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Social Virus

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Avr 122020
 

Soumission anonyme à MTL Contre-info

Début de la crise et Grande Répression

Cela a commencé en Chine. Des touristes, des banquiers, et d’autres, notables pour leur fortune, l’ont contracté. Le virus étant mortel, et requérant une médecine inconnue, l’on a voulu le contenir au plus vite, mais en vain.

Mon oncle fut parmi les premières victimes au Québec. Peu de temps après sa mort, mon père mourut aussi, sans avoir pu profiter de la fortune de son frère dont il venait d’hériter et sans avoir eu le temps de m’en faire à mon tour l’héritier…

Le virus se propage comme aucun autre connu. Au début de la crise, on disait « de façon aléatoire… ». On dit aujourd’hui que cela ressemble à une malédiction. Par habitude, on prôna l’évitement de la proximité, même si cela ne semblait pas le moyen de propagation du virus. En effet, puisqu’aucun cas n’était enregistré chez les serveurs, serveuses, les caissiers, caissières, bref chez ces travailleurs, travailleuses qui tâtent le moindre produit du capital pour le vendre, et autant de monnaie pour la remettre aux patrons, qui interagissent avec des centaines de gens par jour. Quand ce fut au tour des politiciens de tomber malades, alors qu’on n’enregistrait encore aucun cas chez les masses, on commença à s’intéresser avec zèle à l’origine du virus. Dans l’Est, on crut que c’était un coup des États-Unis. Aux États-Unis, on crut que c’était un coup de l’Est. Or réalisant bientôt que ni l’Ouest ni l’Est n’avait préparé un tel coup, on accusa une supposée Internationale révolutionnaire formée en secret.

La répression de tout regroupement à saveur anarchiste fut brutale. Si bien qu’on regretta de ne pas s’être effectivement organisé.e en Internationale secrète. Les autorités d’ici fermèrent d’abord l’UQÀM, lieu où, drôlement, elles soupçonnaient le plus d’« éléments séditieux ». Nos festivals, nos squats, nos cénacles, la police sabota le moindre de nos espaces. Les plus naïfs et naïves d’entre nous réalisèrent non seulement qu’il faillait bien que ces espaces aient été fortement surveillés déjà pour qu’on les sabote tous ainsi, systématiquement et dès l’émission de l’ordre, mais aussi, qu’il n’y a pas du tout lieu de penser pouvoir mener une activité révolutionnaire en toute sécurité sous domination. Du côté de nos camarades communistes, on vit flamber la Maison Norman Béthune le soir même de la déclaration du gouvernement contre la supposée Internationale. Les autorités sont allées jusqu’à persécuter dans leur demeure les camarades Côté et Gauthier, qui tenaient une librairie d’occasion à Salaberry-de-Valleyfield. Côté et Gauthier, qui apportaient tant à leur communauté par les ateliers qu’iels organisaient, par la distribution de savoirs, par toutes sortes de gestes solidaires, ont fini par mourir des blessures que leur ont infligées les gendarmes. Nous nous assurerons d’une transmission de leur héritage, c’est-à-dire les fruits de leur archivage que des proches conservent pour l’instant et, une fois Valleyfield définitivement gagnée, le maintient d’un lieu de rencontre et de savoir tel que Côté et Gauthier n’en ont jamais rêvé.

Ces écrasantes défaites, dont la liste est si longue qu’on ne saurait la transcrire au complet – je vous partage celles qui m’ont le plus directement touchées – valent mention en cas d’un retour à l’ordre ancien : s’exposer sans plan de secours a eu pour résultat la neutralisation par les autorités de camarades parmi les plus vaillants, vaillantes dès le commencement d’hostilités sérieuses. Et cela, sans qu’on ait pu faire quoi que ce soit pour empêcher ou prendre moins durement le coup. À noter que malgré que plusieurs membres de nos groupes prétendaient militer « au nom des masses », ces dernières ne furent d’aucune aide au commencement de la Grande Répression. Certes, les personnes itinérantes, les fugitives et fugitifs, les gens en refuges n’auraient de toute façon pas pu faire grand chose. Mais je parle de l’autre masse, celle des travailleurs, travailleuses quelque peu engraissé.e.s ou aspirant à le devenir ou entretenant une allégeance indéfectible envers la société de classes. Je parle de profs, d’employé.e.s d’usines, d’infirmières (contre toute attente) et de gens de cuisine! Tout ce spectre allant de l’aristocratie ouvrière à une confortable misère. Je parle de cette masse de traîtres qui ont largement diffusé et encouragé l’opinion du pouvoir à propos d’une crise qui, finalement, était la crise du pouvoir même. En effet, donc, notre exposition, nos façons d’aborder les masses au sein d’un système de domination auront à être repensées en cas de guérison de notre ennemi. Non pas que ces questions n’avaient jusqu’alors jamais été posées. Or on voit bien, à la lumière des événements récents, que ces questions n’avaient pas à être mises en dépôt, que nous révolutionnaires n’étions que toléré.e.s, que si la bourgeoisie nous avait combattu en fonction d’un danger moins grand, moins assuré que le virus, je ne serais pas là à rendre compte de la situation révolutionnaire dans Montréal et ses alentours.

Où en est-on?

Ce ne furent évidemment pas que les révolutionnaires confirmé.e.s qui souffrirent durement des mesures de sécurité bourgeoise. En Indonésie, l’État restreignit à ces agents l’accès à Internet. Tous les services de téléphonie y furent sommés d’enregistrer toute communication et des agents furent payés pour vérifier si le courrier papier ne contenait pas des marques de complots contre l’État. Ce n’est que tout récemment que nous avons pu entrer en contact avec des révolutionnaires de l’Indonésie, après des mois de silence de leur part. Plusieurs autres États ont suivi l’exemple et ont privé de contacts et de ressources des communautés sous prétexte qu’elles accueillaient des « éléments séditieux ». Aussi, dans tous les pays industrialisés, ce fut le confinement général renforcé par la police, la fermeture de tout sauf ce qui a trait aux besoins essentiels, puisqu’on ne savait pas encore si le virus n’allait pas s’attaquer aux masses et se transmettre ainsi davantage. Suite à cet ordre, plusieurs virent leur situation devenir encore plus précaire qu’elle ne l’était déjà : réduction des revenus, isolement en situation de violence conjugale ou parentale, empilement des charges émotives et de travail, etc. Heureusement, l’expérience indique que le virus avait bel et bien une destination et que celle-ci n’était pas le camp des dominé.e.s. C’est ainsi que le renversement de la classe dominante comme destin obligé pour l’atteinte d’une meilleure santé redevint, par un retournement que personne n’avait envisagé, une évidence; et qu’on donna malheureusement raison à cette publication d’avant la Grande Répression, au Lundi Matin : « l’humanité ne se pose que les questions qu’elle ne peut plus ne pas se poser. » Par ailleurs, si vous, travailleurs, travailleuses, et laissé.e.s pour compte, habitez dans une région du monde où la bourgeoisie est encore en puissance, et que vous avez heureusement accès à ce pamphlet, sachez que le virus, s’il demeure, aura vite raison de tout arrivisme. Dans tous les pays où le virus frappa durement, des membres de l’aristocratie ouvrière se sont dépêché.e.s à prendre la place des dominants défunts. Cela, à leur grand péril, comme ce fut le cas avec mon père. L’arrivisme perdure parce que des larbins, larbines sont en ce moment payé.e.s à développer des technologies et des traitements permettant une plus longue résistance au virus. Iels font croire ainsi à une pléthore de borné.e.s que la crise du pouvoir finira bien par passer, que « l’homme est un loup pour l’homme » et rien d’autre. Or à date, la plus longue résistance à la mort prévue fut d’un mois, et après trois semaines, le cerveau dégénère et le malade perd la mémoire, devenant inapte à remplir sa fonction de dominant.

No war, but class war

À l’heure qu’il est, c’est la guerre dans les rues de Montréal, et ailleurs. La police, malgré le déclin de ce pourquoi elle existe, patrouille arme au poing dans les quartiers qu’elle peut encore se permettre de patrouiller. Il faut les voir, les flics, avec leurs machins à respirer… Le mot d’ordre est que tant qu’un chef est proclamé, tant qu’on reconnaît à une personne sa propriété, on défendra le vieux monde. Or les faiseurs de lois et les extorqueurs sont de moins en moins forts et on reconnaît donc de moins en moins leur autorité; la classe dominante ayant perdu sa capacité de renouvellement, il ne reste au pouvoir, pouvoir s’amincissant de jour en jour, que des brutes assumées. C’est suite à un mois complet sans chef que les révolutionnaires sont sorti.e.s de leur trou : tout chef proclamé mourrait la nuit même de sa proclamation. C’est alors que la plupart des scientifiques mandaté.e.s à la recherche d’un antivirus reçurent pour tâche le simple rallongement de la vie des malades, afin que le monde ne sombre pas dans l’anarchie… Durant ce mois, aucune directive claire de la part des autorités. Les forces de l’ordre étaient laissées à elles-mêmes. Et nous réalisions enfin que le virus n’avait définitivement aucune intention belliqueuse à l’encontre de la classe des dominé.e.s. Le bioterrorisme imaginé au début de la crise était-il un fait? A-t-il existé une Internationale secrète qui, après son coup contre les dominants, a fait vœu de silence? Quoi qu’il en soit, les révolutionnaires ont fait, à la sortie de ce mois, ce qui devait être fait : nous nous sommes réuni.e.s et nous avons travaillé à une campagne de mobilisation pour la fin des sociétés de classes, applicable dans les plus brefs délais. Fini le confinement, finie l’attente du salaire. Le travail est à faire non plus selon les caprices d’une élite possédante, mais dans la mesure où nous avons tous et toutes besoin de logement, de nourriture, de loisir, de mener des projets personnels. C’est la guerre, donc, enfin. Le mois suivant fut le retour grandiose des révolutionnaires contre la police, contre tout ce qui nie la reconnaissance de nos besoins et désirs. Le premier meurtre d’un flic à Montréal fut lors du raid de l’épicerie Metro, à Hochelaga. Son corps pend encore sous l’enseigne. Le but avait été de réaménager l’endroit en une gigantesque cuisine et salle à manger commune.

Où en est-on?

Nous n’avons, ici à Montréal, aucune nouvelle des Wet’suwet’en qui bloquaient, dans l’ouest du pays, depuis bien avant la pandémie, la construction d’un pipeline. Il semble qu’iels aient disparu.e.s. Si vous avez de leurs nouvelles, prière, après l’obtention si possible de leur consentement, de le communiquer à des révolutionnaires. Nous devinons qu’il s’agit là d’un coup ordonné par la ridicule Union des Leaders, appareil étatique s’étant inféodé toutes les polices du pays et ayant annulé jusqu’à nouvel ordre toute élection par le peuple, se reconnaissant donc tous les pouvoirs dans le pays. Pour les anarchistes, le remplacement des partis par l’Union des Leaders fait peu de différence. Le gouvernement, le corps policier, qu’ils soient divisés ou non, sont liberticides. Bien sûr, l’aspect discrétionnaire de ce nouvel appareil en a fait souffrir plus d’un, plus d’une, nous le reconnaissons et nous travaillons à ce que les torts soient redressés. Or il faut admettre que cette possibilité n’est que dormante dans un État divisé, qu’elle est masquée, puisqu’il s’agit toujours bien, dans les deux cas, d’une classe qui en extorque une autre. À noter que des universitaires manifestèrent leur mécontentement lors de la formation du nouvel appareil politique, mais qu’iels se turent rapidement quand iels réalisèrent que cette fois-ci, les révolutionnaires ne prendraient pas les coups à leur place, vu leur état diminué. À ce propos, nous n’avons, depuis cet épisode, pas plus de nouvelles de Michel Lacroix, président du syndicat des profs de l’UQÀM. Et à vrai dire, nous nous en soucions peu. Nous avons autre chose à faire que de renouer avec celleux dont le travail payé était la reproduction par l’éducation des inégalités sociales. Prière de le communiquer à Lacroix s’il se sent encore l’âme d’un prof.

La semaine dernière, ce fut officiel : les flics, les soldats, les gardiens de prison, bref les défenseurs salariés des divisions sociales ne sont pas épargnés par le virus. Nous ne nous sommes alors plus gêné.e.s : nous avons fait sauter les murs de la prison de Laval. Cela aurait été impossible il y a quelques semaines. Ce qui reste de gouvernement avait donné l’ordre de fermer les villes et nos camarades lavalois, lavaloises avaient un effectif réduit. Or depuis que les effectifs du bras armé de l’État sont à la baisse, les frontières administratives sont devenues de véritables passoires et des camarades ont pu venir en aide aux révolutionnaires de Laval.

Certitudes et incertitudes

Selon le dicton, une victoire sans péril est une victoire sans gloire. Et force est d’avouer que le péril est moindre, puisque l’on sait que nos ennemis se mettent eux-mêmes en position de contracter le Social Virus (c’est son nouveau nom). Néanmoins, on ne saurait dire que la victoire proche des révolutionnaires ne sera pas glorieuse! Jamais dans ma vie je n’ai constaté une telle abondance de solidarité dans les rues, les milieux de travail. Face aux incertitudes que pose la vie, on a enfin décidé de prendre soin, de se respecter en reconnaissant les besoins et désirs de l’autre. Il n’y aura bientôt plus de gouvernement, plus de patrons, plus de flics, quoique le dernier fantôme du vieux monde puisse dire. Il n’y aura que des individus apprenant à s’organiser en fonction des intérêts de tous et toutes, une camaraderie se généralisant, parce qu’on réalise qu’il n’est pas nécessaire que le rapport à l’autre en soit un de compétition. À ce propos, rien de nouveau : « Deux hommes valent mieux qu’un seul, lisait-on déjà dans L’Ecclésiaste, car ils ont un bon salaire pour leur travail. En effet, s’ils tombent, l’un relève l’autre. Mais malheur à celui qui est seul! S’il tombe, il n’a pas de second pour le relever. » (Qo 4.5)

Parmi nos ennemis, seules les milices patriotiques ne semblent pas atteintes, du moins pas encore, par le virus. Nous n’attendrons pas que cela advienne. Comme j’ai dit, la vie est incertaine. Nous avons en cela le devoir de ne pas nous laisser avoir par le confort que nous procure une providence inconnue. Certains adeptes du vieux monde tentent de faire croire que le virus équivaut à une punition divine « pour avoir permis le ressassement d’idéologies victimaires. » Nous révolutionnaires pensons qu’il s’agit plutôt du dernier sursis accordé à notre cause. Et nous nous devons de lutter maintenant plus que jamais, ne pas attendre la possible guérison de nos ennemis, ou ce sera un douloureux recommencement pour celleux qui ont déjà tant travaillé au monde de demain, celui où la propriété ne sera plus qu’un fantôme, celui où l’économie nous servira plutôt que l’inverse.

Conclusion : continuons.

J’aimerais dire que tout est déjà gagné. Que le socialisme anarchiste et communiste a vaincu. Or je répète : la vie est faite d’incertitudes. Puisqu’on ne sait s’expliquer l’origine du virus, craignons un retour en force et inexplicable de nos ennemis, ne nous assoyons pas sur nos victoires et continuons de combattre, même s’ils sont à l’état de moribonds, les systèmes de domination. Aussi, adressons sérieusement, mais avec calme et recul, les tensions qui existent au sein de nos groupes – rien de trop hâtif ou découlant d’un défaitisme – afin que ne soient pas reproduites les inégalités sociales. Célébrons tout de même, car à quoi bon sinon?

À l’heure où j’écris ces lignes, adressées au peu de populations qui ne sont pas encore ouvertement en guerre contre la bourgeoisie et aux groupes isolés, des camarades de Montréal s’apprêtent à rejoindre des camarades innu.e.s pour la réquisition de la centrale hydroélectrique Manic-5. À l’heure où vous lirez ce pamphlet, l’unité de la milice patriotique gardant ce lieu aura été décimée.

Ceci conclut mon appel à continuer la lutte contre les sociétés de classes. Solidarité et courage, camarades : l’avenir radieux prend place.

Un membre de l’Association Révolutionnaire d’Hochelaga (l’ARH)

Lincoln detox center – Interview avec Vicente « Panama » Alba

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Avr 112020
 

De Archives Révolutionnaires

Inspiré.es par le Black Panther Party et d’autres groupes de révolutionnaires qui s’organisent afin de répondre aux besoins en santé et en éducation de leur communauté, des membres du groupe latino-américain Young Lords Party mettent sur pied, en 1970, un centre de traitement de la toxicomanie. Le 10 novembre 1970, une trentaine de militant.es occupent le sixième étage (alors vacant) du bâtiment de la résidence des infirmières de l’hôpital Lincoln, dans le Bronx à New York. Il.les installent rapidement des points de contrôle et érigent une barricade ; l’administration de l’hôpital est forcée de négocier et enfin de leur céder l’espace. En partenariat avec des travailleur.euses de la santé, des personnes toxicomanes et des membres de la communauté, les Young Lords mettent alors sur pied The People’s Drug Program, un programme de désintoxication géré par la communauté. L’entrevue qui suit, réalisée par Molly Porzig, a été publiée le 15 mars 2013 dans la revue américaine The Abolitionnist. Vicente « Panama » Alba, membre du Young Lords Party et conseiller au Lincoln Detox Center durant les années 1970, y raconte son expérience.

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Les Young Lords présentent 7 demandes à l’hôpital Lincoln, en juillet 1970.

Qu’est-ce que c’était que le Lincoln Detox Center ? Comment ça a commencé et pourquoi ?

À New York, à la fin des années 60 début des années 70, nous traversions une épidémie de drogue. En novembre 1970, j’avais 19 ans et j’étais accro à l’héroïne depuis cinq ans déjà. J’ai commencé à consommer de l’héroïne quand j’avais 14 ans, ce qui était très courant parmi les jeunes hommes et femmes de ma génération. 15 % de la population des communautés du South Bronx, de Harlem, du Lower East Side et de Bushwick à Brooklyn était accro, tous âges confondus, des nouveau-nés jusqu’aux personnes âgées au seuil de la mort. La majorité des accros étaient des adolescents et des personnes entre 20 et 30 ans. À cette époque l’addiction concernait principalement l’héroïne. Dans les années 60, le gouvernement des États-Unis s’engagea dans une guerre en Asie du Sud-Est, connue en général sous le nom de « guerre du Vietnam », même si les États-Unis étaient alors engagés dans tout le sud-est de l’Asie. Il y avait une compagnie aérienne qui était une opération clandestine de la CIA dédiée au transport d’héroïne depuis l’Asie du Sud-Est vers les États-Unis. Aujourd’hui on voit dans les films d’Hollywood des « gangsters » important de l’héroïne, mais la majorité de l’héroïne importée aux États-Unis l’était via une opération du gouvernement américain, ciblant les communautés de couleur pauvres, les communautés noires et latinos. À New York, l’héroïne a dévasté la plus grande partie d’Harlem et du South Bronx. Les jeunes consommaient de l’héroïne ouvertement, ils la sniffaient dans les discothèques ou dans les toilettes des écoles, ce qui les amenait ensuite à se l’injecter directement dans les veines.

C’est une épidémie qui a été bien décrite par un membre des Black Panthers, Michael Cetewayo Tabor, un des « 21 de New York », dans une brochure appelée « Capitalism Plus Dope Equals Genocide », que nous avons beaucoup diffusé. En 1969, le Black Panther Party de la ville de New York a été décimé par l’incarcération et la mise en examen de 21 Black Panthers, ce qui les a obligés à se focaliser sur le procès et à délaisser les autres domaines de militantisme à cette période. Du fait des relations qui existaient entre le Black Panther Party et les Young Lords, nous avons commencé à nous pencher ensemble sur le problème de l’épidémie d’héroïne, de l’état de santé de nos communautés et des positions hostiles des institutions de santé publique à l’égard de nos communautés. L’hôpital Lincoln a été construit en 1839 pour prendre en charge les anciens esclaves qui migraient du sud des États-Unis [vers les villes du Nord]. En 1970, c’était le seul établissement médical dans le South Bronx. C’était un bâtiment de briques en ruines du siècle dernier qui n’avait jamais été restauré. Il était connu comme « la boucherie du South Bronx ». Dans l’ancien hôpital Lincoln (et aujourd’hui encore), quand tu marchais dans les couloirs, tu voyais du sang partout – du sang sur les murs, sur les draps, sur les brancards, et même sur tes chaussures. Ils envoyaient les médecins là-bas pour faire leur internat, pour se faire la main sur les Noirs, les Portoricains et la minuscule et chaque fois plus réduite communauté blanche du South Bronx.

Au début des années 70, ils ont charcuté une femme qui s’appelait Carmen Rodriguez et qui est morte après s’être vidée de son sang sur un brancard. En réaction à sa mort, les Young Lords, avec la participation de quelques Black Panthers, ont occupé l’hôpital Lincoln pour la première fois et exigé de meilleurs soins médicaux pour les gens de la communauté.

« Évidemment les pouvoirs en place ne voulaient pas de nous là-bas, mais ils ne savaient pas comment faire avec des gens qui disaient : on ne va pas partir. On va rester et on va se mettre au service des nôtres. »

Durant l’occupation, les Young Lords, les Panthers, des personnes solidaires et des traducteurs ont installé des tables où les gens venaient témoigner de leurs expériences de prise en charge médicale. Une grande partie de l’occupation s’est focalisée sur le problème posé par l’absence de traducteurs au sein de l’hôpital Lincoln. Le South Bronx est une communauté majoritairement portoricaine, composée principalement d’hispanophones à peine débarqués ou de deuxième génération, qui parlent peu ou pas anglais. Les gens déambulaient dans l’hôpital Lincoln pour qu’on s’occupe d’eux mais ils ne trouvaient personne capable de répondre à leurs douleurs ou leurs problèmes.

L’administration de l’hôpital avait également été montrée du doigt pour l’absence de services destinés aux personnes toxicomanes, et en particulier à celles accros à l’héroïne. Ce que la communauté n’a cessé de reprocher à l’hôpital, entre autres, c’est que tu allais à l’hôpital mais tu ne recevais aucun traitement. L’administration de l’hôpital n’en a pas tenu compte.

Quelques mois plus tard, le 10 novembre 1970, un groupe de Young Lords, une coalition anti-drogues du South Bronx et plusieurs membres de l’Health Revolutionnary Unity Movement (une organisation de masse regroupant des travailleurs de la santé) avec l’appui du Collectif Lincoln, ont pris le contrôle de la résidence des infirmières de l’hôpital Lincoln et y ont établi un programme de traitement de l’addiction aux drogues appelé The People’s Drug Program [Le Programme anti-drogues du peuple], qui allait se faire connaître sous le nom de Lincoln Detox Center [Centre de désintoxication Lincoln]. La police nous a encerclés, mais nous avons dit que nous n’allions pas bouger. Le deuxième jour, la nouvelle de l’occupation s’était diffusée par le bouche-à-oreille, et des centaines de personnes faisaient la queue pour être prises en charge. Un mois plus tard, l’administration dut se faire à l’idée que nous n’allions pas partir. Ils n’avaient rien fait des sommes allouées à des traitements qui n’avaient pas été mis en place. Ils ont donc apporté l’argent et les volontaires du programme de désintoxication que nous avions démarré ont été embauchés. Évidemment les pouvoirs en place ne voulaient pas de nous là-bas, mais ils ne savaient pas comment faire avec des gens qui disaient : on ne va pas partir. On va rester et on va se mettre au service des nôtres. On a été très efficaces dans ce domaine, notre programme a fonctionné jusqu’en 1979.

Les Young Lords manifestent devant l’hôpital Lincoln, le 3 septembre 1970.

De quelle façon t’impliquais-tu ?

Je me suis joint à la construction du Lincoln Detox depuis le premier jour. Avant cela, mon premier objectif était de me procurer de la drogue, jusqu’à ce jour où j’étais assis avec Cleo Silvers, qui m’a ouvert les yeux sur certaines choses importantes. Elle m’a dit de regarder la voiture de patrouille de la police de New York, où deux agents étaient assis en train de vendre de l’héroïne. Elle m’a dit : « Regarde, eux, ce sont des flics. Regarde bien à qui tu es en train de donner ton fric ! ». Il est très important de rappeler l’ambiance qui existait dans nos communautés à cette époque. D’un côté il y avait l’épidémie de drogue, mais le parfum de la révolution flottait aussi ; on pouvait respirer le changement, le goûter, le sentir, parce que le mouvement débordait de vitalité. Quelques jours avant le 30 octobre, il y avait eu une grande manifestation à l’appel des Young Lords, et j’y suis allé, même si j’étais encore accro. Ce que j’ai ressenti ce jour-là m’a conduit à me dire à moi-même que je ne pouvais pas continuer à consommer de la drogue. Je ne pouvais pas être un héroïnomane et un révolutionnaire en même temps, et je voulais être un révolutionnaire. J’ai pris la décision d’arrêter la drogue. Par coïncidence, le même jour j’ai appelé Cleo qui m’a dit d’aller à un endroit voir certaines personnes. J’ai rencontré quelques jeunes frères de la Puerto Rican Student Union [Syndicat étudiant portoricain], et ils m’ont accompagné voir Cleo à l’hôpital Lincoln. Ils venaient juste d’occuper le bâtiment une demi-heure auparavant. Mais ma désintoxication je ne l’ai pas faite au Lincoln Detox, je l’ai faite moi-même, en supportant le manque, comme un défi que je m’étais lancé.

J’ai été recruté par le Young Lords Party sur la base de cette expérience, un mois peut-être après le premier jour du programme. La présence du mouvement latino au sein du mouvement révolutionnaire aux États-Unis n’avait pas encore éclos à New York. Cela avait démarré dans le Sud-Ouest avec les Brown Berets [1], mais la communauté latino de New York était surtout portoricaine. Quand j’ai rejoint les Young Lords, j’ai été envoyé au Lincoln Detox, où j’ai travaillé comme conseiller.

Que faisait le Lincoln Detox Center ? Quelle était son approche ?

On proposait des désintoxications. On avait le soutien de médecins, qui nous fournissaient de la méthadone, qu’on administrait aux gens par doses croissantes durant dix jours avec l’objectif d’arrêter l’héroïne, en la remplaçant par la méthadone et la réduire ensuite de quelques milligrammes chaque jour. Après le dixième jour, tu étais physiquement nettoyé.

À l’époque Richard Nixon venait de rétablir les relations avec la Chine. Beaucoup d’informations nous sont arrivées sur les formes de vie en Chine et sur la question du soin dans ce pays. On a entendu parler d’acupuncture. On a lu un article sur un cas en Thaïlande, où un acupuncteur avait utilisé l’acupuncture pour traiter quelqu’un qui souffrait de problèmes respiratoires et d’une addiction à l’opium. On a lu que la stimulation du point du poumon dans l’oreille était la clé du traitement. On est donc allé dans le quartier de Chinatown, on s’est procuré des aiguilles d’acupuncture et on a commencé à expérimenter entre nous. Par la suite on a créé un collectif d’acupuncture au sein du Lincoln Detox. On a aussi compris que l’addiction d’un individu n’était pas qu’un problème physique, mais aussi un problème psychologique. C’était un problème très important dans notre communauté, pas parce qu’on était psychologiquement déficients, mais parce que l’oppression et des conditions de vie brutales nous conduisaient à cela. Il y avait un livre appelé The Radical Therapist que certains d’entre nous avaient lu.

« L’existence du programme était une épine dans le pied du gouvernement. Nous étions des révolutionnaires, des radicaux qui travaillaient et qui recrutaient des gens pour faire un travail que le gouvernement ne souhaitait pas voir se réaliser. »

On a développé un type de thérapie qui intégrait l’éducation politique aux discussions thérapeutiques. On mettait en place des sessions collectives où les participants étaient surtout des Noirs et des Portoricains, et durant lesquelles on avait des discussions sur ce que signifiait être noir ou portoricain, ce que ça signifiait pour quelqu’un qu’on appelait « spic » de ne pas savoir ce que signifiait être portoricain. Les Portoricains sont des sujets coloniaux des États-Unis. Si tu demandes à un Portoricain, un Portoricain lambda, il te dira généralement : « je suis citoyen des États-Unis ».

Bon, disons que tu es un citoyen des États-Unis, un citoyen qui n’est pas le bienvenu, mais alors comment tu le vis et qu’est-ce que ça signifie ? Les effets du colonialisme et la façon dont les Portoricains sont traités ici ne sont pas compris parce qu’ils sont intériorisés.

Il faut commencer par ce que ça signifie. Comment vis-tu le fait que ta famille ne puisse pas subvenir à tes besoins ? Pourquoi les flics te haïssent ? Pourquoi l’école te haït ? Moi je suis allé à l’école publique, en 4e je ne savais pas parler anglais, et ils m’ont mis dans une classe pour « personnes avec des troubles mentaux ». Il y a des personnes qui ont besoin de ce type de soutien, mais ce n’était pas mon cas. Quels sont les effets de ce type de traitement de la part des institutions ? Qu’est-ce que ça provoque pour une personne qui vit dans ces conditions, qui est tabassée par la police et traitée de « dirty spic » ? Ou à qui on refuse l’amitié parce que l’autre personne est blanche et lui est de couleur ? Les effets de ce type d’existence s’accumulent, voilà de quoi on discutait.

Comment le Lincoln Detox incorporait le travail de base dans ses activités quotidiennes ?

Quand ta vie se consume à la recherche d’une dose de drogue, à la recherche de l’argent pour avoir ta dose, te shooter, être entouré d’autres personnes avec lesquelles tu te défonces, ça devient un mode de vie. Quand les gens veulent des alternatives, il faut que tu leur en proposes. On n’avait pas les moyens de dire : « Ok, tu as 17 ans, tu peux compter sur une école d’excellence ». Mais on a une école avec des professeurs et des conseillers à l’écoute, pour que les gens se mettent en phase avec l’éducation ou pour guider les gens pour trouver du travail, particulièrement les gens qui ont été hors du marché du travail. Du fait de la puissance naturelle de l’approche thérapeutique, il était très important que tout soit basé sur la participation volontaire, que ce soit basé sur la volonté des gens. S’ils apprenaient des choses de notre programme éducatif ou des sessions thérapeutiques, alors ils voulaient faire quelque chose pour régler ces problèmes. On les poussait à s’impliquer et à participer à des campagnes que nous menions dans la communauté.

On avait des gens qui apportaient leur soutien dans des centres de sécurité sociale, qui formaient les gens sur les droits des usagers de la sécurité sociale, et des traducteurs qui aidaient ceux qui ne savaient parler que l’espagnol. On a participé à la création d’une coalition pour soutenir les travailleurs du bâtiment qui faisaient partie des minorités, parce que c’était un travail bien payé mais les entreprises du secteur en excluaient les minorités. Voilà le genre de choses qu’on faisait, en plus des campagnes politiques. Plusieurs personnes qui sont passées par nos programmes ont rejoint les Young Lords, le Black Panther Party ou la Republic of New Africa [2]. Certains sont devenus musulmans et se sont énormément investis. D’autres se sont impliqués dans les campagnes pour la libération des prisonniers politiques ou ont commencé à monter leurs propres collectifs.

On luttait jour après jour – pour le droit de manger, le droit de recevoir un salaire, le droit d’être respecté, le droit de ne pas être emmerdé par la police. On n’a jamais rien exigé en échange.

Tu peux mentionner quelques points forts, réussites, défis et faiblesses du programme ?

Il y a eu des points forts et des réussites tout au long du programme, mais tout n’a pas été glorieux. Depuis le premier jour, le 10 novembre 1970, on a eu un afflux quotidien et constant de personnes qui cherchaient du soutien. Je ne parle pas de dizaines de personnes, mais de centaines et de centaines de personnes qui arrivaient quand le mot a circulé à propos du Lincoln Detox, de l’opportunité pour les gens de pouvoir compter sur le soutien réel de gens comme eux (pas de professionnels blancs, mais des leurs), des gens généreux, développant une compréhension des choses qu’ils avaient besoin d’exprimer. Les gens venaient de toute la ville de New York et de l’État du Connecticut, de Long Island, et même du New Jersey. Le programme Lincoln Detox est devenu tellement populaire et efficace qu’une délégation des Nations unies est venue nous voir et nous a exprimé sa reconnaissance.

À ce moment-là, l’acupuncture est devenue sujette à controverse parce qu’il s’agissait de soins médicaux pratiqués par des gens qui n’étaient pas officiellement membres des professions médicales. Des lois ont alors été adoptées pour restreindre la pratique de l’acupuncture, qui ne pouvait désormais être pratiquée que sous la supervision d’un médecin, même si ce dernier ne connaissait rien à l’acupuncture. Ce type de luttes politiques constituait un grand défi : conserver les financements pour le programme, continuer de faire vivre le programme malgré les pressions de la police locale et de la police de l’hôpital qui essayaient continuellement de s’introduire dans le programme, car le Lincoln Detox était une espèce de sanctuaire où les toxicos pouvaient se rendre sans peur de la police. Après on a dû lutter avec l’hôpital pour obtenir des rations alimentaires pour les usagers du programme. Les gens venaient de la rue, ils n’avaient rien à manger et ils avaient besoin d’un traitement. On a lutté et on a fini par résoudre le problème.

On a aussi lutté pour développer nos compétences dans le domaine du traitement, de l’acupuncture et de la désintoxication. À l’époque où nous avons lancé le programme, il existait une forte tendance à promouvoir l’administration de méthadone au long cours comme modalité de traitement. La méthadone est une drogue terrible, développée par des scientifiques nazis afin de se fournir eux-mêmes en opiacés. Elle est hautement addictive et le sevrage est différent de celui de l’héroïne. Peu à peu on a développé un protocole pour se désintoxiquer de la méthadone. On pouvait désintoxiquer une personne de l’héroïne en dix jours et la laisser dans un bon état physique. Mais se sevrer de la méthadone exigeait plusieurs mois très douloureux, quelques fois trois ou quatre mois.

L’existence du programme était une épine dans le pied du gouvernement. Nous étions des révolutionnaires, des radicaux qui travaillaient et qui recrutaient des gens pour faire un travail que le gouvernement ne souhaitait pas voir se réaliser.

Un matin en 1979, on est venu travailler et l’hôpital Lincoln était encerclé par la police, qui contrôlait l’identité de toutes les personnes qui entraient. Ils avaient une liste de noms et l’accès du bâtiment était interdit aux membres des Young Lords, du Black Panther Party et de la Republic of New Africa, et à d’autres personnes ; s’ils tentaient d’entrer malgré tout, ils seraient arrêtés. Ils ont démantelé le programme.

Un des aspects qui les intéressait énormément était l’acupuncture, parce que c’était devenu une grosse source de revenus. Certaines personnes disent que le Lincoln Detox existe toujours, mais ce n’est pas vrai. Il existe une clinique d’acupuncture au sein du nouvel hôpital Lincoln, mais le programme a été démantelé.

Le Dr Richard Taft reçoit un traitement d’acupuncture d’une patiente-stagiaire au Lincoln Detox Center.

La collaboration entre des groupes aussi différents que les Young Lords, le Black Panther Party, la Republic of New Africa et les communautés musulmanes a-t-elle été spontanée, automatique, ou le produit d’efforts plus délibérés ?

C’est une question complexe. D’un côté tu as le principe fondamental de l’unité et du respect, et de l’autre le fait que nous étions tous dans un processus d’apprentissage et de construction permanents. Ce n’est pas comme si un soir tu te couchais en étant un junkie et le lendemain matin tu étais devenu un révolutionnaire. Le développement et le changement sont un processus. Étant des produits de la société actuelle, nous ne sommes pas des exemples de la société que nous construisons pour l’avenir.

La collaboration et la solidarité étaient très importantes au Lincoln detox, et il y a eu de nombreuses luttes. On considérait le Black Panther Party comme l’avant-garde du mouvement révolutionnaire à cette époque, mais la réalité c’était que le Black Panther Party était en train de se désintégrer. Certains membres du Black Panther Party ou des Young Lords qui étaient extrêmement arrogants. On devait lutter contre cela et combattre ces penchants. On revenait toujours au principe consistant à se demander ce qui est le mieux pour le peuple. Les résultats étaient très positifs et nous avons appris énormément les uns des autres. En 1973, lorsque l’American Indian Movement a affronté le FBI à Wounded Knee, dans la réserve de Pine Ridge dans le Dakota du Sud, pour nous il n’y avait pas de doutes. Notre responsabilité immédiate était de les soutenir et de nous engager dans cette lutte. Nous avons développé une philosophie, une pratique qui nous a permis de faire ces choses.

Quelles leçons en avez-vous tirées qui pourraient aider à renforcer nos luttes aujourd’hui ?

J’ai l’impression que beaucoup de ce qui s’organise aujourd’hui dépend de subventions. On n’entend pas beaucoup parler d’initiatives indépendantes. Une des choses dans lesquelles le Lincoln Detox a été extrêmement impliqué a été le soutien aux frères prisonniers en rébellion durant la prise de la prison d’Attica en septembre 1971. On a fait plus de 20 événements de soutien en 15 jours, dans différentes parties de la ville de New York. Il n’y avait ni internet ni les portables, ni institutions pour financer les photocopieuses, ni de trucs comme ça. On se débrouillait pour écrire les tracts, on coupait et on collait les images, on faisait des pochoirs.

On a construit un mouvement et on a cherché des manières de le faire survivre sans avoir besoin des fonds du gouvernement. Personne ne pouvait nous dire ce que nous devions faire. Aujourd’hui, beaucoup des choses reposent sur les ressources des fondations, les gens se focalisent sur l’argent et ne mènent plus de campagnes politiques.

Bien qu’on ait obligé le gouvernement à souscrire à notre travail pendant des années, en fin de compte c’est lui qui avait le pouvoir et il a fini par prendre le dessus. Nous n’avions pas le pouvoir pour continuer dans cette institution. Si nous n’avions pas été dans leurs installations, auraient-ils pu nous faire fermer ? Je n’en sais rien, mais je crois que ça aurait été différent.

Nous devons reconnaître que nous ne pouvons pas avoir nos institutions au sein des institutions. Je veux dire que finalement on en est arrivé d’une manière ou d’une autre au point où le Lincoln Detox a abouti. Il faut que nous pensions à nos efforts à court mais aussi à long terme. Comment en finir avec les prisons sous le joug de l’impérialisme ? En en terminant avec l’impérialisme.

En attendant, on peut s’investir dans certaines luttes qui peuvent conduire à certaines réformes, et cela doit être étudié et discuté. On peut le voir depuis une perspective humaniste et voir que nous avons sauvé et transformé de nombreuses vies, des gens qui seraient morts à cause de l’héroïne. J’en fais partie, un parmi beaucoup d’autres. Beaucoup de gens ont contribué à ce progrès, mais lorsque le monde change, les obstacles changent aussi. Après l’héroïne est arrivé le crack. On n’a pas pu stopper le fléau de la drogue dans notre communauté.

Quels sont certains des héritages ou des effets à long terme du Lincoln Detox Center ?

En toute humilité, je ne crois pas que le nouvel hôpital Lincoln existerait sans notre travail. Sans les luttes que nous avons menées, le nouvel hôpital Lincoln n’aurait jamais été construit, parce que les intérêts politiques n’ont rien à voir avec ceux des gens de la communauté. On a dû lutter pour mettre les intérêts de la communauté au premier plan, et exiger la construction de l’hôpital.

Quand ils ont fermé l’ancien hôpital et qu’ils ont déménagé dans le nouveau, ils ont fait de la place pour tous les services, sauf pour le Lincoln Detox. Mais l’héritage du Lincoln Detox va bien plus loin. Si tu vas dans n’importe quel hôpital public de la ville de New York, tu peux voir la Déclaration des droits du patient collée au mur. Cela, c’est le résultat de la première occupation de l’Hôpital Lincoln. On s’est débrouillé pour qu’elle devienne une réalité au sein du Lincoln Detox.

Harlem, 1970. Des Young Lords posent devant un camion à rayons X pour la détection de la tuberculose, un service que l’organisation offre 7 jours sur 7.

/ / /

Pour en savoir plus sur l’histoire des Young Lords, consultez notre article à leur sujet. On lira avec plaisir la première monographie en français sur l’organisation : Young Lords. Histoire des Black Panthers latinos (1969-1976), parue aux éditions l’Échappée.


[1] Organisation nationaliste noire séparatiste, fondée en 1968.
[2] Les Brown Berets sont une organisation révolutionnaire chicana, apparue à la fin de l’année 1968 dans le sud-ouest des États-unis. Active encore aujourd’hui elle s’est principalement consacrée aux questions de lutte contre les violences policières et d’organisation des populations chicanas et mexicaines contre l’exploitation et les politiques racistes.

Interview traduite par les Éditions Premiers Matins de Novembre et le Collectif Angles Morts

Jour de loyer – appel à l’organisation des locataires

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Avr 012020
 

De Grevedesloyers.info

En ce 1er avril, jour de loyer: des milliers de personnes partout au Québec ne peuvent pas payer leur loyer.

Montréal, 1er avril 2020 — En ce jour de loyer, des milliers de locataires partout au Québec ne sont pas en mesure de verser les sommes exigées par leur propriétaire. D’autres se retrouvent dans l’impossible dilemme de choisir entre payer leur loyer ou conserver l’argent nécessaire pour se nourrir, se soigner et satisfaire d’autres besoins fondamentaux. Ces locataires sont effrayés, craintifs et anxieux. Alors que toute la société tente de gérer une crise de santé publique, un des principaux indicateurs de la santé physique et mentale – le logement – devient une source d’anxiété et de dépression.

DES PERSONNES OUBLIÉES PAR LA PRESTATIONS CANADIENNE D’URGENCE

L’argument principal opposé aux locataires par les associations de propriétaires est que le versement de la Prestation canadienne d’urgence (PCU) par le gouvernement fédéral – une aide financière de 2000$ par mois pour les travailleurs victimes de la pandémie COVID-19 – permettra de payer leur loyer. Or, non seulement cette prestation n’arrivera dans les poches des bénéficiaires qu’à la mi-avril mais de nombreuses personnes en seront exclues et demeureront ainsi dans la précarité financière. Parmi elles se trouvent entre autres:

  •     Les travailleurs ayant démissionné avant le début de la crise.
  •     Les travailleurs ayant maintenu des revenus, même minimaux, dans les deux dernières semaines n’y auront pas immédiatement droit.
  •     Les personnes vivant sur des économies et n’ayant donc pas eu 5000$ d’entrées monétaires l’année dernière.
  •     De nombreux étudiant.es, particulièrement des étudiant.e.s internationaux qui se sont vu couper du financement provenant de leur pays d’origine ou celles et ceux qui reviennent d’un séjour d’études à l’étranger.
  •     Les travailleurs sans statut.
  •     Les travailleuses et travailleurs du sexe.
  •     Les personnes qui dépendaient de revenus non déclarés.
  •     Les personnes n’ayant pas déclaré leurs revenus aux impôts au cours des deux dernières années.
  •     Les personnes vulnérables qui pour des raisons de santé, de précarité ou autres ne seront pas en mesure de remplir la demande.

Ces travailleurs n’auront par ailleurs absolument aucun recours si la PCU leur est refusée. C’est pourquoi certains d’entre nous seront en grève de loyers forcée et que d’autres nous appuieront en faisant grève et/ou en arborant le drap blanc sur la façade de leur logement. Pour soulager les plus démunis nous croyons que le gouvernement doit agir de façon responsable en :

  • annulant immédiatement le paiement des loyers au Québec ;
  • décrétant un moratoire sur toute expulsion liée à l’incapacité de payer le loyer pendant la pandémie COVID-19. Donc que les personnes qui ne payent pas leur loyer pendant la crise ne soient pas non plus expulsables après celle-ci;
  • ouvrant un maximum de logements vacants — tels que les unités Airbnb vides, les condos vacants, les hôtels — pour y loger les personnes sans abri ou vivant actuellement dans des conditions de logement dangereuses, insalubres ou abusives.

UN ABANDON DE LA MINISTRE LAFOREST

Dans un communiqué envoyé à la veille du 1er avril (www.newswire.ca/fr/news-releases/pandemie-de-la-covid-19-1er-avril-le-gouvernement-du-quebec-rappelle-les-mesures-en-place-888418021.html), Andrée Laforest, ministre des Affaires municipales et de l’Habitation, a laissé tomber les locataires. Elle exhorte ces derniers à contacter leurs banques. Cela signifie deux choses aussi insultantes l’une que l’autre : i) Laforest ignore la réalité vécue par les locataires pauvres, qui ne peuvent pas se qualifier pour les prêts bancaires. ii) Laforest suggère aux locataires de s’endetter afin de faire face à la crise actuelle. Ces dettes ne feront qu’augmenter l’angoisse qui repose sur les épaules des personnes les plus vulnérables et qui sont, bien souvent, déjà très endettées.

DES LOCATAIRES SE RASSEMBLENT

Des locataires de tout le Québec expriment leurs craintes, tout en demandant l’annulation immédiate des loyers. De nombreux témoignages peuvent être consultés ici :  https://grevedesloyers.info/temoignages-3/

Dans un immeuble du quartier Rosemont—La Petite-Patrie, des locataires précaires de 10 appartements ont pris la décision de faire une grève des loyers afin de signifier ensemble à leur propriétaire leur impossibilité de payer leur loyer du 1er avril:

« Nous travaillons ensemble pour assurer la sécurité de toutes et tous. Toutefois, les circonstances actuelles compromettent non seulement notre santé physique, mais aussi notre santé financière » explique Dexter Xurukulasuriya, un des locataires. Dans une lettre envoyée à leur propriétaire, ils et elles demandent qu’il soit entendu que « l’incapacité de certain·e·s à payer le loyer est due à une crise de santé publique indépendante de notre contrôle, et que pour le bien de la sécurité publique », les locataires doivent pouvoir rester chez eux, « sans craindre de ne pas pouvoir subvenir à leurs besoins de base.»

« Bien sûr, nous sommes conscient·e·s que [notre propriétaire] est également touché par cette crise, et nous sommes rassuré·e·s de savoir que [les propriétaires] ont accès à des outils et à des mesures d’aide comme le report d’hypothèque » ajoute Xurukulasuriya.

DES OUTILS MIS À LA DISPOSITION LES  LOCATAIRES

Des centaines de locataires de Montréal, du Québec et du Canada s’organisent collectivement. Face à l’injustice, à la peur et à l’isolement, nos meilleures armes sont la solidarité, l’attention et le soutien.

Les Draps blancs pour une grève générale ont élaboré une section qui décrit pourquoi et comment participer à une grève des loyers : https://grevedesloyers.info/pourquoicomment/

Nous avons également mis en place d’importantes considérations légales, afin que vous soyez au courant de vos droits, des risques et de la meilleure façon de vous organiser par rapport à ceux-ci :  https://grevedesloyers.info/legal

Nous encourageons les locataires qui s’organisent de manière autonome à nous faire part de leurs mises à jour ou de difficultés rencontrées à l’adresse suivante : grevedesloyers@riseup.net.

Un syndicat autonome des locataires de Montréal prend également forme ; pour en savoir plus : https://syndicatlocatairesmtl.wordpress.com

Il est possible de nous faire parvenir des photos de draps blancs. Le drap blanc est le symbole d’une trêve nécessaire des loyers et des paiements hypothécaires, de la grève des loyers et de la solidarité envers les personnes les plus affectées par cette crise.  Les photos que nous recevons sont rassemblées sous notre galerie : https://grevedesloyers.info/gallerie-2/

Les locataires autonomes de Montréal ont lancé une PÉTITION spécifique au Québec, avec trois demandes claires, dont l’annulation du loyer. La pétition atteint 10 000 signatures. Signez et partagez la pétition : http://chng.it/XJctK2Tw

Rappel de nos précédents communiqués de presse qui contiennent des informations qui demeurent pertinentes en date d’aujourd’hui :

– 31 mars 2020 :  https://grevedesloyers.info/ressources/communique31mars/

– 30 mars 2020 :  https://grevedesloyers.info/ressources/communique2/

– 26 mars 2020 :  https://grevedesloyers.info/ressources/communiquepresse/

—–

Bien que les Draps blancs soient une initiative qui émane du Québec, des grèves de loyers s’organisent partout en Amérique du Nord et dans le monde.

– Voici le site pancanadien ANNULEZ LES LOYERS : www.annulezlesloyers.ca

– Les efforts entourant la grève états-unienne des loyers sont rassemblés ici : https://www.rentstrike2020.org/

– Pour plus d’informations sur les efforts nord-américains et mondiaux, consultez : https://5demands.global/map/

Pourquoi & comment faire la grève des loyers

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Mar 252020
 

De Grevedesloyers.info

Voir aussi Enjeux légaux

Faire une grève du loyer est risqué. Pour amenuiser les risques, nous devons être nombreux-ses.

  • Faire collectivement la grève des loyers permet d’établir un rapport de force avec le gouvernement pour qu’il intervienne afin d’annuler hypothèques et loyers pour tous et toutes.
  • Se regrouper entre locataires d’un même propriétaire peut faciliter une grève des loyers et rendre plus complexe l’usage de recours légaux (comme l’éviction) par votre propriétaire.

Étapes que nous vous conseillons de suivre:

  1. Informez-vous en lisant la section Enjeux légaux et Ressources.
  2. Discutez de la grève avec vos colocataires, vos voisins, les gens qui vivent dans le même immeuble, mais aussi avec les gens qui ont le même propriétaire si vous les connaissez ou parvenez à entrer en contact avec eux/elles.
  3. Accrochez un drap blanc devant chez vous pour montrer que vous exigez un gel des loyers et des hypothèques, et que vous ferez la grève des loyers si le gouvernement n’agit pas.
  4. Imaginez des stratégies adaptées à vos différentes situations. Voici des exemples:
    • Si vous avez les moyens de payer votre loyer, pensez à mettre l’argent de côté pour pouvoir payer tous les loyers non-payés une fois la crise terminée.
    • Si vous habitez à plusieurs, parlez avec les autres habitants pour voir comment faire la grève collectivement.
    • Si votre propriétaire a beaucoup de logements, essayez d‘échanger à propos de la grève dans le plus de ses logements possible. Une situation où beaucoup de locataires d’un même propriétaire se mettent en grève des loyers vous permet d’avoir un meilleur rapport de force. Votre propriétaire doit ainsi envisager plusieurs recours légaux auprès de la Régie et risque de perdre tous ses locataires d’un coup.
  5. Signifiez à votre propriétaire votre incapacité de payer votre loyer. Nous proposons des modèles de lettres à envoyer dans cette section.

Vous vous posez des questions?

Est-ce qu’on va avoir des ennuis? Quelles sont les conséquences?

Faire une grève n’est jamais sans risque, mais il s’agit aussi d’un moyen permettant de faire entendre ses besoins et ses droits. En collectivisant les risques, on collectivise aussi l’organisation de la défense. Plus de gens participent, plus les chances d’éviter ces risques sont grandes. Il est toutefois important de vous informer sur ces risques potentiels en vous référant à la section Enjeux légaux.

Pourquoi encourager/participer à cette grève malgré tout?

Dans le contexte d’état d’urgence sanitaire, avec la fermeture de toutes les entreprises non-essentielles, si nous ne nous organisons pas collectivement, des milliers des personnes ne pourront de toute façon pas payer leur loyer et leurs factures.

  • Plus il y a de gens impliqués, moins il y aura de chances que les conséquences soient graves pour les grévistes. Les enjeux sont semblables à ceux d’une grève en milieu de travail ou d’une grève étudiante, mais pour les locataires.
  • Le mouvement des droits civiques utilisait des grèves du loyer pour protester contre la discrimination et pour assurer un contrôle des loyers. C’est une forme de désobéissance civile non violente et l’une des seules tactiques qu’il nous reste en temps de pandémie.
  • Vous ne pouvez pas être légalement evincé-e tant que l’état d’urgence sanitaire est décrété. C’est seulement après la crise, si le gouvernement n’a pas répondu à nos demandes, que vous pourriez être évincé-e. Mais nous continuerons à faire la grève tant qu’une annulation des loyers ne sera pas accordée. Nous maintiendrons la pression pour faire entendre nos revendications et pour nous assurer que les propriétaires ne pourront pas prendre de mesures contre leurs locataires.
  • La situation présente est sans précédent et nous devons être solidaires entre personnes précaires et marginalisées.

Les propriétaires n’ont-ils pas des factures et une hypothèque à payer eux aussi?

Oui, mais ce n’est pas aux locataires de se responsabiliser pour les propriétaires. C’est au gouvernement d’agir pour s’assurer que les propriétaires n’ont pas à payer leurs factures non plus. Les locataires doivent prioriser leur santé et leurs besoins immédiats, comme se nourrir.

  • Les Locataires paient aussi des frais abusifs depuis de nombreuses années.
  • Les propriétaires qui ont des hypothèques devraient exiger des banques qu’elles suspendent sans intérêt les remboursements hypothécaires.
  • En temps de crise sanitaire, il est du devoir des propriétaires de refuser de collecter les loyers de leurs locataires. Nous devons tous et toutes faire pression sur le gouvernement.
  • Les locataires ne sont pas responsables de la crise sanitaire en cours. Ils et elles ne sont pas responsables des emplois perdus, des heures coupées ou d’être tombé-es malades.
  • Les temps sont incertains, on ne sait pas jusqu’à quand va durer cette crise ni comment elle va évoluer. Ce sont les personnes précarisées – ceux et celles qui en arrachaient déjà pour payer épicerie, loyer, factures et dettes – qui seront touchées de plein fouet. C’est aux mieux nantis de la société d’encaisser le coup, pas aux locataires.

Je peux payer mes factures et mon loyer, pourquoi devrais-je participer?

  • Plus il y a de gens qui participent, plus ce sera difficile pour les proprios et le gouvernement de briser la grève et plus nous aurons de chance que le gouvernement réponde à nos demandes.
  • Il est possible que vous n’ayez pas de problèmes financiers maintenant, mais que d’ici un mois ou deux la situation de vous contraigne à ne plus pouvoir payer votre loyer, comme elle contraint aujourd’hui des milliers de personnes.
  • Les demandes que nous faisons au gouvernement visent à sauver des vies. Nous voulons que le gouvernement prenne des mesures d’urgence pour éviter le plus de morts possible et que les gens continuent à prendre soin de leur santé pour mieux résister à la COVID-19. Personne ne devrait avoir à faire le choix entre se loger, se nourrir et être en santé.
  • Tout le monde doit être solidaire en temps de crise et on doit répondre collectivement aux problèmes actuels. On sait déjà que beaucoup d’entre nous seront incapables de payer leur loyer dans les prochains mois. Participer à une grève des loyers est geste nécessaire pour que le gouvernement prenne acte des besoins de la population et décrète l’annulation des loyers tant que l’état d’urgence sanitaire sera en place.

Le gouvernement n’offre-t-il pas des aides financières aux gens?

Les mesures qui ont été mise en place par les gouvernements fédéral et provincial ne s’adressent pas à tout le monde : actuellement, ceux et celles qui ne sont pas admissibles à l’assurance-emploi (travailleurs autonomes ou à contrat, étudiant.es, travailleurs précaires, etc.) et qui ne sont pas malades n’ont plus de revenus et n’ont droit à rien du gouvernement.
Bien que l’assurance-emploi ait été bonifiée, le temps d’attente pour l’obtenir n’a pas disparu, bien au contraire. Les mesures proposées par les gouvernements provincial et fédéral ne permettront pas à ceux qui en ont besoin pour survivre de payer leur prochain loyer.

Ne devrait-on pas concentrer notre énergie à combattre le COVID-19?

C’est précisément ce que nous faisons. Nous exigeons que les propriétaires, les banques et les gouvernements prennent des mesures qui nous permettent de nous concentrer à combattre la COVID-19. Si nous cessons de nous alimenter ou de nous soigner pour pouvoir payer notre loyer, ou si nous devons trouver des moyens de gagner des sous alors que tous les emplois ont disparu, nous ne pourrons pas contribuer le plus efficacement à combattre la pandémie.

Combien de gens sont impliqué-es? Je ne participerai qu’à condition que nous soyions nombreux.

C’est difficile de compter le nombre de gens qui font la grève des loyers. Déjà, un grand nombre de personnes affichent leur solidarité et leur intention leur intention de ne pas payer leur loyer en accrochant des draps blancs devant leur demeure. D’autres se coordonnent sur les réseaux sociaux pour diffuser le recours à la grève des loyers. Plusieurs regroupements autonomes de citoyen-nes organisent actuellement la grève des loyers dans leurs communautés.

Grève des loyers à Montréal à partir du 1er avril 2020

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Mar 202020
 

Soumission anonyme à MTL Contre-info

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Voir aussi : Grevedesloyers.info

Les pauvres, les sans-emploi, les précaires, les sans-papiers, les travailleur.ses à contrats et autres travailleur.ses — nous tous et toutes qui joignons les deux bouts un mois à la fois — nous ne serons pas en mesure de payer notre loyer ce 1er avril. Beaucoup d’entre nous avions déjà de la difficulté à payer le loyer avant que cette crise ne frappe, et accumulons probablement déjà du retard. Dans une perspective d’action directe et de solidarité sociale, TOUTES ET TOUS les locataires peuvent refuser de payer leur loyer ce 1er avril.

Même si vous avez les moyens de payer votre loyer, vous joindre à la grève est essentiel pour soutenir ceux et celles qui ne le peuvent pas. Nous devons être une masse critique de gens à participer afin de rendre la situation intenable et d’empêcher les autorités de nous réprimer.

Ensemble :

  • Arrêtons de payer nos loyers ;
  • Bloquons les expulsions et les rénovictions ;
  • Rendons disponibles les logements vacants — incluant Airbnb, condos vides et hôtels — pour héberger les itinérant.es ou les gens sans logement sécuritaire.

L’urgence du moment en appelle à une action collective décisive. Protégeons-nous et prenons soin de nous et de nos communautés. Maintenant plus que jamais, nous devons refuser l’endettement et l’exploitation. Les locataires ne doivent pas être forcé.es de payer le prix d’une crise sanitaire collective.

  • La Régie du logement a suspendu les audiences d’expulsions. Dans le futur immédiat, votre propriétaire ne peut pas vous faire comparaître à la Régie pour vous expulser si vous ne payez pas votre loyer.*
  • Si vous vivez tout de même du harcèlement ou de l’intimidation de la part de votre propriétaire, discutez avec vos voisin.es d’une réponse collective.

*En dernier recours, si les activités régulières de la Régie recommencent et que vous êtes convoqué.es à une audience d’expulsion, vous pouvez éviter l’expulsion en payant, sur le coup et en argent comptant, tous les loyers non-payés ainsi que les frais supplémentaires, tant que vous n’avez pas souvent payé votre loyer en retard. Mais si nous sommmes assez nombreux.ses à faire grève, nous pourrons nous supporter mutuellement et rendre impossible le déroulement normal des expulsions. De l’information juridique supplémentaire suivra. [Voir Enjeux légaux ; NdMTLCi]
greve_loyers_mtl@riseup.net

? POUR UN MONDE SANS LA PIRE DES ÉPIDÉMIES : PATRONS, PROPRIOS, FLICS ?

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Voir aussi : Grevedesloyers.info

Contre le virus, contre la peur. Solidarité et entraide.

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Mar 182020
 

De Information Anti Autoritaire Toulouse et Alentours

Pour soi. Pour les autres. Parce que la lutte doit continuer, maintenant et après. Pour foutre en l’air ce monde, mais sans précipiter la catastrophe.

Pour les personnel·le·s des hôpitaux qui depuis des nombreuses années déjà bossent dans des conditions dégradées et vont prendre des risques énormes avec des moyens dérisoires [1].
Pour toutes celles et tous ceux privé·e·s de leurs libertés parce que n’ayant pas les bons papiers [2] ou ayant enfreint les lois faites d’abord pour réprimer les classes populaires [3].
Pour celles et ceux qui n’ont ni toit,ni travail, ni revenu et risquent de plonger encore plus dans la misère et l’isolement.
Pour celles et ceux qui n’ont pas de contrat de travail et se retrouve du jour au lendemain sans revenu.
Pour celles et ceux qui continuent de bosser à l’usine comme ailleurs parce que le télétravail n’existe pas. Il leur est demandé de poursuivre la production de bien et services inutiles mais ensuite de renoncer à leurs sociabilités [4].
Pour nos ami·e·s et proches n’ayant pas des systèmes immunitaires aussi solides que les nôtres.
Pour les gosses de pauvres dont les parents ne peuvent payer un soutien scolaire personnalités ni même un ordinateur pour recevoir les cours à distances le temps que les écoles fermeront. [5]
Pour celleux qui vont se retrouver confiner avec des personnes qui les mettent en danger.

La situation actuelle montre que les systèmes économiques et politiques sont faillibles parce qu’ils reposent sur l’individualisme, l’avidité et la recherche du profit maximum. L’État ne pense qu’à se sauver lui-même alors il fait tout pour ne pas briser l’économie dont il dépend et a maintenu des élections malgré les promesses d’une abstention record.
Nous entrons dans l’inconnu. À mon sens une telle situation n’offre que deux alternatives. La panique matée par l’autoritarisme de l’État, soit notre défaite. Ou bien la responsabilité collective et individuelle, la solidarité ce qui permet d’entrevoir un jour notre victoire.

Entre temps les hôpitaux de nombreuses régions arrivent à saturation, et l’on est probablement sur le point de connaître une situation identique à l’Italie du Nord où les médecins choisissent qui va (peut être) vivre et qui va à coup sûr mourir. Dès lors refuser les appels gouvernementaux à l’auto-discipline, voir l’épidémie uniquement par le spectre de la liberté, c’est peut être un beau pied de nez à un État qui tente de sauver la face, mais c’est se tirer une balle dans le pied (ou dans celui de son/sa voisin·e). Aussi désagréable que soit l’idée se suivre l’incitation à la discipline de l’État, l’auto confinement devrait à mon sens être une pratique généralisée, y compris dans nos groupes anarchistes/anti-autoritaire. Pour toutes les personnes citées plus haut, et encore plus. Il ne s’agit pas de faire une croix sur la liberté, sur nos idées, mais de temporairement en mettre d’autres en avant. Quel sens à la liberté si il n’y a plus collectif ? A quoi bon être libre sans solidarité ?

Voir les fascistes, complotistes et les consommateurs et consommatrices hyper-individualistes (ça fait pas mal de monde malheureusement) fascinés par les courbes de morbidité et exercés un repli sur elleux drastique suffit à se convaincre qu’on ne peut pas prendre la situation à la légère. Même si la maladie ne se diffuse pas autant qu’estimé, les idéologies éco-fascistes, néo-maltusienne ou survivalistes auront progressé [6]. Je ne me leurre pas l’État imposera tôt ou tard des règles très autoritaires si l’épidémie s’amplifie, comme en Espagne ou en Italie. Évidemment cela peut opportunément lui servir d’entraînement à la mise en place de règles similaires dans d’autres circonstances [7]. Mais est-ce l’unique manière dont il faut entrevoir cette crise ?

Faisons un peu de fiction. Imaginons qu’avec la crise sanitaire, les crises économique et politique qui l’accompagnent, nous sommes aux prémices d’une crise du capitalisme hors norme, faut-il vraiment s’en réjouir ? Qui d’entre nous pourrait souhaiter que l’État s’effondre non parce que nos mots et nos actes l’auraient abattu mais parce qu’il a été balayé par une crise sanitaire ?

Il s’agit aujourd’hui de penser à demain. Bien que le propos de ce texte soit de demander à chacun·e de se confiner volontairement pendant un certains temps, je pense que nous n’avons pas non plus intérêt à tout arrêter et à nous isoler. Il faut encore lutter. Il s’agit d’imaginer, pour un temps, faire différemment. En créant des réseaux de solidarités dans nos immeubles et nos quartiers (courses, garderies, prise de nouvelles des vieux, etc), en affichant l’exigence d’une amnistie des personnes en taules et en CRA [8], en réclamant ou en appliquant par nous-mêmes les seules mesures économiques nécessaires pour éviter que les plus précaires se retrouvent la corde au cou dans les prochaines semaines (à minima la suspension des loyers et factures d’énergies et d’eau, bouffe et transports gratuits [9]. Nous pouvons continuer à discuter avec les personnes vivantes près de nous, nous pouvons continuer à tagger et afficher des slogans dans les rues, à accrocher des banderoles là où elles seront visibles, à diffuser sur internet l’idée que la solidarité doit vaincre la peur [10].

Pourquoi pas aussi appeler à des manifestations pour porter ces idées. Mais en réfléchissant sérieusement à leur pertinence et la manière de faire. Une proposition : faire des manifs en vélo pour couvrir de plus grande distance, aller dans les quartiers où l’on ne va jamais, ne pas être invisible dans des villes désertes, le tout en évitant des contacts physiques trop rapprochés.

Une fois la tempête passée, nous devrons être présent·e·s pour que ne subsiste de cette période que ses aspects les plus autoritaires et hygiénistes. Que ce ne soit pas une simple étape du renouvellement du capitalisme. Nous devrons être vigilantes pour la potentielle crise économique qui suivra ne soit pas l’occasion pour l’État et le capital d’avancer plus loin dans l’ordre néolibérale et sécuritaire en restreignant par exemple la liberté de circuler, en mettant en place des formes de surveillances technologiques plus poussées (la Chine est devenue un exemple) en faisant de la technologie et de la science l’unique réponse à nos problèmes. Chaque petit gain issu de cette période devra ouvrir la possibilité de se transformer en acquis durable.

Notes

[1Les hôpitaux manquent de gel hydroalcoolique, de masques et de gants alors que des stocks ont été utilisé pour assurer le premier tour des municipales…

[2Les prisonnières et prisonniers du CRA de Lesquin dans le Nord sont en grève de la faim depuis le 12 mars. Un cas de coronavirus a été diagnostiqué, aucune mesure de protection n’est prise. Mais les parloirs sont suspendus. Leur communiqué

[3En Italie des mutineries généralisées ont lieu suite à la fermeture des parloirs. Des mesures de restrictions sont déjà en place en France

[4En Italie des grèves ont surgi dans les usines qui ne fermaient pas comme celles de Fiat alors que des employés étaient diagnostiqués positifs.

[5À bas l’école cependant.

[6Ces derniers sont obsédées par la fermeture immédiate des frontières et le déploiement de l’armée dans les rues, ou une disparition massive de l’humanité pour « sauver la nature ». Ou ne pense qu’à leur survie à cellles de leur famille.

[7Voir l’article publié sur IAATA : Morbihan. Le COVID-19, le réseau de pouvoir et l’Etat d’exception, trop de virus !

[8Ce dimanche 15 mars le ministère de la Justice annonce la suspension des jugements, sauf les « contentieux essentiels ». Les audiences en comparution immédiate sont maintenues…

[9Ce n’est pas impossible d’obtenir tout ça. Même dans la dystopie capitaliste américaine des décisions similaires ont été prises

[10Des groupes Télégram et Facebook locaux et nationaux existent avec des ébauches de tracts d’entraide préremplies, de cartographie, de tuto divers, de manière de mettre en place concrètement la solidarité

Caribou forestier: Quand les loups ont le dos large

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Jan 092020
 

Coupe à blanc dans les Chic-Chocs en Gaspésie

Du Collectif Emma Goldman

Le gouvernement caquiste de François Legault vient une nouvelle fois de faire la preuve que ses intérêts et ses priorités sont placés du côté de l’industrie et des patrons. Alors que les caribous forestiers peinent à survivre, la Coalition Avenir Québec (CAQ) vient d’abolir des mesures de protection visant trois territoires (massifs de forêts matures) au Saguenay-Lac-St-Jean sur le Nitassinan, soit 46 000 hectares de forêt. Pierre Dufour, ministre des Forêts, de la Faune et des Parcs, a déclaré dernièrement: « On a aussi tout l’aspect industriel qui nous dit : “Bien là, M. Dufour, si vous faites quelque chose pour le caribou, on va perdre des emplois” » [1]. L’industrie forestière, toujours plus avare de nouveaux territoires à exploiter, se réjouit d’une nouvelle comme celle-ci. Pour le caribou présent dans la région de Charlevoix, le ministre y va encore une fois d’une décision tout aussi teintée d’intérêts : abattre des loups au lieu de mettre en place des mesures afin de protéger le cheptel présent sur ce territoire où seulement 26 individus ont été observées lors du dernier recensement. Dans le rapport d’inventaire produit par le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs qui a été mis en ligne dernièrement, il est clairement écrit noir sur blanc que le problème n’est pas le loup, mais la présence de l’industrie forestière et de l’étalement urbain causé par le tourisme: « Le territoire occupé par le caribou de Charlevoix est fortement perturbé par diverses activités industrielles et récréotouristiques » [2].

Évidemment, cette décision du gouvernement caquiste a fait réagir plusieurs personnes dont Martin-Hugues Saint-Laurent, professeur d’écologie animale à l’Université du Québec à Rimouski (UQAR). Ce dernier possède un doctorat en biologie et un stage postdoctoral sur le caribou. Mais voilà que le grand champion international de la connerie, le ministre Pierre Dufour (bachelier en science politique et possédant un certificat en marketing), se permet de rabrouer Saint-Laurent: « C’est facile d’être assis dans sa tour d’ivoire à l’université de Rimouski et de dire : « Voici comment ça fonctionne » ou encore « Si M. St-Laurent est capable de faire repousser une forêt mature – comme il dit toujours : « Ça prend une forêt mature » –, s’il est capable de me repousser une forêt en l’espace d’un an, qu’il me le dise, parce que je n’ai pas la solution » [3]. Au final, il est clair que le ministre Dufour [4] et la CAQ vont faire le strict minimum pour se sauver la face. Utiliser une solution à très court terme, abattre les loups, au lieu de favoriser la protection des territoires afin d’empêcher toute destruction de l’habitat du caribou. Opter pour la seconde option en viendrait à donner une baffe à ses amis de l’industrie forestière. La même catastrophe se passe en Gaspésie où l’industrie forestière a tellement coupé d’arbres dans la réserve faunique de Matane que les forestiers ont atteint les sommets des Chic-Chocs, refuge des derniers caribous de la région. Et comme l’a déclaré monsieur Saint-Laurent, malgré l’abattage de coyotes et d’ours, prédateurs du caribou, la population de ce dernier est toujours en déclin.

Coupe à blanc en Abitibi

Les Premières Nations en résistance

Le Première Nation innue de Pessamit a publié un communiqué affirmant sa volonté de protéger le caribou : « Les Pessamiulnuat ont cessé depuis plus de dix ans le prélèvement de ce gibier, sacrifiant ainsi une partie importante de leur culture. En retour, quels ont été les sacrifices des forestières qui sont scientifiquement reconnues comme étant la principale cause du déclin de l’espèce? Quelles ont été les actions concrètes du Ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs durant ces années, où le déclin n’a fait que s’accentuer? Il est grand temps que le gouvernement du Québec prenne ses responsabilités », affirme Éric Kanapé. Le communiqué déclare également que « la culture innue est aujourd’hui menacée par l’altération de la forêt due au type de foresterie qu’on y pratique. Une foresterie qui, à ce jour, a très peu tenu compte des besoins des Pessamiulnuat et qui a altéré une grande partie des écosystèmes naturels du territoire. L’intégrité biologique des forêts est toutefois nécessaire pour le maintien des pratiques traditionnelles, qui reposent tout particulièrement sur le prélèvement de la ressource faunique » [5]. Le Conseil des Innus de Pessamit veut que le gouvernement du Québec crée une aire protégée afin d’aider les caribous.

En Abitibi, le gouvernement québécois se magasine une crise avec les communautés Anishinabeg à propos de la harde de caribous de Val d’Or. Déjà sous le gouvernement Couillard, le ministre des Forêts, de la Faune et des Parcs, Luc Blanchette, avait déclaré qu’il ne serait pas question de sauver les 18 caribous restant près de Val d’Or. Selon un rapport préliminaire sur lequel se basait le ministre, il faudrait investir 76 millions sur 50 ans pour sauver le caribou forestier, un montant trop grand pour le libéral [6]. Et il faut ajouter à cela leur éternelle chansonnette sur la perte d’emplois et le risque de voir des entreprises fermer. Pour les libéraux, la vie a donc un prix. Sauver une espèce en voie de disparition contre quelques millions étalés sur plusieurs décennies ne vaut pas la peine. Surtout qu’il aurait fallu mettre un frein à ses amis des industries minière et forestière, ce que ce dernier n’a jamais voulu faire. Aujourd’hui, autre gouvernement, mêmes intérêts. Outre l’abattage de loups, le ministre Dufour n’a pas l’intention de faire grand-chose d’autre sinon une rencontre avec les chefs Anishinabeg. Le bouffon de service n’a pas dérogé de sa ligne en déclarant qu’il faut prendre en compte l’aspect industriel afin d’éviter la perte d’emplois. La cheffe de la communauté de Lac-Simon n’a pas tardé à répliquer : « On a déjà eu des crises nous autres, puis s’il faut qu’il y ait une crise pour les caribous, on va la faire encore. Les compagnies forestières savent qui on est ». D’ailleurs, il y a plus d’un an, les communautés de Lac-Simon, de Kitcisakik et de Winneway ont pris des engagements afin de protéger le caribou. Les Anishinabeg ont aussi mis un terme à la chasse aux caribous, activité ancestrale de ce peuple. Le chef de la communauté de Kitcisakik a aussi fait un lien avec les orignaux en danger dans la réserve faunique La Vérendrye : « Qu’est-ce qui va arriver avec le cheptel d’orignaux? Avec les agissements du ministre dans ce dossier-là. On y voit un parallèle là ». [7] En effet, sûrement pas grand’ chose à espérer de ce côté…

L’économie avant la vie 

« La forêt, c’est une manière d’exploiter économiquement quelque chose qui repousse. Mais c’est sûr que ça peut avoir un effet sur le caribou, on ne se le cachera pas. » – Pierre Dufour

La forêt, c’est un réservoir de ressources à exploiter pour faire tourner l’économie, rien de plus. Du moins, c’est ce que l’on peut en comprendre en lisant les propos du ministre caquiste. Si l’industrie forestière est au bord du gouffre, c’est à cause de l’industrie elle-même et de la concurrence internationale engendrée par le capitalisme. Une industrie avare qui ne sera jamais rassasiée et qui est prête à couper à blanc n’importe quelle forêt afin d’empiler encore plus les profits. Les dirigeants pourraient faire massacrer tous les caribous et l’industrie ne serait pas plus sauvée pour autant.

Au final, tout le monde le sait que de tuer des loups ne va rien changer à moyen et long terme. Le loup est un animal extrêmement important pour les écosystèmes. C’est la destruction des vieilles forêts où se trouvent le précieux lichen et les champignons que les caribous mangent ainsi que la multiplication des chemins forestiers qui facilitent les déplacements des loups qui mettent en danger les hardes de caribous forestiers.

Évidemment, nous sommes conscients et conscientes que plusieurs villages dépendent de l’industrie forestière (coupes en forêt ou scieries). La situation des paroisses marginales, des villages et villes mono-industrielles présente une contradiction importante de l’économie capitaliste : une localité et ses ressources naturelles sont exploitées par une industrie (les taux de profits augmentant sans cesse sans qu’en profitent les travailleurs et travailleuses) et cette localité vit une dépendance envers la même industrie pour l’emploi et la simple survie économique de la place. Plusieurs régions périphériques du Québec ont été colonisées pour répondre aux intérêts de grands capitalistes qui souhaitaient en extraire les ressources naturelles, pour ensuite les transformer et les commercialiser dans les régions centrales et à l’étranger, et y entretenir une main-d’œuvre à bon marché, disciplinée par la rareté des emplois de qualité.

Tôt ou tard, il faudra mettre fin à ce cercle d’exploitation et de dépendance. Quand il n’y aura plus rien à couper et à exploiter, l’industrie pliera bagage et ne laissera derrière elle que désolation et destruction. Les travailleurs et travailleuses du bois seront toujours dans le même merdier de précarité et les municipalités de petite envergure auront encore des problèmes de survie. Les habitants et habitantes doivent s’organiser et trouver de nouvelles manières d’habiter le territoire. Cela ne veut pas dire d’arrêter complètement « l’exploitation forestière » car il existe des façons de faire où la foresterie n’est pas le rouleau compresseur de la mort comme elle l’est en ce moment. De plus, il faut mettre en place une économie basée sur nos besoins réels et prendre en compte la capacité des territoires et des écosystèmes. Reprenons du pouvoir sur nos vies et nos territoires!

Comment?

La création de comités de quartiers et de municipalités autonomes, qui pourraient éventuellement se fédérer à l’échelle des villes et des régions, permettrait aux habitant-e-s des périphéries de s’organiser sur des bases à la fois locales et régionales pour faire front contre les problématiques que nous avons en commun et développer un contre-pouvoir à la gestion et l’aménagement du territoire d’« en haut ». La révolution ne pourra être complète sans un désengagement des périphéries, à quelque échelle qu’elles soient, par rapport à leurs centres. Notre action se doit d’être locale et axée sur la satisfaction des besoins réels de la population (notamment par la souveraineté alimentaire) et non selon les dictats fixés par un marché qui engendre et maintient les inégalités. Toutefois, nous ne pouvons repenser nos régions sans inclure dans notre démarche les Premières Nations. La colonisation du « Saguenay-Lac-Saint-Jean » s’est faite sur des terres volées, le Nitassinan, qui n’ont jamais été cédées. La véritable revitalisation passe par la décolonisation du territoire.

[1] https://www.lapresse.ca/actualites/environnement/201912/11/01-5253342-caribous-le-ministre-dufour-pret-a-sacrifier-des-cheptels.php

[2] https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1402897/animal-population-hardes-espece-etat-critique

[3] https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1428968/caribous-charlevoix-ministre-dufour-tour-ivoire-rimouski-court-solutions

[4] Le ministre Dufour s’est excusé pour ses propos via sa page Facebook. Il reste néanmoins que ses piètres excuses ne cachent pas sa pensée et ses visées, mais servent seulement à lui sauver le peu de crédibilité qu’il lui reste.

[5] https://www.neomedia.com/saguenay-lac-st-jean/actualites/actualites/378869/caribou-forestier-la-premiere-nation-innue-de-pessamit-affirme-sa-volonte-de-proteger-le-pipmuacan

[6] https://www.journaldemontreal.com/2018/03/08/sauver-les-caribous-forestiers-couterait-trop-cher-selon-quebec

[7] https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1434114/caribous-val-dor-autochtone-adrienne-gerome-abitibi

La Mauvaise Herbe vol.18

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Jan 052020
 

De La Mauvaise Herbe

Le volume 18 de La Mauvaise Herbe (décembre 2019) vient de paraître.

Sommaire des articles:
– 2019, l’année où la merde a pogné dans l’ventilo
– L’intelligence artificielle; Quand des entrepreneurs essaient de nous faire avaler des couleuvres
– Book review; Race Traitor, by Elisa Hategan
– Ctrl-Alt-Del

Vous pouvez le télécharger sur le lien ci-dessous:

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Retours sur la grève des stages

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Déc 132019
 

Au cours de l’automne, des militant.e.s des CUTE (Comités unitaires sur le travail étudiant) ont publié sur la plateforme Dissident.es une quantité impressionante de réflexions et de récits de la grève des stages du printemps dernier. En voici quelques extraits intéressants, avec les liens vers les articles complets.

De « Ne nous représentez pas, on s’en charge! » (article complet) :

Les étudiant.e.s de l’université ne sont pas représentatif.ve.s de l’ensemble de la société : tout au long de la campagne, il a été question du rôle de l’université, en tant qu’institution, dans la reproduction des inégalités déjà présentes dans la société, à laquelle participent les stages non rémunérés. Nous avons voulu rompre, justement, avec une vision idéale de l’université non marchande, qui alimente le mythe selon lequel la gratuité scolaire nous rendrait tout.e.s égales et égaux.

Plus encore, il y a là un paradoxe d’exiger une forme de représentativité au sein des comités autonomes : les militant.e.s ne représentent qu’elles et eux-mêmes et ne prétendent pas autrement. Pour y être représenté.e, il faut donc s’y impliquer. C’est pour cette raison que les structures permettaient, en théorie, à toutes les personnes impliquées de participer à la définition de la lutte et à la prise en charge du discours. La voie était ouverte pour que d’autres groupes politiques autonomes, comme les groupes de personnes racisées déjà organisés sur les campus, participent à la réflexion et à la mobilisation. Cependant, le réflexe d’aborder l’inclusivité en tant que demande n’est pas surprenant : il s’agit d’une conséquence de la façon dont s’est traditionnellement organisé le mouvement étudiant, et plus largement le mouvement syndical et la politique en général, c’est-à-dire par la démocratie représentative.

***

De « Rétroactif, en espèces, partout, pour tout et maintenant » (article complet) :

Durant la campagne, certain.e.s profs et étudiant.e.s de gauche ont affirmé que de lutter pour l’obtention d’un salaire allait à contresens de la lutte pour l’élimination des rapports marchands qui lient les individus au sein du capitalisme. Tantôt plus à gauche, tantôt plus conservatrice, on a entendu une critique de la marchandisation de l’éducation qui défend l’éducation comme une institution publique à préserver hors des rapports marchands. C’est le cas, par exemple, de Stéphane Chiarello, enseignant en gestion des ressources humaines de l’Université du Québec à Trois-Rivières, qui a publié une lettre ouverte au moment de l’annonce d’un financement pour compenser le stage final en éducation. Selon lui, cette nouvelle mesure « continue lentement, mais sûrement, à assimiler la population à une logique de marché. Il ne reste qu’un pas à franchir pour choisir la privatisation plutôt que la gratuité »[7]. Cette position, quasi hégémonique dans la gauche étudiante durant la grève de 2012, illustre bien le mythe qui persiste selon lequel sans salaire, le secteur de l’éducation serait « hors du marché ».

Les plus « syndicalistes » proposent plutôt de se concentrer à l’amélioration des conditions de travail en emploi (avec la campagne pour un salaire minimum à 15$/heure par exemple). Un autre groupe de l’UQAM d’inspiration appelliste préfère frapper l’imaginaire en proposant la « destitution » du travail (dans ses rêves ou par le sabotage, c’est selon) sans pour autant quitter l’école. Dans un des zines qu’il a produit à l’hiver 2019, on pouvait lire que l’université demeure « un terreau fertile au développement de nouvelles idées, à la redécouverte d’anciennes pratiques de soin qui brassent, pour rencontrer d’autres gens un peu paumés qui veulent autre chose ». Dans l’édito du même zine, on défend l’université comme un lieu d’échanges et de partages de connaissances qui sert à « nous rendre plus brillant.e.s collectivement »[8]. Cette posture, que l’on pourrait qualifier au mieux de candide, ne rend ainsi compte que d’une réalité très partielle de l’éducation.

Bien souvent, cette critique de la marchandisation contre le salaire étudiant s’accompagne de l’idée qu’un salaire accentuerait l’aliénation de l’activité étudiante. Comme si, du jour au lendemain, l’obtention d’un salaire signifierait l’aliénation immédiate. Comme si, parce qu’ils reçoivent un salaire, les stagiaires en génie seraient plus aliénés que les stagiaires en soins infirmiers – ces dernières exécutant leurs tâches gratuitement. Ou encore, comme si la gratuité du travail représentait un espace hors de la pression à la productivité et des rapports de domination qui encadrent le monde du travail, ou comme si les étudiant.e.s contrôlaient les finalités et les conditions de leur activité parce qu’elle n’est pas salariée.

Les réactions face à la grève des stages ont pourtant démontré toute la pertinence de concevoir les études comme un travail alors que le traitement des grévistes se rapprochait fortement de celui réservé à des employé.e.s. Les exemples frôlent parfois le ridicule. Comme lorsque, durant la grève, un enseignant dans une école primaire s’est retrouvé dans l’embarras parce qu’il avait pris des engagements envers des collèges en comptant sur la présence du stagiaire qu’il supervisait pour pallier son absence en classe. Un autre stagiaire, cette fois dans un organisme communautaire, s’est vu offrir un emploi rémunéré au même endroit pour contrer son absence durant la grève des stages. Et dans les universités, plusieurs directions de programmes ont exigé de manière non uniforme la reprise des heures de stage manquées pour se comparer aux « conséquences dans une situation d’emploi où il y aurait perte de salaire ».

***

De « Une apparence de contradiction » (article complet) :

Les coalitions, qui réunissaient des groupes et des militant.e.s de différentes affiliations et de différentes tendances politiques autour d’une revendication comme la rémunération des stages, présentaient un mélange d’unité et de pluralisme. Certes, la revendication centrale conférait un aspect unitaire à l’organisation, mais cette unité s’est articulée à travers une multiplicité de tendances politiques privilégiant des tactiques et des stratégies différentes, et qui sont parfois entrées en contradiction les unes avec les autres. Plus la revendication ou la plateforme unitaire est large, plus la diversité des tendances est susceptible de déboucher sur des contradictions – et éventuellement des conflits – entre différentes tactiques et stratégies.

Or les débats et les luttes de tendances qui découlent de la double nature (unitaire et pluraliste) des coalitions de type décentralisé ne sont pas des écueils qu’il faut chercher à éviter. Bien au contraire, ils sont garants du dynamisme politique essentiel à toute organisation qui veut se développer en fonction de la lutte et de ses besoins. Par exemple, les coalitions pour la rémunération des stages n’ont adopté aucune plateforme officielle stipulant qu’elles étaient des organisations féministes. Néanmoins, les tendances les plus féministes parmi celles qui se sont impliquées au sein de cette campagne unitaire ont mené une lutte de chaque instant pour défendre la conception selon laquelle la revendication de rémunérer les stages présuppose une analyse féministe de la société et de la division du travail, et que cette analyse comporte des implications directes concernant les discours, les tactiques et les stratégies à privilégier pour faire valoir cette revendication dans le contexte d’une lutte politique comme la grève. Force est de constater que la lutte menée sur ce plan par les tendances féministes des coalitions a eu un effet important sur l’alignement politique de ces dernières depuis leur création. Force est aussi de constater que cela s’est fait à travers des débats et des confrontations, et non pas parce qu’une coexistence passive et dénuée de conflictualité entre les différentes tendances a magiquement débouché sur un consensus quant à la centralité irréductible du féminisme dans la campagne.

***

De « L’autonomie réellement existante » (article complet) :

Pour celles qui en ont posé les bases, il était impensable de se lancer dans un projet de campagne large sans que celle-ci ne soit fondée sur une analyse féministe. Et il semblait impossible, pour se faire, de s’organiser autrement qu’en autonomie. En effet, la conception de l’autonomie telle qu’on l’a appliquée était en phase avec les principes d’organisation des traditions féministes les plus à gauche. Ces dernières s’organisent sur une base antiautoritaire, décentralisée, communautaire et indépendante des partis politiques. Elles privilégient les décisions par consensus et la rotation des tâches, se passent de la figure paternaliste du leader et jouissent même d’une autonomie au sein des organisations de masse, en opposition aux structures verticales sur lesquelles se fondent les sociétés patriarcales.

Les expériences passées dans les associations étudiantes étaient convaincantes en ce sens. Le mouvement étudiant ne sert pas les intérêts des étudiantes, surtout pas de celles inscrites dans les programmes techniques et professionnels. Même les positions centrales de la gauche étudiante, comme la critique de la marchandisation, servent les intérêts d’une élite intellectuelle à laquelle peu de femmes ont accès. Cela transparait dans la culture et les pratiques syndicales qui demeurent, somme toute, verticales et virilistes. Des comités femmes sont créés dans à peu près toutes les associations étudiantes, locales et nationales, et doivent consacrer le plus gros de leurs efforts à en atténuer les effets : gestion des comportements machos et des violences, langage de domination et tours de parole, accessibilité des espaces, prise en compte des dimensions affectives des luttes, etc. On s’était habituées à aborder les enjeux féministes en tant que lutte secondaire. C’est pour dépasser ce rôle que le Comité femmes de l’ASSÉ s’était scindé de cette dernière en 2012 pour devenir le Comité femmes GGI[2]. Cette fois-ci, on inverserait le paradigme en inscrivant une lutte étudiante dans le mouvement féministe et, par conséquent, un mode d’organisation proprement féministe s’imposait. Plus encore, pour reconnaitre la pluralité des féminismes, il fallait des espaces d’organisation flexibles qui respectaient les particularités, incluant leur mode d’organisation[3].

Évidemment, on n’a pas pour autant pu éviter la tâche de torcher derrière les militants. À quelques reprises, des comités féministes et des étudiantes ont contacté des militantes des CUTE pour dénoncer des violences sexuelles commises par des militants impliqués dans la lutte des stagiaires. En non-mixité à l’InterCUTE, rencontres regroupant les différents comités autonomes, les militantes ont pris la décision d’exclure les militants concernés de tous les espaces d’organisation de la campagne. Et puisque ces espaces, ce sont elles qui les avaient créés et elles qui les occupaient, l’exclusion des hommes était beaucoup moins remise en question et se trouvait légitimée de facto. Les violences sexuelles ont été identifiées comme du sabotage en raison de la désorganisation qu’elles ont causée sur différents campus et de la charge de travail supplémentaire qu’elles impliquaient pour les militantes qui portaient déjà à bout de bras la mobilisation. Tout cela a bien sûr joué pour beaucoup quant à l’opposition spontanée de plusieurs d’entre elles aux partys et aux bed-in proposés à plusieurs reprises durant la campagne par les militants dans et autour des associations étudiantes.

***

De « Tu travailles pour qui? Une grève, trois récits » (article complet) :

Une vingtaine de personnes entrent dans les bureaux de la direction. Elles ont bien réussi leur coup : la porte n’était pas barrée. Les employé.e.s ne savent pas où se réfugier. Ce n’est pas long que les Gardas se pointent, suivis du vice-doyen, en panique. Les représentant.e.s des syndicats des profs et des chargé.e.s de cours se joignent aussi à la mêlée.

Le personnel tente de désamorcer la situation usant de stratégies de négociation infantilisantes peu subtiles. Les occupant.e.s sont relativement calmes pourtant. Seulement, iels exigent qu’aucun.e stagiaire en grève ne soit mis.e en échec ou n’ait à reprendre les heures de stage débrayées, comme c’est le cas pour les cours. Iels ne quitteront pas les bureaux sans un engagement écrit. Le vice-doyen se porte à la défense de l’institution, insistant sur le respect de la durée des stages et sur les objectifs fixés. De leur côté, les représentant.e.s des syndicats essaient de comprendre pourquoi une telle occupation a lieu. Alors que la discussion arrive à un cul-de-sac, le vice-doyen mentionne qu’il y a une rencontre, en après-midi, avec les directions de programme et l’administration – une autre ! – pour discuter de la situation des stagiaires qui ont fait la grève. Un bon moment pour se faire entendre, selon une représentante syndicale.

Après quelques heures d’occupation, voilà qu’un exécutant débarque nu bas, un peu nerveux. On pourrait croire qu’il répond à un appel d’urgence. Il réclame une mise à jour des stagiaires et étudiant.e.s : comment se déroule l’occupation, quels sont les derniers développements, la nature des échanges avec le vice-doyen, les demandes formulées ? C’est qu’il ira à la rencontre tout à l’heure. Il veut bien les représenter ; il mettra même des chaussures pour l’occasion. Quels intérêts défendra-t-il ? Il est difficile de le savoir. « Et c’est quand que vous allez mettre fin à l’occupation ? »

***

De « Cachez ce travail » (article complet) :

Vouloir élargir la catégorie des travailleur.euse.s n’équivaut pas à en revendiquer l’identité ni à adopter une posture productiviste. Bien sûr, il faut admettre que la construction d’une identité de classe à travers la figure de l’ouvrier de masse se fait souvent au détriment des enjeux de genre, de sexe, de race et de colonisation. L’idée selon laquelle la classe ouvrière correspond aux hommes blancs qui travaillent sur des chaines de montage a toujours été une lubie, qui survit encore aujourd’hui dans le seul intérêt de certains milieux de gauche et syndicaux qui la véhiculent. Le point de la lutte n’est pas de porter le prolétariat en triomphe : elle doit aussi mener à son abolition en tant que classe inscrite dans les rapports capitalistes. Les mouvements syndicaux des secteurs ouvriers traditionnels, comme l’industrie de la construction, montrent bien comment le corporatisme et le nationalisme, au lieu de contribuer à l’établissement d’une conscience et d’une solidarité de classe, nourrissent les préjugés et la discrimination envers les personnes immigrantes, racisées et envers les communautés autochtones. En élargissant la définition du travail, en s’organisant sur une base non corporatiste et sans palier national, on peut au contraire tenter « de mettre fin aux divisions créées au sein de la classe ouvrière par le développement capitaliste »[4], pour reprendre les mots de Silvia Federici.