Montréal Contre-information
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Vie ouvrière : Nouveau podcast de Dure Réalité

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Mar 062019
 

De Vie ouvrière

 

Dans ce premier podcast, l’équipe de Vie ouvrière vous présente:

-Reportage sur la grève qui a lieu en ce moment à la TÉLUQ.

-Chronique Kulture-Ouvrière, K-O avec Chloé. Sting et la solidarité entre travailleur et travailleuse.

-Chronique sur la parentalité dans la lutte des classes, un regard sur l’expérience cubaine.

-Entrevue avec 1 des 5 courrier à vélo, tous sauvagement mis à la porte par la compagnie QA courrier, à Montréal.

-Reportage sur sur une grogne populaire, contre l’embourgeoisement de leur quartier, Hochelaga.

-Vox Pop à Asbestos:  »70 ans plus tard, si je vous dit  »grève de l’amiante » ça vous dit quoi? »

Proprio sur la plage, travailleur-ses à la rue: Les ancien-nes employé-es du M. Mme réclament plus de 20,000$ en salaire impayé

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Mar 062019
 

Du SITT-IWW

Outre nos campagnes d’organisation, le SITT-IWW organise aussi des campagnes Réclame ta paye, où nos membres viennent en aide à des travailleurs et travailleuses qui se sont fait volé leur salaire après avoir été renvoyé.e.s. Ces campagnes concernent le plus souvent la restauration et des cas de quelques centaines de dollars. Lorsqu’une travailleuse est entrée en contact avec nous au sujet de quelques salaires impayés dans un restaurant qui venait de fermer, nous ne nous attendions pas à l’ampleur de la situation qui allait se présenter à nous.

Présentement, le SITT-IWW est sur un énorme cas pour sa campagne Réclame ta paye : plus de 20.000 $ en salaire et pourboires non payés et 11 personnes impayées, depuis au moins décembre dernier, plus pour certain-es. Certains-es des travailleurs et travailleuses ont été dans l’incapacité de payer leur loyer, d’autre ont dû demander de l’aide à des banques alimentaires ou bien ont eu des comptes de banque dans le négatif suite à  de nombreux chèques sans fonds de la part des boss. Toutes ces personnes ont travaillé au bar à vin M.Mme situé au 244 Laurier Ouest à Montréal, qui a fermé ses portes soudainement le 26 janvier dernier.

Les boss et l’historique: 

Les propriétaires sont John Hovannes Kalanjian, Asbed (ou Aspid) Istanboulian et Sevan Istanboulian. Les deux derniers sont aussi propriétaires du Café Mystique, un distributeur de produits du café à travers le monde et présent dans plusieurs commerces au Québec. Ils sont aussi propriétaires de la chaîne de café Toi, moi et café qui tente de s’implanter dans plusieurs stations de métro à Montréal. Basé sur les témoignages des travailleurs et travailleuses, nous voudrions vous en apprendre plus sur la façon d’agir d’Asbed avec ses employés-es. Asbed était le boss le plus présent des deux frères au M.Mme et au Toi, moi et café voisin du restaurant.

Comme ces deux commerces partagent un couloir arrière communiquant entre eux, il était facile pour les employés-es d’apprendre davantage sur les mauvaises habitudes d’Asbed Istanboulian, qui sévit depuis plusieurs années : d’autres histoires de vol de salaires, vol de pourboires, retard de payes, chèques sans fond… Asbed aurait aussi l’habitude de profiter des conditions précaires de travailleurs et de travailleuses en situation d’immigration pour les faire travailler énormément, les sous-payer ou bien tout simplement ne pas les payer à la fin.

De plus, Asbed Istanboulian a un historique de négligence et d’insalubrité dans la gestion de ses commerces. Afin d’économiser sur des coûts liés à la salubrité, il préférait utiliser des trappes à souris non réglementaire — clients-es et employés-es coexistaient avec des souris bruyamment agonisantes — au lieu de faire appel à un exterminateur, ce qui n’est pas conforme aux règles de la MAPAQ. Il a tendance à ne pas payer certains fournisseurs et des factures impayées au point où il a reçu plusieurs visites d’huissiers au restaurant. Il a aussi tendance à être très peu joignable par ses employés-es, laissant ainsi ces derniers et dernières sans les moyens minimums nécessaires au bon roulement d’un restaurant, comme par exemple négliger de passer des commandes à des moments névralgiques du restaurant (comme des réservations et des partys de bureau). Il avait aussi coutume d’accuser les employés-es d’être les causes des problèmes financiers du restaurant.

Asbed Istanboulian n’est pas à ces premiers vols de salaires puisque nous savons que l’ancienne équipe du restaurant M.Mme avait intenté des plaintes aux normes du travail et que nous avons retrouvé sur leur page Facebook un témoignage d’il y a 4 ans d’une travailleuse du Toi, moi et café sur Laurier qui s’était fait voler son salaire. Nous avons aussi appris que des employés-es d’autres Toi et moi café n’auraient pas été payé.e.s.

La situation en ce moment:

Le syndicat a déjà entrepris des actions syndicales envers les propriétaires du M.Mme. Deux travailleuses sur 11 ont été payées! Le comble? Nous avons appris qu’Asbed est parti en voyage dans le sud pour la semaine! Comme quoi le bonheur de certains se fait au profit de la misère de certain.e.s. Le syndicat n’a pas l’intention de laisser un boss faire l’autruche.

Pour conclure, sachez que le Café mystique, propriété de Asbed Istanboulian, se targue d’être le plus grand distributeur de café équitable au Canada, alors qu’il n’est pas du tout équitable avec ses employés-es. Sachez aussi que lui et ses partenaires prévoient d’ouvrir 26 nouveaux Toi, moi et café dans des stations de métro et à l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont. Nous vous invitons vivement à boycotter les Toi, moi et café et les produits de Café mystique et à dénoncer sur leurs pages Facebook et autres sites promotionnels de ces commerces les agissements des propriétaires, notamment des salaires et pourboires qu’ils ont été volés à plusieurs travailleurs et travailleuses.

Nous lançons ainsi un appel à tous et toutes: si vous aussi avez par le passé travaillé pour Asbed Istanboulian – au Toi moi & Café, au restaurant M.Mme ou autre – et que vous avez été victime d’un vol de salaire, contactez le SITT-IWW. Nous vous offrons notre solidarité et sommes prêt.e.s à vous venir en aide.

An injury to one is an injury to all!

Pour une redéfinition du sujet de la lutte

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Jan 292019
 

De Temps libre

Considérations sur le concept de « travail étudiant » tel que théorisé par le mouvement étudiant actuel

(I) La perspective de lutte des CUTE comme dépassement du « droit à l’éducation »

L’entrée en scène des Comités Unitaires sur le Travail Étudiant se présente comme l’occasion enfin trouvée d’en finir avec les perspectives politiques du mouvement étudiant telles qu’elles nous ont été historiquement offertes. Cet état de fait a tout pour réjouir quiconque souhaite provoquer une transformation sociale réelle, à même d’excéder le strict cadre de l’éducation postsecondaire. Avant les CUTE, les perspectives de lutte engendrées par le mouvement étudiant québécois – dans son histoire récente – étaient essentiellement dirigées vers la défense du « droit à l’éducation », phare resplendissant d’une critique de la marchandisation des institutions scolaires; si resplendissant qu’on a relégué –  consciemment ou non –  toute perspective de subversion de la société capitaliste au second plan. En effet, la critique humaniste, « citoyenne », de l’arrimage de l’école aux besoins du capital tourne, chaque fois, rapidement court. La militante ou le militant qui s’évertue à défendre l’accès à l’éducation pour tous et toutes est rapidement amené·e à comprendre qu’une lutte de longue haleine contre la société capitaliste et sa tendance inexorable à rendre toutes les sphères de la vie sociale adéquates à son procès ne peut être menée sur la base d’idéaux; et de fait, l’ « éducation citoyenne », « universaliste » et  « émancipatrice » n’est que très rarement considérée par les couches les plus exploitées de la société comme quelque chose digne de les faire entrer, aux côtés des étudiant·e·s, en lutte ouverte contre cette société. Ainsi isolé·e, perdu·e, notre militant·e universaliste a tôt fait de devenir, à son tour, un simple rouage de l’économie capitaliste. Mais fort heureusement, il se trouvera toujours une coopérative docile de Centre-Sud ou d’Hochelag, une centrale syndicale ou même un parti de gauche à la mode qui sera prêt·e à l’accueillir bienveillamment en son sein.

Au cours des deux dernières années, les CUTE ont efficacement pointé le cul-de-sac théorique et pratique vers lequel de telles perspectives politiques dirigeaient le mouvement étudiant. En ce que ses fondements théoriques le faisaient s’illusionner sur la signification de la fonction concrète des étudiant·e·s à l’intérieur de la société capitaliste, le mouvement étudiant traditionnel s’était toujours interdit une compréhension minimalement sérieuse du rôle spécifique de la sphère de l’éducation à l’intérieur du capitalisme, à savoir : celui d’assurer la reproduction des rapports sociaux qui rendent eux-mêmes possible ce mode de production. En reprenant la réflexion qui donna naissance et alimenta le Collectif Féministe International (CFI, 1972-1977), les CUTE ont su insisté sur la nécessité pressante de définir le rôle des étudiant·e·s dans leur rapport à la totalité capitaliste et introduire, par le fait même, la possibilité de dépasser les limites historiques de l’ancien mouvement étudiant.

Ce renversement de cadre d’analyse opéré à l’intérieur du mouvement étudiant n’est pas sans impact sur les luttes actuelles et à venir. De la même manière que les féministes marxistes du CFI comprennent que « si la famille est un centre de production, essentiel au capitalisme et à la vie même, il peut être aussi un centre de subversion [1]», les analyses actuelles des CUTE permettent de saisir la nécessité de l’activité étudiante pour la reproduction du capitalisme et, par le fait même, son potentiel subversif.

Dans la lignée du mouvement Wages for Housework du CFI, les militantes des CUTE ont habilement démontré le caractère profondément féministe des objectifs d’une lutte qui vise à mettre fin au travail gratuit que représentent les stages non-rémunérés[2]. Alors que certains stages sont bel et bien rémunérés, force est de constater que l’écrasante majorité de ceux qui ne le sont pas sont occupés par des femmes parmi lesquelles les personnes racisées et immigrantes sont surreprésentées. Les militantes des CUTE font voir très pertinemment que cette situation relève d’une séparation sexiste, raciste et systématique entre travail productif – traditionnellement masculin – et travail reproductif (travail ménager, santé, éducation, protection sociale, etc.) – historiquement imposé aux femmes et aux personnes racisées. Le labeur gigantesque de reproduction et d’entretien de la force de travail – pour être approprié moyennant la plus infime compensation possible – s’est vu profondément banalisé, invisibilisé et naturalisé par une idéologie patriarcale qui pérennise cette division sexuelle du travail.

C’est précisément parce que le discours et les pratiques actuelles des CUTE ouvrent de nouvelles potentialités subversives qu’un groupe comme le nôtre juge pertinent d’intervenir dans la lutte actuelle. Effectivement, la lutte pour la rémunération des stages et la théorie sur laquelle celle-ci se base peuvent être le début d’une reconfiguration du mouvement étudiant qui prend pour cible l’exploitation et qui, par le fait même, peut briser l’isolement habituel des luttes étudiantes. Toutefois, certaines bases actuelles du mouvement doivent être dépassées pour rendre possible une lutte orientée vers des intérêts communs aux autres travailleur·euse·s exploité·e·s. Notre présente intervention vise précisément à contribuer au dépassement de ces limites. Nous la savons d’autant plus justifiée par le fait que cette volonté d’orienter le mouvement étudiant vers une subversion sociale large est loin de nous être exclusive ; elle est explicitement partagée par plusieurs militant·e·s des CUTE[3].

En s’inspirant du Wages for Housework et plus particulièrement de Wages for Students (1975), les CUTE eurent tôt fait d’adopter leur stratégie : demander la salarisation et le statut de travailleur.euse pour l’étudiant.e afin de rendre visible le fait qu’il s’agit d’une activité nécessaire à la reproduction du mode de production capitaliste. Rendre visible le fait que l’activité étudiante sert ultimement à la classe capitaliste serait le point de départ d’une prise de contrôle sur cette activité. Cette stratégie en serait ainsi à sa première étape avec la lutte pour la rémunération des stages qui « représentent la face visible et perceptible dans toute sa brutalité de l’exploitation du travail étudiant[4] ». Or, la focalisation quasi exclusive du mouvement sur la revendication de la rémunération de tous les stages place présentement à l’arrière-scène les perspectives de luttes plus radicales que contient la théorie développée par les CUTE, à savoir : celles visant à faire prendre conscience du rôle essentiel de la sphère de l’éducation dans la reproduction du système capitaliste dans sa totalité, comme moyen d’acquérir un levier de pouvoir contre celui-ci. En plaçant l’étape de la salarisation comme absolument nécessaire à la subversion du système d’éducation tel que produit par le capitalisme, ce qu’il y a de plus fécond dans ce mouvement court alors le risque d’être relégué aux oubliettes par la dynamique réformiste de la lutte pour la rémunération des stages. Ainsi, plusieurs militant·e·s pour lesquel·le·s la nécessité de l’abolition du capitalisme est immédiatement admise s’énervent devant l’apparente acceptation du salariat (comme rapport social) par les CUTE. C’est peut-être la raison pour laquelle, au cours des derniers mois, les ingouvernables[5] ont pu canaliser – pour le meilleur et pour le pire – la volonté d’amener la lutte plus loin.

 

(II) Critique des « ingouvernables ». Sur le refus de ce-dont-on-ne-peut-pas-mentionner-le-contenu

Si, à première vue, la récente « polémique » entre les ingouvernables et les CUTE peut avoir l’allure d’une chicane de corridor purement uqamienne, nous sommes persuadé·e·s que le contenu du débat n’est pas pour lui-même sans intérêt – aussi semblerait-il malvenu de notre part de ne pas faire l’analyse d’un groupe monopolisant présentement l’essentiel du discours à prétention révolutionnaire. Notons au passage que la réponse féministe de leur groupe[6] a pertinemment dénoncé l’hostilité de certain·e·s membres des CUTE envers toute action autonome émanant d’organisation extérieure – chose qui leur a aussi été reprochée au sein de leurs propres rangs[7]. Cette attitude inflexible adoptée par une certaine fraction des CUTE, qui se résume à éluder les initiatives et critiques extérieures sous prétexte d’ « antiféminisme » et/ou d’ « opportunisme », menace de nuire au développement des nécessaires débats internes. Pour toutes ces raisons, nous croyons intéressant de considérer brièvement l’alternative que les ingouvernables opposent aux CUTE.

Avant d’entrer dans le cœur du débat : qui sont ces ingouvernables? La jeune existence du groupe et le caractère extrêmement abstrait de la plupart de ses productions théoriques posent la réponse à cette question comme un grand défi. Nous savons minimalement que les ingouvernables rassemblent en leur sein nombre de militant·e·s directement issu·e·s de la frange anarcho-rad dont nous avons pu observer le développement quantitatif lors des grèves étudiantes de 2012 et de 2015. Ce qui, toutefois, est inédit, c’est bien l’intérêt porté pour les positions théoriques du Comité Invisible et pour celles de la très humoristique revue Tiqqun – conjonction théorique qui forme, nous le verrons, leur confuse unité idéologique. Pour ce qui nous intéresse plus particulièrement ici, les ingouvernables forment un groupe dont une partie des activités a consisté, jusqu’à présent, à tenter de pousser plus loin la lutte pour la rémunération des stages en s’appuyant sur les concepts d’« autonomie » et de « refus du travail ».

Pour ce groupe, l’intervention visant à radicaliser la lutte n’a pas mille chemins à suivre, elle n’a pas à détailler les conditions d’existence précises des personnes en lutte pour dégager rigoureusement ce contre quoi il s’agit de lutter. Non, faire une telle chose, c’est-à-dire partir de notre situation concrète dans la société capitaliste comme étudiant·e ou comme travailleur·euse, est d’emblée problématique : « Plutôt que de poser l’identité “travailleur/travailleuse” comme base de toute revendication politique, nous voulons en tracer l’éclatement, nous penser comme non-travailleurs/travailleuses, comme contre le travail.[8] » Apparemment, « être contre le travail » ne nécessite pas de se comprendre et de se définir, notamment, comme travailleur·euse exploité·e par le capital dont le surtravail est utilisé pour reproduire les conditions de sa propre exploitation; ce serait là réutiliser la catégorie de travail (!), ce serait « s’opposer frontalement à elle » (ce qui serait un problème?), alors que nous devons « la vider, la neutraliser[9] ». Dit autrement, il faudrait prendre comme cible le travail en ne disant absolument rien de l’expérience du travail, puisqu’il s’agirait là de parler le langage de notre ennemi[10].

Se pose alors la question suivante : comment se définir contre le travail tout en étant hors du travail? Pour ce faire, voyons comment les ingouverné·e·s définissent le travail, ce qui nous permettra de déterminer, par la négative, le terrain subversif sur lequel il est encore possible de lutter: « Le travail c’est tout ce qui nous est imposé de faire pour survivre dans un monde structuré par le capital. […] Le travail devient travail lorsqu’il ne participe pas à la création de sens véritable de nos vies.[11] » Ainsi, le travail n’a pas besoin de produire un bien ou un service appropriable, ce peut même être « les téléséries qu’on se claque pour ne plus penser à rien[12] », tant qu’il s’agit d’une activité faite là où les rapports sociaux capitalistes sont effectifs. En comprenant que les rôles imposés par le capitalisme ne peuvent guère servir de base positive à la construction d’une activité révolutionnaire, les ingouvernables en viennent à dire qu’une telle activité doit être construite à l’extérieur de la société capitaliste. Lorsqu’on comprend qu’être hors de la société capitaliste est uniquement possible par l’abolition de celle-ci, on réalise que tout ce qui vient d’être dit se résume à ceci : pour construire une activité révolutionnaire, il faut… une activité révolutionnaire! En sa qualité de tautologie, un tel procédé rhétorique trouve sa plus grande richesse dans l’impossibilité de dire une fausseté. Le fait qu’il s’accompagne de la certitude de ne rien dire ne semble pas les gêner pour l’instant. Les ingouvernables tentent alors d’en dire plus sur ce que peut être, aujourd’hui, une activité révolutionnaire qui « échapperait » au capital. Ici encore, les résultats sont largement insatisfaisants : une fois qu’un groupuscule est formé dans le but de résister à l’« ordre établi », il doit élaborer des « formes » (?), ou des « plans d’existence », qui permettent une activité hors du capital. Pour reprendre leur précision chirurgicale, « les plans d’existence visent à fragmenter, transversalement, les territoires et les vies. À faire monde à travers et à l’abri de la modernité coloniale. Être autonome c’est faire grandir les mondes que nous sommes.[13] » Pour faire « grandir un monde » (?) hors du capitalisme, nul besoin d’une lutte internationale qui rendra irreproductibles les rapports sociaux capitalistes, car le niveau d’organisation « le plus petit et le plus puissant est sans doute l’échelle moléculaire, qui surgit des liens de vie quotidiens, d’amitié et d’amour, du refus de la discipline et du plaisir d’être ensemble. » Une fois cette molécule (?) formée, on peut alors passer à un plan proprement révolutionnaire en une étape facile : il suffit d’établir « le réseau diffus et invisible qui lie l’ensemble des plans spécifiques[14] ». Ainsi, le groupuscule le moins nombreux possible, basé dans une forêt du Témiscamingue – à condition qu’il possède « [une] carte, [une] représentation graphique d’une région, d’un réseau[15] » indiquant le lieu précis du squat de ses ami·e·s d’Hochelag – serait probablement le plus à même de faire trembler le capitalisme mondialisé. Voilà donc en quoi consiste le flegmatique propos des ingouvernables : après avoir créé une multiplicité de « mondes » (mondes dont on ne sait toujours rien, mais qui – magiquement –, couvent des rapports sociaux tout neufs), une gigantesque fissure jaillira spontanément et, tel le plus violent de tous les séismes sociaux, anéantira la totalité capitaliste.

Pour une analyse critique de la lutte

À cette manière d’intervenir dans la lutte actuelle qui se limite à un appel abstrait à la « révolution », nous voulons opposer un mode d’intervention réellement à même d’intensifier et de radicaliser le mouvement présent. Le mode d’intervention des ingouvernables ne fait que refuser le caractère « étapiste[16] » de la stratégie des CUTE, tout en laissant intact et pur l’ensemble de leur système théorique; rien n’a été dit sur leurs concepts de travail, d’exploitation, de reproduction sociale – on ne lui a qu’opposé une immédiate et candide « radicalité » qui s’apparente plutôt à de l’astrologie qu’à une théorie de la révolution. Plus encore, la conception « ingouvernable » du travail, en intégrant toute activité dont la finalité est de supporter le poids de l’existence sous le capitalisme, rend impossible, de par son caractère exagérément extensif, toute définition un tant soit peu déterminée du concept d’exploitation. La « critique du travail », si elle ne se fonde pas explicitement dans une théorie du mode de production capitaliste comme système d’exploitation dont le but est l’extorsion de plus-value, ne peut mener qu’à des phrases abstruses ne présentant aucun intérêt pour les luttes actuelles. Bien que les ingouvernables reconnaissent l’insuffisance de la salarisation pour l’abolition de l’exploitation, illes ne parviennent guère à démontrer rigoureusement en quoi le salaire ne peut pas correspondre à la valeur du travail dans le système capitaliste, en quoi une partie de la population étudiante partage les intérêts objectifs du prolétariat, en quoi l’éducation joue un rôle spécifique dans la reproduction de la société capitaliste ni en quoi, finalement, ce rôle en fait un terrain de lutte aussi intéressant que complexe.

Intervenir dans une lutte pour l’orienter vers une potentielle rupture révolutionnaire, ce ne peut pas être autre chose qu’offrir une lecture claire et précise de la situation qui saisit la manière dont les intérêts contradictoires en jeu s’articulent. C’est faire voir explicitement que le problème de l’exploitation – présentement soulevé par les CUTE – est impossible à résoudre à l’intérieur du mode de production capitaliste. C’est démontrer en quoi certains groupes exploités en lutte partagent les intérêts objectifs de l’ensemble du prolétariat et, inversement, en quoi certains groupes participant à la mobilisation peuvent poursuivre des intérêts qui sont ultimement antagonistes à ceux des exploité·e·s. Concernant la lutte en cours, cette tâche ne peut être menée à terme qu’à la condition, dans un premier temps, de critiquer les concepts de « travail étudiant » et d’« exploitation » tels qu’utilisés par les CUTE, ainsi qu’à la condition, dans un deuxième temps, d’exposer le rôle de l’éducation dans la reproductions de toutes les classes de la société capitaliste – au terme de quoi il sera possible de déconstruire pour de bon le mythe d’un « sujet étudiant » uniformément constitué par l’exploitation de son travail : l’étude. C’est ce que nous entendons faire dans la troisième partie de ce texte.

 

(III) Impasses théoriques des CUTE

Aucune lutte n’a jamais attendu d’avoir produit la théorie de ses pratiques avant de s’être lancée dans la « Pratique ». Cela n’est ni bon, ni mauvais; il s’agit simplement de la manière dont les choses se passent. Les protagonistes d’une lutte s’y lancent à l’aide des concepts qui leur sont immédiatement disponibles et tentent, à partir d’eux, de comprendre et d’anticiper son cours en produisant des connaissances sur les enjeux pour le faire infléchir vers le but souhaité. Le développement d’un mouvement mène chaque fois ceux et celles qui y prennent part à corriger ses matériaux théoriques initiaux parce que les événements eux-mêmes les poussent à le faire, en ce qu’ils remettent en question sa cohérence, sa portée explicative, sa capacité à rendre compte de manière exhaustive de la réalité de la lutte[17].

Selon nous, le concept de travail étudiant, sur la base duquel les CUTE définissent le sujet du mouvement étudiant (i.e. l’étudiant·e comme travailleur·euse intellectuel·le exploité·e)[18], doit être dépassé, en sa qualité de « matériau initial », trouvé là – dans la mesure où il reste un simple emprunt à la frange historique du mouvement étudiant étatsunien organisé autour du texte Wages for Students. Nous concédons qu’une telle réutilisation directe n’a pas été sans bénéfice – et pour preuve, elle a été grandement utile pour en finir avec la définition humaniste-idéaliste de l’étudiant·e, mais nous voyons en elle une limite qui, si elle n’est pas adressée, ne pourra empêcher que cette lutte, à son tour, frappe un mur. Il est maintenant absolument nécessaire d’approcher réflexivement, donc théoriquement, les pratiques théoriques[19] du mouvement en cours. Dans quelle mesure? Dans la mesure où les CUTE misent précisément sur le fait que c’est sur la base d’une telle conceptualisation du «  sujet » de la lutte étudiante que cette dernière serait à même de sortir de ses gonds pour rejoindre les autres catégories d’exploité·e·s[20]. Nous soutenons que le mouvement présent,  s’il ne se penche par sérieusement sur les questions qui sont soulevées ici, non seulement ne saura sortir de son moment strictement « revendicatif » – ce qui représente le but explicite de nombreuses personnes organisées au sein des CUTE -, mais pourra même compromettre la réponse à ses revendications immédiates. En ce sens, le problème concerne toute personne pour qui le succès de cette lutte vaut quelque chose.

Qu’est-ce que le travail étudiant? 

Les CUTE utilisent le concept de « travail étudiant » suivant la définition offerte par Wages for Students; texte qui reprend lui-même en apparence – c’est la thèse qui sera ici défendue – l’argument développé par les féministes marxistes relativement à l’exploitation du travail reproductif, mais en l’adaptant à l’activité étudiante. Nous soutenons que la reprise effectuée par les auteurs de Wages for Students est une reprise tronquée – au sens où ce qui est définitoire de l’exploitation du travail reproductif est évacué de la problématique du texte pour ne laisser toute la place qu’à un aspect relativement secondaire du problème. Nous verrons que ce procédé est rendu possible par substitution d’une question secondaire « tel travail bénéficie-t-il au capital? » à la question centrale « tel travail est-il approprié sans contrepartie, permet-il à autrui de se dispenser de travailler ? » Il est notable que féministes marxistes et féministes matérialistes aient pu proposer des réponses radicalement opposées à la question secondaire et se trouver, malgré tout, parfaitement d’accord sur la réponse à la question principale, à savoir que le travail reproductif effectué par les femmes constitue bel et bien une forme de surtravail. Cela indique que ce qui est définitoire de l’exploitation du travail reproductif n’est pas le fait qu’il soit « utile » aux hommes ou au capital, mais bien qu’il se résolve en surtravail, c’est-à-dire en travail gratuit. En effet, les féministes marxistes et matérialistes théorisent le travail reproductif comme un travail exploité parce que ce que les femmes produisent dans la sphère domestique – la cuisine, le lavage, le nettoyage, éducation des enfants, etc. – est approprié sans contrepartie, donc sans aucune forme de rémunération, par le mari[21]. Ceci fait donc dire aux féministes matérialistes que de tels rapports de production définissent deux classes – les hommes et les femmes – et un mode de production à part entière : le patriarcat[22]. Quant à elles, les féministes marxistes mettent immédiatement en relation ces rapports de genres au mode de production capitaliste, en affirmant que tout cela se fait aussi au profit du capital, en tant que celui-ci n’a pas à débourser un sou pour que toutes ces activitées qui rendent possible la reproduction de la force de travail (i.e. la reproduction biologique, matérielle de l’ouvrier et de sa progéniture) soit effectuée – et en cela, leur permet de relier la nécessité du patriarcat avec celle du capital compris comme totalité. Mais que tout ceci se fasse au profit de la « classe homme » ou du capital ne fait pas de différence pour ces deux courants relativement au fait que les femmes sont exploitées en tant qu’elles sont définies comme ménagères, c’est-à-dire contraintes à effectuer du travail dont d’autres peuvent ainsi être dispensés (en se dispensant des tâches ménagères pour les maris ou en se dispensant de rémunération vénale pour le capital) : leur accord profond sur la réalité de l’exploitation du travail reproductif effectué par les femmes traduit la centralité que doit accorder une analyse authentiquement matérialiste à cette question.

Pour quelle raison les féministes marxistes et matérialistes insistent-elles spécifiquement pour faire reconnaître le travail domestique et ménager comme un travail? Afin de dénaturaliser leur exploitation propre, et que soit enfin visible le fait que leur travail est approprié sans aucune forme de compensation. C’est bien pourquoi la catégorie de « travail » est mobilisée avant même que soit souligné – par les féministes marxistes – le fait que l’exploitation des femmes profite au capital et s’explique par lui[23]. Conséquemment, les tâches accomplies par le travail ménager ne sont pas du travail exploité seulement parce qu’elles sont « utiles » à la reproduction du capital, mais parce que ce qu’elles produisent – et qui permet concrètement de reproduire la marchandise-force de travail – est approprié par autrui. Ceci peut sembler être une distinction subtile et de peu d’intérêt, mais elle gagne tout son sens lorsqu’il s’agit de définir ce qu’est du travail exploité : pour qu’un travail soit tel, il faut a) que ce qu’il produit – matériellement ou sous forme de service – soit approprié par autrui et b) que les divers éléments du rapport (l’exploité·e/l’exploitant/le produit approprié médiatisant le rapport) soient effectivement reproduits au terme du procès de travail[24]. C’est à ces conditions que répondent l’esclavage, le servage, le salariat et surtout, le travail domestique; il n’y a que la forme du surtravail qui diffère (plus-value, division du temps de travail inégal, rente, taille et corvée, etc.).

Pour sa part, le texte Wages for Students soutient que l’étude est un travail parce que les différentes tâches concrètes que rassemble l’étude (se tenir droit, faire ses devoirs, respecter l’autorité, recopier des passages, etc.) impliquent toutes que les étudiant·e·s s’auto-disciplinent : « The characteristic common to all the specific tasks that schoolwork involves is Discipline, i.e., forced work.[25] » En substance, s’il s’agit bel et bien de travail, c’est parce que cette autodiscipline est utile au capital et non aux étudiant·e·s en tant que tel·le·s[26]. On voit tout de suite le glissement dont il fut plus tôt question entre, d’un côté, cette définition du travail et, de l’autre, celle des féministes marxistes et matérialistes : le travail domestique est bel et bien un travail au sens où l’entend Wages for Students, mais surtout, – et c’est là l’essentiel – un travail exploité, parce que celles qui l’effectuent produisent plus que ce qui est nécessaire à leur propre reproduction et ne reçoivent pas d’équivalent de la part du mari[27] ; tandis que pour les auteurs de Wages for Students, ce qu’effectuent les étudiant·e·s est du travail parce qu’il est utile au capital et mérite rémunération à ce titre. On remarque ici que l’absence de critère par lequel peut être déterminé le caractère « utile » d’une activité pour le capital, revient à mobiliser l’argument banal, qu’à l’instar du matraquage de grévistes, de la surveillance généralisée et de la distribution de publisacs, l’étude est un travail utile au capital devant être, pour cette raison, rémunéré pour bons services rendus.

Que cela soit clair : nous ne soutenons pas que le salaire étudiant soit comme tel illégitime ou nuisible. Toutefois, si la revendication du salariat étudiant devait continuer à se fonder sur de telles bases théoriques, il faut avouer qu’il ne s’agirait plus là que d’une plate et fade forme de corporatisme étudiant. Inversement, si cette revendication s’appuie sur une analyse fondée sur les rapports de production et les rapports de pouvoir capable de mettre en lumière la réalité de l’exploitation présente ou future de certain·e·s étudiant·e·s (du type de celle qui a battu en brèche les mystifications patriarcales naturalisant l’exploitation des femmes) il devient alors possible de faire éclater le cadre du corporatisme étudiant de l’intérieur – dans la mesure où ce sont alors les intérêts objectivement partagés des exploité·e·s qui définissent le sujet de la lutte, plutôt qu’un sujet unifié par le titre pompeux du « jeune travailleur intellectuel » issu de la Charte de Grenoble. Selon cette charte et les auteurs de Wages for Students, il n’y a plus de différence entre un·e ouvrier·ère qui voit l’existence sociale de son propre travail objectivée dans le capital se retourner contre lui ou elle, et les futur·e·s gestionnaires du capital qui révisent leurs manuels de micro-économie pourris : tout le monde travaille et doit être rémunéré au même titre! Celui-là sue toute la journée à la job, celle-ci lui lave ses chaussettes lorsqu’elle rentre de son shift, et celui qui a fait sa technique policière les câlissent en prison lorsque les deux autres se fâchent : voilà qui s’équivaut et mérite un salaire! Il est intellectuellement inacceptable de faire comme s’il n’y avait pas de différence entre les tâches du travail ménager et l’activité de l’étudiant·e qui étudie en gestion, précisément parce qu’il s’agit de deux manières bien différentes de «  reproduire le capital » ou encore, de travailler. « Reproduire le capital » est sans rapport avec le fait d’être exploité·e, parce que tous les agents du mode de production capitaliste participent à sa reproduction réelle : les commerçants réalisent la plus-value contenue dans les marchandises de même qu’ils assurent la circulation des éléments matériels du capital, l’appareil d’État s’assure que les prolétaires restent calmes, les patrons assouvissent leur soif de profit en faisant effectivement valoriser leur capital respectif, les idéologues stabilisent le tout, etc. Ce brouillage de cartes fut réalisé en son temps par les apologistes de la classe des capitalistes et des propriétaires fonciers qui voyaient – fort à propos – naître la nécessité de légitimer « scientifiquement » le rôle économique de celles-ci :

Il était donc temps d’adopter un compromis et de reconnaître qu’étaient productives toutes les catégories que n’englobait pas directement celle des agents de la production matérielle. Passe-moi la rhubarbe, je te passerai le sené et, comme dans la « fable of the bees« , il fallait démontrer que même du point de vue économique, du point de vue « productif », le monde bourgeois avec tous ses « travailleurs improductifs » constitue le meilleur des mondes (…). Ceux qui ne faisaient rien aussi bien que leurs parasites devaient trouver leur place dans le meilleur des systèmes universels.[28]

Wages for Student commet la même bévue, en identifiant : étude, travail et travail exploité ainsi qu’en présentant les étudiant·e·s comme des membres de la classe ouvrière[29]. Il est vrai que suivant la définition parfaitement indéterminée du travail que nous offre Wages for Students, étudier = travailler; on doit toutefois ajouter aussitôt qu’en ce sens faire du karaté, lire un texte difficile, apprendre à parler une autre langue, faire des redressement assis sont aussi un travail. Mais c’est alors un sophisme grossier que d’identifier de telles formes banales de travail au travail exploité, catégorie conceptualisée de longue haleine par les féministes marxistes et matérialistes[30]. En identifiant « activité nécessaire au capitalisme » et « travail exploité », ainsi qu’en concevant les étudiant·e·s comme membres du prolétariat, les auteurs de Wages for Students oublient simplement une banalité : les capitalistes aussi vont à l’école.

 

La méthode Caffentzis

Professor emeritus George Caffentzis, l’un des auteurs de Wages for Students – actuellement actif dans la campagne des CUTE -, nous fournit, dans un texte différent, un autre exemple d’analyse absurde du travail étudiant; absurdité qui devrait, selon nous, inciter les CUTE à jeter au compost un tel concept. Voici les termes en lesquels il analyse son caractère exploité :

À l’intérieur de l’Université, deux formes de travail non rémunéré sont appropriées par le capital : 1) le développement de nouvelles « forces productives » à travers la recherche scientifique et ce que Marx avait appelé « le pouvoir du savoir objectifié »; 2) la reproduction de la force de travail et donc la hiérarchie des forces de travail de qualités différentes (sélection, division et stratification). Ainsi le capital s’approprie la science et l’éducation comme une partie gratuite du cycle de sa propre reproduction.[31]

Ces deux composantes sont censées mettre en évidence la réalité de l’exploitation du travail étudiant. Mais d’emblée, on peut légitimement se demander pourquoi son analyse prend pour point de départ l’Université en tant qu’institution, alors qu’il s’agit de prouver que ce sont précisément les étudiant·e·s qui exécutent ces deux formes de travail non rémunéré. Ainsi, lorsque l’on fait l’analyse de la famille ou de l’usine, on ne produit aucune connaissance sur la réalité de l’exploitation en disant : « il y a des formes de travail non rémunéré dans ces sphères ». Par là, on n’a identifié ni groupe ni activité, c’est-à-dire les éléments minimums par lesquels est définie l’exploitation. C’est là une banalité pour beaucoup, mais il faut le rappeler à Caffentzis : c’est toujours en partant de l’activité socialement déterminée d’individus que seront définis des rapports de production et conséquemment, des rapports de classe – comme polarisation de leurs activités[32]. Si nous savons qu’à l’intérieur de l’usine il y a exploitation, c’est parce que nous partons de l’activité socialement déterminée d’individus (les travailleur·euse·s) et nous analysons son circuit : achat-vente de la force de travail, procès de travail proprement dit (consommation de la force de travail par le capital, donc production de plus-value) enfin, réalisation de cette plus-value nouvellement produite par la vente des marchandises en lesquelles elle a été matérialisée. Ce circuit construit les différents moments de l’exploitation capitaliste et permet d’identifier deux groupes – propriétaire de sa seule force de travail (les non-propriétaires) et propriétaire du capital – et leurs activités respectives – travail productif de plus-value et valorisation du capital par extraction de la plus-value : ce n’est qu’après avoir identifié et mis en relation ces différents éléments que l’on peut dire, qu’à l’usine, il y a effectivement « appropriation de travail non rémunéré ».

Caffentzis, lui, fait l’économie d’un tel détour analytique : nul besoin de démontrer qui « développe de nouvelles forces productives à travers la recherche scientifique », ni même de démontrer qui reproduit hiérarchiquement la force de travail, c’est évident : ça ne peut qu’être les étudiant·e·s! Malheureusement pour l’infaillibilité de sa démonstration, il appert que ce n’est pas le travail étudiant en lui-même – comme ensemble de tâches ayant pour caractéristique commune l’auto-discipline[33] – qui constitue le développement même des forces productives. En effet, l’auto-discipline ne produit rien, si ce n’est… de la discipline. Quant à l’aspect reproductif de la sphère universitaire, c’est bien le rôle de l’Université de reproduire une force de travail segmentarisée et hiérarchisée en s’assurant de son « éducation » – mais cela représente-t-il du travail approprié par le capital? Si oui, qui l’effectue (la rectrice, les GARDA, les profs, les chargé·e·s de cours, les étudiant·e·s, toutes ces réponses?) et comment ce travail est-il approprié? Plus encore, si l’on voulait concéder de bonne foi que le travail étudiant est effectivement du travail reproductif non rémunéré[34] – dans la mesure où la reproduction des classes supérieures de même que la hiérarchisation et segmentarisation du prolétariat seraient le fruit du travail d’auto-discipline des étudiant·e·s (!) –, cela ne ferait que confirmer la nécessité pressante de cesser de conceptualiser le groupe « étudiant·e·s » comme identique au prolétariat en tant que ce « travail reproductif » qu’effectue sur soi chaque étudiant·e n’aurait pour seule fonction que d’augmenter la valeur de sa propre force de travail[35]. Enfin, l’analyse de l’argument développé par Caffentzis sur la nature du travail étudiant nous mène donc à la conclusion que, si l’on ne peut plus naïvement affirmer que le groupe étudiant·e·s fait partie du prolétariat de manière homogène, il faut conséquemment s’atteler à l’analyse de ce groupe en termes de classes.

Dans un premier temps, il nous fallait montrer que contribuer à la reproduction du capital ne s’identifie pas au fait d’être exploité.e, et conséquemment, que cela ne garantit pas aux étudiant·e·s pris·e·s en bloc, une appartenance de classe commune; c’est la raison pour laquelle nous avons systématiquement pris comme exemples des champs d’étude qui ont pour aboutissement évident de reproduire les fonctions sociales proprement capitalistes. Nous commettrions une erreur homologue en affirmant que tout·e étudiant·e a pour destination de faire partie de la classe capitaliste. Ce que nous mettons ici en lumière, c’est le lieu du problème théorique, nous disons que c’est , dans les rapports complexes qui lient les étudiant·e·s au prolétariat et autres couches exploitées, qu’il faut creuser, plutôt que d’éluder le problème en martelant constamment des affirmations-chocs du genre « students are workers[36] », « Students belong to the working class[37] » à la manière de Caffentzis. Mais à ce moment, d’aucun·e·s pourront se demander quelle nécessité pressante il y a à définir aussi scrupuleusement l’appartenance de classe de chaque couche de la population étudiante : ne sommes-nous pas tous et toutes aliéné·e·s par l’institution universitaire, et par là, également bénéficiaires des acquis revendiqués par cette lutte? Justement, non. S’il est évident qu’un stage non rémunéré est une forme d’extorsion de surtravail particulièrement brutale qui, à la différence du travail salarié, ne se décompose pas en travail nécessaire et en surtravail, mais en seul surtravail, il n’est pas du tout évident que l’étude en général soit un travail exploité. Pour qu’il y ait exploitation, rappelons-le, il doit nécessairement y avoir production d’un surtravail approprié par autrui. L’Épreuve Uniforme de Français, la dissertation de huit pages sur les Catégories d’Aristote ou encore, l’examen d’espagnol oral – qui sont autant d’exemples de l’écrasante majorité de ce qui est concrètement réalisé non seulement au primaire et au secondaire, mais aussi au collège et à l’université- sont-ils des produits appropriables? Enrichissent-ils quiconque du point de vue matériel? Sont-ils monnayables? Rendent-ils directement services à d’autres, comme occasion de se dispenser de travail? En opposition à toutes les formes d’exploitation connues jusqu’à ce jour, il faut répondre : non. À titre de contre-exemple, les productions d’étudiant·e·s des cycles supérieurs, elles, peuvent être appropriées au sens fort, dans la mesure où leur titre de propriété passe à l’université qui les diffuse et s’enrichit ainsi de diverses manières à travers elles[38]. En ce sens, il est possible, lorsque les productions de ces étudiant·e·s sont sous-rémunérées (voire simplement non rémunérées) de parler d’exploitation[39]. Si, donc, les stagiaires non rémunéré·e·s partagent, lors de la durée de leurs stages, la condition d’exploité·e, il va sans dire que là encore, le portrait est plus complexe qu’il n’y paraît. À la différence du statut de ménagères ou de prolétaires pour qui l’exploitation n’est presque jamais une condition provisoire, l’exploitation spécifiquement pénible des stagiaires consistant à effectuer uniquement du surtravail est par définition appelée à se résoudre en autre chose. Alors que pour certain·e·s, la surexploitation caractéristique des stages se résout en exploitation simple – c’est-à-dire à un emploi dans lequel une partie de la journée de travail est appropriée sans contrepartie équivalente -, pour d’autres, l’emploi auquel aboutit la formation doit précisément tirer son revenu de l’appropriation du surtravail d’autres travailleur·euse·s. Si l’étudiant·e en soins infirmiers et l’externe en médecine effectuent tous·tes deux un stage non rémunéré, l’écart entre leurs futures conditions respectives explique selon nous ce pourquoi les conditions des stagiaires en soins infirmiers suscitent l’indignation et font se mobiliser, alors que l’externat ne fait couler que très peu d’encre. Bien qu’il existe effectivement des cas (très rares) de surexploitation au niveau des stages se résolvant en emplois sur-rémunérés, les CUTE ont justement montré[40] que les femmes et les personnes racisées sont, elles, toujours sur-représentées parmi les stages non rémunérés et les métiers mal rémunérés –, état de fait naturalisé et mystifié par l’idéologie patriarcale et raciste que reproduit structurellement le capitalisme. Mais si nous soulevons toutes ces considérations problématiques – à propos desquelles nous ne prétendons pas apporter de solution définitive – c’est afin que puissent leur être apportées des réponses solides et assumées lorsque viendra l’heure de mettre de l’avant la revendication d’un salaire au travail étudiant; à défaut de quoi tout mouvement se verrait condamné à l’isolement. Ainsi, prétendre qu’il existe une classe étudiante exploitée de par son accomplissement d’un « travail individuellement et socialement utile », c’est d’abord vider le concept d’exploitation de tout contenu – résultat inévitable lorsqu’à une véritable analyse conceptuelle on substitue une définition du Larousse (en ligne)[41] –, mais c’est aussi attribuer à cette « classe » l’expérience d’une exploitation faussement commune et, concurremment, attribuer à ses membres des intérêts faussement équivalents dans l’abolition de ces rapports. Prétendre que les étudiant·e·s forment une classe sur cette base qui n’en est pas une revient ultimement à masquer les dynamiques de classes internes à la population étudiante et à faire reposer la solidarité entre les membres du corps étudiant sur une pure construction de l’esprit.

Mouvement étudiant et rupture révolutionnaire

Rejeter l’analyse abstraite du groupe « étudiant·e·s » en tant que groupe uniformément constitué par l’exploitation nous contraint d’affirmer que, si la revendication du salariat étudiant a le potentiel de se constituer en lutte contre l’exploitation plutôt qu’en  simple lutte corporatiste, c’est dans un sens bien précis qu’il nous faut maintenant mettre de l’avant. Comme nous en avons fait la démonstration, lutter pour un salaire étudiant ne représente pas en soi une lutte contre l’exploitation, au sens où l’activité étudiante n’est pas, en tant que telle, exploitée – telle qu’elle serait appropriée par les professeur·e·s et ultimement par l’État qui, dans les corrections d’examens à choix de réponse, arracheraient une plus-value quelconque. Elle a le potentiel d’être une lutte contre l’exploitation dans l’unique mesure où elle est menée par et au bénéfice de la fraction des étudiant·e·s qui ont l’exploitation comme situation présente (s’illes travaillent en milieu de stage ou hors de l’école) et/ou comme avenir (si leurs études débouchent sur un métier les plaçant dans les couches plus aisées du prolétariat). Lutter pour un salaire étudiant correspond, pour ces personnes, au refus d’assumer la charge d’une formation qui mène ultimement à un travail producteur de plus-value et/ou médiocrement rémunéré, c’est-à-dire au fait d’intégrer le prolétariat. Inversement, pour la fraction des étudiant·e·s amenée à reproduire la classe capitaliste et ses suppôts (voir infra), le salaire étudiant représente une manière d’anticiper sur les conditions matérielles dorées que leur offriront leurs salaires bien gras (financés à même l’exploitation du prolétariat). En ce sens, la lutte pour le salaire étudiant peut être une lutte contre l’exploitation dans un sens strict que nous croyons nécessaire d’adopter : le salaire étudiant représente, pour les étudiant·e·s dont le prolétariat est le futur, la possibilité d’arracher à la classe capitaliste les frais de sa formation. Définie de cette manière, nous avons une nouvelle compréhension de la lutte qui permet de rendre visibles les intérêts objectivement antagonistes qui existent à l’intérieur même du groupe « étudiant·e·s » derrière l’homogénéité apparente de l’activité d’étudier. L’analyse concrète de tels intérêts sera constamment à faire et à refaire suivant les alliances qui se nouent et se brisent durant la lutte, mais il est évident que partir de la fonction sociale que remplit l’emploi auquel aboutit la formation permet de dégager un certain nombre de considérations basales. Au nombre de celles-ci, nous pouvons compter celle selon laquelle étudier en vue de travailler pour le compte des organes qui exécutent les fonctions répressives de l’État (police, militaire, juge, etc.) place l’étudiant.e dans une situation objectivement antagoniste à tout groupe luttant par voie extra-légale. De la même manière, étudier en vue de produire et de diffuser tout pseudo-savoir qui nuit à la capacité, pour le prolétariat, d’avoir prise sur la réalité ou tout savoir réel effectivement utilisé dans l’objectif de maintenir, d’éterniser, l’état actuel des choses, doit tout aussi bien susciter de la contrariété entre les intérêts de l’étudiant·e et ceux des personnes pour lesquelles le monde actuel est invivable. Notons au passage que c’est consciemment que nous visons ici l’immense majorité des postes de « travail intellectuel » salarié – et cela n’a rien pour surprendre quiconque s’est moindrement intéressé·e à ce qui s’enseigne concrètement à l’Université. Enfin, étudier en vue d’assurer les fonctions de gestion du capital, c’est-à-dire celles qui assurent la fluidité de sa circulation ou sa valorisation proprement dite (ressource humaine, commerçant·e, publiciste, entrepreneur·euse, banquier·ère, directeur·rice d’entreprise, etc.), c’est déjà clairement exprimer cyniquement le souhait de participer soi-même, à titre d’individu responsable, à l’exploitation éhontée du prolétariat.

Peut-être ces considérations sont-elles banales et, à ce titre, peu utiles; toujours est-il qu’on ne peut absolument pas faire abstraction d’elles lorsqu’il s’agit d’analyser dans quelle mesure telle fraction du groupe « étudiant·e·s » peut, dans tel contexte précis, orienter la lutte vers la réponse à des intérêts étrangers à ceux des exploité·e·s. Ainsi, par exemple, la révolte est un moment de la lutte des classes à l’intérieur duquel des groupes sociaux prennent la décision subite de refuser de continuer de vivre comme ils le faisaient jusqu’alors, en s’attaquant à la stabilité du tout social. Or comme telle, la révolte n’est qu’une forme : son contenu social doit à chaque fois être déterminé par analyse puisque ce contre quoi il y a révolte n’est jamais immédiatement donné. C’est pourquoi il faut interpréter le sens de chacun des événements de la lutte des classes et ne pas se laisser abuser par les analogies formelles du type « révolte = contenu social progressiste » et il faut, à plus forte raison, se donner les outils d’une telle interprétation. Les petits propriétaires, les fonctionnaires, les militaires, les étudiant·e·s en marketing, les profs, etc. peuvent être amené·e·s à entrer dans le camp du prolétariat, mais de la même manière, ces personnes peuvent à tout moment être amenées à entrer dans le camp de la contre-révolution. Cela a pour conséquence qu’on ne doit pas exclure d’emblée la possibilité que le prolétariat gagne, en les personnes des étudiant·e·s, un allié – précisément parce que ce groupe hétérogène peut choisir de refuser ce à quoi sa formation le destine. Mais ce refus ne peut absolument pas être tenu pour acquis, au contraire : il doit se traduire pratiquement, par des actions concrètes. Pour le dire clairement, exiger un salaire pour étudier, ce n’est pas encore traduire pratiquement le refus de reproduire les classes qui exploitent le prolétariat et donc, ce n’est pas encore faire acte de solidarité avec lui. Nous pouvons toutefois soutenir, en accordance avec les CUTE, qu’il s’agit d’une avenue par laquelle il est possible de lutter en commun contre le capital – et la lutte pour la rémunération des stages se présente déjà comme un point d’intersection potentiel.

On peut se demander pourquoi une si longue analyse est nécessaire si elle se solde finalement par un appui à la lutte des CUTE. Nous réitérons que sans une analyse rigoureusement matérialiste, la possibilité que le mouvement étudiant parvienne à sortir de son isolement pour joindre sa lutte à celle des autres exploité·e·s restera particulièrement mince. Se dispenser de la tâche de démontrer clairement qu’une partie des étudiant·e·s partage les intérêts objectifs du prolétariat et, inversement, que le prolétariat partage ceux de ces étudiant·e·s, c’est se condamner à espérer pieusement une solidarité qui ne risque pas de venir : nous avons de la difficulté à imaginer le caissier du Dollorama se joindre solidairement à la doctorante en finance pour affronter, main dans la main, l’escouade anti-émeute du SPVM. De plus, l’actuelle lutte pour la rémunération des stages et celle qui pourrait suivre pour le salaire étudiant nous intéressent dans la mesure où – comme les féministes marxistes l’ont habilement montré –, un lieu nécessaire à la reproduction de la force de travail (ou à sa formation) peut aussi être un lieu de subversion sociale. Et si les CUTE considèrent bel et bien le salaire étudiant comme un moyen d’acquérir un levier de pouvoir dans le but de provoquer une subversion sociale d’envergure, nous l’avons vu, il est impératif que la lutte ne soit pas le seul fait des étudiant·e·s. En ce sens, faire usage d’un concept plus rigoureux (celui d’exploitation), c’est préciser à qui bénéficie la formation de la force de travail, c’est déterminer quel groupe au sein des étudiant·e·s va ultimement occuper des postes qui ont pour intérêt de préserver la fonction reproductive actuelle de l’école, c’est permettre une fois pour toute au mouvement étudiant de comprendre les études pour ce qu’elles sont, à savoir la reproduction des classes de la société capitaliste. Pour jouer efficacement sur le terrain de la lutte des classes, les étudiant·e·s doivent cesser de se comprendre comme une classe en soi. C’est uniquement une fois que les intérêts antagonistes des différentes fractions d’étudiant·e·s seront identifiés qu’il sera possible de mettre de l’avant les intérêts pouvant constituer la base d’une lutte commune à celle des autres exploité·e·s. Plus profonde sera la connaissance de notre situation, plus solide sera le point d’appui permettant d’en faire éclater le cadre.

Temps Libre, janvier 2019.

[1] Toupin, Le salaire au travail ménager, éd. du Remue-ménage. p. 67

[2] Cf. CUTE, no. 1, « Grève des stages, grèves des femmes », « Exploitation des femmes et racisme : une pilule difficile à avaler pour les stagiaires ». CUTE, no. 3, « Les soins c’est pour les autres ».

[3] Cf. CUTE no. 0, « Appel à la formation de Comités unitaires sur le travail étudiant »; CUTE no. 4, « Réflexion sur la grève des stages et la reconfiguration du mouvement étudiant », « Proposition pour le contrôle ouvrier de la production des savoirs », « Un salaire contre l’école » et « All the work we do as women ».

[4] CUTE, no.4, « Réflexion sur la grève des stages et la reconfiguration du mouvement étudiant ».

[5] Pour consulter les productions des ingouvernables, cf. ingouvernables.info

[6] Cf. Ingouvernables, Féministes, c’est-à-dire contre le travail.

[7] Cf. « CUT(e) the bullshit » (Disponible sur dissident.es)

[8] Ingouvernables, Autonomes, donc contre le travail.

[9] Ingouvernables, Commençons ce qui suivra.

[10]Ingouvernables, ibid. « Ce texte n’est pas une critique, ni de la ‘société’ ni de la forme du parti, car le sentiment rendant nécessaire d’y répondre impliquerait de croire à ce spectacle » (Nous soulignons.)

[11] Ingouvernables, Féministes c’est-à-dire contre le travail.

[12] Ibid.

[13] Ingouvernables, Commençons ce qui suivra.

[14] Ibid.

[15] Ibid.

[16] Ingouvernables, Féministes, c’est-à-dire contre le travail.

[17] L’ouvrage de Butler, Trouble dans le genre, en remettant profondément en question la catégorie « femmes », témoigne exemplairement de la nécessité à laquelle était confrontée le mouvement féministe de reforger ses matériaux théoriques : la catégorie « »femmes » n’allait plus de soi; si le mouvement féministe voulait progresser, il devait soumettre à l’examen les armes mêmes avec lesquelles il luttait contre le patriarcat. C’est dans une situation similaire que se trouve le mouvement étudiant actuel.

[18] CUTE, no. 0, « Appel à la formation de Comités Unitaire sur le Travail Étudiant ». « Comme il sera affirmé tout au long de cette publication, [le rapport social en vertu duquel les étudiant.e.s contribuent à la vie sociale] en est un de production, dans le cadre duquel l’activité des étudiant.e.s est utilisée, voire exploitée par la société » (Nous soulignons.)

[19] Par là, nous désignons la manière spécifique dont les protagonistes d’une lutte en font la théorie, se la formalise. Dans ce contexte, les pratiques théoriques sont les différentes pratiques par lesquelles une lutte est amenée à la conscience de ses protagonistes.

[20] CUTE, no. 4, « Réflexion sur la grève des stages et la reconfiguration du mouvement étudiant ». « la revendication d’un salaire pour les stages au sein du mouvement étudiant permet à celui-ci de se penser et de se positionner en tant que pouvoir s’exerçant sur la scène de l’économie politique et de la lutte des classes, en association et en solidarité avec les exploité.e.s, plutôt qu’en tant que lobby politique d’une prétendue classe étudiante. » (Nous soulignons.)

[21] Delphy, L’ennemi principal. 1. Économie politique du patriarcat, éd. Syllepse, pp. 63-66.

[22] Ibid., p. 45.

[23] Dalla Costa, Les femmes et la subversion sociale dans Dalla Costa et James, Le pouvoir des femmes et la subversion sociale, Librairie Adversaire. « C’est le capital qui, en instituant précisément sa structure familiale, a « libéré » l’homme de ces fonctions de façon à ce qu’il soit complètement « libre » pour l’exploitation directe, de façon à ce qu’il soit libre de « gagner » assez pour qu’une femme le reproduise en tant que force de travail. Le capital a donc fait des hommes des travailleurs salariés dans la mesure où il a réussi à rejeter ces services sur les épaules des femmes dans la famille, tout en contrôlant par le même processus l’afflux de force de travail féminine sur le marché du travail. »

[24] Dupré et Rey cités dans L’anthropologie économique. Courants et problèmes, éd. Maspero, p. 109. « Il y a exploitation lorsque l’utilisation du surproduit par un groupe (…) qui n’a pas fourni le surtravail correspondant reproduit les conditions d’une nouvelle extorsion du surtravail aux producteurs. » Ou encore, lorsque « le produit se retourne contre les producteurs et accroît son asservissement. » (Nous soulignons.)

[25] Wages for Students.

[26] Ibid.

[27] Delphy, op cit., p. 63. Critiquant dans le même esprit certains flottements conceptuels des autrices du livre Le pouvoir des femmes et la subversion sociale, Delphy nous dit : « [Dalla Costa et James] en concluent que tout travail ménager, et aussi bien le travail ménager effectué pour elle-même par une personne seule que le travail d’épouse, devrait être rémunéré par l’État. À notre sens, il se produit ici un glissement, dû au même manque de rigueur qui a permis de définir le travail ménager comme une tâche. Peut-on appeler travail et donc gratuit, les services que l’on se rend à soi-même? À quelles conditions sociales de production doit répondre une activité pour être qualifiée de travail gratuit? Selon nous, seuls peuvent être appelés travail gratuit les services fournis à autrui. » (Nous soulignons.)

[28] Marx, Théories sur la plus-value, t. 1, Éd. Sociales, pp. 189-190.

[29] Wages for Students. « Students belong to the working class. More specifically, we belong to that part of the working class that is unwaged (unpaid). »

[30] Notons le fait que chez de nombreuses d’entre elles, le concept est voilé par le mot, en ce sens que le mot « travail » est utilisé tandis que ce dont il s’agit, c’est du concept de « travail exploité ». Mais cela s’explique par le fait qu’elles luttaient sur le terrain de la théorie marxiste de l’exploitation qui, elle aussi, commet la même erreur d’identifier les deux. Il s’agissait pour elles de démontrer que le travail ménager/domestique est du travail au même titre que le travail salarié; elles ne faisaient pas la théorie du « travail en général », où l’ajout de l’adjectif « exploité » serait alors devenu nécessaire.

[31] Caffentzis, « Throwing away the ladder : the universities in the crisis », Zerowork, no. 1. « In the University two forms of unwaged labor for capital is appropriated : 1) the development of new « forces of production » through scientific research and what Marx called « the power of knowledge objectified »; 2) the reproduction of labor power and so reproduction of the hierarchy of labor powers of different qualities (selection, division and stratification). Thus capital appropriates science and education as a costless part of the cycle of its own reproduction » (Il s’agit de notre propre traduction.)

[32] Marx, Introduction à la critique de l’économie politique, Éd. Sociales, p. 149.

[33] Wages for Students.

[34] Mais pour parler d’exploitation de travail reproductif, encore une fois, il faudrait encore identifier un groupe ou un pôle de la société qui puisse effectivement s’approprier le produit d’un tel travail – l’autodiscipline – sans contrepartie…

[35] En effet, on ne peut sérieusement soutenir que « travailler » de manière non rémunérée pour s’enrichir d’autant revient à être exploité.e – à moins qu’il soit possible de s’exploiter soi-même. Là-dessus, cf. la position de Delphy note 27.

[36] Caffentzis, « Throwing away the ladder : the universities in the crisis », Zerowork, no. 1. « The present political problem of the student movement is not that of a student-worker alliance and so of finding a « link » with the working class, simply because students are workers. »

[37] Wages for Students.

[38] Il est notable que l’unique exemple utilisé pour illustrer l’exploitation dont ferait l’expérience l’étudiant.e (non-stagiaire) est celui des cycles supérieurs, dans lesquels précisément il y a production de recherches scientifiques dont l’université elle-même peut faire un usage lucratif. Cf. CUTE, no. 0, « Le mépris comme salaire de notre peine »

[39] Encore faut-il préciser qu’être salarié.e n’est pas identique au fait d’être exploité.e, même s’ils se confondent souvent.

[40] Notamment dans CUTE, no. 2, « Grève des stagiaires, grève des femmes »

[41] CUTE, no.0, « La bourse ou la vie « . « vous pouvez consulter n’importe quel dictionnaire, la définition est claire : le travail, c’est ni plus ni moins que “l’activité de [l’être humain] appliquée à la production, à la création, à l’entretien de quelque chose.” » Si la première entrée du Larousse en ligne le dit, nul besoin d’aller creuser plus loin.

Vers une grève ingouvernable

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Jan 292019
 

De Ingouvernables.info

Plusieurs campus étudiants se dirigent vers une grève générale à l’hiver 2019 dans le cadre de la campagne pour la rémunération des stages menée par les Comités Unitaires sur le Travail Étudiant (CUTE). La grève est l’interruption de nos activités quotidiennes. Elle ouvre une temporalité nouvelle qui remet en question notre rapport au travail et aux études et qui nous amène à penser collectivement la façon dont on dispose de ce temps libéré. Il n’existe pas de modus operandi ou de recette unique à la grève étudiante, chaque grève prend racine dans les modes d’action et les discours des personnes et des groupes qui y prennent part. Réfléchir le faire grève, c’est considérer son déploiement matériel au sein du mouvement étudiant, sa dimension stratégique et tactique, mais aussi sa capacité à transformer notre expérience politique.

Voter et maintenir la grève

C’est une des thématiques récurrentes depuis les débuts de l’organisation de la grève des stages : il y a un travail acharné, et souvent invisibilisé, nécessaire à l’organisation d’une grève. On doit d’abord s’assurer que la grève soit votée. Il faut organiser des AG, les mobber, les animer. Il faut produire du matériel d’information, le distribuer, parler aux étudiant.es. Lorsqu’on étudie sur un campus où la grève passe facilement, cela veut dire aller prêter main forte aux autres campus, à Montréal mais aussi en région. Une fois la grève votée, il faut s’assurer qu’elle soit effective. Dans le cas présent, ça veut dire s’assurer que les stages soient grévés en plus de s’assurer qu’aucun cours ne se donne. Les levées de cours et les blocages de l’université ne suffisent pas, il faut investir les milieux de stages et les étudiant.es doivent se solidariser avec les stagiaires. Le maintien de la grève ne doit toutefois pas être séparé de toutes les tâches quotidiennes et nécessaires à sa reproduction : mettre sur pied des cantines pour nourrir les grévistes, ouvrir des espaces de repos et de care, organiser des ateliers et des camps de formation, etc.

Construire un rapport de force

Si la grève, par l’arrêt de la production, est en soi un moyen de pression, la véritable menace qu’elle porte dépasse l’argument économique. La grève est un mouvement de retrait offensif, alors qu’on reprend collectivement le contrôle de notre temps et qu’on s’organise dans le but d’améliorer nos conditions d’existence. C’est avec la puissance collective qui se développe au sein de la grève que s’accroît notre rapport de force: en faisant éclater le conflits dans l’espace public, en apprenant à prendre la rue ensemble, en multipliant les actions de blocage ou les sabotages anonymes. Notre rapport de force se construit ainsi dans l’agencement de la visibilité de la lutte, de l’effectivité des blocages et de l’apprentissage de l’organisation collective. L’orientation féministe de cette grève nous donne la chance de sérieusement repenser la distribution genrée des rôles au sein des luttes : par exemple en portant attention aux prises de paroles, en organisant des blocages ou des actions en mixité choisie ou en revalorisant des tâches traditionnellement associées au genre féminin.

Déborder la grève

Cette grève est organisée de longue haleine par des militant.es qui se vouent corps et âmes pour s’assurer qu’elle ait lieu. Ce qui fait la puissance des moments de grèves, c’est toutefois tout ce qui arrive ensuite à déborder et à dépasser la planification. La grève est intensité, accélération et effervescence. Elle est composée de rencontres, de solidarités inattendues, de débordements festifs et de transgressions de la vie quotidienne. Elle tire sa force de ces moments qui la débordent : occupations de nos milieux de vie, fêtes improvisées, actions spontanées ou manifestations sauvages. Une grève effective se dérobe à toute planification, elle est prise d’assaut par une multitude de bandes, de groupes et de collectifs, elle forge des amitiés politiques qui la dépassent et lui survivent. La victoire d’une grève se mesure ainsi bien plus à la puissance collective qu’on en retire qu’à ce que l’État a bien voulu nous concéder.

Que la grève des stages soit victorieuse, que la grève des stages soit ingouvernable!

Féministes, c’est-à-dire contre le travail

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Déc 302018
 

De Ingouvernables.info

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La campagne pour la rémunération des stagiaires s’organise depuis ses débuts sur des bases féministes et décentralisées. C’est carrément un exploit que les militant.es des CUTE réussissent à mobiliser des milieux où les enjeux féministes sont généralement secondarisés, tokenisés ou bien récupérés, et qu’iels aient su maintenir le cap malgré les assauts et critiques qu’iels essuient depuis deux ans. Ces dangers bien réels qui guettent les luttes féministes ont toutefois amené une ambiance de méfiance et de défense envers toute initiative n’émanant pas des instances et structures établies par les CUTE. Dans ce contexte, l’orientation féministe de la campagne la soustrait aux critiques et remises en question, impliquant alors que toute posture s’éloignant de celle des CUTE serait nécessairement anti-féministe.

Nous croyons au contraire que si l’on souhaite initier un mouvement social décentralisé et vivant, il est nécessaire d’établir un climat où la critique est permise, où les discours divergents ne sont pas automatiquement reçus comme anti-féministes et où les initiatives et actions émanant d’autres groupes ne sont pas systématiquement taxées de récupération. Ce texte vise à participer à la mise en place de ce climat en proposant une réponse féministe aux critiques qui nous ont été adressées – dans les soirées, les corridors, sur facebook ou dans les AG – au cours des derniers mois.

L’invisibilisation du travail des femmes est le concept au cœur de l’organisation de la grève des stages. Le capitalisme se fonde sur l’exploitation des travailleur.es et des ouvriers.ères, mais également sur le travail non-reconnu et non-salarié effectué par les ménagères, les mères, les aides-soignant.es, les stagiaires, etc. Dans un contexte où l’on cherche à rendre visible des rapports d’exploitation vécus par des femmes, les groupes qui s’organisent sur des bases autonomes et anonymes semblent susciter méfiance. En ne publiant pas de procès-verbaux ou de chartes, en refusant de se nommer et en omettant d’identifier leurs membres, ces groupes invisibiliseraient nécessairement ce qu’on cherche à faire apparaître. Les « femmes » impliquées, s’il y en a réellement, seraient forcément sous le joug des super-militants, organisés en boysclub, qui prônent l’anonymat dans le but de continuer à profiter de leur travail invisible.

Si d’emblée anonymat semble rimer avec invisibilisation, nous croyons toutefois que cette critique qui nous est adressée relève d’une logique machiste, sexiste et indéniablement anti-féministe. À chaque fois qu’on traite un groupe de boysclub, qu’on raconte que telle action a été organisée par la gang de un tel et un tel, qu’on décrit une militante comme la copine de l’autre, on réifie ces dynamiques de pouvoir plutôt que de les remettre en question. C’est bien davantage cette critique – qui associe des groupes ou des initiatives à deux ou trois hommes cis – qui renforce les rapports de pouvoir genrés, plutôt que la façon dont ces groupes s’organisent réellement. Évidemment, les groupes militants sont sans contredit structurés par des rapports genrés, racialisés, hétéronormés ou cisnormés, comme nous le sommes tous et toutes. Mais en identifiant des initiatives politiques à une poignée de super-militants, en leur accordant ce rôle qui ne leur a jamais été concédé par leurs camarades, on vient carrément miner le travail féministe quotidien accompli au sein de ces groupes. En plus d’ignorer et invisibiliser, ironiquement, la présence et le travail des militant.es qui ne sont pas des white cis dudes.

Nous nous organisons dans l’anonymat parce que nous n’avons aucun compte à rendre à ce monde, parce qu’on refuse de jouer selon ses termes et qu’on rejette son injonction à nous nommer au sein de la société civile. La critique féministe de la séparation entre espace public et espace privé est justement au fondement de cette conception du politique. Nous ne faisons pas de différence entre l’amitié et la lutte, entre la reproduction de nos vies et la révolution, entre le domaine du relationnel et celui de la politique. C’est dans la transformation immédiate de nos conditions d’existence, de notre rapport au monde et des liens qui nous unissent que nous inscrivons notre pratique politique. On peut vous assurer que nous nous engageons dans cette transformation de façon résolument féministe, et on vous remerciera d’éviter de concéder à nos amis le pouvoir qu’on se tue à leur arracher.

Nous sommes contre le travail, c’est-à-dire contre toutes formes d’expropriation de notre temps qui nous empêche d’être ailleurs, de nous construire. Le travail c’est tout ce qui nous est imposé de faire pour survivre dans un monde structuré par le capital. C’est toutes les actions que nous posons de façon déconnectée de nos vies propres, de nos intérêts, nos buts et aspirations. C’est ce qui se situe le plus loin de nos réalités, du monde qu’il nous faut bâtir chaque jour, des amitiés qui nous font vivre, des projets qui nous animent. Le travail c’est le shift au resto, les cours qu’on prend pour se trouver quelque chose de mieux, les lunchs qu’on prépare le dimanche, les téléséries qu’on se claque pour ne plus penser à rien, les dudes avec qui on couche parce qu’on s’ennuie ou qu’on se sent obligé.e. Qu’il soit salarié ou gratuit, productif, ménager ou sexuel, le travail c’est tout ce qu’on fait qui participe à la reproduction du monde qu’on veut détruire.

Le travail devient travail lorsqu’il ne participe pas à la création de sens véritable de nos vies. Planter des arbres ou des légumes pour la commune n’aura jamais le même sens que de le faire au service d’une firme de reforestation destructrice. Faire la vaisselle pour un souper collectif de quartier ne sera jamais comparable au travail domestique genré ou à la plonge du resto. Nous n’exécrons pas l’action que sous-tend le travail, mais tous les rapports sociaux qui en sont induits.

Le travail capitaliste, comme nous l’entendons, tend quotidiennement à nous désolidariser, nous individualiser. Dans la lignée carrière-famille-maison, on nous impose une trajectoire qui se situe à l’opposé de ce que nous souhaitons et initions : une existence qui ne cesse de mettre en relation nos formes de vie, qui foisonne de puissance résistante et constructrice, qui jamais n’acceptera le seul horizon de malheur qui nous est à voir. Chaque jour nous reprenons à notre avantage les petites brèches, qui nous permettent de libérer notre temps de la machine capitaliste. Frauder l’AFE ou l’assurance-chômage, voler tout ce qu’on peut, profiter du bien-être social : nous sommes des professionnel.les de la magouille. Tirer parti de l’illégalité pour diminuer le temps et la place qu’on doit accorder au travail: en vendant de la drogue, en faisant du travail du sexe ou du recel. Se soustraire, exiger moins de temps de travail et plus d’argent; parce qu’on peut, parce qu’on veut ou parce qu’on ne peut pas faire autrement. Qu’on se comprenne bien, le fait de travailler et de mettre à profit tous ces rouages du système ne sont en aucun cas en opposition avec notre vision de la fin du travail. C’est parce que nous devons travailler que nous haïssons le travail. Chaque heure qui nous est extirpée est une heure qui ne sert pas à notre projet, celui d’une vie autonome, meilleure.

Il ne nous est pas étranger que certain.e.s puissent se sentir tout à fait accompli.e d’une telle vie, se satisfaire de sa carrière, se joindre à certaines parades, s’impliquer dans son syndicat, et chaque jour, croire un peu moins au grand soir, et n’en être même pas si attristé.e. Mais nous sommes animé.e.s d’une mythologie existentielle différente : nous ne laisserons pas le travail capitaliste définir le sens de nos vies. Le sens de nos vies, c’est la lutte, c’est sans cesse se rappeler les raisons pour lesquelles nous ne nous caserons pas dans des tours à bureau, dans des hôpitaux ou dans le rôle de la maman-ménagère, c’est constamment penser comment nous voulons organiser nos vies de façon indépendantes de l’État, du capital et de l’hétéro-patriarcat, c’est se penser nous-même de façon immédiate.

S’opposer au travail ce n’est pas contribuer à l’invisibilisation du travail gratuit des femmes. C’est s’opposer à une projection étapiste, qui demanderait à ce que le travail des femmes soit d’abord reconnu par l’État, pour qu’ensuite on puisse penser à l’abolir. C’est refuser de s’enfoncer dans une identité genrée et les rôles qui y sont associés et refuser qu’on nous enferme encore une fois dans des tâches ménagères, de soins, sexuels ou maternels. Ça veut dire mettre en place des pratiques féministes entre nous dès maintenant, et s’opposer systématiquement aux coportements machistes et patriarcaux. Ça signifie exiger que l’émotionnel ne soit pas régi par l’éthique du travail, intrinsèquement patriarcale et hiérarchique; et au final, désirer que tout le monde apprenne à prendre soin des autres. Car si tout ce qu’on aime et qui nous fait vivre se trouve en dehors du travail, c’est là que nous nous définirons autrement. Que ce que l’on définit comme privé éclate des marges, inonde nos vies. Nous existerons de façon autonome, c’est-à-dire à l’extérieur du travail, du capital et de l’État.

C’est parce que nous sommes féministes que nous sommes contre le travail.

– Grand Banquet Boys Club*
*Au cas ou c’était pas assez clair, aucun homme cis n’a participé à l’écriture de ce texte. Parce que ça l’air qu’il faut fuckin le préciser. Prendre pour acquis que la figure anonyme est un homme cis c’est pas cute pentoute lol.

Découvrez Westmount : une nouvelle plaque tournante d’activité anarchiste

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Oct 282018
 

Soumission anonyme à MTL Contre-info

Quand vous entendez “Westmount”, la première chose qui vous vient à l’esprit ce n’est certainement pas zone autonome temporaire, ou barricade de poubelles ou effigies de Trudeau en feu. On imagine souvent ce quartier en surplomb de St-Henri comme un purgatoire où les plus ridiculement riches vivent sans heurt entre un mariage sans amour, des enfants pleins de ressentiment et un emploi qui ronge l’âme… Mais ce n’est plus le cas!

Westmont se revitalise!

Des anarchistes transforment le quartier en espace d’attaques mixtes, offrant ainsi des opportunités d’action diversifiées pour les camarades de toutes les tendances. Dans le Westmount désolé, on trouve des activités pour les anarchistes de toutes les couleurs – que votre drapeau soit noir, rayé rouge ou orné de glitters mauves.

Buzfeed publie la liste des 5 Faits Charmants que Vous Ignoriez à Propos de Westmount (ou Nouvelle-Exarchia, comme nous aimons l’appeler)

1) De nombreuses maisons sont vides.

Alors que la majorité des locataires au sud de Maisonneuve sont incapables de payer les augmentations de loyer – et pourraient encore moins s’acheter une maison – les trillionnaires tyraniques de Westmount peuvent posséder 2, 3 et même jusqu’à 4 propriétés! Notez qu’ils sont peut-être des propriétaires, mais ça ne fait pas d’eux des résidents. Des maisons en parfait état, avec des chambres vides – et des réfrigérateurs remplis! Ce sont les AirBnb les plus abordables en ville – déjeuner inclus! Pensez-y bien : Deuxième maison ou… Centre Social Squatté?

2) Les flics de Westmount sont littéralement les mêmes que les flics de Montréal.

La Société de Protection des Vieux Millionnaires n’est pas assez bien pour les connards influents de Westmount – ces milliardaires merdeux ont – écoutez-bien – établi leur propre corps policier. On les distingue par l’absence de protection au corps – leur peau douce et souple est vulnérable aux divers éléments (et projectiles). Rappelez-vous bien : un molotov, deux flics!

3) Westmount est remplie de matériaux pour barricades artisanales.

Avez-vous déjà participé à un party de rue pendant lequel la police n’avait pas compris les nombreux sous-entendus visant à lui laisser savoir que leur invitation n’avait pas simplement été “égarée par la poste”? Alors que vous courrez pour vous saisir d’une boîte de journaux, vous réalisez qu’elle est fixée au sol! Vous regardez autour de vous, mais il n’y a aucun matériel qui pourrait servir à monter une barricade! Cette situation ne se produirait jamais dans le Westmount Révolutionnaire!™ Ici, les rues sont garnies de matériaux de choix pour barricades qui ne demandent qu’à être utilisés. Boîtes à Journaux, Poubelles, fournitures de patio – Ah!

4) Les murs sont des canevas de choix.

Saviez-vous que ces riches pleurnicheurs n’ont pas encore entendu parler d’art public? C’est bien vrai! Les nombreux murs blancs soignés de ce territoire d’abris fiscaux présente une opportunité de développement fort désirable. Dans cet arrondissement beige, vous ne vous trouverez jamais confronté au problème de vous être préparé à “tagger” un “ACAB” mais de réaliser qu’un autre “taggeur” a déjà foutu un “1312” sur votre “spot” de choix. Les murs n’attendent qu’à se faire “Banksy-er” par vous!

5) Le dernier mais non le moindre : les banques, et beaucoup de banques!

Assez dit. (On a déjà fait une bonne blague de banque en #4.)

Blague à part, par une belle soirée d’automne, on a lacéré les pneus de deux voitures stationnées au 3140 rue Jean-Girard à Westmount. C’est l’adresse de Brandon Shiller. Brandon Shiller est un grand propriétaire d’appartements délabrés qui achète des propriétés dans des quartiers pauvre pour expulser les locataires et augmenter les loyers. La société immobilière de son père, Shiller Lavy, est aussi lourdement impliquée dans la gentrification de plusieurs quartiers à Montréal.

Nous encourageons tous.tes ceux.elles qui éprouvent de l’inquiétude face à l’augmentation du prix des loyers et des attaques contre les pauvres à faire savoir ce qu’ils.elles pensent à ces ordures qui se cachent dans un des quartiers les plus riches de Montréal.

Élection 2018: Et maintenant…

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Oct 022018
 

Du Collectif Emma Goldman

Il y a de quoi d’un peu ridicule dans le concept même d’une campagne électorale. Cette grande messe de la démocratie libérale nous est présentée par les commentateurs et commentatrices politiques comme une vulgaire course de chevaux. On passe donc une trentaine de jours (ici 39) à se faire analyser-vendre une course dont les résultats sont prévisibles, car certains chevaux sont dopés. Pour ce qui est des spectateurs et des spectatrices, ceux-ci et celles-ci ont le devoir de miser sur un cheval, peu importe s’ils ou elles ont apprécié ou même regardé le spectacle.

Donc après 39 jours de mauvais spectacle, tout le monde soupir de soulagement à la vue de la ligne d’arrivée.

Voici les faits saillants de la dernière course

Durant la campagne, les péquistes ont ressorti le bon vieil épouvantail qu’est le communisme pour tenter de contenir la montée de leur remplaçant solidaire (QS). Par trois fois, les solidaires ont renié Karl Marx au grand dam des trotskistes qui ont mis 20 ans à réunir les réformistes afin de construire le parti social-démocrate. Gilles Duceppe a encore manqué une belle occasion de fermer sa gueule. Les solidaires ont revendiqué la sacro-sainte dépouille de René Lévesque afin de séduire les boomers nostalgiques. Les vieux compagnons de route de Lévesque nous ont rappelé que le fondateur du PQ n’était pas si progressiste, etc.

Pendant ce temps, Couillard (PLQ) nous a promis mer et monde pour aller chercher un cinquième mandat libéral (presque consécutif). Le tout en affirmant sans rire que l’on peut faire une épicerie pour quatre (4) personnes avec 75$. Un ancien ministre péquiste à la tête d’une coalition (CAQ) formée d’anciens et anciennes péquistes, adéquistes et libéraux opportunistes , a essayé de nous faire croire que c’est lui qui incarne le mieux le changement.

Et « Maintenant. » si la tendance se maintient…

Encore plus de développement et plus de croissance

« Si nous ne changeons pas d’orientation d’ici 2020, nous risquons […] des conséquences désastreuses pour les humains et les systèmes naturels qui nous soutiennent. » Antonio Guterres, secrétaire général des Nations unies

Quoiqu’il soit largement admis que l’activité humaine perturbe dangereusement le climat, et que les ressources sont exploitées au-delà de leur capacité de régénération, ici, les politiciens et politiciennes ne cessent de répéter que tout va bien. Ils et elles nous promettent des nouveaux ponts (à Québec comme à Saguenay), l’élargissement des autoroutes, de faciliter l’implantation de port méthanier, de soutenir financièrement des projets extractivistes, de diminuer le prix de l’essence à la pompe, plus d’argent pour consommer, etc. En continuant ainsi, le seul avenir que ces politiciens et politiciennes nous assurent est celui du développement des inégalités, de la croissance des privilèges de leurs petits amiEs du patronat et la destruction durable de l’environnement. Mais rassurez-vous tout ceci se fera en français et à visage découvert. C’est la droite identitaire, populiste et fascisante qui va être contente.

Tout nous laisse présager qu’il faudra bien plus que quelques députés solidaires pour renverser la situation. Si nous souhaitons vivre dans une société libre et égalitaire, nous devons plus que jamais nous indigner, mais surtout nous lever et mettre un terme à ce saccage.

Pour une décroissance libertaire

Aujourd’hui, la majorité d’entre nous sommes des salariés payés en moyenne huit heures par jour pour s’aliéner, s’autodétruire et s’intoxiquer avec les produits que nous fabriquons. C’est le capitalisme, on vous laisse d’autres choix que d’essayer de vendre votre force de travail au meilleur prix ou bien vivre dans la misère. Mais nous pouvons et devons faire autrement.

Nous employons le terme décroissance pour définir une société qui n’a pas besoin de croître ou de se développer pour exister. Une société dans laquelle la croissance ou le développement ne sont pas une condition sine qua non à son « bon » fonctionnement. Bref, une société non capitaliste. L’emphase est donc mise sur la satisfaction des besoins individuels et collectifs réels, orientée vers son maintien dans la durée et selon les ressources réelles existantes.

Et maintenant…

Ni le patronat, ni l’État, structures parasitaires par excellence, ne sont indispensables au fonctionnement de la société.

Nous croyons que le vrai changement passe par la reprise en main de nos affaires, par le contrôle de nos vies, de nos villes et de nos moyens d’existence. Pour ce faire, nous devons construire des mouvements de résistance contre les grands projets destructeurs, les mesures antisociales et d’austérité à venir, mais aussi nous devons développer des structures auto-organisées qui sont réellement aux mains du plus grand nombre (comités, collectifs, assemblées générales, etc.). C’est en multipliant les initiatives et les espaces d’organisation que nous jetterons les bases d’un pouvoir véritablement populaire, démocratique et égalitaire.

C’est un vaste chantier que nous devons entreprendre dès maintenant.

C’est pour cela que le Collectif anarchiste Emma Goldman vous invite le 13 octobre à son prochain événement! Continuer de construire et consolider la résistance et l’auto-organisation des habitants et habitantes du centre-ville!

La CLAC prend parti (pour redonner aux sans-abris)

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Sep 272018
 

De la Convergence des luttes anti-capitalistes

Pour diffusion immédiate

Des militant-e-s de la CLAC ont érigé une maison à l’aide des matériaux récupérés d’élection sur une rue gentrifiée du quartier Rosemont, nostalgique de l’épave d’un Au Coq abandonné au pied d’un immeuble à condos.

Dans les mots d’Éric Simard: « Ils promettent de prendre des mesures, alors que nous pouvons tout-e-s prendre les mesures et couper là où il faut ». En effet, si les partis voudraient réellement aider la population, il donnerait une toute autre forme à leur campagne d’affichage.

Comme le dit Émilie Lapierre: « Leurs arguments sont non-fondés, mais nous pouvons leur donner fondation! ».

Les promesses de plus en plus larges des partis incitent une forte méfiance de la population, comme en témoigne Mathieu Laframboise: « Il faut ramener sur terre les débats du haut mobilier urbain et construire la ville que nous voulons ».

Alors que les promesses des candidat-e-s semblent de moins en moins crédibles, il semble important pour ces militant-e-s de gagner nos élections ici et maintenant: « L’instabilité de leurs promesses n’empêche pas la rigidité des matériaux utilisées pour nous y faire croire », nous dit Éric.

L’impatience d’obtenir des résultats à la suite des élections est notable pour la population qui s’est fait coupé brutalement pendant 20 ans, alors que les partis rivalisent désormais de promesse de gauche: « les débats électoraux sont loins d’être constructifs et les pancartes sont tout ce qu’il y a a gagner » nous dit Émilie.

Les pancartes semblent en effet avoir plusieurs usages: « si on s’en sert comme crazy carpets, on glisse en se rappellant des promesses qui ne sont que du vent et de la poudre aux yeux ».

Les urnes, la rue, la grève

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Sep 252018
 

De Dissident.es

[Éditorial du CUTE magazine, Automne 2018]

La période électorale amène son lot de complications pour quiconque désire prendre directement part à une campagne comme celle pour la rémunération des stages et la reconnaissance des études en tant que travail. Depuis plusieurs mois déjà, des interventions fusent de toutes parts pour, volontairement ou non, récupérer, détourner ou neutraliser à des fins partisanes ou corporatistes les capacités d’organisations des stagiaires en lutte. Ces initiatives, qui s’ajoutent aux manœuvres du gouvernement, proviennent autant des comités partisans que d’associations étudiantes nationales.

Premier exemple. Fin mars, le ministre des Finances dépose le budget provincial, dans lequel est annoncé l’octroi de 15 millions de dollars par année, destinés à la mise en place d’une compensation financière durant le stage final en enseignement. Après des années de compression dans les services publics[1], personne n’est dupe : il s’agit bien d’un budget électoral dans lequel sont distribués les cadeaux. La compensation financière pour les stages finaux en enseignement était revendiquée depuis plus d’une dizaine d’années par des associations nationales et locales, dont l’implication avait été en dents de scie et ne semblait mener à aucun gain concret. Pourquoi le gouvernement décide-t-il de bouger maintenant? La grève! Un peu plus d’une année de lutte soutenue pour la rémunération de l’ensemble des stages et la menace sérieuse d’un débrayage des cours et des stages dans plusieurs programmes et plusieurs régions ont suffi pour que le pouvoir croie bon de réagir. En s’appuyant sur la revendication de la CRAIES[2], et en toute conscience que les éléments les plus combatifs de la lutte se trouvent en grande partie dans les programmes d’éducation, les mesures annoncées servent ni plus ni moins à diviser le mouvement et à l’amputer de ses capacités d’organisation. Il faut dire que les jours de grève commencent à s’accumuler et que des administrations comme celle de l’UQAM et du Cégep de Sherbrooke affichent une certaine ouverture à la rémunération des stages dans tous les programmes. La ministre de l’Enseignement supérieur elle-même a annoncé publiquement, suite à une action de visibilité du CUTE UQAM dans le cadre des États généraux sur l’enseignement supérieur, qu’un grand chantier pour explorer la possibilité de rémunérer les stages de plusieurs programmes serait mis en place. Bref, si l’affaiblissement du mouvement peut sembler réel à la suite du budget, c’est cependant un couteau à double tranchant : cette concession indique aussi que la tenue de quelques jours de débrayage donne des résultats concrets et il est envisageable qu’une grève générale illimitée puisse mener à l’obtention d’un salaire pour l’ensemble des stagiaires. Il faut toutefois éviter de diviser le mouvement et d’offrir d’autres portes de sortie du même acabit au gouvernement.

C’est ce qui nous mène au second exemple. À la suite de cette «victoire» revendiquée tièdement par la CRAIES et l’UEQ[3], il a été tentant de vouloir reproduire la recette. C’est l’idée qu’a eue l’Association des étudiantes sages-femmes du Québec (AESFQ), qui a entrepris d’imiter en accéléré la campagne de la CRAIES dans un contexte électoral, pensant pouvoir ainsi obtenir la rémunération de leur internat. Commence donc les discours et photos avec des politiciens, comme Gabriel Nadeau-Dubois et Jean-François Lisée, les conférences de presse à l’Assemblée nationale, les memes sur les réseaux sociaux, le tout pour ne revendiquer que la rémunération du stage final en pratique sage-femme. Même son de cloche du côté de la FAÉCUM, qui encourage l’exécutif de l’Association étudiante de service social de l’Université de Montréal (AESSUM), programme où la lutte pour la rémunération de tous les stages est bien ancrée, à organiser une campagne pour leur discipline seulement, tout en lui faisant part de ses inquiétudes à voir participer cette association étudiante au mouvement de grève. Or, de tels replis corporatistes auraient pour conséquence d’affaiblir bien davantage le mouvement d’ensemble et de faire stagner toutes les campagnes organisées par programme ou domaine d’études. Le mouvement pour la rémunération de tous les stages a contribué à redynamiser la campagne pour la rémunération du stage final en enseignement et celle pour la rémunération des stages en pratique sage-femme, en les inscrivant dans un mouvement général et ancré dans la reconnaissance du travail des stagiaires et, encore plus largement, du travail des femmes, tant au niveau local qu’à l’échelle mondiale. La dernière chose à faire à l’heure actuelle est de segmenter le mouvement en luttes particulières.

Troisième et dernier exemple. À l’hiver et au printemps dernier, des militant.e.s de Québec solidaire (QS) d’un peu partout entreprennent de faire circuler sur les campus une pétition en faveur de la rémunération des stages obligatoires à l’obtention d’un diplôme. C’est notamment le cas de l’Association de campus de QS à l’Université de Montréal et du Regroupement des sympathisants de QS de l’Université de Sherbrooke. Plutôt que d’être destinée à être déposée à l’Assemblée nationale, cette pétition s’inscrit dans la nouvelle stratégie de QS permettant au parti de collecter les données des électeur.trices en vue de les impliquer dans la campagne électorale[4]. Au lieu de profiter de la période (pré)électorale pour inviter les étudiant.es à se mobiliser pour la rémunération des stages sur leur campus, on profite de cette lutte pour les recruter et les inciter à voter pour un parti. Or, l’équation “un vote pour QS = un vote pour la rémunération des stages” est trompeuse. D’abord parce que les comités campus de QS ne sont pas impliqués dans la lutte pour des stages payés et ne participent pas aux activités et rencontres dans les établissements d’enseignement ni au sein des coalitions régionales pour la rémunération des stages, alors qu’ils y sont tout à fait les bienvenus. Mais c’est surtout parce que, même si la position de QS indique que le parti est en faveur de la rémunération de l’ensemble des stages, son programme électoral, lui, n’a de concret sur ce thème que la compensation du stage final en éducation[5]. Il serait donc bien mieux avisé pour les militant.es de QS dans les campus de se rallier au mouvement et d’organiser la grève plutôt que de détourner le mouvement de la rue vers les urnes; une stratégie qui ne s’est jamais avérée efficace.

La ministre David a mis en place une table de discussion avec les associations étudiantes nationales pour éteindre les feux que nous avons allumés. Il importe maintenant de répondre de manière avisée. Peu importe le parti qui prendra le pouvoir, nous organiserons la grève et la mènerons jusqu’au bout. C’est le mot d’ordre que se sont donné les groupes et associations étudiantes réunies au sein des coalitions montréalaise et outaouaise pour la rémunération des stages, qui entendent bien ne pas se laisser distraire par les élections.

C’est seulement de cette façon que le gouvernement flanchera.


  1. Selon IRIS, il y aurait eu plus de 4 milliards $ de coupures dans les services publics entre 2014 et 2016. Observatoire des conséquences des mesures d’austérité au Québec : https://austerite.iris-recherche.qc.ca/.
  2. Campagne de revendications et d’actions interuniversitaires pour les étudiants et étudiantes d’éducation en stage
  3. Union étudiante du Québec
  4. Cette stratégie avouée de Québec solidaire est également utilisée par la Coalition avenir Québec : http://www.journaldequebec.com/2018/02/15/quebec-solidaire-lance-une-petition-pour-demettre-barrette.
  5. Tract de QS à ce sujet : https://quebecsolidaire.net/nouvelle/tract-remunerer-les-stages-ca-presse.

Loi 25 sur l’aide sociale : une guerre aux pauvres!

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Août 102018
 

Du SITT-IWW

Le 1er avril dernier est entrée en vigueur la loi 25 – « Loi visant à permettre une meilleure adéquation entre la formation et l’emploi ainsi qu’à favoriser l’intégration en emploi » – qui a été intégrée à la loi actuelle sur l’aide sociale. Nous pensons qu’il s’agit de la fin anticipée de l’aide sociale parce que les principes fondateurs à l’origine de cette dernière, le droit de vivre de façon décente et l’accès à un revenu quelque soit la cause du besoin, ne sont plus pris en compte. Sa mise en place mettra en péril la vie des gens en leur imposant de tenter de survivre avec des miettes, ou d’embarquer dans le grand projet Objectif emploi, dont le but est de fournir un cheap labor aux entreprises.

Avec la loi 25, toute personne qui est arrivée à l’aide sociale après le 1er avril 2018 doit maintenant obligatoirement entrer dans le programme Objectif emploi. C’est aussi le cas pour les personnes déjà sur l’aide sociale avant cette date mais qui font partie d’une famille dont l’un des membres du couple est maintenant primo-demandeur ou primo-demandeuse*.

La loi 25 implique que, lorsqu’on se retrouve dans ces catégories, si l’on manque une convocation avec notre agente ou agent d’aide sociale, elle ou il pourra retenir complètement notre chèque. De plus, en cas de manquement à l’une de nos obligations sans motif « valable » (selon le plan fixé par l’agent-e d’aide sociale correspondant à notre situation : à faire des démarches en emploi, à suivre une formation ou à « développer ses habiletés sociales »), l’agent-e aura le droit de couper notre chèque le mois suivant ou le mois d’après.

  1. 56 $ pour le 1er manquement ;
  2. 112 $ pour le 2e manquement ;
  3. 224 $  pour le 3e manquement.

En gros, si l’on refuse de se conformer au programme d’intégration en emploi, on nous force à vivre avec un chèque de 409$ par mois. Il est donc clair que l’objectif de la loi 25 est d’obliger les personnes jugées sans contrainte au travail à s’en trouver un, selon les priorités de l’entreprise privée et selon les besoins du marché du travail (et aux conditions établies par l’agent-e d’aide sociale). Mais nous savons que le travail n’est pas la seule façon de se réaliser dans la vie ! Et nous revendiquons le droit de vivre décemment peu importe la façon dont on le fait. Dans les faits, cette loi renforce la notion de « bons et de mauvais pauvres » et les préjugés envers les personnes qui n’occupent pas un emploi. Le gouvernement les amplifie volontairement. C’est tout à son avantage de le faire, en brisant la solidarité dans la population, en suscitant la grogne contre les personnes assistées sociales qui l’ont « facile », qui sont « gras dur, parasites, fraudeurs, profiteurs » et qui méritent de vivre dans la misère.

Le plus ironique est que même le Conseil du patronat a émis des réserves quant aux mesures punitives du programme Objectif emploi. En commission parlementaire, M. Yves-Thomas Dorval, PDG du Conseil du patronat du Québec, disait : « […] Cela dit, je vais être honnête avec vous, M. le ministre : Le montant d’aide sociale, là, ce n’est pas grand-chose non plus, […]. C’est pour ça que j’étais très heureux de voir qu’on bonifiait l’aide sociale pour ceux qui veulent participer. Et là-dessus je peux vous assurer de notre complet appui de ce côté-là. Maintenant, c’est difficile pour un gouvernement de faire des mesures sans avoir une contrepartie. Et ça, je ne le sais pas si c’est la meilleure, on n’est pas spécialistes là-dedans, mais je peux juste vous dire : C’est sûr que ce n’est déjà pas élevé, là, le niveau d’aide sociale.» (27 janvier 2016).

L’objectif du gouvernement est clair : il souhaite discipliner le monde pauvre afin d’en faire une main-d’œuvre servile et captive, sans autre alternative que de participer activement aux programmes imposés par le ministère pour ne pas crever de faim. Ce qui est annoncé, ce n’est pas une lutte à la pauvreté, c’est une guerre aux pauvres! En nous maintenant dans des conditions abjectes, en agitant une carotte sous la forme d’ajustements éventuels sur leur chèque et un bâton sous la forme de grosses coupures de chèque ou de fermeture de dossier, le parti libéral vise un cheap labor, cadeau pour l’entreprise, et à long terme, la fin de l’aide sociale.

Au SITT-IWW, nous continuerons à nous opposer à tout projet qui crée une classe de travailleurs et de travailleuses précarisé-e-s et c’est pourquoi nous sommes solidaires de cette lutte contre le projet Objectif emploi!

* Un primo-demandeur ou une primo-demandeuse est une personne qui fait une demande d’aide sociale pour la première fois.