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Lutter pour mettre fin à la criminalisation des corps des travailleuses du sexe depuis 1995

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Mar 032021
 

Du COBP

Stella, l’amie de Maimie : Lutter pour mettre fin à la criminalisation des corps des travailleuses du sexe depuis 1995

Les corps des personnes qui travaillent dans l’industrie du sexe sont criminalisés, surveillés, stigmatisés et discriminés quotidiennement. Certaines personnes respectent et vénèrent nos corps comme travailleuses du sexe, tandis que d’autres nous dénigrent et nous réduisent à des parties de corps. Les prohibitionnistes anti-travail du sexe et les forces de l’ordre tentent de nous contrôler parce qu’on utilise nos corps pour le plaisir, l’empowerment économique, et l’avancement dans la société. Même si nos corps ne sont que l’un des nombreux outils de travail que nous utilisons dans le contexte de notre travail du sexe, la stigmatisation autour du travail du sexe mène au contrôle social et à la criminalisation de notre travail et de nos vies. Ceci résulte à des services de santé, publics, juridiques et sociaux discriminatoires pour les travailleuses du sexe, ce qui compromet notre santé et notre sécurité.

La criminalisation – et la prohibition ultime des travailleuses du sexe, des clients, tierces personnes, et de la publicité – introduite par le biais de la Loi sur la protection des collectivités et des personnes victimes d’exploitation (née Loi C-36) entrée en vigueur en décembre 2014, touche d’abord et avant tout les travailleuses du sexe – elle déplace les travailleuses du sexe de lieux de travail habituels nous forçant à travailler dans des lieux inconnus et sans mécanismes de sécurité; elle criminalise la communication nécessaire au consentement dans le travail du sexe; et favorise la peur d’arrestation chez les clients ce qui fait qu’ils ne partagent pas des informations importantes aux travailleuses du sexe. Ces modèles de « mettre fin à la demande » sont souvent décris comme étant la « décriminalisation des travailleuses du sexe et la criminalisation des clients » – c’est un mensonge. Une compréhension limitée des modèles « mettre fin à la demande » signifie que leurs partisans ne sont pas conscients de la manière dont ce régime criminalise encore les travailleuses du sexe et nous mettent à risque.

Depuis 1995, les travailleuses du sexe à Montréal se battent pour la réforme des lois sur le travail du sexe – enlever les lois criminelles et d’immigration contre le travail du sexe, comme une première étape du respect des droits des travailleuses du sexe. La décriminalisation des travailleuses du sexe, des clients et des personnes avec lesquelles nous vivons et travaillons est primordiale pour respecter les droits à la sureté et à la sécurité des travailleuses du sexe qui sont garantis par la Charte. Cela fait écho non seulement à la décision Bedford de la Cour suprême, mais aussi à d’importantes recherches internationales sur les droits humains par Amnistie internationale, ONUSIDA, Human Rights Watch et l’Organisation mondiale de la santé qui font tous appel pour la décriminalisation totale du travail du sexe. La décriminalisation n’est qu’une première étape : les membres de notre communauté qui occupent l’espace public – particulièrement celles qui sont autochtones, noires, trans, qui consomment des drogues, qui vivent de l’itinérance – continueront d’être harcelées, surveillées et contrôlées. On attend depuis longtemps la fin aux visites non désirées et non sollicitées de la police dans nos vies.

Nous continuons notre lutte pour mettre fin à la surveillance de nos vies et de notre travail, et nous sommes solidaires avec les communautés pour le définancement de la police pour se rendre vers une société sans police.

Nous invitons les travailleuses du sexe qui travaillent à nous contacter pour des conseils et de l’appui sans jugement, et pour des moyens de vous protéger durant une période de surveillance accrue, de répression policière et sentiments généraux de prohibition.

http://www.chezstella.org

Rattachements : un texte ennemi

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Fév 212021
 

Soumission anonyme à MTL Contre-info

Au début de l’année 2020 sortait au Québec un bien mauvais texte intitulé Rattachements. Pour une écologie de la présence et signé par le collectif Dispositions. Ancré dans l’appelisme, celui-ci mélange non seulement un mysticisme langagier hors de propos à certaines idées conservatrices à peine déguisées, mais n’hésite pas, en plus, à défendre des positions tendancieusement néocoloniales et capitalistes, le tout baigné dans un étonnant narcissisme. Nous avions jusqu’ici gardé pour la sphère privée nos critiques de ce texte qui ne nous semblait pas mériter d’efforts critiques de notre part. Malheureusement, le fait que les auteur.e.s du texte s’efforcent de le faire circuler encore un an après sa publication et qu’il.le.s l’aient maintenant traduit en anglais nous place dans l’obligation de réagir. Si notre critique porte uniquement sur le texte Rattachementsi, elle peut aisément s’appliquer aussi au texte américain qui a inspiré celui-ci, à savoir Inhabitii (maintenant traduit en français et diffusé au Québec). Les citations suivent l’ordre du texte, mais ne sont pas référées, car la version imprimée du texte n’est pas paginée.

* * *

Après avoir rapidement présenté la crise actuelle, écologique et humaine, Rattachements se propose de dépasser la binarité paralysante qui traverse le mouvement écologiste, composée de « l’environnementalisme activiste » et de « l’environnementalisme individuel ». Il ne faut pas croire par contre qu’une proposition stratégique viendra remplacer cette binarité : au contraire, les auteur.e.s affirment que proposer une « orientation de l’action » relève de « l’activisme » et que cela est sans intérêt. D’entrée de jeu, il semble qu’un immanentisme ésotérique saupoudré de conviction en l’avenir (espoir qui sera contrebalancé plus tard) se substitue à la stratégie politique : il serait suffisant, selon les auteur.e.s, « de savoir que les éléments qui composent la vie magique sont déjà-là à nous attendre, de savoir que l’on agit sur le temps long ». Quant à savoir à qui exactement s’adresse le texte, cela n’est pas dit, quoique nous ayons un indice par la négative au début de la section II. Une assertion – qui sent la condescendance de classe – y pose la question de savoir comment l’on peut « parler de la nature à des sujets métropolitains ». Le ton semble connoter un regret quant à cette dépossession des pauvres des villes, mais rien n’est dit sur la manière dont il faudrait y pallier ou dont ces déshérité.e.s pourraient reconnecter avec la nature, sauf à s’acheter une terre en campagne. Nous verrons qu’en effet, les auteur.e.s insistent sur une reconnexion à la nature qui n’est, dans les faits, que le privilège des nanti.e.s. Alors pauvres déshérité.e.s : c’est triste, mais il n’y aura pas de « rédemption par la présence » pour vous dans le texte Rattachements.

Si les auteur.e.s jugent un peu plus loin dans leur texte, avec raison, que l’État cherche à capter l’ensemble des luttes écologistes et à faire passer n’importe quelle politique verte pour un progrès du bien commun, il.le.s se gardent pourtant de parler des très nombreux groupes et collectifs écologistes radicaux, anticapitalistes et décoloniaux qui luttent contre l’État et qui ne sont pas captés par lui. Afin de souligner leur soi-disant exceptionnalisme de conscience et la magnificence de leurs pratiques, les auteur.e.s du texte invisibilisent l’ensemble des mouvements radicaux existants. Allant jusqu’à exprimer le regret de cette soi-disant absence, les auteur.e.s masquent par ce geste les pratiques de millions de personnes en lutte partout à travers le monde. Comme le mouvement radical réel est ignoré par les auteur.e.s, il.le.s nous proposent ceci afin que les choses changent : « Il s’agit de défendre les formes d’existence contre ce qui en nie les possibilités. Il s’agit de lutter et de vaincre de l’ennemi (qui prend plusieurs formes, en nous comme hors de nous). » Nous ne saurons pas quelles formes d’existence il faut sauver ni quel ennemi il faut combattre. L’ellipse suffit selon les auteur.e.s. Le capitalisme ? Le colonialisme ? Des termes qui sont quasi absents du texte. Une assertion sur le colonialisme de peuplement (quelques pages avant le milieu) est certes pertinente, qui affirme que celui-ci poursuit la politique d’élimination des communautés autochtones au Québec et au Canada, quoique le ton autoritaire employé pour exprimer cette (rare) idée intéressante tranche bizarrement avec le subjectivisme du reste du texte.

Alors que Rattachements se disait d’entrée de jeu en rupture avec la politique classique (un refus exprimé par le mépris de « l’environnementalisme activiste » et de la stratégie), une nouvelle perspective, en contradiction directe avec la politique présentiste du texte, est amenée vers le milieu de celui-ci. En effet, après avoir prôné une espèce de retour à soi mystique, encouragé à chercher « les éléments qui composent la vie magique », après avoir ignoré les problèmes sociaux et collectifs, les auteur.e.s se contredisent en soulignant maintenant que la politique est l’art du conflit, et qu’agir (politiquement) contre « l’Économie » (pourquoi pas le capitalisme ?) implique « une réelle territorialité, une présence, un rattachement »… et donc « une possibilité de conflictualité concrète ». Soyons généreux et assumons « qu’il faut être » pour « être en guerre ». Mais au-delà de ça, il n’est aucunement explicité comment la présence mystique au monde devient, sauf par la force des mots, une réelle présence conflictuelle. En effet, peut-on penser le conflit politique sans organisation collective (au sens social et de classe), sans stratégie, sans nommer l’ennemi (capitaliste), etc. ? La présence qui est préconisée ici est tout individuelle et sans contenu politique. Renotons que seul le signifiant « présence » (à soi, à la nature) sert de contenu politique entre le début du texte et l’endroit où nous nous trouvons. Il est ainsi malheureux de voir que les auteur.e.s, essayant d’intégrer du mauvais Carl Schmitt prémâché par les appelistes français, n’arrivent même pas à poser une réelle contradiction politique.

Bien sûr, par-delà la présence mystique à soi-même, toute la notion de rattachement ignore la question du colonialisme de peuplement qui fonde les Amériques. Il semble qu’avoir parlé une fois du colonialisme de peuplement dédouane les auteur.e.s de toute réflexion sérieuse à ce sujet, et surtout d’en tirer les conséquences politiques. En effet, dans la seconde partie du texte, les auteur.e.s n’ont de cesse de parler de l’habiter, des territoires à habiter, des lieux à (re)prendre, etc. : des thèmes qui ne sont que de nouveaux déploiements de colonialité qui ne s’avouent pas. Disons-le : si les territoires sont des « choses qui leur sont dues » pour les auteur.e.s du texte, c’est parce qu’il.le.s ont totalement intériorisé les valeurs de la bourgeoisie coloniale blanche, seule classe sociale qui discoure sur son droit aux grands espaces et aux divers territoires et dont la simple affirmation d’exister fait office de politique.

Les auteur.e.s en profitent, dans leur insolence, pour rejeter la responsabilité collective que les descendant.e.s de colons portent. Qu’une telle reconnaissance de la responsabilité collective soit nécessaire si nous voulons penser une réelle politique décoloniale n’importe pas aux auteur.e.s : ceux et celles-ci craignent plutôt qu’un tel aveu nous mène à « une politique sacrificielle ». Le lien de cause à effet n’est pas explicité entre l’acceptation de notre responsabilité collective dans le processus colonial génocidaire et la question sacrificielle. Il semble plutôt que le refus de porter la responsabilité commune serve à rendre acceptables leurs envies en territoires non cédés : se réapproprier des territoires, s’y construire des maisons, y cultiver la terre, pouvoir être propriétaires, pouvoir faire librement la fête avec ses ami.e.s, être « présent.e.s » en somme sans que nul ne puisse leur faire des reproches. Et pour éviter que quelqu’un.e ne dévoile le pot aux roses : que de telles pratiques ne sont rien d’autre qu’une nouvelle colonialité et un vague hédonisme. Cette mentalité néocoloniale à l’œuvre vient d’être longuement mise en valeur dans le très bon texte Another Word for Settle : A Response to Rattachements and Inhabitiii. Ce texte montre bien le vice profond de ces deux textes appelistes.

Ne pas vouloir parler des crimes collectifs dont les sociétés et les individus occidentaux se sont rendus coupables jusqu’à ce jour n’est qu’une énième façon de se dédouaner de leurs responsabilités politiques pour le collectif Dispositions. Car après avoir (si mal) parlé du conflit politique en milieu de texte, les auteur.e.s en reviennent vite à leur leitmotiv personnaliste. Sous prétexte de ne pas vouloir culpabiliser les individus (une culpabilisation qui paralyserait l’action politique), il.le.s refusent de nommer les problèmes systémiques. La solution simple aurait été de mettre en accusation le capitalisme, l’État et ses structures – cela aurait aussi désigné un ennemi clair et créé du conflit politique –, mais en refusant de le faire, les auteur.e.s parient unilatéralement sur un dédouanement (d’elles et eux-mêmes) menant à l’inaction, voire à un devoir d’inaction sociale. Conséquence : les auteur.e.s tombent dans un relativisme volontairement niais quant aux responsabilités, selon lequel il n’y a « ni coupables, ni victimes ». Partant de l’immanentisme et du personnalisme comme politique, le texte s’est débattu avec la question politique, avant d’en arriver à une conclusion libérale, apolitique, individualiste et contraire à tout esprit révolutionnaire social.

Le pessimisme serait l’affect fondamental de l’époque ? Pour les auteur.e.s qui l’affirment, peut-être. Quoiqu’on se demande si cette affirmation ne sert pas simplement à justifier, à nouveau, le devoir d’inaction, le droit de ne pas militer, le refus d’une stratégie. Une autre manière de justifier que par ces temps difficiles, il vaut mieux être amoureux.euse de soi-même et que c’est déjà bien dans « l’époque ». Mais revirement de situation : jamais à court de contradictions, les auteur.e.s affirment maintenant qu’il faut « devenir responsables ». Belle parole de celles et ceux qui ne sont pas « coupables » mais « pessimistes ». Contradiction, vraiment ? Pas totalement, puisque la responsabilité qui est posée par les auteur.e.s est individuelle (envers soi et ses ami.e.s) et concerne les rapports que l’individu entretient envers autrui et la nature. Aux oubliettes la responsabilité historique, politique et économique. Ce qu’il faut, c’est être responsable envers soi et le voisin. Si ça ne rappelle pas « l’environnementalisme individuel » décrié en début de texte ça ! Ou simplement l’individualisme libéral. Bien sûr, quand les structures sociales et économiques ne nous écrasent pas, il est facile de se responsabiliser « envers » soi-même, en odeur de sainteté stoïcienne. Il en va autrement pour les peuples et les personnes qui s’organisent et luttent contre le colonialisme, l’impérialisme et le capitalisme ; mais il y longtemps que nous avons compris que le texte Rattachements n’allait pas parler des damné.e.s de la terre, tout obsédé qu’il est par la reconnexion spirituelle de la petite-bourgeoisie blanche et coloniale au monde qui l’entoure.

Comment les auteur.e.s proposent-il.le.s de dépasser la dichotomie du début ? Comment penser le conflit politique ? « Rendre l’écologie vraiment politique nécessite de poser la question suivante : qu’est-ce qui permet à tel ou tel milieu de vivre une vie bonne, d’accroître son bonheur ? » Assez faible comme grand jugement politique à la hauteur de l’époque. Combattre le capitalisme ? Organiser un monde nouveau, autogestionnaire ? Absolument pas : il semble que développer le bonheur et le bien-être dans son petit coin de pays suffise à changer le monde et à produire la révolution. Cette promesse du bonheur « dans son milieu de vie » est pourtant la même que celle du libéralisme et du capitalisme, et ne contredit aucunement les structures sociales. La plupart des membres de la classe moyenne et supérieure peuvent aspirer à un tel bonheur, sans d’ailleurs jamais remettre en cause le système de production et de consommation qui lui, détruit des millions de vies.

Ce qui est vraiment à l’œuvre ici, c’est la volonté de s’occuper de son jardin et de se faire croire qu’il y aurait quelque chose d’intrinsèquement révolutionnaire là-dedans. Preuve que la soi-disant politique appelée des vœux des auteur.e.s n’est rien d’autre qu’un entre-soi tout ce qu’il y a de plus commun dans l’époque : ce dont il faudrait prendre soin, ce sont « nos relations, nos appartements collectifs, nos maisons mises en commun et nos réunions politiques ». Outre la savoureuse touche « du propriétaire », il n’y a là qu’une volonté que ça marche bien avec ses ami.e.s. Aucune politique. Juste : « je veux que ça roule dans mon appartement et avec ma gang ». À l’instar de l’ensemble du texte, aucun problème politique, social ou collectif n’est soulevé. Les auteur.e.s avouent que c’est parce qu’il.le.s se sentent « épouvantablement inertes » qu’il.le.s veulent renouer avec la présence. Leur état semble relever d’une simple dépression, pas d’un appel du politique.

Quelques références douteuses sont amenées au début de la partie III : on fait appel à la vie mythifiée des paysan.ne.s dans un geste à la fois passéiste et confus, on fait appel à l’expérience zapatiste (alors même que la réoccupation des territoires par les descendant.e.s de colons, au cœur du projet des auteur.e.s, contredit celle-ci) et on souligne enfin l’autonomie des Kanienʼkehá꞉ka, comme si les peuples autochtones n’étaient pas spécifiquement soumis à un régime colonial de non-autonomie au soi-disant Canada. Il est clair que ces figures ne servent qu’à donner un vernis décolonial au texte, quoique le vernis craque en raison du côté « retour à la terre et bon paysan », une approche tout bonnement conservatrice et coloniale. Les auteur.e.s se permettent encore une insulte envers celles et ceux qui militent : il.le.s feraient « un lâche don de soi ». Pourquoi ? Parce qu’il.le.s n’adhèrent pas au présentisme bourgeois et individualiste des auteur.es ? Il semble que de la part de celles et ceux (les auteur.e.s) qui préfèrent déserter sur des territoires volés pour passer du bon temps en gang, l’insulte soit bien basse.

Les auteur.e.s, en critiquant les stratégies et les tactiques pacifistes employées par certains groupes écologistes, n’hésitent pas à mettre ensuite dans le même panier l’ensemble des militant.e.s. Il.le.s opposent au militantisme « l’exigence de formes de vies extatiques », seule forme « d’organisation réelle » selon les auteur.e.s. C’est aberrant de bêtise : le texte demande au lectorat non seulement de cracher sur les militant.e.s, mais en plus de préférer aux combats collectifs, à l’organisation et, oui, parfois au sacrifice, l’idée vaseuse (et encore une fois mystique) d’extase. D’une part, notons que les auteur.e.s entretiennent tout au long du texte la confusion entre militantisme, réformisme, sacrifice et « absence au monde », invisibilisant les diverses pratiques sociales et radicales de lutte et ne proposant comme solution que leur présentisme et le retranchement dans la « commune » (terme qui n’a pas sa place dans ce texte). D’autre part, l’esprit des auteur.e.s ne semble pas même effleuré par l’idée que « l’extase » puisse être réservée à celles et ceux dont les conditions de classe – notamment économiques – leur permettent de s’offrir un tel bon temps « extatique ». Les auteur.e.s oseraient-il.le.s exiger des travailleur.euse.s nocturnes d’entrepôt dans le parc industriel à Saint-Laurent qu’il.le.s ne luttent pas contre leur employeur, mais qu’il.le.s « choisissent » la vie extatique ? Oseraient-il.le.s soumettre leurs « idées sur l’extase » aux détenues de Leclerc ? Le narcissisme et le classisme du texte atteignent ici un sommet. Comment penser une seconde que pour les personnes réellement opprimées, le choix existerait entre lutter (un mauvais choix sacrificiel selon Dispositions) et la vie extatique (qu’on peut choisir délibérément si on en a envie). Voilà comment 200 ans de réflexions et de pratiques matérialistes révolutionnaires partent en fumée.

Et cette vie extatique, de quoi a-t-elle l’air ? Il faut combattre, voler, voyager. Et surtout, « trouver de l’argent, se doter de bâtiments et de terres pour les rendre à l’usage commun et voir la vie fleurir ». En somme, des activités ludiques pour prendre du bon temps et des activités capitalistes pour la vraie vie, pour l’avenir. Nous ne pouvons que constater que ce paragraphe « stratégique » du texte (les auteur.e.s ignorent le sens de ce mot, clairement) ne s’articule qu’autour d’activités individuelles et festives, ainsi que d’investissements et d’activités économiques classiques (libérales et capitalistes). Si acheter une terre et y faire une coopérative est censé être révolutionnaire (ou être une stratégie !), les auteur.e.s devront apprendre que non : acheter une terre et y faire une coopérative est une action économique propre au régime capitaliste et encadrée par lui, accessible aux classes moyennes et élevées du monde en raison des coûts d’investissement. C’est aussi, dans le cadre du colonialisme de peuplement au fondement de l’Amérique, généralement un geste de perpétuation du colonialisme. Évidemment, il peut être utile pour les mouvements révolutionnaires de posséder des infrastructures, des lieux, etc. Mais cette possession, légale et capitalisée, n’est jamais révolutionnaire en elle-même, et encore moins lorsqu’on en fait un usage personnel ou pour son petit groupe.

La seule proposition concrète du texte est donc d’abandonner les luttes politiques au profit de l’entre-soi (famille ou noyau d’ami.es), puis d’adhérer à des pratiques de vie capitalisées permettant la jouissance individuelle pour celles et ceux qui en ont les moyens. On retrouve ici le melting-pot que nous nommions en début de texte : conservatisme des valeurs bourgeoises, néocolonialisme, capitalisme, individualisme et hédonisme ; nous sommes en droit de supposer que c’est ça, retrouver « les éléments qui composent la vie magique ».

Le néocolonialisme et le conservatisme sont poussés encore un peu plus loin, dans la veine très à la mode du « retour à la terre ». Il devient ainsi important de colliger « ce que notre tante nous a appris sur les pruniers » et « comment aiguiser nos couteaux à bois, comment canner dix mannes de tomates ». Il faut se retrouver dans « la commune » (terme qui n’a pas sa place dans ce texte), c’est-à-dire la maison de campagne achetée avec nos ami.e.s, pour y faire ses actions hautement symboliques. Les auteur.e.s nous apprennent que cela est à même « de suspendre définitivement la progression de la catastrophe ». C’est lourd de valeurs passéistes ainsi que d’actions totalement apolitiques qui relèvent simplement de la vie quotidienne, en somme de rien de très extatique. Enfin, nous n’avons pas à juger de l’extase d’autrui : nous pouvons par contre juger que vivre à quelques un.e.s à la campagne, en se délestant de nos responsabilités politiques, n’augure en rien une organisation révolutionnaire ou un triomphe politique. Il est d’ailleurs difficile de voir en quoi un tel projet se distingue de la myriade d’initiatives individuelles et apolitiques d’établissement à la campagne (de plus en plus populaires en raison de l’anxiété provoquée par la crise écologique) ou pire, de l’entrepreneuriat vert (la fameuse ferme biologique en permaculture). Si ces initiatives « autonomes » étaient réellement à même de provoquer le renversement des structures capitalistes et coloniales actuelles, cela ferait longtemps que Val-David serait une commune libérée du marché et de toute oppression.

Les deux dernières pages condensent les diverses caractéristiques de Rattachements : aucune analyse structurelle, aucune analyse matérielle, la domination de notre époque considérée comme d’abord subjective, un appel au présentisme mystique (retour à soi, à la vraie vie, au monde), une soi-disant politique qui ignore tout des conditions de vie réelles, etc. Le point d’orgue de ce texte colonial, capitaliste, narcissique et mystique : « Se rendre à la fois perceptibles et disposé-es à la perception. Affect et puissance, orientation et grandeur. Il ne s’agit pas de deux fronts à mener, mais de l’explicitation pratique du double sens des mots présence, sensible. » Le texte clôt donc sa longue litanie de contradictions par une phrase qui ne veut strictement rien dire.

* * *

Cette longue critique a pu sembler répétitive et parfois confuse. Elle a pourtant simplement suivi le fil d’un texte long, lui-même confus, rempli de ses contradictions, ne remplissant pas ses promesses, appelé Rattachements. Ce texte se veut une réflexion sur le temps présent et une proposition d’action révolutionnaire, mais il n’est selon nous rien d’autre qu’un long déploiement de valeurs néocoloniales, bourgeoises, capitalistes et narcissiques. On y trouve beaucoup d’aberrations, beaucoup de contradictions, un personnalisme crade et rien d’utile pour les révolutionnaires actuel.le.s. Que celles et ceux qui ne pensent pas que ce texte soit si terrible se donnent la peine de le (re)lire avec attention : il est terrible, il est ennemi. Nous savons que les gens derrière ce texte ne sont pas des adversaires, mais nous ne pouvons pas nous complaire face à ce qu’il.le.s ont écrit et diffusé.

Leur texte propose au final une énième « alternative » capitalisto-verte et individualiste : le type même de pratique qui détourne les forces vives de l’action politique et qui entretient la catastrophe sous prétexte « d’action personnelle ». Les lignes d’analyse de Rattachements sont contraires à la compréhension sociale et politique dont nous avons besoin, contraires à l’organisation collective nécessaire pour lutter contre le système capitaliste. Nous pensons qu’une analyse et une politique différentes de celles proposées par les auteur.e.s s’imposent : une politique faite par et pour les opprimé.e.s et les militant.e.s, qui doit nous mener vers un monde autogestionnaire ; pas une politique de petit.e.s narcisses vivant leur « trip » en campagne. La désertion individualiste ne nous sauvera pas et ne peut pas guider nos actions dans les temps à venir. Tant que Rattachements circule, il est de notre devoir de le critiquer durement.

i Voir en ligne (version originale française) : https://contrepoints.media/fr/posts/rattachements-pour-une-ecologie-de-la-presence

ii Voir en ligne (version originale anglaise) : https://inhabit.global/

iii Voir en ligne (version originale anglaise) : https://mtlcounterinfo.org/another-word-for-settle-a-response-to-rattachements-and-inhabit/

Contrôle et surveillance en temps de pandémie

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Jan 302021
 

Du Projet accompagnement solidarité Colombie (PASC)

La pandémie a révélé les conséquences d’années de coupes budgétaires des gouvernements et de politiques favorisant la privatisation graduelle de nos systèmes publics de santé, au profit d’une vision mettant de l’avant la rentabilité économique de la santé.

Pour faire face à la pandémie de la COVID-19, au lieu de proposer des investissements dans nos services publics, de nombreux État ont opté massivement pour l’implantation de mesures répressives, telles que le confinement strict et le couvre-feu, et d’une panoplie de mesures de contrôle et de surveillance.

L’urgence et le climat de peur servent à forcer le consensus et à fabriquer le consentement de la population aux diverses mesures mises de l’avant pour nous sortir de la crise sanitaire. Nous acceptons jours après jours la mise en place de mesures de contrôle social qui, il y a à peine quelques mois, auraient été impensables. Le traitement médiatique de la pandémie n’est pas étranger à l’acceptation sociale des changements drastiques qui nous sont imposés.

Ainsi, la majorité des États se tournent vers le privé pour nous offrir des solutions technologiques. Comme ceux mis en place dès le début de la crise en Israël par exemple, où les données de géolocalisation des cellulaires, normalement utilisées par les services de renseignement pour réprimer les mouvements sociaux palestiniens, ont été utilisés pour identifier les personnes qui auraient été en contact avec des porteurs du virus.

Partout dans le monde, des pays ont maintenant recours à des applications de traçage numérique. Ainsi, avec le prétexte de vouloir nous protéger du virus, nous assistons à la mise en place de systèmes de suivis des déplacements et des relations de milliards d’individus, alors que les résultats sanitaires sont plus qu’incertains.

La pandémie est vue par l’élite mondiale comme une opportunité d’accélérer la mise en œuvre du capitalisme de surveillance et de ce que le Forum économique mondial (FEM) appelle, la 4ieme Révolution Industrielle : numérisation des chaines d’approvisionnement et de pans entiers de l’économie, Internet, des objets, villes intelligentes, etc. Le capitalisme de surveillance est une forme d’extractivisme, dans laquelle la matière première sont les données personnelles des individus, le nouvel « or » sur les marchés boursiers. Bref, une hyper-connexion via un système Internet totalement centralisé et contrôlé qui consigne dans de gigantesque centre de données, nos amitiés, nos désirs, nos tristesses et nos peurs afin de pouvoir les analyser et mieux les « influencer » grâce a la capacité de traitement de données de l’intelligence artificielle.

Les plans de développement des villes intelligentes, basés sur la surveillance et l’interconnectivité des données, affrontaient avant la pandémie de nombreuses réticences à cause de l’ampleur des changements proposés. La pandémie semble avoir fait disparaître ces réticences, agissant comme un choc qui permet de rendre acceptable que nos maisons deviennent notre bureau, notre gym, notre école et même notre prison si l’État le décide.

Montréal est devenue un des plus importants pôles de développement de l’intelligence artificielle dans le monde. « Les entrepreneurs en IA ont dans leur mire l’ancien pôle industriel entre Parc-extension et la Petite-Patrie, qu’ils appellent le Mile-Ex. Ils profitent aussi de l’expansion du campus de l’UdM dans la partie Sud de Parc-Extension. (…) Plusieurs start-up sont aussi situées près du Canal Lachine. (…) Ces entreprises s’approprient des ateliers locatifs, faisant grimper le prix des loyers et des ateliers, mais aussi des logements tout autour. Ce mouvement d’appropriation du territoire par les entrepreneurs en IA contribue à achever la gentrification des quartiers visés. »1 Nos luttes contre la gentrification peuvent les décourager de s’installer dans nos quartiers ; à nous de faire les liens entre l’embourgeoisement de ces derniers et le développement des pôles de l’IA.

Les crises du capitalisme opèrent toutes selon la même dynamique ; elles liquident des pans entiers de l’économie et permettent de la restructurer avant d’entrer dans une nouvelle phase de croissance et d’accumulation de capitaux, qui concentre chaque fois plus la richesse. Les crises financières, les guerres et les catastrophes, dont les pandémies, sont idéales pour remettre les compteurs à zéro. Klaus Schwab, le fondateur et président exécutif du FEM (aussi appelé forum de Davos) en est bien conscient, puisqu’il fait la promotion active de l’idée que la pandémie offre une fenêtre d’opportunité pour effectuer ce qu’il appelle The Great Reset, visant à jeter de nouvelles bases pour le fonctionnement du capitalisme global, basé sur l’idée d’une mondialisation version 4.0.

La crise actuelle permet également de mettre à jour les cadres légaux et les comportements sociaux et de réécrire les règles du jeu de la « nouvelle normalité » qui s’installe. N’oublions pas que les États tendent à rendre permanentes les lois spéciales et autres mesures d’exceptions introduites en temps de crise. Nous n’avons qu’à penser aux lois anti-terroristes ayant été votées un peu partout sur la planète après le 11 septembre 2001, donnant des pouvoirs accrus aux forces de l’ordre et à l’État en matière de contrôle et de surveillance ; l’ensemble de ces pouvoirs sont toujours en place.

En plus de mesures autoritaires comme l’imposition de couvre-feu et les contrôles d’identité, plusieurs autres moyens de surveillance médicale de masse sont en train de voir le jour : caméras thermiques et de reconnaissance faciale, bracelets électroniques pour contrôler la distanciation physique, et carnet de vaccination numérique font partie des propositions en vogue. Ce dernier est probablement le plus inquiétant car les personnes qui refusent de se faire vacciner pourrait se voir refuser l’accès aux avions, aux endroits publics, commerces, restaurants, bars, salles de spectacles et même à leur lieu de travail. L’Ontario et le Québec ont déjà indiqué qu’ils pensent à exiger des preuves de vaccination pour certaines activités.

Alors qu’on nous demande de nous adapter à cette nouvelle « normalité », nous devons nous demander jusqu’où sommes-nous prêtes à accepter ces nouvelles formes de contrôle et de surveillance de nos vies.

Nous assistons à une véritable réingénierie des comportements sociaux : imposition du télétravail, délation des voisins, peur de la contagion, peur d’une accolade, isolement social et acceptation de la surveillance de masse. Alors que le capitalisme de surveillance a bel et bien pris son envol et que son éventail de nouvelles technologies nous est présenté comme autant de solutions miracles à la crise que nous vivons; nous percevons avec inquiétude la rapide acceptation des mesures qui créent de la distance dans nos relations humaines et nous empêchent d’être ensemble…

Bien que nous acceptions la distanciation sociale comme un mauvais moment à passer, tant qu’il s’agit d’une mesure temporaire pour se protéger et protéger nos proches, nous pouvons refuser de nous y habituer et affirmer d’ores et déjà que nous n’accepterons pas la distanciation sociale perpétuelle. Nous avons besoin du contact humain et nous en priver revient à nous déshumaniser.

Tout comme nous refusons l’imposition de mesures autoritaires pour faire face à la pandémie, refusons que s’installe un monde sans contact!

Réorientation anarchiste à l’époque de la COVID

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Jan 282021
 

Soumission anonyme à MTL Contre-info

Publication initiale le 23 mars 2020

La situation change d’heure en heure. Comme tout le monde, je le suis de près et je partage les nouvelles infos, je regarde nos vies changer chaque jour, je sombre dans l’incertitude. Il nous arrive d’avoir l’impression qu’il n’y a qu’une seule crise dont les faits sont objectifs et qui ne permettent qu’une seule voie: celle de la séparation, de l’enfermement, de la soumission, du contrôle. L’État et ses appendices deviennent donc les seuls acteurs légitimes et le récit des médias de masse, avec la peur qu’ils véhiculent, inonde notre capacité d’action autonome.

Certain·e·s anarchistes ont signalé l’existance de deux crises qui se déroulent en parallèle. La première c’est la pandémie qui se répand à toute allure, qui nuit gravement et provoque même la mort pour des milliers de personnes. L’autre, c’est la stratégie de gestion de crise de l’État. Il veut nous faire croire qu’il agit pour défendre la santé de tout le monde — il veut qu’on voit sa réponse à la crise comme objective et inévitable.

La gestion de crise permet à l’État de décider les conditions qui existera une fois la crise passée, ce qui lui permet de choisir les gagnants et les perdants, selon des critères prévisibles. Si on reconnait l’inégalité comme partie intégrante de ces mesures soi-disant neutres, il faut aussi avouer que certain·e·s payeront un prix bien plus élevé pour ce que les puissants nomment le bien collectif. Je veux retrouver l’autonomie et la liberté d’action dans cette situation et pour ce faire il sera nécessaire d’échapper au récit qui nous est donné.

Lorsqu’on permet à l’État de contrôler le récit et les questions que l’on pose, on lui permet aussi de contrôler la réponse. Si on désir un résultat autre que ce que préparent les puissants, il sera nécessaire de poser une question différente.

Nous ne faisons pas confiance aux récits médiatiques sur bien des sujets et nous restons d’habitude conscient·e·s du pouvoir des puissants de façonner le récit pour rendre inévitable les actions qu’ils ont envie de prendre. Ici au Canada, l’exaggération et les mensonges sur l’impact des blocages liées au mouvement #shutdowncanada ont préparé le terrain pour un retour violent au normal. Il est possible de comprendre l’importance d’un protocol pour limiter les infections tout en restant critique de la manière dont l’État s’en sert à ses propres fins. Même si on regarde la situation pour nous même et on arrive à accepter certaines recomandations que prône aussi l’État, il ne nous est pas nécessaire d’adopter son projet comme le notre. Il y a toute une différence entre suivre des ordres, et la pensée indépendante qui mène à des conclusions semblables.

Lorsqu’on porte vraiment notre propre projet, il nous est plus facile d’arriver à une analyse indépendante de la situation, d’examiner les diverses informations et suggestions pour nous même et de se demander ce qui est en accord avec nos buts et priorités. Par exemple, céder la possibilité de manifester quand grand nombre ont encore besoin de bosser dans le commerce du détail ne peut être qu’une mauvaise décision pour tout projet libérateur. Ou bien reconnaître la nécessité d’une grêve des loyers, tout en propageant une peur qui interdit toute manière de se retrouver entre voisin.e.s.

Abandonner les moyens de lutter tout en accomodant l’économie n’a rien en commun avec nos buts à nous mais découle du but de l’État qui veut gérer la crise tout en limitant les dégats économiques et empêchant toute atteinte à sa légitimité. Ce n’est pas que l’État cherche à limiter la dissidence, c’est juste un sous-produit. Mais si nous avons un point de départ différent — cultiver l’autonomie au lieu de protéger l’économie — nous arriverons sans doûte à un équilibre différent sur ce qui nous est acceptable.

Pour ma part, un point de départ c’est que mon projet en tant qu’anarchiste est de créer les conditions pour des vies libres et enrichissantes et non simplement des vies les plus longues possibles. Je veux écouter des conseils intelligents sans céder mon autonomie et je veux respecter l’autonomie des autres — au lieu d’un code moral à imposer, nos mesures pour le virus devrait se baser sur des accords et des limites, comme toute pratique de consentement. En discutant des mesures qu’on a choisi, on arrive à des accords et là où l’accord est impossible, nous établissons des limites auto-exécutoires qui n’ont pas besoin de coercition. Nous prenons en compte comment l’accès aux soins médicaux, la classe, la race, le genre, la géographie et bien sûr la santé interagissent avec en même temps le virus et la réponse de l’État et nous prenons celà comme une base pour notre solidarité.

Le récit de l’État insiste sur l’unité — l’idée qu’il est nécessaire de se rassembler comme société pour un bien singulier qui nous appartiendrait à tous et toutes. Les gens aiment le sentiment de faire partie d’un grand effort de groupe et aiment l’idée qu’ils puissent contribuer par leurs gestes individuels — le même genre de phénomène qui rend possible les mouvements sociaux contestataires permetant aussi à ces moments d’obéissance de masse. Notre rejet de ce récit peut donc commencer en se rappellant de l’opposition fondamentale entre les intérêts des riches et des puissants et les nôtres. Même dans une situation où ils pourraient tomber malade et mourir eux aussi (en différence avec la crise des opiacés ou l’épidémie du SIDA avant), leur réponse à la crise à peu de chance de satisfaire nos besoins et risque même une intensification de l’exploitation.

Le sujet présumé de la plus part des mesures tel que l’auto-isolement et l’éloignement social est de classe moyenne — ils imaginent une personne avec un emploi qu’elle peut facilement faire de chez elle ou bien qui a accès à des congé payée (ou dans le pire des cas, à des économies), une personne avec un chez-elle spacieux, une voiture personelle, sans beaucoup de relations intimes et avec du fric à dépenser sur la garde d’enfants et le loisir. Tout le monde est exhorté à accepter un niveau d’incomfort, mais ceci augmente à force que nos vies diffèrent de cette idéale implicite, ce qui augmente l’inégalité du risque des pires conséquences du virus.

En réponse à cette inégalité on voit circuler de nombreux appels pour des formes de redistribution étatique, telles que l’expansion de l’assurance emploi, des prêts ou des reports de paiement. La plus part de ces mesures se résument à de nouvelles formes de dette pour des gens déjà en difficulté, ce qui fait écho de la crise financière de 2008, où tout le monde a partagé les pertes des riches tandis que les pauvres ont été laissés pour compte.

Je n’ai aucun intérêt à donner des conseils à l’État et je ne suis pas parmi celleux qui voit en ce moment un point de bascule vers des mesures socialistes. La question centrale à mon avis, c’est si on veut ou non que l’État ait le pouvoir de tout arrêter, peu importe ce qu’on pense des raisons invoqués.

Le blocages #shutdowncanada étaient jugées innacceptables, bien qu’ils ne causaient pas une fraction des dégats que ce qu’a pu faire l’État, à peine une semaine plus tard. C’est clair que le problème n’est pas le niveau de perturbation, mais qui est l’acteur légitime. De la même manière, le gouvernement de l’Ontario ne cessait de répéter à quel point la grève des enseignant·e·s et leurs quelques journées d’actions auraient été un fardeau inacceptable pour les familles, juste avant d’ordonner la fermeture des écoles pendant trois semaines. Encore une fois, le problème c’est que c’était des travailleurs·euses et non un gouvernement ou un patron. La fermeture des frontières à des gens mais non à des biens intensifie le projet nationaliste déjà en marche partout dans le monde et la nature économique de ces mesures à l’apparence morale deviendra évidente après le pic du virus et quand les appels deviendront plutôt « achêter, pour l’économie ».

L’État rend légitime ses actions en les positionnant comme la simple mise-en-pratique des recommandations expertes et de nombreux gauchistes répètent cette même logique dans leurs appels pour la gestion directe de la crise par des experts. Tous les deux prônent la technocratie et le règne des experts. On a vu de ça dans certains pays européens, où des experts économiques étaient nommés chef d’État pour mettre en place des plans d’austérité « neutres’ et « objectifs ». On trouve souvent à gauche des appels à céder notre autonomie pour se fier à des experts, surtout dans le mouvement contre les changements climatique, et aucune surprise de les retrouver pour le virus.

Ce n’est pas que je ne veux pas l’avis d’experts ou qu’il existe des individus avec une connaissance profonde de leur domaine — c’est que je trouve que la manière de présenter un problème anticipe déjà la solution. La réponse au virus en Chine nous montre de quoi la technocratie et l’autoritarisme sont capables. Le virus ralenti et les postes de contrôle, les couvre-feu, les technologies de reconaissance faciale et la mobilisation de main d’oeuvre peuvent servir à d’autres fins. Si on ne veut pas cette réponse, il faut savoir poser une question différente.

Les écrans ont déjà réussi à enfermer énormément la vie sociale et cette crise ne fait qu’accélérer ce processus — que peut-on faire pour lutter contre l’aliénation en ce moment? Que peut-on faire pour répondre à la panique de masse que répandent les médias, ainsi qu’à l’anxiété et la solitude qui viennent avec?

Comment répandre la possibilité d’agir? Les projets d’entraide et de santé autonomes sont une bonne idée, mais peut-on passer à l’offensive? Peut-on entraver la capacité des puissants de décider quelles vies valent la peine de sauver? Peut-on aller au-delà du soutien pour s’attaquer aux rapports de proprieté? Aller vers le pillage ou l’expropriation, ou même extorquer les patrons au lieu de mendier pour un peu de congé maladie?

Que fait-on pour préparer à esquiver les couvre-feu ou des restrictions de déplacements, même à traverser des frontières bouclées, si on décide que c’est approprié? Cela comprendra d’établir nos propres standards pour la sécurité et la nécessité et de ne pas accepter bêtement celles de l’État.

Que peut-on faire pour avancer nos engagements anarchistes? En particulier, notre haine de la prison dans toutes ses formes me parait pertinente. Que peut-on faire pour cibler les taules en ce moment? Et les frontières? Et si la police s’en mêlent pour appuyer les mesures de l’État, comment faire pour délégitimer et limiter leur pouvoir?

Le pouvoir se reconfigure autour de nous — comment cibler ses nouveaux points de concentration? Quels intérêts cherchent à « gagner » au virus et comment les miner (pensons aux opportunités d’investissement, mais aussi aux nouvelles lois et l’expansion de pouvoirs autoritaires). Quelles infrastructures de contôle se renforcent? Qui sont les profiteurs et comment les atteindre? Comment préparer pour ce qui viendra après et se préparer pour le moment de possibilité qui pourrait exister entre le pire du virus et un retour à la normalité économique?

Développer notre propre récit de ce qui se passe, ainsi que des buts et priorités qui nous sont propres, n’est pas mince affaire. Il sera nécessaire d’échanger des textes, experimenter en action et communiquer sur les résultats. Il nous sera nécessaire d’élargir notre idée d’intérieur-extérieur pour avoir suffisament de gens avec qui s’organiser. Il sera nécessaire de continuer d’agir dans l’espace publique et refuser de se replier sur l’internet. Avec les mesures pour combattre le virus, la peur intense et la pression de se conformer chez nombreuses personnes qui seraient autrement nos alliées rend difficile la tâche de discuter de la crise autrement. Mais si on veut vraiment défier la capacité des puissants de façonner la réponse au virus selon leurs intérêts, il faut commencer par regagner l’abilité de poser nos propres questions.

Les conditions sont différentes partout, mais les États se regardent et se prennent en exemple, alors il nous ferait bien de regarder les anarchistes ailleurs pour voir comment illes font face à des conditions qui seront bientôt les notres. Alors je vous laisse avec cette citation d’anarchistes en France, où le confinement obligatoire est en place depuis une semaine, maintenu par la force armée de la police:

Alors oui, on va éviter les activités trop collectives, les réunions superflues, on va maintenir des distances de sécurité, mais on niquera votre confinement, déjouera autant que possible vos contrôles, hors de question qu’on cautionne la restriction de nos libertés et la répression ! A tou.te.s les pauvres, les marginaux et les révolté.e.s, soyons solidaires et entre-aidons nous pour maintenir les activités nécessaires à notre survie, éviter les arrestations et les amandes et continuer à nous exprimer politiquement.

Contre le confinement généralisé, Indymedia Nantes

La Mauvaise Herbe vol.19

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Jan 262021
 

De La Mauvaise Herbe

Heureuse nouvelle contre la dépression saisonnière, La Mauvaise Herbe vient de publier son nouveau numéro (décembre 2020)!!

Sommaire des articles:
– Des kilomètres et des chalets
– Tchernobyl et le COVID
– Des nouvelles du progrès
– Être ancrés dans la réalité et le sol
– Anarchiste d’esprit vs anarchiste de parole
– Compte-rendu du livre Operation Chaos
– Voici à quoi ressemble le terrorisme domestique
– Extraits du livre La lutte pour le territoire québécois; entre extractivisme et écocitoyenneté

Vous pouvez télécharger ce numéro sur le lien ci-dessous:

MH19

Crise sanitaire : comment le capitalisme nous tue depuis un an

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Jan 262021
 

De Archives Révolutionnaires

Au début de l’année 2020, la presse fait état d’un nouveau virus se propageant à travers le monde. Au printemps, dans un pacte officieux et en attendant d’en savoir plus sur les modalités de transmission et la dangerosité du nouveau coronavirus, la plupart des États capitalistes décident de ralentir, voire de fermer la majeure partie de leur économie. Au Québec, l’état d’urgence sanitaire est déclaré le 13 mars 2020. Pourtant, dès que « l’on en sait un peu plus » et que l’on croit le virus contrôlable, l’ensemble des pays industrialisés rouvrent leur économie : il faut faire vite dans le but de ne pas être laissé derrière. Au début du mois de mai, les magasins, la plupart des entreprises et les garderies entament une réouverture au Québec, la ville de Montréal retardant de quelques semaines sur le reste de la province. Un déconfinement général est amorcé le 25 juin, alors que l’obligation de porter un masque dans les lieux publics fermés est décrétée le 18 juillet : l’économie fonctionne quasi à plein régime, quoique les citoyen.nes doivent changer quelques habitudes de vie. L’été semble offrir un répit avant que le virus ne recommence à se répandre au début du mois de septembre, grosso modo lors de la période du retour en classe et à cause de la baisse graduelle des températures qui pousse la population à passer plus de temps à l’intérieur et dans des lieux moins aérés, au travail comme ailleurs. En janvier 2021, le Québec fait état de plus de 250 000 cas et d’un bilan de plus de 9 400 mort.es de la COVID-191. Qu’est-ce qui nous a menés là ? Pourquoi, malgré un an d’efforts collectifs, la situation semble-telle toujours s’aggraver ? Éléments d’explication.

L’état dans lequel se trouve aujourd’hui le Québec est directement imputable à l’organisation capitaliste de notre société. Les gouvernements québécois des 30 dernières années, en phase avec l’idéologie néolibérale, ont systématiquement détruit les structures de solidarité sociale, au premier rang desquels le système de santé publique2. Anémique, le réseau hospitalier est dorénavant incapable de supporter la pression d’un afflux supplémentaire de malades, comme il est incapable de prodiguer des soins adéquats aux patient.es ou d’offrir des conditions de travail dignes à la majorité de ses employé.es. Négligés ou privatisés, les Centres d’hébergement de soins de longue durée (CHSLD) sont devenus le tombeau des improductif.ves. Dans ce tout-à-l’économie, focalisé sur le maintien de la production et de la consommation, le gouvernement – de connivence avec l’industrie – a de surcroît mis en danger les travailleur.euses en lésinant sur la fermeture du secteur manufacturier, de la construction et de nombreuses autres entreprises. Cette désinvolture a entraîné la concentration des contaminations dans les quartiers ouvriers, révélant au passage les inégalités sociales et la division de classes sur lesquels repose le système capitaliste3. Face à cette gestion froide et comptable de la crise, qui réduit l’individu à sa seule fonction productive tout en rudoyant les secteurs reproductifs (santé, éducation…), une colère multiforme se fait entendre. C’est pour dissimuler les facteurs structurels qui alimentent la pandémie et mater la colère qui se généralise que le gouvernement de François Legault (Coalition Avenir Québec) se dédouane en responsabilisant les individus – pourtant victimes de la crise – et qu’il emploie de plus en plus de mesures fondées sur la peur, la répression, la discipline policière et l’autoritarisme.

Néolibéralisme et système de santé : un mal profond

Les gouvernements péquistes, libéraux et caquiste des 30 dernières années, adhérant tous à l’idéologie néolibérale, ont systématiquement détruit les structures de solidarité sociale4, en particulier le système de santé publique dont nous aurions tant besoin en ce moment. Le gouvernement de Lucien Bouchard (Parti Québécois) – dans lequel François Legault était ministre – a fait du néolibéralisme une politique d’État en imposant son programme du « déficit zéro » en 1996, une politique à laquelle se sont désormais pliés tous les gouvernements successifs. Le gouvernement libéral de Philippe Couillard, quant à lui, a donné le coup de grâce en opérant des compressions massives et des restructurations au sein du système de santé publique dans le cadre de la « réforme Barrette » amorcée en 20155. Ce programme a entraîné une dégradation majeure des conditions de travail des employé.es du secteur public de la santé, sans compter l’effondrement de la qualité des soins6.

Le réseau ressemble maintenant à un monstre centralisé et surbureaucratisé7, dans lequel les travailleur.euses ont peu d’ascendant sur les décisions qui affectent leur travail et doivent répondre à des standards de productivité difficilement applicables en contexte de soins8. De nombreux.euses employé.es, incapables de supporter plus longtemps une telle pression – d’ailleurs contraire aux principes altruistes du système de santé – quittent leur emploi dans le secteur public, ce qui entraîne des pénuries de personnel. La pandémie n’a fait qu’aggraver cette situation catastrophique. Le gouvernement du Québec a suspendu plusieurs conventions collectives dans le domaine de la santé en mars 2020, s’octroyant ainsi le droit de déplacer le personnel à sa guise et sans égard pour les postes occupés, d’annuler des congés préalablement autorisés et de refuser l’octroi de nouveaux congés9. Aucune réponse n’a par ailleurs été donnée aux demandes légitimes et aux mobilisations des travailleur.euses de la santé concernant l’équipement de protection individuel adéquat, l’interdiction de déplacer le personnel hospitalier pour freiner la propagation du virus, les heures de travail, les congés ou la paie. En décembre 2020, les travailleur.euses de l’hôpital de Chicoutimi imploraient encore leur Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux (CIUSSS qui chapeaute une région socio-sanitaire du Québec) de leur fournir des masques N95 afin de freiner la contamination au sein du personnel soignant10.

Affichage public, Trois-Rivières, 2020 (@le_pleurnicheur)

Au cours des années, l’État québécois – responsable du domaine de la santé – s’est montré incapable d’assumer sa responsabilité envers les personnes âgées et les CHSLD, en laissant nombre d’établissements aux mains du secteur privé et en négligeant ceux du secteur public. Sans surprise, les CHSLD privés imposent les pires conditions de travail pour le personnel et les salaires les plus bas, entraînant là aussi une grave pénurie de main-d’œuvre. Ces établissements ont par ailleurs fait la manchette en raison des négligences dont leurs résidant.es sont victimes. L’hécatombe dans les CHSLD privés et publics du printemps 2020 est la conséquence tragique d’un mode de gestion entrepreneurial de la société qui rejette sa responsabilité envers les aîné.es (vu.es comme des non-productif.ves) ou qui privatise cyniquement les soins auxquels il.les ont droit. Le travail de reproduction sociale associé à ces soins, principalement dévolu à des femmes (dont beaucoup sont issues de l’immigration) est naturellement dévalorisé en régime capitaliste, sexiste et raciste. Pour remédier à la catastrophe dans le système de santé, aucune solution conséquente ou structurelle n’a été proposée. Le comptable en chef, François Legault, se contente de féliciter les « anges gardiens » (entendre, les travailleur.euses essentiel.les), tout en laissant le système dépérir et en maintenant une attitude condescendante et violente envers celles et ceux qui travaillent dans le domaine de la santé. Les gestionnaires d’établissements continuent d’user de la contrainte envers leur personnel en toute impunité11, notamment par l’imposition de « temps supplémentaire obligatoire ». L’appel de plus en plus massif aux agences de placement pour pallier les pénuries de main-d’œuvre contribue par ailleurs à la contamination massive des employé.es comme des patient.es12, alors que les « employé.es volant.es » deviennent involontairement et à leur grand dam des vecteurs de transmission.

Nous voilà devant les conséquences des compressions drastiques et des restructurations des gouvernements péquistes, libéraux et caquiste qui, depuis les années 1980, détruisent le système de santé publique que le Québec avait tenté de mettre en place à partir des années 1960. L’économicisme et l’incurie sociale de ces gouvernements successifs tuent les plus vulnérables d’entre nous aujourd’hui. Un réseau décentralisé, bien organisé et bien financé, aux employé.es en nombre suffisant et bénéficiant de bonnes conditions de travail, aurait certainement fait la différence13. De même, si une partie des soins de santé pour les personnes en fin de vie ou âgées n’avait pas été laissée entre les mains du secteur privé, nous n’aurions sûrement pas subi ces terribles pertes en vies humaines dans les CHSLD au printemps 2020. Si nous ne pouvons pas revenir en arrière, il est pourtant primordial de mettre en œuvre des solutions systémiques afin qu’une telle tragédie ne se reproduise jamais. La solution à long terme repose sur une vision de la santé non capitaliste et qui fait fi du productivisme, ainsi que sur une gestion coopérative ou une autogestion des établissements de santé, qui place le bien-être des patient.es et du personnel au premier plan : nous savons déjà que le personnel de santé est le plus apte à organiser convenablement les soins et c’est ce qu’il a prouvé malgré les terribles conditions actuelles. Laissons-le travailler comme il l’entend pour le bien-être, la santé et la dignité de toutes et tous.

Une crise pandémique qui en révèle cent autres : quand le capitalisme déconne

En refusant d’élaborer un plan conséquent, dans le temps long, de fermeture de différents secteurs de l’économie après le printemps 2020, le gouvernement Legault, obsédé par le maintien de la production et de la consommation, a mis en danger un grand nombre travailleur.euses, au premier rang desquels les employé.es des secteurs manufacturiers, de l’entreposage, de l’alimentaire et des services (bien sûr, sans compter celles et ceux de la santé). Ce n’est pas un hasard si la crise sanitaire frappe le plus durement les quartiers ouvriers, populaires et paupérisés – là où vivent les travailleur.euses des secteurs maintenus en activité – depuis le printemps 2020.

C’est un lieu commun de dire que le mode de production capitaliste est créateur de profondes inégalités tant au niveau national qu’international14. Ce système, qui génère des bénéfices pour une minorité de privilégié.es et laisse des miettes à la majorité qui produit, s’appuie sur une division de classes, sexuelles et raciales du travail. L’accélération du déconfinement au printemps 2020, alors que la pandémie était loin d’être maîtrisée, a ainsi frappé de plein fouet les travailleur.euses les plus précaires, dont le large contingent des travailleur.euses essentiel.les. Malgré l’insistance médiatique sur les rencontres privées et les partys, les principaux lieux d’éclosion ont toujours été les milieux de travail, ainsi que les hôpitaux, les écoles et les garderies (qui sont aussi des milieux de travail). Le 31 août 2020, le journal Métro rapportait que quelque 1 200 entreprises montréalaises (excluant les services publics, entre autres les hôpitaux) avaient officiellement recensé au moins un cas de COVID-19 depuis la mi-mars. Parmi celles-ci, environ le quart était considéré comme des foyers d’éclosion15. En date du 23 janvier 2021, les milieux de travail comptabilisaient 56,1 % des éclosions terminées, les milieux scolaires, 21,3 % et les garderies, 6,6 %. Quant aux « milieux de vie et de soins », ils comptaient pour 11,5 % des éclosions terminées alors que la catégorie « autres milieux » en recensait 1,8 %16.

Qui sont les travailleur.euses les plus à risque ? En sus des employé.es de la santé et du secteur tertiaire, ce sont les travailleur.euses des secteurs manufacturier, de l’entreposage et de l’alimentaire, des employé.es précaires – en grande partie immigré.es, sans-papiers ou racisé.es – qui doivent travailler dans des conditions difficiles et le plus souvent dangereuses, en « temps normal », mais aussi en temps de pandémie. Les abattoirs, par exemple, ont été des milieux particulièrement touchés par le virus, pour la simple raison que les employé.es sur les lignes de production doivent travailler côte à côte et que les employeurs y négligent les mesures de protection17. Des employé.es des entrepôts de Dollarama dénonçaient à l’été 2020 leurs conditions de travail qui ne respectaient aucunement les consignes sanitaires18. Dans le secteur manufacturier, on continue à déplacer matin et soir des travailleur.euses dans des autobus scolaires (jaunes), ce qui constitue un important vecteur de transmission auquel les travailleur.euses ne peuvent pas échapper19. Tous ces secteurs ont en commun de faire appel massivement aux agences de placement, qui favorisent un grand roulement de personnel et augmentent la difficulté d’organiser des syndicats… et qui permettent aussi au virus de circuler et aux employeurs d’être négligents sans avoir à répondre de leurs actions.

Le ministre Pierre Fitzgibbon ne se gênait pourtant pas pour mentir impunément aussi récemment que le 8 janvier en entretien au Devoir20, alors qu’il affirmait « qu’il n’y en a pas eu tant que ça [des contaminations en milieu de travail] », reconnaissant pourtant « qu’il y a peut-être eu un peu d’influence » de sa part pour que les manufactures et le secteur de la construction demeurent en activité. Le ministre affirmait compter sur « l’autodiscipline » des entreprises pour éviter les éclosions de COVID-19 en milieu de travail. Nous sommes en droit de nous demander de quelle « autodiscipline » le ministre parle alors qu’un grand nombre d’entreprises fait visiblement passer le profit avant la sécurité et la santé des employé.es. Si plusieurs entreprises lésinent sur les mesures préventives, celles qui les mettent en place, comme les épiceries, trouvent d’autres moyens de malmener leurs employé.es. La chaîne d’épicerie Loblaws, par exemple, a annulé au cours de l’été 2020 son « augmentation salariale d’urgence » de 2 $ de l’heure qu’elle avait offerte à ses employé.es en raison des dangers encourus par celles et ceux-ci au début de la pandémie. Ce 2 $ s’ajoutait à un salaire de plus ou moins 13 $ de l’heure. Pendant ce temps, la fortune de la famille Weston, propriétaire des épiceries Loblaws, s’élevait (en septembre 2020) à 10,8 milliards de dollars21… et les caissières et commis de Loblaws continuaient d’être exposé.es au virus lors de la deuxième vague de l’automne.

Farm Workers / Vegetable and Fruit Pickers – Essential Worker Portrait no.6 (Carolyn Olson)

Dans de telles conditions, les quartiers ouvriers et populaires connaissent les taux de contamination les plus graves de la province depuis le printemps 2020. Ces quartiers, où habitent un grand nombre de préposé.es aux bénéficiaires, d’infirmier.ères, de travailleur.euses des secteurs secondaire et tertiaire, des quartiers où vivent de nombreux.euses travailleur.euses migrant.es et sans-papiers, les plus touchés par la pandémie, sont paradoxalement (mais sans surprise) les plus négligés par les pouvoirs provinciaux et municipaux. Au printemps 2020, Le Devoir révèle que les quartiers Saint-Michel, Montréal-Nord et Rivière-des-Prairies à Montréal sont les quartiers les plus touchés par le coronavirus22. À la même période, le quartier Parc-Extension connaît une hausse fulgurante des cas de COVID-19. Le même article du Devoir rapporte qu’à Montréal-Nord, 40 % des cas de coronavirus sont directement liés aux travailleur.euses de la santé et des CHSLD. Un grand nombre de résident.es de Parc-Extension travaillent quant à eux dans le secteur agricole – lui aussi durement touché par le virus23 – et dans le secteur de la transformation alimentaire24, alors que les logements du quartier sont souvent trop petits pour accueillir les familles qui y vivent25. Conditions de travail non sécuritaires et proximité dans les milieux de vie deviennent vite les raisons évidentes de la contamination qui affecte les travailleur.euses et les quartiers populaires, loin du fantasme des « vilain.es fêtard.es » sensé.es être la cause principale de la propagation du virus. Face à cette situation, bien peu est proposé par le gouvernement provincial afin d’aider les travailleur.euses précaires, les locataires paupérisé.es ou les personnes marginalisé.es, entre autres. L’incurie des administrations provinciales comme municipales a forcé des citoyen.nes bénévoles à prendre en charge la prévention, la distribution de masques, le dépistage ou encore l’aide alimentaire. À Montréal-Nord, ce sont des bénévoles (lié.es aux organisations de quartier Hoodstock, Paroles d’excluEs et Un itinéraire pour tous notamment) qui se sont occupé.es de la sensibilisation ainsi que de la distribution de matériel de protection individuelle et de denrées alimentaires26.

La précarité économique, les emplois à risque, le manque de logements adéquats, le surpeuplement et la densité de certains quartiers sont les facteurs systémiques déterminants qui amplifient la crise pandémique. Le port du masque est certes l’une des meilleures barrières contre la transmission du virus en situation fermée, mais comment espérer que des employé.es travaillant, par exemple, dans une cuisine surchauffée et étroite puissent respecter ledit port du masque durant huit heures d’affilée ? Comment croire que les lieux de travail seraient magiquement immunisés contre les éclosions, alors que c’est pourtant eux qui mettent en contact le plus régulièrement et avec la plus grande proximité le plus grand nombre de personnes, sans compter la négligence des entreprises qui sont là pour le profit et non pour le bien-être et la santé des employé.es ? Comment ignorer que le fait d’habiter dans des logements trop petits, mal aérés et surpeuplés – c’est le cas pour une grande partie des travailleur.euses – contribue à la propagation du virus ? Si les mesures « de base » (distanciation, lavage de mains, port du masque, etc.) sont efficaces pour freiner la propagation du coronavirus, il faut pourtant, afin qu’elles portent réellement fruit, qu’elles soient accompagnées de mesures structurelles favorisant réellement et durablement la distanciation sociale, au travail comme à la maison, sans abandonner des pans entiers de la population à leur sort.

Comment croire que les lieux de travail seraient magiquement immunisés contre les éclosions, alors que c’est pourtant eux qui mettent en contact le plus régulièrement et avec la plus grande proximité le plus grand nombre de personnes, sans compter la négligence des entreprises qui sont là pour le profit et non pour le bien-être et la santé des employé.es ?

Pour ce faire, il est nécessaire d’impliquer les travailleur.euses (des secteurs public et privé) et leurs organisations, notamment les sections syndicales locales, dans la mise en place des mesures sanitaires et que celles et ceux-ci jugent des conditions adéquates et sécuritaires de leur travail. Il faut (à court terme) régulariser la demi-journée de travail sans perte de revenu, réduire fortement et durablement les effectifs, fermer les lieux de travail dangereux et non essentiels, ne plus tolérer la complaisance envers les grandes industries et maintenir une aide financière conséquente pour toutes les personnes affectées par la crise. La situation d’un grand nombre de travailleur.euses à risque est invisibilisée et évacuée du discours gouvernemental et médiatique, car il reste malvenu de dire que les milieux de travail sont les lieux principaux de la contamination. Cela ne doit pas nous surprendre, puisque le gouvernement place l’économie avant le bien-être de la population, mais nous ne pouvons pas faire l’autruche et accepter béatement cette supercherie. S’il est bien plus commode de mettre en accusation le jeune, le fêtard, le voyageur ou n’importe quelle figure à même d’attiser la grogne populaire dans la situation actuelle, il faut nous rappeler que celles et ceux qui perpétuent et amplifient la crise sanitaire et sociale sont nos dirigeant.es – gorgé.es d’idéologie néolibérale – de connivence avec les industriel.les et autres patron.nes sans scrupules : c’est contre eux et elles que doit se tourner notre colère.

En refusant d’agir, le gouvernement ne fait qu’empirer les choses. En plus de négliger la santé et la sécurité des travailleur.euses, l’obsession productiviste de François Legault l’a poussé à laisser tomber le secteur de la culture et ses travailleur.euses27 ainsi que de nombreux groupes aux marges de l’activité économique. Un grand nombre de personnes n’a eu droit à aucune aide, parce que leurs revenus n’étaient pas déclarés avant la crise, alors que bien d’autres ont dû se débrouiller avec les mêmes montants misérables – les personnes recevant de l’aide sociale ou du chômage par exemple – qu’avant la crise, qui a pourtant durci la situation socio-économique pour toutes et tous. Le gouvernement se sent légitime de laisser tomber, plus que jamais, cette large population à la marge de la production, et ce, en pleine période de crise28. Enfin, l’arbitraire policier continue de s’abattre avec la bénédiction du gouvernement et nombre de personnes continuent de souffrir et de mourir29.

En somme, malgré l’ampleur de l’actuelle tragédie, les idéologues néolibéraux continuent de négliger le système de santé et de violenter ses employé.es, l’économie reste privilégiée aux dépens de la sécurité, de la santé et de la dignité des gens, les quartiers ouvriers et immigrants sont encore les plus frappés, alors que bien sûr, les travailleur.euses les plus pauvres ainsi que les personnes les plus marginalisées voient leur fardeau alourdi. Dans cette situation intenable pour la majorité, ce que toutes et tous demandent, c’est une pause économique et une organisation solidaire. Mais le gouvernement, à l’encontre du bon sens et du respect qui est dû à la population, effectue plutôt une fuite vers l’avant et impose une gestion de plus en plus autoritaire de la catastrophe dont il se rend lui-même coupable.

Pas de solution policière à la crise sanitaire… et sociale

La stratégie du gouvernement caquiste, depuis la réouverture partielle de l’économie au printemps 2020, a été de faire reposer la responsabilité pandémique sur l’action d’individus récalcitrants tout en refusant de s’attaquer aux causes structurelles qui perpétuent et aggravent la crise. Cette gestion basée sur la culpabilisation individuelle et le dédouanement institutionnel – qui ramène par ailleurs l’individu à ses fonctions productive et consommatrice tout en négligeant les secteurs reproductifs (santé, éducation…) – a entraîné une colère multiforme portée par différents secteurs de la société : les personnes âgées, les locataires, les communautés autochtones, les travailleur.euses de la santé, le milieu communautaire, les syndicats, etc. C’est pour mater cette colère toujours plus visible et pour dissimuler les facteurs structurels qui alimentent la pandémie, le tout afin de maintenir la production, que le gouvernement a employé de plus en plus de mesures fondées sur la peur, la répression, la discipline policière et la responsabilisation individuelle jusqu’à ce jour.

Depuis le début de la crise, l’explication que le gouvernement Legault a privilégiée afin d’expliquer les difficultés dans la lutte contre le coronavirus et les différentes recrudescences de la maladie est celle qui met en cause les comportements individuels négligents, au travail ou dans la vie de tous les jours. S’il est bien sûr important de respecter les mesures de distanciation sociale, de réduire au minimum les contacts sociaux et les déplacements et d’adopter une hygiène de vie préventive (port du masque, lavage des mains) afin de ne pas mettre inutilement d’autres personnes en danger, il est faux de croire que cela suffise à endiguer la transmission, alors que de nombreuses personnes sont objectivement dans l’impossibilité de se prémunir ainsi que leur entourage : toutes et tous sont loin d’être égaux devant la pandémie30.

Comme nous l’exposions, la précarité économique, les environnements de travail et de soins déstructurés et dangereux, les logements trop petits, surpeuplés et mal ventilés, les quartiers denses et la ségrégation sociale sont d’importants facteurs qui contribuent à la perpétuation de la crise pandémique, sans égard pour la « morale sanitaire » des individus31. Il est plutôt facile de respecter les mesures sanitaires pour celles et ceux qui sont en télétravail ou en télé-école, ou qui habitent dans des maisons spacieuses avec toutes les commodités, dont un grand terrain ; il devient beaucoup plus difficile d’éviter les contaminations pour celles et ceux qui sont forcé.es de travailler, celles et ceux dont les enfants vont à l’école, qui habitent avec plusieurs personnes ou qui sont sans domicile fixe, qui sont incarcéré.es ou qui plus globalement manquent de ressources de toutes sortes. En maintenant un discours qui met l’accent sur l’agir problématique des « individualistes », le gouvernement détourne l’attention et contribue à créer un climat de suspicion sociale généralisée où chacun devient l’ennemi de tous, chaque contaminé devenant de plus un poids sur la société, un coupable – probable individualiste – plutôt qu’une victime du virus qui a besoin de bienveillance et de soins. En parallèle à cette culpabilisation, les gouvernements ont fait bien peu pour soutenir les efforts de solidarité, s’assurer de la mise à niveau des normes sanitaires dans les entreprises, financer le secteur de la santé ou s’occuper de la ventilation dans les écoles, un effort simple et important qui aurait pu être fait durant l’été, du propre aveu du ministre de la Santé Christian Dubé32. Le climat de répression nuit d’autant plus aux efforts de lutte contre le virus qu’il fait craindre aux personnes atteintes de la maladie de dévoiler des informations sur leurs activités à la santé publique, par peur de recevoir une amende de 1000 $ à 6 000 $ (l’ampleur des amendes peut faire hésiter bien des gens, même s’il.les n’ont « rien à se reprocher »)33. Il devient alors difficile de retracer les tierces personnes qui pourraient être porteuses de la COVID puisqu’elles auraient été en contact avec un.e tel.le malade.

Le manque de transparence du gouvernement dans plusieurs dossiers, son mépris affiché pour les êtres humains qu’il persiste à infantiliser et son manque d’écoute face aux nombreuses revendications légitimes (des locataires, des travailleur.euses, des syndicats, des communautés autochtones, des professeur.es, des organismes communautaires, des organisations pour la protection des droits des personnes migrantes ou sans-papiers, etc.) ont contribué à propager un sentiment de colère au sein de la population qui a donné lieu à de nombreuses mobilisations tout au long de l’année 2020. Dans cette situation de gestion de crise à la fois économiciste et méprisante, qui impose régulièrement de nouvelles contraintes sur les individus, cette colère a parfois pris des formes erratiques, entre autres au sein des mouvements complotistes eux-mêmes plus ou moins poreux à des idées d’extrême droite ou libertariennes. Cette colère confuse, que le gouvernement utilise comme un épouvantail, ne saurait pourtant cacher toutes les colères et révoltes justifiées, venant de nombreux secteurs de la société.

La répression détourne l’attention et donne l’impression de l’action.

Le paroxysme de la gestion policière, antisociale et procapitaliste de la crise est atteint au début de l’année 2021, alors que le gouvernement du Québec impose un couvre-feu généralisé à l’ensemble du territoire le 9 janvier. Alors même que le couvre-feu est annoncé, le Dr Horacio Arruda, directeur national de la santé publique, avoue qu’aucune étude contrôlée n’a démontré l’efficacité d’une telle mesure34. On sent bien ici que le gouvernement responsabilise indûment les citoyen.nes qui, somme toute, font de leur mieux, alors que lui ne fait pas même l’effort d’investir conséquemment en santé, de traiter dignement les infirmières, de ventiler les écoles ou encore d’imposer une pause économique digne de ce nom35. La répression détourne l’attention et donne l’impression de l’action. Comme cette gestion autoritaire ne sert qu’à cacher l’échec du gouvernement, il faut bien la justifier d’une manière ou d’une autre. La ligne communicationnelle du gouvernement est circulaire : la nécessité de la répression se voit confirmée du fait même que l’on trouve toujours des contrevenant.es au nouveau règlement gouvernemental (tel.le citoyen.ne prenant une marche tardive, telle autre personne itinérante…). En date du 18 janvier, c’est plus de 200 contraventions par jour qui étaient données pour non-respect du couvre-feu36, alors même que nous parvenait la nouvelle du décès de Raphaël « Napa » André, un homme innu sans domicile fixe, mort seul alors qu’il se cachait des policiers dans une toilette chimique durant le couvre-feu37. La crise continue pourtant d’être alimentée par les déficiences structurelles d’un système de santé détruit et par les contaminations sur les lieux de travail, malgré que le gouvernement s’en prenne à ses propres citoyen.nes afin de cacher son échec, tout en forçant le maintien de la production. La gestion autoritaire du gouvernement vise à obliger les gens à se conformer, à travailler et à consommer, ni plus ni moins38. En contrepartie, le plan de reconfinement partiel ne prend pas en compte les ressources complètement défaillantes, tant communautaires qu’en santé mentale ou financières, laissant un grand nombre de personnes – considérées comme « improductives » – sans aucune aide ni ressource.

Bref, devant le mécontentement populaire qui s’est développé en raison de l’incapacité du gouvernement à gérer la crise, la stratégie de la CAQ a été de se dédouaner de sa responsabilité en mettant la faute sur les lambdas. Cela lui permet de cacher sa gestion erratique – d’un point de vue sanitaire – tout en créant un bouc émissaire. Ensuite, cela justifie l’ensemble de son programme autoritaire, qui sert en fait à mater la colère légitime, à imposer le maintien de l’activité économique et à obliger les travailleur.euses de nombreux secteurs à continuer le boulot : cette manière de faire perpétue paradoxalement la situation de crise et de contamination, en raison de l’ouverture des manufactures et de la construction par exemple. Le gouvernement, complètement borné, refuse d’avouer ses torts qu’il attribue à autrui tout en continuant d’entretenir la catastrophe sanitaire. Pourquoi, pour le bénéfice d’une poignée d’industries, et ce, à court terme ? Et contre quoi, contre la santé, la sécurité, la dignité de toutes et tous ? La conséquence de cette approche est une répression démesurée, mal ciblée et foncièrement inique, alors que de nombreuses personnes continuent de mourir. La conséquence en est aussi une colère grandissante, qui – souhaitons-le – viendra bientôt ébranler ce gouvernement incapable et népotique ainsi que son idéologie néolibérale, son économie capitaliste et plus largement l’ensemble de ses structures antisociales.

En guise de conclusion : des solutions solidaires

Il est clair que la perpétuation de la crise sociale et sanitaire actuelle est due à (au moins) trois facteurs systémiques : premièrement, la faiblesse généralisée du système de santé publique, victime de la gestion entrepreneuriale des gouvernements acquis à l’idéologie néolibérale ; deuxièmement, la priorité absolue accordée à l’économie (à la production et à la consommation notamment), entraînant une négligence constante quant aux conditions de travail et de vie des travailleur.euses, fortement à risque de contracter le coronavirus ; et troisièmement, le choix d’une gestion culpabilisante et autoritaire envers les individus plutôt qu’une prise en charge collective, conséquente et structurelle de la crise, des problèmes qu’elle soulève et des solutions qui s’imposent. L’actuelle crise sociale et sanitaire est assurément favorisée, perpétuée et même amplifiée par ces trois facteurs qui lui préexistaient, mais qui révèlent plus que jamais leur toxicité. Il faudra bientôt penser collectivement à se débarrasser de l’idéologie néolibérale, de l’économie capitaliste et de la norme individualiste si nous voulons éviter de telles catastrophes à l’avenir, si nous voulons collectivement vivre39.

Une accusation fréquente portée contre ceux et celles qui critiquent l’actuelle gestion gouvernementale consiste à dire que ce n’est pas le temps de critiquer puisqu’il est déjà trop tard (autrement dit, il vaudrait mieux agir sans penser maintenant et réfléchir plus tard puisque « l’heure est grave »). Pourtant, comment ne pas critiquer alors que ce sont l’État et les industries qui sont responsables de la perpétuation de la crise, alors même que l’obsession productiviste et le refus obstiné d’investir dans les structures de solidarité sociale continuent de nourrir la bête pandémique ? Ce n’est pas parce que François Legault tente de cacher l’éléphant dans la pièce, son échec retentissant causé par son mépris des services publics et sa complaisance envers le secteur privé, que nous devons tomber dans le panneau. Les gouvernements sont ceux qui possèdent, de loin, les plus grands leviers et ressources pour faire face à la crise. Il est de leur devoir d’agir à court terme. Nous sommes dans une pandémie mondiale depuis plus d’un an, l’Institut national de la santé nous informe rigoureusement de son développement, un grand nombre de scientifiques identifient les véritables facteurs de contagion ; comment se fait-il que le gouvernement n’agisse pas pour la population et à l’encontre de sa doxa économiciste, du moins pour un temps afin de sauver des vies et notre dignité collective ?

Il faudra bientôt penser collectivement à se débarrasser de l’idéologie néolibérale, de l’économie capitaliste et de la norme individualiste si nous voulons éviter de telles catastrophes à l’avenir, si nous voulons collectivement vivre.

Le gouvernement a eu tout le temps d’installer des purificateurs d’air ainsi que des systèmes de ventilation dans les bâtiments publics, puis d’obliger le secteur privé à faire de même. Il a eu le temps de mettre les écoles à niveau40 et de fournir des ressources aux parents, comme il a eu l’occasion d’offrir le soutien et les ressources justement réclamées par les communautés autochtones. Il a eu un an pour établir et imposer un plan de fermeture (majoritaire) et de sécurisation des secteurs manufacturier et de la construction ainsi qu’agroalimentaire. Il a eu le temps de financer le système de santé, les services communautaires, l’aide aux aîné.es, l’aide aux itinérant.es, l’aide aux groupes marginalisé.es. Il aurait pu à tout moment troquer sa rhétorique méprisante envers les travailleur.euses et la population pour une attitude respectueuse. La liste est trop longue de ce qu’il aurait pu et dû faire. Il n’y a pas lieu de croire qu’un gouvernement qui est capable de mettre en œuvre une répression qui s’étend chaque nuit à l’ensemble du Québec soit incapable de fournir des ressources conséquentes afin de s’attaquer aux facteurs systémiques qui aggravent la pandémie actuelle. Nous sommes peut-être trop avancés dans l’actuelle crise pour transformer en profondeur le système de santé avant que celle-ci se termine, mais il n’est jamais trop tard pour fournir les ressources adéquates fondées sur la solidarité sociale et le soin plutôt que sur la répression et la peur. Si le gouvernement refuse d’agir conséquemment depuis un an, c’est qu’il est incapable d’aller, ne serait-ce que durant quelques mois, à l’encontre de son essence entrepreneuriale et économiciste. Ce gouvernement et les précédents, néolibéraux et capitalistes, ont donné la preuve qu’ils n’étaient capables que de nous mener collectivement à la catastrophe et à la mort, en cette circonstance comme en d’autres.

« Aide mutuelle : nous nous protégeons les un.es les autres. Solidarité. Contre la COVID, le capitalisme et les autres menaces mortelles. » (artiste inconnu)

À brève échéance, face à cette crise sociale et sanitaire, nous devons envisager des solutions faites par et pour les personnes concernées, qui savent mieux que quiconque ce dont ils et elles ont besoin pour bien faire leur travail, se protéger ainsi que leurs proches et leurs collègues. Tou.tes les travailleur.euses de la santé, des services publics et des entreprises privées doivent être écouté.es quant à l’organisation sécuritaire de leur lieu de travail et à la gestion pandémique de ces lieux. Nous devons exiger que les citoyen.nes soient impliqué.es à tous les niveaux dans la gestion de la crise et que nous ayons collectivement le contrôle sur les décisions nous affectant. La fermeture d’une grande partie de l’économie, accompagnée d’un soutien financier et global pour les travailleur.euses ainsi que pour tou.tes les citoyen.nes, doit devenir une priorité. Un gel immédiat et prolongé des loyers est aussi nécessaire. Nous devons exiger plus d’investissements en santé et dans le système d’éducation ainsi que le financement massif et la réouverture totale et sans contrainte des organismes d’aide aux plus démuni.es. La fin immédiate du couvre-feu est une condition sine qua non au commencement d’une gestion socialement acceptable, non violente, non culpabilisante et collaborative de la crise. Nous devons miser le plus possible sur l’auto-organisation, avec l’obtention de tous les moyens de l’État, quitte à les lui prendre s’il nous les refuse.

Cette crise pandémique, dont nous ne sommes toujours pas sorti.es, doit aussi nous faire réfléchir à de nouvelles formes d’organisation non capitalistes et non soumises aux impératifs capitalistes, à un système de santé renouvelé, solidaire, communautaire et autogéré41. La prolifération des groupes d’entraide au début de la pandémie et les réflexes altruistes que nous constatons depuis un an montrent qu’il est possible d’envisager une société basée sur les principes de la solidarité et de la communauté, de la coopérative et de l’autogestion : nous savons ce qui est le mieux pour nous, autoorganisons-nous selon nos volontés42. Car disons-le, à moyen terme, nous ne pourrons plus tolérer l’idéologie néolibérale et le régime capitaliste qui détruisent nos vies ; nous ne pouvons plus, après l’échec gouvernemental actuel, nous fier ni aux gestionnaires des vieux partis, ni à leur potage idéologique infect, ni à leur système qui alimente la catastrophe. L’angoisse et la tragédie actuelles ne doivent pas nous empêcher de continuer à réfléchir de manière critique au monde qui nous est imparti. Maintenant, organisons-nous et mettons la pression sur nos gouvernements, avant de mener à terme notre combat contre l’État et le capitalisme puis d’édifier notre société nouvelle, solidaire, communautaire, coopérative et autogérée.


Notes :

[1] Plus d’une personne sur mille est morte de la COVID-19 au Québec en moins d’un an et ce bilan ne cesse de s’alourdir.

[2] Dans ce texte, notre critique vise principalement les gouvernements provinciaux québécois, dont relève le système de santé publique. Nous ciblons particulièrement le gouvernement de François Legault (Coalition Avenir Québec), élu majoritairement en octobre 2018 et principal gestionnaire de la crise sanitaire et sociale dans la province depuis le début de l’année 2020.

[3] La crise a donc servi à révéler et à accélérer « les tendances de fond qui traversaient les sociétés », précipitant quelque peu la transition vers un certain « capitalisme numérique ». Pour en savoir plus : https://www.monde-diplomatique.fr/2021/01/CORDONNIER/62635

[4] Pour les peuples autochtones, ces structures de solidarité sociale, dont des services de santé adéquats, n’ont jamais réellement été mises en place. De plus, le système québécois est encore rongé par le racisme systémique, comme en a récemment témoigné la mort de Joyce Echaquan, femme atikamekw, survenue le 28 septembre 2020 sous les insultes racistes du personnel de l’hôpital de Joliette.

[5] https://www.lapresse.ca/actualites/sante/2019-09-17/reforme-barrette-la-sante-publique-frappee-de-plein-fouet

[6] Le secteur privé a lui aussi contribué à cette situation, en pressurisant les gouvernements successifs pour qu’ils ne répondent pas aux exigences légitimes des employé.es du secteur public… afin d’éviter de voir des exigences semblables formulées dans le secteur privé : https://iris-recherche.qc.ca/blogue/la-memoire-selective-du-milieu-des-affaires-quebecois

[7] Cette centralisation est diamétralement opposée aux principes qui devaient fonder le système de santé publique au Québec, à savoir les soins de proximité et les cliniques de quartier, les fameux CLSC (Centre local de services communautaires).

[8] L’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS) a produit un dossier très complet sur les conséquences des compressions et des restructurations néolibérales sur le système de santé. En 2017, l’Institut a publié une étude complète sur l’allocation des ressources pour le domaine de la santé et des services sociaux au Québec. Le dossier et l’étude sont disponibles en ligne : https://mailchi.mp/iris-recherche.qc.ca/sante

[9] https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1756578/ciusss-ouest-ile-montreal-annulation-vacances-hiver-2020

[10] https://www.lequotidien.com/actualites/la-fiq-propose-un-projet-pilote-n95-a7621e61ad2014d839f73cb1f48c8bba

[11] https://www.journaldequebec.com/2018/08/27/des-employes-dun-chsld-embarrees-pour-en-forcer-une-a-rester-au-boulot-denonce-le-syndicat

[12] https://www.lapresse.ca/debats/opinions/2020-05-16/agences-de-placement-la-faille-du-reseau

[13] Un réseau, donc, fait par et pour les communautés, dont les valeurs centrales sont le soin, le respect et la dignité, comme en réclament par exemple les communautés autochtones – sans réponse – depuis des lustres.

[14] Le système capitaliste est en effet le grand responsable de la perpétuation et de l’amplification de la crise sociale et sanitaire actuelle. À ce sujet : https://www.contretemps.eu/lecture-anticapitaliste-pandemie-covid19/

[15] https://journalmetro.com/local/saint-laurent/2507034/entreprises-covid-drsp-montreal/

[16] https://www.quebec.ca/sante/problemes-de-sante/a-z/coronavirus-2019/situation-coronavirus-quebec/

[17] https://ricochet.media/fr/3133/abattoirs-contagion-covid19-quebec-canada-2020-olymel

[18] https://iwc-cti.ca/fr/les-artistes-montrealais-soutiennent-la-campagne-pour-la-justice-des-travailleur-euse-s-du-dollarama/

[19] https://www.ledevoir.com/societe/sante/592711/coronavirus-comment-briser-la-deuxieme-vague

[20] https://www.ledevoir.com/economie/592907/coronavirus-des-mesures-non-desastreuses-pour-l-economie-selon-pierre-fitzgibbon

[21] https://www.rcinet.ca/fr/2020/09/22/la-richesse-des-milliardaires-canadiens-a-explose-en-pleine-pandemie/

[22] https://www.ledevoir.com/politique/montreal/577870/montreal-nord-saint-michel-et-riviere-des-prairies-sont-des-quartiers-chauds-de-la-pandemie

[23] https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1711732/travailleurs-etrangers-vegpro-main-doeuvre-stable-eclosion-coronavirus

[24] https://www.ledevoir.com/politique/montreal/578424/inquietude-dans-parc-extension

[25] https://www.cbc.ca/news/canada/montreal/parc-extension-covid-19-rate-increase-1.5775079

[26] https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1699608/protection-epidemie-coronavirus-depistage-communaute et https://www.ledevoir.com/societe/586931/la-pandemie-ce-puissant-revelateur

[27] https://www.ledevoir.com/culture/593541/coronavirus-un-travailleur-de-la-culture-sur-quatre-a-perdu-son-emploi-en-2020

[28] Un exemple parmi d’autres : https://www.ledevoir.com/societe/sante/593644/hausse-des-psychoses-toxiques-chez-les-itinerants

[29] Un arbitraire et une violence qui affecteront certainement de manière disproportionnée les personnes autochtones et racisées, les minorités de genre, les femmes, etc., alors que l’on sait que les corps policiers sont gangrénés par le racisme, l’homophobie, la transphobie et le sexisme (entre autres). Le Service de Police de la Ville de Montréal (SPVM) reconnaît par exemple lui-même le racisme systémique dans son organisation sans agir conséquemment pour le supprimer. Voir entre autres : https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1712386/spvm-reconnaissance-caractere-systemique-racisme-discrimination-rapport-ocpm

[30] À ce sujet : https://www.college-de-france.fr/site/didier-fassin/L-illusion-dangereuse-de-legalite-devant-lepidemie.htm

[31] La situation d’inégalité de conditions et d’exigences face à la pandémie n’est pas différente en France : « À l’opposé de cette figure du bourgeois confiné, en capacité de travailler à distance ou de profiter de ses enfants dans un cadre spacieux et agréable, les personnes qui travaillent dans les centres de tri ou les entrepôts, les assistantes maternelles, les livreurs, les éboueurs, les femmes de ménage, les aides à la personne, etc., témoignent toutes de l’absence de gants, de masques, de possibilité d’observer la distance requise […] des difficultés à trouver comment garder leurs enfants, d’assurer les cours à la maison […]. Elles doivent obéir aux injonctions contradictoires du gouvernement, le ‘en même temps’ qui dit ‘allez travailler, mais ne sortez pas, car vous mettez les autres en danger’, sans que les moyens minimaux de protection ne soient fournis. » Article complet : https://www.contretemps.eu/travail-invisible-confinement-capitalisme-genre-racialisation-covid-19/

[32] https://www.ledevoir.com/politique/quebec/589529/quebec-aurait-du-s-occuper-de-la-ventilation-dans-les-ecoles-admet-dube

[33] https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1761546/covid-enquete-tracage-quebec-coronavirus-sante-publique

[34] https://www.ledevoir.com/societe/sante/592788/point-de-presse-legault-17h

[35] « Il est désormais évident pour une majeure partie des populations qui ont eu à en subir les conséquences que ces gouvernants sont prêts à tout pour masquer leur impéritie, leur absence de prise sur des événements, surtout leur responsabilité dans l’insuffisance notoire de la capacité de réaction d’un appareil sanitaire qu’ils ont sciemment affaibli, au prix de mensonges redoublés que leur redoublement même finit par trahir. » Citation tirée de : https://www.contretemps.eu/covid-19-sorties-crise/

[36] https://www.ledevoir.com/societe/593510/deux-cents-contraventions-par-jour-pour-non-respect-du-couvre-feu

[37] https://www.lapresse.ca/actualites/justice-et-faits-divers/2021-01-18/un-itinerant-autochtone-meurt-dehors-pendant-le-couvre-feu.php

[38] L’analyse du couvre-feu comme mesure autoritaire réduisant l’individu à sa seule fonction productive est partagée par plusieurs : https://acta.zone/couvre-feu-produire-quoi-quil-en-coute/

[39] Les mêmes facteurs idéologiques et économiques ainsi que les structures qui en découlent nous ont précipités dans la crise climatique, dont il est incertain que nous sortions collectivement indemnes ; une raison de plus pour réfléchir sérieusement au rejet du modèle économique capitaliste et de la gouvernementalité qui lui est concomitante.

[40] Le gouvernement provincial aurait en effet pu installer des purificateurs d’air dans les écoles, les hôpitaux et divers bâtiments publics, comme le lui conseillait l’Agence de la santé publique du Canada : https://ricochet.media/fr/3436/oui-les-purificateurs-dair-peuvent-etre-utiles

[41] Un tel système est loin d’être une utopie et les auteur.es du présent texte sont loin d’être les seul.es à l’appeler de leurs vœux : https://www.contretemps.eu/sante-publique-economie-democratique/

[42] Un tel monde autogéré est envisageable et possible : https://www.contretemps.eu/autogestion-autre-monde-possible/

Pour nos ami-es, contre la répression et la dépression

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Jan 172021
 

Soumission anonyme à MTL Contre-info

Janvier 2021.

Nous écrivons à bout de forces, depuis soi-disant Montréal que même l’hiver a deserté.

Au départ nous voulions écrire à propos du couvre-feu, énième mesure de marde mise en place par un gouvernement de bourgeois-es banlieusard-es ne pensant qu’à son petit électorat de petit-es bourgeois-es banlieusard-es bien blanc-ches et bien au chaud dans son confort.

Nous voulions écrire à propos des conséquences désastreuses d’une telle mesure sur les populations déjà fragilisées et mises à mal par la gestion capitaliste de la pandémie.

Nous voulions mettre en évidence, une fois de plus, que la répression n’écrasera pas le virus et que l’État, le néo-libéralisme, les patrons, banquiers, propriétaires et l’armée de porcs qui les protègent n’ont jamais été et ne seront jamais nos alliés.

Nous voulions dire aux médias que lorsqu’ON nous menace à coup d’amendes démesurées, de contrôles policiers accrus et de délation organisée, le terme de collaboration sonne comme une mauvaise blague et n’est pas appropriée. Dites les choses comme elles sont: la population se soumet parce qu’ON lui a assez fait peur. Précisez aussi que le nombre de contraventions distribuées entre 20h et 5h démontrent que certain-es n’ont pas les moyens d’échapper à la répression et que dans le cas présent, l’obéissance est signe de privilèges. Pour les autres c’est l’intimidation, le contrôle au facies, le racisme et le sexisme inhérents, bref c’est la violence de l’État décuplée comme s’il n’y en avait pas déjà assez.

Et pendant ce temps, le personnel de santé est à bout de souffle, le virus continue de se propager et des personnes continuent de crever dans les rues comme dans les CHSLD ; sans parler de la detresse psychologique de certain-es puisque la santé mentale passe évidemment à la trappe. De toute façon qu’est ce qu’ON s’en fout des suicidé-es quand ON ne pense qu’à sauver le cul de l’économie.

Mais écrivant cela, nous ne ferions que paraphraser des textes que certain-es de nos ami-es ont déjà écrit ici et là. Ces textes circulent, et sous d’autres formes, des voix se sont déjà soulevées et continuent de se faire désespérément entendre, malgré l’épuisement et le découragement ambient.

Force est de constater que dans tout ce marasme et malgré notre fatigue, nous éprouvons l’urgence de réagir.

Alors ce texte sera finalement un appel à l’action. Du moins un début de tentative de peut-être pourquoi pas quelque chose. Parce qu’il y en a raz le cul du foutage de gueule généralisé.

Pour nous qui écrivons, la priorité est celle de nous retrouver. « Nous retrouver » ce n’est pas espérer un « beau retour à la normale » pour aller se mettre chaud-es au bar du coin, même si cela nous ferait crissement du bien.

Ce n’est pas non plus aller manifester comme de gros colons contre le port du masque ou au nom d’une liberté dont le sens nous échappe totalement.

Ce n’est certainement pas mettre en danger nos vies et celle des autres.

Non. « Nous retrouver » signifie ici retrouver nos luttes, nos stratégies, nos forces d’action. Entre ami-es. Entre damné-es. C’est défier l’isolement, la perte de confiance, le désespoir.

Théoriquement et historiquement, l’idée n’est pas nouvelle. Oui, il nous faut mettre en relation nos luttes, comprendre que le bordel dans lequel nous sommes englué-es n’est pas tombé du ciel avec une pandémie, mais n’est que la continuité de décisions politiques toujours au service du capital.

Il devient évident de mettre en perspective l’agonie des peuples avec le colonialisme en pleine santé ; un virus qui ne rencontre aucun obstacle avec la catastrophe écologique en cours ; l’expression de plus en plus décomplexée du fascisme avec la banalisation de discours racistes, sexistes et autre dégueulasseries véhiculées, entre autres, par un débile comme Trump ; l’état du système de santé abandonné par les gouvernements néo libéraux et leur politique d’austérité. BREF. Comprendre que se protéger et préserver la vie, c’est autant porter le masque et se laver les mains que s’opposer à la construction d’une prison pour migrant-es, refuser que les violeurs aient encore la parole ou soutenir de notre mieux les Wet’suwet’en quand iels se battent contre l’installation de pipelines sur leurs territoires. Pour ne citer que ces exemples.

Se retrouver c’est donc se positionner du côté de la vie.

Comme dit l’adage: il faut choisir ses combats. Certes. Faire avec les moyens du bord pour se débarrasser de ce qui nous tue, là où nous sommes. Mais il est important de garder en tête que sur un autre territoire, parfois même au sein d’une même ville, dans d’autres communautés et avec d’autres tactiques et d’autres stratégies, des luttes sont menées dans la même optique: de préserver ce qu’il reste de vivant. Il faut garder en tête que ces luttes ne sont pas isolées les unes des autres, qu’elles sont perméables. Ainsi de cette diversité de luttes, il nous faut créer une communauté d’ami-es : créer des points de rencontre, d’échange et de solidarité. Il faut nous mettre en commun. Et de là tisser la résistance. Pour résumer: apprendre des luttes décoloniales et envisager la décolonisation comme contre attaque ultime. Sans compromis, ni avec l’État ni avec les flics, ni avec l’extrême droite.

En pratique, la chose est moins aisée, surtout quand la police est à chaque coin de rue. Alors que pouvons-nous faire, ici, à soi-disant Montréal?

Que le problème soit ontologique ou pas, reste que plus rien ne semble tenir entre nous dès lors que l’ON nous sépare physiquement. Être loin de nos familles, de nos ami-es et partenaires de crime nous dépossède de nous-mêmes et nous plonge dans une sorte de paralysie. De sorte que nous n’avons plus la force de nous aider et d’aider nos ami-es parmis lesquel-les la dépression est devenue un fardeau quotidien. Nous nous découvrons complétement impuissant-es. Et le sentiment de déposséssion est accentué quand on regarde les déserts dans lesquels nous « vivons ». La métrople n’est pas tellement amicale en ce moment… L’urgence ici est de se rappeler que nous sommes là et tenter de réduire le sentiment d’abandon. Alors il faudrait se faire signe. S’envoyer des signaux à travers la ville. Faire péter des feux d’artifice pour contrer le spectacle abject des gyrophares. Se laisser des mots sur les murs des quartiers, à coup de peintures ou de collages. Laisser savoir que nous sommes là. Profiter de l’aube pour poser une bannière. Trouver le peu d’espace qui ne soit pas surveillé, s’y faufiler. Être là où l’ON ne nous attend pas. Profiter d’être masqué. Mettre nos privilèges, si nous en avons, au service du grabuge et de la perturbation. Pour l’instant, peut-être, juste pour rappeler que nous sommes présent-es, que nous habitons encore ces rues.

Par la suite, que ceuzes qui ont des idées se manifestent. Réenvisager la grève des loyers? Penser la grève comme un refus de se mettre en danger au nom de l’économie? Jumper les bus et les métros quand ON nous oblige à les prendre pour aller travailler. Partir en manif pour forcer la main au pouvoir à prendre ses resposabilités. Fabriquer des masques et les distribuer gratuitement. Voler des choses, essentielles ou non, et les donner à ceuzes qui en bavent le plus. Créer des caisses de solidarité. Le tout en faisant gaffe de ne pas se transmettre le virus, car nous ne voulons pas aggraver la situation. Les idées sont peut-être lancées à la va-vite mais c’est quelque chose comme ça.

Le pouvoir a gagné la bataille du découragement mais nous pouvons encore allumer des feux. Pour y voir plus clair. Pour nous réchauffer.

Puisse nous rester l’amitié.

Rétrospective du Réseau Libertaire Brume Noire

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Déc 242020
 

Du Réseau Libertaire Brume Noire

Deux ans d’organisation au bout du monde : communication, autogestion, décroissance

Le soi-disant Québec est une province énorme. Si nous voyageons en Europe ou ailleurs, il est facile de constater l’ampleur du territoire de l’île de la Tortue. Il est facile de se mettre en perspective sur le concept de ‘Nationalisme’ versus ‘Territoire’. Les métropoles canadiennes, par leur capitalisme, exploitent les régions pour leurs ressources naturelles et humaines. Ici, en Gaspésie, nous le voyons très bien. Gespegsignifie ‘là où la terre se termine’ en Miꞌkmaq.

Les gens ont à cœur la révolte des pêcheurs et la grève de Murdoch, avec raison. Force est de croire qu’il est plus difficile de se rappeler le ‘pourquoi’ des dites révoltes à en voir l’exploitation toujours en place aujourd’hui par la pêche, la déforestation dans le parc de la Gaspésie et ailleurs, l’énergie éolienne pas très verte, la recherche du peu de pétrole qu’il reste dans le sol, l’épandage, la cimenterie Port-Daniel et on en passe. La région est de facto une des plus pauvres au Québec. Les services publics survivent grâce aux organismes (qui eux ont peine à survivre par manque de fonds et de ressources) et il est difficile de créer une économie locale forte vu les intérêts très divergents des gens sur le territoire (touristes VS résident-e-s VS travailleuses-eurs). Bref, rien de nouveau sous le soleil.

Mais malgré tout ce flagrant industrialisme pervers, l’espoir est là. La Gaspésie a un ‘je ne sais quoi’ qui nous rapproche de la nature et du collectivisme. Elle nous donne le goût du commun. Elle nous laisse toucher le rêve. C’est pour l’un ‘la marge’, pour l’autre ‘l’épanouissement’. Pour certains membres du réseau, la Gaspésie c’est toute leur vie. Pour d’autres, c’est devenu leur vie. La région inspire de manière puissante. Les gens sont bons et peuvent se relayer à la terre. Ils et elles sont conscientes de cette exploitation, à un certain point.

Gaspésien-ne-s natif-ive-s, néo-gaspésien-ne-s, Premières Nations, immigrants…. plusieurs visages portent la bannière du réseau libertaire brume noire. Les âges, orientations, organisations et tactiques sont différents pour les membres. Le Réseau Libertaire Brume Noire est une organisation composée d’une pluralité de personnes qui partagent des objectifs communs, qui sont en quelque sorte la raison d’être du Réseau :

  • Le RLBN est en faveur d’une organisation sociale fondée sur les principes d’égalité et d’autogestion plutôt que ceux de la propriété privée et des contrôles étatiques.
  • Le RLBN souhaite informer les citoyens à propos du socialisme libertaire et à les sensibiliser aux différents enjeux du territoire via l’éducation populaire et l’action directe.
  • Le RLBN vise à tisser des liens de solidarité entre ses membres, entre le réseau et la communauté environnante ainsi qu’avec d’autres réseaux ou collectifs partageants des objectifs communs.
  • Plus largement, le RBNL souhaite contribuer à l’émancipation des gens du territoire par le soutien des initiatives communautaires, l’éducation populaire, en ayant un impact positif sur leur milieu de vie/quotidien ou en soutenant d’autres luttes.

C’est par ces courtes lignes pouvant représenter certaines valeurs collectives, par la spontanéité et par la volonté que le réseau a su traverser 2 ans d’organisation avec succès. En plus de son positionnement anticapitaliste, le réseau est anti-oppressif et donc solidaire des différentes luttes menées dans une perspective d’émancipation locale. L’adaptation au changement dont font preuve les membres (nouveaux membres, départs et réalité de la région, changements de tactiques) est une clé du bon fonctionnement, ainsi que la solidarité auprès des entités déjà en place (organismes, groupes, assemblées municipales, petites entreprises, initiatives de toutes sortes…). Les réalités de la région pouvant frapper rapidement, il est important de créer notre entité propre à notre territoire.

C’est avec grand plaisir que nous partageons donc ce petit article de rétrospective chronologique des actions menées par les membres du Réseau depuis sa formation en 2018, afin de vous sensibiliser au fait que le nombre importe peu, que la résistance est plus grande que la plus grande des métropoles et que nous espérons inspirer un milliard de collectifs décentralisés auprès (et loin) de nous!

2018

ALTERNATIVES

En septembre : Des anarchistes se rencontrent dans le sous-sol d’un 3 et demi du centre-ville de Gaspé. Ça rêve, ça parle et surtout, ça s’indigne. Plusieurs personnes se joignent à la partie chaque semaine pour des discussions, lectures, projections. Un moment, le 3 et demi se fait serré.

9 septembre : Une action anti-électorale est mise en place face aux élections provinciales du Québec. Des pancartes ‘votez pour vous’ sont affichées partout sur le territoire de Gaspé la veille des élections.

7 octobre : Un jeune d’origine Arabe se fait attaquer au bar la Voute de Gaspé. Un combat de bar bien classique, mais la connotation raciste pousse les anarchistes à agir. Un BBQ anti-raciste est spontanément organisé près du bar pour porter un message clair autour de la ville : pas de raciste dans nos quartiers! 

17 octobre : Rassemblement suite à la légalisation du cannabis. Un document de 30 pages sur des recommandations de la santé publique et des comparaisons de répercussions autour du monde et du Canada a été déposé à l’assemblée municipale dans l’objectif de sensibiliser le maire et les élu-e-s au changement de loi. La ville n’a jamais répondu au document et a interdit la consommation de cannabis sur son territoire (en comparaison, il est légal de consommer à Percé, la ville voisine). Un article de Radio Canada https://ici.radio-canada.ca/…/rassemblement…

24 octobre : Première assemblée générale du Réseau Libertaire Brume Noire. L’objectif de la rencontre est de définir nos propres méthodes organisationnelles. Il en est conclu qu’une assemblée par saison serait propice en plus des rencontres spontanées pour assurer une constance dans les projets et soutiens du réseau. 

10 novembre : Contingent anticapitaliste à la manifestation de la Planète s’invite au parlement. 

16 novembre : Des membres du réseau vont supporter le piquet de grève à la SAQ de Gaspé avec du thé, de la musique et des pamphlets. 

22 novembre : Atelier d’éducation populaire sur l’anarchisme vert et l’anarchisme écologique pour la semaine de sensibilisation à l’environnement du Cégep de la Gaspésie et des îles. Discussions autour de Murray Bookchin, Serge Mongeau, l’autosuffisance et plusieurs autres sujets en lien avec le socialisme libertaire et l’écologie.

17 décembre : François Legault vient faire une annonce (annonce qui devait être faite par Couillard, mais Legault vient prendre le mérite) concernant le financement de millions à l’aéroport (aéroport qui manquera de fonds pour rouler les ressources humaines une fois rénové et qui ne garantit pas encore les prix des vols réduits pour les résident-e-s). Des membres du réseau, accompagné-e-s de la Planète s’invite au parlement Gaspé et plusieurs autres citoyennes-ens, viennent faire comprendre à François qu’il n’est pas la bienvenue sur le territoire de Gespeg en perturbant la rencontre à l’hôtel Baker.

24 décembre : Campagne de sociofinancement du réseau afin de pouvoir lancer des projets d’éducation populaire sur le territoire. Une vague de solidarité autour du soi-disant Québec ainsi que dans les provinces de l’Est et jusqu’en France se fait ressentir.

2019

DIVERSITÉ DES TACTIQUES

20 janvier : Une bannière en solidarité avec le Rojava vivant la révolution à Afrin est affichée au Berceau du Canada.

27 janvier : Suite à la bannière de solidarité, un contact est effectué avec la commune internationale du Rojava. Une soirée solidaire est organisée afin de sensibiliser les gens de Gaspé à la situation du Rojava (souper thématique, projection, discussion). 

5 février : Lancement de l’étagère libre à la microbrasserie Cap Gaspé, bibliothèque anarchiste en libre consultation sur place. 

15 mars : Contingent anticapitaliste lors de la manif mondiale du climat de Gaspé organisée par Youth For Change et la Planète s’invite au parlement de Gaspé.

21 mars : Tournée ‘when the sidewalk ends’ par le rappeur micmac Q052. La tournée passera à Mont-Louis, Gaspé et Carleton dans une perspective anti-coloniale.

27 avril : Rassemblement et marche pour la semaine de la Terre au Berceau du Canada. Des tracts sont distribués (anecdote croustillante; Mégane Perry, élue régionale du Parti Québécois, vient faire un speech avec le mégaphone à l’effigie du Réseau). 

25 et 26 mai : Stand au salon du livre anarchiste de Montréal. Nous avons la chance d’être accueillis à Montréal par de nombreux-euses camarades et de faire de nombreuses rencontres qui seront précieuses pour notre entité. Nous retournerons à Gaspé la tête pleine d’idées et le coffre rempli de matériel de propagande.

Juin : Soutien au Camp de la rivière en blocage du projet pétrolier GALT en terre gaspésienne. Distribution de matériel, support aux demandes, organisations d’événements de solidarité. 

15 juin : Action de nettoyage des berges en soutien avec l’action de la municipalité. La plage de Boom defense et les secteurs locaux seront nettoyés par des membres.

5 juillet : Le réseau organise son premier match de soccer contre le racisme. Le réseau fera alors collaboration avec le Festival de l’eau, la Ville de Gaspé et des entreprises et organismes locaux, dont un syndicat de travailleurs et travailleuses, sans oublier les Premières Nations afin d’offrir une journée d’activités et un tournoi de soccer contre le racisme. 

14 juillet : Visite de camarades de Montréal de différents réseaux (IWW, MTL Antifa, Submedia) et discussion autour d’une bière à Cap Gaspé. 

27 juillet : Stand d’éducation populaire et BBQ au Festival de l’eau de Gaspé. Le festival de l’eau a pour objectif de sensibiliser la population aux réalités des Premières Nations, à l’environnement et aux luttes contre les changements climatiques

29 juillet : Célébrations spontanées pour la vente du projet GALT de CUDA pétrole à une entreprise autrichienne. Le combat n’est pas fini, mais chaque petite victoire nous fait du bien.

24 août : Un festival punk axé sur l’autosuffisance est organisé à Gaspé. Brume Noire prend en charge un stand populaire avec dépliants et livres.

4 septembre : Un des membres du réseau observe un manque en matière de sensibilisation à la consommation de drogues dans la région. Il prend donc en charge de contacter les actrices et les acteurs locaux (infirmières, travailleurs de corridors, travailleurs sociaux, organismes de sensibilisation, etc.) et organise une formation naloxone et blender. Le réseau fournit, encore à ce jour, les festivals, CLSC, infirmières, travailleurs sociaux de la région avec certains types de matériel souvent manquant (naloxone, seringue, etc.). Durant la soirée, une personne se prononce auprès du directeur de la santé publique; ‘C’est pas normal que c’est les p’tits anarchistes de Brume Noire qui fournissent Gaspé en matériel!’

PS: oui, c’est normal. On s’organise.

7 septembre : Stand au salon du livre anarchiste de Halifax. Encore de nombreux camarades, cette fois-ci dans notre secteur de l’Est et de cultures différentes. Une action de solidarité avec le Rojava, étant sous la menace Turque, est encore mise en place. Des camarades viennent nous visiter à Gaspé et sont hébergés chez un membre pendant une semaine.

14 septembre : Projection du documentaire L’amour et la révolution de Yannis Youlountas lors de ‘la grande kermesse de fin de saison’ au Pit Caribou. Le film porte sur les événements par rapports aux migrants en Grèce et les mouvements autonomes.

27 septembre : Contingent anticapitaliste pour la manifestation mondiale pour le climat. Une manif avec des discours dans des endroits-clés et avec plusieurs actions. Les forces policières et gens de Gaspé ne sont pas habitués à une telle organisation, c’était pour notre part magnifique, spécialement la bannière sur la Banque TD afin de souligner leur financement des projets pétroliers. 

21 octobre : Un membre en voyage en Bretagne rencontre le réseau UCL de Fougères aux oiseaux de la tempêtes.

2020

ADAPTATION AUX CHANGEMENTS

14 février : Une St-Valentin Queer au Mont Béchervaise est organisée par des membres du réseau afin de permettre un safespace. L’événement attire un succès et une diversité de genres et d’orientations dans le respect des valeurs LGBTQ+.

21 juin : Rassemblement à la halte routière du centre-ville de Gaspé contre le racisme en support au mouvement Black Lives Matter et aux personnes des Premières Nations tuées par la GRC au Nouveau-Brunswick. 

28 juillet : Une pétition pour conserver le droit au camping sur le territoire de Gaspé est déposée à l’assemblée municipale. Aucune réponse après 4 courriels et 3 appels. Une fois qu’un membre a pu parler au directeur de la ville, les réponses peu concluantes (consultation autour d’hiver 2020-2021 sera faite sur le site de la ville). Une action de nettoyage des berges face à l’arrivée massive de touristes salissant les plages et au débat entourant le camping gratuit est organisée par le Réseau (la plage de Douglastown est nettoyée). Des membres vont financer des conteneurs à déchets et de recyclage par dusociofinancement en ligne et les placer sur la plage. La gestion des déchets est aussi prise en charge.

25 septembre : Un rassemblement en solidarité aux Premières Nations (Moratoire pour la chasse dans la Vérendrye par le peuple Anishinabe et protection des droits de pêche par les Micmac à Halifax) est organisé à la halte routière du centre-ville de Gaspé. 

27 septembre : Lancement de l’étagère libre à la maison des jeunes de Gaspé. Suivant le même concept que celle de la microbrasserie Cap Gaspé, les jeunes ont sélectionné des sujets de sciences sociales et luttes locales et les ouvrages ont ensuite été fournis par Brume Noire. 

Octobre : Lancement des soirées solidaires. Soirées thématiques avec des luttes locales et internationales actuelles afin d’accentuer l’aide mutuelle dans le réseau (cuisines collectives, projections, art making, discussions). Une soirée pour la Brigada Autonoma et une pour le Rojava ont déjà été organisées.

Et tellement plus à suivre… tout est possible avec la volonté d’un monde meilleur. Ça commence maintenant. C’est déjà commencé. À celles et ceux qui résistent, notre solidarité du bout du monde!

SIGNATURE ET LIENS: Les membres du Réseau Libertaire Brume Noire – brumenoiregespeg@protonmail.com – page facebook

Affiche: Abattons l’hydre technoindustrielle

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Sep 172020
 

Soumission anonyme à MTL Contre-info

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Texte de l’affiche:

Abattons l’hydre technoindustrielle

Il n’est jamais trop tard pour dire non

Intelligence artificielle
Bénéficiaires de plusieurs $100M en financement d’État, les labos d’IA oeuvrent à mettre des algorithmes d’« apprentissage automatique » au service d’une panoplie d’industries. Sous une façade « éthique », certaines applications permettront simplement aux capitalistes bien placé.es de s’enrichir davantage. D’autres sont destinées à renforcer la répression, qu’il s’agisse de détecter les voleurs au supermarché par la surveillance vidéo automatisée, de mettre au point des outils de reconnaissance faciale qui fonctionnent même pour des visages partiellement couverts, ou de « prédire » le crime ou la probabilité de récidive d’un.e détenu.e.

Réseau sans-fil 5g
La puissance inouïe du réseau 5G permet le déploiement de l’IA au niveau d’une ville en temps réel. Tout déplacement devient traçable grâce à des milliers de caméras intégrées à un système de surveillance centralisé, une vision déjà mise en pratique dans plus d’une « smart city » européenne. D’innombrables capteurs à travers l’espace public, dans les commerces, les voitures, le transport en commun ou bien portés sur nos corps cherchent à faire de toute action l’objet de calculs, de prédictions et de contrôle, le tout sous un couvert éco-responsable. Une toile d’algorithmes devient omniprésente donc invisible, invisible donc incontestable.

Robotique et automatisation
Voitures autonomes. Entrepôts robotisés. Magasins sans caissier.ères. Robots de livraison qui appellent les flics lorsqu’ils sont attaqués. Une infrastructure se déploie qui changera le monde du travail ainsi que nos milieux de vie de façon permanente. Il ne s’agit pas de pleurer la disparition d’emplois éreintants et ennuyeux. Un rythme déshumanisant est imposé aux travailleur.ses restants, qui doivent suivre la cadence des machines et des logiciels de productivité ou se retrouver à la porte. D’autre part, quelles mesures de contrôle social et quels stratagèmes d’exploitation attendent les nouvelles masses d’exclu.es du chômage technologique ?

La vie devant un écran
Les possibilités de relations authentiques entre les humains et avec ce qui nous entoure sont de plus en plus effacées au service d’une hyper- connectivité virtuelle. La compréhension, la découverte et la recherche de sens sont réduites à une production de données. Déficit d’attention, troubles de mémoire, perte de capacités affectives et d’imagination, perturbation du sommeil, douleurs musculo-squelettiques, anxiété, solitude, dépression : les symptômes de la dépendance aux technologies connectées empirent alors qu’un pan grandissant de la population est immergé dans les écrans tactiles depuis la petite enfance.

30 juillet 2020
Achim, Allemagne
Une grue est incendiée sur le chantier d’un immense centre logistique d’Amazon, retardant les travaux et causant des centaines de milliers de dollars en dommages. Un autre grain de sable dans l’engrenage d’un chef de file de l’exploitation numérique. (anarchistsworldwide.noblogs.org)

Pour des vies libres et riches, ouvertes à l’inconnu

Soyons la panne dans leur réseau !

Capitalisme de surveillance et choc pandémique

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Sep 082020
 

Du Projet accompagnement solidarité Colombie (PASC)

Au début de la pandémie de la COVID-19, dans notre collective au sein de laquelle depuis 15 ans nous discutons des réalités qui nous entourent dans le but d’agir collectivement, nous avons réalisé une série de discussions, ayant déjà donné lieu à un premier article1. Aujourd’hui, nous publions ce texte, résultat de nos recherches du soir. Nous savions bien que la pandémie aurait des conséquences économiques, politiques, structurelles voir même structurantes, et nous nous inquiétions des enjeux de surveillance et de contrôle.

En route vers une nouvelle « normalité » ?

Notre hypothèse de départ est que la crise liée au coronavirus permet d’accélérer la mise en œuvre d’un capitalisme de surveillance. Nous tenterons de faire un tour d’horizon des mécanismes de contrôle, de surveillance et d’ingénierie sociale qui sont en train d’être déployés et d’analyser dans quelle mesure ils nous propulsent dans cette nouvelle ère du système capitaliste, aussi appelée 4e révolution industrielle. Nous essaierons d’identifier les designers de ce nouveau monde, de cibler ceux qui en profitent et de voir les pistes qui se dessinent pour tenter d’y résister.

À l’origine de nos recherches, pour essayer de comprendre la crise ou plutôt, de mettre le doigt sur la forêt que cachait l’arbre, un article a particulièrement attiré notre attention. Publié par le Massachusets Institue of Technology (MIT), le 17 mars 2020 et écrit par un scientifique, Gideon Lichfiled, son titre était particulièrement angoissant : « Nous ne reviendrons pas à la normale ». Son sous-titre l’était tout autant : « la distanciation sociale est là pour rester pour beaucoup plus longtemps que quelques semaines. Notre mode de vie sera appelé à changer et sur certains points, pour toujours ». L’élément primordial de cet article, consistait à nous faire comprendre que nous ne sommes pas dans une situation temporaire et qu’au contraire nous ne sommes qu’au début de la mise en place d’une nouvelle façon de vivre en société.2

Non que nous tenions à retourner à la « normalité » à laquelle nous a habitué le système capitaliste, remplie d’injustices et que nous dénonçons depuis des années, mais cet article prétendait que nous allions devoir nous préparer à faire face à plusieurs vagues d’éclosions du virus, et donc de restrictions de nos droits et libertés et ce à très long terme. Cinq mois plus tard, nous observons qu’effectivement, plusieurs mécanismes de contrôle et d’ingénierie sociale sont en train de se mettre en place et de non seulement changer les comportements et notre manière de vivre en société mais de mettre la table pour propulser un capitalisme de surveillance.

Contrôle et surveillance : un tour d’horizon

Pour faire face à la pandémie de la COVID-19, au lieu de proposer des investissements dans nos services publics, notamment dans le système de santé et les soins aux personnes âgées, la majorité des États se tournent vers le privé pour nous offrir des solutions technologiques. Si certains logiciels sont en développement, d’autres existaient déjà, comme ceux mis en place dès le début de la crise en Israël par exemple, où les données de géolocalisation des cellulaires, normalement utilisées par les services de renseignement pour réprimer les mouvements sociaux palestiniens, ont été utilisés pour identifier les personnes qui auraient été en contact avec des porteurs du virus.3

Application de traçage via cellulaire et données de santé

Partout dans le monde, des pays ont recours à des applications de suivi numérique qui avertissent les gens ayant croisé le chemin d’une personne contaminée. Par exemple, à Singapour, le « traçage » des personnes testées positives a permis non seulement de publier les informations sur chaque cas connu, mais aussi à envoyer une alerte à l’ensemble des personnes ayant croisé l’individu malade.4 Fin avril, déjà, plus d’une trentaine de pays avaient recours aux applications de traçage5. Ainsi, avec le prétexte de vouloir nous protéger du virus, nous assistons à la mise en place de systèmes de suivis des déplacements et des relations de milliards d’individus, alors que les résultats sanitaires sont plus qu’incertains.

Ainsi, dans le cadre de cette expérimentation grandeur nature, l’éventail des dispositifs de surveillance et de contrôle va d’applications où les données sont stockées dans des serveurs centraux et communiquées aux autorités, à celles où les données sont prétendument « anonymisées » (non lié à l’identité des personnes) et stockées sur notre propre cellulaire…

Le Canada a décidé de lancer sa propre application pour cellulaire, qui utilise la technologie Bluetooth pour tracer les contacts entre personnes. L’application Alerte COVID a été lancée le 31 juillet, mais comme ce fut le cas à propos d’applications similaires développées ailleurs dans le monde, son efficacité est sérieusement mise en doute, en plus d’être jugée trop intrusive et pas assez sécurisée6.

Ce qui pourrait surprendre c’est l’engouement de tant de gouvernements7 pour une solution dont l’efficacité est loin d’être démontrée. Tout d’abord, la géolocalisation, ou la présence dans le rayon Bluetooth8 d’un autre téléphone, ne prouve en aucun cas que la personne atteinte ait réellement pu constituer un risque de contagion. Rappelons qu’un porteur de COVID-19, ne contaminera en moyenne qu’entre 0 et 5.7 personnes9, alors que plusieurs dizaines de personnes ayant croisé son chemin recevront un avis de risque de contamination, provoquant inutilement un potentiel vent de panique.

Selon les dires même des développeurs de ces applications et des gouvernements qui les mettent en place, pour être efficaces, il faudrait que les trois quarts de la population d’une ville ou d’un pays la télécharge. Il est difficile de croire que ces taux élevés d’utilisation seront atteints. Comme le notait la revue Nature dans un éditorial du 29 avril dernier10, l’application tant vantée de Singapour n’était utilisée que par 20 % de la population, ce qui signifie que les chances que deux personnes utilisant l’application se croisent ne sont que de 4 %. Bien que l’utilisation de ces technologies se fasse pour l’instant sur une base volontaire dans la majorité des pays qui se prétendent démocratiques, il existe un risque réel pour que la pression soit forte pour la rendre obligatoire après la ou les prochaines vagues d’éclosion du virus. Les médias de masse jouent un rôle important dans la promotion des nouvelles mesures ; nous avons pu observer comment cela fut le cas concernant le port du masque qui fut rendu obligatoire suite au premier déconfinement, alors qu’il n’avait pas été jugé utile de le porter avant cela. Il est préoccupant de voir qu’il semble plus simple de jeter le blâme de la non-efficacité de certaines mesures sur les récalcitrants, que de se demander lesquelles sont vraiment efficaces.

Par ailleurs, de sérieux doutes ont été émis sur la capacité réelle des développeurs de ces applications de protéger les données des utilisateurs. Au Dakota par exemple, l’application Care19 a rendu publiques les données de géolocalisation de 30 000 usager.e.s.11 D’ailleurs, le chef de la cybersécurité aux Commissionnaires du Québec, Jean-Philippe Décarie-Mathieu « croit que le sentiment d’urgence de l’industrie technologique et des décideurs pour trouver des solutions à la pandémie, exacerbée par un certain climat de peur, peut porter les développeurs de ces applications à tourner les coins ronds en ce qui concerne la sécurité des données ».12 Pourtant, on tente de nous convaincre que les applications développées en Occident sont radicalement différentes de celles implantées en Chine par exemple, puisqu’elles ont été développées de façon à anonymiser les données, à ne pas permettre la géolocalisation, ou encore parce que les données seront stockées sur notre cellulaire et non sur un serveur externe. Cependant, comme Edward Snowden l’affirme dans ses mémoires, ce genre de garantie ne tient pas puisqu’il est impossible de faire disparaître définitivement des données enregistrées.13

Au soi-disant14 Québec, le projet de réunir les données de santé en ligne date de 2009, avec l’implantation du Dossier Santé Québec (DSQ), qui avait pour but de centraliser les données de santé des patients. Rappelons qu’à l’époque, les groupes communautaires en santé et services sociaux avaient dénoncé cette mesure qui aillait à l’encontre du droit à la confidentialité15. Plus de dix ans plus tard, le Carnet de Santé Québec, lancé en mai 2020, permet aux patients d’accéder aux informations du DSQ16 sur leurs téléphones cellulaires.

La Chine comme exemple, depuis quand ?

Bien que ce qui circule sur la Chine dans les médias occidentaux, sur fond de guerre commerciale, soit souvent à prendre avec un grain de sel, il est néanmoins frappant de voir comment des pratiques attribuées initialement au caractère autoritaire du Parti communiste chinois sont maintenant louangées comme étant l’avenir du monde « civilisé » pour faire face au virus. C’est d’abord en Chine que plusieurs applications de traçage ont été lancées : celle du gouvernement, celle de la capitale, Pékin, et celles d’autres collectivités locales. Elles livrent toutes des code-barres destinés à déterminer le degré de risque que représente un individu en lien avec son degré d’immunité au virus et les contacts que la personne a eu avec des individus potentiellement infectés ou à risque. Ainsi le code-barres change de couleur selon cette évaluation du risque : « vert » aucun problème, « orange » obligation de se placer en quarantaine à la maison et « rouge » obligation de se placer en quarantaine dans un lieu centralisé déterminé par l’État. Les individus doivent installer ces applications sur leur téléphone intelligent afin de pouvoir circuler dans la ville, puisque des détecteurs de code-barres ont été installés et des checkpoints des autorités mis en place à l’entrée de divers endroits publics, comme les transports ou les centres commerciaux ; seul un code vert permet d’y entrer.17 Mais ces codes barre vont au-delà de la détermination du risque que pose une personne, ils envoient aussi des informations à la police et aux autorités, ce qui représente un dangereux précédent dans le déploiement de nouvelles formes de contrôle social automatisé. Chaque fois que le code barre est scanné, les données de géolocalisation de la personne sont envoyées aux autorités18. L’application promue par le gouvernement central, baptisée Alipay Health Code a été développée avec l’entreprise Ant Financial, une compagnie sœur du géant du commerce en ligne Alibaba. Malgré les implications liberticides d’un tel système de contrôle et de surveillance de la population, les médias occidentaux ont vanté le modèle chinois de gestion du déconfinement19. Remarquons par contre qu’ils n’ont pas fait autant de reportages sur les autres mesures mises en place par la Chine, comme par exemple les brigades de prévention communautaire dans les quartiers20 qui ont permis de freiner la contagion, ni du fait que la médecine chinoise intègre techniques de médecine allopathe et connaissances ancestrales telles que l’acupuncture et l’usage des plantes médicinales.

Surveillance policière et contagion

Plusieurs autres moyens permettant la surveillance médicale de masse sont en train de voir le jour. Si certaines de ces mesures peuvent nous sembler sensées afin de faire face à la menace du virus, elles sont implantées en bloc de manière accélérée ce qui rend difficile une analyse sérieuse de leur pertinence et l’expression de critiques quant aux risques que certaines d’entre elles représentent. Les caméras thermiques sont un de ces gadgets et bien que celles-ci aient fait scandale dans un IGA à Saint-Lambert,21 en Colombie elles sont déjà parfaitement acceptées dans les aéroports et dans le transport en commun22. La carte d’immunité fait aussi partie des propositions en vogue. L’Imunity Card23, est un document d’identité où seraient enregistrés, entre autres choses, les résultats des personnes ayant été testées, une proposition qui surgit en réaction à la pénurie de test. Dans un futur pas très lointain, l’information concernant la vaccination fera probablement aussi partie de ce qui y est inscrit. Proposée initialement aux États-Unis, l’Allemagne et le Chili étudient la possibilité d’implanter ces cartes. Cette mesure est emblématique puisqu’elle fait partie de l’arsenal de moyens qui relèvent plus de la paranoïa sécuritaire que de réelles mesures de protection sanitaires. En effet, les scientifiques ignorent encore si l’immunité est possible et pour combien de temps24.

D’autres technologies sont en cours de développement afin de surveiller l’immunité des individus et le risque potentiel qu’ils représentent. Depuis 2016, le Massachusets Institue of Technology (MIT) travaille sur un carnet de vaccination prenant la forme d’une encre invisible injectée sous la peau, mais détectable par les téléphones intelligents, qui permettrait de vérifier si une personne a effectivement reçu tel ou tel vaccin25. Bien que ce fameux carnet de vaccination invisible ne sera sans doute pas prêt avant la fin de cette pandémie, IBM travaille actuellement sur le développement d’un certificat numérique qui servirait à identifier les personnes ayant été déclarées positives de la COVID-19, celles qui en sont rétablies, celles qui ont été testées, et lorsqu’il y aura un vaccin, qui l’a reçu. Si tel que le prétend le fondateur d’IBM, Bill Gates, l’ensemble de l’humanité devrait être vaccinée contre la COVID-19, il y aura beaucoup beaucoup d’argent à faire avec de tels projets. De plus, cela nous emmène à nous questionner : que fera-t-on des gens qui refusent de se faire vacciner ? Pourront-ils aller dans les commerces, dans les épiceries, travailler, sortir dans les bars ? Et dans l’éventualité où aucun vaccin efficace ne réussisse à être développé ou en attendant sa découverte, il y aura aussi énormément d’argent à faire avec le développement de ces technologies de gestion du risque que représentent les individus et probablement beaucoup de profilage.

À tout cela vient s’ajouter le confinement, volontaire ou obligatoire selon les pays. La notion de confinement de masse, comme mesure adoptée en urgence globalement, est elle-même mise en doute.26 En effet, isoler la population a des conséquences négatives sur la santé, psychologiques notamment mais aussi physiques : l’absence d’exposition aux autres et l’utilisation à outrance du gel antiseptique affaiblit notre système immunitaire, retardant artificiellement les pics de contagion, tandis que l’absence d’activité physique rend nos corps plus vulnérables à toutes sorte de maladies et affaiblit particulièrement les personnes âgées.

Néanmoins, le caractère volontaire ou répressif des mesures implantées pour faire respecter le confinement varie d’un endroit à l’autre sur la planète. Dans de nombreux pays du Sud global, les États ont opté massivement pour des mesures répressives. En Colombie par exemple, les personnes qui enfreignent le décret sur l’isolement social, peuvent encourir une peine de prison allant de 4 à 8 ans.27 Les mesures incluent selon les villes, le couvre-feu, l’interdiction de sortir sauf pour l’accès aux services de santé, la gestion des déplacements par catégorie de population, les contrôles d’identité lors de l’entrée dans un établissement et finalement, alternance entre jours pairs et impairs selon le numéro d’identité, afin d’avoir le droit de sortir pour acheter des denrées alimentaires, s’approvisionner ou aller dans une banque. Ces mesures étant impossibles à respecter pour des millions de gens qui gagnent chaque jour les maigres revenus qui leur permettront ou non de se nourrir et de se loger, la mairie de Bogota a opté pour carrément « fermer » certains quartiers et militariser les rues. Dans certaines provinces canadiennes comme au Nouveau Brunswick, les personnes revenant de l’étranger sont non seulement assignées à domicile, mais elles reçoivent une visite quotidienne de la GRC pour s’assurer qu’elles respectent le confinement. À Hong Kong, les personnes qui reviennent de l’étranger doivent porter un bracelet électronique durant leur période de quarantaine et celui-ci est connecté à leur téléphone intelligent : si le bracelet et le cellulaire viennent à être séparés, un message d’alarme est envoyé aux autorités et le contrevenant risque, selon les cas, une amende ou même la prison28 .

Récemment au soi-disant Canada, sous le prétexte de la pandémie, l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) tente d’introduire des bracelets de cheville pour localiser par GPS des migrant.e.s, en les « offrant » à plusieurs détenu.e.s comme un prix à payer pour leur liberté.29 À travers son nouveau programme de « solutions de rechange à la détention » 30, l’ASFC sous-traite le contrôle des migrant.e.s à des tierces parties telles que la John Howard Society, qui supervisent au soi-disant Québec des programmes punitifs de « gestion des cas » s’apparentant à des programmes de libération conditionnelle, parfois en combinaison avec des stratégies de traçage GPS et de reconnaissance vocale.

Cela n’est pas sans rappeler le projet d’identification numérique développé par Accenture et Microsoft, sous le nom de « ID2020 », qui a été lancé lors du sommet des Nations Unies à New York en juin 2017. Il s’agit de développer un vaste réseau de documentation numérique pour les réfugié.es, par la création d’une base de données biométriques globale31. Toutes les données publiques et commerciales qui existent sur un individu y seraient inscrites et chaque service reçu inscrit au dossier32. Comme le dit le site officiel du projet33, les systèmes d’identification existants, incluant les passeports, sont jugés obsolètes et ce projet vise à les remplacer. Des organismes de soutien aux personnes réfugiées et sans-papiers ont dénoncé que l’obtention de l’aide humanitaire est conditionnelle à l’acceptation de ce fichage dans certains camps de réfugiés des Nations Unies34.

Au soi-disant Québec, le gouvernement travaille sur un projet visant à fournir à la population une identité numérique : il espère être en mesure d’attribuer des identités numériques dès l’automne 2021 et que l’ensemble du “portefeuille de services numériques” soit complété d’ici 2025. Nos données personnelles seront cryptées dans ses serveurs infonuagiques et pour nous identifier, on utilisera notre nouvelle identité numérique accompagnée soit de nos données biométriques soit d’un mot de passe complexe (au choix), à partir de notre téléphone intelligent.35

Vers un nouvel ordre social?

L’urgence et le climat de peur servent à forcer le consensus et à fabriquer le consentement de la population aux diverses mesures mises de l’avant pour nous sortir de la crise sanitaire. Nous acceptons jours après jours la mise en place de mesures de contrôle social qui, il y a à peine quelques mois, auraient été impensables. Le traitement médiatique de la pandémie n’est pas étranger à l’acceptation sociale des changements drastiques qui nous sont imposés.

Bien que ces mesures s’appliquent dans le contexte de la pandémie, il y a fort à parier que plusieurs d’entre elles sont là pour rester, tel que nous met en garde le Guardian à ce sujet36. Les États tendent à rendre permanentes les lois spéciales et autres mesures d’exceptions introduites en temps de crise. Nous n’avons qu’à penser aux lois anti-terroristes ayant été votées un peu partout sur la planète après le 11 septembre 2001, donnant des pouvoirs accrus aux forces de l’ordre et à l’État en matière de contrôle et de surveillance ; l’ensemble de ces pouvoirs sont toujours en place.

Les enjeux entourant l’avancée des technologies de surveillance vont bien au-delà du respect de la vie privée et des questions sanitaires ; leur mise en place « teste la température de l’eau » afin de jeter les bases pour générer l’adhésion de la population au déploiement accéléré du capitalisme de surveillance. Comme nous le verrons, de dernier est basé non seulement sur la cueillette et le contrôle des données des individus, mais surtout sur l’ingénierie sociale, c’est-à-dire le façonnement des comportements individuels et sociaux.

La crise du coronavirus et la mise en œuvre du capitalisme de surveillance

Afin de pouvoir analyser la situation générée par la crise globale liée à la pandémie de la COVID-19, il est nécessaire de prendre un pas de recul pour se pencher sur les conditions préexistantes à cette crise. Où en est le développement de l’économie capitaliste à l’heure du numérique et du marché du Big Data, alors que les avancements de la robotique, de la biotechnologie et de la neuroscience se marient à celle de l’intelligence artificielle ?

Pour analyser la situation actuelle, il est nécessaire de se demander ce que la crise permet d’accélérer : c’est-à-dire le déploiement du capitalisme de surveillance et de la « quatrième révolution industrielle »37. Il ne s’agit que d’aller faire un tour sur le site du Forum économique mondial pour prendre toute la mesure de ce qui se trame pour informatiser nos vies jusque dans leurs moindres recoins38 :

« La crise de la COVID-19 nous démontre que les technologies émergentes telles que l’Internet des objets et l’intelligence artificielle ne sont pas seulement des outils, ils sont essentiels au fonctionnement de notre société et de notre économie. Particulièrement, en ces temps d’instabilité, nous devons les penser en termes d’infrastructure critique ».39

Tout comme cela s’est produit par le passé avec les numéros de téléphone, aujourd’hui les adresses IP, différentes pour chaque dispositif connecté à un réseau, ne sont plus suffisantes ; on doit donc passer d’un système IPv4 à 9 chiffres à un système IPv6 à 17 caractères. Avec ce nouveau système, nous allons progressivement passer de 4.3 milliards d’adresse IP disponibles actuellement, à un potentiel de 340 undécillion ou sextillion40, bref un nombre presque infini de dispositifs qui peuvent être connectés. Déjà en 2017, le Forum économique mondial affirmait « qu’entre 50 et 100 milliards d’objets seront connectés en 2020 ».41 Ces chiffres augmentent de façon exponentielle au rythme de l’installation du réseau 5G, un système internet tout neuf, qui rendra peu à peu obsolètes les ordinateurs et cellulaires que nous utilisons aujourd’hui. Le réseau 5G permet de capter les ondes millimétriques, qui augmenteront considérablement la rapidité de l’internet et le nombre d’objets qui peuvent y être connecté. Disons en résumé que télécharger un film de 2h prendra moins de 10 secondes et qu’une vidéo pourra apparaître en 3D42.

Toutefois, la mise en place du réseau 5G à l’échelle mondiale se fera graduellement et pourrait prendre encore un certain temps parce qu’il est compliqué à installer : pour ce faire il faut changer les antennes actuelles, et installer un peu partout, ville par ville, des milliards de tours et de petits boîtiers, qui permettent à ces ondes courtes d’être accessibles partout pour rendre l’internet presque immédiat. Au soi-disant Canada, Bell, Rogers et Telus ont introduit les réseaux de cinquième génération dans plusieurs grandes villes, et quelques modèles de téléphones intelligents compatibles avec la 5G sont maintenant offerts en magasin. Mais le signal risque d’être faible ou instable pour quelque temps encore en raison du nombre insuffisant de tours de transmission et il faudra encore plusieurs années avant de comprendre le réel potentiel de la 5G.43

Les entreprises de cybersécurité s’inquiètent, puisque cette multiplication exponentielle du nombre de connections augmente énormément les risques de piratage et la vulnérabilité des systèmes, entre autres. Il y a aussi tout un mouvement qui dénonce les impacts inconnus sur la santé de ces nouvelles ondes. Alors que l’OMS affirme que les impacts sur la santé des ondes en général et en particulier de celles du 5G sont insignifiants,44 la Suisse a tout de même décidé de mettre en place une commission fédérale sur le sujet45. Si l’opposition au 5G est présentée comme farfelue dans les médias, la répression contre le mouvement anti-5G ne se fait pas attendre : on associe à des adeptes de théories du complot les personnes qui sont accusées de destruction de tours ou d’antennes en Europe46 et au soi-disant Québec47.

L’Internet des objets

L’internet des objets, dont le déploiement complet ne sera possible que lorsque le réseau 5G sera pleinement en place, se base sur l’idée que tous les objets qui nous entourent et que nous utilisons au quotidien soient connectés48: nos montres, nos lunettes, notre brosse à dents, notre miroir, notre mp3, nos boîtiers de pilules, notre frigo, notre voiture, tous nos électroménagers, jusqu’aux maisons intelligentes en entier, munies de senseurs et de caméras pour nous aider à surveiller nos enfants (sic)… Bref, que tout soit connecté, pour qu’en rentrant chez nous, notre maison nous parle, mette de la musique, ouvre la porte, allume la lumière, nous rappelle qu’il est l’heure de prendre notre médicament, nous propose une recette en fonction de ce qu’il y a dans le frigo, programme le four pour réchauffer le souper et qui sait nous prépare un drink (!), pendant que nous lui demandons, la météo du lendemain, les résultats du hockey, l’histoire de l’indépendance des États-Unis ou une recette de biscuits, comme avec Ok Google actuellement sur notre Android. Cela suppose que chacun des objets soient connectés à Internet, avec leur propre adresse IP. Les programmes d’assistants intelligents comme Alexa ou Google Home, sont un premier pas dans cette direction et visent à nous habituer à cohabiter avec l’intelligence artificielle (IA)49. Car bien que l’IA nous semble encore un concept abstrait qui ne verra le jour que dans un avenir lointain, elle sera déployée massivement au cours des dix prochaines années, avec notamment le concept des villes intelligentes50, qu’on nous vend comme étant éco-responsables…51 Et bien que plusieurs d’entre nous croient que cela ne les affectera pas puisqu’ils ne sont pas intéressé.e.s à s’acheter des objets connectés, il ne faudrait pas oublier que d’une part, ces objets seront faits pour être si pratiques que plusieurs succomberont à la tentation comme nous l’avons tou.t.es fait avec les téléphones intelligents et que d’autre part, viendra un temps où l’industrie ne produira que ce type d’objets, rendant obsolètes ceux que nous utilisons présentement.

La quatrième révolution industrielle, qui consiste à « relier les systèmes physiques, biologiques et digitaux » est donc bel et bien en marche.52 Le Centre pour la quatrième révolution industrielle53, mis en place par le Forum économique mondiale et basé à San Francisco, se définit comme un « réseau pour la gouvernance technologique mondiale »,54 dont la mission est de « maximiser les bénéfices de la science et des technologies pour la société, en partenariat avec des gouvernements, des entreprises privés et des experts ». 55

Le confinement planétaire généré par la pandémie, tout comme les mesures de distanciation sociale qui demeurent suite au « déconfinement », nous ont propulsé.e.s dans cette nouvelle ère de connexion extrême à nos écrans et aux technologies. En fait, la situation issue de la pandémie a permis la mise en œuvre de deux processus simultanés ; d’une part nous sommes appelé.e.s à réduire, voire à mettre fin, à la majorité de nos contacts humains et de nos relations interpersonnelles en personne et d’autre part, nous sommes forcé.es d’augmenter notre utilisation d’internet et nos contacts avec le monde numérique. Et dans ce processus, nous augmentons notre dépendance aux technologies ; les écrans deviennent le mode quasi exclusif d’accès au monde ; le commerce en ligne explose, y compris pour l’achat de notre nourriture et nous voyons émerger toutes ces plates-formes pour les services de santé en ligne, l’éducation à distance et le télétravail, pour ne nommer que ceux-là. Déjà nous commençons à nous habituer à recevoir nos services de santé en ligne et le télétravail est louangé comme étant l’avenir du travail, notamment parce qu’il est prétendument plus écologique. En effet, bien que l’aire du numérique évite d’imprimer autant de papier, sont apport à la réduction des dommages environnementaux s’arrête là, puisque le visionnement de vidéo en ligne, les téléchargements incessants et les vidéoconférences impliquent des milliers de serveurs, qui dans leur majorité carburent au charbon aux États-Unis56. La navigation sur internet contamine autant que l’industrie aérienne et les chiffres devraient aller en augmentant ; la virtualisation de nos rapports apporte donc peu ou pas à la réduction de notre consommation d’énergie.57

Ce pas de géant du numérique sur l’économie, l’organisation de la société et la vie sociale, profite directement à des géants du web tels qu’Amazon, Facebook, Google et Microsoft. Ces derniers, aujourd’hui beaucoup plus puissants que les États, sont au cœur du développement du capitalisme numérique ; leur modèle d’affaire qui dépend du Big Data, est basé non seulement sur la surveillance des comportements en ligne des individus pour la collecte des données, mais aussi comme nous le verrons, sur la modification des comportements humains et sociaux dans cette nouvelle normalité où nous sommes et serons de plus en plus connecté.e.s. 

Le monde selon Google

Google révélait il y a quelques mois, les données de déplacement de millions d’êtres humains vivant dans 131 pays, afin de démontrer l’impact du confinement sur la mobilité et les comportements, révélant au monde le potentiel extraordinaire de surveillance, rendu possible grâce aux téléphones intelligents, aux technologies de géolocalisation et à des applications telles que Google maps. Peu de temps après, Google et Apple annonçaient qu’ils feraient front commun pour développer une application de traçage à grande échelle, pour « aider » à ralentir la propagation du virus…

Les plans de Google ne sont ni secrets, ni nouveaux, mais la pandémie lui permet d’avancer plus rapidement que prévu dans sa réorganisation du monde. Google profite de la situation pour agrandir entre autres son portfolio d’informations médicales ; une de ces dernières grandes acquisitions est le projet Ascension, conclu en novembre 2019.58 Depuis 2006, Google Santé59 tente d’obtenir volontairement nos données de santé, et fait la promotion de l’usage de l’IA dans le secteur de la santé. C’est actuellement un des principaux investissements de cet empire et son objectif est de développer des outils qui permettent de diagnostiquer, de prévenir et surtout de prévoir les maladies. La capacité de prévision est d’ailleurs au cœur du développement de l’intelligence artificielle : à partir des données extirpées de nos habitudes de vie et des émotions que nous exprimons (nos achats, nos déplacements, nos commentaires en ligne, etc.), Google veut être capable, à l’aide des algorithmes, de prévoir autant les maladies que nous développerons que nos prochains comportements. L’idée est que l’intelligence artificielle arrive à mieux nous connaître, que nous nous connaissons nous-mêmes, afin d’être en mesure de nous influencer. On parle en fait d’ingénierie et de déterminisme social, ce qui est pour le moins inquiétant.

Depuis 2013, Google investit massivement dans un projet de recherche en santé, qui utilise les informations de ses usagé.ere.s afin de trouver une solution au problème du vieillissement et de la mortalité, rien de moins ! Un des directeurs de Google, Ray Kurzweil, promet qu’en 2029, on parlera d’immortalité60. En attendant, on nous dit qu’on pourra faire exister nos proches décédé.es physiquement via l’intelligence artificielle61. Ce sont des milliards qui ne sont pas investis dans la santé de tou.te.s, mais plutôt dans le design du futur. Google utilise les données des utilisateur.trices pour ces recherches qui pourraient paraître farfelues, mais qui font partie d’un plan consciemment élaboré pour le monde de demain.

Il y a tellement de données qui se vendent et s’achètent sur le marché du Big Data que l’extractivisme des données62 (qui consiste à extraire les données des utilisateur.trices afin de consolider des bases de données cotées en bourses) est le secteur qui connaît actuellement la plus forte croissance dans les bourses du monde63.

Selon les prévisions du cabinet Gartner « 90% des données existantes aujourd’hui ont été créées au cours des deux dernières années et la production de ces données devrait exploser de 800% d’ici 5 ans ».64 Les données proviennent de partout : des messages que nous envoyons, des vidéos que nous publions, des informations climatiques, des signaux GPS, des achats avec carte de crédit ou encore des transactions en ligne. Les sites de rencontre, symbole des relations de notre temps, sont les meilleurs fournisseurs de données personnelles. Nous avons donc des ombres virtuelles qui en savent plus sur nos goûts, nos envies, nos sentiments et nos pensées que nous-mêmes, et pire encore des machines qui les analysent pour nous donner accès à la réalité digitale qui nous convient, selon Facebook ou Google. Chaque service « gratuit » que nous utilisons en ligne en acceptant d’interminables politiques d’utilisation sont donc des contrats par lesquels nous donnons des informations sur nous, en plus de celles recueillies à notre insu par les caméras, les cartes de débit qui remplacent l’argent comptant et autres gadgets. Ces informations sont ensuite compilées et analysées à l’aide de l’intelligence artificielle, puis vendues :

« En collectant massivement des informations sur leurs utilisateurs, elles formulent, à l’aide de l’intelligence artificielle, des prédictions hautement monnayables sur leurs comportements. Le « capitalisme de surveillance » est en somme une forme d’extractivisme, la matière première étant les données personnelles des citoyens »65, résume Aurelie Lanctot au Devoir.

L’affaire Cambridge Analytica66 et le scandale de l’utilisation des données pour la manipulation des résultats électoraux, incluant la création de tendances sociales et de mouvements sociaux de toutes pièces67 aurait pu ralentir le processus, mais il a seulement rendu les dirigeant.e.s plus prudent.e.s68.

Comme le souligne Naomi Klein dans son article le Screen New deal69, les plans de développement des villes intelligentes, basés sur la surveillance et l’interconnectivité des données, affrontaient avant la pandémie de nombreuses réticences à cause de l’ampleur des changements proposés. La pandémie semble avoir fait disparaître ces réticences, agissant comme un choc qui permet de rendre acceptable que nos maisons deviennent notre bureau, notre gym, notre école et même notre prison si l’État le décide. Mais l’économie numérique condamne les plus pauvres de la planète à travailler dans des conditions abjectes, afin de rendre possible ce développement technologique, que l’on parle des travailleurs.euses des mines de lithium pour la fabrication des téléphones intelligents et des voitures électriques, ou de ceux et celles des entrepôts d’Amazon et autres sweatshop.70

Que l’on parle de Google, maintenant appelé Alphabet depuis sa restructuration en 2015, de Facebook, du nouveau venu Zoom71 ou des autres géants du Big Data, le problème central demeure le rôle de la technologie dans nos vies et les décisions systématiquement prises en fonction du dictat de l’économie, comme par exemple l’obsolescence programmée de nos ordinateurs, de nos téléphones et des produits de consommation en général, qu’il est plus simple de jeter et d’envoyer dans des méga-décharges informatiques du Sud-Est asiatique72 que de réparer.

Pour en revenir à la pandémie qui accélère et actualise les changements en cours, c’est le genre de crise dont avait grandement besoin le capitalisme. Les crises du capitalisme opèrent toutes selon la même dynamique ; elles liquident des pans entiers de l’économie et permettent de la restructurer avant d’entrer dans une nouvelle phase de croissance et d’accumulation de capitaux, qui concentre chaque fois plus la richesse. Le capitalisme a besoin de croissance perpétuelle pour fonctionner ; périodiquement celle-ci stagne et il faut donc faire disparaître des capitaux pour mieux redémarrer. Les crises financières, les guerres et les catastrophes, dont les pandémies, sont idéales pour remettre les compteurs à zéro, éliminer les petits, faire grandir les gros, puis repartir. La crise actuelle permet également de mettre à jour les cadres légaux et les comportements sociaux et de réécrire les règles du jeu de la « nouvelle normalité » qui s’installe. Les nouvelles règles que laissent entrevoir cette crise n’ont rien d’enviables ; elles nous font graduellement glisser vers un monde dans lequel notre réalité concrète, celle qui ne passe pas par un écran, entre de plus en plus en contradiction directe avec cette réalité qui de clic en clic alimente l’indifférence, l’éphémère et la distance sociale. Le concept qui est développé par les géants des technologies est de créer un « hive mind » ou « esprit de ruche », c’est à dire une sorte de savoir universel issu de la mise en commun de l’ensemble de nos données personnelles, qui en fait selon eux, ne devraient pas être considérées comme étant du domaine privé mais bien comme appartenant à l’humanité et aux futures générations (sic)…Cette idée est assez explicite dans la vidéo interne de Google, The Selfish ledger, qui a été rendue publique suite à une fuite. Réalisée en 2016, il y est discuté comment les données de masse peuvent être utilisées pour diriger le comportement humain, tant à l’échelle individuelle que globale. 73 Ultimement, nous aurions l’impression de poursuivre des buts communs (déterminés par Google!), avec l’IA nous dictant la voie à suivre… En étant en permanence connecté.e.s à autrui et à une sorte de savoir universel par le biais d’Internet, cela ferait en sorte que nous ne ressentions plus le besoin d’être en contact dans le monde réel.

Qui s’enrichit et profite de la crise ?

Alors que la pandémie semble générer une reconfiguration des forces au sein du capitalisme global, les hommes les plus riches de la planète en profitent. Entre le 18 mars et le 19 mai 2020, la fortune globale des 600 milliardaires américains a augmenté de 434 milliards en dollars US et les patrons des multinationales de la Silicon Valley sont ceux qui en ont le plus profité. Les mesures de confinement de la population et la fermeture des commerces ont fait bondir les achats en ligne et le besoin de rester connecté.e.s via les réseaux sociaux, ce qui a fait grimper en flèche la valeur des titres des GAFAM (Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft) et des entreprises de haute technologie en général74. Entre mars et mai, la fortune de Jeff Bezos – fondateur et patron d’Amazon – a augmenté de plus de 30 %, un bond équivalent à 24 milliards de dollars depuis le début de l’année 2020, soit quatre fois plus que l’augmentation habituelle de sa fortune, si on compare les chiffres des gains depuis 2017.75 Durant la même période, la fortune de Mark Zuckerberg, patron de Facebook, a bondi de plus de 46 % pour s’élever à $54,7 milliards. En toile de fond, les titres d’Amazon et de Facebook ont atteint dans la semaine du 22 mai leur plus haut niveau historique. Pendant ce temps, 39 millions d’américain.e.s et plus de 3 millions de canadien.ne.s ont perdu leur emploi à cause de la pandémie, alors que des millions de personnes dans les pays du Sud global ont été encore davantage acculées à la misère, ne pouvant même plus sortir de chez elles pour gagner leur pain quotidien ou perdant carrément leur logis à cause de la crise.

Les GAFAM sont contrôlées par des hommes dont les ambitions ont de quoi donner des frissons dans le dos. Attardons-nous un instant à Amazon et à son patron Jeff Bezos, l’homme le plus riche de la planète, dont la fortune s’élève à 113 milliards en dollars américains, suivi de près par Bill Gates avec un fortune de 98 milliards76 La plupart des gens voient Amazon comme une simple entreprise de commerce en ligne, mais il s’agit d’une perception erronée car ce n’est que la pointe de l’iceberg de l’empire dont l’objectif est d’arriver à contrôler une partie importante de l’infrastructure économique mondiale. En plus du e-commerce, Amazon est l’acteur numéro un sur la planète dans le secteur de l’infonuagique et des centres de données, alors que l’entreprise contrôle plus de 120 centres de données un peu partout sur la planète. Alors que de nombreux gouvernements et un nombre infini de compagnies stockent déjà ou prévoient stocker leurs données dans les serveurs d’Amazon, cela donne à l’entreprise un contrôle énorme sur l’industrie des données. Mais la prétention d’Amazon s’étend encore bien au-delà : ce que Jeff Bezos cherche à accomplir, c’est que son entreprise devienne un maillon clé dans la chaîne de production et de distribution du commerce international en devenant l’interface entre tous les grands acheteurs et vendeurs, par l’élargissement de son contrôle sur le secteur de la logistique et de l’envoi de colis. Il veut en quelque sorte posséder l’infrastructure et le réseau de distribution le plus grand de la planète.77 De plus, Amazon a déjà commencé à mettre en place des projets pilotes de magasins sans employés. Comme si cela n’était pas assez, Amazon vient de recevoir la bénédiction des autorités américaines pour son projet Kuiper78, visant à déployer une constellation de 3236 satellites en orbite basse afin de fournir de l’internet haut débit au plus grand nombre de personnes possible. Le lancement commercial du service est prévu pour juillet 2029. Ce projet semble être une réponse directe au projet Starlink de SpaceX qui compte déjà 480 satellites en orbite et qui prévoit en mettre au total 42 000.79

Ainsi, Amazon est sans conteste le grand gagnant parmi les entreprises s’étant le plus enrichies au cours de la pandémie, ses ventes ayant augmentées de 26%,80 alors que les dénonciations des syndicats sur le non-respect des consignes sanitaires pour protéger les travailleurs.euses dans ses entrepôts fusaient de toutes parts81. Mais les autres géants de la Silicon Valley ne sont pas en reste : à la fin du premier trimestre de 2020, tous ont affiché un chiffre d’affaires en hausse : Google +13%, Facebook +18%, Microsoft +15%, et Apple +1%82. D’ailleurs, la société d’investissement MKM Partners a créé un nouvel indice appelé le « Stay home index » pour répertorier les entreprises qui s’en sortent le mieux en ces temps de pandémie. Environ 30 grandes compagnies y sont cotées, dont Amazon, eBay, Alibaba, Netflix, Facebook, Zoom et Slack83. Mais en plus des entreprises de l’économie numérique qui sont en tête du palmarès, d’autres secteurs économiques ont aussi profité de la crise de la COVID-19 et continueront de le faire, notamment dans les secteurs de l’agro-alimentaire, du pharmaceutique, des équipements médicaux, des produits d’hygiène, ainsi que de la grande distribution. On peut penser entre autres à Walmart et Costco, à Ontex, l’un des leaders mondiaux de produits d’hygiène, ou à Jonhson&Johnson et Novartis qui travaillent sur le développement d’un vaccin, pour ne nommer que ceux-là84. Alors que les plus grandes chaînes sont restées ouvertes durant toute la période du confinement, les petits commerces de détail ont dû fermer leurs portes pour des raisons sanitaires. Pourtant, l’achalandage dans les commerces de proximité est moindre en comparaison aux grandes surfaces où convergent des centaines de personnes par jour et qui possèdent des systèmes de ventilation pouvant potentiellement distribuer le virus dans l’air.

Dans le secteur pharmaceutique, une panoplie de laboratoires ont flairé la bonne affaire. À la mi-mars, alors que les Bourses s’effondraient, l’action de Gilead grimpait de 20% après l’annonce des essais cliniques du Remdesivir contre la COVID-19, celle d’Inovio Pharmaceuticals gonflait de 200 %, à la suite de l’annonce d’un vaccin expérimental, celle d’Alpha Pro Tech, fabricant de masques de protection, bondissait de 232 % et l’action de Co-Diagnostics montait de plus de 1 370 % grâce à son kit de diagnostic moléculaire du SRAS- CoV-2.85

Ainsi, alors que les systèmes publics de santé de nombreux pays étaient sur le bord de l’hécatombe, faisant face à une pénurie de masques de protection, de respirateurs artificiels et de tests de dépistage, les grandes pharmaceutiques avaient déjà commencé à s’enrichir. La pandémie a révélé les conséquences d’années de coupes budgétaires des gouvernements et de politiques favorisant la privatisation graduelle de nos systèmes publics de santé, au profit d’une vision mettant de l’avant la rentabilité économique de la santé.

La question du port du masque est emblématique pour mettre en lumière comment les intérêts économiques pèsent plus lourd que les questions sanitaires quand vient le temps de déterminer les politiques publiques. Un peu partout, on assiste depuis mars à une valse allant d’interdire l’achat de masques afin de s’assurer de leur accessibilité dans les services de santé,86 à rendre son port obligatoire sous peine d’amende ou même de prison ; or, il apparaît que ces politiques varient selon la disponibilité des stocks à écouler sur les marchés.87 Même l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), a tardé jusqu’en juin avant de faire une recommandation claire en faveur du port du masque généralisé.88 Et bien qu’un prétendu consensus scientifique semble maintenant se dégager pour recommander de le rendre obligatoire, de nombreux scientifiques continuent à mettre en doute son utilité.89

Force est de constater la place très stratégique que joue l’industrie pharmaceutique dans nos systèmes de santé, puisqu’elle produit à la fois les équipements de protection, les tests de dépistage, les médicaments et les vaccins. La production des tests de dépistage est non seulement contrôlée par le privé – qui les vend aux État à des prix exorbitants alors qu’ils sont très peu coûteux à produire – mais en plus, elle est entourée par le secret industriel et commercial, ce qui empêche le public d’y voir clair. Les « réactifs », ces composants chimiques des kits de dépistage qui attestent de la présence du virus, sont des molécules dont on ne connaît ni d’où elles viennent, ni à quoi elles servent, ni combien elles coûtent vraiment.90 De plus, il semble que différentes qualités de tests circulent : en Colombie par exemple, les résultats des tests prennent plus de 10 jours et donnent fréquemment des résultats erronés à cause de leur mauvaise qualité. Étant donné que nous sommes dans une situation exceptionnelle, pourquoi ne pas lever tout brevet sur ces découvertes scientifiques alors qu’on nous martèle qu’elles sont si précieuses pour la santé et la vie de milliards d’êtres humains ?

Cela ne fait pas exception dans la recherche de solutions et la course aux médicaments et aux vaccins pour lutter contre la COVID-19. Les États s’en remettent à « Big Pharma » et à la prétendue générosité de fondations telles que la Fondation Bill & Melinda Gates. Fondée par l’un des hommes les plus riches du monde, elle est impliquée depuis de nombreuses années dans l’industrie du vaccin sous couvert d’aide humanitaire en matière de santé aux populations des pays les plus pauvres. Bill Gates a annoncé récemment que sa fondation allait dépenser des milliards pour travailler avec sept fabricants potentiels d’un vaccin afin de financer leur production.91 La puissante Fondation Bill & Melinda Gates est l’acteur non étatique le plus puissant de la planète, d’une valeur de 45 milliards de dollars92 un montant supérieur au produit intérieur brut (PIB) de la Côte d’Ivoire, de la Jordanie ou encore de l’Islande. Si la Fondation Gates était un État, selon les données de la Banque mondiale93, elle serait le 91e plus riche du monde. Une grande partie de son capital est généré grâce à des investissements discutables, notamment dans l’industrie pétrolière.94 Elle est le deuxième contributeur en valeur absolue de l’OMS, derrière les États-Unis, et son plus important bailleur de fonds privé95. Pourtant, cette apparence de conflit d’intérêt n’a pas été questionnée dans les grands médias. Déjà en 2016, un documentaire intitulé, « l’OMS dans les griffes des lobbyistes ? »96 s’interrogeait sur l’indépendance de l’institution par rapport à ses bailleurs de fonds privés.

L’ampleur des investissements et des mesures déployés par les gouvernements pour lutter contre la COVID-19 est spectaculaire, si on met en perspective le nombre de morts liés à celle-ci, relativement au nombre de morts causés annuellement par d’autres maladies du notamment à la contamination environnementale, comme par exemple le cancer. En date du 24 août 2020, la COVID-19 avait provoqué près de 807 000 morts à l’échelle planétaire.97 Selon les dernières données du Centre international de recherche sur le cancer de l’OMS, il y a eu 9,6 millions de décès en raison de cancers en 2018 à l’échelle planétaire.98 Il est évident qu’un des enjeux lié à la COVID-19 est son potentiel de propagation rapide, son taux de mortalité plus élevé que la grippe saisonnière et le risque de débordement des unités de soins intensifs des hôpitaux qui en découle et que cela justifie de prendre des mesures temporaires pour « aplanir la courbe ». Mais il n’en reste pas moins qu’il est légitime de se demander pourquoi nos gouvernements ne sont pas si empressés de mettre en place des politiques sérieuses visant à prévenir les cancers, notamment en interdisant la vente et l’épandage de pesticides sur nos aliments par l’industrie agro-alimentaire, alors que certains d’entre eux comme le glyphosate ont finalement été reconnus comme probablement cancérigènes par l’OMS.99 Dans tous les cas, si les grands médias nous faisaient un décompte quotidien du nombre de morts liés au cancer, il y a fort à parier que la peur engendrée par un tel décompte générerait une pression sociale suffisante pour forcer les gouvernements à faire face au lobby des entreprises. La mainmise du privé sur le secteur de l’agriculture, de l’alimentation et de la santé, fait en sorte que les populations sont à la merci de multinationales telles que Monsanto, ironiquement rachetée par la pharmaceutique Bayer.100

Les États continuent cependant d’offrir toutes les garanties et incitatifs possibles au secteur privé. Un exemple flagrant de cela est l’annonce du ministre de l’Économie, Pierre Fitzgibbon, le 21 août dernier, affirmant que le gouvernement souhaite attirer les pharmaceutiques au soi-disant Québec en leur donnant accès aux données de la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ). « On a l’intelligence artificielle, on a la médecine spécialisée […] on a les données de la RAMQ, et les données de la RAMQ, c’est une mine d’or », a-t-il déclaré. […] Le jour où on peut se rendre confortables de donner accès à nos données de santé aux compagnies pharma[ceutiques] qui vont venir dans les hôpitaux universitaires qui sont très performants, et on a Mila à côté qui fait l’algorithme ou Imagia, c’est winner ! », a-t-il poursuivi. 101

D’ailleurs, en mars 2019, l’IRIS publiait une recherche102 sur l’IA, annonçant que Le gouvernement du Québec veut faire de l’intelligence artificielle (IA) une composante importante de l’économie québécoise, dont Montréal serait le pôle central. « Cette industrie est vue comme un pilier de la croissance économique mondiale par l’OCDE notamment. En mai 2020, l’IRIS émettait l’hypothèse « qu’en se posant comme un modèle à suivre, [l’État] renforce la confiance des investisseurs pour les produits d’IA développés en territoire canadien et québécois. L’État assure le lien entre les universitaires et les entrepreneurs et absorbe une part du risque financier, en stimulant les investissements privés ».

Soi-disant Montréal est en effet devenue un des plus importants pôles du développement de l’IA dans le monde :

« En 1993, Yoshia Bengio a fondé l’Institut québécois d’intelligence artificielle, aujourd’hui l’Institut des algorithmes d’apprentissage de Montréal, qui rassemble des chercheurs de l’Université de Montréal et de l’Université McGill. Aujourd’hui, cet organisme compte 300 chercheurs représentant 15 facultés. Ces chercheurs universitaires collaborent activement avec les grandes entreprises numériques de ce monde. Bengio est aussi membre d’IVADO, l’Institut de valorisation des données. Ivado est un concentré d’experts à Montréal faisant “le pont entre l’expertise académique et les besoins de l’industrie”. MILA, IVADO, Thales, Element IA et d’autres se sont récemment installés dans le Mile-Ex, déclaré comme lieu central de l’IA à Montréal. Les chercheurs s’installent à Montréal car il existe un « écosystème favorable » : des fonds publics, de la formation de la main d’œuvre financée par l’État, des espaces industriels pas chers, des universités, des acteurs de l’industrie numérique, le bilinguisme, etc. ».103

Ne pas s’habituer à la nouvelle “normalité”

Nous l’avons sentie et vécue comme un choc dans nos corps et nos esprits ; les changements provoqués par la crise se sont faits rapidement et on nous parle déjà d’une nouvelle façon de vivre en société à laquelle nous devrons nous habituer… Nous avons voulu en écrivant ces lignes, alimenter notre esprit critique, confirmer certaines intuitions, en abandonner d’autres… avec l’espoir de contribuer à nous donner des pistes de réflexion et de résistance pour lutter contre ce nouveau monde sans contact qu’on tente de nous imposer.

On assiste à une véritable réingénierie des comportements sociaux : imposition du télétravail dans plusieurs domaines, délation des voisins, peur de la contagion, peur des quartiers pauvres, peur d’une accolade, isolement social et acceptation de la surveillance de masse. Ces modifications accélérées des comportements concordent avec des tendances déjà fortes provoquées entre autres par l’usage des téléphones intelligents et des réseaux sociaux et le développement exponentiel des technologies qui marquera la prochaine décennie avec l’entrée en scène massive de l’IA dans nos vies.

Nous finissions ce début d’analyse encore plus préoccupées que nous l’étions au départ, qu’il s’agisse de confirmer l’énorme pouvoir d’influence politique et économique des futurs maîtres du monde, ces géants du Big Data, ou de découvrir que l’OMS obtient une part énorme de son financement d’une fondation qui investit aussi activement dans l’industrie pharmaceutique. Tout en confirmant que le capitalisme de surveillance a bel et bien pris son envol et que son éventail de nouvelles technologies nous est présenté comme autant de solutions miracles à la crise que nous vivons; nous percevons avec inquiétude la rapide acceptation des mesures qui créent de la distance dans nos relations humaines et nous empêchent d’être ensemble…

Il est fort probable que nous soyons appelé.e.s à nous adapter à cette nouvelle « normalité » et nous devons nous demander jusqu’où sommes-nous prêt.e.s à accepter ces nouvelles formes de contrôle et de surveillance de nos vies et l’imposition d’une nouvelle façon de vivre, de travailler et d’entretenir nos relations les un.e.s avec les autres, mais aussi de marginaliser et d’exclure. Qu’en sera-t-il lorsque les mesures proposées viseront à contrôler l’immunité ? Accepterons-nous de nous faire injecter un vaccin développé en toute hâte par des entreprises avides de profit ? Serons-nous indigné.e.s et prêt.e.s à défendre celles et ceux qui le refuseront, si la société décide de les exclure ? Il n’est pas impossible que dans l’éventualité où un vaccin soit trouvé, cette marginalisation et exclusion d’une partie de la population considérée à risque, s’applique aux personnes ayant refusé de se faire vacciner ou qui ne peuvent prouver leur immunité ; elles pourraient se voir refuser l’accès aux édifices gouvernementaux, aux endroits publics, aux commerces de grande surface et qui sait aux supermarchés…

En Bolivie, le gouvernement transitoire d’extrême droite mis en place suite à un coup d’État, a promulgué dans le contexte de la pandémie une loi rendant illégale la diffusion d’information, sur n’importe quel sujet, considérée comme trompeuse ou pouvant semer la confusion104. En parallèle nous observons que les contenus donnant de l’information critique sur la vaccination se font de plus en plus censurer sur les réseaux sociaux. Par exemple, Youtube informait fin 2019 que « Les vidéos qui font la promotion d’un contenu anti-vaccination constituaient – et c’est encore le cas aujourd’hui – une violation de notre politique concernant les actes dangereux ou pernicieux. Nous appliquons ces politiques de manière drastique et si nous trouvons des vidéos qui enfreignent ce règlement, nous prenons immédiatement les mesures nécessaires ».105 Que l’on soit en faveur ou non des vaccins, cela n’est pas la question ici : ce qui est en jeu est notre droit de penser, de critiquer et de partager publiquement une information alternative ou notre dissension. On observe actuellement une dynamique similaire avec les informations sur l’avortement, qui est censurée par exemple au Brésil106 et en Espagne.107 Un autre exemple dans lequel les géants du numérique sont à la fois juge et partie du contenu pouvant circuler en ligne, est celui de Facebook qui, fin août 2020, a décidé d’éliminer des dizaines de Fan Page de groupes associés à Crimethink et à itsgoingdown, ainsi que d’autres pages anarchistes ou antifascistes.108

Par ailleurs, étant donné que la possibilité de développer une immunité à long terme à la COVID-19 est incertaine, les gouvernements et les entreprises pourraient en venir à choisir toutes sortes de critères discriminatoires pour identifier le niveau de risque que représentent les individus : si nous gagnons moins de 35 000$ par année, si nous avons plus de 4 enfants, si nous vivons dans certains quartiers, etc. Ces critères, pourraient être transférés dans des algorithmes, comme ceux utilisés l’an dernier par des compagnies d’assurance en santé aux États-Unis, qui ont révélé favoriser davantage les personnes blanches.109

À court terme, la majorité des règles et mesures dictées par la santé publique seront volontaires, bien qu’associées à une forte pression sociale. Par contre, il n’est absolument pas farfelu d’imaginer que ces mesures iront en s’intensifiant et en augmentant l’étendue de leur spectre de contrôle sur nos vies, au fur et à mesures des vagues successives d’éclosion-confinement-déconfinement… Car comme le mentionne M. Lichfield du MIT en conclusion de son article, « non seulement nous nous adapterons à ces mesures, mais nous serons prompts à les accepter, car la surveillance de nos vies sera un maigre prix à payer pour retrouver notre droit fondamental d’être avec d’autres »110.

Comment résister et continuer de lutter ?

Un des premiers défis qui nous attend est de rester critiques face à la couverture médiatique en lien avec la pandémie et à la manière dont elle contribue à la fabrication de notre consentement. Même si la pandémie est une question de santé, un domaine dominé par les scientifiques où nous sentons que nous avons peut-être peu d’expertise, les enjeux qui se dégagent de cette crise sont beaucoup plus larges et touchent à différentes facettes du système économique et politique global dans lequel nous vivons.

Un des premiers moyens à notre portée est le refus de nous adapter sur une base individuelle à cette nouvelle réalité ; nous pouvons par exemple nous opposer aux mesures qui nous semblent farfelues, telles que le refus de l’argent comptant par les commerces. D’une part, parce que cela exclue et rend encore plus vulnérables les personnes en situation de pauvreté, ainsi que les personnes analphabètes, qui souvent n’ont ni carte de crédit, ni carte de débit et d’autre part, parce l’usage exclusif des cartes pour payer est un moyen additionnel pour extraire toujours plus de données de nos comportements de consommation.

Nous pouvons aussi questionner notre propre relation aux technologies, par exemple en commençant par se demander franchement qu’elle a été l’évolution de notre utilisation du téléphone intelligent et de l’internet, quelle place prennent les écrans et les réseaux sociaux dans nos vies, ainsi que dans notre façon de militer, de s’organiser, de mobiliser… Des résistances sur ce plan sont déjà en cours : depuis l’apparition des PC, les communautés de logiciels libres s’efforcent quotidiennement d’offrir des alternatives aux outils qui nous surveillent et des projets pilotes visant à mettre en place des infrastructures de connexion internet qui soient réellement décentralisées sont en construction au Chiapas et à soi-disant Montréal, par exemple.

En tant que mouvement de résistance, nous sommes bien loin des mobilisations de masse contre la mondialisation capitaliste et les événements internationaux organisés par l’élite mondiale sous l’égide d’institution telles que l’OMC, le G-20, le G-8 devenu G-7, ou le Forum économique mondial, et on voit encore très peu de manifestations devant les bureaux de Facebook, de Google ou d’Amazon. Mais nous sommes de plus en plus à nous pencher sur le rôle des GAFAM et le développement de l’intelligence artificielle. L’IA est l’enjeu économique du siècle, elle transformera la manière d’opérer du système capitaliste ainsi que les outils à la disposition des États pour contrôler la population par la surveillance et l’ingénierie des comportements sociaux. Le capitalisme de surveillance est à notre porte, mais il a besoin du développement du réseau 5G et de l’IA pour se déployer pleinement. Et l’intelligence artificielle n’est pas intangible, elle se développe dans nos villes : partout dans le monde, les grands centres urbains rivalisent pour attirer les acteurs de l’IA et ces derniers siphonnent allègrement les fonds publics.

À soi-disant Montréal, il y a un potentiel concret pour réfléchir collectivement à ce que nous pouvons faire pour freiner ce pôle de développement de l’IA, que ce soit par l’éducation populaire, la dénonciation, la mobilisation ou l’action directe.

« Les entrepreneurs en IA ont dans leur mire l’ancien pôle industriel entre Parc-extension et la Petite-Patrie, qu’ils appellent le Mile-Ex. Ils profitent aussi de l’expansion du campus de l’UdM dans la partie Sud de Parc-Extension. (…) Plusieurs start-up sont aussi situées près du Canal Lachine. (…) Ces entreprises s’approprient des ateliers locatifs, faisant grimper le prix des loyers et des ateliers, mais aussi des logements tout autour par l’afflux de travailleurs spécialisés. Ce mouvement d’appropriation du territoire par les entrepreneurs en IA contribue à achever la gentrification des quartiers visés. »111

Nos luttes contre la gentrification peuvent les décourager de s’installer dans nos quartiers ; à nous de faire les liens entre l’embourgeoisement de ces derniers et le développement des pôles de l’IA. Les luttes menées à Berlin contre Google-Campus ou encore celles menées à Grenoble contre le pôle technologique font partie des sources d’inspiration possibles. Tout comme les luttes qui, malgré la pandémie, préservent un autre rapport au monde depuis l’Amérique latine, qu’il s’agisse de la grève des livreurs de Uber eats au Brésil en juin, faisant écho à la grève d’Amazon au nord du continent, à la reprise des mobilisations au Chili, aux marches pour la dignité en Colombie, ayant parcouru plusieurs milliers de kilomètres depuis les territoires autochtones jusqu’à la capitale, ou aux luttes contre les évictions et les occupations de terrains par des familles délogées à Bogota, sans oublier les prisons, qui brûlent depuis des mois aux quatre coins du globe. Ces mobilisations viennent s’ajouter aux réseaux d’entraide comme ceux des paysan.ne.s brésilien.ne.s qui envoient chaque semaine des tonnes de nourriture bio dans les grandes villes, démontrant que vingt années d’efforts pour construire l’autonomie territoriale permettent aujourd’hui d’affronter la crise. Au quotidien, ce type de réseaux d’entraide construisent pas à pas un autre rapport au monde, préservant le tissu social envers et contre tout.

Ce tissu social, cette humanité qui s’exprime, sont les principales cibles et potentielles victimes de cette « nouvelle normalité » qu’on tente de nous faire accepter. Bien que nous acceptions la distanciation sociale comme un mauvais moment à passer, tant qu’il s’agit d’une mesure temporaire pour se protéger et protéger nos proches, nous pouvons refuser de nous y habituer et affirmer d’ores et déjà que nous n’accepterons pas la distanciation sociale perpétuelle. Nous avons besoin du contact humain physique, de pouvoir serrer nos ami.e.s dans nos bras, se donner une accolade entre camarades ou une tape dans le dos entre collègues. Nous priver de contacts physiques revient à nous déshumaniser et en ce sens, nous refusons que s’installe un monde sans contact.

Nous aspirons à des résistances qui se construisent loin des écrans, qui alimentent des vies avides de liberté où nous sommes en relation directe les uns avec les autres et avec le territoire qui nous entoure et où nous refusons de devenir des androïdes biologiques connectés à la réalité virtuelle qu’on aura construite pour nous.







1 https://contrepoints.media/posts/de-la-valeur-des-corps-et-des-marchandises

2 We’re not going back to normal, Massachusets Institue of Technology (MIT), 17 mars 2020.

https://www.technologyreview.com/2020/03/17/905264/coronavirus-pandemic-social-distancing-18-months/

3 Idem.

4 Idem.

5 https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1698833/applications-de-tracage-suivi-contacts-coronavirus-geolocalisation-bluetooth-canada-quebec-dans-le-monde

6 https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1726259/coronavirus-application-tracage-covid-assemblee-commission-ethique

7 https://www.journaldemontreal.com/2020/05/04/tour-du-monde-des-applications-mobiles-de-tracage-des-contacts

8 La technologie Bluetooth utilise des ondes courtes, pour connecter des appareils entre eux.

9 Le taux maximum de reproduction identifié est de 5.7 mais oscille généralement entre 1 et 1.5

https://www.the-scientist.com/features/why-r0-is-problematic-for-predicting-covid-19-spread-67690

https://www.bbc.com/news/health-52473523

10 https://www.nature.com/articles/d41586-020-01264-1

11 https://www.ledevoir.com/opinion/libre-opinion/580371/il-ne-faut-pas-prendre-a-la-legere-la-securite-des-outils-de-recherche-de-contacts

12 https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1706911/application-tracage-coronavirus-covid-19-decrypteurs-acces-contacts-cell-facebook

13 https://www.cadtm.org/Ne-laissons-pas-s-installer-le-monde-sans-contact

14 Nous utilisons dans le texte les noms Montréal, Québec, Canada, précédé de l’expression « soi-disant » afin d’informer qui nous lit que ce sont les noms qui ont été imposés par la colonisation sur les territoires volés de ce que nous connaissons aujourd’hui comme l’Amérique du nord, mais qu’ils existent d’autres noms afin de désigner ces territoires qui reflètent la diversité des cultures autochtones qui continuent d’y vivre et d’y résister.

15 http://trpocb.org/ce-quil-faut-savoir-sur-le-dossier-sante-quebec-dsq/

16 https://ici.radio-canada.ca/info/videos/media-7902183/carnet-sante-quebec-en-ligne-22-mai

17 https://www.journaldemontreal.com/2020/05/04/tour-du-monde-des-applications-mobiles-de-tracage-des-contacts

18 https://www.nytimes.com/2020/03/01/business/china-coronavirus-surveillance.html

19 https://www.lesoleil.com/chroniques/gilles-vandal/la-chine–lart-de-transformer-une-crise-en-avantage-365fbd3f431c26a81e54769ac81a7a01

20https://www.thetricontinental.org/studies-2-coronavirus/

21 https://plus.lapresse.ca/screens/089d4bde-cebc-415c-a34c-ff4e69016272__7C___0.html

https://www.tvanouvelles.ca/2020/05/02/des-cameras-thermiques-qui-soulevent-des-doutes-1

22 https://www.eltiempo.com/bogota/coronavirus-ultimas-noticias-aeropuerto-el-dorado-estrena-camaras-termicas-para-detectar-casos-495254

https://www.eltiempo.com/colombia/cali/en-menos-de-3-dias-ya-intentan-robar-camaras-termicas-de-covid-en-mio-517136

23 https://www.foxbusiness.com/lifestyle/coronavirus-immunity-cards

24 https://www.rt.com/usa/485510-fauci-immunity-cards-coronavirus/

25https://www.tvanouvelles.ca/2019/12/18/un-carnet-de-vaccination-invisible-sous-la-peau

26 http://mi.lapresse.ca/screens/513ed3bc-814f-4f67-92a5-09736b04975b__7C___0.html

27 https://id.presidencia.gov.co/Paginas/prensa/2020/Gobierno-Nacional-expide-Decreto-457-mediante-el-cual-imparten-instrucciones-para-cumplimiento-Aislamiento-Preventiv-200323.aspx

28 https://www.journaldemontreal.com/2020/05/04/tour-du-monde-des-applications-mobiles-de-tracage-des-contacts

29 https://www.solidarityacrossborders.org/fr/cbsa-pushes-tracking-bracelets

30 https://www.cbsa-asfc.gc.ca/security-securite/arr-det-eng.html#atdp

31 https://www.bbc.com/news/technology-40341511

32 https://www.bbc.com/news/technology-40341511

33 https://id2020.org/

34 http://truthstreammedia.com/2020/03/24/were-living-in-12-monkeys/

35 https://www.lapresse.ca/debats/editoriaux/2020-07-06/il-faut-qu-on-parle-de-votre-identite-numerique.php

36 https://www.theguardian.com/world/2020/jun/18/coronavirus-mass-surveillance-could-be-here-to-stay-tracking?mc_cid=8089663049&mc_eid=9cd81ffcd4

37 http://truthstreammedia.com/2017/10/30/the-fourth-industrial-revolution-most-people-dont-even-realize-whats-coming/

38 https://fr.weforum.org/agenda/archive/fourth-industrial-revolution

39https://www.weforum.org/agenda/2020/04/covid-19-emerging-technologies-are-now-critical-infrastructure-what-that-means-for-governance/

40 36 zéro derrière 340…

41 Idem

42 https://radio-waves.orange.com/fr/reseaux-et-antennes/5g/

43 https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1722563/5g-rogers-bell-telus-utilisation-potentiel-inexploite

44 https://www.who.int/news-room/q-a-detail/5g-mobile-networks-and-health

45 https://www.reuters.com/article/us-swiss-5g/switzerland-to-monitor-potential-health-risks-posed-by-5g-networks-idUSKCN1RT159

46 https://www.lemonde.fr/pixels/article/2020/04/06/au-royaume-uni-des-antennes-5g-incendiees-a-cause-d-une-theorie-du-complot-sur-le-coronavirus_6035718_4408996.html

47 https://www.lesoleil.com/actualite/justice-et-faits-divers/tours-cellulaires-incendiees-theories-conspirationnistes-la-police-enquete-c169314a3f68145a64316a0a14119647

48 https://www.youtube.com/watch?v=xRhISwY42nQ&list=PLSn1F05iE4gY6GsDYCnV7Qfh7caT74CfY&index=8

49 http://truthstreammedia.com/2017/10/30/the-fourth-industrial-revolution-most-people-dont-even-realize-whats-coming/

50 https://www.youtube.com/watch?v=T9DK0JThOio&list=PLZLDYXYNjiTTpiWf1m14WIcEEBAKS2lTR&index=22&t=0s

51 https://www.weforum.org/platforms/shaping-the-future-of-technology-governance-iot-robotics-and-smart-cities

52 https://www.weforum.org/centre-for-the-fourth-industrial-revolution/

53 https://www.weforum.org/agenda/2018/11/the-fourth-industrial-revolution-is-driving-a-new-phase-of-globalization/

https://www.weforum.org/platforms

54 En anglaisThe Network for Global Technology Governance”.

55https://www.weforum.org/centre-for-the-fourth-industrial-revolution/

56 https://www.lemonde.fr/culture/article/2014/06/17/internet-la-pollution-cachee_4437854_3246.html

57 https://www.bbc.com/future/article/20200305-why-your-internet-habits-are-not-as-clean-as-you-think

58 https://www.nytimes.com/2019/11/11/business/google-ascension-health-data.html

59 https://health.google/

60 https://www.express.co.uk/news/science/781136/IMMORTALITY-google-ray-kurzweil-live-forever

https://www.theguardian.com/technology/2019/feb/22/silicon-valley-immortality-blood-infusion-gene-therapy

61 https://www.express.co.uk/news/science/720030/Virtual-immortality-developer-chatbot

62 On appelle en anglais «to mine »« les données des utilisateurs afin de consolider des bases de données cotées en bourses.

63 https://www.capital.fr/entreprises-marches/big-data-et-intelligence-artificielle-profitez-de-cette-revolution-en-bourse-1225427

64 Idem.

65 https://www.ledevoir.com/opinion/chroniques/579393/deconfines-surveilles

66 Cambridge Analytica (CA), une société de communication stratégique, s’est retrouvée en 2018 au centre d’un scandale mondial pour avoir utilisée le données personnelles de plusieurs dizaines de millions d’utilisateurs de Facebook, afin de diffuser des messages favorables au Brexit au Royaume-Uni et à l’élection de Donald Trump aux États-Unis en 2016, provoquant sa faillite en 2018.

67 https://en.wikipedia.org/wiki/The_Great_Hack

68 https://www.theguardian.com/technology/2019/mar/17/the-cambridge-analytica-scandal-changed-the-world-but-it-didnt-change-facebook

69 https://naomiklein.org/the-screen-new-deal/

70 https://www.theguardian.com/news/2020/may/13/naomi-klein-how-big-tech-plans-to-profit-from-coronavirus-pandemic

71 https://www.theguardian.com/commentisfree/2020/apr/01/do-you-know-how-zoom-is-using-your-data-heres-why-you-should

72 https://www.lejdd.fr/Societe/on-vous-explique-pourquoi-la-france-exporte-ses-dechets-en-asie-3912663

73 http://truthstreammedia.com/2018/07/24//

74 https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1705314/coronavirus-riches-economie-fortune-pandemie-etats-unis

75 https://www.forbes.com/profile/jeff-bezos/?list=forbes-400#4f5267a31b23

76 https://www.forbes.fr/classements/classement-forbes-2020-des-milliardaires-bernard-arnault-sur-le-podium/?cn-reloaded=1

77 Tiré du documentaire Le Monde selon Amazon: https://www.youtube.com/watch?v=v9F6oJxr-EU

78 www.amazon.jobs

79 www.starlink.com

80 https://www.rtbf.be/info/dossier/epidemie-de-coronavirus/detail_coronavirus-quelles-entreprises-s-enrichissent-grace-a-la-crise?id=10499655

81 https://www.journaldemontreal.com/2020/03/30/greves-chez-amazon-et-instacart-pour-plus-de-protections-face-au-coronavirus

82 https://www.rtbf.be/info/dossier/epidemie-de-coronavirus/detail_coronavirus-quelles-entreprises-s-enrichissent-grace-a-la-crise?id=10499655

83 Idem.

84 https://www.entreprendre.fr/numerique-sante-grande-distribution-ces-entreprises-qui-resistent-a-la-crise-sanitaire-covid19/

85 https://www.monde-diplomatique.fr/2020/04/RAVELLI/61624

86 https://www.lesoleil.com/opinions/point-de-vue/covid-19–le-masque-revelateur-de-notre-impreparation-ea3fe5e7e5f3e872f456670c8428f40c

87 https://silure-ge.net/fr/home/positions/la-sante-publique-en-regime-neoliberal

88 https://www.un.org/fr/coronavirus/articles/recommandations-port-du-masque

89 https://www.futura-sciences.com/sante/actualites/coronavirus-coronavirus-si-masques-faisaient-plus-mal-bien-80893/

https://www.lesoleil.com/opinions/point-de-vue/covid-19–le-masque-revelateur-de-notre-impreparation-ea3fe5e7e5f3e872f456670c8428f40c

90 https://www.monde-diplomatique.fr/2020/04/RAVELLI/61624

91 https://www.marketwatch.com/story/bill-gates-says-hell-spend-billions-on-coronavirus-vaccine-development-2020-04-06

92 https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1698428/bill-gates-puce-conspiration-complot-covid-verification-dementi-decrypteurs

93 https://donnees.banquemondiale.org/indicateur/NY.GDP.MKTP.CD?most_recent_value_desc=true

94 https://www.courrierinternational.com/article/2007/02/01/les-etranges-placements-de-la-fondation-gates

95 https://www.lapresse.ca/actualites/sciences/2020-04-15/covid-19-la-fondation-gates-appelle-a-un-effort-mondial-pour-fabriquer-un-vaccin

96 https://info.arte.tv/fr/film-loms-dans-les-griffes-des-lobbyistes

97 https://www.google.com/search?client=firefox-b-d&q=Nombre+de+morts+Covid-19+dans+le+monde

98 https://www.iarc.fr/wp-content/uploads/2018/09/pr263_F.pdf

99 https://foodsecurecanada.org/fr/ressources-et-nouvelles/nouvelles-et-medias/loms-qualifie-le-glyphosate-dagent-probablement

100 https://www.ledevoir.com/economie/479950/bayer-rachete-le-geant-monsanto

101 https://www.ledevoir.com/politique/quebec/584542/quebec-veut-attirer-les-pharmaceutiques-avec-les-donnees-de-la-ramq

102 https://iris-recherche.qc.ca/publications/IA

103 Idem.

104 https://www.france24.com/es/20200511-bolivia-aprueba-sanciones-penales-por-desinformar-sobre-el-coronavirus

105 https://www.20minutes.fr/sante/2489311-20190418-antivax-comment-offensive-contre-antivaccins-organise-ligne

106 https://ooni.org/post/2019-blocking-abortion-rights-websites-women-on-waves-web/

107 https://blog.magma.lavafeld.org/post/women-on-web-blocking/

108 https://itsgoingdown.org/on-facebook-banning-anarchist-and-antifascist-pages-the-digital-censorship-to-come/

109 https://www.technologyreview.com/2020/03/17/905264/coronavirus-pandemic-social-distancing-18-months/

110 https://www.technologyreview.com/2020/03/17/905264/coronavirus-pandemic-social-distancing-18-months/

111 https://mauvaiseherbe.noblogs.org/post/2020/04/11/lintelligence-artificielle/