez à décider de trois signaux: un pour un civil qui approche, un autre pour la police qui patrouille simplement, et un troisième pour la police qui semble répondre à un appel ou se dirige vers le lieu de l’action. Les signaux peuvent être donnés en criant quelque chose d’anodin, comme un nom au hasard, ou en utilisant des talkies-walkies. La façon dont vous réagirez à chaque signal de votre scout variera, la décision de prendre une pause et chiller ou encore de partir en courant dépendra beaucoup des circonstances; parlez des différents scénarios à l’avance avec votre équipe. Gardez à l’esprit que les policiers peuvent travailler en civil et dans des voitures banalisées lorsqu’ils sont en état d’alerte renforcée dans une zone donnée.

D’autres éléments qui augmenteront le plaisir :

  • Bien que nous aimions les vidéos de caméras smashées autant que n’importe quel.le autre anarchiste, pensez à ne pas filmer vos actions tant que vous ne serez pas rendues super à l’aise avec les différentes tactiques et la dynamique de votre équipe. Filmer ajoute une autre chose à penser et crée des preuves qui pourraient être nuisibles en cas d’arrestation.
  • Pensez à comment réduire le risque que les propriétaires de maisons et de commerces installent de nouvelles caméras après que vous ayez détruit les leurs. Ils pourraient être plus enclins à le faire s’ils considèrent tout ça comme une attaque ciblée envers eux ou leur propriété, alors envisagez des moyens de communiquer que cela fait plutôt partie d’une campagne générale contre la surveillance dans le quartier, comme laisser des dépliants ou des affiches dans la zone.
  • Apprenez à repérer les fausses caméras de surveillance. Elles peuvent avoir un faux fil qui ne mène à aucune source d’alimentation, ou pas de fil et pas d’espace pour les piles. Laissez-les tranquilles ou démolissez-les parce qu’elles contribuent toujours à un climat de surveillance généralisée, mais méfiez-vous du propriétaire d’entreprise choqué qui les remplacera peut-être par des vraies.

Au final, vos efforts seront égaux à votre maillon le plus faible, alors assurez-vous que toute votre équipe est prête à agir avec prudence, discrétion et finesse. Avec le bon équilibre entre vitesse, habileté et confidentialité, votre équipe pourra vaincre les systèmes de surveillance les plus sophistiqués et ainsi continuer à déranger cette culture de la surveillance et ses effets pervers partout où vous irez.

Du Rhizome à l’Achoppe : Récits d’autonomies, d’attaches et de revers

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Nov 042025
 

Soumission anonyme à MTL Contre-info

Extraits choisis d’un zine à paraître le 8 novembre 2025 au Centre social l’Achoppe de 19h à 23h

Ce zine rassemble des fragments d’histoires, des souvenirs épars, des réflexions, des anecdotes, des traces ; des bouts de mémoire intime et collective autour d’un lieu bien réel et singulier.

Installée dans Hochelag, l’espace qu’on appelle aujourd’hui l’Achoppe est né d’une suite de rencontres, de rêves d’autonomie, de nécessités, de conflits, de fêtes, de rénos improvisées, de fatigue partagée, de luttes portées. Autrefois nommé le Rhizome, il a traversé les années comme un lieu mouvant : appartement collectif, espace d’organisation politique, salle de show, atelier de pantenteux.ses, brasserie artisanale, point de chute temporaire ou port d’attache durable.

Les voix présentées ici sont multiples. Ce sont celles de personnes qui ont vécu ce lieu, ce projet à différentes époques, sous différentes formes, parfois intensément, parfois en passant. On y lit les tensions, les deuils, les joies, la fatigue, mais surtout l’attachement. L’ensemble dessine un portrait en rhizome, éclaté et vivant.

Cet assemblage ne prétend pas tout dire. Il est un instantané subjectif, partial, joyeusement inexact. Il ne souhaite pas en documenter l’histoire comme une archive figée, mais comme une mémoire en mouvement — une mémoire vivante, politique, affective et située.

Il fallait d’abord prendre les escaliers vers le sous-sol, puis se rendre dans le coin à droite, tout au fond, avant de déboucher dans une toute petite pièce carrée pour entrer dans la Brasserie. C’était la première fois que j’y mettais les pieds et mes yeux étaient attirés par toutes sortes de bricoles ; des fioles de formes distinctes, un moulin à grain qui fonctionnait à l’aide d’une perceuse (!) et des outils pour mesurer et peser différentes choses, dont je ne comprendrais l’utilité que des années plus tard. Une odeur de moût de bière et d’humidité s’élevait de la pièce éclairée d’une vieille lumière jaunâtre et y faisait régner une ambiance de clandestinité.

Cet espace permettait d’entrevoir ce que pouvait être une pensée du politique qui cherchait à mettre en application ses idées de rupture avec la société dans la vie quotidienne, sans la séparer de l’organisation collective. L’ambiance du Rhizome avait une saveur radicalement expérimentale, il amenait d’ailleurs des idées qu’il essayait de mettre immédiatement en application. Je me rappelle de la grande salle et de ses agencements modulables et du grand dortoir collectif au sous-sol qui hébergeait des camarades de passage qui restaient parfois pour un bail. Puis les shows, les projections, les moments de folie et une ferme volonté de liberté sans entraves. Le Rhizome, pour moi, c’était d’abord un apport affectif, une forme de résonance particulière dans les relations, la volonté d’en embrasser l’intensité. C’était aussi une façon particulière de se relier au voisinage, qui ravivait les envies de repartir des assemblées de quartier et des rencontres plus ou moins spontanées.

D’abord, à la base, l’Achoppe, c’est une place où t’habites. Pis (accrochez-vous, c’est là que la nostalgie embarque) ça coûtait… 465 $ par mois tout compris. Et dans tout compris, j’entends l’Hydro-internet-la-bouffe-pis-toute… mais bien plus encore. Cette situation matérielle nous permettait de jouir de la ressource la plus précieuse que le capital nous dispute constamment contre des salaires, à savoir le temps. Avec un loyer aussi bas, pas mal de colocs (on était treize, ce à quoi il faudrait ajouter les invité.es de passage), on faisait plus des passes de cash que des jobs pour payer la rent. Et ça suffisait. Tabarnak, ça suffisait ! À financer nos jardins, un atelier de bois, de vélo, la brasserie, la grande salle avec ses shows, la bibliothèque… Même un espace « d’huile » que je n’ai jamais vraiment compris à quoi ça servait, à part à me faire capoter quand ça fumait à côté des coulisses inflammables lors des partys dans le sous-sol. La question du coût de nos vies pouvait se résumer régulièrement ainsi : préfères-tu aller travailler pour un boss pour une job de cul mal payée ou bien préfères-tu embarquer dans le char avec deux-trois nouveaux.elles ami.e.s pour faire du dumpster en soirée et économiser sur l’épicerie ? La réponse était simple.

Ce qui rend l’Achoppe dynamique, c’est la diversité des activités qui s’y déroulent : soupers populaires, projections, ateliers pratiques, cours d’arts martiaux, réunions d’organisations militantes, etc. C’est par ces activités que d’autres que nous-mêmes nous rejoignent, nous rencontrent, se politisent et potentiellement se joignent à nous. Ces activités permettent au lieu d’évoluer au fil des implications et de s’imposer comme espace de résistance incontournable dans le quartier.

Il est crucial de comprendre que ces événements ne valent pas uniquement pour eux-mêmes. Une projection de film, un show ou un cours d’art martial devrait être plus signifiant que l’activité en soi. Leur véritable intérêt réside dans la création d’un sentiment d’appartenance, dans la rencontre entre les personnes, et surtout, dans leur capacité à générer de l’engagement militant. Chaque souper organisé devrait idéalement être une porte d’entrée vers l’organisation collective.

Les bouffes collectives, c’est un moyen de reproduction qu’on se réapproprie et qui nous permet de goûter à une autre façon de vivre. C’est refuser, au moins de temps en temps, l’idée que nos besoins n’appartiennent qu’à nous et qu’il faut y pourvoir seul-e. En s’habituant à prendre la responsabilité collective de nos besoins vitaux, même si c’est juste une partie de ceux-ci, on s’entraîne à s’appuyer les un-e-s sur les autres et on réapprend l’entraide. On préfigure l’autonomie ici et maintenant, avec toutes ses contradictions et tout son potentiel.

Il y avait le cuivre que nous arrachions là où on le trouvait, les fils électriques à dégainer, les pièces à trier et nos voyages de métal chez Miller dans le quartier industriel au nord de la ville. Il y avait des disputes, des bagarres à séparer, des choses qui se brisent, des rencontres, des gens de passage, des voyageurs, des ami.e.s en crise, d’autres qui faisaient l’amour, des réunions, des tableaux de tâches, beaucoup d’outils, des meubles fabriqués avec les moyens du bord, des gros ménages de printemps, des caisses de bière, beaucoup de bières, des prénoms et des genres qui changeaient, des couples qui se formaient, puis s’ouvraient, des vêtements à donner sur le trottoir.

c’était tout ça et plus encore. un certain sens de la communauté. fragile. précaire. on voulait que ça pète. on n’en avait rien à foutre. on ne se demandait pas comment faire du cash mais comment faire pour pas en avoir besoin. pas de cv, pas de diplômes, pas de portfolios. on a pas de preuves que ça a jamais existé. tout ce qu’on a fait. ce qu’on a vécu. des fois je me demande si j’ai pas halluciné. mais quand je me prends à reconnaître un air de ci, un air de ça n’importe où, quand je redécouvre les trames secrètes qui me ramènent à cette histoire capotée, je me dis qu’on a pas encore perdu.

Cet assemblage est un effort pour retenir ce qui nous échappe trop souvent : les traces de nos passages, les détails de nos histoires, les gestes, aussi petits soient-ils, qui ont rendu possible quelque chose de plus grand que nous. Il témoigne d’une tentative, toujours inachevée, de faire lieu. De créer collectivement un espace autonome à la fois habité, habitable et porteur de sens.

Ce zine ne ferme pas la boucle, il en trace les contours mouvants. Il invite à continuer autrement, ensemble, avec les doutes et les joies.

Parce que si on ne se donne pas nous-mêmes les lieux où on veut vivre et faire, personne ne le fera pour nous.

À celleux qui poursuivent, inventent, réparent, déconstruisent et recommencent : à bientôt, quelque part.

Billy Savoie : le petit homme à la chemise brune qui enseigne au secondaire

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Oct 282025
 

De Montréal Antifasciste

Un enseignant du cours Culture et citoyenneté québécoise (CCQ) qui multiplie les commentaires homophobes, antisémites et suprémaciste blancs sur les réseaux sociaux… sachant très bien qu’il est en présence de ses élèves? Vous ne rêvez pas : c’est une occupation quasiment à temps plein pour Billy Savoie, enseignant à l’école secondaire La Cité étudiante à Roberval.

Le 17 octobre dernier, il a même invité ses abonné·es sur TikTok et Instagram – dont plusieurs de ses élèves mineurs – à assister à un « débat » entre lui et un autre internaute qu’il croyait (à tort) être un néonazi, échange au cours duquel « Mr. Billy » a pris le temps de préciser qu’Adolf Hitler « avait raison sur bien des points »…

Billy Savoie, militant de gauche à droite…

Billy Savoie, originaire de La Tuque, vient étudier à l’UQAM aux alentours de 2015. Il s’engage très tôt dans le Mouvement étudiant révolutionnaire (MER), le front étudiant du Parti communiste révolutionnaire (PCR, l’organisation maoïste qui a existé de 2009 à 2022, à ne pas confondre avec l’actuel PCR, d’allégeance trotskiste). Il suit le PCR dans la scission qui déchire l’organisation en 2016, la section québécoise accusant notamment la section canadienne de dérives petites-bourgeoises et « postmodernes » (cet élément est important pour la suite). Le PCR connaît ensuite toute une série de purges, dont nous vous ménagerons les détails, puisque ce n’est pas le propos du présent article. Un élément nous semble toutefois pertinent à souligner : la scission de 2016 et les purges successives jusqu’en 2022 reposaient en grande partie sur l’hostilité à l’égard des « identity politics » et la tangente transphobe de plus en plus assumée qu’a prise la section québécoise de l’organisation. Durant ces années-là, Billy Savoie a suivi la direction locale du PCR jusqu’au bout, et nous pensons même qu’il l’a suivie lorsqu’elle a dissous l’organisation en refondant l’éphémère (et groupusculaire) « Avant-garde communiste du Canada », après avoir expulsé la vieille garde des fondateurs du PCR, lesquels étaient aussi les animateurs de la librairie du parti, la Maison Norman Béthune. De plus, fait intéressant, Savoie était secrétaire à la mobilisation de l’AFESH dans le cadre de la mobilisation pour la rémunération des stages en 2017.

Poursuivre la lecture sur montreal-antifasciste.info.

Direct Action : Une histoire de résistance armée au Canada

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Oct 202025
 

De Infokiosques

« Au début des années 1980, dans un milieu de squats, de punk, d’activisme et de vol à l’étalage, quelques individus affectés par les conflits en cours – luttes autochtones et écologistes, guérilla et guérilla urbaine – se rencontrent et complotent.

Nous sommes au Canada. Dans un milieu de contestation et de vie collective bien connu, l’objectif de Doug, Anna et Brent : construire un groupe armé de type anarchiste. Poser des actes destructifs qui bloquent le pouvoir dans ses projets nocifs, et ce, toujours en soutien avec les mouvements d’opposition. Ensuite : inspirer et instruire d’autres groupes pour qu’ils passent à l’attaque à leur tour.

L’approfondissement de leur rencontre donnera naissance à une expérience particulière et intéressante à laquelle vont se joindre plus tard Juliet et Gerry. Cette expérience se nommera Direct Action. »

Texte originellement publié dans la revue Takakia, brame de combat contre le Mordor industriel, #3 (automne-hiver 2024).

Les anarchistes invité·e·s à « vendre » au Salon du livre anarchiste de Montréal

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Oct 182025
 

Soumission anonyme à MTL Contre-info

Le Salon du livre anarchiste de Montréal est de retour. L’évènement aura lieu ce week-end, samedi le 18 octobre 2025, au Bâtiment 7. Une première pour le Salon qui se tient au CÉDA depuis plus de 20 ans. Par ailleurs, le Comité d’éducation aux adultes de la Petite-Bourgogne et de Saint-Henri (CÉDA) fait actuellement face – disons-le – à une poursuite du Centre de services scolaire de Montréal (CSSDM) ainsi qu’à un avis de non-reconduction du bail. L’éducation populaire se meurt, et nous devons le souligner. Cela dit, l’anarchisme n’a pas de temps à perdre. Et le Batiment 7™ (B7) a également besoin de soutien.

Plusieurs militant·e·s ont été étonné·e·s par le retour du Salon. Surtout le « milieu » anarchiste actuel. Cela ne devrait pourtant étonner personne. Le Collectif a lui-même annoncé son retour en avril dernier.

On y promettait un évènement cet automne et le retour du Salon en mai 2026. Malgré le fait qu’un nouveau groupe organisateur, le festival Constellation pour ne pas le nommer, se soit réapproprié (!) le Salon du livre anarchiste « aux mêmes endroits et aux mêmes dates ». Le festival Constellation a répondu à cette déclaration.

Les cercles militants sont néanmoins enthousiastes par l’évènement. Ils republient pour la plupart les annonces du Salon. Le Collectif a notamment annoncé le « Art et Anarchie 2025 », visant à créer et partager de l’art anarchiste dans les rues à travers le monde. Nous souhaitons beaucoup de participant·e·s.

Vendre la Grande obscurité

Ce week-end, le Collectif du Salon du livre anarchiste de Montréal invite principalement (sic) « les libraires, [les] éditeurs et [les] distributeurs de Montréal/Tio’tià:ke/Mooniyang. »

Un choix contextuel parce que le Grand Atelier du B7 ne peut pas accueillir tout le monde.

L’invitation du Collectif du Salon du livre anarchiste de Montréal, qui mentionne au moins quatre fois les mots vendre ou vendeuse·eur·s, se lit comme suit :

« Nous aimerions [vous] inviter à venir vendre vos « marchandises » au Salon du livre anarchiste de Montréal […] le samedi 18 octobre, de 10h à 17h30, au Bâtiment 7 à Pointe-St-Charles. » (Extrait du courriel envoyé par le Collectif du Salon du livre anarchiste de Montréal)

Des plans pour refroidir les anticapitalistes les plus farouches. Certain·e·s camarades auraient justement refusé·e·s l’invitation. Il serait intéressant de voir pour quels motifs.

Le Collectif a d’ailleurs publié la liste des « organisations » qui tableront samedi. Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il y a peu de projets anarchistes dans le lot.

Titre du courriel d’invitation.

Nuançons : il y aura tout de même amplement d’espace autour (à l’extérieur) du B7 pour de la littérature gratuite.

Samedi, le restaurant Pushap & Sweet Shop, qu’on peut retrouver sur Uber Eats ou DoorDash – les ™ ne sont pas nécessaires ici, vendra des samosa à 2 piastres. Par chance, la délégation Food Not Bombs de la ville de Sherbrooke sera aussi là pour servir des repas gratuits. Nous aurions aimé voir d’autres initiatives grassgroot. Nous avons quand même l’embarras du choix à Montréal : Food Against Fascism, The People’s Potato ou encore Food Not Bombs-Notre-Dame-de-Grâce (NDG). Peut-être sont-elles trop occupées. Ce sera une prochaine fois.

Une saveur locale

« Le Salon du livre […] présentera des vendeuse·eurs, des ateliers, un espace pour les jeunes, des espaces de littérature gratuite, […] avec une saveur locale, centrés sur des projets et l’activisme ainsi que le renforcement des relations sociales dans notre ville/région. »

(Un autre extrait du courriel d’invitation envoyé par le Collectif du Salon du livre anarchiste de Montréal)

25 ans de Salon du livre anarchiste à Montréal, ce n’est pas à essuyer du revers de la main comme ça.

Sauf que… ce qui faisait (fait) la différence, avec le festival Constellation par exemple, c’est l’immense (!) réseau international du Collectif du Salon. Montréal peut (doit) encore porter le plus grand salon du livre anarchiste de l’Amérique du Nord. Et même tout le Mois de l’anarchie, traditionnellement en mai.

Nous l’espérons pour 2026.

Cela dit, le Salon doit, effectivement, demeurer enraciné dans la communauté militante locale. À ce sujet, un minimum de « promo » dans les espaces anarchistes de la ville n’aurait pas fait de tort. Nous avons peine à trouver les affiches du Salon de ce week-end. Aucun signe de vie à l’Insoumise, aux Révoltes, au DIRA ou à l’Achoppe. Peu, voire pas du tout, d’annonces sur les grands groupes de rencontres Signal non plus.

Le Salon du livre de Montréal ne doit pas non plus perdre l’essence anti-marchande de l’initiative. Rappelons que l’anarchisme n’a rien à voir avec le commerce autant DIY qu’il soit. C’est un projet révolutionnaire qui vise le renversement des rapports autoritaires et, encore une fois, marchands.

C’est malgré tout une joie de retrouver le Salon du livre anarchiste de Montréal et son masque médical obligatoire. Nous espérons de tout cœur que le parfum, les dreadlocks, les mohawks et les jeux de Tarot demeureront interdits le 18 octobre 2025.

Plus sérieusement, vouloir s’approprier le monopole d’un évènement, inviter des « vendeur·euse·s », imposer des mœurs et des pratiques autant anti-oppressives soit-elles et, peut-être, refuser de se dissoudre reflètent des dynamiques institutionnelles qui donnent raison aux plus « anti-org » des anarchistes.

Nous espérons, finalement, que le retour du Salon du livre anarchiste de Montréal fera palpiter le festival Constellation, qui vient tout juste d’annoncer sur les réseaux sociaux, quelques heures avant la tenue du Salon, son édition 2026. Quel hasard ! Nous retrouverons donc, du 14 au 20 mai prochains, ces anarchistes de pacotille qui utilisent l’atroce étoile du chaos, qu’illes sèment par ailleurs en invitant les organisations politiques (et les vendeux de livres) à se choisir tout bonnement lors de leur salon une table sous le douteux joug du « premier arriver, premier servi ». Le Désordre moins le pouvoir.

Nous avons déjà hâte à 2026.

Ni dieu, ni patron,
Ni Salon, ni Constellation.
(non)

N.B. : Comme les pratiques anarchistes encouragent aussi la discussion et la réflexion, disons que ce texte accusateur n’est qu’un procès d’intention. Et discutons.

Antifa, plus que jamais!

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Oct 152025
 

Du Collectif Emma Goldman

La scène politique contemporaine est caractérisée par une lourdeur accablante. Au niveau international, la situation est alarmante : on assiste quotidiennement, notamment au sud de la frontière, à une dérive autoritaire et fascisante.

Au Québec, cette anxiété se manifeste par une surenchère identitaire alimentée par des partis comme le PQ et la CAQ. Leur stratégie consiste à imputer tous les maux de la société – crise du logement, crise en éducation, crise en santé – à « l’autre », c’est-à-dire aux personnes immigrantes ou nouvelles arrivantes.

Cette tactique sert à masquer leur incompétence et les effets délétères de leurs propres politiques, qui consistent historiquement et actuellement à :

-Offrir des cadeaux aux grandes entreprises ; 

-Couper les impôts des plus riches ; 

-Affaiblir drastiquement les services publics, une tendance qui s’inscrit dans une continuité gouvernementale remontant bien au-delà de sept ans de Legault (Couillard,  Charest, Landry, Bouchard, etc.).

Les fondements de la lutte antifasciste

Selon La Horde, « L’antifascisme est devenu une lutte à défendre » (p.8). Cette nécessité s’est accentuée lorsque le « clown orange », a décrété les antifascistes (antifas) comme organisation terroriste intérieure.

Malgré les allégations de l’extrême droite québécoise — dont une des figures influentes a prétendu à la radio de Québec que les antifas n’étaient qu’une invention stalinienne —, l’histoire dit le contraire. La Horde rappelle que l’antifascisme existait avant même la naissance du parti fasciste de Benito Mussolini . Avant de porter ce nom, des militants s’organisaient déjà contre l’extrême droite, alors connue sous le nom de « la réaction ».(p.9)

Les multiples dimensions du mouvement

L’antifascisme est un mouvement aux multiples facettes et ne peut être réduit à une seule catégorie. Il est simultanément :

-Un « mouvement d’autodéfense » 

-Un « courant politique révolutionnaire » 

-Une « contre-culture » (p.11)

Ses racines sont profondément ancrées dans l’histoire des organisations de gauche. Durant l’entre-deux-guerres, l’antifascisme s’est structuré et développé principalement « au sein des organisations politiques du mouvement ouvrier (communiste,socialiste et anarchiste)» (p.14). Il s’agit donc d’une tradition politique et sociale bien établie, née du combat contre l’autoritarisme.

Le racisme défensif 

L’extrême droite moderne est bâtie sur cinq piliers idéologiques fondamentaux : le racisme, le sexisme (incluant l’homophobie et la transphobie), le nationalisme, le traditionalisme et l’autoritarisme.

Une mutation tactique majeure est observée: le passage d’un racisme offensif à un racisme défensif. Ce dernier vise à nier les fondements systémiques du racisme et à inverser la perception des rôles.

Ce racisme défensif s’articule autour de plusieurs mécanismes. Il s’exprime par l’injonction d’« en finir avec la repentance », un rejet de toute culpabilité historique, cherchant le déni du racisme structurel. Au Canada, cela est illustré par les propos de Maxime Bernier (chef du PPC), qui a qualifié la Journée nationale de la vérité et réconciliation de « canular » et dénoncé la « fausse culpabilité des Blancs et de l’arnaque basée sur elle ». À cela s’ajoute l’instrumentalisation active du sentiment anti-musulman (islamophobie) pour attiser la peur et les divisions. Enfin, le mouvement propage des théories fallacieuses, comme celle du « Grand Remplacement », qui prétend que les populations dites « historiques » sont victimes d’une menace démographique, transformant ainsi les minorités et les populations immigrantes en agresseuses présumés. Cette tactique vise clairement l’inversion des rapports de domination.

Le masque de la vacuité idéologique

L’extrême droite actuelle se distingue par son manque de programme abouti. La Horde souligne que ces mouvements « […] ne se rattachent à aucun courant précis » (p. 9). Pour masquer cette vacuité idéologique, ils recourent à un camouflage sémantique, dissimulant leurs objectifs derrière des étiquettes volontairement vagues et normalisantes telles qu’« identitaire », « conservateur » ou simplement de « droite ». Ceci leur permet d’attirer un public plus large tout en évitant de s’engager sur des positions politiques claires ou radicales.

Antifascisme : Réponse à la Violence

La question de la violence est centrale dans le débat sur l’antifascisme.

D’une part, Mathieu Bock-Côté critique les antifas comme une milice d’ultra-gauche violente qui instrumentalise l’étiquette pour disqualifier ses adversaires et justifier sa propre violence.

D’autre part, les organisations antifascistes comme le Horde argumentent que si la violence de l’antifascisme est souvent « pointée du doigt », c’est en oubliant qu’elle est « d’abord une réponse à la violence constitutive des mouvements d’extrême droite » (p. 14).

L’antifascisme est donc fondamentalement positionné comme une réaction à la violence inhérente et historique des mouvements qu’il combat.

En somme, l’urgence de l’antifascisme est plus pressante que jamais, alimentée par une convergence de menaces allant de la dérive autoritaire internationale à la surenchère identitaire québécoise. Face à l’instrumentalisation politique des crises internes et à l’usage d’un racisme défensif par la droite nationaliste et l’extrême droite, la nécessité d’agir est manifeste.

Être antifasciste, c’est avant tout être contre le racisme et l’autoritarisme. C’est une lutte politique et sociale essentielle pour défendre des principes d’égalité et d’émancipation face à toute tentative de division ou d’inversion des rapports de domination.

C’est une lutte qui rappelle la célèbre maxime latine de Térence, « Homo sum, humani nihil a me alienum puto » (Je suis homme, et rien de ce qui est humain ne m’est étranger.), laquelle a été modernisée pour devenir : « Aucun humain n’est étranger sur cette terre ». Cet idéal place l’émancipation de tous les êtres humains au cœur du combat antifasciste.

Vers une politique de la destitution: Noyau et camp révolutionnaire

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Oct 122025
 

Soumission anonyme à MTL Contre-info

Chaque génération doit, dans une relative
opacité, affronter sa mission: la remplir ou la trahir
– Frantz Fanon

Notre génération fait face à un mur. Et par génération, nous n’entendons pas le découpage en tranches d’âge bien convenu, mais plutôt l’ensemble de ceux qui, à une période donnée, se posent les mêmes questions, font face aux mêmes problèmes. Le mur contre lequel nous butons est celui du sens. C’est lui qui fait de nous des orphelins. Orphelins politiques; orphelins de formes, d’explications, de mots pour donner sens à la conflictualité historique à laquelle nous prenons part. Comme le disait Jacques Camatte en 1973: 

« Tous butent contre ce mur et sont renvoyés plus ou moins loin dans le temps. Il est la limite d’un ensemble praticothéorique au sein duquel une combinatoire est possible. Certains accomplissent de très amples trajectoires. Ils vont du léninisme au situationnisme pour revenir à un néo-bolchevisme en passant par le conseillisme. »

Cet effet de rebond est toujours présent: certains deviennent marxistes en rebondissant sur l’échec d’une lutte territoriale, d’autres deviennent formalistes en rebondissant sur l’échec de la communauté, et d’autres encore deviennent mouvementistes en rebondissant sur l’échec de leur groupe. Tous cherchent dans ces différentes formes la réponse qui éclairera la situation et les armera.

C’est que notre période d’expérimentation se distingue de ce qui caractérisait le cycle de lutte précédent. Les mêmes questions n’ont plus les mêmes réponses. Ce qu’avaient en commun les différentes perspectives révolutionnaires du 20e siècle, c’était le programmatisme. En résumé: la révolution sera le fait de la montée en puissance du prolétariat, en tant que classe, de sa réappropriation du mode de production capitaliste. Anarcho-syndicaliste, socialiste, trotskiste ou maoïste, de là partaient l’ensemble des manières de penser le renversement de la société capitaliste, chacun la pointant du doigt comme l’ennemi à abattre. À présent, nous nous retrouvons avec une capacité de lisibilité stratégique beaucoup plus faible que ceux qui nous ont précédés. Comment briser le mur du sens sur lequel nombreux rebondissent depuis quelques décennies?

De notre côté, le sens a longtemps été lié à notre expérience de la politique: le refus du monde et l’expérimentation dans ce refus, la tentative d’en faire une communauté. Un rapport commun à la politique est ce que nous pourrions nommer une compréhension subjectiviste du sens de l’engagement, un rapport existentiel à la politique. Cette manière de penser les choses, celle qui dit « je choisis de lutter parce que c’est une manière de vivre intense, pleine », se dément au moment où la politique apparaît comme redondante plutôt que nouvelle, quand l’intensité quitte le terrain de la politique, quand la communauté se déchire. On poursuit ailleurs la folie du mouvement, dans le couple, le travail, l’art, ou alors on s’abandonne à sa folie propre. À cette manière de penser répond une conception objectiviste du sens, celle qui dit que « la révolution sera le résultat d’une montée en pouvoir progressive des masses », que l’histoire pointe indéfectiblement dans cette direction. Celle-ci se décompose à mesure que le mouvement ouvrier se fait avaler par le monde du capital et que le langage de la contestation vient renforcer la construction politique du pouvoir. L’emphase sur la détermination historique de la révolution, dictée par les conditions matérielles objectives se défait au fil des mouvements qui meurent sans tentative d’insurrection et sans construction d’un contre-pouvoir, à mesure que les tentatives de révolution font naître de nouveaux gouvernements tout aussi lamentables que ceux qu’elles laissent derrière.

Sans tomber dans l’une ou l’autre de ces impasses ni nier la force que porte chacune, nous pouvons dire: la révolution n’est pas nécessaire – comme nécessité inéluctable de l’Histoire – mais elle est réellement possible. Nous pensons que faire grandir cette possibilité, et la possibilité d’être, en son sein, une force éthique aussi bien que politique, implique de poser la question de l’organisation. Le problème de l’organisation concerne le temps qui sépare notre présent d’une révolution possible. Ce temps est celui des questionnements et des tentatives politiques, mais aussi de l’expérience éthique qui nous lie à ce pari. Car si la révolution est seulement possible, il est aussi possible qu’elle n’advienne pas, que se poursuive le cours catastrophique des choses. C’est pourquoi il faut se rendre capable de la choisir à chaque fois que cette décision s’impose.

C’est dans cette optique que ce texte vise à contribuer, localement et à l’échelle internationale, au débat sur les formes organisationnelles révolutionnaires. Dans le cycle de lutte qui se termine, la destitution a été un moteur fort. Plutôt que de clore cette séquence en niant ce qu’elle a porté, il est crucial d’en tirer les conséquences et d’ouvrir une nouvelle phase d’expérimentation politique. Il est possible de renforcer les intuitions qui se sont avérées justes et de décortiquer celles qui nous ont égarés par le partage de fictions communes: la destitution, le camp et le noyau révolutionnaire. Elles sont autant d’outils qui peuvent changer notre rapport à ce qui se joue sur les scènes de la politique que nous rencontrons. Nous ne sommes pas seuls à chercher des réponses. C’est ce qui pousse chacun à chercher, malgré les différences de langage, malgré l’écart entre les expériences, ce qui nous rapproche et si ce que nous avons en commun nous semble suffisant. Nous commençons à peine.

Mouvements destituants

La destitution s’est affirmée de manière éclatante par le slogan « ¡Que se vayan todos! »[1] qui fut le mot d’ordre du mouvement argentin du début des années 2000. Dans les années qui ont suivi, la même agitation s’est propagée, traversée d’un refus non seulement du monde tel qu’il est, mais plus encore d’un refus de chercher une fin qui viendrait clore telle ou telle séquence politique. Il s’agissait d’en finir avec toutes les conceptions du « changement social », et avec l’horizon de la prise de pouvoir. « Fuck toute », disaient au Québec les grévistes étudiants de 2015. De la même manière, il y a aujourd’hui quelque chose qui se passe à l’échelle mondiale, dans l’exacerbation d’une violence politique de la rue qui ne se prévaut d’aucune légitimité, qui ne repose sur aucun sujet clairement identifiable et ne se justifie d’aucun projet de société.

En 2008, Mario Tronti disait, contre sa propre grammaire politique léniniste, qu’une autre histoire était en train de s’ouvrir, une histoire dans laquelle la logique de la révolte ne se rapporte plus à un projet de construction de quelque chose, mais consiste entièrement dans la mise en crise de ce qui est; elle n’est plus tant politique, qu’éthique. La révolte éthique, pour Tronti, traduit l’état de crise dans lequel se trouve la subjectivité ouvrière comme porteuse d’un projet positif. C’est la débâcle du programmatisme. Ce qui se révèle dans ce type de révoltes, c’est bien cette dimension de refus de la totalité du modèle social qui ne laisse place à aucune extériorité, s’immiscant jusqu’aux aspects les plus intimes de nos vies. L’éthique fait ainsi surface dans les révoltes contemporaines puisqu’elle rend compte de l’emprise totalisante de la domination, ce que les réponses politiques classiques n’arrivaient pas à faire. Plus encore, ce qui est mis en jeu et combattu dans ces révoltes n’est pas un ennemi qui pourrait se concevoir comme totalement extérieur à nous, mais également quelque chose qui nous traverse. C’est non seulement l’institution ou la marchandise, mais le besoin que nous en avons, leur emprise sur nous. C’est un certain rapport au monde, des manières de penser, de faire, d’aimer qui sont bouleversées. L’hypothèse destituante suppose donc que d’autres formes-de-vie peuvent s’inventer à partir de ce refus du monde. Certains éléments centraux de la tradition révolutionnaire classique sont alors évacués: la prise du pouvoir d’État, la déclaration d’une nouvelle constitution ou le décret, par le haut, de nouvelles institutions révolutionnaires.

L’hypothèse historiciste, selon laquelle la destitution est « la dynamique de l’époque après la défaite du mouvement ouvrier » constitue un des usages possibles du concept de destitution, un usage descriptif. Bien que fort intéressante, cette analyse demeure insuffisante, car elle propose une vision unilatérale de ce qui a lieu dans les situations politiques. Celles-ci sont en réalité ambivalentes. Comme Kiersten Solt l’affirmait dans sa critique d’Endnotes: « les soulèvements contemporains sont le site d’une rencontre conflictuelle entre des gestes destituants et des forces constituantes. » Bien que plus précise, cette affirmation ne nous convainc pas complètement non plus. La pensée politique qui en découle demeure limitée. Il faut penser plus loin que l’opposition entre gestes destituants et force constituante, parce qu’elle ne permet pas d’imaginer ce que pourrait être une force destituante. Notre rôle en tant que révolutionnaires ne peut se réduire à la diffusion ou à l’explicitation de certains gestes posés au sein des mouvements. C’est la limite qu’ont rencontré aussi les hypothèses comme celle de Memes with force, Memes without end, ou encore la généralisation des gestes comme ceux du cortège de tête et du black bloc. En donnant la centralité aux formes inventées dans les brèches qu’ouvrent les révoltes, il n’est même plus assuré qu’une telle pensée de la destitution soit une pensée de la révolution.

Dans les récents débats, beaucoup de choses ont été écrites sur ce qu’est la destitution en tant que geste négatif dans l’époque, et pas assez sur ce que devrait être une position révolutionnaire destituante. Il s’agit de savoir faire la différence entre une description historique et un geste de prescription politique. Partir du constat que des dynamiques destituantes sont à l’œuvre, sans se limiter à en faire la description, représente un premier pas vers la formulation d’une position destituante. À partir de celle-ci, nous voyons cependant deux chemins se tracer: la destitution de la politique et la politique de la destitution. Notre objectif dans ce texte est de nommer quelques-unes des impasses que nous voyons dans ce que nous appelons destitution de la politique pour ensuite proposer les contours d’une politique de la destitution.

La destitution de la politique

Ce que montrent les mouvements des places, les ZAD, les insurrections des dernières années et les « non-mouvements » dans lesquels la vie se réinvente en luttant, c’est avant tout une distance insurmontable entre les aspirations des vies qui entrent en lutte et leurs traductions politiques, y compris par les organisations les plus radicales. La destitution désigne ce constat qu’il n’y aura plus d’organisation fédératrice de toutes les revendications, aucune en tous cas qui ne serait pas une arnaque s’inscrivant dans un rapport de négociation, aucune qui ne serait pas pour l’État. Si même les organisations « révolutionnaires » sont bien en deçà de ce qui se passe partout sur la planète lors du moindre sursaut insurgé, à quoi bon y tenir?

Dans les dernières années, une des réponses ayant émergé soutient qu’il faut plutôt tenir au partage de ces moments, à certaines expériences du monde, ainsi qu’au décalage éthique qui se révèle dans des situations polarisées. Comme l’avance le titre de la revue Entêtement, il s’agit de « tenir une sensibilité ».

Partout, dans cette époque, les « nous » représentatifs [les nous identitaires] se trouvent débordés par les « nous » expérientiels, si plastiques, si instables, mais si puissants. Les « nous » représentatifs sur lesquels cette société s’est édifiée ne comprennent pas cette irruption historique des « nous » expérientiels. Ils en sont littéralement terrifiés, traumatisés, révoltés. [2]

Une des formes de ce que nous qualifions de destitution de la politique postule que ce qu’il s’agit de faire grandir c’est cette distance entre l’éthique (les « nous » expérientiels) et la politique (les « nous » représentatifs). La désillusion généralisée à l’égard de la politique représentative et l’ouverture des questions au-delà de la logique de l’intérêt désignent certainement une ouverture dans laquelle il faut savoir plonger. La prise de parti pour l’éthique tend cependant à évacuer la possibilité d’un « nous » qui ne serait pas représentatif ni purement expérientiel, mais partisan. Une nouvelle idée de la politique peut naître de la faillite de son concept représentatif.

Si elles ne sont pas soutenues par une forme politique, les révoltes éthiques sont en proie à deux sortes de trahisons. La plus évidente est la trahison réformiste: une révolte contre la totalité du monde (y compris de notre manière d’en être) passe à l’histoire comme un mouvement contre un de ses aspects particuliers ou encore comme une victoire donnant lieu à un sentiment de progrès et de justice[3]. L’autre trahison est celle qui, prenant acte du caractère total de la remise en question du monde, oublie la centralité de la révolte dans l’émergence de cette vérité et, de là, se replie sur l’éthique. On se représente facilement les premiers: leaders de mouvements devenus politiciens, présidents d’ONG, gauchistes professionnels de toutes sortes. Les deuxièmes sont plutôt ceux qui, ayant fait l’expérience de la révolte, voient leur vie bouleversée et, tentant de faire sécession avec tout, rompent finalement avec la révolte elle-même. Entrés dans des mouvements par la porte politique, ils en ressortent par la porte éthique et tâchent de mettre en place un monde dans lequel cette manière d’être peut se déployer. Après l’ivresse des mouvements, nombreux sont ceux qui pensent les poursuivre ainsi.

La tentative d’une formulation politique à partir du repli éthique tend trop facilement à prendre le chemin vers ce que nous qualifions d’alternativisme. L’alternativisme est une des figures que nous associons à la destitution de la politique. Par une fixation sur les projets en tant que projets, elle offre la possibilité de plaire à tout le monde. Pour les radicaux, l’horizon alternativiste est celui de la contre-société, alors que pour les réformistes, le changement surviendra par la diffusion progressive de ces pratiques au sein de l’économie. En somme, aucune lutte frontale avec l’hégémonie économiste, aucune pensée pour aller plus loin que « ce qui est possible, ici et maintenant » seulement l’abdication face au combat à mener. Qu’en lieu et place de foyers de luttes, radicaux et réformistes défendent plutôt la multiplication des circuits courts, de bio-régions ou de dispensaires de services communautaires, indique davantage la défaite historique des révolutionnaires que leur victoire idéologique.

Rapidement, l’infrastructure qui devait servir de support devient sa propre fin. En mettant en place des infrastructures qui ne sont pas d’emblée politiques, on voudrait pouvoir contribuer à une possible situation politique, voire à une crise future. Ainsi, dans sa version autonome, l’alternativisme traduit autrement une distance avec le tissu insurrectionnel et inscrit l’antagonisme dans un temps futur. Un jour viendra où ces terres nourriront les communards. Qui peut être contre la vertu? Dans tous les cas, la préfiguration d’un monde post-révolution, couplée d’une volonté de le construire dès maintenant, a pris le pas sur la construction d’une force politique.

Quelles formes après l’informalité

Jusqu’à récemment, l’emphase sur la révolte éthique se mariait facilement avec le refus de toute forme d’organisation. L’alternativisme a pu, pendant un moment, apparaître comme une voie sérieuse qui ne trahissait pas ce qui l’avait fait naître. Pourtant, alors qu’informalité et destitution ont semblé aller de pair, nous en avons vite ressenti la limite. Par toutes sortes de chemins, ces dernières années ont donc vu revenir en force la question de l’organisation.

L’organisation informelle, qui est l’option implicitement majoritaire dans le cycle de lutte actuel, est à bout de souffle et critiquée de toute part. La dynamique, qui s’est appuyée sur la récurrence des mouvements sociaux classiques dans lesquels des organisations réformistes ou pseudo-révolutionnaires pouvaient être débordées, critiquées, combattues, a connu son chant du cygne avec la pandémie. Passées les dernières irruptions insurrectionnelles, toute possibilité politique a été écrasée par la gestion autoritaire de la covid. La plupart des groupes informels pré-existants ont été réduit à leur implication dans divers projets (communautaires, d’aide mutuelle, de quartier, de centre social, de commerce, de revue), sinon à entretenir un rapport pessimiste, voire cynique à toute tentative politique. Bien sûr, il existe toujours des groupes informels qui maintiennent des rapports politiques, en participant à telle ou telle lutte, mais en tant qu’hypothèse, elle ne tient plus la route.

L’échec de la première phase d’expérimentations destituantes – qu’on pourrait délimiter par les deux premières décennies du 21e siècle –, a ainsi produit une réaction formaliste qui se manifeste par la création de groupes ouverts. Cette réaction croit ainsi pouvoir remédier à la faiblesse du mouvement révolutionnaire par l’entremise de solutions techniques: des structures formelles d’engagement qui permettent l’élargissement de la base d’organisation. Certains ont ainsi réagi à la faillite manifeste de l’informalité[4] en revêtant les vieux habits de la politique: à la structure de la bande, clandestine par sa nature même, ils opposent des groupes formels et publics, ouverts, visant à rompre l’isolement d’une politique condamnée comme groupusculaire. Mais étrangement, les vieux habits sentent les vieux habits. Le formalisme fait retour à des cadres d’analyse centrés sur des catégories sociales, comme la classe et d’autres marqueurs objectifs, ou encore (c’est souvent les deux) à des théories avant-gardistes de l’organisation.

Le mouvement du balancier a amené d’anciens tenants de l’informalité à répondre au problème du nombre, de l’engagement et de l’isolement par des structures publiques, et à l’indicibilité de leur contenu éthico-politique par de larges pétitions de principes (anticapitaliste, féministe, écologiste, etc.) Rapidement, leur publicité, présumée gage d’expansion et de propagation, entraîne davantage le sentiment d’être un peu trop exposé pour porter l’intensité désirée, ou pour en tirer de la force après coup. De plus, dans les moments critiques, les espaces ouverts n’assurent pas la confiance nécessaire pour se mettre réellement en jeu et le partage vague d’identité ou de principes ne génère pas d’engagement réel.

Chercher la solution au problème de la force dans un mode d’apparition, c’est poser la question à l’envers. L’organisation publique peut bien donner un sentiment de puissance momentané, mais celui-ci s’avère trompeur dans les moments où la police tente d’écraser systématiquement ce qui jaillit. À mesure que ces organisations publiques réussissent dans leur construction politique, elles sont défaites par la répression. Elles ne contiennent pas le germe de leur dépassement, mais de leur écrasement. À l’heure du resserrement sécuritaire propre au vacillement de l’ordre capitaliste mondial, il ne peut exister, dans l’espace public, de groupe ouvertement – et réellement – révolutionnaire.

Outre le problème de l’apparition, le retour à l’utilisation de fictions historiques désuètes ou des catégories sociologiques issues de la nouvelle critique ne peut redonner sens à la conflictualité contemporaine. Ces termes trouvaient leur force dans leur capacité à donner sens à ce qui était vécu. C’était des appareils de simplification, comme le sont toujours les concepts politiques. À présent, les pirouettes rhétoriques tout comme l’arsenal académique, nécessaires pour leur donner sens, témoignent de leur fragilité, non pas de leur force. Le programmatisme ne s’est pas épuisé car le mouvement ouvrier a été défait en tant qu’ennemi, mais plutôt parce qu’il a été avalé par le monde du capital. Tout ce qui faisait la force du mouvement ouvrier a été intégré dans le règne de l’économie. S’est perdu ce qu’il était possible de voir comme l’expression du prolétariat, ou comme le disait Marx, d’un « ordre qui est la dissolution de tous les ordres ». Le mouvement ouvrier est né dans l’économie, rien de surprenant qu’il y meurt.

Pour beaucoup, la tentation est grande de se ressaisir de la lutte des classes comme explication générale. Elle sert de béquille analytique dans leur recherche de la puissance que ces hypothèses historiques ont réellement fait exister. Au lieu de prendre cette voie, nous nous demandons: quelle force fut rendue possible par l’hypothèse de la lutte des classes?

Même si les terminologies du passé ne peuvent nous permettre de saisir la complexité des évènements qui surgissent, il n’en reste pas moins que les fictions sont des choses sérieuses. Nous avons besoin de fictions pour croire à la réalité de ce que nous vivons. La tâche politique la plus urgente est celle de trouver et mettre en partage les termes qui donnent sens à nos expériences, à ce qui s’oppose à la domination, à l’exploitation, à la destruction, à toutes les formes que prend le pouvoir. L’argent est une fiction, tout comme l’État et la loi. Il faut opposer nos fictions à celles qui nous sont imposées. Combinés au concept de destitution, le noyau et le camp révolutionnaire permettent à présent de récapituler la conflictualité historique.

L’organisation d’une force destituante

La destitution implique une « mise en crise de ce qui est », un refus total du monde. La posture que nous qualifions de destitution de la politique s’inscrit dans cette négativité. Cependant, en raison de son rapport ambigu à la conflictualité, elle ne parvient pas à prendre part à l’élaboration d’une force révolutionnaire – une puissance à même de faire face aux forces constituantes autrement qu’en appelant à la désertion. Par ailleurs, la réponse formaliste publique, le renouvellement de l’anticapitalisme, échoue nécessairement à répondre aux exigences de clandestinité qu’impose le pouvoir.

Comme nous l’affirmons plus haut, bien que des dynamiques destituantes soient à l’œuvre dans les mouvements contemporains, elles sont trop souvent recouvertes par la pacification, l’ordre et le règne de la normalité. Pour Idris Robinson, la tâche des révolutionnaires serait de dévoiler les dynamiques destituantes de manière à interrompre l’ordre des choses. Plutôt que de dire que la destitution est immanente aux révoltes contemporaines, il affirme que la situation conflictuelle ingérable est en réalité le fruit de l’organisation d’une force destituante. Il faut alors « organiser une puissance capable de produire un ennemi diamétralement opposé, et de provoquer ainsi un affrontement si sauvage qu’il débouche sur une situation totalement ingérable, incontrôlable et ingouvernable. »

On conviendra qu’il n’y a aucun interrupteur apte à déclencher magiquement un affrontement si sauvage qu’il débouche sur une situation totalement incontrôlable. Ce qui est possible, c’est de rechercher, pousser, révéler les antagonismes contenus dans chaque situation. Il faut, a minima, reconstruire un imaginaire de la conflictualité politique, et chercher ceux et celles qui peuvent s’accorder sur la même démarche. Si la destitution de la politique s’est posée pour l’instant dans ses refus, le contenu de ce que pourrait être une politique de la destitution reste à élaborer. La question est donc de savoir comment développer une force politique capable de renforcer la polarité révolutionnaire au sein des situations, de rendre l’option destituante plus forte. Comment s’assurer « qu’il n’en reste aucun »?

Munir la destitution d’une politique permet d’imaginer un contenu positif aux différents refus qu’elle pose. La politique qu’on tente ici de décrire touche à la manière dont nous demeurons fidèles aux situations de rupture du cours ordinaire des choses, afin que ce qui s’ouvre dans ces situations ne se referme pas dès que la normalité reprend son cours. Badiou avait donné cette formule juste en écrivant que le parti est ce qui organise la fidélité à l’événement émancipateur, en portant le plus loin possible ses conséquences. Ce qui se révèle alors, et ce à quoi il s’agit de rester fidèles, est la vérité suivante: la normalité de l’économie n’est pas la seule voie imaginable, il est possible de faire des choix basés sur d’autres logiques. Il faut politiser les refus qui émergent dans la révolte et qui peuvent bouleverser irréversiblement nos vies en s’inscrivant en nous. Si les révoltes éthiques ont une force d’irruption, le défi est de trouver les formes politiques qui les font durer dans le temps, les énoncés qui les rendent partageables au-delà de l’expérience. Rester fidèles à cette vérité implique de continuer à nourrir ce bouleversement. Cette densité partagée existe contre l’économie et impose nécessairement quelque chose qui dépasse notre vie propre. De là, la politique convoque la pensée d’un « nous » auquel on se sent appartenir, qu’on doit toujours tenter d’inscrire dans un horizon, comme participant d’un camp.

Une inclinaison contemporaine, profondément libérale, nous incite à l’inverse à conclure qu’il faut se soustraire à l’implication dans un groupe, que « ma vie, c’est mes choix ». Finalement, il serait plus intéressant de naviguer dans la misère affective du libéralisme existentiel que de s’engouffrer dans ce qui risquerait de devenir une dérive groupusculaire. La critique du militantisme que nous avons nous-mêmes répandue était en fait trop soluble dans l’époque[5]. Pour sortir de cette impasse, nous croyons qu’il est nécessaire de formaliser des espaces politiques. Formaliser, au sens de donner forme et mettre en mots. Clarifier les contours d’une position, voir qui la partage, quelle est sa porosité, quelles sont les manières de s’y rapporter et de la rendre plus forte.

Nous faisons l’hypothèse qu’il est possible de formaliser nos positions sans trahir notre appartenance à un « nous » plus grand, celui des insurgés, notre parti historique. En d’autres mots, il faut se donner des formes et des appartenances politiques tout en sachant que les situations montreront leurs limites, qu’elles devront être dépassées. Nos organes partisans de coordination, nos noyaux révolutionnaires, ne doivent jamais perdre de vue leur rapport à une conspiration plus grande. Le plan visé demeure celui de la révolution dans le moment insurrectionnel. Tout le reste n’est que prolégomènes.

D’un côté, le « milieu révolutionnaire », largement caractérisé par l’informalisme et le refus de l’engagement n’est clairement pas à la hauteur. Par peur d’affronter le mur du sens ou par mauvaise conscience gauchiste, nous avons développé le réflexe de produire des espaces pour les autres – quitte à énoncer des demi-vérités auxquelles nous ne croyons pas dans l’espoir de gagner en nombre. En l’absence d’un espace permettant de mettre en jeu les orientations stratégiques – non pas en ce qui a trait à des luttes sectorielles, mais à l’horizon révolutionnaire –, les différentes tentatives organisationnelles sont vouées à produire de l’agitation radicale sans lendemain. De l’autre côté, les réponses formalisatrices actuelles sont insuffisantes pour rebâtir une force qui serait à même de faire exister et croître la possibilité révolutionnaire. Nous proposons ici de tracer les contours de cette force, le camp révolutionnaire, et de l’espace plus restreint à partir duquel nous le pensons, le noyau.

Construire le camp révolutionnaire

À la forme Parti, qui tenait il n’y a pas si longtemps dans son giron la grande majorité des organisations révolutionnaires, s’est substituée dans les dernières décennies la forme milieu. Ce qui lie aujourd’hui les révolutionnaires est essentiellement un ensemble de relations interpersonnelles implicitement politiques. Le milieu est un fantasme d’organisation, un agrégat sans horizon et presqu’accidentel qui se reproduit dans des dates ritualisées (salon du livre, manifestations annuelles, etc.), dans une esthétique radicale ou dans la création à tout vent de nouveaux projets qui mourront aussi vite qu’ils sont nés. Bien qu’il puisse concentrer de la force dans tel ou tel événement, il faut s’avouer que cette forme n’a pas produit la moindre clarification politique qui dépasse son microcosme dans la dernière décennie. Rien de très menaçant pour l’instant.

Cependant, il existe sans doute toujours quelque chose comme un « parti historique », une manière de nommer l’ensemble des gens et des gestes qui œuvrent activement à renverser le monde de l’économie et ses gouvernements. Si cette manière de se figurer les choses nous anime, nous croyons par contre qu’il n’est possible de former quelque chose comme un camp que dans la mesure où nous sommes réellement organisés. Il nous faut des fictions – des idées qui nous permettent de nous penser et de nous reconnaître – qui nous poussent à produire des formes. Un plan de consistance. Le camp révolutionnaire représente pour nous le lieu non seulement d’un partage d’idées, mais de la prise de parti active pour la révolution. Il doit servir d’espace de discussion, d’élaboration stratégique et d’organisation entre différents groupes. Si le camp est un espace, il n’est pas une institution qu’on pourrait répliquer avec ses codes et ses procédures. C’est plutôt une manière de penser la conspiration, une forme qui commence à se répandre. Le camp révolutionnaire est donc à la fois une hypothèse et un lieu concret d’organisation politique.

L’intérêt d’un espace tel que le camp est d’abord de remédier au caractère diffus et isolé des forces révolutionnaires. Dans une situation donnée, la coordination au sein du camp nous amène à penser des interventions plus puissantes, autant sur le plan tactique qu’au niveau du discours. Éviter de multiplier les appels et la confusion. Si nécessaire, penser les désaccords sur des bases politiques et stratégiques, et non pas sur des malentendus ou des embrouilles interpersonnelles. Hors mouvement, alors que les forces tendent à se replier sur elles-mêmes, le camp établit un espace où l’échange permet de tenir dans le temps. De la même manière, le camp offre une distance stratégique entre les forces qui le composent. Au lieu de la fusion, il permet leur mise en jeu.

Le camp ne forme pas un point d’énonciation, un nouveau sujet politique qui puisse agir et s’exprimer. Nous cherchons à organiser la conspiration: trouver les manières d’agencer les différentes forces en présence et sortir de nos impasses. Pour autant, le camp ne peut se réduire à un espace de représentation des éléments qui le composent. Chaque groupe ne devrait pas venir sous le mode du congrès – où tous cherchent à faire valoir les positions de son unité politique sur celles des autres –, ni sous celui de l’assemblée, de laquelle doit sortir une décision par décompte individuel. Les décisions qui y sont prises reposent sur la possibilité d’accords et d’initiatives transversales aux forces qui le composent: une situation nouvelle peut entraîner une prise d’initiative originale qui ne recoupe ni la division préalable, ni l’ensemble des groupes en présence, mais un nouvel ensemble. L’appartenance repose sur la rencontre de différentes positions, elle se doit d’être toujours réactualisée et d’autant plus sincère.

En plus de l’appartenance par le sens politique et le choix d’une fiction commune, nous croyons aussi au caractère génératif de l’engagement. Le camp doit se doter d’espaces formels et concrets qui ont une intériorité, qui sont liés à une présence et une participation actives: des espaces de discussion, de débat, de planification, de debrief, etc. Le degré de formalisation, ainsi que les caractéristiques des groupes qui le composent, la question de savoir s’il peut accueillir des individus ou seulement des groupes, restent toutefois à déterminer à partir des orientations de base que se donnent ceux et celles qui font usage de cet espace.

Bien que le camp ne nécessite pas que tous ceux qui y appartiennent aient les mêmes priorités, il présuppose néanmoins un critère et une orientation de base, qui sont de poser et de faire exister la question de la révolution. La capacité à dire nous, même si cela recouvre nécessairement des différences. Mais l’étiquette « révolutionnaire », appliquée à tout vent, ne saurait en être un gage d’appartenance. Le camp n’est pas le milieu ou le réseau qui ramasse toutes sortes de tendances avec leur prétention à la radicalité. Pour les forces qui appartiennent au camp, l’activité politique doit s’inscrire dans une stratégie qui peut s’expliciter. Sans cela se profile le problème d’une boîte noire capable de transformer par magie toute forme d’implication réformiste en activité révolutionnaire.

Évidemment, il est impossible de trancher hors de toute situation, ce qui définit exactement une position révolutionnaire. Cependant, cet exercice de discernement demeure fondamental, c’est par cette porte qu’il faut bien sortir, un jour, du tunnel de la déconstruction. On ne nous refera pas le coup du réformisme ni celui de la prise du pouvoir d’État. La révolution implique un bouleversement de l’ordre établi et des manières de vivre par les foules insurgées. Participeront au camp révolutionnaire tous ceux et celles qui œuvrent d’arrache-pied à l’avènement de ce bouleversement et décident de s’organiser sur cette base.

Former des noyaux denses

Quelles formes politiques se retrouveraient dans les espaces du camp révolutionnaire? Sans doute un peu de tout ce que nous avons connu: des groupes affinitaires, des petites cellules communistes, des bandes d’amis, des membres d’organisations politiques, des piliers de milieu, des gens qui tentent des paris dans des luttes territoriales, sur des enjeux sociaux ou économiques, etc. La composition serait sûrement variable en fonction des endroits, des niveaux d’intensité et des formes d’organisation politique qui leur sont propres. Nous croyons cependant que la formation d’unités politiques denses et déterminées changerait drastiquement la force d’un espace comme celui du camp révolutionnaire, et plus largement l’ambiance politique générale. C’est ce que nous nommons les noyaux révolutionnaires.

Une des limites actuelles que nous voyons est l’absence de position claire émanant des groupes organisés. Le groupe affinitaire de même que l’organisation formelle large font face à ce manque. Un noyau révolutionnaire devrait, pour formuler une position, se poser certaines questions: Quel est notre cadre d’analyse? Notre perspective stratégique sur les prochains mois, les prochaines années? Qu’est-ce que nous voulons prioriser? Pourquoi? Quelles lectures partageons-nous de nos expériences communes? De nos échecs et nos réussites? Il ne s’agit pas d’émettre de grands méta-récits, des explications universelles voulant englober toutes les expériences et les situations. La lecture que nous avons doit pouvoir s’ajuster à la situation et en émerger directement; du moment où elle demeure fixée, elle nous enferme. Il faut savoir mettre en commun un ensemble de considérations articulables et ainsi audibles et partageables par d’autres.

Les noyaux révolutionnaires sont le genre de formes politiques capables de réaliser ce travail en ce sens qu’ils constituent l’unité d’organisation politique la plus dense. Ce n’est pas la question du nombre au sein d’un noyau qui crée sa densité, mais bien la position politique qui est décidée par ceux qui le composent. Sa position ne saurait se résumer en des principes larges ou des identités partagées. Elle constitue plutôt une entente politique forte qui porte à conséquence.

L’absence de positionnement des groupes organisés participe à la confusion qui règne actuellement. Sans proposition sur la table, impossible de se comprendre ou de se situer les uns par rapport aux autres autrement que par des effets de distinction; l’interpersonnel prend le dessus sur le politique. Par définition, une position est à la fois l’une des coordonnées qui permettent de situer un objet par rapport à un autre et l’orientation que cet objet prend selon son horizon. Le noyau doit être un point d’énonciation. Prendre position signifie poser, énoncer et formuler, comme un parti à prendre, une lecture du monde à laquelle se rallier. Cependant une position, c’est aussi la manière dont une chose est disposée, organisée. La forme est indissociable du fond. Dans le noyau, l’engagement repose sur la confiance et l’entente qui renforcent les liens, qui font tenir la forme dans le temps. Cette entente se développe par un accord commun: la priorisation de quelque chose qui touche à un horizon bien plus large que la vie collective du groupe.

Chaque noyau repose nécessairement sur un plan éthique, qu’il soit explicité ou non. Pour nous, l’engagement politique implique une transformation profonde de la vie; profaner notre rapport à l’argent, au travail, expérimenter la vie collective, mettre en partage non pas seulement le plan matériel – ce que nous avons –, mais ce que nous sommes, les désirs qui nous traversent, les décisions que nous prenons. Ouvrir l’espace du commun défie les logiques d’appropriation et de valorisation dans le groupe. Sans vouloir réduire du même geste la politique à la vie, nous pensons qu’il y a de l’importance à ce que l’on partage: un horizon commun, la prise de risques, différents refus. Nous croyons la vie changée lorsqu’elle est éprouvée ensemble. Elle est ce qui donne de la force et ce qui soutient l’engagement.

Selon ce que nous avons connu, l’absence de clarification des formes est l’un des problèmes des bandes et des groupes affinitaires. Elle rend difficile leur porosité, et arbitraires leurs critères d’appartenance. Si nous retenons donc l’intensité de l’expérimentation collective et l’opacité conspirative qui les animent, la forme noyau porte la possibilité de formaliser des modalités, de clarifier des rythmes, de problématiser des modes d’entrée et de sortie. C’est en ce sens qu’elle se rapproche de l’organisation formelle large. Pour ne pas se figer, le noyau cherche nécessairement à rencontrer d’autres noyaux, gagner en puissance et en sagesse. C’est à travers l’appartenance au noyau que peut se maintenir et se clarifier l’engagement de ses membres. De même, le partage de propositions et d’un engagement envers elles rend possible son expansion.

Les noyaux n’ont réellement de sens que dans la mesure où ils restent dans un dialogue avec d’autres noyaux et l’espace plus large du camp révolutionnaire. Si pour l’instant nous n’arrivons à expérimenter des noyaux de ce genre qu’à quelques dizaines de personnes, nous parions qu’il est possible de le faire à beaucoup plus. L’histoire regorge de toutes sortes d’expérimentations qui, sans trahir la densité de leur lien, surent grandir en nombre.

Des espaces d’expérimentation: politique, usage, communisme

Si un gouffre immense semble parfois séparer les révolutionnaires – celui du vocabulaire théorique et politique – nos inclinaisons pointent dans une direction commune. Orphelins politiques, épuisés à force de rebondir sur le mur du sens, au moins deux choses nous rassemblent. La première, plus immédiate, se révèle dans ce que nous cherchons à rencontrer ou à provoquer dans les différents mouvements sociaux ou situations qui se présentent à nous: des gestes de rupture, des discours qui se dérobent à la logique du droit et de la légitimité, des impulsions ingouvernables. C’est par un supplément d’organisation, et non par une simple participation, que ce qui manque en situation peut y être ajouté. La deuxième se loge dans cette volonté d’affronter la question révolutionnaire à partir des échecs du siècle dernier et des obstacles de notre présent immédiat. Nos parcours pointent vers une soustraction à la politique du pouvoir, mais ils se trouvent jusqu’à aujourd’hui en tension avec la formulation de leur propre politique et avec le principe de l’organisation. C’est au sein de cette tension que nous nous orientons.

Nous parlons d’espaces stratégiques comme d’un usage de la politique. Mais qu’est-ce qui rend cet usage possible ou, plus généralement, qu’est-ce qui rend la politique possible? Nous sommes attachés à la dimension négative de la politique destituante, car nous savons que c’est dans la destruction du pouvoir d’État que se situe la possibilité de la communisation. L’insurrection, l’événement politique par excellence, est précisément le moment privilégié, car il permet une ouverture de la question la plus générale possible au plus grand nombre possible. Dans celui-ci toute tentative préfigurative ou planificatrice serait soit humiliée, soit imposée. Cependant, ce redéploiement négatif de la politique, sa méfiance envers des fins, nécessite de repenser le sens du communisme, qui a occupé la fonction d’horizon dans la politique du dernier siècle. Il a été compris, de manière désastreuse, comme fabrication par l’État d’un monde nouveau. Nous pensons aujourd’hui le communisme comme la condition d’une politique destituante, et ce d’au moins deux manières.

Premièrement, communisme est le nom de la politique ennemie à celle du capital. Comme le souligne Bernard Aspe, c’est le nom d’une pensée générale de l’antagonisme, de l’irréconciliabilité avec le monde, et de la possibilité d’une extériorité ici et maintenant. Communisme est donc le nom d’une possibilité de la politique, car une politique ne peut se révéler que depuis une autre politique qui lui serait ennemie au niveau de la totalité. Non pas momentanément, dans un processus de modification interne, mais intégralement. C’est spécifiquement en révélant comment d’autres décisions que celles liées à l’intérêt sont possibles, que le communisme se pose comme le nom d’une politique contre l’économie.

Deuxièmement, communisme désigne aussi la condition de la politique d’une autre manière: nous ne pouvons pas nous imaginer porter quelque chose politiquement sans une élaboration collective. Celle-ci nécessite l’ouverture d’un espace dans lequel la question de la survie n’est pas la question centrale. Plus qu’un arrangement matériel, le communisme dépasse notre simple capacité à joindre les deux bouts, et naît lorsque des êtres cessent de compter et mettent en partage ce qu’ils sont autant que ce qu’ils ont. Le repli éthique n’est tout compte fait qu’une voie parmi les possibilités de la destitution. Sa charge communiste se neutralise si on laisse gonfler à l’infini la dimension existentielle du mouvement destituant. Nous ne disons pas qu’il faut nier cette dimension. Nous disons qu’il faut l’arrimer à la construction d’une force politique.

Le communisme est donc une idée qui nous guide, quelque chose que l’on cherche à répandre autant qu’à trouver dans le monde. C’est un rapport qui nous fait voir dans un geste ou un évènement le potentiel, soit de clivage, soit d’intensification, soit d’alliance. Le communisme c’est peut-être une ambiance vécue à plusieurs lorsque les logiques de l’appropriation échouent et depuis laquelle nous prenons des décisions, choisissons des directions ou éteignons certaines pratiques. Lorsqu’est abolie la distance entre ceux qui décident et ceux qui font, entre ceux qui possèdent et les autres. En cela, le communisme ne peut s’expérimenter qu’à distance de l’État. Le terreau d’une telle expérimentation, n’est pas le plaisir du combat ni un savoir scientifique quant à la possibilité que finisse le cauchemar, même si cela peut nous nourrir. Son terreau est cette vérité mise en partage que peut finir le cauchemar.

Bien entendu, si rien ne conditionne la participation d’un sujet dans une situation donnée, on peut toujours être happé dans l’événement indépendamment d’un espace qui lui soit préalable et qui lui survive. Cependant, quiconque y rencontre des camarades et décide d’y rester fidèle rencontrera la question: comment continuer? Malgré l’utile distinction entre éthique et politique; on touche peut-être ici leur point d’indissociabilité.

Notes

1. « Qu’ils s’en aillent tous » et dont la deuxième partie du slogan, trop souvent oubliée, « et qu’il n’en reste aucun » (y no quede ni uno solo), annonce peut-être la tâche de la nouvelle phase destituante qui s’ouvre.

2. Manifeste conspirationniste, page 301.

3. On pourrait prendre l’exemple de la séquence politique de 2012 et la manière dont celle-ci fut refermée. Les nombreux mois d’ébullition contestaires furent réduits à l’enjeu des frais de scolarité et à un changement de gouvernement par voie électorale.

4. La politique informelle n’a pas pu fournir une théorie qui dépasserait sa propre expérience. Son échec confine au silence, à la mélancolie, ou à la recherche.

5. Le refus du militantisme classique, qui sépare artificiellement les choix de vie et les perspectives politiques, nous a menés à une confusion sur ce qui constitue le geste politique. L’indistinction totale entre éthique et politique qui a caractérisé ce refus rend ambiguë la différence entre l’organisation de l’existence et l’élaboration de formes politiques.

Nouvelle Alliance et la tentation fasciste

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Oct 092025
 

De Montréal Antifasciste

L’entreprise d’isolement de Nouvelle Alliance menée par différentes composantes du mouvement antifasciste québécois a fini par porter ses fruits. D’abord avec les événements entourant leur rassemblement avorté du 19 mai, où l’organisation nationaliste identitaire a montré ses vraies couleurs en agressant physiquement des militant·es antifascistes, puis, plus récemment avec leur tentative d’organiser une large manifestation pour l’indépendance, à Québec le 20 septembre dernier. Cette initiative a attiré des centaines d’indépendantistes… qui se sont retourné·es contre les membres et sympathisant·es de  Nouvelle Alliance, les ont isolé·es et empêché·es de marcher.

Ces évènements leur ont aliéné la plupart des forces indépendantistes qui comptent aujourd’hui, du Mouvement des étudiants et étudiantes indépendantistes (MEI) aux OUI-Québec, en passant par la très centriste et consensuelle Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal. Même la porte du Parti Québécois, longtemps restée entr’ouverte, est en train de se refermer sur leurs doigts. Plus l’organisation d’extrême droite se dévoile (ou est dévoilée) et plus le cordon sanitaire autour d’elle se solidifie. Nous considérons qu’il s’agit d’une excellente nouvelle.

Cela étant dit, cette fermeture sur leur champ gauche amène la jeune organisation à aller chercher de l’écho sur son champ droit. Nous considérons que Nouvelle Alliance vient de franchir à cet égard une autre frontière symbolique. Une frontière sombre, bien sombre.

En organisant ses « Perspectives nationalistes » le 4 octobre prochain à Trois-Rivières, avec comme invité d’honneur François Dumas du Cercle Jeune Nation, Nouvelle Alliance ouvre littéralement la porte au fascisme. Ne vous y trompez pas, il ne s’agit pas d’une simple conférence, mais bien d’une formation politique quasi obligatoire pour les membres de Nouvelle Alliance.

Le Cercle Jeune Nation (CJN), c’est quoi?

Jeune Nation, qui deviendra plus tard le Cercle Jeune Nation, est fondée au milieu des années 1980 par deux étudiants de l’Université de Montréal : François Dumas et Rock Tousignant. Jeune Nation s’inspirait en fait de deux organisations françaises, elles-mêmes liées par leur histoire et leur filiation avec le nazisme et le fascisme : Jeune Nation, active dans les années 1940 et 1950; et Ordre Nouveau, qui rassembla en son sein plusieurs chapelles de l’extrême droite radicale à la fin des années 1960 et donnera naissance au tristement célèbre Front national. Jeune Nation — la version québécoise — s’inspire ainsi du mouvement néofasciste français dit « nationaliste révolutionnaire » et en particulier de son maître à penser, François Duprat.

S’ajoute aux préoccupations centrales du CJN une vénération pour l’Abbé Lionel Groulx ainsi qu’une farouche opposition à l’immigration (non blanche), qui diluerait à la fois la « race » canadienne-française et le « fait français » au Québec.

Pragmatiquement, le Cercle Jeune Nation s’inspire aussi directement du Groupement de recherche et d’études pour la civilisation européenne (GRECE), le vaisseau amiral de la « nouvelle droite » française, dont l’objectif tacite a toujours été de réhabiliter le fascisme par des moyens « métapolitiques » (culturels, intellectuels, etc.).

Un extrait du texte « Quelques jalons pour l’histoire d’une organisation nationaliste de droite au Québec », par François Dumas, dans le no. 2 des Cahiers de Jeunes Nation (juillet 1992). Dumas dévoile ici sa stratégie de ne pas se dire explicitement d’extrême droite publiquement,  tout en assumant l’être en privé. Une stratégie reprise en tout point par Nouvelle Alliance.

Le Cercle Jeune Nation préconisait une philosophie « pas d’ennemis à droite », ce qui les amenait à accepter tous les nationalistes de droite et d’extrême droite sous leur chapiteau. C’est une approche qui a également caractérisé la Fédération des Québécois de souche (FQS, fondée par des néonazis, faut-il le rappeler) et son journal, Le Harfang, auquel collabore d’ailleurs encore aujourd’hui Roch Tousignant, cofondateur du CJN. Cette collaboration se reflète à ce jour dans le canal Telegram du Harfang, où le contenu du blogue CJN est systématiquement reproduit…

À l’origine, Nouvelle Alliance se concevait comme un véhicule pour tous les indépendantistes et se définissait comme ni-de-droite-ni-de-gauche. On constate que cette ambition est désormais laissée de côté, faute d’un réel appui à gauche. NA est aujourd’hui un front uni de l’extrême droite québécoise, d’Alexandre Cormier-Denis au Cercle Jeune Nation, en passant par les boneheads suprémacistes blancs comme David Leblanc et les catho-laïques qui manifestent contre les prières de rues musulmanes. Ça ressemble  beaucoup au principe de pas d’ennemis à droite…

Nous savons que plusieurs membres de Nouvelle Alliance de la première heure ont quitté le bateau dans les derniers mois en raison de l’extrême-droitisation de son leadership. Aux membres encore présents : il devient de moins en moins possible de dire que vous ne saviez pas…

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Serait-ce le même François Dumas, outremontais, qui faisait l’objet en 1972 de cette brève dans le bulletin Serviam du Parti de l’unité nationale du Canada (PUNC), la formation héritère du « nazi canadien » Adrien Arcand?

Fuck Microsoft, fuck AI, fuck le techno-capitalisme

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Oct 072025
 

Soumission anonyme à MTL Contre-info

Alors que les crises se multiplient, les compagnies de technologies continuent d’en profiter pour engranger des profits records – elles participent non seulement à leur multiplication, mais en tirent profit.

La nuit dernière un groupe autonome a saboté les installations montréalaises de Microsoft situées dans le cluster de l’intelligence artificielle, dans le secteur Marconi-Alexandra.

Ne nous leurrons pas. Microsoft est complice de nombreux crimes contre l’humanité. De sa collaboration avec le gouvernement israélien dans le génocide du peuple palestinien à son impact sur la gentrification et le déplacement des locataires du quartier Parc-Extension, en passant par leur contribution importantes aux changements climatiques dans la course effrénée à l’intelligence artificielle, leur participation active dans la surenchère technologique de la surveillance et leurs nombreux partenariats avec des services de police, la multinationale américaine représente ce nouvel ennemi à abattre.

L’action répond par ailleurs à l’appel de la résistance palestinienne demandant d’activer tous les leviers de pression et d’escalade en marche dans les sphères politiques, médiatiques et économiques internationales. Malgré la décision récente de l’entreprise de limiter en partie l’accès à certains de ses services à l’armée israélienne, Microsoft – qui doit par ailleurs payer pour ses crimes passées – continue d’entretenir des liens avec l’état sioniste.

Le techno-capitalisme nous fait la guerre, guerre au techno-capitalisme.

Message au mouvement pour le climat

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Sep 162025
 

Soumission anonyme à La grappe

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À travers la dernière décennie, à la fois en Europe et au-delà, une nouvelle génération d’activistes a mis le mouvement pour le climat au premier plan. Des groupes tels que Extinction Rébellion, Fridays for Future, et Ende Gelände ont réussi à sortir des marges, convainquant des millions à s’engager pour la défense de la planète. C’était il n’y a pas si longtemps que peu étaient même conscient·e·s de la possibilité d’une catastrophe climatique – de nos jours c’est tout le contraire. Je n’ai aucune intention de minimiser ces réussites. Ce sur quoi j’aimerais attirer l’attention, toutefois, est que l’activisme pour le climat a fait peu ou pas de différence à quelque chose de très important, la seule chose importante qui compte réellement : de réellement abaisser la quantité de carbone émise par les humain·e·s à travers la planète. De telles émissions continuent à augmenter chaque année, tout comme les températures mondiales moyennes, les catastrophes météorologiques, et le taux d’extinction des espèces. Gagner la reconnaissance de toute la société n’a pas été suffisant. Dans tous ses principaux objectifs, le mouvement pour le climat reste une défaite décisive.

J’ai une suggestion sur pourquoi c’est le cas. Parce que le mouvement pour le climat est resté coincé dans la supposition que ceux au pouvoir doivent être convaincus d’apporter les changements nécessaires pour nous. Malgré le recours à une esthétique de l’action directe, la plupart de l’activisme pour le climat s’est concentrée à obtenir l’attention médiatique (incluant les médias sociaux grand public, ce qui est autant une extension du pouvoir capitaliste que la télévision ou les journaux) dans le but d’atteindre une reconnaissance sociale, finalement pour faire pression sur des politiciens. Toutefois, l’élite politique ne sera jamais capable de résoudre cette crise, parce que le système qui leur accorde le pouvoir est aussi le système qui littéralement prospère en dévastant la planète. Ce qu’on appelle « l’économie » est une mégamachine hors de contrôle qui juge tout ce qui n’est pas une expansion illimitée (un processus qui implique la dévastation écologique) comme une sorte de désastre. Peu importe leur affiliation ou les promesses qu’ils accordent, tous les politiciens et corporations plaident allégeance à la logistique à l’arrière de ce monstre dévoreur du monde.

Certain·e·s rétorqueraient que quelques éléments du mouvement pour le climat échappent à ce malaise. Contrairement à Extinction Rébellion ou Fridays for Future, des groupes anti-capitalistes comme Ende Gelände ne font pas de demandes explicites aux politiciens, se concentrant à la place à perturber directement les infrastructures critiques. Toutefois, on ne peut pas supposer qu’occuper pacifiquement une mine de charbon (ou ses artères) pour quelques heures est une manière réaliste de la mettre à l’arrêt pour de bon ; c’est juste une autre manière d’attirer l’intérêt des médias. De telles actions n’ont aucun sens à moins qu’on espère, consciemment ou non, qu’elles puissent servir à convaincre des politiciens d’intervenir et de réformer l’économie pour nous. D’autres organisations de masse (par exemple, Les Soulèvement de la terre) pourraient apparaître comme un progrès, étant donné qu’elles favorisent le sabotage d’infrastructures écocidaires, et en ce sens encouragent quelque chose qui ressemble à l’action directe (bien que dirigée par une avant-garde secrète). Là encore, toutefois, cela ne serait qu’une manière plus séduisante de recevoir l’attention des médias ; car de telles attaques seraient bien plus effectives si menées par des petits groupes autonomes qui frappent dans l’obscurité, surtout là où les autorités ne s’y attendent pas.

Pour faire court, la plupart de l’activisme pour le climat a pour fixation de demander de l’aide de la part d’un système qui est intrinsèquement incapable de répondre. Elle répand ainsi un ethos de déresponsabilisation et d’infantilisation, insinuant que les gens ordinaires sont incapables de faire face à la crise climatique par elleux-mêmes. Mais vraiment c’est tout l’inverse. On sera tou·te·s réduit·e·s en cendres avant que les gouvernements fassent ce qui a besoin d’être fait. Il revient ainsi au·x rebel·le·s non spécialisé·e·s, dévoué·e·s, de commencer à résoudre la crise directement. À quoi cela pourrait ressembler ? Adopter sans délai les changements nécessaires que ceux au pouvoir ne considéreront jamais sérieusement. Par là je veux dire mettre à l’arrêt les centrales électriques, les aéroports, les autoroutes, et les usines, tout en arrangeant des moyens décentralisés (et ainsi avec dans une esprit écologique) de nos subsistances sans eux. Cette proposition implique sans aucun doute une escalade massive dans la stratégie. Quoiqu’il en soit, étant donné la gravité de la situation, combinée au fait que les méthodes actuelles ont prouvé leur insuffisance, je pense qu’il est temps qu’on considère la révision radicale de notre approche.

L’inspiration est déjà là. Par exemple, la campagne Switch Off ! (initié en Allemagne en 2023, et qui se répand au-delà de l’Europe depuis) a laissé tomber la réforme du capitalisme, se concentrant à la place à paralyser directement l’infrastructure responsable de la dévastation de la planète. De tels exemples de sabotages se répandent, qu’ils soient associés à cette bannière, une autre, ou pas revendiqués du tout. Pour ne mentionner que quelques unes des actions pertinentes : en septembre 2023, le réseau ferroviaire de la périphérie d’Hambourg a été saboté en plusieurs points, provoquant une perturbation majeure dans l’un des plus grands ports d’Europe ; en mars 2024, une attaque incendiaire du réseau électrique proche de Berlin a fermé l’immense Gigafactory Tesla pendant plusieurs jours ; en mai 2025, une double attaque sur une centrale électrique et un pylône à haute-tension a causé un blackout dans une partie importante de la France, privant d’électricité un aéroport, plusieurs usines, et le Festival du Film de Cannes. On pourra aussi se rappeler que l’aéroport de Londres-Gatwick a été fermé pendant plusieurs jours en 2018, selon certaines sources (et pour des motivations inconnues) parce que un drone portatif a survolé les pistes. Malgré les massifs efforts policiers, celleux qui ont réalisé cette action facilement reproductible n’ont jamais été retrouvé·e·s ; les autres actions mentionnées ici n’ont pas mené à de quelconques arrestations non plus. En contraste, les tactiques activistes conventionnelles pour le climat (par exemple, le recours aux lock-ons, aux trépieds, à la superglu) tiennent le fait d’être arrêté·e comme acquis, sacrifiant en cela nos camarades aux tribunaux, aux prison, et à la surveillance continue. C’est un prix cher pour des actions qui, à côté du fait qu’elles favorisent une attitude de soumission envers les autorités, ont peu ou pas d’impact sur les capacités de fonctionnement des industries qui trash le climat.

Dans le but de commencer à faire face au problème à l’échelle du changement climatique, toutefois, les attaques contre les infrastructure écocidaires doivent devenir encore plus ambitieuses. Cela pourrait être formulé en termes de dépassement de la focalisation sur les industries spécifiques en ciblant la civilisation industrielle dans son ensemble. Les centres de production, d’extraction, et de recherche pertinents doivent être pris pour cibles ; ainsi que le réseau électrique qui les lie ensemble, à savoir, le réseau même qui donne sa puissance (dans les deux sens du terme) au système de la destruction au départ. Une vision aussi audacieuse paraît déplacée pour beaucoup de gens. Mais il est trop souvent oublié que le changement climatique et la civilisation industrielle sont en fait exactement le même problème. La dégradation humaine du climat n’est pas quelque chose d’ancien ; elle est autant datée que l’industrialisation elle-même. Depuis à peu près 150 ans, la vie humaine s’est centrée de façon croissante sur l’usage des machines qui convertissent les combustibles fossiles en énergie, émettant en cela du dioxyde de carbone. La culture humaine, en d’autres termes, a été mise de force dans une relation de dépendance envers une infrastructure en perpétuelle expansion qui ne peut pas fonctionner sans empoisonner le climat. La Révolution industrielle a été initiée il y a seulement quelques générations, et ses conséquences ont déjà mené beaucoup à questionner la viabilité de la vie elle-même au-delà du siècle. Il ne pourrait y avoir de plus accablant de ce tournant technologique relativement récent.

Certain·e·s répondront, bien sûr, que la civilisation industrielle n’est pas intrinsèquement dévastatrice de la terre, et est déjà dans le processus d’être réformée. On parle là de la dite « Transition verte » annoncée à travers le spectre politique comme la solution à la crise climatique. Toutefois, c’est une erreur courante de penser que les énergies éolienne, solaire, ou hydroélectrique représentent d’authentique alternatives aux méthodes conventionnelles ; car en réalité elles sont harnachées aux combustibles fossiles, qui sont en train de brûler en quantités plus élevées que jamais. Penser que l’économie capitaliste consentirait jamais à laisser des réserves inexploitées de charbon, de gaz, ou de pétrole dans le sol c’est méconnaître la principale logique d’un système basé sur la croissance illimitée. La conséquence de l’investissent record dans la green tech, ainsi, n’a été que pour catapulter la consommation mondiale d’énergie à des niveaux sans précédent.

Par ailleurs, à côté du fait qu’elle échoue à engager une transition, la restructuration économique en cours est tout sauf verte. Premièrement, les combustibles fossiles sont des sources d’énergie hautement denses, que ni l’énergie solaire, éolienne, ou hydraulique ne sont prêtes d’égaler ; il s’ensuit que les « énergies renouvelables », si attendues qu’elles maintiennent les niveaux actuels d’absorption, doivent consommer des étendues de terre bien plus grandes que celles qui sont déjà dédiées à la production d’énergie. Deuxièmement, les technologies clés d’une telle restructuration dépend lourdement de l’extraction de minéraux, en particulier par l’exploitation minière. Par exemple, le nickel et les minéraux de terres rares sont nécessaires à la construction de panneaux solaires et d’éoliennes ; le lithium et le cobalt sont des composants clés de leurs batteries, ainsi que celles des voitures électriques, des vélos électriques et des smartphones. En tant que tel, et au nom du devenir « vert », l’économie capitaliste est en train de piller chaque recoin du globe à la recherche de ressources lucratives, conduisant donc à la dévastation écologique, au travail forcé, et aux conflits géopolitiques. Même les profondeurs inexplorés des océans sont sur le point d’être saccagées ; ensuite ce seront les astéroïdes et d’autres planètes. En somme, donc, ce qui a été promu comme la solution technologique à la catastrophe climatique n’est qu’un vaste mensonge camouflant la poursuite de l’expansion de la mégamachine.

Est présente dans le discours de presque tou·te·s celleux que l’on rencontre de nos jours une compréhension que les humains sont en train de dévaster la biosphère – et simultanément de se suicider. Pourtant, beaucoup moins sont prêt·e·s à envisager la crise pour ce qu’elle est réellement, à savoir, la résultante d’une fuite en avant dans le développement technologique. Ceci n’est pas un problème auquel on peut faire face par le vote, la pétition, la manifestation, le boycott, ou l’investissement. La seule réponse réaliste à la crise climatique est l’attaque de la civilisation industrielle. Je ne m’attends pas à ce que cette proposition s’apprête à recevoir une popularité large ; après tout, elle garantit de déstabiliser le seule monde que presque n’importe qui n’a jamais connu. Toutefois, on pourrait devoir tenir compte du fait que beaucoup ou la plupart des humains insisteront toujours pour maintenir leurs voitures, frigos, et smartphones en marche – même au prix d’abandonner l’air même que l’on respire. Il incombe donc à celleux dont les priorités sont ailleurs de procéder à l’action courageuse et intransigeante.

Publication anonyme sur Act for Freedoom Now !

15 août 2025

LECTURES COMPLÉMENTAIRES

Desert, Stac an Armin Press, 2011

« Désarticuler l’autorité », Avalanche n°8, 2016

Hourriya, cahiers anarchistes internationalistes n°3 L’Imprévu – Du centre à la préiphérie, 2016

Total Liberation, Active Distribution, 2019

Breaking Ranks : Subverting the Hierarchy & Manipulation Behind Earth Uprisings, 2023

Contre le phagocytage des luttes par les Soulèvements de la terre, 2023

Lutter et/ou se faire manipuler au nom d’une lutte ? Soulèvements de la terre versus État, même combat, 2023

Quand NDDL se prend pour le petit père des luttes – Entre récupération et autoritarisme, 2021

« Mégaprojet, « Transition énergétique » : Localiser les points faibles », Antisistema n°2, 2024

« Mapping the Megamachine : Microship Production », Tinderbox n°5, 2024
(disponible en papier)

« Nonhuman Comrades », No Path n°2, 2024
(disponible en papier)

« Constellations souterraines : Mettre en lumière les rouages de la guerre et de l’écocide », Tinderbox n°7, 2025

An Anarchist Solution to Global Warming, Peter Gelderloos, 2010

« Nothing is True, Anything is Possible », No Path n°2, 2024
(disponible en papier)

Conversation with a human ecologist on the promises of renewable energy technologie, No Mine in Glálok : Ecocide and Colonialisme in Swedish-occupied Sápmi, 2023